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N° 2049

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2009.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux prendre en compte les demandes des malades
en
fin de vie exprimant une volonté de mourir,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Gaëtan GORCE,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a constitué un véritable progrès, en permettant, dans le prolongement de la loi Kouchner sur le droit des malades, de faire respecter la volonté des malades en fin de vie. Elle n’a cependant pas permis d’apporter une réponse satisfaisante à certaines situations particulièrement critiques qui, tout en rentrant dans le champ de la loi existante, ne relèvent pas des dispositions légales qu’elle prévoit. Il importe donc, en dehors de l’actualité médiatique, de tout parti pris philosophique ou religieux, de trouver, pour de simples raisons d’humanité, des réponses à ces cas souvent les plus douloureux.

Les progrès réalisés par la loi du 22 avril 2005 sont certes indéniables. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la polémique engagée en février dernier en Italie sur le cas d’Eluana Englaro. La loi du 22 avril 2005 affirme en effet le droit de tout patient à refuser un traitement, y compris si ce refus a pour conséquence d’abréger la vie.

L’article L. 11114 du code de la santé publique dispose ainsi :

« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »

Le cinquième alinéa de l’article 1110-5 précise ensuite que :

« Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 11112, la personne de confiance visée à l’article L. 11116, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »

Il en ressort que :

• Si le malade dépend d’un traitement, il a le droit d’obtenir l’interruption de celui-ci, ce qui lui garantit l’accès aux soins palliatifs. Le médecin, pour le soulager et accompagner son agonie, peut alors pratiquer une sédation, même si celle-ci risque d’avoir pour effet secondaire d’abréger la vie.

• Si la personne souffrant d’une affection grave et incurable ne dépend pas d’un traitement, « sa demande de mort » ne peut être en revanche prise en compte.

Cette dernière situation est particulièrement choquante lorsque la maladie s’accompagne de douleurs physiques ou psychologiques insupportables.

Pour y répondre, deux options sont envisageables :

• La première, qui a été défendue par plusieurs personnalités entendues par la dernière mission dite « Léonetti » d’évaluation de la loi de 2005, consisterait à préconiser purement et simplement, le recours au suicide. Il parait difficile de s’y rallier, non seulement au regard de la violence d’une telle option mais aussi en raison de l’inégalité entre les personnes que créerait une telle alternative. À titre personnel, l’auteur de la proposition y serait favorable – mais elle ne fait pas consensus et a pour effet de polariser le débat public au lieu de le faire évoluer.

• La deuxième, reviendrait à modifier la loi du 22 avril 2005, pour autoriser le médecin, dans un tel contexte, à mettre fin directement à la vie du malade à la demande expresse et confirmée de celui-ci. Cette option reviendrait à lever l’interdit qui protège aujourd’hui toute vie humaine.

Aussi, parce qu’ils sont irréconciliables, ces deux points de vue doivent être dépassés.

C’est tout le sens de cette proposition de loi qui s’inspire, sans les reprendre complètement, des conclusions du Comité consultatif national d’éthique relatives à l’exception d’euthanasie.

Ce dépassement est d’autant plus nécessaire, que l’auteur de la présente proposition est profondément convaincu qu’il n’existe pas une réponse au problème éthique de la fin de vie mais autant de réponses que de situations et de personnes directement concernées. L’ambition qui devrait nous guider devrait être par conséquent, de garantir à terme une véritable liberté de choix au malade, en fonction de son état, de l’idée qu’il se fait des conditions de sa fin de vie, des souffrances qu’il endure.

L’évolution observée aux Pays-Bas est ainsi riche d’enseignement. Après avoir reconnu tout d’abord le droit de chacun à obtenir la mort dans des conditions précisément définies, ce qui en clair signifie la légalisation de l’euthanasie, la loi hollandaise a ensuite favorisé le développement des soins palliatifs dans des conditions très proches de la législation française. Cette évolution s’est aussitôt traduite par une diminution (mais non une disparition) des demandes d’euthanasie, pour voir au contraire augmenter les demandes de soins palliatifs et d’interruption de traitement.

La présente proposition de loi marque un pas supplémentaire dans cette direction. Elle vise à permettre à un patient, atteint d’une maladie grave et incurable, victime de souffrances psychologiques ou physiques insupportables, entrant dans le champ de la loi du 22 août 2005 mais ne pouvant bénéficier de ses dispositions parce que ne dépendant pas d’un traitement, de se voir offrir une issue.

Elle s’inscrit dans la perspective d’une évolution progressive de la législation visant à garantir, à terme, la liberté du choix de sa mort à chaque patient.

L’article 1110-5 du code de la santé publique pourrait être complété de la façon suivante : « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne victime d’une affection grave et incurable, qui exprime le souhait d’une mort médicalement assistée, il peut saisir la commission mentionnée à l’article R. ... du présent code, afin d’obtenir un avis éthique, médical et juridique sur la situation à laquelle il est confronté. Cet avis peut être demandé par le malade lui-même. Le rapport de la commission est inscrit dans le dossier médical à toutes fins utiles. »

Quel est le sens de cette proposition ? Elle ne remet pas en cause l’interdit pénal : nul n’est a priori autorisé à provoquer volontairement la mort. Elle permet, en revanche la prise en compte de situations exceptionnelles et même de les reconnaître comme telles. Constituée à l’échelon régional et composée de médecins, de juristes et d’éthiciens, la commission pourra être saisie chaque fois qu’un malade ou un médecin se trouvera confronté à une situation à laquelle il ne pourrait, par lui-même, trouver une réponse adaptée, soit d’un point de vue strictement médical, soit d’un point de vue légal, face à une demande d’accompagnement à la mort réitérée par le malade. La commission aura pour mission de caractériser la maladie, en particulier sa gravité, de constater l’absence de traitement susceptible de permettre une guérison ou une amélioration sensible ; de s’assurer de la conscience du malade et du caractère volontaire et réitéré de sa demande ; et d’indiquer s’il existe, ou non, une issue légale à celle-ci. L’avis de la commission sera, comme il a été indiqué, inscrit au dossier médical et pourra être utilisé, en cas de contestation de la légalité d’un acte qu’aurait pu être amené à pratiquer un médecin. Elle permettra au juge de vérifier si le médecin est intervenu en « état de nécessité », ce qui lui vaudra alors excuse absolutoire.

Il convient de rappeler en effet que la loi elle-même exonère parfois un acte a priori illicite, normalement constitutif d’une infraction lorsqu’il s’appuie sur un fait justificatif reconnu par la loi pénale. Cette proposition, chacun le comprend, a d’abord une vertu pédagogique plus que normative. Elle n’exonère pas le médecin de responsabilité individuelle. Mais a pour objet de lui permettre de l’exercer dans un cadre plus sécurisé, pour lui comme pour le patient. Elle ne constitue qu’une étape sur le chemin qui devrait nous conduire à reconnaître à chaque malade la liberté de choisir les conditions de sa mort. À cet égard, cette proposition vise à dépassionner un débat qu’il ne sera pas possible de régler à coup de grands principes.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée et non terminale d’une affection grave et incurable, qui exprime le souhait d’une mort médicalement assistée, il peut saisir une commission ad hoc de médecins, de psychologues et de juristes praticiens et de représentants de la société civile afin d’obtenir un avis éthique médical et juridique sur la situation à laquelle il est confrontée. Les modalités de désignation des membres de la commission ad hoc sont définies par décret en Conseil d’État. Cet avis doit permettre de caractériser la maladie dont souffre le patient, le caractère libre et réitéré de sa demande, l’existence ou l’absence d’issue juridique à cette demande. Le rapport de la commission est inscrit dans le dossier médical à toutes fins utiles. »


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