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Commission des affaires étrangères

Mardi 17 septembre 2013

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 84

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Réunion, ouverte à la presse, sur le bilan du processus de paix au Proche-Orient, avec M. Bernard Botiveau, Directeur de recherche émérite au CNRS, et M. Alain Dieckhoff, Directeur de recherche au CNRS

– Informations relatives à la commission

Réunion, ouverte à la presse, sur le bilan du processus de paix au Proche-Orient, avec M. Bernard Botiveau, Directeur de recherche émérite au CNRS, et M. Alain Dieckhoff, Directeur de recherche au CNRS

La séance est ouverte à dix-huit heures.

Mme la Présidente. Nous recevons aujourd’hui M. Bernard Botiveau, directeur de recherche émérite au CNRS, et M. Alain Dieckhoff, lui aussi directeur de recherche au CNRS, pour une audition, ouverte à la presse, sur le bilan du processus de paix au Proche-Orient. Je rappelle que le 13 septembre dernier était le vingtième anniversaire du premier accord d’Oslo.

Nous avions déjà reçu, le 15 mai, trois membres du groupe d’Aix, M. Gilbert Benhayoun, qui en est le président, ainsi que MM. Saeb Bamya et Arie Arnon, respectivement coordinateurs palestinien et israélien, pour une audition sur les relations israélo-palestiniennes dans le domaine de la coopération économique.

Depuis, des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens ont officiellement repris fin juillet, à Washington, après trois années d’interruption. Cette avancée, qui doit beaucoup à l’engagement personnel de John Kerry, suscite de l’espoir, mais aussi un certain scepticisme des deux côtés.

Jusqu’à présent, en effet, les négociations sur le « statut final », c’est-à-dire la question des frontières, celle des colonies, le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés, ou encore la sécurité d’Israël, ont toutes échoué, que ce soit au sommet de Camp David en 2000 et lors des pourparlers de Taba l’année suivante, ou bien lors du cycle de négociations ouvert par la conférence d’Annapolis en 2007.

Selon vous, quelles sont les raisons de cet échec ? La méthode, qui consistait à repousser à plus tard les questions les plus difficiles, était-elle mal choisie ? Pensez-vous, à ce titre, que les Palestiniens pourraient maintenant accepter un nouvel accord qui ne serait qu’intérimaire ? Ou bien pensez-vous que l’échec des négociations, du moins jusqu’à présent, est plutôt lié au fait que les « lignes rouges » des deux parties seraient durablement inconciliables ? Nous vous remercions de ce que vous pourrez nous dire sur les positions des uns et des autres au moment où les négociations reprennent, mais aussi sur les leçons que l’on peut tirer du processus d’Oslo tel qu’il s’est déroulé jusqu’à présent.

S’agissant de la situation actuelle, la désillusion et l’amertume ont manifestement pris la place, chez les Palestiniens, à l’espoir né en 1993. Le Président Abbas est allé jusqu’à évoquer la dissolution de l’Autorité palestinienne afin de mettre les Israéliens devant leurs responsabilités, et il a fini par se tourner directement vers les Nations Unies pour obtenir sa reconnaissance comme État. Du point de vue palestinien, peut-on parler selon vous d’un échec complet du processus d’Oslo et d’années perdues ? Pour ce qui est d’Israël, on peut penser que la situation évolue plutôt en sa faveur sur le terrain, notamment du fait de la colonisation, et que le « statu quo » n’en est donc pas vraiment un. Partagez-vous cette vision de la situation ? Si tel est le cas, la solution dite « à deux États » est-elle aujourd’hui menacée ? Assiste-t-on par conséquent à des négociations de la dernière chance ou presque ?

Je vais maintenant vous donner la parole, pour un exposé liminaire d’une dizaine de minutes chacun, en commençant par M. Alain Dieckhoff, spécialiste d’Israël, que nous avons déjà reçu en 2009 pour une table ronde sur les perspectives de règlement du conflit israélo-palestinien ; M. Bernard Botiveau, dont les recherches portent notamment sur les Territoires palestiniens, pourra ensuite réagir, s’il le souhaite, et présenter la situation du côté palestinien. Puis nous en viendrons aux questions que mes collègues souhaiteront vous poser.

M. Alain Dieckhoff. Merci de votre invitation. Nous venons de passer le cap des vingt ans des accords d'Oslo. Ce fut un moment où beaucoup ont pu penser, sur place ou à l’extérieur, que nous étions au début d’un processus pouvant conduire à la solution d’un conflit qui durait depuis 1948, voire avant, une sort de guerre de cent ans moderne.

Quel bilan peut-on dresser de ces accords ? Je ne pense pas qu’à l'époque de leur signature, on pouvait dire qu'Oslo était conceptuellement négatif. A l'époque, c’était la seule chose envisageable. C’était Oslo ou rien du tout. Le processus de Madrid, qui avait été engagé en octobre 1991 sous l’égide des États-Unis et combinait négociations bilatérales et forum multilatéral sur des questions comme les réfugié, l’eau ou l’économie était perdu dans les sables. Une voie parallèle s'était alors développée sous les auspices de Shimon Peres et d’Abou Ala, lequel avait commencé au début de l’année 1993 et avait abouti quelques mois plus tard, au mois de septembre. Beaucoup furent surpris d’une telle issue à cette époque. L'enthousiasme était grand car on sortait de l’impasse des négociations qui avaient débuté deux années auparavant. Oslo était un accord sur 5 ans, durée au bout de laquelle on espérait qu’une résolution soit adoptée sur le statut final. On avait choisi de traiter plus tard les questions difficiles comme les réfugiés, Jérusalem ou l’économie. On a pu continuer, par la suite, ce caractère intérimaire et la méthode retenue mais c’était assurément ce qu’il fallait faire car, dans le cas contraire, on n’aurait rien eu du tout. C’était la seule chose possible.

Le problème, c’est que, rapidement, il y a eu un déficit dans ma mise en œuvre des accords. Il y a eu une tension entre le texte des accords – l’accord de septembre 1993 mais aussi les textes ultérieurs – et la logique qui était le principe d'une reconnaissance mutuelle et de celle des droits légitimes du peuple palestinien. Implicitement, ces principes ont laissé penser que la logique des accords était la constitution d’un État palestinien. Or, ce n’est pas la lettre du texte. Par conséquent, un point laissé de côté a vite pesé sur la mise en œuvre de l’accord. Ce point, c’est la poursuite de la politique de développement israélien. Ce n’était pas contraire à la lettre du texte mais à son esprit sous-jacent. Et cela a beaucoup joué dans l’échec d'Oslo. Les espoirs palestiniens d’un État souverain ont été anéantis et, d'ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y avait 110.000 Israéliens dans les territoires occupés en 1993, il y en avait 200.000 en l’an 2000, avant le déclenchement de la seconde intifada. Cela a créé de nombreux problèmes politiques, d'autant plus que si une part de l'opinion publique a soutenu les accords, une autre l’a contestée dès le début. C’est le cas du Hamas qui s’est engagé dans des attentats. Ce fut aussi le cas de la droite israélienne avec le Likoud.

Cela me conduit à évoquer un autre point : à mon sens, une des failles des accords a été leur trop grande dépendance envers les leaders politiques. L'assassinat de Rabbin en 1995, à d'ailleurs été un tournant même si on ne peut pas affirmer qu’on aurait eu deux États s’il n’avait pas été tué. Souvenez-vous qu’au début de 1996, de violents attentats ont permis de porter au pouvoir Benjamin Netanyahou quelques mois plus tard. Voilà ce que j pouvais ide sur le bilan.

Ce qui reste aujourd'hui, c’est un certain nombre de principes ; la reconnaissance mutuelle, celle des droits légitimes du peuple palestinien et la possibilité de créer un Etat. Paradoxalement, la réalisation pratique d’une solution à deux Etats est aujourd'hui plus éloignée qu’il y a quinze ans, mais le fondement théorique d’un accord de paix est plus clair. Après Oslo, il y a eu diverses négociations, Camp Davis en juillet 2000, avec Barak et Arafat autour de Clinton, puis les accords de Taba, de Genève en 2003 e donc, de façon théorique, on a apporté des réponses aux différentes questions, sur les colonies, les réfugies, ou autres. D’une certaine manière, on a plus qu’une feuille de route et on a progressé sur le papier, même si sur le terrain, on s’est éloigné de la concrétisation de cette solution, bien que l’Autorité palestinienne existe, si elle exprime la soif des Palestiniens envers un Etat, s’ils ont une certaine autonomie, on n’est plus comme en 1973, l’armée n’est jamais loin et la colonisation a augmenté.

Quelles sont les leçons à tirer de cet échec ? Les capitales peinent à maîtriser la dynamique diplomatique. On a essayé en 1994 et 1995 ; on a ressayé en 2000, en 2006/2007, avec Olmert, mais cela n’a jamais été très loin, de même que l’initiative de John Kerry ne devrait pas non plus aller bien loin. On a aujourd'hui de la difficulté à imaginer des négociations fructueuses sur la solution des deux Etats. Entre autre, parce qu’on a changé d’époque, la configuration régionale n’est plus la même, celle des sociétés non plus. En Israël, la plupart des gens vivent comme s’il n’y avait pas de conflit : il est proche, mais il a disparu mentalement. La société israélienne est dépolitisée et se désintéresse de la question. Elle vit en vase clos, a des contacts avec les Etats-Unis, l’UE, des échanges commerciaux avec l’Asie et elle a le sentiment que le prix à payer pour une solution serait trop lourd, que le statu quo convient, en tout cas sur le moyen terme. Il y a un consensus général sur cela. D’ailleurs, aux dernières élections de cette année, on n’a pas parlé de paix, mais d’économie, de religion, et le processus de paix a été quasiment absent. En d'autres termes, la société a tourné le dos à son environnement et s’en est distanciée. Beaucoup de gens pensent que ce n’est pas important aujourd'hui.

M. Bernard Botiveau. Je partage dans ses grandes lignes l’analyse historique que propose Alain Dieckoff des accords d’Oslo et de leur mise en place depuis la Conférence de Madrid en 1991. Des erreurs initiales ont conditionné beaucoup d’échecs ultérieurs. Mes explications, complémentaires, s’appuient sur ce qu’on entend dans les territoires palestiniens. Je précise que j’ai enseigné à l’Université palestinienne de Bir Zeït dans les années 1995 à 2000, au centre de droit que Mme Elisabeth Guigou a inauguré lorsqu’elle était ministre de la justice. Le centre a aujourd'hui doublé de volume et fonctionne au sein de la faculté de droit et de science politique de l’université. J’y effectue depuis des missions d’enseignement chaque année.

Alain Dieckoff a rappelé des données constantes, mais sur le terrain il y a eu pendant les vingt dernières années des changements importants en fonction du renouvellement des générations, ainsi que des changements de perceptions et d’analyses. A Bir Zeït par exemple, la population a changé, il y a aujourd'hui davantage d’étudiantes que d’étudiants dans certaines sections. A l’époque, les étudiants étaient pour beaucoup des professionnels du droit, qui revenaient après avoir dû interrompre leurs études car ils avaient dû s’expatrier ou avaient été en prison ; ils étaient aussi plus âgés, jusqu’à 30 ans.

Je voudrais donner quelques informations sur l’idée qu’il y a échec et sur la crainte qu’il y ait des obstacles importants à la reprise des négociations si les lignes fondamentales d’Oslo ne bougent pas. On peut se baser sur l’histoire de ce processus pour être à peu près certain que ça ne marchera pas dans ce cas. Sans méconnaître les rapports de force internationaux et l’évolution des relations internationales, on peut néanmoins se dire qu’il y a des opportunités à saisir. En même temps, en parlant aujourd'hui d’un grave échec du processus, je ne suis pas de ceux qui pensent que cela était inscrit dès le début : il y avait parmi mes étudiants des militants politiques appartenaient au FPLP ou à d’autres mouvements, qui étaient presque enthousiastes sur les dynamiques qui semblaient alors possibles, alors même que leur affiliation ne leur permettait pas en principe de s’engager dans le processus. En 1996, le retour aux affaires de la droite israélienne, après l’assassinat d’Itzhaq Rabin en novembre 1995, a marqué un coup d’arrêt et ensuite, à Jérusalem et à Ramallah en juillet 2000, on se rendait compte que les pourparlers de Camp David 2 étaient voués à l’échec. En 2001, la nouvelle impasse de Taba a créé une fracture et ce n’est pas un hasard si la deuxième intifada a ensuite commencé.

Je développerai quatre points d’explication. Tout d'abord, sur la question de la représentativité. Initialement, ce n’est pas l’OLP qui a négocié, mais une délégation des Palestiniens de l’intérieur, encadrés par la Jordanie, et quand Arafat a signé en 1996, il ne faisait pas l’unanimité. L’OLP était dispersée à Tunis, à Beyrouth, etc., elle était divisée et le Fatah lui-même connaissait de graves divergences en son sein. On a peu tenu compte des Palestiniens de l’intérieur, le Hamas faisant figure d’épouvantail, déjà, il n’a pas été intégré aux discussions. A-t-on fait une erreur de perspective alors en n’intégrant pas plus de composantes ? Aujourd’hui, le Hamas s’est institutionnalisé au sein de l’Autorité palestinienne. En 2006, les élections qu’il a gagnées traduisaient aussi un vote sanction contre Oslo qui n’avait pas marché. Le fait de n’avoir pas reconnu le résultat légitime de ces élections alors même qu’elles avaient été soutenues et validées par l’UE a eu un impact très négatif dans la société palestinienne et une grande incompréhension de son leadership.

Le deuxième point que je voudrais développer est celui de la souveraineté. On a toujours parlé d’un Etat, mais on ne savait jamais comment l’appeler, avec différentes formules employées à l’époque : Etat autonomique, Etat transitoire, quasi-Etat… L’Autorité palestinienne avait beaucoup de caractéristiques d’un Etat. Par exemple, si elle n’avait pas la compétence diplomatique aux termes des accords, le Conseil législatif palestinien recevait des ministres étrangers, des chefs d’Etat, certes avec l’approbation des Israéliens, mais tout de même de façon autonome. Deux choses ont posé le plus de problèmes pour réaliser cette souveraineté : ce qui touche au territoire et aux frontières. Ce point a été développé et je rappellerai juste que la séparation entre Gaza et la Cisjordanie, qui s’est aggravée après les élections de 2006, a été définitivement préjudiciable aux relations entre Gaza et la Cisjordanie et à l’unité de la population palestinienne. Et je ne parle pas des colonies qui par leur présence sur le territoire, leur extension permanente, ont posé de plus en plus de problèmes. Il n’est pas possible de faire fonctionner une négociation dans ces conditions. Je pense à une implantation israélienne ancienne, Neve Yaakov en hébreu, Nabi Yaacoub en arabe, qui est une extension de Jérusalem, et qui a doublé ou triplé de volume en moins de dix ans. Dans certains quartiers, la situation est devenue intenable pour la vie quotidienne. L’accès à l’extérieur est aussi un problème majeur connu. La destruction de l’aéroport de Gaza, qui était peut-être la possibilité de développer quelque chose, a été très mal vécue. Ces quelques exemples illustrent la frustration d’une population touchée dans sa quotidienneté en plus du contrôle de ses activités politiques.

Troisièmement, il y a la question de la médiation internationale. Elle dépend de la situation internationale. Par exemple, les discussions actuelles au Conseil de sécurité des Nations-Unies sur la Syrie ne sont pas simples et risquent de se solder par une impasse. Mais si l’on peut dire que les Américains ont toujours opposé leur véto au Conseil de sécurité pour les résolutions favorables aux Palestiniens, il n’en a pas toujours été de même dans les autres instances. On peut citer l’exemple de la Cour internationale de justice qui a déclaré illégale la construction du mur de séparation ou des votes de l’Assemblée générale. Pourtant, la médiation s’est avérée inefficace et on ne peut à cet égard que saluer la récente décision de la Commission européenne de clarifier ses relations avec les implantations israéliennes dans les Territoires palestiniens. Les pressions de John Kerry sur l’Unions européenne à cet égard peuvent faire craindre un recul, mais cela dénote aussi une vraie prise de conscience qui fait écho à ce que font savoir les représentations diplomatiques européennes sur place.

Pour finir, je voudrais souligner une différence entre les conditions qui existaient en 1993 pour la conclusion d’un accord et celles d’aujourd’hui. On pouvait admettre en 1993 qu’un délai de cinq ans de mise en place était raisonnable, à la suite duquel s’engageraient les discussions sur les points difficiles. C’est aujourd’hui totalement inacceptable pour les Palestiniens. Les jeunes sont fréquemment dépolitisés, désenchantés, tout en continuant à subir des règles d’occupation qui empoisonnent leur vie quotidienne. Pour tous les Palestiniens qui s’intéressent aux négociations, il faut des résultats immédiats. C’est une « question existentielle » pour reprendre un vocable israélien, que de pouvoir vivre sa vie au quotidien, ou encore de voir revenir les prisonniers politiques, dont une bonne partie est d’ailleurs en détention administrative etc.

J’ai pris ces quelques exemples pour conclure sur le fait que les négociations en leur forme actuelle ne peuvent rien apporter de plus. La société civile palestinienne ne se fait aucune illusion et les Palestiniens poursuivent la négociation car c’est mieux que rien. La solution à deux Etats n’a pas disparu mais est fortement compromise. La solution à un Etat s’assimilerait à une domination complète d’Israël qui devrait appliquer les réglementations internationales sur les populations protégées, comme au temps de la SDN, ou alors il faudrait accepter de désenclaver le territoire. Certains éléments qui paraissent des choses moins fondamentales mais pourtant urgentes ont longtemps bloqué le processus. Je pense au reversement des taxes sur les marchandises importées que les Israéliens régulièrement interrompent pour faire pression, l’Union européenne intervenant d’ailleurs dans ce cas pour colmater les brèches.

M. Jean-Luc Bleunven. M. Diekhoff, vous avez parlé de l’état d’esprit de la population civile israélienne, quel est selon vous celui de la société palestinienne ? Ne s’est-elle pas installée dans le conflit, avec certes une situation très défavorable mais pas insupportable ? Par ailleurs, quel est l’état de l’organisation politique de la société palestinienne dans l’optique d’une solution au conflit ?

M. Jacques Myard. Je suis très frappé par votre pessimisme réaliste. Je lisais encore dans quelques articles d’un journal du soir que la solution à deux Etats était devenue impossible. Si la solution à un Etat se met en place, n’est-ce pas la conception israélienne de l’Etat qui sera remise en cause sous l’effet de la démographie ? Cela ne peut que se terminer très mal pour les deux parties.

M. Jean-Paul Dupré. Je vous remercie pour vos éclairages intéressants. Quelles sont selon vous les incidences du conflit syrien et de la situation en Egypte sur la résolution du conflit israélo-palestinien ?

M. Avi Assouly. Le Président Mahmoud Abbas a récemment dit qu’il aimerait revoir sa ville natale – qui est située en Israël –, mais qu’il n’envisageait pas de retourner y vivre. Faut-il voir dans cette déclaration un renoncement de fait au droit au retour ? Ce pourrait être une clé pour débloquer les négociations.

Autre observation : les trois quarts des israéliens sont prêts à accepter un État palestinien, même si – c’est un paradoxe – ce sont les mêmes qui disent qu’ils ne croient pas à la paix.

Au regard de ces éléments, je préfère garder l’espoir. Il nous faut croire qu’une solution est possible.

M. Michel Terrot. Je crains de partager le pessimisme réaliste de nos intervenants. En particulier les dernières déclarations du Hamas, très négatives, ne rendent-elles pas impossible toute perspective de nouvelles négociations ?

Mme Chantal Guittet. Je souhaite évoquer la diplomatie de l’Union européenne. Vous avez salué la décision de bloquer tout financement allant vers les colonies. Mais cette décision avait été prise en décembre 2012. Ce n’est que maintenant qu’on l’applique. On a toujours l’impression que l’Union européenne est peu allante sur ce genre de mesures.

Par ailleurs, l’actualité sur les armes chimiques syriennes inspire une réflexion : Israël non plus n’a jamais voulu signer la convention sur les armes chimiques. Les pressions exercées sur la Syrie aujourd’hui ne sont-elles pas en contradiction avec la tolérance que l’on a pour Israël en la matière ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je voudrais revenir sur la question de la diplomatie européenne, qui est un sujet important. L’Union est le premier donateur pour la Palestine. S’agissant de son implication dans le règlement du conflit, elle a été assez active au temps de M. Moratinos, puis beaucoup moins quand M. Blair était en charge du dossier. Aujourd’hui, que pourrait faire la diplomatie européenne ?

M. Serge Janquin. Sur la question des différences à faire entre la lettre et l’esprit des accords d’Oslo, il me semble qu’il était inévitable qu’il y ait des ambiguïtés, en particulier sur la reconnaissance du fait que le processus devait déboucher sur un État palestinien.

Deuxième observation : le président Obama donnant la priorité à l’océan Pacifique, il a délégué à M. Kerry, qui est très actif, la relance des négociations israélo-palestiniennes. Mais lequel des deux serait le plus à même de faire évoluer les positions du Congrès américain, dont nous savons que, bien plus que la Knesset, il sera, le cas échéant, la véritable instance de décision ? Par ailleurs, quel rôle pourrait jouer l’Europe ?

Enfin une question sur l’impact des événements récents en Egypte : ils entraînent un affaiblissement du Hamas ; quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?

M. Jean-Paul Bacquet. Je voudrais savoir quelle a été l’évolution du rapport de force démographique depuis les accords d’Oslo.

Mon autre question porte sur les rapports de force internes en Israël : il n’y a plus de gauche israélienne ; a-t-elle une chance de ressusciter ?

M. Jean-Luc Reitzer. Vos interventions ont dressé la chronique d’une impasse. Vous ne croyez pas qu’une solution soit possible. Le fait est que, même s’il y a peut-être une majorité pour la paix, certains ne veulent pas la fin du conflit. C’est le cas du Hamas et de tous les groupes extrémistes, dont la poursuite du conflit permet le développement. C’est aussi le cas de groupes extrémistes en Israël. Peut-être suis-je trop pessimiste, mais je crains aussi qu’il n’y ait pas de solution.

M. Gwenegan Bui. J’ai écouté vos propos avec un certain désespoir. Car je suis entré à l’Université au moment des accords d’Oslo en 1993, après avoir été marqué par la première Intifada qui les avait précédés. Vingt ans après, la situation est catastrophique, et cela a aussi des conséquences désastreuses sur les États voisins, tels que le Liban et la Jordanie. Israël semble se satisfaire d’avoir des voisins faibles et instables, mais n’est-ce pas dangereux ? À terme, ne risquons-nous pas d’avoir une situation où le seul espoir, pour beaucoup, résidera dans la reprise de la guerre ?

M. Alain Dieckhoff. Je vais d’abord répondre aux questions concernant la situation intérieure d’Israël. Les camps politiques s’y sont beaucoup transformés depuis quinze ans. L’implosion du processus de paix, avec la multiplication des attentats et la deuxième Intifada à partir de 2000, a décrédibilisé la gauche israélienne, car c’est elle qui avait mis en avant la solution des deux États, à laquelle les israéliens ne croient plus. Les Travaillistes se sont donc effondrés, mais il y a eu aussi une redistribution à droite, avec l’émergence de partis centristes incarnés successivement par des personnalités comme M. Sharon, M. Olmert et Mme Livni, qui au fond sont plutôt favorables à la négociation et à la solution des deux États, tandis que le Likoud et les forces encore plus à droite ont vu dans l’échec du processus de paix la confirmation de leurs convictions profondes.

La désillusion des gens de gauche a pour conséquence qu’ils ne s’engagent plus dans le combat pour la paix. Ceci explique cette situation assez paradoxale où la majorité de la population est favorable à la solution des deux États, mais où rien ne se passe. En fait, cette même majorité pense que cette solution est acceptable sur le principe, mais totalement irréalisable à cause de ce qu’elle impliquerait en termes de discorde civile en Israël. Comment imaginer que l’on puisse évacuer 350 000 colons sans que cela n’entraîne une grave crise interne ?

Pour ce qui est de la démographie, on n’est maintenant pas loin de la parité entre Juifs et Arabes, entre la mer Méditerranée et le Jourdain. Mais pour arriver à ce résultat, il faut compter, parmi les Arabes, outre les habitants de Gaza et de la Cisjordanie, ceux de Jérusalem-Est et 1,2 million d’Arabes israéliens, lesquels se définissent de plus en plus comme Palestiniens. Il y a donc d’un côté un groupe homogène en termes de statut, de l’autre des statuts différents, plus ou moins enviables. Du point de vue israélien, c’est une situation gérable, car on estime qu’un front commun de toutes ces catégories de Palestiniens, aux situations très différentes, est improbable, du moins à l’échéance de quatre ou cinq ans. Or, les décideurs israéliens ne se projettent pas à plus long terme.

La question de l’incidence des évènements récents dans les pays voisins a été posée. Pour ce qui est de la Syrie, les interférences sont très limitées. Il y a juste eu quelques tentatives d’incursion de réfugiés, sans doute manipulés par le régime syrien, sur le Golan. Par ailleurs, certains combats, notamment à Dera, sont proches et des obus peuvent tomber sur le Golan. Pour ce qui est de l’Egypte, l’impact est plus important. D’une part, l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi avait renforcé le lien entre l’Egypte et Gaza, et, à cet égard, Israël ne peut que voir positivement la reprise en mains par l’armée qui va rompre ce lien. D’autre part et surtout, les Israéliens sont très inquiets de la situation sécuritaire au Sinaï, qui est devenu une zone de non-droit où prospèrent des groupes extrémistes. La réponse israélienne face à ces menaces, jusqu’à présent, a consisté à renforcer la sécurité des frontières.

La mise en œuvre possible d’un contrôle sur les armes chimiques syriennes est une bonne chose pour Israël, lequel n’est pas signataire de la convention sur ce type d'armes et voit là une neutralisation d’une menace potentielle. Si cela se concrétise, ce sera donc intéressant pour Israël.

Je n'ai jamais été impressionné par l’action de l’Union européenne dans la région. Il y a eu beaucoup de discours mais peu de choses produites. Seule la diplomatie du chéquier a fonctionné même si, à l'époque du premier émissaire, Miguel Angel Moratinos, il y avait eu plus d’activisme. Le rapport des consuls européens ont eu peu d'effets sur le terrain.

Obama a essayé de s’engager sur le terrain des colonies. Il s’est rendu compte qu’il n’avait rien pu faire bouger et n’a pas voulu aller plus loin au cours de son second mandat. Succédant à Hillary Clinton, John Kerry a voulu s'impliquer et on ne peut que saluer cela mais si cela ne mènera pas très loin. On risque d'arriver rapidement à une impasse.

M. Bernard Botiveau. Je ne suis pas parfaitement d’accord avec mon collègue. Sur la société palestinienne, je tiens à souligner la grande différence entre les jeunes Israéliens et les jeunes Palestiniens de 20 ans : les premiers sont libres de sortir, les autres pas. Il n’y a pas de symétrie de situation et il existe des rapports de domination. En ce qui concerne la société civile de Gaza, elle est active. Il y a certes des travailleurs sociaux du Hamas mais aussi d'organisations internationales. Quant aux jeunes, qui ne peuvent sortir, ils vont sur les réseaux sociaux et reproduisent, à leur petite échelle, les pratiques culturelles internationales, par exemple musicales. Gaza n’est pas la Corée du Nord ! Une activité économique même réduite, n’y est d’autre part possible que grâce aux tunnels clandestins qui la relient à l'Égypte même si cette dernière en aurait détruit 20 % depuis le coup d'État de l’été 2013.

Par ailleurs, il faut se méfier des « épouvantails » qu’on a en face de soi. Le président Obama se félicitait par exemple que les Frères musulmans égyptiens, avec Morsi, aient adopté une ligne garantissant la stabilité d'Israël. En Syrie, les Frères musulmans sont également bien vus depuis les soulèvements arabes car ils font partie de l’opposition historique au régime dirigé aujourd’hui par Bashar el-Assad ; tandis que le Hamas – qui est lui-même issu des Frères musulmans– est du mauvais côté. Les épouvantails qu’on a en face de soi ne sont peut-être pas les « vrais » épouvantails. Il est dommage qu’on ne prête pas plus attention à l’institutionnalisation des Frères musulmans, lesquels se sont fait une place dans l’espace public dans plus d’un pays de la région, par exemple en Jordanie.

L’idée à retenir est qu’ils sont de plus en plus incontournables dès lors qu’ils sont rentrés dans un jeu politique ouvert.

Les jeunes Palestiniens sont, en tout cas, sensibles à ces questions. Leur isolement est parfois perceptible lorsqu’on évoque certains sujets, comme la Syrie. S’agissant des soulèvements arabes, ils ont peu inspiré les jeunes Palestiniens qui, dès 2011 et 2012, ont su que ce mouvement n’arriverait jamais chez eux.

La question de l'Union européenne est importante. Elle n'a pas été très active en tant qu'institution mais les rapports des consuls européens ont été très importants pour faire connaître les difficultés de circulation, en Cisjordanie, par exemple.

Le dernier point que je voulais évoquer concerne la question posée sur la démographie. Il est difficile d’imaginer une situation où les gens pourront changer leurs modes de mobilité. Les relations professionnelles entre universités par exemple, ou encore les inter-mariages, par exemple, montrent les limites imposées à toute mobilité entre Israël, la Cisjordanie et Gaza : la loi israélienne freine, par le biais des permis de séjour, les unions entre Palestiniens de Cisjordanie et Palestiniens d’Israël par exemple.

Mme la Présidente. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures trente.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du 17 septembre 2013, la commission a nommé :

– M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur sur le projet de loi, adopté par la Sénat, autorisant la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses Etats membres, d’une part et la République de Corée, d’autre part (n° 1330) et sur le projet de loi, adopté par la Sénat, autorisant la ratification de l’accord-cadre entre l’Union européenne et ses Etats membres, d’une part et la République de Corée, d’autre part (n° 1331) ;

– M. Philip Cordery, rapporteur, sur le projet de loi, adopté par la Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région wallonne du Royaume de Belgique sur l’accueil des personnes handicapées (n° 1332).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 17 septembre 2013 à 18 heures

Présents. - M. Avi Assouly, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. Boinali Said, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Thérèse Guilbert, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. François Rochebloine