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N° 2802

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer des solutions pérennes
en faveur du logement des personnes privées de domicile fixe,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Jean-Pierre BRARD et Pierre GOSNAT,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 18 décembre 2006, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, avait déclaré : « Je veux, si je suis élu Président de la République, que d’ici à deux ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid. Parce que le droit à l’hébergement, je vais vous le dire, c’est une obligation humaine. Mes chers amis, comprenez le bien : si on est plus choqué quand quelqu’un n’a pas un toit lorsqu’il fait froid et qu’il est obligé de dormir dehors, c’est tout l’équilibre de la société où vous voulez que vos enfants vivent en paix qui s’en trouvera remis en cause ».

Plus de trois ans après, il n’en est rien. Selon le rapport 2010 de la fondation abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France, aux 3,5 millions de personnes non ou très mal logées en France viennent s’ajouter plus de 6,6 millions de personnes en situation de réelle fragilité de logement à court ou moyen terme. Parmi elles 100 000 personnes survivent sans le moindre abri. Il faut également ajouter à ces sans domicile fixe, l’existence d’environ 500 000 personnes privées de domicile personnel, logées en chambre d’hôtel, dans des habitats de fortune ou encore hébergées au domicile d’un tiers, souvent dans des conditions de promiscuité et d’insalubrité très difficiles.

Les mesures mises en place ces dernières années se sont révélées totalement insuffisantes pour répondre aux attentes de la population et satisfaire les besoins urgents de nos concitoyens les plus démunis.

Pourtant, la reconnaissance par le législateur du droit au logement comme droit fondamental remonte à l’année 1982. Depuis les années 2000 on compte en moyenne une loi ou un programme de rattrapage tous les ans et même six lois entre 2003 et 2008. Ainsi, la loi du 22 juin 1982 énonce que « le droit à l’habitat est un droit fondamental ». Huit ans plus tard, la loi du 31 mai 1990 sur la mise en œuvre du droit au logement affirme dans son article 1er que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation » et rattache le droit au logement à la lutte contre l’exclusion en disposant que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ».

La loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions s’inscrit dans le prolongement de la précédente. Son article 1er dispose que « la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation. La présente loi tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance ». Si les droits fondamentaux ont vocation à s’appliquer à tous, ses bénéficiaires prioritaires sont, selon cette loi, les personnes frappées ou menacées d’exclusion.

Dix-huit ans après les bonnes intentions de la loi du 22 juin 1982, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains institue un prélèvement sur les recettes des communes ayant moins de 20 % de logements sociaux.

La loi du 5 mars 2007 sur le droit au logement opposable dispose que « le droit à un logement décent et indépendant…est garanti par l’État à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir. Ce droit s’exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux… ». Cette loi s’inscrit dans la continuité des lois précédentes à deux titres : le droit reconnu porte sur un logement décent et indépendant ; il s’adresse aux personnes qui ne sont pas en mesure de se loger sans l’aide de la collectivité.

Créé par l’article 69 de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, l’article L. 312-5-3 du code de l’action sociale et des familles s’intéresse spécifiquement à la situation des personnes sans domicile. Il instaure l’obligation d’établir, au niveau départemental, un « plan d’accueil, d’hébergement et d’insertion des personnes sans domicile » et fixe la capacité d’accueil à atteindre par les communes. Ainsi, « la capacité à atteindre est au minimum d’une place d’hébergement par tranche de 2 000 habitants pour les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la population est supérieure à 50 000 habitants ainsi que pour les communes dont la population est au moins égale à 3 500 habitants et qui sont comprises, au sens du recensement général de la population, dans une agglomération de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants. Cette capacité est portée à une place par tranche de 1 000 habitants dans les communes visées à la phrase précédente et comprises, au sens du recensement général de la population, dans une agglomération de plus de 100 000 habitants ».

L’insuffisance de toutes ces mesures s’explique principalement par le non-respect des dispositions en vigueur. Autrement dit, le nombre de logements sociaux et de centres d’hébergement construits est trop faible pour permettre une application effective des textes de loi. Ceci tient d’une part au refus pur et simple des nombreuses communes qui préfèrent s’acquitter des pénalités prévues par la loi plutôt que de construire logements et centres d’hébergement, d’autre part cela s’explique par le fait que beaucoup de communes ne peuvent se substituer financièrement au désengagement de l’État.

Dans son rapport « Droit au logement, droit du logement », publié le 10 juin 2009, le Conseil d’État vient illustrer la gravité de la situation du logement social en France. S’il note une reprise de la construction dans son ensemble, après une décennie de baisse continue, il relève cependant qu’en raison de la priorité donnée à l’investissement privé locatif, la construction de logements sociaux reste insuffisante. Sur le total des nouvelles constructions, 435 000 en 2007, 60 % ont été en effet destinées à l’acquisition, 27 % au locatif privé et seulement 13 % au logement social. Selon le rapport, « depuis plusieurs années, le parc HLM ne croît plus à un rythme compatible avec les besoins ». Son augmentation n’a été que de 0,66 % en 2006, à peine plus que la croissance du nombre de ménages, soit 30 000 logements nets (47 000 constructions – 13 000 démolitions et 5 000 ventes). La demande, quant à elle, se stabilise autour de 1,8 million soit 1,23 million de nouveaux demandeurs et 560 000 demandes de mutation.

Afin de remédier à cette situation, nous proposons, dans l’article 1er, d’introduire dans la loi une définition extensive de la personne sans domicile fixe, incluant toutes les personnes qui vivent à l’hôtel, dans des habitats de fortune ou qui sont hébergées par « des amis ». Cela permettra de mieux cibler ce public prioritaire et, en ce sens, de clarifier les obligations des pouvoirs publics.

L’article 2 complète la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains en instaurant un quota de logements très sociaux. Ainsi, sur les 20 % de logements sociaux d’une commune, 10 % seront réservés aux populations les plus démunies.

Dans l’article 3 il est proposé de porter à 100 % du potentiel fiscal par habitant le prélèvement opéré par logement manquant sur les communes soumises à l’obligation de réaliser 20 % de logements locatifs sociaux, qui ne respectent pas cette obligation.

Les articles 4 et 5 visent à associer les établissements de crédit à l’effort national de construction de logements sociaux et de centres d’hébergement en fixant un taux d’intérêt obligatoire pour tout emprunt destiné à ce type d’opération immobilière. Ce taux d’intérêt correspond au taux interbancaire offert en euro, le taux dit « Euribor », qui se situe en moyenne autour de 0,45 %.

Il est utile de rappeler que la construction d’un logement permet la création de 3 emplois. Soutenir le secteur du bâtiment, revient donc également à soutenir l’emploi.

L’idée d’associer les banques à l’effort national en faveur du logement, notamment des plus démunis, préside également à la rédaction de l’article 6 qui vise à créer un taux d’imposition spécifique aux primes attribuées par les banques aux opérateurs sur les marchés des instruments financiers. Ces nouvelles entrées fiscales devront être affectées, en priorité, aux organismes et associations qui accompagnent les personnes sans domicile tout au long de leur parcours de réintégration sociale et professionnelle. L’organisation de l’encadrement lors de cette phase transitoire constitue effectivement une nécessité impérieuse pour créer des solutions pérennes en faveur du logement des personnes sans domicile et pour gagner la lutte contre la misère qui les frappe.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. – Après la première phrase du I de l’article L. 312-5-3 du code de l’action sociale et des familles, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Est considérée comme sans domicile, toute personne dépourvue d’un logement stable. Ainsi, est également considérée comme sans domicile, toute personne disposant d’un logement provisoire, au sein d’un établissement hôtelier ou d’un centre d’hébergement, ou étant logée dans des conditions précaires. Sont notamment réputées vivre dans des conditions précaires, les personnes logées, à titre provisoire, au domicile privé de personnes avec lesquelles aucun lien familial n’est établi, les personnes menacées d’expulsion en raison d’une incapacité à s’acquitter du loyer ainsi que les personnes vivant dans des lieux insalubres ou insuffisamment grands ».

II. – À la première phrase du deuxième alinéa du I de l’article L. 312-5-3 du code de l’action sociale et des familles les mots : « Ce plan » sont remplacés par les mots : « Le plan d’accueil, d’hébergement et d’insertion des personnes sans domicile ».

Article 2

Après le deuxième alinéa de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Au moins 10 % des logements du parc locatif social des communes et des établissements publics de coopération intercommunale mentionnés dans le présent article, est réservé au public le plus fragile, et notamment aux personnes sans domicile, entendues au sens de l’article L. 312-5-3 du code de l’action sociale et des familles ».

Article 3

Le deuxième alinéa de l’article L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation est ainsi rédigé :

« Ce prélèvement est fixé à 100 % du potentiel fiscal par habitant défini à l’article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales multipliés par la différence entre 20 % des résidences principales et le nombre de logements sociaux existant dans la commune l’année précédente, comme il est dit à l’article L. 302-5, sans pouvoir excéder 10 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune constatées dans le compte administratif afférent au pénultième exercice. »

Article 4

Après le II de l’article L. 312-5-3 du code de l’action sociale et des familles est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les communes, les établissements publics de coopération intercommunale, ainsi que tous les organismes habilités et les associations agrées ont recours à l’emprunt bancaire pour la construction d’établissements destinés à fournir les places d’hébergement retenues pour l’application du présent article, ils bénéficient d’un taux d’intérêt équivalent au taux interbancaire offert en euro ».

Article 5

Après le troisième alinéa de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les communes ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale ont recours à l’emprunt bancaire pour l’application du présent article, ils bénéficient d’un taux d’intérêt équivalent au taux interbancaire offert en euro. Ce taux s’applique également aux emprunts contractés par les organismes d’habitations à loyer modéré, mentionnés à l’article L. 411-2 du présent code, lorsqu’ils remplissent un service d’intérêt général au sens de l’article L. 411-2 ».

Article 6

Après le deuxième alinéa de l’article 193 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, la fraction des revenus correspondant aux éléments complémentaires de rémunération, primes, indemnités et avantages divers versés, en France ou dans l’Union européenne, aux opérateurs des salles de marchés des instruments financiers par les établissements de crédit visés à l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, dont le montant annuel excède le montant annuel du salaire minimal interprofessionnel de croissance, est taxée au taux de 95 % ».


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