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N° 3563

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juin 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à permettre la renégociation d’un contrat en cas de changements
de circonstances imprévisibles durant son exécution
,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marie-Hélène THORAVAL, Patrice VERCHÈRE, René-Paul VICTORIA, Émile BLESSIG, Georges COLOMBIER, Bernard REYNÈS, Josette PONS, Christian MÉNARD, Jean-Michel COUVE, Loïc BOUVARD, Philippe FOLLIOT, Jean PRORIOL, Jacqueline IRLES, Yves FROMION, Jacques Alain BÉNISTI, Jean-Marc ROUBAUD, Jean-Pierre GORGES, Sophie PRIMAS, Bérengère POLETTI, Francis SAINT-LÉGER, Fernand SIRÉ, Lionnel LUCA, Jean ROATTA et Dino CINIERI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La jurisprudence depuis l’arrêt de « Canal de Craponne » en 1872 a toujours refusé de consacrer la théorie de l’imprévision qui permet aux parties et le cas échéant au juge de réviser voire résilier un contrat en cas de changement imprévisible des circonstances après la signature d’un contrat. Or, on constate depuis quelques années que certains arrêts ont amorcé un infléchissement de cette jurisprudence, en incitant les parties à modifier le contrat en cas de modification du contexte, sur le fondement non pas de la théorie de l’imprévision mais de la bonne foi et de l’équité, lorsque l’évolution du contexte rend le contrat ruineux pour l’une des parties (Cass. com., 3 novembre 1992; Cass. com., 24 novembre 1998) ou du moins l’expose à des difficultés sérieuses (CA Nancy, chambre commerciale, 26 septembre 2007).

Plus récemment, un arrêt du 29 juin 2010 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation va encore plus loin puisque en l’espèce, la Cour de cassation a cassé l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel au motif que la Cour d’appel aurait dû rechercher si « l’évolution des circonstances économiques […] n’avait pas eu pour effet […] de déséquilibrer l’économie générale du contrat […] et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat [société ayant refusé d’exécuter le contrat à la suite d’un triplement du prix de pièces de rechange indispensables à l’exécution du contrat] ». Cette justification admet implicitement la possibilité pour le juge de prononcer la caducité du contrat en cas d’imprévision. Cependant, il faut préciser que ce dernier arrêt n’a pas encore été publié au Journal officiel, ce qui en limite de fait la portée.

En tout état de cause, la Cour de cassation limite actuellement le champ d’application de la théorie de l’imprévision aux seuls cas extrêmes où un changement des circonstances économiques ne crée pas un simple déséquilibre dans les contrats mais prive une obligation contractuelle de toute contrepartie réelle et donc de toute cause. Mais, l’évolution de la jurisprudence sur les vingt dernières années crée un contexte particulièrement favorable à l’évolution de la législation proposée.

De plus, les textes européens et plusieurs États membres (Grèce, Portugal, Italie, Allemagne) ont depuis de nombreuses années consacré la théorie de l’imprévision.

En droit français, la théorie de l’imprévision a été introduite dans le code des marchés publics (article 18 modifié par le décret n° 2008-1335 du 19 décembre 2008 de mise en œuvre du plan de relance économique dans les marchés publics afin d’imposer la clause d’indexation des prix dans les marchés de plus de 3 mois). L’article dispose ainsi : « Tout contrat ou toute relation commerciale établie entre donneurs d’ordres et un sous-traitant, prestataire ou fournisseur, avec ou sans commande ouverte ou accord cadre, dont la durée d’exécution est supérieure à 3 mois et qui nécessite, pour sa réalisation, le recours à une part importante de matières premières dont le coût est affecté par les fluctuations des cours ou prix de marché, ou à des fournitures utilisant une part importante de telles matières, comportent une clause d’indexation du prix permettant la prise en compte de ces fluctuation. »

Enfin, depuis la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, un fondement légal a été donné à la révision du prix des transports en fonction de la variation du prix du carburant. Ces dispositions ont en effet modifié l’article 24 de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 et ont ainsi mis en place le mécanisme de répercussion des variations du prix pour permettre aux entreprises de ne pas subir de plein fouet une tendance à la hausse des produits pétroliers. La loi n° 95-96 modifiée étant d’ordre public, les dispositions de la loi n° 2006-10 sont devenues, elles aussi, d’ordre public et il est donc impossible d’y déroger même contractuellement.

D’un point de vue économique, la renégociation des contrats en cas de changement de circonstances imprévisibles à la signature du contrat se justifie par la multiplication et l’accélération des relations entre les parties et l’amplification des variations des cours des matières premières. Elle vise à limiter le nombre de défaillances d’entreprises et à préserver l’emploi dans des secteurs d’activités soumis à des obligations contractuelles risquées desquelles les entreprises contractantes sont souvent prisonnières en raison du déséquilibre de taille et de moyens qu’il existe entre elles et leurs partenaires commerciaux. Le professeur de droit M. Ghestin explique d’ailleurs : « Moralement souhaitable, la révision ou l’adaptation du contrat devient économiquement indispensable. L’utilité sociale commande qu’un déséquilibre excessif des prestations, constitutifs d’une trop grande injustice, soit désormais pris en considération par le droit positif. »

Cette proposition de loi vise donc à introduire un article unique sur le traitement du déséquilibre survenu en cours d’exécution d’un contrat, inspiré de la théorie de l’imprévision. Cet article vise les hypothèses où du fait d’un changement de circonstances, indépendant de la volonté des parties, le contrat devient déséquilibré, rendant très difficile l’exécution de son obligation par l’une des parties. Le texte proposé exige que l’exécution du contrat devienne excessivement onéreuse pour l’une des parties, en raison d’un changement imprévisible, dont celle-ci n’avait pas assumé d’accepter le risque. Dans cette hypothèse, à défaut de renégociation amiable, le juge pourra, si les parties en sont d’accord, adapter le contrat, ou à défaut y mettre fin. Afin d’éviter les contestations dilatoires, il est en outre précisé que la partie qui demande la renégociation doit continuer à exécuter ses obligations dans l’attente de la décision du juge.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article 1134 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Si un changement de circonstances imprévisible, rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d’accord, procéder à l’adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe. »


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