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Commission des affaires étrangères

Mercredi 22 mai 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 61

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Paugam, dont la nomination à la fonction de Directrice générale de l’Agence française de développement est envisagée par M. le Président de la République

– Vote sur la proposition de nomination de Mme Anne Paugam.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Paugam, dont la nomination à la fonction de Directrice générale de l’Agence française de développement est envisagée par M. le Président de la République

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons ce matin Mme Anne Paugam dont la nomination au poste de directrice générale de l’Agence française de développement (AFD) est envisagée par le Président de la République, sur proposition du Premier ministre.

Cette audition a lieu en application de l’article 13 de la Constitution dont je rappelle les termes : « Le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. » Vous serez donc appelés, chers collègues, à vous prononcer, par scrutin secret, sur la nomination de Mme Paugam à l’issue de son audition. Elle nous quittera d’ailleurs pour être auditionnée par nos homologues au Sénat. Je signale que la nomination du directeur général de l’AFD est la seule pour laquelle notre commission a compétence pour donner son avis.

Vous connaissez bien, madame Paugam, le monde du développement, auquel vous avez consacré l’essentiel de votre carrière. Vous avez été en poste plusieurs années à la Banque mondiale, au Maroc et à Washington. Vous avez été conseillère technique puis directrice adjointe du cabinet de Charles Josselin, lorsqu’il était ministre de la coopération. Vous avez rejoint l’AFD en 2002, où vous avez exercé plusieurs fonctions de direction avant d’en devenir secrétaire générale de 2007 à 2010. Vous avez quitté l’Agence en 2010 pour retourner à votre corps d’origine, l’inspection générale des finances, où vous avez été désignée référente pour les questions de développement et avez participé à la rédaction de plusieurs rapports sur le sujet.

Quel regard portez-vous sur l’AFD aujourd’hui ? Que pensez-vous des évolutions importantes qu’elle a connues, à la faveur des réformes intervenues dans la dernière décennie ? Ses engagements se sont accrus de manière significative ; ses tutelles lui ont demandé d’étendre ses mandats sur le plan géographique, vers certains pays émergents, et sur le plan sectoriel, vers de nouveaux enjeux et de nouvelles problématiques. Cette forte croissance de l’Agence peut-elle continuer ? Quelle devrait être, selon vous, la place de l’AFD dans le dispositif français d’aide au développement ?

Vous connaissez, je n’en doute pas, les principaux reproches adressés par les parlementaires à l’AFD. C’est par exemple de financer en Afrique des projets finalement réalisés par des entreprises chinoises moins-disantes, selon des pratiques tenues pour déloyales par leurs concurrentes. Comment l’AFD peut-elle contribuer à notre diplomatie économique dans le respect des règles du jeu international ? Ces dernières années, notre commission a également souvent déploré le déséquilibre entre les subventions et les prêts parmi les instruments financiers de l’Agence. Pour certains pays bénéficiaires, l’aide pourrait devenir négative, vu le montant des remboursements qu’ils doivent honorer. Vous nous donnerez enfin certainement, madame, votre sentiment sur le rapport que la Cour des comptes a récemment consacré à l’aide publique française au développement.

Mme Anne Paugam, dont la nomination à la fonction de directrice générale de l’Agence française de développement est envisagée par le Président de la République. Mesdames et messieurs les députés, c’est un moment important pour moi que d’être auditionnée aujourd’hui par votre commission dans le cadre de la procédure rappelée par votre présidente.

J’ai consacré l’essentiel de ma carrière, depuis vingt ans au service de l’État, à la politique d’aide au développement. J’ai eu l’occasion d’en découvrir les multiples aspects, bilatéraux et multilatéraux, managériaux, opérationnels et stratégiques, et surtout de connaître la diversité de ses acteurs, notamment l’AFD où j’ai travaillé huit ans.

La perspective de continuer de servir à la tête de cette très belle agence, une politique au cœur des enjeux de solidarité et des défis de régulation de la mondialisation, ne peut que me mobiliser.

Établissement public à caractère industriel et commercial, actuellement placé sous la triple tutelle du ministère des affaires étrangères, du ministère des finances et du ministère des outre-mer, l’AFD est l’opérateur pivot de l’État pour financer le développement dans les pays du Sud, mais aussi les outre-mer. L’AFD est également une institution financière spécialisée qui, en 2012, a accordé pour quelque sept milliards d’euros d’autorisations de financement, dont environ cinq cents millions d’euros de subventions en faveur des pays les moins avancés et environ cinq milliards de prêts au bénéfice de pays du Sud, pour un coût ne dépassant pas 500 millions d’euros pour le budget de l’État. Son statut bancaire lui permet de lever l’essentiel de ses ressources sur les marchés et ainsi de financer pour un euro d’argent public quelque dix à douze euros en moyenne de projets de développement. Comme toute banque, l’AFD doit être particulièrement exigeante en matière de transparence et de prévention de la corruption et du blanchiment, objectifs aujourd’hui impérieux s’agissant du financement du développement.

Institution bilatérale de coopération, l’AFD doit aussi promouvoir certaines priorités de la France en matière de développement durable. Les pays du Sud, dont elle aide à financer le développement, sont en effet les plus vulnérables au changement climatique, en même temps que leur croissance démographique et économique aggrave les menaces qui pèsent sur la planète. Qui dit développement dit aujourd’hui nécessairement développement respectueux de l’avenir de la planète.

Conformément à la feuille de route tracée par le Président de la République lors des Assises du développement et de la solidarité internationale, l’action de l’AFD doit servir le développement économique des pays bénéficiaires, la sécurité et contribuer à la préservation de notre planète. Pour faire prévaloir ses priorités, la France a besoin d’un outil bilatéral solide et crédible, d’une taille et d’un poids suffisants dans le concert international des bailleurs de fonds, comme en ont un l’Allemagne, le Japon ou le Royaume-Uni. À l’écoute des pays partenaires, cet outil doit être capable de mobiliser à la fois financements et expertise. De ce point de vue, l’Agence part d’une base solide. Elle possède des personnels très engagés et hautement qualifiés. Sa structure financière est saine et son savoir-faire reconnu.

Quels seront ses principaux défis dans les années à venir ? J’en ai identifié trois.

Le premier, qui n’est pas de nature technique mais stratégique, sera de préserver ses capacités d’influence et d’intervention opérationnelle sur le terrain. Vous avez déjà eu l’occasion, lors des débats budgétaires, d’aborder le sujet des fonds propres de l’Agence. Aujourd’hui, le respect des ratios prudentiels limite sa capacité d’intervention dans certains pays. Et cette contrainte va encore se renforcer et jouer dans un nombre plus grand encore de pays. Le moment semble donc venu, en concertation avec les tutelles, de rouvrir sereinement ce dossier.

Deuxième défi : mieux prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans les stratégies opérationnelles et les projets. La question est posée au niveau mondial au sein des Nations unies et au niveau national où on réfléchit aux moyens de faire coïncider les objectifs de développement post-Millénaire et les objectifs de développement durable issus des conférences internationales sur le climat. Le réchauffement climatique ne connaît pas de frontières et la globalisation de l’économie met en en concurrence les systèmes sociaux. L’AFD peut aider à réguler la mondialisation. Il faut renforcer le dialogue avec les pays bénéficiaires sur leurs politiques sectorielles et privilégier les secteurs d’intervention les plus pertinents : efficacité énergétique, transition énergétique, gestion durable des ressources naturelles et du développement urbain. Il faut aussi travailler avec les autres bailleurs pour que les normes sociales et environnementales soient mieux intégrées dans les appels d’offres – j’en avais fait la recommandation dans un rapport de l’IGF. Des travaux ont été lancés sur le sujet qu’il faut faire aboutir. Il y va de la loyauté de la compétition entre les entreprises en même temps que de l’élévation des niveaux de vie et du respect de certains principes que nous souhaitons pour l’ensemble de la planète. L’AFD doit aussi aider davantage ses tutelles dans la préparation des grandes échéances internationales, comme la prochaine conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015. Elle doit aussi s’impliquer dans la structuration du Fonds vert pour le climat qui constituera une source majeure de financement pour les pays pauvres dans les années à venir.

Troisième défi : mieux prendre en compte les savoir-faire et les intérêts économiques français sans dénaturer l’objectif premier qui est le développement durable, et en restant en réponse à la demande des pays. Il faut pour cela, avec l’aide des services compétents de l’État, identifier pays par pays les secteurs forts de l’économie française dans lesquels nos entreprises et nos experts sont bien placés pour répondre à la demande. Combiné à un renforcement du financement de l’expertise par l’AFD, c’est là un moyen de soutenir la projection dans le monde des compétences françaises.

Ces trois axes se déclinent bien entendu de façon différente selon le niveau de développement des pays d’intervention. Dans les pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, l’objectif premier est d’enclencher une dynamique de croissance permettant de réduire la pauvreté et les inégalités, tout en relevant les défis environnementaux. Même dans ces pays, nous ne devons pas négliger la défense de nos intérêts économiques. Mais vu leur niveau de développement, le choix des secteurs d’intervention doit in fine demeurer guidé par leurs besoins.

Dans les pays en crise, l’aide doit tendre à la reprise de l’activité économique et au lancement de travaux à forte intensité de main-d’œuvre, afin de contribuer à l’apaisement des tensions à court terme. Mais il faut aussi porter le regard plus loin et voir quelles actions structurantes pourraient être menées à plus long terme. Le cas du Mali montre l’importance de domaines tels que l’aménagement du territoire et la gestion locale.

A ces deux catégories de pays, doit aller l’essentiel de la ressource en dons. Les plus stables d’entre eux ne doivent toutefois pas exclure de recourir, dans le strict respect de la soutenabilité de la dette, à des prêts très concessionnels. En effet, les dons ne pourront suffire à financer toutes les infrastructures et les services de base dont ces pays ont besoin.

Mais il existe aussi sur le continent africain, qui est d’ailleurs globalement en croissance, des pays qui sont sortis de l’extrême pauvreté et ont amorcé leur décollage. Ce doit être l’occasion de dialogues et de partenariats renouvelés. Il faut y promouvoir des modèles de développement propre assurant la croissance dans le respect de l’avenir de la planète.

Dans les pays du bassin méditerranéen, l’accent doit être mis sur la création d’emplois, pour répondre aux besoins de la jeunesse. Le respect de l’environnement y est une autre priorité. Étant donné le niveau de développement de ces pays, il faut que la réponse que nous y apportons aux besoins des populations serve au maximum les secteurs forts de notre économie. Il faudrait qu’en complément des prêts nous puissions financer de l’expertise pour les études, l’accompagnement en amont des projets et l’édiction des prescriptions techniques, dans tous les pays de la zone alors qu’il n’est possible de le faire aujourd’hui que dans ceux de la zone historique dite de solidarité prioritaire (ZSP). Cette distinction n’a plus lieu d’être.

Pour ce qui est des pays à revenus intermédiaires d’Asie et d’Amérique latine, une réflexion est en cours. Il faut, selon moi, que notre partenariat y soit fondé sur la notion d’intérêt mutuel. L’objectif doit être d’y soutenir une croissance propre, d’y améliorer les normes sociales et environnementales tout en favorisant au maximum la promotion de nos savoir-faire et de nos intérêts économiques, directs ou indirects, de moyen ou de plus long terme.

Enfin, dans les outre-mer, les objectifs prioritaires de l’AFD sont de fournir aux collectivités les moyens de financer leurs équipements et leur développement, et de manière plus générale, de soutenir la création d’emplois. Elle a également pour mission de favoriser le rayonnement des collectivités d’outre-mer et de faciliter leur intégration dans leur environnement régional.

Quels sont les leviers d’action que je mobiliserai si vous me faites l’honneur de confirmer ma nomination ?

Je tiens préalablement à dire que, si je suis nommée à la tête de l’Agence, je commencerai par écouter et consulter très largement. De manière générale, consultation, ouverture et dialogue seront mes maîtres mots.

Le premier levier sera de mieux tirer profit de la diversité des instruments financiers que nous pouvons proposer : prêts souverains aux États, prêts non souverains aux collectivités locales, aux entreprises, financement des ONG, garanties, apports en fonds propres, mécanismes financiers innovants au bénéfice des pays les plus pauvres… Cette extrême diversité, qui est l’une de nos valeurs ajoutées, n’est pas bonne en soi, mais parce qu’elle permet de travailler avec des acteurs très divers – États, collectivités, entreprises, publiques ou privées, ONG, fondations… –, qui tous concourent au développement. Il conviendra de conforter cet aspect.

Le niveau de l’enveloppe consacrée aux dons a été maintenu malgré la crise – il était cependant historiquement bas. Aussi, tout ce qui pourra être fait, dans le respect de la contrainte budgétaire qui s’impose à tous, même modestement pour accroitre l’enveloppe de dons, sera utile vu l’ampleur des besoins des pays les plus pauvres, par exemple à travers l’affectation du produit de la future taxe sur les transactions financières ou l’amorce d’un rééquilibrage entre aide bilatérale et aide multilatérale. Et il serait bien entendu souhaitable de relever le montant de l’enveloppe des dons dès que la situation budgétaire le permettra. L’innovation financière ne devra pas cesser. Toute la gamme des prêts devra être mobilisée. Ainsi les prêts non souverains aux collectivités locales et aux établissements publics ont marqué le pas ces dernières années : il faut se demander pourquoi et les relancer.

Je souhaite également qu’une réflexion soit lancée sur le positionnement de la filiale Proparco, qui intervient dans le secteur privé, notamment en ce qui concerne le financement des entreprises, petites et grandes, qui agissent en matière d’entrepreneuriat social et dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, au plus près des populations les plus vulnérables ?

Un deuxième levier d’action sera de renforcer et de réformer le financement de l’expertise – je vise l’expertise, publique et privée, financée par l’AFD et non l’ensemble des opérateurs publics d’expertise, dont le paysage institutionnel constitue en lui-même un sujet d’étude, lequel a d’ailleurs fait l’objet d’un rapport auquel a contribué l’inspection générale des finances, remis au Parlement en 2011. L’Agence doit pouvoir financer de l’expertise dans tous les pays où elle intervient, et pas seulement, comme aujourd’hui, dans ceux de la zone historique de solidarité prioritaire. Elle doit également pouvoir mobiliser cette expertise de manière plus réactive. Il faut que les réflexions lancées sur le sujet aboutissent. C’est l’une des conditions nécessaires, même si elle ne sera pas suffisante, pour renforcer notre diplomatie économique et œuvrer plus efficacement pour le respect des normes sociales et environnementales.

Le troisième levier sera de développer un programme ambitieux de production de connaissances et de partenariats en matière de recherche, d’évaluation et de cofinancement. La production de connaissances est en soi un outil d’influence si on y associe les think tanks, les universités et les institutions du secteur comme l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), les bailleurs de fonds et, bien entendu, les partenaires du Sud. Il s’agit d’éclairer les stratégies d’intervention, mais aussi de mieux évaluer les résultats. L’AFD a été en son temps pionnière en ce domaine. Je souhaite que nous progressions encore pour mieux rendre compte aux tutelles, aux élus de la nation et aux citoyens, ainsi bien sûr qu’à nos partenaires du Sud, des actions entreprises. Cette production de connaissances pourra aussi nourrir les positions du Gouvernement français dans les grandes conférences internationales comme sur le climat. Il faut relancer des partenariats de confiance avec les ONG et réfléchir aux moyens de structurer les initiatives foisonnantes de la coopération décentralisée. Je souhaite enfin instaurer un mécanisme permanent de dialogue avec le secteur privé et renforcer le dialogue avec les autres bailleurs de fonds, au premier rang desquels la Commission européenne.

Le dernier levier d’action sur lequel je compte m’appuyer est la modernisation du management. La force et la valeur ajoutée de l’AFD résident d’abord dans la qualité et l’engagement de ses agents. Pour rester en pointe dans un environnement mouvant, l’Agence a besoin d’une vision et d’une ambition. Elle a aussi besoin de principes de management clairs. J’ai l’intention de privilégier les approches transversales, le dialogue, la cohésion, l’innovation et la prise de responsabilité par chacun. Cela signifie définir clairement les objectifs attendus de chacun, déconcentrer, redonner de la souplesse aux équipes, aussi bien dans les modes de fonctionnement que dans les prises de décision,. La recherche permanente des gains possibles de productivité exigera de restaurer la faculté d’adapter les moyens aux évolutions de l’activité. Il faudra aussi renforcer la professionnalisation des ressources humaines : adéquation des profils aux postes, valorisation des compétences managériales et pas seulement techniques aux postes de responsabilité, politique dynamique de formation, clarté des critères de nomination… L’AFD se doit enfin d’incarner au mieux les valeurs sociales et environnementales qui fondent son action par un dialogue social nourri en son sein, une politique active de promotion de la diversité et de l’équilibre hommes-femmes, une recherche permanente de limitation des impacts environnementaux. Dans tous ces domaines, elle doit être pionnière.

Son futur contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2014-2017 devra traduire ces orientations, dans le respect de celles définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et la loi de programmation. Si vous me faites l’honneur de confirmer le choix du Président de la République, ce contrat sera l’occasion, je l’espère, d’échanger de nouveau avec vous. De manière générale, si je suis nommée à la tête de l’AFD, je m’engage à un dialogue régulier avec le Parlement.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous en venons aux questions de nos collègues.

M. Avi Assouly. Quelle est, madame, votre vision stratégique pour l’AFD ? Que proposerez-vous à ce titre ? Les difficultés financières des bailleurs de fonds traditionnels ont-elles été prises en compte ?

Quel soutien spécifique l’AFD apportera-t-elle à l’Afrique ?

Mme Danielle Auroi. Le souci du développement durable devient un critère essentiel dans la politique d’aide au développement. Le ministre chargé du développement, Pascal Canfin, a évoqué des pistes. Quels critères concrets pourrait dès à présent exiger l’AFD ?

Vous n’avez pas, Madame, évoqué l’agriculture. L’AFD s’orientera-t-elle vers des projets complémentaires de ceux conduits par l’Union européenne ? Il existait par exemple au Mali un programme européen visant à promouvoir les produits alimentaires locaux qui marchait bien. L’AFD peut-elle s’engager à ne plus financer de projets de cultures contenant des OGM, contrairement à ce qu’elle a parfois fait par le passé ?

En matière d’énergies renouvelables, peut-elle s’engager à soutenir les équipements solaires et éoliens plutôt que les grands barrages hydroélectriques, comme on a tendance à le faire aujourd’hui ?

Quelle sera la place des ONG dans la gouvernance future de l’AFD ?

Enfin, comment l’AFD pourrait-elle surveiller que la responsabilité sociétale éventuelle de multinationales est bien mise en jeu ? L’accident tragique survenu récemment au Bengladesh en a rappelé la cruelle nécessité.

M. Jean-Louis Christ. Nous sommes nombreux à avoir souvent regretté le rôle marginal du Parlement dans la définition de la stratégie de l’AFD, dont nous votons pourtant le budget. Comment envisagez-vous, madame, de l’associer plus étroitement en amont des choix faits par l’Agence ?

M. Michel Destot. Ma première question concerne l’aide aux pays dits émergents, en particulier la Chine. Vous avez parlé « d’intérêt mutuel ». Êtes-vous favorable à des aides liées pour ces pays ou pensez-vous qu’ils n’ont plus vocation à recevoir d’aides du tout ?

Ma deuxième question a trait au rôle et à la place des collectivités locales et des ONG en matière de développement durable, d’aménagement urbain maîtrisé, ou bien encore de promotion de la langue française. Ordonnerez-vous les initiatives « foisonnantes », avez-vous dit, qui existent aujourd’hui dans le cadre de la coopération décentralisée, par pays, par secteur ou par thématique ?

Ma dernière question concerne la coopération avec le secteur privé. Il faut instaurer des relations claires, avez-vous dit. Cela se fera-t-il à l’initiative des entreprises ? À celle de l’AFD ? Cela se fera-t-il par projets et comment procédera-t-on ?

M. Jean-Paul Bacquet. Vous l’avez dit, madame, l’AFD possède des bases solides. Elle peut notamment s’appuyer sur des personnels de qualité. C’est aussi une grande banque par sa surface financière mais si elle gagne de l’argent, il n’est pas certain qu’elle soit experte en affaires ! C’est grâce à la pression de notre commission que les bénéfices qu’elle a réalisés l’année dernière n’ont pas été intégralement reversés à Bercy et qu’elle a pu en affecter une part à des dons. Pour autant, elle n’en effectue que peu. C’est pourtant de dons dont auraient besoin les pays les plus pauvres, en particulier d’Afrique subsaharienne. Dans le même temps, l’AFD prête de l’argent à la Chine, à un taux d’ailleurs inférieur à celui auquel la Chine prête aux Etats-Unis. La question de notre collègue Michel Destot sur les aides déliées est essentielle. Quelle est votre position à ce sujet ? Vous n’en avez rien dit. Vous n’avez pas dit non plus si vous vous battrez pour que l’AFD puisse conserver ses bénéfices au lieu de les reverser à Bercy.

Il faudrait rechercher un meilleur équilibre entre les prêts et les dons, ainsi qu’entre aide bilatérale et aide multilatérale, avez-vous dit. Mais tous vos prédécesseurs ont aussi plaidé en ce sens. Mais nous en sommes, hélas, toujours réduits à poser les mêmes questions. Pouvez-vous nous indiquer des objectifs chiffrés précis ?

Vous avez décliné, avec beaucoup de talent, le catalogue des objectifs du Millénaire. Mais je n’ai pas perçu d’originalité et n’ai vu aucune marque personnelle sur la façon dont vous les envisagez, à l’exception de l’accent mis sur le développement durable.

Le continent africain connaît la croissance économique. Quid du partenariat traditionnel de la France avec l’Afrique, de sa repentance aussi à l’égard de ces pays et du « droit-de-l’hommisme » dans nos interventions ?

Mme Marie-Louise Fort. La plupart des questions que je souhaitais vous poser, madame, l’ayant déjà été, je vous demanderai seulement quel est votre sentiment sur les achats massifs de terrains auxquels se livrent en Afrique des pays comme la Chine et la Turquie. Que comptez-vous faire pour que nous tenions notre rang en étant plus réactifs et sans doute moins technocratiques ?

M. Jean-René Marsac. Que faudrait-il modifier pour que notre action soit plus efficace dans les dix-sept pays prioritaires ?

Le financement par apport de fonds propres, aujourd’hui marginal, peut-il devenir une véritable stratégie ? Comment l’AFD pourrait-elle aider davantage la création et le développement d’entreprises dans les pays pauvres et émergents ? De quels outils dispose-t-elle ? Comment pourraient-ils être complétés et déployés de manière plus efficace ?

M. Jean-Philippe Mallé. D’après un récent rapport de l’OMS, 2,4 milliards d’êtres humains n’auraient pas accès à l’eau potable. On est donc loin des objectifs du Millénaire ! Que pourrait faire la France en ce domaine ?

M. Philippe Baumel. L’évaluation de la politique d’aide au développement est l’un des points noirs signalés par la Cour des comptes dans son rapport. L’AFD consacre à peine trois millions d’euros à l’évaluation de l’ensemble de ses aides. Envisagez-vous de renforcer ces moyens ? Des pans entiers de l’activité de l’Agence ne sont pas ou très peu évalués : c’est le cas du fonds de solidarité prioritaire, des subventions aux associations, de l’aide liée ou de l’aide budgétaire. Ne sont pas évaluées non plus les marges de manœuvre que permettent de dégager les annulations de dette ou les contrats de désendettement et de développement. Comment apprécier leur impact ?

Les instances de cogestion telles que le CICID, la conférence d’orientation stratégique et de programmation (COSP), créée par le CICID en 2004, ou bien encore le conseil d’orientation stratégique de l’Agence, qui réunit l’ensemble de ses ministres de tutelle, n’ont plus été convoqués depuis 2009. L’éclairage nouveau qu’ils pourraient apporter serait pourtant utile. Comment envisagez-vous de relancer ce partenariat ?

M. Jean Glavany. Vous possédez, madame, plus que les compétences nécessaires pour le poste pour lequel vous êtes pressentie. Je ne sais si, comme l’a regretté notre collègue Jean-Paul Bacquet, vous avez fait preuve d’originalité mais ce n’était pas là la qualité principale que j’attendais de votre présentation.

Il y a une dizaine de jours, celui qui devrait devenir votre prédécesseur tenait dans la presse des propos extrêmement désobligeants à votre égard. Vous aurez peut-être à cœur de faire ici litière des accusations portées contre vous. Je tiens, pour ma part, à dire que lorsqu’un haut fonctionnaire s’exprime de la sorte pour tenter de discréditer un éventuel successeur, c’est qu’il ne méritait pas la confiance que la République lui a accordée.

M. Michel Terrot. Je fais totalement miens les propos de Jean-Paul Bacquet. La politique de l’AFD manque cruellement de lisibilité et je n’ai, hélas, rien entendu dans vos propos, madame, de nature à laisser penser qu’il y sera remédié prochainement.

J’ai cru comprendre que les critères de l’aide aux pays de la ZSP allaient évoluer. Est-ce à dire que vous les jugez dépassés et que ces pays, qui déjà ne reçoivent pas grand-chose de la France, risquent de recevoir encore moins ? Cela m’inquiète.

Vous comptez sur la future taxe sur les transactions financières. J’avoue avoir honte pour mon pays qu’il ait été décidé que seuls 10% de son produit serviraient l’aide au développement, alors que cette ressource nouvelle devait initialement être intégralement affectée aux objectifs du Millénaire. J’aurais aimé de votre part une position plus critique sur le sujet. J’espère trouver dans le rapport de Terra Nova sur la rénovation de la politique de coopération, que vous avez co-rédigé, quelque motif d’espérance sur cette taxe. Je vous souhaite dès à présent bon courage dans vos nouvelles fonctions.

M. François Loncle. J’étonnerai certainement mon ami Jean Glavany en commençant par rendre hommage au travail de Dov Zerah à la tête de l’AFD. Si je figurais parmi les sceptiques – c’est un euphémisme – lors de sa nomination, force m’est, à l’issue de son mandat, de reconnaître qu’il a bien travaillé, comme j’ai pu le constater en Afrique de l’Ouest.

Je souhaiterais qu’au-delà des beaux rapports annuels qu’elle produit, la filiale Proparco soit plus transparente dans ses interventions.

Je souhaiterais également que les responsables de l’AFD, à tous niveaux, se départissent d’un esprit bureaucratique et technocratique qui, hélas, continue d’imprégner jusqu’à leur langage.

Enfin, nul n’a réussi depuis des années à me convaincre qu’il fallait continuer d’aider les pays dits émergents, notamment une puissance économique et financière telle que la Chine. J’ai envie de dire : ça suffit ! La Chine n’est pas le Burkina Faso ! Nous sommes menés en bateau depuis des années et les arguments qui nous sont opposés ne tiennent plus. Donnez un signal positif en stoppant ces aides.

M. Guy-Michel Chauveau. Il ne saurait y avoir de développement durable dans la durée sans développement local ni donc de mobilisation des acteurs locaux. Il faut s’appuyer davantage sur les acteurs de la coopération décentralisée. Lorsque l’AFD a limité à 300 000 euros le montant maximal des partenariats dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, elle a bloqué la dynamique des acteurs locaux dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne. Ces acteurs ont beaucoup évolué depuis vingt ans. Lors du dernier sommet international Africités à Dakar en décembre dernier, ils ont été unanimes à dénoncer de n’être pas assez associés. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

M. Thierry Mariani. Comptez-vous, madame, donner une orientation particulière à l’action de l’AFD en direction des pays émergents d’Asie ?

Je ne reviens pas sur les remarques déjà faites concernant l’aide déliée. Chaque fois que l’homologue de l’AFD au Japon s’investit en Asie, les entreprises japonaises tirent profit des marchés ainsi créés. Il n’en va, hélas, pas de même pour les entreprises françaises là où l’AFD intervient. Il ne faut pas être naïf. Lorsqu’on rédige un appel d’offres, on peut parfaitement faire en sorte que seules des entreprises précises soient en mesure d’y répondre !

Lors d’une réunion récente du parti communiste chinois avec les partis européens, à laquelle j’assistais avec des collègues socialistes, les représentants chinois ont fait un appel du pied très net, demandant s’il ne serait pas possible de monter des opérations triangulaires en Afrique, la Chine apportant ses capitaux, la France et l’Union européenne leur expertise environnementale et technique ainsi que leur meilleure connaissance de l’Afrique. Serait-ce bien judicieux ?

Mme Françoise Imbert. L’un des objectifs de l’AFD est aussi de favoriser le développement humain. Ne pourrait-on exiger de certains pays qu’elle aide qu’ils respectent mieux les droits des femmes et plus généralement les droits de l’homme ?

M. Noël Mamère. Madame, c’est en tant que membre du conseil d’administration de l’AFD, auquel je siège avec notre collègue Michel Destot, que je souhaite vous poser plusieurs questions.

Nous aidons aujourd’hui des pays non démocratiques comme le Gabon ou le Congo-Brazzaville, qui possèdent d’importantes ressources pétrolières et où, hélas, l’aide contribue à grossir ce qu’on appelle « les biens mal acquis ». Continuera-t-on d’aider ces pays sans exiger en contrepartie qu’ils respectent les principes démocratiques et les droits de l’homme ?

L’AFD accorde aujourd’hui plus de prêts qu’elle n’effectue de dons, contrairement à son homologue britannique. Procéderez-vous à un rééquilibrage entre les deux types d’outils ? Ne faudrait-il pas revoir le statut mixte, unique au monde, de l’Agence, qui est à la fois une institution financière spécialisée et un opérateur pouvant accorder des subventions ?

C’est un secret de polichinelle que le gouvernement malien a vendu sur les boucles du Niger plus de 700 000 hectares de terres qui seront consacrés à des productions non agricoles. C’est ce qu’en jargon droit-de-l’hommiste, comme le qualifient certains, on appelle « l’accaparement des terres ». Que compte faire l’AFD pour mettre un terme à cette spoliation des paysans qu’elle devrait aider à assurer leur souveraineté alimentaire ? En 2010, elle s’était engagée dans le cadre de sa contribution au programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement dans le Nord-Mali, en lien avec l’Union européenne, à diverses actions et divers prêts. Qu’en est-il pour 2013 ?

Que pourrait faire l’AFD pour que l’épargne des immigrés serve de levier supplémentaire dans leurs pays d’origine ? Au Mali par exemple, son montant dépasse celui de l’aide publique au développement accordée par la France.

Renforcerez-vous les liens de l’AFD avec les ONG et la société civile ? En 2007, l’Agence avait pris l’initiative d’un fonds d’intervention de soutien aux ONG. Associer de manière plus forte et plus structurelle la société civile aux actions conduites serait de nature à améliorer la transparence et prévenir la corruption. Comment l’AFD peut-elle contribuer à éradiquer ce fléau ?

Avec notre collègue Michel Zumkeller, j’ai été chargé par notre commission d’un rapport sur les pays africains anglophones émergents. Si, faute de moyens, nous n’avons pu nous rendre au Nigeria, nous sommes allés au Kenya et en Afrique du Sud, pays en plein décollage économique, où nous avons pu constater le rôle de l’AFD mais aussi combien la France est en retard par rapport à l’Allemagne et bien sûr la Chine, très présentes. Que pourrait faire l’AFD pour que notre pays accompagne davantage l’essor de ces pays – où, soit dit au passage, sévit toujours une sévère corruption ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous aurez pu mesurer, madame, les attentes critiques de nos collègues vis-à-vis de l’AFD. Je vous laisse la parole pour leur répondre.

Mme Anne Paugam. Toutes ces questions témoignent de l’intérêt très fort que les parlementaires portent à la politique d’aide au développement. M. Christ m’interroge sur la façon dont le Parlement pourrait être mieux associé en amont à la définition des orientations et des choix de l’Agence. Je considère essentiel le dialogue avec le Parlement. Il complète celui que nous avons avec les pays partenaires, la société civile et les administrations.

Dans le temps bref qui m’est imparti, je ne pense pas pouvoir répondre de manière satisfaisante à l’ensemble des questions qui m’ont été posées. J’espère avoir l’occasion de revenir ultérieurement devant vous.

S’agissant du caractère lié ou délié des aides, la préoccupation économique est légitime car, je l’ai dit, un outil bilatéral doit tenir compte des priorités de notre pays. Il est clairement du rôle de l’AFD d’aider à la projection des savoir-faire français dans le monde. Je suis d’autant plus à l’aise pour le dire devant vous aujourd’hui que j’ai été de ceux qui ont en 2002 plaidé pour le déliement de l’aide. Relier l’aide serait rendre un mauvais service à nos entreprises, contrairement à ce que semblent penser une ou deux d’entre elles qui donnent de la voix sur le sujet. Dans leur très grande majorité d’ailleurs, elles ne demandent pas que l’aide soit de nouveau liée car elles y perdraient. En effet, l’aide française représente aujourd’hui moins de 5% de l’aide mondiale qui donne lieu à des marchés. Elles seraient donc perdantes si chaque pays liait de nouveau son aide. Les entreprises françaises obtiennent aujourd’hui environ un tiers de parts de marché sur les projets financés par l’AFD, soit beaucoup plus que leurs parts de marché dans l’économie mondiale. Cela prouve d’ailleurs que l’AFD est d’ores et déjà positionnée dans les secteurs privilégiés de nos savoir-faire. Cela n’interdit pas de progresser. Il faut identifier de manière très précise pays par pays les secteurs forts de l’économie française que notre aide pourrait donner l’occasion de servir. Il faut pour cela dialoguer – c’est tout le sens de la diplomatie économique – avec l’ensemble des acteurs, dont Ubifrance, les conseillers du commerce extérieur, les représentants des entreprises et de l’ingénierie sur le terrain… Ce dialogue doit permettre d’éviter qu’il arrive, comme cela a pu advenir par le passé, que des experts français édictent des prescriptions ne correspondant pas aux techniques employées par les entreprises françaises, qui se trouvaient donc de fait exclues des marchés.

On peut faire davantage, à la fois par la mobilisation concrète que je viens d’évoquer et par une meilleure prise en compte des normes sociales et environnementales dans les appels d’offres d’une part au stade de la pré-qualification, d’autre part au stade de la valorisation monétaire par l’ensemble des bailleurs de ces exigences dans les cahiers des charges. Mais l’AFD ne peut pas avancer seule sur ce sujet. Il est vrai, comme l’un d’entre vous l’a souligné, que les entreprises japonaises emportent beaucoup de marchés en Asie. Cela ne tient pas seulement à la présence naturelle du Japon dans la zone, mais aussi au fait que ce pays est capable d’effectuer, sans aucun état d’âme, des dons pour des totaux de centaines de millions d’euros ou de financer des études et de l’expertise dans des pays que nous considérons, nous, comme émergents et dont nous débattons pour savoir s’il est judicieux de leur accorder des prêts, fût-ce cela sans coût pour l’État. C’est toute l’importance de participer à l’élaboration des normes et à la définition des politiques sectorielles dans les pays, mais aussi de suivre de près la rédaction des cahiers des charges des appels d’offres. Il est donc essentiel de pouvoir financer de l’expertise dans tous les pays d’intervention, et d’y consacrer plus de moyens. Sans aller jusqu’à rêver du milliard d’euros que la GTZ allemande a chaque année à sa disposition, il est possible de faire davantage qu’aujourd’hui.

Outre que relier l’aide coûterait beaucoup plus cher au budget de l’État, cela nous interdirait d’intervenir dans certains pays, dont certains depuis longtemps, comme l’Inde ou la Chine, refusent toute aide liée. Dans ces pays, nous n’avons plus le choix qu’entre développer une stratégie d’influence indirecte la plus subtile possible pour promouvoir les savoir-faire français ou être absents.

Notre action dans les pays émergents ne se fait pas au détriment de l’Afrique. Je suis l’une des premières à regretter que nous ne puissions pas accorder plus de dons aux 17 pays pauvres prioritaires. Je n’ignore pas que mes prédécesseurs l’ont déploré eux aussi mais tout ne dépend pas de moi. Le premier moyen d’atteindre le rééquilibrage souhaité est d’adapter le budget de l’aide (APD) en conséquence. Je vous le dis à vous qui le votez, dans le cadre des contraintes budgétaires que nous connaissons. Cela étant, je suis convaincue que les prêts ont aussi toute leur utilité : tous les pays qui se sont développés y ont eu recours pour étaler la charge de leurs investissements. Aucun d’entre eux ne s’est appuyé seulement sur les dons et il est bon signe pour un pays lorsque, dans le strict respect de la soutenabilité de sa dette, il devient capable d’emprunter à des taux très concessionnels, puis un peu moins concessionnels, et enfin sur les marchés financiers.

Les pays les plus pauvres ont bien sûr surtout besoin, eux, de dons. Il faut pouvoir en mobiliser le maximum à leur profit. Il est aussi du rôle de l’AFD de mobiliser des subventions partout où il est possible, auprès de l’Union européenne, des grandes fondations internationales,… et de rechercher toutes solutions mixtes entre dons et autres outils, afin d’obtenir un effet démultiplicateur.

Ne perdons pas de vue que notre action dans les pays émergents est sans coût pour le budget de l’État et qu’on ne déshabille jamais Pierre pour habiller Paul. Au contraire, les pays les plus pauvres bénéficient indirectement de la taille et de la surface financière de l’Agence, qu’elle ne pourrait avoir si elle n’intervenait pas aussi dans les pays émergents – elle possède par exemple une dizaine de spécialistes mondiaux de l’environnement, travaillant aussi bien pour l’Indonésie que pour le Mali. Loin de s’opposer, les objectifs par catégories de pays sont complémentaires. Il faut simplement différencier les mandats et surtout ne pas considérer que les thématiques environnementales sont étrangères aux pays les plus pauvres.

Quel peut être l’impact de notre action sur la problématique environnementale dans ces pays ? Le Fonds vert pour le climat devrait normalement mobiliser 100 milliards de dollars par an, soit autant que le montant total de l’aide au développement. Comment sera-t-il structuré ? Une agence bilatérale comme l’AFD, qui possède une bonne connaissance de l’Afrique et un incontestable savoir-faire en la matière, pourra t’elle mettre en œuvre les financements de ce fonds ou créera-t-on un nouveau fonds vertical thématique, susceptible de mal s’articuler avec le reste ? Si nous pouvons peser là-dessus, c’est parce que l’Agence est, parmi les bailleurs de fonds, l’un des premiers financeurs de la lutte contre le réchauffement climatique et de la préservation de la biodiversité. Plus que notre influence dans chaque pays, c’est notre influence agrégée qu’il faut prendre en considération. Avec plus de deux milliards d’euros d’aides consacrés à la lutte contre le changement climatique, nous pouvons compter à la table des négociations internationales sur ces sujets.

L’accaparement des terres est une préoccupation. Il faut être très vigilant. Si vous me faites l’honneur de confirmer ma nomination, j’exigerai que l’AFD ne soit pas impliquée, même indirectement, dans des financements aboutissant in fine à des acquisitions non souhaitables de terres. Il faut en ce domaine d’une part participer à des projets concrets – l’Agence collabore ainsi à divers projets de sécurisation des terres pour les propriétaires et les fermiers, et de structuration des administrations foncières –, d’autre part élaborer des doctrines et des diligences partagées par l’ensemble des bailleurs, au premier rang desquels la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. Outil bilatéral, l’AFD doit être exemplaire sur le sujet et porter un haut degré d’exigence.

Il en va de même pour les thématiques du développement durable et de l’énergie. L’énergie est un sujet central dans la stratégie de l’AFD, qui a pris des engagements forts sur le climat. Pour les honorer, elle doit se mobiliser sur la transition énergétique et les énergies renouvelables. Ces dernières incluent bien sûr l’hydroélectricité. Il faut être très vigilant sur la manière dont est menée à bien la construction de barrages, toujours délicate, étant donné qu’elle touche inévitablement des populations et menace la biodiversité. Pour répondre aux immenses besoins énergétiques du continent africain, le développement des énergies renouvelables – dont fait partie l’hydroélectricité – est la priorité.

L’AFD s’est engagée à éviter de financer une agriculture faisant appel aux OGM.

M. Jean Glavany. Si on parvenait à mettre au point par génie génétique une céréale dont la culture n’exigerait pas d’eau, refuserait-on aux pays du Sahel d’y avoir accès ?

Mme Anne Paugam. En l’espèce, nous chercherions plutôt à financer des céréales supportant les conditions climatiques sahéliennes sans qu’elles comportent des risques encore mal maîtrisés aujourd’hui.

Un mot de la zone de solidarité prioritaire. Qu’il n’y ait pas de confusion : il ne s’agit pas des 17 pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, identifiés il y a quelques années comme prioritaires pour les dons. La ZSP regroupe en fait 55 pays, en Afrique, dans le bassin méditerranéen mais aussi des pays asiatiques. Selon qu’un pays en fait partie ou non, l’AFD peut ou non y financer de l’expertise au moyen de dons. Ainsi ne pouvons-nous pas le faire en Égypte ou en Jordanie alors que cela est possible au Maroc et en Tunisie. Il faudrait revoir ce classement.

Je ne peux qu’être d’accord avec ce qui a été dit concernant la taxe sur les transactions financières.

S’agissant de la coopération décentralisée, je suis prête à discuter sur la manière d’approfondir les coopérations existantes, dont il faut bien sûr conserver toute la richesse. Je n’ai pas d’idée préconçue quant à la façon de structurer les initiatives. Je suis ouverte au dialogue avec les élus des collectivités engagées dans de telles actions.

Bien que me refusant à ouvrir toute polémique avec mon prédécesseur, permettez-moi de dire un mot de certains éléments qu’il a mis en avant à l’appui de son bilan. Le premier concerne les systèmes d’information de l’AFD. De grands chantiers étaient ouverts lorsque j’ai quitté l’Agence en 2010. J’ignore leur état d’avancement mais espère qu’ils auront été poursuivis. Un autre point concerne le système de délégations. C’est là un domaine où nos conceptions managériales peuvent différer. Privilégiant une approche centralisatrice, il a modifié les règles en ce sens. De là à mettre en doute la validité juridique des précédentes, il y a un pas sans doute excessif à franchir. Le dernier élément concerne le dispositif de surveillance, de provisionnement et de maîtrise des risques, que la réglementation exigeait de renforcer avant fin 2010. Il existait plusieurs options et comme un nouveau directeur général était attendu en mai de cette année-là, il a été jugé plus opportun de le laisser choisir, ce qu’il a fait. De là à prétendre que le dispositif antérieur n’était pas conforme, c’est là un pas également excessif. Je n’en dirai pas davantage, souhaitant plutôt regarder vers l’avenir et mon seul objectif étant de relever les défis que je vous ai exposés tout à l’heure.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Madame, nous vous remercions. Dans le temps bref qui vous était imparti, vous avez répondu aussi précisément que possible aux questions qui vous ont posées. Vous avez également assumé vos points de vue, face à certaines contestations, ce qui est un point positif.

Mme Anne Paugam quitte la salle.

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Vote sur la proposition de nomination de Mme Anne Paugam

M. Axel Poniatowski. J’ai demandé la parole pour une explication de vote.

Je souhaiterais tout d’abord saluer l’action de Dov Zerah à la tête de l’AFD. Si sa nomination avait été accueillie avec quelque réserve, il s’est révélé un excellent responsable de l’Agence, notamment dans les pays africains.

Au vu du parcours de la candidate à sa succession aujourd’hui pressentie, la nomination qui nous est proposée présente à l’évidence un caractère politique. Cela aurait pu conduire les commissaires du groupe UMP à voter contre cette nomination, ce qu’ils ne feront pas. La plupart d’entre eux s’abstiendront. En effet, Mme Paugam nous semble posséder les compétences et les qualités requises pour occuper le poste de directrice générale de l’AFD.

J’espère qu’elle réussira à réorienter l’action de l’Agence dans un cadre plus bilatéral et saura résister aux pressions, notamment de Bercy, très attaché à ce que l’essentiel de notre aide s’inscrive dans un cadre multilatéral. Nous considérons tous ici que l’aide bilatérale est insuffisante.

M. Jean-Pierre Dufau. Au nom du groupe socialiste, je tiens à dire que la nomination proposée n’a pas de caractère politique. Pour notre part, nous prenons acte du travail mené par Dov Zerah à la tête de l’AFD et lui souhaitons bonne chance dans ses nouvelles fonctions. Et nous proposons de donner un avis favorable à la nomination de Mme Paugam. À elle aussi, nous souhaitons bonne chance. Nous serons à ses côtés, avec exigence.

M. Noël Mamère. Au nom du groupe écologiste, je salue à mon tour le travail accompli par Dov Zerah. Nous voterons en faveur de la nomination de Mme Paugam, en soulignant combien la tâche en matière d’aide au développement demeure considérable.

La séance est levée à dix heures cinquante.

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La Commission a procédé au dépouillement du scrutin relatif à la proposition de nomination à la fonction de Directrice générale de l’Agence française de développement de Mme Anne Paugam.

Trente-trois de ses membres ayant participé au scrutin, la Commission a donné un avis favorable à la nomination de Mme Anne Paugam par vingt-trois voix pour, neuf abstentions et une voix contre.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 22 mai 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Marie Le Guen, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Gérard Charasse, M. Philippe Cochet, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Luc Drapeau, M. François Fillon, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Scellier, M. Michel Vauzelle