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N° 2288

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010.

PROPOSITION DE LOI

en faveur de la recherche et de l’innovation salariée,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Colette LE MOAL, François SAUVADET, Jean-Christophe LAGARDE, Charles de COURSON, Philippe VIGIER, Maurice LEROY, Claude LETEURTRE, Jean-Luc PRÉEL, Francis HILLMEYER, Michel HUNAULT, Olivier JARDÉ et Marc VAMPA,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est en perte de vitesse dans la course à l’innovation technologique : aucun groupe industriel français ne figure dans les dix premiers déposants de brevets à l’Office Européen des Brevets et à l’US Patent Office. La situation critique de la recherche et de l’innovation en France affaiblit la position concurrentielle et la compétitivité de nos entreprises. Le déficit de notre commerce extérieur en est une illustration. À l’heure de l’économie de la connaissance, qui est avant tout une économie de l’innovation, la France doit dynamiser ce levier de croissance incontournable que sont les chercheurs-inventeurs. Car même avec des aides conséquentes pour nos PME, sans inventeurs, aucune innovation n’existe.

Ce retard de la France trouve son explication dans l’absence d’intérêt financier pour l’ingénieur français à protéger des inventions ou innovations pour son entreprise.

Dans le domaine des inventions, le régime de rémunération du secteur public est défini de façon précise par le décret n° 2001-141 du 13 février 2001 modifiant le décret n° 96-858 du 2 octobre 1996, ainsi que par le décret n° 2005-1217 et l’arrêté ministériel du 26 septembre 2005. L’État français a ainsi institué depuis 1996 un régime extraordinairement incitatif financièrement pour les seuls chercheurs fonctionnaires. Cet intéressement a, par exemple, permis au CNRS de multiplier ses dépôts de brevets par trois en dix ans. Ce succès justifie une extension adaptée à l’ensemble de l’industrie française.

En revanche, pour le secteur privé, il n’existe aucun texte officiel, ni même une recommandation des pouvoirs publics. La loi du 26 novembre 1990 réformant la loi de 1968/1978 a introduit un article L. 611-7 au code de la propriété intellectuelle, qui crée une obligation de rémunération supplémentaire de l’invention salariée. Cet article renvoie cependant la définition les modalités de calcul des rémunérations supplémentaires des inventions de mission aux conventions collectives, aux accords d’entreprise et aux contrats individuels de travail.

Or, depuis près de vingt ans maintenant, aucune convention collective n’a été actualisée. Aucune modalité de calcul des rémunérations d’inventions de mission n’a ainsi été définie. Sauf exception – à l’instar de l’accord d’entreprise de 1978/1991 de l’Institut Pasteur, les accords d’entreprise sur ce sujet sont inexistants. Il en est de même pour les contrats individuels de travail qui, généralement, sont totalement muets lorsqu’ils ne renvoient pas à l’article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle.

Une telle distorsion entre le secteur public et le secteur privé est difficilement justifiable au regard du principe d’égalité devant la loi. Elle induit en outre des effets néfastes. Dans les équipes de recherches mixtes réunissant des chercheurs du privé et du public, les co-inventeurs relèvent ainsi de régimes complètement différents : l’un, très avantageux, qui garantit une rémunération supplémentaire aux inventeurs ; l’autre, non réglementé, qui ne garantit souvent aucune rémunération supplémentaire. Parfois même, les conventions collectives ne sont pas appliquées.

Par les complications et litiges potentiels qu’elle entraîne, cette rupture d’égalité au plan du régime des rémunérations supplémentaires peut même amener des entreprises et des centres de recherches publics à renoncer à conduire des recherches en commun.

En outre, cette inégalité de traitement entre public et privé contraint de nombreux inventeurs de l’industrie privée à engager, souvent au prix de leur licenciement, de longues et coûteuses procédures judiciaires pour faire appliquer leur droit à une rémunération supplémentaire. Cette situation est nuisible tant aux inventeurs qu’aux entreprises par le climat néfaste à la qualité de recherche qu’elle fait régner, et en provoquant le départ des entreprises, parfois à l’étranger, de chercheurs souvent de haut niveau.

Ces départs de chercheurs-inventeurs de haut niveau entraînent un abaissement de la qualité et du dynamisme des recherches dans les entreprises privées.

Par ailleurs, lorsque des rétributions supplémentaires sont versées aux inventeurs du secteur privé, leur montant donne souvent lieu à litige car leur mode de calcul n’est généralement pas défini ou reste très opaque pour les salariés auteurs d’inventions.

Ces dysfonctionnements n’ont pas échappé en 2001 à la Commission des Affaires économiques et à son rapporteur le sénateur Grignon, dont le Rapport sur l’Innovation a proposé une révision du statut social et fiscal des rémunérations supplémentaires. De son côté, le Tribunal de Grande Instance de Paris (jugement Brinon c/ Vygon du 9 mars 2004) qualifie les modalités de calcul des rémunérations supplémentaires des inventeurs du secteur public de « distorsions de traitement injustifiables avec les salariés du secteur privé ». Il importe désormais de prendre en modèle la situation du secteur public pour la détermination des rémunérations supplémentaires des inventeurs du secteur privé.

Aussi, au regard des différentes raisons exposées ci-dessus, cette proposition de loi a pour objet, d’une part, de définir pour les inventeurs du secteur privé un mode de calcul de rémunération supplémentaire comparable à celui établi pour les inventeurs du secteur public par les décrets de 1996 et de 2001 ; et, d’autre part, de faire bénéficier les rémunérations supplémentaires d’inventions de missions du statut légal de l’intéressement des salariés.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. – Les deux premiers alinéas de l’article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle sont remplacés par sept alinéas ainsi rédigés :

« 1. Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, sont dévolues à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.

« En contrepartie de cette dévolution, le salarié a droit à une rémunération supplémentaire. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une telle invention, bénéficie d’une rémunération supplémentaire feront l’objet d’un décret prenant en compte la valeur de l’invention. Le principe est celui de la rémunération proportionnelle aux sommes générées chaque année par l’exploitation des produits de l’invention.

« Si l’invention est un sous-ensemble intégré à un ensemble technique et commercial, le chiffre d’affaires correspondant de cet ensemble est affecté d’un coefficient de pondération représentant la contribution de l’invention au chiffre d’affaires.

« Les modalités de calcul de la rémunération supplémentaire lorsque l’invention est exploitée par concession de licence ou lorsque la mise en œuvre de l’invention ne génère pas de chiffre d’affaires mais une diminution des coûts par exemple sont calculées à partir des redevances nettes de licence dans les conditions définies par décret de manière analogue que pour les agents du secteur public par l’article R. 611-14-1 du code de la propriété intellectuelle.

« Une rémunération annuelle forfaitaire est autorisée seulement en cas d’impossibilité d’appliquer une rémunération proportionnelle en raison des conditions d’exploitation de l’invention.

« Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d’État, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié.

« Le salarié doit en obtenir un juste prix prenant en compte la valeur de l’invention qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention. Dans le cas d’une exploitation commerciale largement supérieure aux éléments disponibles au moment de la fixation du juste prix, le salarié pourra saisir de nouveau la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou le tribunal de grande instance.

II. – L’Article L. 611-7 du même code est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« 6. La rémunération supplémentaire d’invention est établie et versée annuellement pendant toute la durée de l’exploitation de l’invention, que l’inventeur soit encore présent dans l’entreprise ou qu’il ait quitté celle-ci.

« En application de l’article L. 3315-2 du code du travail, l’inventeur a la faculté d’affecter l’intéressement à la réalisation d’un plan d’épargne entreprise qu’il laisse bloqué pendant cinq ans.

« Le montant de cette rémunération supplémentaire est communiqué à l’inventeur, par écrit, une fois par an, distinctement de toute autre rémunération éventuelle. »

Article 2

Les pertes de recettes pour l’État qui pourraient résulter de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La perte de recette pour les organismes de sécurité sociale qui pourrait résulter de l’application de la présente loi est compensée à due concurrence par la majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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