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Commission des affaires étrangères

Mercredi 18 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 73

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Rencontre avec M. Amr Moussa, ancien ministre des affaires étrangères de la République arabe d’Egypte, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, ancien président du Comité constituant de 2013

Rencontre avec M. Amr Moussa, ancien ministre des affaires étrangères de la République arabe d’Egypte, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, ancien président du Comité constituant de 2013.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous avons le plaisir de recevoir M. Amr Moussa, ancien ministre égyptien des affaires étrangères, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, et ancien président du « Comité des 50 », qui a été chargé de rédiger une nouvelle Constitution, à la fin de l’année 2013. Merci d’avoir accepté notre invitation.

La transition engagée en Egypte a franchi une étape importante avec la tenue de l’élection présidentielle des 26-28 mai. Cette élection représentait la deuxième étape du processus de transition, après l’adoption de la nouvelle Constitution par référendum, les 14 et 15 janvier. Ce processus devrait s’achever avec les prochaines élections législatives, pour lesquelles une nouvelle loi électorale a été promulguée le 5 juin dernier. Vous pourrez peut-être nous dire à quelle échéance ces élections législatives sont susceptibles d’avoir lieu.

La France a fait partie des tout premiers pays à réagir à l’élection du maréchal Abdel Fattah al-Sissi à la présidence de l’Egypte. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a noté que le scrutin s’était déroulé dans le calme et a souhaité au nouveau Président « du succès dans l’accomplissement de sa haute mission ». Comme le ministre l’a indiqué, nous espérons que l’Egypte poursuivra un processus de transition politique vers des institutions civiles respectueuses de l’Etat de droit, des droits de l’homme – et de la femme –et des libertés publiques, en réponse aux aspirations que le peuple égyptien a exprimées en 2011, comme en 2013.

Vous avez été l’un des acteurs clefs de la transition, dans vos fonctions de président du comité constituant, et vous êtes par ailleurs une figure éminente dans le paysage politique égyptien. Comment appréciez-vous le chemin parcouru en Egypte depuis la chute du président Morsi, en juillet dernier ? Et comment voyez-vous les défis importants qui restent à relever ?

Je dois dire que les tensions actuelles nous inquiètent, en particulier les violences politiques, qui auraient fait des milliers de morts depuis août dernier, de même que la multiplication des attentats terroristes, qui auraient causé la mort de centaines de policiers et de militaires. La condamnation à mort d’un millier de personnes à Minya, dans deux procès de masse contre des émeutiers, a par ailleurs suscité en France une vive incompréhension. Quel regard portez-vous sur ces différents développements ?

Nous nous intéressons aussi à la situation économique et sociale, dont la dégradation avait largement contribué à la chute de Hosni Moubarak, puis des Frères musulmans. Comment voyez-vous la situation à l’heure actuelle ? Quelles sont les perspectives d’amélioration ? Comment la France et l’Union européenne pourraient-elles aider votre pays à améliorer la situation ?

Sur la scène régionale, nous espérons que la stabilisation intérieure de l’Egypte lui permettra de jouer tout le rôle qui lui revient. Nous avons déjà noté un renforcement important des relations avec les partenaires du Golfe, qui se sont massivement engagés pour soutenir la transition en cours.

En Libye, quelle est votre analyse de la situation ? Elle nous paraît de plus en confuse au plan politique et au plan sécuritaire, alors que l’offensive lancée par le général Hafter se poursuit. Quelle serait, pour vous, la bonne approche pour la crise libyenne ? Plusieurs pays, dont la France, ont annoncé la nomination d’envoyés spéciaux. Quelle peut être la contribution des pays voisins tels que l’Egypte et l’Algérie, mais aussi de la Ligue arabe ?

En Syrie, les efforts de la communauté internationale ont malheureusement abouti à une impasse, qu’il s’agisse de la transition politique, de la crise humanitaire ou de la lutte contre l’impunité. Pensez-vous que l’initiative de Genève est désormais dépassée ? Le « duo » américano-russe, qui est en grande difficulté, pourrait-il retrouver un rôle ? Enfin, là aussi, quelle pourrait être la contribution des acteurs régionaux ?

M. Amr Moussa, ancien ministre des affaires étrangères de la République arabe d’Egypte, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, ancien président du Comité constituant de 2013. Permettez-moi de vous adresser, Madame la Présidente, ainsi qu’à vous tous, mes remerciements pour cette invitation à m’exprimer devant vous.

L’Égypte a fait face, pendant les dernières décennies, à une situation très dangereuse. La cause principale de la révolution du 25 janvier 2011 réside dans l’échec des gouvernements successifs à gérer correctement les affaires du pays. La mauvaise administration, l’absence de démocratie, le manque de politique claire et efficace pour favoriser le développement économique et l’augmentation très préoccupante de la pauvreté ont conduit le pays à une situation extrêmement grave. Aujourd’hui, un Égyptien sur deux peut être considéré comme pauvre. Les critères internationaux, en application desquels on n’est pauvre qu’à partir d’un revenu quotidien inférieur à 2 dollars, sont insuffisants pour bien saisir la réalité. La situation était si dégradée que la révolution était prévisible dès 2009 ou 2010. Les conditions de vie de la population étaient insupportables en Égypte, comme dans de nombreux autres pays de la région, où les populations éprouvaient un sentiment d’humiliation.

Dans ce contexte, les Frères musulmans se sont présentés comme une alternative modérée et compétente au régime précédent. Tout un courant de pensée, émanant des centres de recherche et des think tanks internationaux, notamment aux Etats-Unis, a étayé l’idée selon laquelle la coopération avec l’islam politique modéré était la solution appropriée dans les pays arabes, en particulier en Égypte, pour combattre l’islam radical. Mais cette théorie ne reflétait nullement ce que pensait le peuple égyptien. Il y a certes eu des élections démocratiquement organisées qui ont conduit à l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, mais ce résultat ne peut pas s’expliquer par les raisons qui ont été mises en avant à l’étranger. Le peuple ne s’est pas dit que l’islam politique modéré était la bonne solution. Il a simplement voulu donner leur chance aux Frères musulmans pour améliorer la situation économique, sociale et politique en Égypte. Toute l’administration s’était effondrée après le départ du président Moubarak.

Les Frères musulmans se sont montrés incapables d’incarner l’alternative dont ils se réclamaient. C’est pourquoi le peuple s’est à nouveau dressé contre un pouvoir incompétent. J’ai fait partie de ces millions d’Egyptiens qui se sont soulevés contre ce gouvernement qui allait conduire à un effondrement complet de l’Etat. La deuxième révolution portait en elle des exigences démocratiques profondes. Au départ, il s’agissait uniquement de demander au président Morsi d’organiser des élections anticipées, et non de quitter le pouvoir. Il s’y est refusé, ce qui a conduit à la révolution populaire du 30 juin, au Caire et dans l’ensemble du pays. L’Egypte ne pouvait pas supporter davantage une aussi mauvaise gestion.

Depuis, la « feuille de route » a été suivie, avec l’adoption d’une nouvelle Constitution, l’organisation d’élections et la mise en place d’institutions qui commencent à travailler pour rétablir la situation. Les élections législatives se dérouleront au plus tard en octobre, conformément à la nouvelle Constitution. Leur préparation commencera dès le mois de juillet.

J’ai beaucoup apprécié, Madame la Présidente, la manière dont vous avez rappelé la position de la France. La nouvelle Constitution égyptienne est exemplaire en matière de droits de l’homme et de la femme. La Constituante s’est beaucoup référée, au cours de ses travaux, à la Constitution française et à la pensée constitutionnaliste française dans son ensemble.

Vous avez également évoqué la question de la violence politique. La révolution du 30 juin a été très violente, car elle témoignait d’une détermination très forte à obtenir des changements profonds, après le refus d’organiser des élections anticipées. Mais c’est seulement après la révolution que du sang a coulé. Il y a un grave malentendu au sujet des condamnations à la peine de mort qui auraient été prononcées dans un millier de cas. Sur les 529 dossiers qui ont déjà été transmis au grand Mufti d’Égypte, il n’y a eu que 37 personnes condamnées à mort, dont 30 par contumace. Parmi ceux qui étaient présents dans la salle d’audience, seule une dizaine a donc été condamnée à mort. J’ajoute que la loi égyptienne impose de faire systématiquement appel contre toute peine de mort prononcée, et qu’il faut suivre quatre étapes avant que la peine de mort soit définitive en Egypte.

La loi égyptienne prévoit la suspension de la peine jusqu’à l’épuisement de toutes les voies de recours internes. Nous nous sommes inspirés des sources de droit étrangères, notamment françaises. Les médias ont créé des malentendus en diffusant des informations erronées. Jamais le peuple égyptien n’aurait accepté que 529 personnes soient condamnées à mort en même temps.

Le nouveau pouvoir égyptien, qui affronte un grave défi, doit faire preuve de compétence pour gérer la situation, contrairement au précédent Gouvernement. La nouvelle Constitution établit les bases nécessaires. Elle reconnaît des libertés, notamment de croyance et d’expression, qui n’existent dans aucune Constitution d’un autre pays arabe. Après l’élection du Parlement et l’adoption de nouvelles lois, la situation de l’Egypte va radicalement changer.

Vous avez raison de dire que la situation économique et sociale du pays est grave. Nous venons de connaître trois années de chaos. Le tourisme s’est arrêté, les réserves de devises ont commencé à diminuer et le taux de chômage s’élève à 20 %, mais l’activité économique ne s’est pas effondrée.  Il existe aujourd’hui une volonté de faire en sorte que le développement économique aille de pair avec la justice sociale.

Même si nous devons d’abord compter sur nous-mêmes pour remettre en route l’économie, il faut aussi coopérer avec les autres pays. J’ai ainsi proposé d’organiser une conférence économique internationale à laquelle participeraient le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Union Européenne, le Conseil de coopération du Golfe et les grands pays industrialisés. Ce serait l’occasion de présenter un plan de développement pour les années à venir en Egypte.

Un nouvel ordre arabe se dessine avec l’engagement de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, et d’autres Etats encore, aux côtés de l’Egypte. Les pays arabes n’ont pas attendu les institutions financières internationales pour investir des montants considérables en Egypte, qui est le plus grand des pays arabes. Alors que la principale puissance mondiale avait suspendu son aide annuelle, à hauteur de 200 millions de dollars, les pays arabes ont décidé d’en donner 12 milliards.

L’Egypte joue un rôle très important dans la stabilité de la région. Si l’Egypte avait conservé sa bonne santé économique, sociale et politique, jamais la situation au Moyen-Orient n’aurait été aussi grave.

Il y a deux semaines, les pays voisins de la Libye, arabes comme africains, se sont réunis en Algérie, en présence d’envoyés internationaux. C’est là que réside la solution. L’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, le Tchad et le Niger sont tous affectés par les événements en Libye. Je soutiens toujours le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a pour mission de sauvegarder la paix et la sécurité dans le monde, mais les positions adoptées par la communauté internationale sont parfois contradictoires. Elle a permis une intervention en Libye, mais pas en Syrie.

La première conférence de Genève avait demandé la mise en place d’un gouvernement de transition, mais rien de tel ne s’est produit. Après la conférence de Genève II, on a commencé à évoquer un Genève III. Ce serait totalement inutile, sauf peut-être pour un volet humanitaire. Il faut se placer dans un cadre régional. Ni les Etats-Unis, ni la Russie, ni l’Iran ne sont les seuls États décisionnaires. Les Etats arabes doivent aussi être présents autour de la table. Lorsque le Conseil de sécurité n’est pas bloqué par le droit de véto, il adopte un compromis bancal et inefficace. Et les solutions russo-américaines ne fonctionnent pas non plus.

Avec les événements récents en Irak, la situation en Syrie a commencé à évoluer différemment. On ne peut plus traiter isolément la situation dans chacun de ces deux pays, et la page des accords Sykes-Picot est définitivement tournée. Les superpuissances ne peuvent plus imposer leur bon vouloir dans la région. Il faut composer avec les pays arabes voisins et aider l’Egypte à revenir dans le jeu, face à l’Iran et à la Turquie. On a besoin de la diplomatie égyptienne. Alors que la politique étrangère menée par l’Iran est dure, et celle de la Turquie plus douce, l’Egypte se situe entre les deux. Nous savons combiner la dureté et la douceur.

M. Jean Glavany. Je dois dire que m’interroge sur la dureté de l’Iran et la douceur de la Turquie, mais ce n’est pas la question que je voudrais poser.

Le rapport à la démocratie s’est amélioré récemment en Egypte, avec l’élection du maréchal Sissi, à l’issue d’un processus politique peu contesté. Mais ce pouvoir est né d’un coup d’Etat, après un soulèvement populaire peut-être organisé par l’armée. Depuis qu’elle a pris le pouvoir, un pouvoir politique fort s’installe, que d’aucuns pourraient qualifier de despotique.

Vous nous avez en partie rassurés en nous expliquant que seules 37 personnes avaient été condamnées à mort, en réalité. Mais c’est encore 37 personnes de trop dans des démocraties telles que la nôtre. L’emprisonnement de milliers de personnes pour des raisons politiques ne contribue-t-il pas aussi à creuser un fossé entre le régime et les aspirations initiales du processus révolutionnaire ? Alors que la gestion des Frères musulmans avait été catastrophique à tous égards, leur martyrisation ne va-t-elle pas leur permettre de renaître de leurs cendres ? Comment se passera le rendez-vous inéluctable du pouvoir avec la démocratie, les libertés et les droits de l’homme ?

M. Hervé Gaymard. La Ligue arabe aura soixante-dix ans l’an prochain. Elle a traversé de nombreuses épreuves, en particulier pendant la guerre américaine de 2003 en Irak. Après les « printemps arabes » et avec ce qui se passe aujourd’hui en Syrie et en Irak, comment voyez-vous l’avenir de cette institution ?

M. François Loncle. L’intervention en Libye, dont seule la première phase avait été validée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, a produit des effets désastreux. Quel regard portez-vous sur cette guerre et sur ses conséquences ?

Vous nous avez dit que les puissances occidentales ne sont pas les acteurs les mieux placés pour résoudre des crises régionales telles que la crise syrienne, et que ce rôle devait plutôt revenir aux puissances régionales. Je le crois aussi, mais ces puissances n’ont pas fait la preuve de beaucoup d’efficacité jusqu’à présent. Comment l’expliquez-vous ?

M. François Rochebloine. Permettez-moi de citer une chronique parue il y a quelques jours dans un grand journal du soir. « Alors que les Etats-Unis blâment Jérusalem pour la récente rupture des pourparlers israélo-palestiniens, Abbas teste la bonne volonté de « Bibi » Nétanyahou. Celui-ci s’enferme dans son rejet d’une négociation dont ne veulent ni son parti, le Likoud, ni ses alliés de l’ultra-droite. Il préfère garder sa majorité plutôt que de prendre le risque de la paix. En refusant de parler au nouveau gouvernement palestinien, « Bibi » jette le masque, dit Elie Barnavi, ancien ambassadeur israélien en France, dans le Huffington Post. A la négociation, Nétanyahou préfère la colonisation. » J’aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet.

M. Jean-Paul Bacquet. Vous nous avez expliqué à quel point la situation était difficile en Egypte, et comment la pauvreté s’était aggravée. Comment appréciez-vous l’action de l’Agence française de développement ?

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité pour les acteurs régionaux de s’impliquer davantage. Nous avons observé un renforcement des liens entre l’Egypte et l’Arabie saoudite. Cela pourrait-il conduire à l’émergence d’un nouvel axe structurant au plan régional ?

J’aimerais aussi connaître votre avis sur la nouvelle stratégie adoptée par la Palestine, qui consiste à chercher une reconnaissance internationale par la conclusion d’une série d’accords internationaux, et à s’engager dans une nouvelle tentative de réconciliation inter-palestinienne.

Enfin, nous avons appris que le maréchal Sissi s’était inquiété des agressions sexuelles qui sont nombreuses et parfois extrêmement graves en Egypte. Il aurait demandé au ministre de l’intérieur d’être plus actif dans ce domaine. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Amr Moussa. On pourrait débattre longtemps de la douceur et de la dureté en matière de politique étrangère. Je dirais que tout dépend du point de vue.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur le point de savoir si l’on a assisté à un coup d’Etat ou à une révolution en Egypte. C’est une perte de temps. Les Egyptiens, qui sont les premiers intéressés, considèrent qu’ils ont mené une révolution contre les Frères musulmans, dont l’action au pouvoir avait conduit le pays au bord de la guerre civile. Sans véritable révolution, il n’y aurait pas eu de changement de Président et de Constitution. L’armée est intervenue pour arrêter l’effusion de sang.

Aucune des condamnations à mort si souvent évoquées n’a été exécutée pour le moment, car toutes vont faire l’objet de recours. Il faut corriger ce que dit la presse. Ces condamnations ont été prononcées individuellement, contre un petit nombre de personnes, qui toutes pourront bénéficier de recours. Je voudrais rappeler qu’il y a quatre étapes judiciaires entre une condamnation à mort et l’exécution de cette peine en Egypte.

Des décisions très dures ont été prises au cours des trois dernières années. On peut en discuter, mais l’Egypte était au bord du gouffre. Il a fallu agir vite et efficacement. Avec la nouvelle Constitution, le nouveau Président, et bientôt le nouveau Parlement, tout va changer.

Comment le régime ira-t-il à la rencontre de la démocratie et des libertés ? Il suffit d’appliquer notre Constitution. Elle est très différente de celle des Frères musulmans, car elle n’exclut personne de la vie politique. La Constitution de 2012 avait écarté tous ceux qui avaient été députés pendant deux législatures sous l’ère Moubarak, et ceux qui avaient été membres du parti au pouvoir. Des milliers d’Egyptiens se trouvaient privés de leurs droits politiques. La nouvelle Constitution ne prévoit pas d’exclusions générales, et laisse le pouvoir judiciaire se prononcer. Tout le monde pourra se porter candidat, y compris les Frères musulmans. Nous voulons un pouvoir démocratique et une opposition qui existe. Elle est la bienvenue dans la rue et au Parlement. Les opposants ont le droit d’exprimer leurs idées et de déposer leurs amendements.

La situation a beaucoup évolué dans la région. Il faut tenir compte de la nouvelle donne en mettant en place un nouvel ordre arabe en matière politique, économique et sécuritaire. La Ligue arabe doit s’adapter. C’est une nécessité pour assurer notre sécurité et notre développement. Comment pourrait-on accepter les évènements qui se déroulent en Irak et en Syrie ? Comment admettre que la question palestinienne soit abandonnée à son triste sort ? Il n’y aura jamais de sécurité, ni de développement économique, sans une solution juste et équitable pour chacune des deux Parties. L’initiative arabe de Beyrouth a défini, en 2002, les principes de base.

En Libye, il faut une intervention du Conseil de sécurité, mais les pays voisins ont aussi leur mot à dire. Ils ont une contribution à apporter. Il ne s’agit pas de réunir les « amis de la Libye », mais de rassembler les Etats voisins pour lutter contre le danger du terrorisme, qui s’étend jusqu’au fin fond du Sahel. Il faut mettre un terme à la dégradation de la situation.

Une coopération régionale est tout aussi nécessaire en Syrie. Les grandes puissances se soucient bien peu des 160 000 victimes de cette guerre et de l’Etat islamique en Irak et au Levant. Il faut aller au-delà des beaux discours et des rencontres pompeuses. Les grandes puissances et les acteurs régionaux doivent mettre en place, ensemble, un plan pour éradiquer le terrorisme et pour assurer la paix en Syrie et en Irak, comme ailleurs. En Libye, le général Hafter s’y emploie.

En Palestine, la négociation ne pourra pas aboutir tant que la colonisation se poursuivra. M. Kerry est plein de bonne volonté, mais il ne réussira pas tant que l’on ne dira pas clairement à M. Netanyahou que la poursuite de la colonisation rend impossible toute solution, ce qui empêche d’établir la paix et la stabilité dans la région.

On affirme que le « printemps arabe » a fait oublier la question palestinienne, mais ce n’est pas vrai. Elle demeure prioritaire pour les puissances régionales. Elle n’a été éclipsée que dans les unes des journaux, hier par la Syrie et aujourd’hui par l’Irak. On ne pourra pas lutter efficacement contre le terrorisme sans résoudre la question palestinienne. Là aussi, une action régionale est nécessaire.

Tant que les Palestiniens seront acculés par la colonisation, comment pourra-t-on les empêcher de se lancer dans une offensive diplomatique et de tenter de se réconcilier au niveau national ? Comme tout le monde, je les félicite pour cette initiative de réconciliation, et j’ai demandé au Hamas de reconnaître l’initiative arabe pour la paix. Seul Israël peut trouver un intérêt à diviser les Palestiniens.

Notre ambassadeur est plus au fait que moi du rôle de l’AFD. Je dirai seulement que son action est essentielle pour le développement en Egypte, dans la limite de ses moyens. Je rappelle aussi que son action ne s’est jamais interrompue, y compris au cours des trois dernières années. L’AFD a continué à participer à la construction de la troisième ligne de métro du Caire, qui est l’une des infrastructures les plus importantes pour nous, ainsi qu’à d’autres projets de développement au Caire et en Haute-Egypte. Il faut accroître les moyens de cette Agence, dans l’intérêt de nos deux pays.

Il ne s’agit pas de constituer un arc, ou un axe, avec l’Arabie saoudite. Nos liens n’ont probablement pas été suffisamment exploités par le passé, mais ils sont tout à fait naturels. L’Egypte a été éclipsée du concert régional au cours des trois dernières années, et elle a manqué aux autres pays arabes. Ils ont besoin que l’Egypte revienne sur la scène internationale pour redonner à la région son équilibre et pour garantir son poids dans le monde. En l’absence de l’Egypte, les pays arabes se sont beaucoup affaiblis. Personne ne les a consultés sur la Syrie. Avec l’Egypte, ils peuvent faire entendre leur voix et proposer des solutions. La situation évolue, comme l’a montré l’invitation adressée par le ministre saoudien des affaires étrangères à son homologue iranien. Les contacts entre l’Arabie saoudite et l’Egypte sont porteurs de stabilité et de visibilité pour l’action arabe.

Le Président et le nouveau Gouvernement sont très attentifs aux violences faites aux femmes. Dès que le Parlement sera élu, des lois seront votées pour lutter contre ces violences. L’opinion publique est très mobilisée, et exige des peines très sévères. Notre Constitution va aussi dans la bonne direction, puisqu’elle garantit aux femmes des droits importants et garantit leur protection.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Merci de nous avoir fait bénéficier de vos connaissances et de votre grande expérience. Nous souhaitons à votre pays tout le succès possible. Nous avons besoin que l’Egypte retrouve un rôle majeur dans cette région qui connaît de nombreux soubresauts.

M. Amr Moussa. Je voudrais dire que j’ai beaucoup apprécié cette rencontre. Vos questions montrent à quel point vous connaissez la situation de l’Egypte, et témoignent de la relation privilégiée qui existe entre nos deux pays.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 18 juin 2014 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Pierre Dufau, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Patrice Martin-Lalande, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Paul Dupré, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Lionnel Luca, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle