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N° 3426

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mai 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux réguler la production d’immobilier d’entreprise
et à favoriser la
transformation de bureaux en logements,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christophe CARESCHE, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Tony DREYFUS, Danièle HOFFMAN-RISPAL, Jean-Marie LE GUEN, Annick LEPETIT, Sandrine MAZETIER, George PAU-LANGEVIN, et Daniel VAILLANT,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise du logement frappe durement les français. Notre pays semble s’installer durablement dans un régime de pénurie dans lequel le logement devient un bien de plus en plus rare et de plus en plus cher. Cette réalité est particulièrement sensible à Paris et en Île-de-France. Cette région connaît un déficit de construction de logement qui n’a cessé de se confirmer ces dernières années. Alors qu’il faudrait construire 70 000 logements par an pour couvrir les besoins, liés notamment à l’arrivée de 100 000 habitants supplémentaires chaque année depuis dix ans, le rythme de construction en Île-de-France est moitié moindre.

Les plus modestes sont les premiers concernés par cette situation; incapables d’accéder à un logement décent, ils sont repoussés à la périphérie de l’agglomération. Mais ils ne sont pas les seuls. Les catégories moyennes doivent faire face à une augmentation des loyers sans précédent. Et, alors qu’elles pouvaient espérer, il y a quelques années encore, acquérir un logement, cet espoir s’est aujourd’hui évanoui avec l’envolée du prix du mètre carré.

Les ressortissants des pays étrangers dont l’entreprise s’installe en Île-de-France ont également les plus grandes difficultés à trouver à se loger.

La pénurie qui caractérise la situation du logement en Île-de-France n’est pas seulement injuste socialement, elle menace son économie, notamment par l’allongement des temps de transport, et affaiblit son attractivité.

Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce phénomène: absence de terrains, insuffisance des investisseurs... Mais peu d’observateurs ont souligné le rôle joué par l’immobilier d’entreprise dans la dégradation de la situation du logement. Loin d’être séparés, ces deux marchés s’influencent mutuellement. Dans un territoire où le foncier est rare et cher, privilégier la construction de bureaux et d’entrepôts c’est consacrer moins de terrains et de droits à construire pour le logement. Dans un système où les capacités de financement sont nécessairement limitées, encourager les investisseurs à s’engager dans l’immobilier d’entreprise c’est les dissuader d’investir dans le logement.

Une récente note de la société « Immogroup Consulting », intitulée ; « crise du logement : la mise en accusation de l’immobilier d’entreprise », montre que l’évolution de la construction de l’immobilier d’entreprise a été ces dernières années constamment supérieure à celle de la construction de logements, en Île-de-France. « Ainsi, au cours de la dernière décade, le parc francilien de bureaux a crû en moyenne de près de 1,9 % par an et celui des entrepôts de 7% par an quand le parc de logements n’aura guère progressé annuellement de plus de 0,9 %... Chiffre plus révélateur encore : entre 1999 et 2009, la variation annuelle moyenne des surfaces mises en chantier a été positive de + 3,1% en bureaux, locaux d’activités et entrepôts alors qu’elle a été négative en logements (– 2,7 %) ».

Cette évolution a conduit à une surproduction de locaux d’entreprise, alors que la création de logements, elle, marquait le pas, s’établissant à un niveau très inférieur aux objectifs souhaitables.

Ainsi, ce sont des millions de mètres carrés de bureaux ou d’entrepôts qui ne trouvent pas preneurs (40 % de la production livrée en 2010, soit 300 000 m², n’ont pas encore trouvé preneur) alors que les franciliens n’arrivent pas à se loger convenablement, à des prix raisonnables.

Cette situation, dénoncée à juste titre par le collectif « Jeudi noir », est d’autant plus absurde et choquante, qu’une partie du parc de bureaux est obsolète et ne répond plus aux normes de performance exigées par les entreprises. C’est notamment le cas de certains bureaux créés dans les anciens immeubles dits « haussmaniens », destinés originellement au logement, du centre de Paris.

Dès lors une politique conséquente devrait s’atteler à rééquilibrer l’offre immobilière au profit du logement, en poursuivant un double objectif.

Il s’agit, tout d’abord de mieux réguler la production de bureaux et de locaux d’activité qui consomme de l’espace et des investissements. Au moment où le marché de l’immobilier de locaux d’entreprise repart, il est impératif de maîtriser son évolution, qui risque, une fois de plus, de conduire à un emballement et à une offre pléthorique. Contrairement aux prévisions des opérateurs de ce marché qui entretiennent sciemment une certaine opacité, l’Île-de-France n’est pas menacée par une pénurie de locaux professionnels. Ainsi, Immogroup Consulting estime que « pour les bureaux, l’excédent à un an s’inscrit entre 1,8 et 2,5 millions de mètres carrés par an depuis 2003 ». Il convient donc de favoriser une croissance plus responsable et plus qualitative de l’immobilier d’entreprise

Il faut, ensuite favoriser la reconversion de bureaux en logements. Il n’est pas acceptable qu’un certain nombre de bureaux restent inoccupés, parfois durant des années, alors que les logements manquent. Ce sont plusieurs milliers de logements qui pourraient être créés par la reconversion de bureaux en logements (pour le seul centre de Paris, on peut évaluer cette potentialité à plus de trois mille). Il faut donc inciter les opérateurs, notamment institutionnels, à reconvertir une partie des surfaces professionnelles qu’ils possèdent, en particulier celles qui sont touchées par l’obsolescence, en logements.

La poursuite de ce double objectif passe par la mobilisation des communes qui, à travers les documents d’urbanisme, peuvent maîtriser la destination des sols et reconsidérer la part des terrains réservés à l’activité et ceux dédiés au logement. De même, peuvent-elles aider à la transformation de bureaux en logements. Ainsi on pourrait concevoir des dispositions qui conditionnent la construction de bureaux neufs par un opérateur à la reconversion d’une partie de son parc vieillissant en logements. La concentration des opérateurs intervenant sur ce marché rend possible ce type d’opérations.

Mais force est de constater que le volontarisme fait souvent défaut et, même que, dans certains cas, des communes pratiquent un véritable malthusianisme en matière de logements et pas seulement dans le domaine social. D’autres moyens doivent, donc, être envisagés.

D’ores et déjà, il existe une taxe sur les bureaux en Île-de-France qui peut contribuer à une meilleure régulation du marché. Son montant, qui a longtemps été sous-évalué, et qui est donc resté peu dissuasif, vient d’être revalorisé très fortement cette année afin de financer le projet du Grand Paris Express. Cette taxe a été augmentée de 40 % à plus de 200 % suivant les zones. Il faudra examiner les répercussions de cette augmentation sur les nouvelles mises en chantier. En attendant il ne paraît pas raisonnable d’envisager une nouvelle augmentation.

En revanche, cette taxe pourrait être complétée par des mesures à la fois contraignantes et incitatives destiné à limiter la vacance des bureaux et des locaux d’activité et à encourager leur transformation en logements. C’est l’objet de cette proposition de loi.

Il s’agit, d’une part, de créer une taxe sur les bureaux et les locaux d’activité vides en Île-de-France et, d’autre part, de prévoir des exonérations fiscales sur les plus-values réalisées lors de la cession d’un local professionnel aux fins de transformation en logements locatifs.

La création d’une taxe sur les locaux d’entreprises vides (article 1er) vise à étendre une disposition qui concerne, d’ores et déjà, les logements. La taxe sur les logements vacants a été créée en 1998 (loi du 29 juillet 1998) et n’a jamais été remise en cause depuis. Même si son montant mériterait d’être revalorisé, cette taxe a eu un effet positif incontestable sur la vacance, en incitant les propriétaires à gérer leur bien de manière plus dynamique. Une étude de l’ANAH de 2008 a montré que la vacance de longue durée (supérieure à 2 ans) a plus baissé dans les agglomérations concernées par la taxe que dans le reste de la France.

C’est dans le même esprit que pourrait être créée une taxe sur les locaux d’entreprise vides. Cette taxe annuelle concernerait les bureaux vacants, mais aussi tous les locaux à usage d’activité, de stockage, d’exposition et les surfaces de stationnement annexés à ces locaux.

Seraient toutefois exonérés de cette taxe les services d’intérêt général et les territoires situés en zone franche ou en zone de redynamisation urbaine.

Cette taxe ne concernerait que l’Île-de-France, région la plus concernée par ce phénomène de vacance.

Le montant de cette taxe serait modulable suivant les trois circonscriptions retenues pour la mise en œuvre de la taxe sur les bureaux. Cette taxe serait exigée dès la deuxième année de vacance et son montant doublerait chaque année. Il s’agit d’inciter fortement les propriétaires, soit à moderniser leur bien, soit à le vendre, soit à le transformer en logements par eux mêmes ou en le cédant à cette intention. En taxant rapidement la vacance, il s’agit, également, de dissuader la construction de bureaux dits « en blanc », sans affectation préétablie, qui alimentent la bulle spéculative de l’immobilier de bureaux.

Dans l’hypothèse où le propriétaire décide de céder son local pour réaliser des logements, il a paru utile de prévoir une incitation financière destinée à encourager cette opération.

C’est l’objet de l’article 2 de cette proposition de loi qui prévoit une exonération fiscale des plus values réalisées lors de la cession d’un local professionnel aux fins de transformation en logements locatifs. Cette exonération concernerait uniquement le logement locatif et plus particulièrement le logement social, puisqu’elle bénéficierait aux opérations comprenant au moins 80 % de logements sociaux. Il apparaît souhaitable que cette exonération ne soit pas limitée à l’Île-de-France et qu’elle concerne l’ensemble du territoire national.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article 231 ter du code général des impôts, il est inséré un article 231 quater ainsi rédigé :

« Art. 231 quater. – I. – Une taxe annuelle sur les locaux à usages professionnels vacants depuis plus d’un an est perçue, dans les limites territoriales de la région d’Île-de-France, composée de Paris et des départements de l’Essonne, des Hauts-de-Seine, de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Val-d’Oise et des Yvelines. Le produit de la taxe est versé à l’Agence nationale de l’habitat.

« II. – Sont soumises à la taxe les personnes privées ou publiques qui sont propriétaires de locaux imposables ou titulaires d’un droit réel portant sur de tels locaux.

« La taxe est acquittée par le propriétaire, l’usufruitier, le preneur à bail à construction, l’emphytéote ou le titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive d’un droit réel qui dispose, au 1er janvier de l’année d’imposition, d’un local taxable.

« III. – La taxe est due pour les locaux :

« – à usage de bureaux, qui s’entendent, d’une part, des bureaux proprement dits et de leurs dépendances immédiates et indispensables destinés à l’exercice d’une activité, de quelque nature que ce soit, par des personnes physiques ou morales privées, ou utilisés par l’État, les collectivités territoriales, les établissements ou organismes publics et les organismes professionnels, et, d’autre part, des locaux professionnels destinés à l’exercice d’activités libérales ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif ;

« – à usage d’activités PME /PMI et de production: locaux ou aires couvertes destinés à abriter un usage mixte activités (dont production)/bureaux ;

« – à usage de stockage/atelier : locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage (permanent ou provisoire) de produits ou de biens, sans être intégrés à un établissement de production ;

« – à usage de parcs d’exposition et congrès.

« Les surfaces de stationnement des véhicules, couvertes ou non, qui sont annexées aux locaux imposables, sont également concernées par la taxe.

« IV. – Pour le calcul des surfaces visées au 3° du V et au VI, il est tenu compte de tous les locaux de même nature, hors parties communes, qu’une personne privée ou publique possède à une même adresse ou, en cas de pluralité d’adresses, dans un même groupement topographique.

« V. – Sont exonérés de la taxe :

« 1° Les locaux à usage de bureaux situés dans une zone de redynamisation urbaine ou dans une zone franche urbaine, telle que définie par les A et B du 3 de l’article 42 modifié de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire ;

« 2° Les locaux appartenant aux fondations et aux associations, reconnues d’utilité publique, dans lesquels elles exercent leur activité, ainsi que les locaux aménagés pour l’archivage administratif et pour l’exercice d’activités de recherche ou à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel ;

« 2° bis Les locaux administratifs des établissements publics d’enseignement du premier et du second degré et des établissements privés sous contrat avec l’État au titre des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l’éducation.

« VI. – Les tarifs sont applicables dans les conditions suivantes :

« Un tarif distinct au mètre carré est appliqué par circonscription, telle que définie ci-après :

« 1° Première circonscription : Paris et le département des Hauts-de-Seine ;

« 2° Deuxième circonscription : les communes de l’unité urbaine de Paris telle que délimitée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et du budget autres que Paris et les communes du département des Hauts-de-Seine ;

« 3° Troisième circonscription : les autres communes de la région d’Île-de-France.

« Par dérogation, les communes de la région d’Île-de-France éligibles à la fois, pour l’année en cause, à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et au bénéfice du fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, respectivement prévus aux articles L. 2334-15 et L. 2531-12 du code général des collectivités territoriales, sont, quelle que soit leur situation géographique, classées pour le calcul de la taxe dans la troisième circonscription.

« Dans chaque circonscription, pour le calcul de la taxe relative aux locaux vacants à usage de bureaux, un tarif réduit est appliqué pour les locaux possédés par l’État, les collectivités territoriales, les organismes ou les établissements publics sans caractère industriel ou commercial, les organismes professionnels ainsi que les associations ou organismes privés sans but lucratif à caractère sanitaire, social, éducatif, sportif ou culturel et dans lesquels ils exercent leur activité.

« Les tarifs annuels au mètre carré sont fixés conformément aux dispositions ci-dessous (en euros) :

« Bureaux

1re circonscription

2e circonscription

3e circonscription

Vacance

Tarif
normal

Tarif
réduit

Tarif
normal

Tarif
réduit

Tarif
normal

Tarif
réduit

2e année

32

15

19

11,5

11

9,5

3e année

64

30

38

23

22

19

4e année

96

45

57

34,5

33

28,5

Plus de 4 ans

192

90

114

69

66

57

« Locaux de stockage/ateliers

Vacance

1re circonscription

2e circonscription

3e circonscription

2e année

10

6

4

3e année

20

12

8

4e  année

30

18

12

Plus de 4 ans

60

36

24

« Locaux d’activités PME/PMI et de production

Vacance

1re circonscription

2e circonscription

3e circonscription

2e année

16

10

5

3e année

32

20

10

4e année

48

30

15

Plus de 4 ans

96

60

30

« Aires de stationnement annexes

vacance

1re circonscription

2e circonscription

3e circonscription

2e année

2,1

1,2

0,6

3e année

4,2

2,4

1,2

4e année

6,3

3,6

1,8

Plus de 4 ans

12,6

7,2

3,6

« Une augmentation de 35 % de ces tarifs sera appliquée aux locaux neufs (date de la déclaration d’achèvement des travaux inférieure ou égale à 5 ans au moment de la déclaration fiscale).

« Ces tarifs, fixés au 1er janvier 2012, sont actualisés par arrêté du ministre chargé de l’économie au 1er janvier de chaque année en fonction du dernier indice du coût de la construction publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Les valeurs sont arrondies, s’il y a lieu, au centime d’euro supérieur. »

« VII. – La taxe n’est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable.

« VIII. – Le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à la taxe sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires jusqu’au 31 décembre 2003.

« Le privilège prévu au 1° du 2 de l’article 1920 peut être exercé pour le recouvrement de la taxe.

« IX. – Définition de la vacance

« Il s’agit de locaux ayant une consommation énergétique insuffisante et/ou vides de meubles ou disposant d’un mobilier insuffisant pour en permettre l’usage, au 1er janvier de l’année d’imposition.

« Obligation est faite au bailleur de mentionner dans la déclaration annuelle relative au paiement de la taxe sur les bureaux si les locaux sont vides ou non et, s’ils sont occupés, d’indiquer le nom du ou des locataires, la date d’effet du ou des baux et les surfaces utiles louables occupées et/ou vides. »

Article 2

L’article 210 E du code général des impôts est complété par les dispositions suivantes :

« VI. – Les plus-values nettes dégagées lors de la cession d’immeubles de bureaux situés dans les zones géographiques A et B1 telles qu’elles sont définies pour l’application de l’article 199 septvicies du code général des impôts par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun sont exonérées d’impôt dès lors que le cessionnaire s’engage à les transformer, dans un délai de trois ans, pour au moins 80 % de leur surface en logements locatifs sociaux au sens de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation.

« Le non-respect de ces conditions par le cessionnaire entraîne l’application de l’amende prévue au I de l’article 1764.

« Ces dispositions s’appliquent aux cessions réalisées jusqu’au 31 décembre 2013. »

Article 3

Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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