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N° 2905

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2010.

PROPOSITION DE LOI

tendant à interdire aux sociétés d’autoroutes de faire des profits
et, conséquemment, à les nationaliser,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Jean-Jacques CANDELIER, Maxime GREMETZ, André GERIN, Marc DOLEZ, Jean-Pierre BRARD, Jacques DESALLANGRE et Patrick BRAOUEZEC,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un sentiment croissant d’incompréhension s’installe entre, d’un côté, les autoroutes et, de l’autre, leurs salariés et usagers. Il y a 30 ans, un trajet coûtait plus cher en carburant qu’en péage. Aujourd’hui, c’est l’inverse !

Les autoroutes françaises font partie du domaine public de l’État, lequel confie à des sociétés le soin de les gérer (délégations de service public). L’article L. 122-4 du code de la voirie routière dispose, notamment :

« L’usage des autoroutes est en principe gratuit.

« Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d’État un péage pour l’usage d’une autoroute en vue d’assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure.

« En cas de délégation des missions du service public autoroutier, le péage couvre également (souligné par nous) la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le délégataire. »

Contrairement au principe légal, emprunter les autoroutes n’est en général pas gratuit, bien que les constructions soient amorties pour la grande majorité d’entre elles. Pourtant, à leur création, on affirmait qu’elles deviendraient gratuites une fois amorties, comme c’est le cas en Allemagne ou en Belgique. D’aucuns estiment qu’il s’agit là d’un véritable racket.

Mais surtout, à cause de la privatisation des dernières sociétés concessionnaires d’autoroutes par le Gouvernement de Villepin, la tarification est devenue un horizon indépassable. En effet, les sociétés privées ne sont pas des organisations philanthropiques. Elles sont entièrement tournées vers la valorisation de leurs capitaux, comme le permet la loi, et cela ne peut se réaliser que par la perception de droits de péage.

Certes, les délégataires sont tenus, par une convention et un cahier des charges signés avec l’État, au respect d’un certain nombre de contraintes, dont, notamment, l’application des conditions tarifaires. Mais si la puissance publique continue officiellement à arrêter l’évolution générale des tarifs, en fonction, d’ailleurs, de calculs jugés opaques par la Cour des comptes, les sociétés d’exploitation pèsent de tout leur poids pour augmenter les tarifs des péages, afin de verser à leurs actionnaires de juteux dividendes. Et il ne faut pas compter sur le Gouvernement actuel, à la solde des puissances d’argent, pour s’opposer aux velléités de profit des groupes de BTP, des fonds de pension et des banques, propriétaires des sociétés d’autoroute !

Selon l’association « 40 millions d’automobilistes », entre 2005, dernière année avant la privatisation des dernières sociétés d’autoroutes, et 2010, les tarifs des péages ont augmenté de 7,79 % (Cofiroute) à 11,07 % (Autoroutes du Sud de la France, ASF), soit plus que l’inflation constatée (+ 7,6 %) sur la période, à réseau constant !

D’un autre côté, rien que pour les sociétés ASF, Cofiroute et sanef, le bénéfice cumulé en 2009 s’élève à 1,3 milliard d’euros. En 2032, date de fin de la concession des autoroutes, on estime que ces sociétés auront engrangé le chiffre pharaonique de 40 milliards d’euros de bénéfices !

Comme les syndicats et la gauche l’avaient craint à l’époque, les groupes font pression sur la qualité du service, l’emploi, les salaires et les dépenses de sécurité et d’entretien, tout en exigeant – et obtenant – des hausses de péage. Toutes les garanties collectives sont remises en cause, comme la reconnaissance des métiers dangereux, et les conditions de travail se dégradent (développement de la polyvalence, augmentations de salaire individualisées…), ce qui provoque des conflits sociaux. Le « pacte social » (ni licenciements, ni mutations d’office) signé en 2005 entre l’État et les concessionnaires privés se traduit par des pressions pour des départs volontaires ou négociés, en application de la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), véritable machine à broyer l’emploi. Le désengagement de l’État du capital des sociétés s’apparente bel et bien à un hold-up sur les biens collectifs que sont les autoroutes, au détriment des usagers et des salariés des sociétés en question.

Cette situation est loin d’être satisfaisante. Toutefois, soyons clairs : la configuration antérieure n’était pas non plus la panacée. Auparavant, c’est l’État qui percevait les dividendes issus de l’exploitation des autoroutes, mais les automobilistes avaient déjà la désagréable impression d’être pris pour les « vaches à lait » d’infrastructures « pompes à fric ». Jamais la gratuité promise n’a été de mise, l’État ayant fait des autoroutes une source habituelle de confortables revenus.

Pour les signataires de la présente proposition de loi, il est évident que la gestion d’un service public ne doit en aucun cas consister à perpétuer une rente privée aux dépens des usagers et des salariés. Mais il ne devrait pas non plus revenir à l’État de se servir au passage, quand bien même de nobles objectifs seraient mis en avant, comme le financement des infrastructures de transport, par exemple.

Nos autoroutes sont de véritables axes routiers d’utilité publique. Elles apportent un réel service en termes de rapidité et de fluidité du trafic, de sécurité (moins d’accidents) et de tranquillité (moins de nuisances). À ce titre, il est incohérent qu’elles soient pénalisées par rapport au réseau secondaire, qui lui est gratuit.

Si un péage peut exister, il faut qu’il soit neutre, c’est-à-dire uniquement destiné à assurer la couverture des dépenses liées à la construction, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure. En aucun cas le péage ne devrait pouvoir rémunérer les capitaux investis.

L’article 1er propose donc d’interdire aux gestionnaires d’autoroute de faire du profit, condition sine qua non pour aller vers la gratuité. Cet article tend également à supprimer le « foisonnement » des tarifs, qui consiste, dans une logique de profit maximum, à appliquer des tarifs non-kilométriques, différents entre les tronçons en fonction de leur fréquentation.

L’article 2 est un article de conséquence. Il nationalise toutes les sociétés d’autoroute (les sociétés d’autoroutes filiales d’autres sociétés d’autoroute, comme la SAPN – Société des autoroutes Paris-Normandie – sont concernées via la nationalisation des maisons mères).

L’État est déjà détenteur d’ATMB – Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc –, de la SFTRF – Société française du tunnel routier du Fréjus – et de ROUTALIS, via la société EGIS (filiale de la Caisse des dépôts).

La nationalisation est une conséquence et non une fin en soit, car, comme on le sait, le secteur privé se désintéresse spontanément des activités non-lucratives. Or, devenues non-profitables, il ne faudrait pas pour autant que les autoroutes soient abandonnées, car elles sont utiles à la collectivité.

Comme les autoroutes sont des monopoles, la nationalisation est d’ailleurs conforme au préambule de la Constitution de 1946, qui stipule que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Enfin, le retour dans le giron public des sociétés d’autoroute est en adéquation avec l’idée d’un État stratège de l’aménagement du territoire et d’une planification écologique des transports : sous la pression du privé, un risque se profile dans le projet de « Schéma national des infrastructures de transport », de poursuite d’une politique aveugle de « tout-autoroutes ». Il y a un fort besoin de service public dans les transports, afin de garantir l’exercice de la liberté de circulation, de préserver le patrimoine national autoroutier actuel, sans toutefois favoriser le « tout-routier ».

L’article 3 prévoit que l’article 2 entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi. Il faut prendre le temps pour préparer au mieux, du point du contribuable, les acquisitions prévues, dans la mesure où ces opérations n’apporteront aucun surplus au budget, en vertu de l’article 1er. Après un délai d’un an, les actifs des sociétés concessionnaires se seront considérablement dévalorisés d’eux-mêmes.

Enfin, pour tendre à un prix d’achat nul, l’article 4 commande que l’acquisition des actifs par l’État se fasse après leur estimation par la méthode, très utilisée par les financiers, « d’actualisation des flux monétaires », qui consiste à calculer la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs attendus d’une activité.

*
*   *

Avec l’adoption de cette proposition de loi juste et économe, les automobilistes ne seront plus les simples clients de sociétés privées, ils s’élèveront enfin au rang d’usagers d’un authentique service public d’autoroutes, garanti par l’État, tendant à la gratuité, sous le contrôle du comité des usagers du réseau routier national créé par le décret n° 2009-1102 du 8 septembre 2009.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au troisième alinéa de l’article L. 122-4 du code de la voirie routière, les mots : « couvre également » sont remplacés par les mots : « ne peut en aucun cas couvrir ».

Article 2

Les sociétés suivantes sont nationalisées :

– A’LIÉNOR ;

– ADELAC ;

– Arcour ;

– Autoroute de liaison Calvados-ORNE (ALICORNE) ;

– Autoroute de liaison Seine-Sarthe (Alis) ;

– Autoroutes du sud de la France (ASF) ;

– Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) ;

– Compagnie Eiffage du viaduc de Millau (CEVM) ;

– Compagnie industrielle et financière des autoroutes (Cofiroute) ;

– Sanef ;

– Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes (Escota) ;

– Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC).

Article 3

L’article 2 entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’une année à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 4

I. – Le transfert à l’État des actifs prévu à l’article 2 s’effectue après leur estimation par la méthode financière d’actualisation des flux monétaires.

II. – Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés ainsi que par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575, 575 A et 403 du code général des impôts.


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