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N° 2282

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à consacrer le droit au rapprochement familial
pour les
détenus condamnés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Simon RENUCCI, Paul GIACOBBI, Camille de ROCCA-SERRA, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Claude BODIN, Jean-Claude BOUCHET, Loïc BOUVARD, Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Dominique CAILLAUD, Jean-François CHOSSY, Dino CINIERI, Yves COCHET, Jean-François COPÉ, René COUANAU, Jean-Yves COUSIN, Marie-Christine DALLOZ, Patrice DEBRAY, Bernard DEBRÉ, Jean-Pierre DECOOL, Richard DELL’AGNOLA, Sophie DELONG, Éric DIARD, Michel DIEFENBACHER, Jacques DOMERGUE, Dominique DORD, Jean-Pierre DOOR, Jean-Pierre DUPONT, Gilles D’ETTORE, Daniel FASQUELLE, Daniel FIDELIN, Marie-Louise FORT, Cécile GALLEZ, Gérard GAUDRON, Guy GEOFFROY, Franck GILARD, Charles-Ange GINESY, Claude GOASGUEN, Philippe GOUJON, Didier GONZALES, Maxime GREMETZ, Jean GRENET, Jacques GROSPERRIN, Arlette GROSSKOST, Anne GROMMERCH, Jean-Claude GUIBAL, Jacqueline IRLES, Christian JACOB, Olivier JARDÉ, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Thierry LAZARO, Guy LEFRAND, Michel LEJEUNE, Geneviève LEVY, Michel LEZEAU, Richard MALLIÉ, Noël MAMÈRE, Alain MARC, Jean-Pierre MARCON, Christine MARIN, Jean-Claude MATHIS, Christian MÉNARD, Philippe MEUNIER, Jean-Marie MORISSET, Alain MOYNE-BRESSAND, Renaud MUSELIER, Germinal PEIRO, Henri PLAGNOL, Jean-Frédéric POISSON, Franck REYNIER, Jean ROATTA, Valérie ROSSO-DEBORD, Jean-Marc ROUBAUD, François de RUGY, Bruno SANDRAS, Daniel SPAGNOU, Michèle TABAROT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean TIBERI, Isabelle VASSEUR, Catherine VAUTRIN, Patrice VERCHÈRE et Gérard VOISIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les questions de l’état des prisons françaises, des conditions de détention, de la réinsertion et plus récemment encore, de la prévention de la récidive, sont au centre des préoccupations de notre société depuis la fin des années 1990.

Malgré des débats généralement passionnés sur le sujet, il est une question qui semble faire l’objet d’un consensus large. C’est l’idée que pour maintenir des liens familiaux convenables, condition importante pour faciliter la réinsertion et éviter la récidive, les détenus doivent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire proche de leur domicile. Or, ce lieu commun, que l’on pourrait par commodité résumer sous le vocable de « rapprochement familial », est loin d’être un fait acquis.

Jusqu’à l’adoption de la récente loi pénitentiaire, la seule référence codifiée à ce sujet était l’article D. 402 du code de procédure pénale qui dispose qu’« en vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres ». Cet article n’évoque donc pas clairement le « rapprochement familial ».

De ce fait, cette disposition qui garantit à l’administration pénitentiaire un fort pouvoir discrétionnaire, place la France largement en deçà des recommandations internationales et européennes en matière d’aménagement des peines privatives de liberté. Il en va ainsi des règles pénitentiaires européennes (R.P.E) qui visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des États membres du Conseil de l’Europe et à faire adopter des pratiques et normes communes. Fortement encouragées, mais ne restreignant en rien la marge de manœuvre du législateur sur la question, ces règles n’ont visiblement pas trouvé application dans notre pays.

Sur ce constat, la récente loi pénitentiaire adoptée par le Parlement et validée il y a quelques semaines par le Conseil constitutionnel, se fixait à l’origine trois objectifs, à savoir l’humanisation du traitement des détenus, donner une valeur juridique aux dispositions règlementaires  ainsi que se conformer davantage au cadre juridique européen. C’est d’ailleurs pourquoi deux articles de la loi, ayant particulièrement trait aux « droits des détenus » et au subséquent « maintien des liens familiaux » ont été adoptés par la représentation nationale. Ainsi, l’article 34 de cette loi permet désormais aux prévenus renvoyés devant une juridiction de jugement de pouvoir bénéficier d’un « rapprochement familial » jusqu’à leur comparution. C’est la première fois que la loi reconnaît clairement cette notion.

Or, en se bornant simplement à évoquer les prévenus en attente d’un jugement, cette loi crée à présent une inégalité flagrante entre les détenus en instruction, les détenus condamnés et ceux en attente d’un jugement. Dans la situation actuelle, un détenu pourrait être incarcéré à des centaines de kilomètres de sa famille pendant l’instruction, rapproché dans l’attente de son jugement, et de nouveau éloigné en cas de condamnation.

Il résulte de ce fait que deux des objectifs majeurs que se sont fixés ces dernières décennies les législateurs successifs, à savoir optimiser les conditions de réinsertion et par là même prévenir la récidive, ne sont pas favorisés. Bien au contraire, l’éloignement du cercle familial, par les contraintes techniques parfois insurmontables et les frais souvent importants engendrés, constitue pour les détenus et leurs proches de quasi « doubles peines » particulièrement mal ressenties dans les régions périphériques, éloignées des grands établissements pénitentiaires, au nombre desquelles la Corse.

Le problème est en effet particulièrement important pour les détenus d’origine corse encore incarcérés dans des établissements pénitentiaires continentaux, que l’on peut actuellement estimer à une centaine, tous types de délits et crimes confondus. Il existe pourtant dans l’île même des structures pénitentiaires idoines et modernes. Et pour les familles de ces détenus, se rendre sur le continent pour un parloir tient du parcours du combattant : pour quitter l’île, les familles doivent obligatoirement prendre l’avion ou le bateau. Le moindre parloir -parfois très court- est synonyme d’au moins une journée de trajet. Et pour optimiser la visite, les familles décident parfois de rester deux ou trois jours pour avoir plus de parloirs. Cela induit des frais supplémentaires, puisqu’aux frais de déplacement (avion le plus souvent, plus trains ou autres transports en commun) s’ajoutent les dépenses de nourriture et d’hébergement, sans parler des pertes de revenus engendrées par l’absence.

Enfin, pour clarifier au maximum la notion de « rapprochement », il convient de préciser que le code de procédure pénale lui-même considère que le critère d’éloignement géographique est fixé de manière générique à 200 kilomètres (articles 127 et 135-2 du CPP).

Compte tenu de tous ces éléments, la présente proposition de loi a donc pour objectif de mettre nos lois en adéquation avec les normes européennes, tout en garantissant au mieux la réinsertion des détenus et la prévention la récidive. Sa mise en place se justifie également pour des raisons d’équité entre détenus, que ces derniers soient renvoyés devant une juridiction de jugement ou condamnés, quelle que soit leur origine géographique.

On ne peut rester en l’état, avec une mesure de rapprochement familial qui ne s’appliquerait que pour certains détenus. Il est un fait acquis en France : lorsqu’un individu est condamné, c’est lui que l’on condamne et non sa famille qui doit avoir la possibilité de lui rendre visite fréquemment et sans difficulté. Et c’est pourquoi il convient de graver aujourd’hui dans le marbre de la loi le principe du droit au rapprochement familial dans l’établissement pénitentiaire adapté le plus proche du domicile du détenu au moment de son arrestation.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Les détenus condamnés doivent être incarcérés dans l’établissement pénitentiaire le plus proche de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation. 

Faute de place disponible en maison centrale, les détenus condamnés doivent être provisoirement incarcérés dans le centre de détention le plus proche de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation. 

Faute de place disponible dans un centre de détention, les détenus condamnés doivent être provisoirement incarcérés dans la maison d’arrêt la plus proche de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation. 

Dans tous les cas, les détenus condamnés doivent être incarcérés dans un établissement pénitentiaire situé à moins de 200 kilomètres de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation, à moins qu’ils n’en fassent eux-mêmes la demande et que l’administration pénitentiaire juge ladite demande opportune.

Les détenus condamnés qui ne peuvent être affectés en maison centrale en raison du précédent alinéa peuvent être soumis à un régime de sécurité renforcée dans l’établissement pénitentiaire où ils sont incarcérés.


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