Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2677

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2010.

PROPOSITION DE LOI

tendant à la création d’une action de groupe,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-François CHOSSY, Michel ZUMKELLER, Jean-Philippe MAURER, Daniel FASQUELLE, Gabriel BIANCHERI, Dominique DORD, Muriel MARLAND-MILITELLO, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Michel VOISIN, Jean-Pierre DECOOL, Guy GEOFFROY, Thierry LAZARO, Béatrice PAVY, Yves BUR, Jacques Alain BÉNISTI, Étienne BLANC, Élie ABOUD, Richard DELL’AGNOLA, Loïc BOUVARD, Jean-Marc ROUBAUD, Denis JACQUAT, Françoise HOSTALIER, Jean ROATTA, Christian MÉNARD et Lionnel LUCA,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Malgré la signature en juillet 2006 par plus de 120 personnalités du monde politique, universitaire, judiciaire et économique d’un « appel des 100 en faveur d’une véritable action de groupe à la française », l’instauration d’une telle procédure dans notre droit est actuellement au point mort.

L’action de groupe est un aboutissement nécessaire de la législation favorable au consommateur qui a débuté en France en 1978 avec la loi dite Scrivener du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services.

La situation actuelle est telle que, faute de procédure efficace à la disposition des consommateurs et de leurs associations, une multitude de textes législatifs et réglementaires prévoyant des sanctions en cas de comportements abusifs ou illicites des professionnels n’est pas appliquée. L’action de groupe doit être compris comme un outil de régulation du monde économique. De nombreux pays européens disposent déjà d’une action de groupe qui a fait ses preuves.

Le faible nombre de saisines des tribunaux par les victimes est compréhensible dès lors que le coût global d’une action individuelle dépasse le plus souvent le montant du préjudice subi. De plus, la juxtaposition d’actions individuelles dans une même instance est synonyme de lourdeurs, de difficultés, voire d’impossibilité de gestion pour ceux qui ont la charge de ces dossiers ainsi que pour le tribunal.

Par conséquent l’absence de sanction civile qui résulte de ces deux faits rend le droit fictif. En effet, le refus de prise en considération du préjudice subi par des milliers de consommateurs encourage les comportements illégaux. En cela, l’instauration de l’action de groupe sera une avancée du droit car il sera mis fin à une véritable impunité.

Ainsi la sanction qui, avec l’action de groupe, sera accessible aura un effet vertueux sur le comportement des entreprises. Il s’en suivra une amélioration des agissements par l’intégration de la perspective d’une sanction de plus en plus probable lorsque les comportements sont répréhensibles. Il ne faut donc pas voir l’action de groupe uniquement dans son volet répressif mais aussi dans son volet préventif, de garde fou aux pratiques illicites qui est certainement aussi important que la nécessaire répression.

La mise en place de l’action de groupe, que prévoit la présente proposition de loi, accorde de vrais droits aux victimes d’agissement illégaux par une procédure simple et équitable qui écarte les risques d’abus et de dérives.

L’action de groupe doit porter sur tous les préjudices subis par les consommateurs. La définition d’un acte de consommation pouvant admettre une pluralité d’interprétations qui concourent à son ambigüité, il est préférable de lui substituer la mention de préjudices subis par les consommateurs pour évoquer le champ d’application de la procédure.

L’objectif n’est pas toujours d’obtenir une indemnisation pécuniaire. La réparation peut emprunter de multiples formes comme la prise en charge de réparation ou l’avoir sur facture. Il ne s’agit donc pas de faire payer à tout prix les entreprises mais de mettre fin à l’illicite lorsqu’il est impuni.

L’action doit être ouverte dans sa saisine. Ainsi elle peut être engagée à l’initiative de toutes les personnes aussi bien morales que physiques. Elle doit pouvoir être engagée par toute personne qui agira comme représentant du groupe dans son ensemble.

Une véritable action de groupe est efficace seulement si elle intègre l’option d’exclusion. Seule l’option d’exclusion permet de réparer l’ensemble des préjudices subis et en conséquence de récupérer l’ensemble des sommes indûment perçues par les entreprises s’étant livrées à des pratiques illicites ou abusives ; et ce, sans encombrement des tribunaux. Ainsi sont considérés comme membres du groupe bénéficiant des effets du jugement tous ceux répondant aux caractéristiques communes et qui n’ont pas exprimé la volonté d’être exclus du groupe. La possibilité de s’exclure reste ouverte tout au long de la procédure.

Pour éviter toute dérive, l’action de groupe doit être placée sous le contrôle du juge tout au long de la procédure ; le juge est présent de la recevabilité à la répartition des sommes. Le contrôle de recevabilité par le juge judiciaire permet de prévenir les actions intempestives dilatoires ou infondées. De plus, il met en œuvre la publicité de l’action et valide par une convention le caractère raisonnable des honoraires de l’avocat du représentant du groupe.

Enfin, un fonds d’aide et de gestion des actions de groupe est institué. Il centralise les demandes individuelles de réparation, reçoit les exclusions expresses de ceux qui ne veulent pas participer à l’action et procède à la liquidation des dommages et intérêts. En outre, il peut aider, à la suite d’une convention, en avançant des fonds à des demandeurs qui, faute d’en avoir, ne pourraient intenter une action.

Il est temps de mettre le droit et la justice au cœur des actes de consommation. Cela fait trop longtemps que les pouvoirs publics restent sourds aux nombreuses demandes des consommateurs à ce sujet. L’instauration de l’action de groupe est une nécessité qui seule peut répondre aux volontés de consommateurs trop souvent lésés mais aussi encourager un comportement plus vertueux des entreprises.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article 1369-11 du code civil, est inséré un titre III bis ainsi rédigé :

« TITRE III BIS

« DE L’ACTION DE GROUPE

« Chapitre Ier

« Champ d’application de l’action de groupe

« Art. 1369-12. – L’action de groupe a pour objet la réparation de tous les préjudices économiques individuels subis par les consommateurs, personnes physiques identifiées formant un groupe, présentant des questions de droit ou de fait communes liées, soit à la violation par un même professionnel de ses obligations contractuelles ou légales relatives à la vente d’un produit ou à la fourniture d’un service, ou des règles relatives aux pratiques commerciales, soit à une pratique anti-concurentielle telle que définie aux articles L. 420-1 à L. 420-5 du code de commerce et aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne.

« Art. 1369-13. – L’action de groupe est ouverte aux personnes physiques. Elle est également ouverte aux personnes morales agréées et à celles dont l’objet statutaire porte sur le domaine dans lequel s’inscrit l’ensemble des litiges définis à l’article 1369-12 du code civil.

« Chapitre II

« Procédure de l’action de groupe

« Art. 1369-14. – L’action est exercée devant le tribunal de grande instance de Paris qui a compétence exclusive pour en connaître.

« Art. 1369-15. – Les parties sont tenues de constituer avocat. La constitution de l’avocat emporte l’élection de domicile.

« Art. 1369-16. – La demande initiale est formée par assignation déposée au secrétariat du tribunal de grande instance.

« L’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice :

« 1° la dénomination, le statut, l’adresse du siège et l’organe qui représente légalement la personne morale agréée ;

« 2° la liste des consommateurs, personnes physiques identifiées, formant le groupe au nom duquel l’action est introduite ;

« 3° l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit décrivant les préjudices ayant pour origine des situations de fait ou de droit communes aux membres du groupe ;

« 4° la constitution de l’avocat du demandeur ;

« 5° l’indication que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;

« 6° le délai dans lequel le défendeur est tenu de constituer avocat.

« L’assignation comprend, en outre, l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.

« L’assignation vaut conclusions.

« Art. 1369-17. – L’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée.

La procédure se déroule dans les conditions définies aux articles 763 à 787 du code de procédure civile.

« Art. 1369-18. – Dans le cadre de l’examen préalable de la recevabilité de l’action, le juge de la mise en état s’assure que les conditions suivantes sont remplies :

« 1° l’existence des litiges ;

« 2° le caractère commun des questions de droit et de fait soulevées par les litiges en présence pour tous les consommateurs représentés ;

« 3° le lien de causalité entre les préjudices allégués et les pratiques énoncées à l’article 1369-12 du code civil.

En l’absence de l’une des conditions énoncées précédemment, le juge de la mise en état déclare l’action irrecevable.

L’ordonnance rendue sur la recevabilité par le juge de la mise en état est susceptible d’appel dans un délai de quinze jours à compter de sa signification.

« Art. 1369-19. – Une fois l’action de groupe jugée recevable, le juge de la mise en état détermine les caractéristiques essentielles permettant de définir le groupe de personnes parties à l’instance.

« Le juge de la mise en état s’assure du caractère raisonnable du montant des honoraires prévus dans la convention de l’avocat mandaté pour représenter le groupe.

« Le juge de la mise en état peut ordonner une médiation en cas de difficultés sur le montant des honoraires de l’avocat.

« Art. 1369-20. – Le juge de la mise en état fixe les conditions de la publicité de l’action jugée recevable.

« Il détermine les modalités d’information des personnes parties à l’instance sur l’existence du groupe par la mention des éléments de faits, des caractéristiques essentielles du groupe, de la juridiction saisie, de la faculté de s’exclure, de la dénomination, le statut, de l’adresse du siège et de l’organe qui représente légalement la personne représentant le groupe.

« Art. 1369-21. – Toute personne relevant du groupe défini par le juge de la mise en état est réputée s’associer à l’action, à moins de s’exclure volontairement. L’exclusion de l’action prend la forme d’une déclaration individuelle expresse auprès du Fonds d’aide et de gestion des actions de groupe prévu à l’article 1369-26 du code civil. L’exclusion volontaire peut avoir lieu pendant toute la durée de l’instance jusqu’au jugement.

« Art. 1369-22. – Toute transaction conclue en matière d’action de groupe entre le représentant du groupe et le professionnel mis en cause donne lieu à la signature d’un contrat conformément aux dispositions de l’article 2044 du code civil et doit être homologuée par le juge ou le tribunal.

« Art. 1369-23. – Le juge de la mise en état ou le tribunal peut ordonner des mesures d’instruction conformément aux dispositions de l’article 232 du code de procédure civile.

« Le paiement du coût des mesures ordonnées s’effectue après le jugement au fond ou après la transaction.

« Art. 1369-24. – Lorsque l’état de l’instruction justifie la clôture de celle-ci, le juge de la mise en état procède conformément aux dispositions de l’article 779 du code de procédure civile.

« Art. 1369-25. – Le tribunal fixe le montant des dommages et intérêts ainsi que les modalités de réparation entre les membres du groupe, notamment les conditions et les délais dans lesquels chacun des membres du groupe peut faire valoir ses droits auprès du Fonds d’aide et de gestion des actions de groupe prévu à l’article 1369-26 du code civil.

« Le tribunal ordonne, par tous moyens appropriés, la publicité du jugement rendu.

« Chapitre III

« Du Fonds d’aide et de gestion des actions de groupe

« Art. 1369-26. – Il est institué un Fonds d’aide et de gestion des actions de groupe géré par la Caisse des dépôts et consignations dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par un décret en Conseil d’État.

« Art. 1369-27. – Les personnes concernées par l’action de groupe réclament la liquidation des dommages et intérêts auprès du Fonds qui reverse les sommes conformément au jugement fixant les modalités de répartition entre les membres du groupe.

« Art. 1369-28. – Si un reliquat subsiste dans un délai de deux ans suivant le prononcé du jugement au fond, il reste acquis au profit du Fonds d’aide et de gestion des actions de groupe.

« Art. 1369-29. – Une personne physique ou morale prétendant à une action de groupe peut demander par écrit l’aide de ce Fonds. Dans le cas où cette aide est accordée, elle fait l’objet d’une convention. Le bénéficiaire rembourse au Fonds les sommes que ce dernier a acquittées jusqu’à concurrence des sommes qu’il reçoit à titre d’honoraires, de dépense ou de frais.

« Art. 1369-30. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions que doivent revêtir cette demande d’aide et la convention qui la constate. »

Article 2

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale