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N° 2876

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2010.

PROPOSITION DE LOI

relative à la TVA applicable au livre numérique,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Hervé GAYMARD, Christian KERT, Michel HERBILLON, Abdoulatifou ALY, Jérôme BIGNON, Chantal BOURRAGUÉ, Loïc BOUVARD, Patrice CALMÉJANE, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Georges COLOMBIER, Geneviève COLOT, René COUANAU, Alain COUSIN, Jean-Yves COUSIN, Marie-Christine DALLOZ, Jean-Pierre DECOOL, Michel DIEFENBACHER, Dominique DORD, Jean-Michel FERRAND, Marie-Louise FORT, Jean-Michel FOURGOUS, Marc FRANCINA, Annick GIRARDIN, François-Michel GONNOT, Jacques GROSPERRIN, Arlette GROSSKOST, Jean-Claude GUIBAL, Guy MALHERBE, Hervé MARITON, Muriel MARLAND-MILITELLO, Franck MARLIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Claude MATHIS, Christian MÉNARD, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Philippe MORENVILLIER, Georges MOTHRON, Françoise de PANAFIEU, Henri PLAGNOL, Bérengère POLETTI, Michel RAISON, François ROCHEBLOINE, Jean-Marie ROLLAND, Jean-Marc ROUBAUD, Francis SAINT-LÉGER, Jean-Marie SERMIER, Daniel SPAGNOU, Éric STRAUMANN, Michel TERROT, Isabelle VASSEUR, Michel VOISIN et Michel ZUMKELLER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le livre porte en lui-même les racines de notre liberté. De la liberté de création, d’opinion, d’expression. Et peut-être surtout de notre liberté intérieure, la « Liberté Grande » de Julien Gracq, indispensable viatique pour résister à l’intolérance, à la dictature, à la domination de la société du spectacle.

Aujourd’hui, à l’heure de la « révolution numérique », pour que le livre puisse trouver son lecteur, il doit également être numérique. Comme je l’indiquais dans mon rapport à la ministre de la culture, « il est évident que le prix constituera une variable déterminante des futurs modèles économiques du livre numérique »(1). Une des variables d’ajustement de ce prix est constituée par le taux de TVA applicable au livre numérique. Or alors que le livre papier bénéficie en vertu des dispositions de l’article 278 bis du code général des impôts d’un taux réduit de TVA à 5,5 %, le taux applicable au livre numérique est de 19,6 %, le téléchargement de livres par fichiers numériques constituant selon la doctrine fiscale actuelle une prestation de service par voie électronique…

Une harmonisation des taux de TVA applicable au livre est indispensable. Un premier pas a été franchi en mai 2009 puisque la directive n° 2009/47/CE du Conseil du 5 mai 2009, entrée en vigueur le 1er juin 2009, étend le bénéfice du taux réduit à la fourniture de livres sur tout type de support physique.

Depuis le 15 septembre 2009(2), cette modification a permis de faire baisser le taux de TVA applicable aux livres audio en France.

Parallèlement, sur la base de cette même directive, en décembre 2009, le gouvernement espagnol a décidé d’abaisser le taux de TVA applicable au livre numérique téléchargé sur un support physique à 4 %, taux réduit applicable au livre papier dans ce pays.

À l’inverse, s’agissant plus largement des produits culturels, le Luxembourg aurait, semble-t-il, choisi une autre voie(3). Fin septembre 2009, M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture , envoyait à sa collègue ministre des finances un courrier afin qu’elle se penche « sur les taux de TVA appliqués sur le téléchargement légal de musique et de films » et sur l’existence d’une éventuelle distorsion de concurrence entre opérateurs domiciliés en France, qui paient une TVA à 19,6 % quand, selon Les Échos, les opérateurs domiciliés au Luxembourg se voient appliquer un taux réduit de 3 % sur environ 75 % du prix de vente des fichiers numériques, cette proportion représentant la part liée aux droits d’auteur, alors que le taux normal de TVA de 15 % ne s’applique qu’aux prestations techniques – soit sur 25 % du prix de vente. La problématique est la même pour les fichiers de livres numériques et un tel système d’optimisation fiscale explique sans doute pourquoi les principaux acteurs du secteur sont aujourd’hui domiciliés au Luxembourg.

La France doit donc prendre position sur ce sujet sensible. En effet, le marché du livre numérique est certes balbutiant dans notre pays mais il est en pleine croissance. Or, « un modèle économique basé pour le livre numérique à la fois sur une TVA à 19,6 % et sur un prix inférieur à celui du livre papier devient particulièrement difficile à construire » puisqu’« un prix de vente pour le livre numérique inférieur de 20 % à celui du livre papier représente en fin de compte, compte tenu des écarts de taux de TVA, une diminution effective du chiffre d’affaires de 29 % »(4).

Dans une étude publiée récemment par le ministère de la culture, Mmes Françoise Benhamou et Olivia Guillon soulignent également cette fragilité intrinsèque du marché du livre numérique dans notre pays. Selon elles, pèse sur l’économie du livre numérique une hypothèque liée au « différentiel de taux de TVA qui crée un handicap majeur pour mettre en place, si on le souhaite, des politiques de prix très différenciées avec le papier, du moins pour le livre dit homothétique (non enrichi par rapport au papier) ».

Par comparaison, elles estiment que le marché du livre numérique a pu se développer au Japon, notamment grâce à une TVA harmonisée : « Si le marché du livre numérique a sans doute bénéficié du déclin structurel du marché du livre papier engagé depuis une dizaine d’années au Japon, la transposition du modèle papier en termes fiscaux (taux de TVA, réduit, identique à celui appliqué à la vente de livres papier : 5 %) et de détermination du prix de vente (modèle d’agence imposé par les éditeurs qui aboutit à une certaine homogénéité des prix quelle que soit la plate-forme de vente) ont contribué au développement du marché numérique dans l’édition japonaise »(5).

La proposition de loi se propose donc de prendre acte des dernières évolutions communautaires pour actualiser l’article 278 bis du code général des impôts. Il conviendra ensuite que le ministère des finances en prenne acte et modifie en conséquence l’actuelle définition fiscale du livre, rédigée à une époque où le livre numérique n’existait pas.

Enfin, cette proposition de loi est cohérente avec la position du Président de la République, qui plaidait lors de ses vœux au monde de la culture le 7 janvier 2010 pour l’application généralisée du taux de TVA réduit à tous les produits culturels.

S’agissant plus précisément du contenu de la présente proposition de loi, rappelons que la seule définition légale du livre existant à ce jour est une définition fiscale, issue à l’origine de l’instruction n° 3C-14-71 du 30 décembre 1971. Cette définition fiscale a clairement été construite en France pour l’édition papier. En effet, selon la doctrine fiscale, « un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’esprit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture »(6). La notion d’imprimé y est donc centrale.

Pour autant, la définition fiscale du livre a déjà connu des évolutions favorables à l’inclusion de nouveaux types d’ouvrages. Ainsi, l’instruction du 12 mars 2005 a étendu le champ d’application du taux réduit de TVA de 5,5 % à un certain nombre de produits éditoriaux qui en étaient jusque-là exclus : les cartes et atlas géographiques, les annuaires dits « éditoriaux », les recueils de photographies, les guides d’hôtels-restaurants, les albums de coloriage pour enfants, etc. Cette évolution a consacré une nouvelle notion, celle de l’« apport éditorial » : à défaut ou en cas d’insuffisance de contenu écrit, ce nouveau critère impose désormais de prendre en compte le travail de l’éditeur pour apprécier si une publication peut ou non être fiscalement considérée comme un livre.

Selon l’instruction fiscale du 12 mars 2005, « pour être considéré comme un livre, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :

« – l’ouvrage doit être constitué d’éléments imprimés. Les éléments audiovisuels ou numériques (cassette audio, compact disc musical, DVD, diapositives, etc) demeurent passibles du taux qui leur est propre ;

« – l’ouvrage doit reproduire une œuvre de l’esprit ; en pratique, l’ouvrage doit comporter une partie rédactionnelle suffisante permettant de conférer à l’ensemble le caractère d’une œuvre intellectuelle ;

« – en outre, l’ouvrage ne doit pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué, c’est-à-dire être principalement destiné à informer un public de l’existence et des qualités d’un produit ou d’un service, avec ou sans indication de prix, dans le but d’en augmenter les ventes ou de promouvoir l’image d’un annonceur ;

« – enfin, l’ouvrage ne doit pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur. »(7)

On le voit, les caractéristiques du livre numérique sont très proches de cette définition.

De même, l’évolution communautaire actuelle est très intéressante puisqu’elle autorise les États-membres à appliquer un taux réduit de TVA au livre « sur tout type de support physique » alors que dans l’état actuel de la législation, seuls les livres imprimés peuvent faire l’objet de taux réduits. Peuvent donc potentiellement être concernés tous les livres quel que soit le support de fourniture : papier, disques compacts, cédéroms, clés USB. Le rescrit fiscal français précité du 15 septembre dernier est beaucoup plus circonscrit puisqu’il prévoit que seuls les livres audio « qui s’entendent comme des ouvrages dont la lecture à haute voix a été enregistrée sur un disque compact, un cédérom ou tout autre support physique similaire et dont le contenu reproduit, pour l’essentiel, la même information textuelle que celle contenue dans les livres imprimés » peuvent bénéficier du taux réduit de TVA.

L’article 1er de la présente proposition de loi propose d’aller plus loin en étendant le taux de TVA réduit au livre fourni sur tout type de support physique, disques compacts, cédéroms, clés USB, etc, mais également téléchargement et enregistrement d’un livre numérique sur un ordinateur, le législateur considérant que l’ordinateur, support de l’enregistrement, est clairement un support physique. Il conviendra ensuite que le pouvoir réglementaire soit particulièrement attentif à retranscrire fidèlement la volonté du législateur, l’instruction fiscale qui viendra préciser la portée de ces nouvelles dispositions devant sans ambiguïté en prendre acte.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au dernier alinéa de l’article 278 bis du code général des impôts, après le mot : « Livres », sont insérés les mots : « sur tout type de support physique ».

Article 2

Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

1 () Hervé Gaymard, Situation du livre – Évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives. Rapport à la ministre de la culture et de la communication, mars 2009.

2 () Rescrit fiscal n° 2009/48.

3 () Les Échos, 30 septembre 2009.

4 () Hervé Gaymard, Situation du livre – Évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives. Rapport à la ministre de la culture et de la communication, mars 2009.

5 () Françoise Benhamou, Olivia Guillon, Modèles économiques d’un marché naissant : le livre numérique. Culture Prospective n° 2010-2, études du DEPS, ministère de la culture, juin 2010.

6 () Instruction fiscale n° 3 C-4-05 du 12 mai 2005.

7 () Idem.


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