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le 2 avril 2009


N° 1538

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2009.

PROPOSITION DE LOI

visant à identifier, prévenir, détecter et lutter
contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer
l’accompagnement médical et social des victimes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marie-Louise FORT, Martine AURILLAC, Gabriel BIANCHERI, Jérôme BIGNON, Roland BLUM, Claude BODIN, Chantal BOURRAGUÉ, Françoise BRANGET, Chantal BRUNEL, Patrice CALMÉJANE, Pierre CARDO, Éric CIOTTI, Laure de LA RAUDIÈRE, Michel DIEFENBACHER, Jean-Pierre DOOR, Christian ESTROSI, Jean-Michel FERRAND, André FLAJOLET, Jean-Paul GARRAUD, Bernard GÉRARD, Jean-Pierre GRAND, Maxime GREMETZ, Arlette GROSSKOST, Françoise GUÉGOT, Jean-Jacques GUILLET, Olivier JARDÉ, Paul JEANNETEAU, Patrick LABAUNE, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Jacques LAMBLIN, Guy LEFRAND, Maurice LEROY, Céleste LETT, Lionnel LUCA, Alain MARC, Christine MARIN, Henriette MARTINEZ, Jean-Philippe MAURER, Christian MÉNARD, Damien MESLOT, Christian PATRIA, Bérengère POLETTI, Axel PONIATOWSKI, Daniel POULOU, Éric RAOULT, Jacques REMILLER, Jean ROATTA, Didier ROBERT, Arnaud ROBINET, Jean-Marie ROLLAND, Valérie ROSSO-DEBORD, Jean-Marc ROUBAUD, Francis SAINT-LÉGER, Jean-Pierre SOISSON, Catherine VAUTRIN, Xavier BERTRAND et Frédéric LEFEBVRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après la publication du rapport de janvier 2009 sur la lutte contre l’inceste, il n’est plus possible d’ignorer l’ampleur d’un fléau qui a déjà frappé plus de 3 % de la population française et dont les conséquences individuelles comme sociales apparaissent catastrophiques.

Ce sont ainsi plus de 2 millions de Françaises et de Français qui ont vu leur vie brisée par l’inceste. Leur souffrance est profonde. Selon les praticiens, l’inceste est un déterminant majeur des tentatives de suicide, de l’anorexie, des addictions aux stupéfiants et à l’alcool, des troubles de la personnalité, des comportements à risque et de nombreuses psychopathologies. L’inceste est un déterminant de l’échec scolaire, professionnel et relationnel, de l’exclusion sociale.

Plus largement, c’est aussi la société dans son ensemble qui souffre de l’inceste. Ses fondations sont attaquées : la famille, espace de protection, d’amour et de socialisation par excellence devient dans un climat incestueux le lieu du martyr de l’enfant et l’outil d’annihilation de sa parole. Sa principale richesse est attaquée : l’enfant, citoyen en devenir, porteur de nos espérances les plus essentielles, est nié dans son humanité. Enfin, son intégrité est attaquée : le tabou sur l’inceste (interdit du dire) s’étant insidieusement substitué au tabou de l’inceste (interdit du faire), la société s’est fait le témoin muet de situations pourtant intolérables. Leur singularité sous-estimée et leur « barbarie » ont jusqu’ici fait obstacle à notre entendement et la France s’est de fait privée de nombre des outils indispensables à une prévention et à une lutte plus efficace contre l’inceste. De même, elle n’a su mettre en oeuvre une véritable politique d’accompagnement des victimes.

L’intervention du législateur est donc devenue indispensable. L’inceste doit être identifié, prévenu, détecté et combattu. Ses victimes doivent bénéficier d’un accompagnement judiciaire, médical et social plus simple, plus accessible et plus efficace. C’est là tout l’objet de cette Proposition de Loi articulant : l’identification et l’adaptation du code pénal à la spécificité de l’inceste (Titre 1) avec sa prévention (Titre 2) et l’accompagnement des victimes (Titre 3).

Le Titre 1 consiste donc en l’insertion de la notion d’inceste dans le code pénal comme élément constitutif des infractions de viol et d’agression sexuelle au même titre que la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Son article 1er définit les actes incestueux cependant que ses articles 2 et 3 en transcrivent les conséquences sur les dispositions existantes.

Trois objectifs ont présidé à la rédaction de ce titre. D’abord, affirmer qu’un mineur ne peut être consentant à un acte sexuel avec un membre de sa famille. Le climat incestueux rend en effet caduque toute réflexion en terme de violence, menace, contrainte, ou surprise. Ici, la question du consentement ne peut donc être posée.

Ensuite, il est nécessaire pour la victime comme pour l’accusé reconnu coupable, et au-delà pour la société, de poser sur l’acte le terme qui lui convient. Mais, précisons qu’il n’est aucunement question d’introduire une hiérarchie entre les infractions d’inceste et de viol ou d’agression sexuelle. C’est pourquoi d’ailleurs, le Titre 1er ne crée pas une nouvelle infraction mais contribue à mieux qualifier celles de viol et d’autres agressions sexuelles. Il n’est donc question que de prendre en compte la réalité et la spécificité de l’inceste.

Or l’intégration dans la loi de cette spécificité de l’inceste donnera une base solide à l’action réglementaire pour adapter le cadre et les moyens de la recherche de la preuve aux affaires concernées. Ainsi, dans les cas d’inceste, le contexte de la cellule familiale est une donnée essentielle. Plus peut-être que chacun de ses membres, c’est donc la famille dans sa globalité, comme univers et comme ensemble de relations, qui doit faire l’objet d’une enquête psychologique et sociale.

Enfin, la distinction dans les circonstances aggravantes entre les infractions perpétrées au sein de la famille et celles commises par une personne extérieure ayant autorité, sans changement dans l’échelle des peines, ouvrirait aussi sur une meilleure compréhension de ces infractions. Tant dans l’accompagnement des victimes que dans le suivi carcéral et post-carcéral des agresseurs, cette dichotomie apparaît nécessaire. Cette séparation est aussi indispensable à l’étude statistique affinée des violences sexuelles sur mineurs et donc à la mise en oeuvre de politiques publiques plus efficaces. La confusion entre personne ayant autorité et membre de la famille est à ce jour un obstacle.

Le Titre 2 porte sur la prévention pour laquelle quatre pistes peuvent être privilégiée. (1) La première est naturellement celle de la prévention directement auprès des enfants. (2) La seconde est celle de l’amélioration de l’action des professionnels de l’enfance et de sa protection. (3) La troisième piste est celle de la formation à l’accueil et à l’écoute des professionnels qui tout au long du parcours judiciaire de la victime seront en contact avec elle. (4) Enfin, la quatrième piste est celle de la sensibilisation d’un public plus large grâce, notamment, aux outils de l’audiovisuel public.

(1) L’article 4 complète donc le code de l’éducation pour y renforcer l’information sur les violences, notamment sexuelles, et sur les comportements à adopter face à elles, et l’éducation à la sexualité. Des initiatives locales particulièrement efficaces ont été observées par la mission sur la lutte contre l’inceste et cette précision du code de l’éducation permettra de les généraliser, de les perfectionner et de mieux les valoriser.

(2) Cet article complète aussi le même code pour y renforcer la formation des professionnels de l’enfance et de sa protection sur les questions des violences sexuelles tout en favorisant l’émergence de plus fortes interactions entre les professionnels par la pluridisciplinarité et la mise en commun d’une partie de leur formation. C’est la une disposition particulièrement attendue par les acteurs de terrain pour lesquels la création de réseaux interprofessionnels est devenu un outil indispensable.

(3) Le parcours judiciaire, très souvent période de stress intense pour la victime qui est appelée à revivre son agression et à se confronter à un système dont elle ne comprend pas nécessairement le fonctionnement, est anxiogène et générateur de tensions voire de conflits. Ceux-ci nuisent naturellement aux victimes. Mais ils mettent aussi en cause le bon déroulement des procédures et exposent les professionnels. Il est donc apparu plus que nécessaire de donner à ces professionnels les outils, notamment en matière de psychologie, utiles à la réalisation de leur mission dans les meilleures conditions.

(4) Enfin, l’article 5 permettra à l’audiovisuel public d’accomplir une mission d’information sur la santé et la sexualité dans laquelle s’intègre la prévention contre les violences sexuelles notamment à l’encontre des mineurs.

Le Titre 3 propose d’améliorer l’offre de soins par le regroupement dans chaque département de professionnels de la santé, de l’action sociale et de la justice au sein d’une même structure de référence pour les victimes de traumatismes psychiques. De tels centres, rattachés aux établissements de santé publique, serait moins stigmatisant pour les victimes que des services « psychiatriques ». Surtout, la réunion des différentes compétences dans une même structure et leur interaction avec d’autres spécialistes au sein des hôpitaux permettront une prise en charge globale de la victime tant dans ses troubles psychiques que somatiques. La présence d’un avocat ou d’un conseiller juridique pour expliquer le parcours judiciaire et y accompagner la victime permettra aussi de faciliter ce parcours en évitant d’ajouter au traumatisme de l’agression et de la plainte celui d’une incompréhension de la Justice, de son rythme et de ses procédures.

Le Titre 3 demande aussi au Gouvernement de proposer à l’Assemblée nationale, après étude, des mesures propres à mieux prendre en compte les spécificités réelles et très concrètes de l’inceste en s’interrogeant sur les moyens d’une meilleure prise en charge des soins ainsi que sur les outils qui pourraient servir à faciliter l’insertion sociale des victimes. Celles-ci souffrent en effet d’un véritable handicap social notamment du fait de leur fréquente déscolarisation, de leurs troubles psychiques, de leurs conduites à risques, de leurs difficultés relationnelles, toutes choses induites par l’inceste.

Alors que 3 % des Français ont déjà souffert de ce fléau, il est de la responsabilité du Législateur d’apporter une réponse de justice, protectrice et disposant à la résilience. Cette réponse doit être générale et globale mais surtout adaptée aux spécificités du phénomène. Elle doit être grave, raisonnée et équilibrée mais surtout ambitieuse et porteuse d’espoir. C’est là tout l’objet de cette proposition de Loi.

PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

IDENTIFICATION ET ADAPTATION DU CODE PÉNAL
À LA SPÉCIFICITÉ DE L’INCESTE

Article 1er

Après le paragraphe 2 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal, il est inséré un paragraphe 2 bis ainsi rédigé :

« Paragraphe 2 bis

« De l’inceste

« Art. 222-32-1. – Sont réputés incestueux toute atteinte sexuelle et tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur un mineur par :

« 1° son ascendant légitime, naturel ou adoptif,

« 2° son oncle ou sa tante, légitime, naturel ou adoptif,

« 3° son frère ou sa soeur légitime, naturel ou adoptif,

« 4° sa nièce ou son neveu, légitime, naturel ou adoptif,

« 5° le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité de l’une des personnes mentionnées aux 1° à 4°

« Art. 222-32-2. - Toute atteinte sexuelle incestueuse est une agression sexuelle.

« Art. 222-32-3. - Tout acte de pénétration sexuelle incestueux, de quelque nature qu’il soit, est un viol. »

Article 2

I. – Le 4°de l’article 222-24 du code pénal est remplacé par des 4° et 4° bis ainsi rédigés :

« 4° Lorsqu’il est commis par une personne ayant autorité sur la victime ;

« 4° bis Lorsqu’il est incestueux ; »

II. – Le 2° de l’article 222-28 du même code est remplacé par des 2° et 2° bis ainsi rédigés :

« 2° Lorsqu’elle est commise par une personne ayant autorité sur la victime ;

« 2° bis Lorsqu’elle est incestueuse ; »

III. – Le 2° de l’article 222-30 du même code est remplacé par des 2° et 2° bis ainsi rédigés :

« 2° Lorsqu’elle est commis par une personne ayant autorité sur la victime ;

« 2°bis Lorsqu’elle est incestueuse ; »

Article 3

Le premier alinéa de l’article 706-50 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le procureur de la République ou le juge d’instruction, saisi de faits relevant des articles 222-32-1 à 222-32-3, désigne un administrateur ad hoc. »

TITRE II

PRÉVENTION

Article 4

I. – L’article L. 121-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d’information sur les violences et une éducation à la sexualité. »

II. – L’article L. 312-16 du même code est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase du premier alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot « quatre » ;

2° Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« L’une de ces séances au moins est consacrée à l’information sur les violences, notamment sexuelles, et sur les comportements à adopter face à elles. »

III. – L’article L. 542-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l’encontre des mineurs et leurs effets. Les magistrats, les avocats et les personnels de la police et de la gendarmerie nationale et des polices municipales reçoivent une formation initiale et continue dans le domaine de la psychologie appliquée. » ;

2° À la dernière phrase, les mots : « Cette formation est dispensée » sont remplacés par les mots : « Les formations prévues par le présent article sont dispensées ».

Article 5

I. – Le deuxième alinéa de l’article 43-11 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elles assurent une mission d’information sur la santé et la sexualité. »

II. – Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 48 de la même loi, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il précise les conditions dans lesquelles les sociétés mentionnées à l’article 44 mettent en oeuvre, dans des programmes spécifiques et à travers les oeuvres de fiction qu’elles diffusent, leur mission d’information sur la santé et la sexualité définie à l’article 43-11. »

TITRE III

ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES

Article 6

L’article L. 6111-1 du code de santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Chaque département comporte au moins un établissement de santé public (centre hospitalier, centre hospitalier régional, centre hospitalier universitaire, centre hospitalier régional universitaire) doté d’un centre de référence pour les traumatismes psychiques, qui assure l’accueil et la prise en charge des victimes de violences. Pour assurer la continuité des soins, les équipes des centres comportent au moins deux psychiatres, une équipe d’infirmiers formés à la psychotraumatologie, deux psychologues, un psychomotricien, un assistant social et un avocat ou un conseiller juridique. Ces centres travaillent en collaboration étroite avec d’une part les services médicaux (en particulier services de gynécologie, de maladies infectieuses, chirurgie, d’urgence et médecine légale, de psychiatrie et d’addictologie) et d’autre part judiciaire, s’appuyant sur les institutions et association compétentes. Cette organisation permet une prise en charge globale avec un traitement coordonné des personnes victimes d’un trauma psychique, dans des locaux identifiés et adaptés. Les missions et l’organisation de ces centres sont précisées par décret en Conseil d’État. »

Article 7

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 juin 2009, un rapport examinant les modalités d’amélioration de la prise en charge des soins, notamment psychologiques, des victimes d’infractions sexuelles au sein de la famille et analysant l’opportunité de la création d’aides spécifiques en matière d’éducation et de formation et du réexamen des critères sociaux afin de mieux intégrer les formes de handicap qui résultent de l’inceste.

Article 8

I. – Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées par la création d’une taxe additionnelle, à due concurrence, aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les départements sont compensées par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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