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N° 2972

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à concilier la préservation de l’intégrité des œuvres culturelles
et artistiques avec les objectifs de la lutte contre le tabagisme,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Didier MATHUS, Jean-Marc AYRAULT, Patrick BLOCHE, Marcel ROGEMONT, Martine MARTINEL et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Michel Delebarre, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Odette Duriez, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Catherine Génisson, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Martine Pinville, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo et Christiane Taubira.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, sont interdites par la loi n°91-32 du 10 janvier 1991, dite « loi Évin ». Celles-ci sont strictement encadrées pour des motifs de santé publique et justifiées par une politique de lutte contre le tabagisme en France.

Aux termes de l’article L. 3511-3 du code de la santé publique, tel que modifié par l’ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006, à propos des services de communication en ligne :

« La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l’article L  3511-1 ainsi que toute distribution gratuite ou vente d’un produit du tabac à un prix de nature promotionnelle contraire aux objectifs de santé publique sont interdites.

« Ces dispositions ne s’appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l’intérieur de ces établissements, non visibles de l’extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.

« Elles ne s’appliquent pas non plus :

« 1° Aux publications et services de communication en ligne édités par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des produits du tabac, réservés à leurs adhérents, ni aux publications professionnelles spécialisées dont la liste est établie par arrêté ministériel signé par les ministres chargés de la santé et de la communication ; ni aux services de communication en ligne édités à titre professionnel qui ne sont accessibles qu’aux professionnels de la production, de la fabrication et de la distribution des produits du tabac ;

« 2° Aux publications imprimées et éditées et aux services de communication en ligne mis à disposition du public par des personnes établies dans un pays n’appartenant pas à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen, lorsque ces publications et services de communication en ligne ne sont pas principalement destinés au marché communautaire.

« Toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l’article L. 3511-1. »

Ainsi, la loi du 10 janvier 1991 interdit la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, ainsi que toute distribution gratuite ou promotionnelle, ou toute opération de parrainage liée au tabac.

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a validé le dispositif de la loi du 10 janvier 1991 à travers deux arrêts en date du 5 mars 2009. Elle a ainsi admis la possible restriction à la liberté d’expression dans le cadre d’opérations publicitaires en faveur du tabac, aux fins de faire prévaloir les objectifs de santé publique.

L’intention du législateur semblait donc légitime en 1991, dans la mesure où elle tendait à protéger les objectifs de santé publique, en interdisant notamment l’incitation à la consommation du tabac.

La justification résidait alors dans l’éviction de toute forme de publicité ou de propagande financée, directement ou indirectement, par les industriels du tabac.

En conséquence, certains évènements sportifs promotionnels comme le Camel Trophy n’ont plus été couverts par les médias, tant ils étaient associés aux cigarettiers.

Cependant, la loi du 10 janvier 1991 a été interprétée ensuite de manière extensive, et au-delà de la publicité, ce sont les œuvres culturelles qui ont été remises en cause. En effet, nombreuses sont les œuvres culturelles qui ont fait l’objet de retouches, reflétant une primauté contestable des intérêts de la loi du 10 janvier 1991 sur les exigences du principe de la liberté d’expression, garanti par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et consacré à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée en 1950 et ratifiée par la France en 1974.

De multiples exemples témoignent d’une interprétation caricaturale du champ d’application de la loi du 10 janvier 1991.

Ainsi, La Poste a édité en 1996, dans le cadre de l’hommage rendu par la France à André Malraux, un timbre à l’effigie du grand écrivain et homme de culture. Cependant, il a été observé que la reproduction de la célèbre photographie de la portraitiste de renom, Gisèle Freund, avait subi une réelle mutilation, la cigarette d’André Malraux ne figurant plus entre ses lèvres. La Poste a alors expliqué cette décision par la volonté de ne pas promouvoir la cigarette, estimant ainsi respecter les objectifs de la loi du 10 janvier de 1991.

De la même manière, en 2005, sur le catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France, consacré à Jean-Paul Sartre à l’occasion du centenaire de sa naissance, il a été possible de constater un vide entre ses deux doigts. Sa célèbre cigarette avait en effet été gommée par les graphistes ayant œuvré pour la Bibliothèque nationale de France.

Cette dérive dans l’application de la loi du 10 janvier 1991 est allée encore plus loin en 2009, notamment au sein de l’espace d’affichage de la Régie autonome des transports parisiens (RATP). En effet, sur l’affiche de l’exposition consacrée à Jacques Tati, à la Cinémathèque française, ce dernier y avait perdu sa pipe au profit d’un ridicule moulin-à-vent. À cet égard, Métrobus, la régie publicitaire de la RATP a justifié ce subterfuge par la volonté d’interdire toute publicité indirecte pour le tabac, considérant cette approche conforme aux objectifs de la loi du 10 janvier 1991.

Enfin, cette interprétation extensive de la loi du 10 janvier 1991 s’est également manifestée dans la déformation de certaines affiches d’œuvres cinématographiques. Par exemple, en 2009, Métrobus a mis en cause la présence de fumée de cigarettes sur l’affiche du film Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar. De même, la représentation de Coco Chanel avec sa cigarette sur l’affiche du film d’Anne Fontaine Coco avant Chanel, a été refusée par la régie publicitaire de la RATP, celle-ci se prévalant encore une fois du respect de la loi du 10 janvier 1991.

Ainsi, une telle application de la loi du 10 janvier 1991 aux œuvres culturelles a conduit à une véritable autocensure de la part des services juridiques et de communication des entités concernées, illustrant la crainte injustifiée de poursuites judiciaires qui seraient motivées par les dispositions en cause.

Appliquée aux œuvres culturelles, la liberté d’expression se devrait donc de primer sur les restrictions imposées par la loi du 10 janvier 1991, lesquelles ne visent que la publicité et la propagande en faveur du tabac.

Cette dérive conduit à la suppression d’éléments importants de l’histoire culturelle, l’illustration du tabac n’ayant pas vocation ici à inciter le citoyen à sa consommation mais faisant partie intégrante de l’œuvre culturelle.

En outre, il est indispensable de rappeler qu’aucun acteur de l’industrie du tabac n’intervient dans le financement de la diffusion de ces œuvres culturelles, ce qui écarte l’hypothèse d’une publicité indirecte de la part des industriels du tabac.

Finalement, force est de constater que l’ampleur de la restriction de la liberté d’expression apparaît excessive et détournée au regard du but recherché par la loi du 10 janvier 1991, c’est-à-dire la lutte contre le tabagisme. Cette relecture de l’histoire culturelle semble donc être une véritable dérive de la loi du 10 janvier 1991.

Cette interprétation détournée de la loi du 10 janvier 1991 risque, en outre, de s’amplifier et de conduire dangereusement à la censure d’œuvres culturelles telles que les oeuvres littéraires. En effet, à terme, lesdites dispositions pourraient être le prétexte d’une censure des romans faisant référence au tabac.

Outre la littérature, il convient également d’envisager l’hypothèse d’une lecture étendue de la loi du 10 janvier 1991 aux œuvres cinématographiques, obligeant alors les réalisateurs à pousser le zèle jusqu’à truquer les films, reportages ou documentaires qui laisseraient apparaître une simple cigarette.

Le patrimoine culturel doit donc être protégé de toute restriction à la liberté d’expression, justifiant ainsi une exception à la loi du 10 janvier 1991 et le maintien d’un élément essentiel dans certaines œuvres culturelles, le tabac. Ainsi, les œuvres qui comportent une cigarette, apparaissant comme un élément inséparable de l’image et de la personnalité de la personne en cause, pourront être autorisées sans faire l’objet d’une modification préalable.

Dès lors, il apparaît que le cadre de la loi du 10 janvier 1991 est trop large, il est donc indispensable de l’adapter à l’exception culturelle.

La présente proposition de loi tend à adopter une approche plus souple afin de concilier les exigences de la loi du 10 janvier 1991 avec la protection de la culture.

À cet effet, il conviendrait d’écarter l’interdiction édictée par la loi du 10 janvier 1991 dans certaines conditions résidant dans l’exception culturelle et l’absence de financement des industries du tabac.

Par conséquent, l’article unique de la présente proposition de loi tend à compléter l’article L. 3511-3 du code de la santé publique, à travers une troisième sous-division des exceptions prévues audit article.

Les falsifications de l’histoire, la censure des œuvres de l’esprit, la dénégation du réel avec en particulier la retouche photographique, doivent rester la marque infamante des régimes totalitaires.

Aucune cause ne peut justifier que les démocraties empruntent le même chemin. Le goût prononcé des sociétés occidentales pour un hygiénisme normatif de plus en plus coercitif ne doit pas servir de caution à de telles dérives.

Tel est le texte qu’il vous est recommandé d’adopter.


PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’avant-dernier alinéa de l’article L. 3511-3 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 3° Aux œuvres artistiques ou culturelles mises à disposition du public au sein desquelles figure une image ou une référence liée au tabac, non financées directement ou indirectement par l’industrie du tabac et qui n’ont pas pour objet d’en faire de la publicité ou de la propagande. »


© Assemblée nationale