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N° 2978

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation
de
l’industrie ferroviaire française :
production de matériels roulants « voyageurs » et fret
,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alain BOCQUET, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Huguette BELLO, Martine BILLARD, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Yves COCHET, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Alfred MARIE-JEANNE, Noël MAMÈRE, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Anny POURSINOFF, François de RUGY, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les États généraux de l’industrie ont confirmé début 2010, l’urgence de mise en œuvre d’une politique industrielle nationale et d’une mobilisation du crédit bancaire au service du développement de la recherche et de l’innovation, de la création d’activités et d’emplois, ou encore de la montée en puissance des PME-PMI appelées à atteindre la taille critique d’ETI (entreprises de taille intermédiaire), à l’exemple de l’Allemagne « numéro un mondial du ferroviaire » soulignait le 1er mars dernier dans une interview au quotidien économique La Tribune, le président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF).

Toutes ces orientations majeures font aujourd’hui largement défaut en France.

Mises en redressement ou en liquidation judiciaires, fermetures de sites, délocalisations de productions, fuites ou pertes de savoir-faire additionnent leurs effets. L’emploi industriel est en chute libre.

Le temps d’un bref passage dans le bassin valenciennois le 4 octobre dernier, le ministre de l’industrie avait feint de s’en indigner : « Pendant trente ans, on a eu une pensée unique qui disait que l’avenir n’était pas dans l’industrie mais dans les services (…) La France a perdu 550 000 emplois industriels (…). » La «pensée unique» était surtout la pensée dominante car, faut-il le rappeler, les députés communistes, hier comme aujourd’hui, défendaient contre le discours libéral et les choix du Medef, l’exigence de maintien de l’emploi industriel et du « produire français » ! Alors depuis trente ans, que de temps et d’occasions perdus ! Que de gâchis économiques, financiers, sociaux et humains, en réalité au seul nom de la course au profit. Des gâchis qui se poursuivent encore aujourd’hui avec une crise bancaire et boursière née de la spéculation, puis étendue à l’ensemble de l’économie réelle pour toucher à présent, la quasi-totalité des secteurs.

Dans une contre-enquête sur le sauvetage du « made in France », Le Monde du 18 septembre 2010 enfonce le clou en constatant et en rappelant que désormais les pays émergents « sophistiquent leurs productions (…) bénéficient d’une main-d’œuvre éduquée peu chère, et des transferts de technologies que les États développés, la France entre autres, leur ont concédés pour obtenir des contrats à l’exportation » ! On cherche en vain dans les discours gouvernementaux actuels et dans les initiatives de la France au plan européen et mondial, les signes d’une remise en cause de ces dérives, et d’une mise en œuvre d’orientations favorables à l’emploi industriel dans notre pays.

L’industrie ferroviaire française n’échappe plus à ce mal profond qui sape l’économie nationale, entraîne l’explosion du chômage et de la précarité, frappe le monde du travail et fait obstacle à l’insertion des jeunes par l’emploi.

L’industrie ferroviaire devrait pourtant être un pilier de la transition écologique et sociale de la France. C’est elle qui va permettre le déploiement des transports publics sur rail, le transfert de la route au rail, que cela soit des marchandises ou des personnes. Moins chère et largement plus écologique, elle est l’industrie clef des objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Elle est donc placée aujourd’hui devant un paradoxe qui la déstructure, et qui menace de détruire irrémédiablement les conditions de son essor, ainsi que les chances de mettre en œuvre une transition écologique des transports français.

Dominée par la recherche du profit, elle se heurte en effet au refus délibéré des principaux constructeurs et donneurs d’ordres implantés sur notre territoire, de raisonner en termes de filière industrielle et d’agir en conséquence. L’attentisme de l’État, son suivisme vis-à-vis des politiques conduites par la SNCF sur le fret ferroviaire, par exemple, accélèrent l’accumulation des difficultés en France et sur les salariés.

Le malaise est profond et si rien ne change au-delà des discours, les problèmes risquent de se multiplier davantage encore et de se traduire par d’intolérables gâchis supplémentaires de compétences et de richesses.

Comment comprendre autrement, les positions exprimées par exemple, par les dirigeants des premiers constructeurs ferroviaires mondiaux que sont Alstom et Bombardier.

Dans une interview donnée en octobre 2009 à la revue « Ville, Rail et Transports », André Navarri, président de Bombardier Transport ne fait pas mystère de la volonté du groupe de passer à la vitesse supérieure et prend l’exemple du marché chinois :

« Nous investissons pour être un acteur local. Dans le site de BIT (joint-venture de Bombardier pour la grande vitesse, implantée à Qingdao) il y a des activités importantes d’ingénierie, et pas seulement de production. L’ingénierie du Zéfiro (train à grande vitesse de Bombardier qui vient de vendre 80 trains à la Chine pour 2,7 milliards d’euros) est fournie pour moitié en Europe et pour moitié en Chine. Il en va de même pour les métros (…). Je n’exclus pas que des centres de décision importants soient transférés en Chine. Plus de la moitié des métros du monde, à venir, se feront en Asie. Faut-il garder tous nos outils de décision en Europe ? Je n’en suis pas convaincu. »

Et il ajoute plus loin : « Les métros sont plus exportables que les trains de grande ligne. Ainsi, cela peut se faire depuis la Chine ou depuis l’Inde. Nous avons remporté la première commande d’exportation à partir de notre joint-venture CBRC (joint-venture chinoise de Bombardier pour les métros) pour le métro de Singapour. C’est un des clients les plus exigeants au monde. Ceci montre le niveau de technologie que nous avons atteint dans nos filiales chinoises, où nous sommes au top de Bombardier. »

Et c’est la même chose en Inde.

Cette stratégie qui consiste de fait, à jouer les continents, les États, les salariés les uns contre les autres, on en trouve aussi la trace chez Alstom ainsi qu’en témoignait par exemple l’information parue dans La Voix du Nord du 17 décembre 2009 :

« Deux trams-trains vont sortir des chaînes d’Alstom chaque mois, soit une voiture tous les deux jours et demi. Les trente-neuf premières voitures seront assemblées à Valenciennes. Et après ? Pour les éventuelles levées d’options ou d’autres contrats «on se laisse l’opportunité d’un éventuel transfert sur le site Alstom de Katowice (Pologne)» explique Romain Bruniaux, directeur-adjoint du site.

Une information reprise en septembre 2010 par Buisiness Wire illustre ces stratégies. Elle fait état de la signature, en présence du secrétaire d’État chargé des transports, d’un protocole d’entente entre Alstom et « deux sociétés chinoises (CNR et SEC) pour former un partenariat stratégique et développer conjointement de nouveaux marchés pour des produits de transport collectif (…).

« Selon les dispositions de l’accord, Alstom en collaboration avec CNR et SEC, développera les capacités et la compétitivité de ses deux joint-ventures existantes, Shanghaï Alstom Transport Co.ltd (SATCO) et Shanghaï Alstom Transport Electrical Equipement Co.ltd (SATEE).

« La collaboration permettra aux parties d’accélérer le développement de solutions complètes de matériel roulant et de systèmes de traction ferroviaires par les deux joint-ventures pour les projets de transport collectif. Le but à long terme du partenariat est d’offrir à SATCO et à SATEE la capacité de concevoir, construire et commercialiser de nouveaux produits de transport urbains pour le marché chinois ainsi que pour les marchés à l’exportation. »

Tel est donc clairement exprimé et revendiqué le projet industriel des grands constructeurs ferroviaires présents en France. Notre pays va-t-il dans les années qui viennent, devoir importer son matériel ferroviaire ? Il n’est peut-être pas trop tôt au vu des logiques et des choix actuels, pour poser la question. En matière écologique, il serait en outre tout à fait absurde de devoir importer notre matériel au prix d’une augmentation supplémentaire des gaz à effet de serre.

Dans une brochure parue début 2008, « L’industrie ferroviaire française : les voies de l’excellence », la FIF (cf. plus haut) se félicitait que « la France s’impose aujourd’hui comme la deuxième puissance ferroviaire européenne ».

« Avec un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros en 2006, un marché intérieur record (2,2 milliards d’euros) et de bonnes performances à l’exportation (1,1 milliard d’euros), l’industrie ferroviaire française affiche une belle santé. Grâce au retour en force des tramways, au renouvellement des trains régionaux et à l’essor de la grande vitesse, le monde ferroviaire en France a connu au cours de ces dernières années, une accélération qui a profité à la quasi totalité du secteur. »

Jusqu’à quand ? a-t-on nécessité d’ajouter si l’État, les régions, les syndicats de transports, les sociétés nationales commanditaires (SNCF, RATP) demeurent l’arme au pied et se montrent si peu attentifs aux conditions de réalisation des marchés publics qu’ils octroient à ces grands groupes ? Et si peu soucieux d’imposer que toute la filière ferroviaire française tire bénéfice, en termes de chiffre d’affaires et d’emploi, de la situation.

On est à la croisée des chemins. Si l’on veut qu’en matière de production ferroviaire la France reste une puissance exportatrice de matériels roulants (plus d’un milliard d’euros en 2006 et le tiers de son chiffre d’affaires total) ; si l’on veut que l’industrie ferroviaire nationale contribue au redressement de l’économie française, pérennise et développe ses sites, ses outils de construction et ses savoir-faire, crée des emplois, beaucoup d’emplois, soit l’un des piliers industriels de la transition écologique du pays … alors il faut y regarder de près.

1. Des commandes à foison

Car les commandes ne manquent pas. Au contraire même. Elles affluent du monde entier à un rythme soutenu. Et le marché intérieur français n’est pas en reste. C’est en dizaines et centaines de millions d’euros que les grandes agglomérations françaises, l’ensemble des Régions, la SNCF, la RATP achètent de nouveaux matériels, renouvellent les parcs. Nous devons nous en féliciter car cela favorise l’accessibilité sociale et le développement écologique des transports.

C’est l’exemple de l’agglomération lyonnaise qui en 10 ans s’est portée acquéreur de 57 rames de tramways auprès d’Alstom jusqu’à détenir « l’un des plus grands parcs de Citadis au monde ».

C’est la RATP qui entre 2000 et 2007, aura fait l’acquisition de près d’une centaine de tramways T2 (Alstom).

C’est la SNCF qui associée aux Chemins de fer luxembourgeois confie à un consortium Alstom Transport – Bombardier Transport un marché de 82 millions d’euros destiné pour partie aux régions Pays de la Loire, Haute-Normandie.

Cette annonce rendue publique en janvier 2009 rappelait que 168 rames de matériels TER étaient en service dans les régions précitées et celles de Lorraine, du Centre, du Nord–Pas-de-Calais, de Picardie, de Rhône-Alpes, de Provence-Alpes-Côte d’Azur …

C’est le contrat signé en juillet 2004 par la SNCF avec Alstom, pour la livraison de 160 locomotives d’un montant de 224 millions d’euros complétée le 2 octobre 2008 par 15 locomotives supplémentaires.

Occasion de souligner qu’au cours de l’exercice 2007-2008 « Alstom Transport a enregistré un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros et des commandes en hausse de 39 % par rapport à l’exercice précédent ».

C’est la confirmation officielle en mai 2009, de la commande de 60 rames passée par la RATP au consortium Alstom-Bombardier pour le RER A de l’Île-de-France. « Le montant de cette commande s’élève à environ 842 millions d’euros ».

C’est, mai 2009 encore, la livraison par Alstom à la RATP, de la première des 49 rames automatiques sur pneumatiques MP 05 « qui remplaceront à terme les rames MP 89 avec cabine de conduite de la ligne », pour l’automatisation entière de la ligne 1 du métro parisien (Château de Vincennes-La Défense), à l’horizon 2012.

C’est la décision, à l’automne 2009, des communautés d’agglomération de Brest et de Dijon de « choisir Alstom pour la fourniture de 52 rames de tramways Citadis, pour un montant de plus de 100 millions d’euros ».

C’est la rénovation du métro sur pneus de l’agglomération lilloise aboutie en 2009, et confiée à Alstom et Safra pour 11 millions d’euros.

Le 27 octobre 2009, la Fédération des Industries Ferroviaires publie un communiqué précisant que « la SNCF attribue à Asltom le marché de la nouvelle génération de trains régionaux à un niveau, destiné à moderniser et accroître le parc français sur la période 2013-2021. Le contrat comporte une tranche ferme d’un montant de 800 millions d’euros pour la livraison de 100 trains Coradia Polyvalent à huit régions françaises. Les intentions de levée d’options déjà exprimées pour 35 rames supplémentaires, pourraient rapidement porter le montant à un milliard d’euros. À terme, le volume total pourra atteindre 1 000 Coradia Polyvalent, pour un montant de plus de sept milliards d’euros. Les premières livraisons sont prévues dès 2013 et s’échelonneront jusqu’à mi-2015 ».

En France, ajoute en conclusion la FIF, « avec une progression annuelle de l’ordre de 6 %, le transport régional a enregistré depuis fin 2002 une hausse de fréquentation de 40 %. Chaque jour, 5700 trains permettent de réaliser 800 000 voyages sur 260 lignes. Et sur la base de sa progression actuelle, le transport régional quadruplera à l’horizon de 2030 ».

La liste n’est pas close et il ne se passe pas un trimestre sans que les grands constructeurs Alstom et Bombardier n’enregistrent des commandes dont les montants quelquefois vertigineux, témoignent des perspectives ouvertes à l’industrie ferroviaire française.

Preuve en est avec début octobre 2010, l’annonce de l’attribution à Alstom d’un marché de 17 millions d’euros par le syndicat intercommunal des transports urbains de Valenciennes pour la fourniture de sept tramways supplémentaires ; ou la confirmation de fabrication de 21 rames du modèle Citadis (73,2 M€ HT) pour l’agglomération de Tours.

2. Les résultats financiers ne cessent de progresser

L’Usine nouvelle du 2 avril 2010 titre par exemple que Bombardier est plombé par ses avions d’affaires, mais précise que « les ventes de la division ferroviaire progressent de 2 % à dix milliards d’euros. La marge opérationnelle passe de 5 % à 6,2 %. Le carnet de commandes augmente de 24,7 milliards de dollars américains à 27,1 milliards ».

À cette même date, Pierre Beaudoin, président, chef de la direction Bombardier Inc fait connaître les résultats financiers pour le 4e trimestre et l’exercice terminé le 31 janvier 2010 en ces termes :

« Le marché du rail est demeuré résilient. Bombardier Transport a accru ses revenus et sa rentabilité. Le groupe a affiché une marge BA II de 6,2 % dépassant la cible de 6 % établie il y a quatre ans. Le niveau d’activité dans les marchés traditionnels est demeuré robuste, et nous avons remporté des contrats marquants tels que la commande de 80 trains à très grande vitesse Zéfiro en Chine et, plus récemment, une entente cadre intervenue avec la SNCF, d’une valeur de 11 milliards de dollars US, pour des trains régionaux. »

Et un peu plus loin : « Les revenus de Bombardier Transport ont totalisé 10 milliards de dollars US, comparativement à 9,8 milliards l’exercice précédent. »

Alstom n’est pas en reste et réalise d’excellents résultats opérationnels sur l’exercice 2009-2010, puisque entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2010, le groupe a enregistré « un chiffre d’affaires (19,7 milliards d’euros) et un résultat opérationnel (1,8 milliard d’euros) records, en hausse respectivement de 5 % et 16 % (…) le résultat net de 1,2 milliard d’euros a marqué une hausse de 10 % ».

Le groupe n’est d’ailleurs avare ni de chiffres ni de perspectives : « Les fonds propres ont progressé de 2884 millions d’euros au 31 mars 2009 à 4001 millions d’euros au 31 mars 2010, en raison du profit élevé enregistré sur la période. »

Et concernant les dividendes, le conseil d’administration a décidé de proposer à l’assemblée générale « la distribution d’un dividende de 1,24 euro par action, soit une hausse de 11 % par rapport à celui de 1,12 euro payé au titre de l’année dernière ».

À l’évidence, la crise n’est pas la même pour tous. Et là encore Alstom et Bombardier se rejoignent pour prôner la réduction des coûts face aux « difficultés » des marchés !

« Nous avons profité de la récession pour peaufiner nos activités d’exploitation en vue d’une meilleure exécution, et de réduire les coûts de manière judicieuse » explique Pierre Beaudoin pour Bombardier qui, on l’a vu avec ses implantations chinoises et indiennes, vise aussi notamment « l’optimisation » de son empreinte géographique pour accroître la marge. C’est la mondialisation des productions au service exclusif du profit.

Même «souci» chez Alstom dont les effectifs ont été « ajustés » « avec une baisse de 5 000 employés au cours de l’exercice, qui s’est faite par des départs naturels, par le non-renouvellement de certains contrats à durée déterminée et par des restructurations sur quelques sites».

Début octobre 2010, de nouvelles vagues de suppressions d’emplois (4 000 postes) ont été annoncées au sein du groupe, d’ici mars 2012. Et si les informations publiées indiquent que le secteur ferroviaire ne serait pas concerné, les syndicats redoutent cependant que ces choix privilégiant le profit contre l’emploi, puissent s’étendre à l’ensemble de l’entreprise.

Preuve en est d’ailleurs l’interview donnée le 5 novembre 2010 au quotidien Le Monde par le président-directeur général d’Alstom, Patrick Kron, qui à une question sur les menaces de suppressions d’emplois répond : « Sur le transport ferroviaire, tout dépendra de la demande (…) D’une façon générale, quelles que soient les activités – transport, transmission et génération d’électricité –, nous ne procéderons à des ajustements que là où ils pourraient être nécessaires. ».

3. Les conséquences en France : l’exemple du Nord–Pas-de-Calais

On est là au cœur du problème. Un problème dont on mesure les effets considérables en France : chômage, précarité, difficultés sociales accrues dans nos bassins d’emploi, difficultés croissantes et trop souvent irrémédiables pour nombre de PME. Des PME qui voient s’ajouter à ces problèmes la menace de suppression du dispositif Cap Plus. Dispositif gouvernemental d’assurance-crédit des entreprises, pourtant beaucoup utilisé face à la faiblesse des niveaux de trésorerie et de commande incitant des assureurs-crédit professionnels à refuser de couvrir des risques auxquels ces PME sont exposées.

Ces entreprises, leurs salariés, les réseaux sous-traitants sont victimes de la vague sur laquelle surfent les grands constructeurs, ce dont témoigne la situation du Nord–Pas-de-Calais.

C’est d’autant plus inacceptable que dans cette Région comme par exemple dans la région Centre et plusieurs régions françaises, des politiques en faveur du rail avaient été initiées au tournant des années 1990 et 2000. Ainsi, sous la présidence Verte de Marie-Christine Blandin, 1992-1998, le choix du conseil régional Nord–Pas-de-Calais de privilégier le rail, avait abouti à des conventions exigeantes avec la SNCF, notamment pour le refus de fermeture de lignes, et des commandes ambitieuses de matériel. L’emploi, le service public et l’évitement de la pollution étaient au cœur de ces choix.

Le Nord–Pas-de-Calais est la première région industrielle ferroviaire française avec 30 % de l’activité nationale, trois constructeurs (Alstom, Bombardier, Arbel Fauvet Rail), 150 équipementiers, des centaines de fournisseurs et sous-traitants, 10 000 emplois et environ un milliard de chiffre d’affaires.

Dans la région, le bassin valenciennois concentre à lui seul deux constructeurs et 60 % des effectifs de la construction de matériel ferroviaire, plus d’une quarantaine d’équipementiers employant 6 000 salariés, CERTIFER, le premier organisme certificateur ferroviaire français, l’Agence ferroviaire européenne, le CEF (Centre d’essais ferroviaire) avec trois boucles d’essais, le siège de l’AIF : Association des industries ferroviaires, qui fédère 90 entreprises du Nord–Pas-de-Calais ; un pôle de recherche Transports avec l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), implanté à Villeneuve-d’Ascq, et l’université de Valenciennes, laquelle propose par ailleurs, un master ferroviaire.

Depuis 2005, le Valenciennois accueille enfin le pôle de compétitivité I-Trans : un pôle de compétitivité à vocation mondiale pour répondre aux enjeux internationaux des transports innovants.

Un pôle qui s’est fixé une dizaine d’objectifs qui devront être atteints d’ici 2015, comme la création de 1 500 emplois ou l’implantation d’une vingtaine d’entreprises.

À l’ensemble de ces atouts conséquents s’ajoutent des projets ambitieux bénéficiant d’engagements financiers publics importants. Et notamment : la création d’un technopole universitaire où se retrouveraient tous les chercheurs travaillant pour le transport ; et un projet d’aménagement et de développement d’une zone ferroviaire autour d’Alstom Raismes / Petite-Forêt et du Centre d’essais ferroviaire.

Ainsi que le déclarait le 11 mai dernier Alain Bocquet à l’Assemblée nationale, « avec de telles structures et de tels atouts, nos territoires pourraient voir venir. Pourtant, l’inquiétude s’installe chez les salariés, de l’ouvrier au cadre, d’Alstom ou de Bombardier (…) et chez les sous-traitants ».

Le 10 mai dernier le quotidien La Voix du Nord titrait : « Ferroviaire : marché porteur et pourtant… », et donnait témoignage des fortes préoccupations des sous-traitants du ferroviaire. Des préoccupations qui n’auraient pas lieu d’être quand développement durable, objectifs de réduction des émissions de CO2, évolution du « marché » voyageurs, rythme et niveau des commandes françaises, européennes et mondiales, situation financière et profits des groupes constructeurs représentent autant de gages d’un essor possible et nécessaire de l’industrie ferroviaire française.

On devrait aujourd’hui faire le constat de bonne santé économique de cette filière, et du réseau des PME qui la font vivre… On devrait aussi mesurer une évolution favorable de la création d’emplois stables et justement rémunérés. Et en termes de prospective, la conversion écologique de l’économie devrait en tirer avantage et se traduire par une conversion des sous-traitants de l’industrie automobile, notamment vers les métiers voisins que sont les équipementiers du ferroviaire. Ce gisement doit donc être pérenne.

La France reste le premier pays européen en termes de trafic de passagers juste devant l’Allemagne. « C’est donc bien pour notre pays qu’Alstom et Bombardier travaillent », commente Daniel Cappelle, président de l’AIF, qui constate pourtant qu’il « n’est pas du tout sûr que les prochains trains d’Alstom aient des roues Valdunes », alors que ces trains « vont rouler en France et qu’on contribue à les payer».

« Quand Alstom et Bombardier ont des programmes sur dix ans, pourquoi les équipementiers eux, n’ont-ils des commandes que pour un an ? Il faut leur donner de la lisibilité. »

4. De l’enchère inversée au déréférencement : des pratiques intolérables

C’est un premier problème. Il met en cause le fait que si jusqu’à présent l’essentiel des commandes d’Alstom ou Bombardier avait été réalisé dans des usines françaises, la tendance s’est inversée depuis quelques années.

Car si la sous-traitance a été confiée dans un premier temps à des PME locales, ce n’est plus réellement le cas aujourd’hui, et ça le sera encore moins demain avec les contrats signés en 2009, si rien ne change.

« On n’a pas joué la solidarité entre grands donneurs d’ordres et PME », a dû reconnaître le 4 octobre le ministre de l’industrie, devant les salariés de l’entreprise du Valenciennois, Valdunes, équipementier du ferroviaire.

Outre l’absence de législation et de réglementation contraignantes, reconnue elle aussi par le ministre, l’introduction par ces grands groupes de nouvelles méthodes est également à mettre en cause : en particulier la priorité donnée à la recherche systématique de baisse des coûts via des pratiques variées, contestables s’agissant notamment mais ce n’est pas exclusif, de marchés publics.

Ces pratiques étranglent désormais toute la filière. Car les constructeurs envoient directement une partie de leurs productions dans des usines implantées dans des « Low Labour Countries » (LLC).

La tendance générale est à la fabrication des commandes de l’État ou des Régions, par les usines-sœurs des grands constructeurs, situées en Europe de l’Est. Ces positionnements préjudiciables à l’industrie nationale et régionale, sont fréquents et acceptés, y compris par les maîtres d’ouvrage publics qui passent les commandes et posent peu de questions.

Il serait pourtant nécessaire qu’à l’échelle de l’ensemble des Régions s’exprime l’exigence que la sous-traitance française soit associée à la réalisation de ces productions. Cela pourrait être l’objet de clauses de ces marchés, dans le respect de la réglementation européenne. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est un manque considérable pour la vitalité de l’économie et dans la lutte pour l’emploi.

Les régions françaises doivent faire front commun pour que l’industrie ferroviaire française (constructeurs et sous-traitants) bénéficie de leurs investissements.

Au départ de ces dérives, il y a six ans environ, lorsqu’il s’est agi d’externaliser, voire de délocaliser des prestations pour les nouvelles phases de TER, la SNCF s’est inquiétée des risques de non-qualité.

Puis progressivement, ce type d’interrogation s’est dilué. De telle sorte que maintenant, Alstom Petite-Forêt par exemple, est devenu un « atelier premier train », une usine-test de prototypes. Et la boucle d’essais ferroviaire en projet, qui sera réalisée en grande partie par la mobilisation de fonds publics, ne permettra pas, en soi, de stopper cette logique et a fortiori, de l’inverser.

Description de l’évolution de la production chez Alstom Petite-Forêt

– Il y a dix ans, il y avait un atelier « tête », interne à l’usine. Puis des ateliers de chaudronnerie où l’on assemble, et enfin des ateliers de peinture et de finition.

– En 2001, adoption d’un plan stratégique et fermeture de l’atelier tête (progressivement : aujourd’hui seules 8 personnes y travaillent). Recours accru à la sous-traitance.

– Jusqu’à aujourd’hui : si on prend l’exemple du MI 09 (groupement Alstom/Bombardier), on peut dire que le train arrive en puzzle. En interne à Alstom PF, on trouve donc une main-d’œuvre d’assemblage. Puis, pour la peinture et le garnissage, Alstom a recours à de l’achat.

– À l’avenir, il est évident que cette logique de recours à l’achat, et en particulier l’achat low cost va s’amplifier. Pologne, Tchéquie, Turquie, Tunisie… pour les activités productives et l’Inde pour les plans (tâches antérieurement pourvues à l’inter par des BTS).

– La prochaine étape ? Les acheteurs négocieront directement le BODY, cœur du wagon, qui sera intégralement importé de l’étranger.

Le développement de la politique du « premier train » pose également problème. Études et prototypes sont réalisés en France. Les sous-traitants fabriquent les pièces pour les premières rames. Ils essuient les plâtres avec à la clé des indemnités parfois vertigineuses de non-conformité. Puis les fabrications des séries et la sous-traitance sont délocalisées.

Les commandes voyagent jusqu’en Europe de l’Est ou sont vendues, avec la technologie, en Chine…

Il en résulte très peu de travail et de visibilité pour la sous-traitance française mise de fait, dans l’impossibilité d’être suivie par ses banques pour investir, innover et recruter, et pour amortir ses investissements lorsqu’elle est en capacité d’en engager.

Résultat : les sous-traitants cherchent à augmenter la productivité, diminuent les emplois ouvriers y compris en automatisant au maximum.

Pendant que les constructeurs embauchent ingénieurs et cadres, les PME doivent dégraisser les personnels ouvriers spécialisés.

Et lorsqu’une série est tout de même réalisée en France, c’est de toute façon d’assemblage qu’il s’agit. La majeure partie de la production est sous-traitée, là aussi bien souvent dans des « Low Labour Countries (LLC) ».

Autre pratique que dénonce la sous-traitance, l’obligation imposée aux acheteurs des constructeurs, de réaliser 40 à 50 % de leurs achats dans des LLC. Cette pratique, héritée de l’industrie automobile passe par le découpage des commandes et est assortie d’objectifs chiffrés, ce dont témoignent par exemple, d’anciens cadres d’Alstom.

Les glissements qui s’opèrent et s’additionnent conduisent également les constructeurs à demander aux sous-traitants de développer des unités de production dans des pays à bas coût, ou de faire sous-traiter à leur tour, une partie des pièces dans ces LLC.

Des cas sont relevés, d’alliances locales montées en France y compris en partenariat avec les constructeurs, mais cassées pour traitement des commandes à l’étranger.

La sous-traitance française subit le handicap de frais de stockage entraînés par la politique du « juste à temps ». Des entreprises ont vu leurs stocks multipliés par 9 en deux ans ; ou ont dû produire des séries de 20 pièces pour sortir un prix accepté par le constructeur… qui n’en commande que deux.

La politique de l’enchère inversée se généralise, qui consiste à voir l’acheteur prendre l’initiative en diffusant son cahier des charges vers une cible de fournisseurs contraints de faire des propositions de prix compétitives ; ce qui tire tous les prix vers le bas et ne laisse que rarement une marge acceptable au terme d’une logique intégrale de moins-disant.

Enfin et c’est un enjeu majeur, le déréférencement est devenu une règle, au point par exemple que pour le PHD (porteur haute densité ou TER 2 niveaux), beaucoup de sous-traitants ne sont pas consultés.

C’est particulièrement intolérable car la production annoncée de 40 voitures par mois permettrait de faire vivre l’ensemble de l’industrie ferroviaire sous-traitante du Nord de la France, au lieu d’être attribuée à la Tchéquie.

Les acteurs de la filière ferroviaire indiquent que ce projet de 8 milliards d’euros qui répond aux commandes des régions françaises, commandes publiques financées par conséquent par le contribuable, s’est monté sur le prix et sur les capacités de réponse de l’Europe de l’Est. Vendu trop bas par Bombardier, le projet PHD contribue ainsi à cautionner l’ensemble des pratiques dénoncées ci-dessus et constatées sur le terrain.

Autre exemple des conséquences de ces dérives : la situation du parc industriel fournisseurs implanté auprès du site de Bombardier Crespin, qui montre le ralentissement de la sous-traitance confiée par le constructeur canadien.

Au départ en janvier 2007, c’était un projet extrêmement ambitieux : 60 000 m² de bâtiments ; 40 millions d’investissements et 500 emplois nouveaux annoncés. Trois ans plus tard, seules trois sociétés y sont installées. D’autres devraient suivre ?...

5. Autre enjeu majeur : le fret

Le 28 juin 2005 à l’Assemblée nationale, le député communiste du Nord Georges Hage interrogeait le gouvernement sur les conséquences de l’ouverture en France, à la concurrence, du transport international de fret ferroviaire.

Le gouvernement, qui refusait de s’écarter de « cette voie dangereuse » dénoncée par Georges Hage, répondait :

« Cette procédure s’inscrit dans le cadre de l’ouverture du marché du transport ferroviaire du fret, voulue par la Commission européenne et affirmée dans son livre blanc : “La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix”, afin que ce mode de transport retrouve un niveau de compétitivité lui permettant de rester l’un des acteurs majeurs du système des transports dans une Europe élargie, notamment vis-à-vis de la concurrence du mode routier. »

Cinq ans plus tard, le constat est accablant ainsi que ne peut que le reconnaître le rapport Grignon sur cette question, publié fin octobre 2010. Et la nouvelle politique de fret avalisée par le gouvernement, et que la SNCF veut imposer, fait l’unanimité contre elle. Les cheminots, les élus territoriaux, les entreprises, les opérateurs, contestent le choix d’abandonner le wagon isolé, les fermetures de sites, les suppressions de milliers d’emplois cheminots en résultant, les conséquences pour l’environnement qui rangent d’ores et déjà le Grenelle de l’environnement au grenier des engagements « oubliés ».

Dans une réponse à une question d’Alain Bocquet sur l’abandon du fret SNCF par l’entreprise Ardam Electrolux de Revin, dans les Ardennes, le ministère de l’économie répondait en août 2008 : « S’agissant des moyens de transport de marchandises, le directeur d’Electrolux insiste sur le fait que la SNCF a arrêté le service wagons isolés de sa propre initiative. » Mais qu’ont fait les pouvoirs publics pour permettre de revenir sur cet abandon ?

Des centaines d’exemples semblables peuvent être relevés. D’autres le seront encore, de plus en plus, si rien ne change, si rien n’est fait pour rompre avec le suivisme actuel de l’État vis-à-vis de l’entreprise nationale. Qui ne dit mot consent !

Et l’on attend encore de voir les prolongements que le Gouvernement donnera à l’engagement pris par le ministre de l’industrie le 29 avril 2010, en réponse à l’interpellation de Jean-Jacques Candelier, député du Nord, concernant le sauvetage et le développement du constructeur douaisien de wagons-marchandises Arbel Fauvet Rail (AFR), et la gare de triage de Somain (400 emplois) dont les cheminots mènent depuis l’été 2009 une lutte unitaire pour maintenir et développer l’activité de triage.

« Je suis prêt à examiner la possibilité de développer une filière de wagons fret qui nous permette de démontrer que, dans ce bassin d’emploi, il y a une vraie viabilité pour cette activité. »

Dans ce bassin d’emploi mais aussi sur l’ensemble du territoire national et au-delà en Europe.

Le 18 février dernier à Zürich, sept grandes entreprises européennes de fret ferroviaire ont conclu officiellement l’alliance XRail en vue « de rendre plus performantes et plus attractives pour le client, les offres de transport international par wagons isolés ».

Leur déclaration commune s’appuie sur le fait que le transport par wagons isolés « représente environ 50 % du fret ferroviaire européen et, selon des études réalisées, présente un potentiel de croissance important au niveau international ».

La Tchéquie, le Luxembourg, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Autriche, la Hongrie, la Suisse et la Belgique en seront bénéficiaires. Mais pas la France. SNCF et gouvernement restent à l’écart de la démarche – pourtant initiée par la SNCF ! – et qu’approuvent les syndicats cheminots.

Le 19 mars 2010 les principales organisations syndicales cheminots et des associations environnementales ont adopté une déclaration commune revendiquant un débat public sur ces enjeux.

On peut y lire notamment : « Le fret ferroviaire de proximité, cette technique du wagon isolé, est stratégique pour relever le défi de la lutte contre le changement climatique et celui de l’aménagement du territoire. S’en désengager pour un opérateur public, comme la SNCF, est absurde et cela constitue une faute lourde pour la France. L’Europe l’a compris, 7 des grands opérateurs ferroviaires s’unissent pour construire un projet de nouveau modèle économique dans ce domaine, la SNCF s’y refuse. Cette coopération (nommée X Rail) va être influente dans 11 pays. La France, avec la SNCF, aurait-elle raison contre tous en restant à l’écart ? C’est impensable ! »

« Nous réaffirmons que les effets bénéfiques à long terme du plan ferroviaire d’avenir (combiné, autoroute ferroviaire …) ne doivent pas être anéantis par l’abandon du fret de proximité. Il y a deux choses différentes. Seule l’addition plan fret d’avenir et wagon isolé en proximité peut permettre de relever le défi du report modal. L’option, cautionnée par le gouvernement, sur laquelle s’obstine la SNCF, provoquera d’ici à 2020 une émission supplémentaire de 3 millions de tonnes équivalent CO2, et encore sous réserve que le plan d’avenir réussisse. Ce n’est pas acceptable !!! La France, qui sur la scène internationale prétend devenir la meilleure élève en matière d’environnement, ne peut pas continuer sur cette voie. »

Le 3 juin, plusieurs centaines de personnalités, parlementaires et anciens ministres, responsables syndicaux, dirigeants d’ONG de défense de l’environnement et trois anciens ministres des transports ont rendu public un appel national revendiquant que le plan fret SNCF soit revu d’urgence.

Début juillet, les organisations représentatives des principaux chargeurs ont dénoncé avec virulence la restructuration du fret et demandé la médiation du gouvernement. L’Association française des wagons particuliers, la Confédération française pour l’habitat, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, la Fédération française de l’acier, l’Union des industries chimiques, le Groupe des fédérations industrielles… et d’autres avec eux, ont affirmé que la réorganisation du fret SNCF dénommée « multi-lots, multi-clients », « n’est pas une réponse aux besoins des chargeurs ».

Et en raison des tergiversations actuelles, les contraintes pesant sur les sous-traitants et PME de cette branche de l’industrie ferroviaire, se traduisent par des situations et des décisions dramatiques comme la liquidation de l’entreprise amandinoise Delos (50 emplois) tandis que dans le bassin valenciennois et dans la seule région Nord–Pas-de-Calais de nombreuses autres PME sont menacées : AFR qui vient d’arracher une décision favorable du Tribunal de Commerce de Paris peut repartir avec 80 emplois sauvegardés mais sur 226 ; Mécastamp à Hénin-Beaumont (140 salariés), Amesco à Vieux-Condé (15 salariés), les Forges de Fresnes (58 salariés), la SAEP à Saint-Amand-les-Eaux (120 salariés) dont les responsables syndicaux écrivaient fin mars 2010 au représentant de l’État dans le bassin valenciennois : « Nous sommes essentiellement sous-traitant dans le domaine ferroviaire qui représente 70 % de notre chiffre d’affaire annuel. Nous n’avons aucune prévision de commandes pour le ferroviaire en 2011, et étant donné la valeur que cela représente, nous sommes voués à une mort certaine. Nous avons appris récemment qu’une grosse partie des contrats chez Alstom et Bombardier partent vers les pays de l’Est. Nous sommes très inquiets sur le devenir de notre société et de tous les autres sous-traitants régionaux. Notre souhait est de trouver au plus vite, un appui politique qui nous aidera certainement dans notre combat contre la délocalisation du travail en France. Nous ne pouvons pas accepter que ces trains destinés au réseau ferroviaire français soient fabriqués en dehors de la France. Nous estimons que les sociétés Bombardier et Alstom qui ont obtenu de l’État français des contrats et des aides financières pour Alstom, n’ont pas à délocaliser ce travail au détriment des travailleurs français. C’est notre technicité et notre savoir-faire que l’on est en train de tuer. Que vont devenir tous ces travailleurs de la métallurgie française ? Sommes-nous voués à nous expatrier afin d’assurer à nos familles le minimum vital. »

L’érosion se poursuit d’ailleurs début octobre 2010 où les syndicats cheminots annoncent la suppression à terme, de 70 postes sur 100 affectés au fret à Aulnoye-Aymeries, au détriment d’autant de familles et de l’économie du bassin de la Sambre.

Le gouvernement a promis en septembre 2009 un engagement national de sept milliards d’euros d’ici à 2020 et la SNCF mobilise un milliard d’euros d’ici 2015. Mais près d’un an plus tard, du fait de la lenteur de l’activation de ces dispositifs et du cap maintenu sur les options de casse retenues par la SNCF, rien ne vient sur le terrain où toutes les entreprises affichent un chiffre d’affaires en baisse de 30 % sur 2008 ; et où ne subsistent qu’environ 1400 emplois sur le plan national dont la moitié en Nord–Pas-de-Calais.

Inscrites dans les logiques précédentes, les dispositions qui menacent ne feront que renforcer, ou pire, le constat que l’on peut établir aujourd’hui. En 2000 l’objectif du gouvernement était de doubler la part du fret ferroviaire à l’horizon 2010. Et cette part a diminué passant de 14 % en 2003 à 11,4 % en 2008 !

6. Pour la constitution d’un pôle industriel ferroviaire du fret

Dans un contexte très dur pour la filière, le mouvement syndical avance la proposition de constitution d’un pôle industriel ferroviaire, national ou régional, du fret.

Pôle qui proposerait « une offre globale dans l’étude, la construction ferroviaire, la maintenance de tous types de wagons (citernes, containers, trémies pour céréales et agrégats …) ». Et dont les entreprises partenaires auraient vocation à devenir ou redevenir des sous-traitants de la fabrication du matériel pour l’activité ferroviaire « voyageurs ». Alstom et Bombardier devant être d’ailleurs sollicités dans cette perspective.

L’actualité de ces dernières semaines montre qu’il est possible d’inciter très fortement ces groupes à prendre en compte ces enjeux. C’est d’abord l’annonce (arrachée par la mobilisation des salariés) de leur participation financière (à hauteur d’un million d’euros chacun) au sauvetage de la PME sous-traitante ferroviaire Sofranor (158 salariés). Sofranor dont les responsables syndicaux ont rappelé l’exigence de contrats mutuellement avantageux entre équipementier et donneurs d’ordres, afin de pérenniser activité, savoir-faire et emplois.

C’est ensuite, autre exemple, la publication par Alstom, sur demande des élus territoriaux auteurs d’une commande publique, de la liste des sous-traitants français impliqués dans la production des rames achetées.

« Alstom livre le nom de ses de ses sites et de ses sous-traitants.

« Alstom a été retenu pour l’attribution de sept rames fermes pour la ligne 2 du tram dans le Valenciennois (lire aussi en page 10). Francis Berkmans a demandé des garanties quant à la fabrication française du produit. Dans son communiqué de presse adressé hier, Alstom précise que les rames Citadis seront “conçues et assemblées dans les sites Alstom Transport en France”. À savoir, à Petite-Forêt (gestion du projet), La Rochelle (construction des rames), Ornan (fabrication des moteurs), Le Creusot (fabrication des bogies) et Villeurbanne (fabrication de l’électronique embarquée). Pour la première fois, Alstom précise le nom des entreprises du Nord–Pas-Calais qui contribueront à la production des rames : Valdunes, Faiveley et Almet. » (La Voix du Nord du 6/10/2010)

Pourquoi ne pas transformer cet acquis en obligation systématique de transparence dans les choix ?

Double preuve est ainsi apportée qu’il est possible d’obtenir des avancées. L’évolution de la législation devrait – et c’est d’abord responsabilité d’État – y contribuer enfin.

L’industrie ferroviaire française est en crise. Dotée d’atouts considérables, présente sur le marché français et à l’international, appuyée sur des outils technologiques et des sites de production de haut niveau, bénéficiant de salariés et cadres aux savoir-faire considérables, elle dispose des moyens nécessaires pour passer le cap.

Elle se heurte aujourd’hui sous couvert de mondialisation invoquée par les groupes constructeurs présents sur notre territoire, à des pratiques qu’il convient d’inventorier pour faire la clarté sur les causes des difficultés de la sous-traitance, et déterminer les moyens d’y remédier (clauses de « production locale » intégrées aux marchés publics et mettant l’accent sur l’emploi sur place ; intégration dans les marchés de clauses écologiques et développement durable ; bilan carbone ; hygiène, santé et sécurité des travailleurs ; séquençage des appels d’offres en lots limitant l’espace ouvert aux pays à bas coût …).

Il est notamment urgent de répondre à la nécessité que ce réseau de sous-traitants soit associé aux marchés publics décrochés par ces groupes. L’argent public ne peut pas contribuer à la casse d’entreprises et à la liquidation de milliers d’emplois industriels comme c’est le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, la fragilité de la situation du fret ferroviaire et l’opposition très large manifestée au plan fret SNCF exigent que l’Assemblée nationale investisse ce champ d’activité industrielle et soit source de propositions pour défendre l’emploi et pour répondre aux besoins des bassins d’emploi, des entreprises clientes et des sous-traitants du secteur ferroviaire, ainsi qu’aux enjeux écologiques.

Enfin la création d’une commission d’enquête parlementaire sur ces enjeux aurait à débattre des initiatives qu’il appartient au gouvernement de prendre sur le plan européen, pour coordonner et impulser les activités industrielles ferroviaires, et pour lutter contre le dumping social, fiscal et environnemental que favorise l’absence d’harmonisation, par le haut, des réglementations et des fiscalités des différents États de l’Union européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

En application de l’article 140 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur la situation de l’industrie ferroviaire française, les pratiques pénalisant la sous-traitance, les moyens de pallier à ces difficultés, les solutions à mettre en œuvre pour pérenniser cette industrie, y compris le secteur du fret, développer l’emploi et améliorer les conditions de travail dans la filière.


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