Accueil > Documents parlementaires > Amendements
Version PDFRetour vers le dossier législatifVoir le texte de référenceVoir le compte rendu

APRÈS ART. 24N°1405 (Rect)

ASSEMBLÉE NATIONALE
2 juin 2016

RELATIF À LA TRANSPARENCE, À LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET À LA MODERNISATION DE LA VIE ÉCONOMIQUE - (N° 3785)

Commission
 
Gouvernement
 

Adopté

AMENDEMENT N°1405 (Rect)

présenté par

M. Potier, Mme Mazetier, M. Denaja, M. Colas, M. Castaner, Mme Errante, M. Galut, M. Cherki, Mme Rabin, Mme Guittet, M. Marsac, M. Philippe Baumel, M. Dufau et M. Hammadi

----------

ARTICLE ADDITIONNEL

APRÈS L'ARTICLE 24, insérer l'article suivant:

I. – Les mesures conservatoires mentionnées au livre V du code des procédures civiles d’exécution ou les mesures d’exécution forcée mentionnées aux articles L. 211‑1 à L. 211‑5 du même code ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un État étranger que sur autorisation préalable du juge par ordonnance rendue sur requête.

II.– 1° Aucune mesure conservatoire et aucune mesure d’exécution forcée mentionnée au I ne peut être autorisée par le juge, à l’initiative du détenteur d’un titre de créance mentionné aux articles L. 213‑1 A du code monétaire et financier ou tout instrument ou droit mentionné à l’article L. 211‑41 du même code présentant des caractéristiques analogues à un titre de créance, à l’encontre d’un État étranger, lorsque les conditions définies aux a, b et c sont remplies :

« a) L’État étranger figurait sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement établie par le comité de l’aide au développement de l’organisation de coopération et de développement économiques lorsqu’il a émis le titre de créance ;

« b) Le détenteur du titre de créance a acquis ce titre alors que l’État étranger se trouvait en situation de défaut sur ce titre de créance ou avait proposé une modification des termes du titre de créance ;

« c) La situation de défaut sur le titre de créance date de moins de quarante-huit mois au moment où le détenteur du titre de créance sollicite du juge une ordonnance sur requête l’autorisant à pratiquer une mesure d'exécution forcée ou une mesure conservatoire, ou la première proposition de modification des termes du titre de créance date de moins de quarante-huit mois au moment où le détenteur du titre de créance sollicite du juge une ordonnance sur requête l’autorisant à pratiquer une mesure d’exécution forcée ou une mesure conservatoire, ou une proposition de modification, applicable au titre de créance, a été acceptée par des créanciers représentant au moins 66 % du montant en principal des créances éligibles, que cette modification ait pu ou non entrer en vigueur ;

« 2° Le juge peut porter les deux limites de délai de quarante-huit mois mentionnées au c du 1° du présent article à soixante-douze mois en cas de comportement manifestement abusif du détenteur du titre de créance ;

« 3° La situation de défaut est définie conformément aux clauses prévues dans le contrat d’émission ou, en l’absence de telles clauses, par un manquement à l’échéance initiale prévue dans le contrat d’émission ;

« 4° Les saisies mentionnées aux articles L. 211‑1 à L. 211‑5 du code des procédures civiles d’exécution et les mesures conservatoires mentionnées au livre V du même code peuvent être autorisées par le juge lorsqu’une proposition de modification des termes du contrat d’émission, applicable au titre de créance détenu par le créancier, a été acceptée par des créanciers représentant au moins 66 % du montant en principal des créances éligibles, est entrée en vigueur, et que le détenteur du titre de créance a sollicité la mise en œuvre d’une ou plusieurs mesures d’exécution forcée ou mesures conservatoires pour des sommes dont le montant total est inférieur ou égal au montant qu’il aurait obtenu s’il avait accepté la dite proposition ;

« 5° Pour l’application des dispositions du présent article, sont assimilés à l’État étranger, l’État central, les États fédérés et les établissements publics ;

« 6° Les dispositions du présent article sont applicables sur tout le territoire de la République française, sous réserve, pour leur application en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, de remplacer les références au code des procédures civiles d’exécution par les dispositions applicables localement ayant le même effet ;

« 7° Ces dispositions s’appliquent aux titres de créances acquis à compter de l’entrée en vigueur du présent article ;

« 8° Pour l’application du présent article, sont assimilées aux titres de créance les créances nées d’une opération de crédit mentionnée à l’article L. 311‑1 du code monétaire et financier. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Eu égard au développement des actions des fonds dits « procéduriers » ou « vautours » et aux effets néfastes sur les restructurations de dette des pays endettés, la mise en place d’un dispositif spécifique apparaît nécessaire.

Ces fonds mettent en œuvre une stratégie qui consiste à racheter au rabais la dette d’un État alors que celui-ci se trouve déjà en situation de difficulté économique grave, voire en situation de défaut de paiement ou en phase de restructuration de sa dette ;. ils refusent ensuite de participer à toute restructuration, quand bien même une large majorité de créanciers y participent, ou même font en sorte de les bloquer quand la restructuration est soumise à la règle de l’unanimité. Ils exigent alors par la voie judiciaire, alors qu’ils ont payé des sommes très inférieures au montant nominal des créances, le paiement en plein du titre de créance ainsi racheté ainsi que les intérêts et pénalités accumulés et en multipliant les recours judiciaires, le cas échéant, dans un grand nombre de juridictions. A de nombreuses occasions, ces recours ont porté sur les fonds provenant de l’aide au pays en développement, aggravant ainsi les difficultés des États en situation financière difficile, qui n’ont souvent pas les moyens matériels et humains d’assurer leur défense devant les tribunaux où ils sont attraits.

Par ailleurs, les créanciers privés acceptant la proposition de restructuration et les créanciers publics,dont l’État français (et ses contribuables ), sont aussi des victimes des fonds procéduriers quand ceux-ci délibérément rendent toute renégociation de dette difficile ou même impossible. Les créanciers dits « procéduriers », par cette stratégie passager clandestin, viennent accroître alors la charge supportée par les créanciers privés et les créanciers publics.Ils entraînent un détourbement de l’affort consenti par les contribuables des pays créanciers.

Ces fonds dits « procéduriers » parviennent parfois à obtenir des décisions de juridictions étrangères qui rendent le recouvrement de leur créance prioritaire sur tout autre paiement de dette extérieure ; de telles décisions bloquent notamment le paiement des créanciers ayant accepté de participer à la restructuration, ce qui crée une rupture d’égalité de traitement entre les créanciers « procéduriers » et ceux qui ont accepté une décote de leur créance en participant à la restructuration. L’activité de ces fonds peut ainsi dissuader les autres créanciers obligataires à participer à une restructuration de dette, quels que soient les termes proposés.

Ces fonds profitent de la situation d’États fortement endettées pour réaliser des profits démesurés par rapport à leur mise de fonds. Ils privent les États en situation difficile de sommes nécessaires à leur développement et au bien-être de leurs populations.

Ces fonds « procéduriers » peuvent ainsi rendre insoluble une situation de surendettement d’un État. La menace que l’activité des fonds « procéduriers » représente sur le fonctionnement des marchés obligataires pourrait également dissuader les autres types de créanciers de financer les États en développement, et notamment les créanciers souverains comme la France. En refusant de participer aux efforts financiers réalisés par toute la communauté financière internationale, ces fonds peuvent affecter le retour du pays à une situation équilibrée, et perturber en particulier les restructurations de dette accordées par l’État français dans le cadre du Club de Paris.

Enfin, en opérant des saisies sur les flux financiers entre les États en développement et leurs partenaires économiques, qu’ils soient souverains ou privés, ces fonds peuvent affecter les relations bilatérales entre l’État français et ces États en développement.

Pour améliorer l’efficacité des restructurations de dettes souveraines, des clauses d’action collective avec agrégation ont été récemment introduites dans la plupart des contrats obligataires, afin d’assurer qu’une proposition de restructuration, dès lors qu’elle remporte l’adhésion d’une très large majorité des créanciers, s’impose à tous. Une telle disposition contractuelle permet aussi, incidemment, de limiter les effets disruptifs sur le fonctionnement des marchés de la dette souveraine que provoquent les fonds dits « procéduriers », dès lors que ceux-ci ne sont pas en mesure de constituer une minorité de blocage. Toutefois, un important stock de créances souveraines reste dépourvu de telles clauses. De plus, les États en développement ne disposent pas toujours des ressources juridiques suffisantes pour s’assurer que leurs levées de dette obligataires sont dûment protégées de l’action de ces fonds dits « procéduriers ».

Il ne s’agit pas d’exonérer les États débiteurs de leurs obligations de rembourser leurs emprunts, à défaut de quoi les créanciers de ces États seront dissuadés de continuer à les financer. La mesure doit donc être circonscrite et protéger les droits des créanciers usuels, y compris lorsque ceux-ci rachètent la dette d’un État en difficulté financière mais encore en mesure d’assurer le service de sa dette, pour éviter de précipiter des situations de défaut de paiement.

Le présent amendement a ainsi pour objectif de priver d’effet les mesures conservatoires et les mesures d’exécution forcée lorsque sont réunies les caractéristiques du comportement d’un fonds « procédurier », à savoir le rachat de créances après un défaut de l’État étranger ou après que celui-ci a proposé une restructuration de sa dette (dans les cas de restructurations préventives à la veille d’un défaut).

Un délai de 48 mois est prévu pour permettre à l’État étranger de mener à bien la restructuration de sa dette et de parvenir à une proposition de restructuration convainquant une large majorité de créanciers. Afin de ne pas pénaliser le créancier, ce dernier recouvre le bénéfice des mesures d’exécution au-delà de ce délai.

En outre, dans la mesure où une offre de restructuration est supposée avoir été calibrée pour permettre un retour de l’État étranger à une situation d’équilibre si elle est acceptée par tous les créanciers auxquels elle a été proposée, le créancier retrouve le plein bénéfice du recours aux procédures civiles d’exécution s’il se contente de réclamer le paiement des montants auxquels lui aurait donné droit la proposition de restructuration acceptée par une large majorité de créanciers, à laquelle il n’a pas participé et/ou consenti pour une quelconque raison (par exemple, parce qu’il n’a pas répondu à temps à l’offre de restructuration).

Cette mesure s’inscrit de façon globale dans la lutte contre les juridictions non coopératives, dans la mesure où de nombreux fonds « procéduriers » y basent leur siège social pour faciliter leurs activités. Il s’agit donc d’un outil supplémentaire permettant de limiter l’avantage comparatif des juridictions non coopératives. Toutefois, la localisation du siège social du fonds « procédurier » dans une juridiction coopérative n’est pas systématique, et constitue en outre un critère trop aisément contournable pour être inscrit dans le texte de la mesure. Il doit toutefois constituer un élément supplémentaire d’attention pour le juge amené à statuer sur une demande d’ordonnance sur requête.

La connaissance de cette disposition au moment de l’acquisition du titre de créance parait nécessaire pour assurer la proportionnalité de la mesure, c’est pourquoi celle-ci ne s’applique que sur les titres achetés après l’entrée en vigueur de la mesure.

Afin d’éviter les contentieux, coûteux pour toutes les parties impliquées, les mesures conservatoires ou les mesures d’exécution précitées ne pourront être mises en œuvre que sur autorisation préalable du juge de l’exécution, saisi sur requête, qui vérifiera que les conditions légales ou conventionnelles sont réunies. Cette décision est rendue non contradictoirement, par application du régime de droit commun de l’ordonnance sur requête (article 493 du code de procédure civile).

En d’autres termes, l’amendement proposé permet de sanctuariser les fonds destinés à l’aide au développement, et permet surtout de protéger les États en bénéficiant lorsqu’ils traversent des crises financières justifiant une procédure raisonnée de renégociation de leurs dettes. Il vise à rendre plus difficiles les comportements de prédation financière. Plus globalement, il participe de l’effort de nombreux pays pour mieux réguler la finance internationale. Il faut signaler que la Grande-Bretagne et la Belgique se sont dotées de lois ayant le même objectif même si elles comportent parfois des dispositifs différents. D’autres pays de l’Union européenne paraissent vouloir suivre cette voie. Dans la mesure notamment où les créanciers concernés par cet amendement ne sont pas privés de tout droit à obtenir le remboursement de leurs créances, le critère de proportionnalité entre l’objectif d’intérêt général visé et les limites apportés aux droit des créanciers est rempli.

Ces dispositions doivent être rendues expressément applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, en raison de leurs statuts spécifiques. Un renvoi sur les dispositions applicables localement est également nécessaire pour leur application en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie en raison de la compétence locale de ces territoires en matière de procédures d’exécution.