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le 13 mars 2009


N° 1460

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2009.

PROPOSITION DE LOI

tendant à reconnaître la liberté et le droit à l'activité bénévole au sein des exploitations agricoles,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Germinal PEIRO,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En l’état actuel du droit français, notamment le code du travail et le code rural, il n’existe pas encore de reconnaissance législative de l’activité agricole bénévole « familiale » ou « de proximité ».

Seule prévaut clairement depuis la loi du 8 août 1962, l’existence de l’entraide entre agriculteurs, définie aujourd’hui à travers les articles L. 325-1 et suivants du code rural. Et si cette dernière instaure un cadre précis permettant un échange de prestations réciproques entre exploitants actifs, elle n’épuise pourtant pas toutes les situations de travail sans embauche ni rémunération rencontrées légalement sur un grand nombre d’exploitations.

D’abord, la pratique du « coup de main » bénévole donnée par un retraité agricole sur son ancienne exploitation en cas de transmission familiale (1) représente une autre forme de collaboration fréquente.

Sa reconnaissance juridique est aujourd’hui fondée seulement sur des textes réglementaires infra-décrétaux, en particulier des circulaires du ministère de l’agriculture dont la dernière sur le sujet remonte à 1998. Mais la notoriété de ces documents apparaît particulièrement faible et la méconnaissance de leurs dispositions souvent manifeste chez les acteurs concernés. Par manque de volonté et de courage politiques, le législateur a jusque à présent toujours semblé refuser se saisir de la question pour la clarifier et l’encadrer avec la précision qu’elle mériterait.

Pourtant, cette pratique fait l’objet d’une tolérance administrative de la part des caisses de la mutualité sociale agricole si elle n’excède pas dix à quinze heures hebdomadaires. D’un usage très répandu, elle offre l’avantage de la transmission d’une expérience souvent longue, d’un savoir-faire ou d’une compétence particulière. De plus, elle témoigne aussi d’un esprit de solidarité familiale pour affronter certaines difficultés du métier.

C’est pourquoi l’article 1er du présent texte vise à élever dans la loi ordinaire sa pleine reconnaissance, et invite le pouvoir réglementaire à autoriser un volume de participation « significatif », c’est à dire supérieur à celui permis aujourd’hui.

L’aide ou « coup de main » bénévole envisagée aux articles 2 et 3 relève encore d’une autre logique. Il s’agit d’une aide inopinée et non rémunérée susceptible d’être apportée par toute personne proche (voisins, amis, parents ...) extérieure ou non à la profession ou au cercle familial.

Tolérée aujourd’hui dans des limites jurisprudentielles strictes (la Cour de cassation impose un caractère non permanent, non planifié et non indispensable à la mise en valeur de l’exploitation, le désintéressement), cette relation s’expose parfois assez vite à une requalification en emploi salarié dissimulé.

Or, dans certaines zones rurales isolées, souffrant d’une démographie vieillissante (où une quelconque forme de recrutement peut s’avérer compliquée voire impossible), cette forme de solidarité et d’aide ponctuelle apparaît très utile et parfois indispensable face à une surcharge momentanée d’activité. Elle présente l’avantage de la souplesse, de la rapidité, voire de l’immédiateté dans le recours à une main d’oeuvre de proximité, consentante et dégagée de liens de subordination.

De plus, elle se manifeste également à travers la tendance actuelle au développement, chez les jeunes et les étudiants principalement, du travail bénévole au sein d’exploitations, souvent biologiques. Désignée aussi par l’anglicisme « woofing », cette pratique rassemble des jeunes volontaires désireux de découvrir, au plus près du terrain, les modes de vie et de travail agricoles, en participant délibérément à des récoltes sans recevoir de rétribution pour leur activité bénévole.

Aussi, dans un souci de clarification juridique ces pratiques méritent d’être affirmées et reconnues dans la partie législative du Code rural, et d’être encadrées avec toute la rigueur qui s’impose, en aval, par les décrets et arrêtés nécessaires à leurs mises en oeuvre. Ces mesures permettraient alors d’atténuer la part de subjectivité dans l’appréciation et l’opportunité des contrôles administratifs, et offriraient ainsi l’occasion aux pouvoirs publics de supprimer le flou qui prévaut en la matière, tant à l’égard des exploitants agricoles, des bénévoles, que des citoyens en général.

Naturellement, afin de se prémunir contre les risques éventuels d’accidents, ces formes de collaboration bénévole doivent se réaliser avec les compléments assuranciels adaptés pour les intéressés : souscription d’une garantie aide bénévole pour un chef d’exploitation, assurance individuelle accident pour la personne qui apporte un coup de main par exemples. Il résulte à cet égard d’une jurisprudence judiciaire constante (notamment de la chambre sociale de la Cour de cassation ) que sont exclus de la législation sur les accidents du travail agricole définie par la loi du 25 octobre 1972 les accidents éventuels survenus à des collaborateurs bénévoles agricoles.

Ainsi, la présente proposition de loi a pour objectifs d’inscrire et de reconnaître dans la norme législative le droit à ces deux possibilités d’aide gracieuse au sein des exploitations agricoles, et au – delà, à rendre leur pratique plus lisible, plus facile et plus légitime.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le I de l’article L. 732-39 du code rural et l’article L. 8221-2 du code du travail sont complétés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Si une exploitation agricole a été transmise dans le cadre familial au profit du conjoint, d’un enfant ou d’un petit enfant, un retraité non salarié agricole peut, de manière bénévole, participer aux activités nécessaires à son fonctionnement.

« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du précédent alinéa, notamment en ce qui concerne la durée ou les modalités de la participation de la personne pensionnée aux travaux agricoles. Il prévoit les conditions d’assurances requises pour les intéressés. »

Article 2

Le chapitre V du titre II du livre III du code rural est ainsi modifié :

1° L’intitulé est ainsi rédigé : « L’entraide entre agriculteurs et l’aide bénévole » ;

2° Il est ajouté un article L. 325-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 325-4. – Un chef d’exploitation peut en cas de besoin ponctuel et précis bénéficier, et par dérogation aux articles L. 1221-1, L. 1221-10, L. 8221-1 et L. 8221-3 du code du travail, de l’aide bénévole de tierces personnes pour l’exercice de tâches agricoles déterminées. Cette prestation volontaire peut être apportée par un individu extérieur à la profession ou au cercle familial.

« Les conditions d’application du précédent alinéa sont fixées par un décret en Conseil d’État, notamment en ce qui concerne les particularités locales, le volume horaire autorisé par exploitation et par personne et les assurances nécessaires à la participation aux travaux agricoles concernés. »

Article 3

Dans l’article L. 325-2 du code rural, après les mots : « dans le cadre de l’entraide », sont insérés les mots : « et de l’aide bénévole ».

Article 4

Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour les collectivités territoriales de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par un relèvement de la dotation globale de fonctionnement et corrélativement, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les alcools prévus par l’article 402 bis du code général des impôts.

Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour l’État et les régimes sociaux de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits sur les alcools prévus par l’article 402 bis du code général des impôts.

1 () Si la transmission s’effectue hors cadre familial, le retraité doit obligatoirement, sur le plan légal, avoir conservé la parcelle de subsistance, c’est à dire une parcelle de terre destinée à ses besoins personnels lorsqu’il part à la retraite et qui ne peut excéder un cinquième de la surface minimum d’installation (SMI). Dans ce cas le coup de main est alors considéré comme de l’entraide et impose un échange de services réciproques (accessoires et gratuits entre le retraité et le nouvel exploitant). S’agissant des agriculteurs préretraités, la réglementation communautaire exclut catégoriquement toute forme possible de coup de main ou d’entraide.


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