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Commission des affaires étrangères

Mercredi 25 juin 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 76

co-présidence de M. Michel Vauzelle, Vice-président et de Mme Danielle Auroi, Présidente

– Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Pierre Vimont, secrétaire général du service européen pour l’action extérieure (SEAE)

Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Pierre Vimont, secrétaire général du service européen pour l’action extérieure (SEAE)

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Danielle Auroi. Merci, monsieur le Secrétaire général, d’avoir accepté d’être à nouveau auditionné par notre commission, dans le cadre de cette réunion conjointe avec la Commission des affaires étrangères.

Votre engagement européen de longue date, votre très grande expérience des affaires européennes, dans des missions différentes et complémentaires, rendent votre présence parmi nous particulièrement précieuse et utile, pour nous éclairer sur les enjeux de la politique étrangère et de sécurité commune, politique toujours en construction.

Vous étiez déjà venu devant nous il y a un peu moins de deux ans, en novembre 2012, pour une audition organisée conjointement avec la Commission de la défense, sur un thème plus ciblé qu’aujourd’hui, puisqu’il s’agissait de la politique européenne de défense.

Même s’il n’exclut pas cette question, le champ de votre audition d’aujourd’hui est plus large puisqu’il recouvre l’activité du Service européen d’action extérieure (SEAE), globalement, donc toute la politique extérieure de l’Union, en particulier les champs dans lesquels l’action de l’Europe a été récemment la plus apparente, notamment dans les Balkans – par exemple l’accord Serbie-Kosovo, l’Iran ou le Proche-Orient.

D’autre part, face à la diversité et à l’importance des crises actuelles – la crise ukrainienne bien sûr, mais aussi la guerre en Syrie, la nouvelle guerre d’Irak, la persistance d’une situation dramatique en République centrafricaine, les difficultés persistantes en Lybie et en Egypte, et hélas j’en passe –, nous nous posons tous beaucoup de questions sur la possibilité d’impulser, avec vingt-huit États membres, une véritable stratégie européenne en matière de politique étrangère et de défense.

Cette convergence progressive des politiques étrangères des États membres est pourtant plus que jamais nécessaire pour que les pays européens puissent peser efficacement sur les affaires du monde, en parlant le plus souvent possible d’une seule voix.

J’aimerais que cette question soit abordée, notamment à l’aune de la crise ukrainienne. Je dois conduire prochainement, du 3 au 6 juillet, une mission dans ce pays. Comment développer, dans la durée, une véritable politique extérieure européenne vis-à-vis de cette proximité orientale de l’Union, à vingt-huit États membres aux intérêts divergents, notamment en ce qui concerne les questions économiques ou l’opportunité d’adhésions futures ? Les discussions autour de la politique des sanctions ou simplement de la position à adopter vis-à-vis de la Russie ont montré la difficulté de réunir les approches des uns et des autres. Nous serons donc particulièrement intéressés de vous entendre à propos des efforts engagés à cet égard, notamment quant à l’élaboration d’une stratégie commune vis-à-vis de la Russie.

S’agissant à présent du service dont vous avez la responsabilité, à la lumière des enseignements tirés de ses premières années de fonctionnement, la haute représentante Catherine Ashton a présenté, le 26 juillet 2013, un rapport sur la révision du SEAE, recensant ce qui lui semblait fonctionner ou ne pas fonctionner, et a formulé 35 propositions pour le court et le moyen terme. Où en sont ces propositions ?

Peut-on estimer qu’une culture diplomatique commune émerge progressivement parmi les agents qui composent le service dont vous avez la responsabilité, diplomates d’origines très diverses, des États membres, du Conseil, de la Commission européenne ?

Lors de votre précédente audition, vous aviez notamment souligné que le SEAE, dont la création était encore toute récente, avait pour objectif d’assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l’action extérieure de l’Union européenne, afin de leur donner une efficacité maximale, notamment en période de crise. Estimez-vous que cet objectif de bonne coordination est atteint aujourd’hui et que le SEAE est devenu – ou est en voie de devenir – l’authentique service diplomatique européen qui était attendu, sous l’autorité de la haute représentante ? En prenant un peu de champ, peut-on considérer que ce rapprochement des diplomates, au sein d’un même service, facilite effectivement, dans la durée, la convergence progressive des diverses politiques étrangères des États membres ?

Juste après la création du SEAE, en juin 2010, sous la dernière législature, dans un rapport d’information présenté au nom de notre Commission, la Présidente Élisabeth Guigou et notre ancien collègue Yves Bur avaient insisté sur la nécessité que tous les moyens soient effectivement donnés à la Haute représentante afin de coordonner les différents volets de l’action extérieure de l’Union, la politique étrangère et de sécurité, mais aussi la politique de développement ainsi que l’action humanitaire, gérés quotidiennement par d’autres commissaires. Quelle appréciation peut-on porter sur la mise en œuvre concrète de ce besoin de coordination par la Haute représentante, indispensable pour assurer efficacement l’influence de l’Union dans le monde, au service de nos intérêts et de nos valeurs ? Cette coordination inclue-t-elle concrètement la politique commerciale, autre visage essentiel de l’action internationale de l’Union tout particulièrement d’actualité ?

Enfin, le principe de la prise de décision à l’unanimité reste une des clés majeures du fonctionnement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Le traité prévoit néanmoins un certain nombre d’exceptions à cette règle. En pratique, ces procédures de prise de décision à la majorité qualifiée ont-elles été utilisées ? Quels enseignements peut-on en tirer ?

M. Michel Vauzelle, Vice-président de la Commission des affaires étrangères. Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie d’avoir accepté cette invitation commune à nos deux commissions. Depuis que vous avez été nommé, en octobre 2010, vous avez eu la lourde tâche de construire une nouvelle administration, en rassemblant des compétences issues des services de la Commission européenne, du Conseil et des administrations nationales, le tout dans un contexte international particulièrement troublé et marqué par une crise économique, financière et politique.

Au-delà de l’actualité immédiate – notamment l’Ukraine et l’Irak, qui étaient à l’ordre du jour du dernier conseil Affaires étrangères –, l’heure est à la fois au bilan et aux perspectives, à la veille du renouvellement des instances dirigeantes de l’Union européenne.

Pour ce qui est du bilan, il est contrasté. De véritables réussites sont à mettre au crédit de Mme Ashton – je pense notamment au Kosovo ou aux négociations avec l’Iran. Sur d’autres dossiers, la Haute représentante a peiné à rendre visible l’action de l’Union – je pense notamment au voisinage du Sud, depuis l’échec de l’Union pour la Méditerranée (UpM), alors que nous sommes avec ces pays moins en relation de voisinage que de cohabitation, au conflit israélo-palestinien, où l’Europe est plus que discrète, ou encore à la Syrie. L’Union s’est également montrée peu ou mal outillée pour réagir rapidement et efficacement aux crises.

Par ailleurs, la création d’un service diplomatique européen a suscité autant d’espoirs que de critiques. On a le sentiment que le SEAE n’a pas toujours reçu l’impulsion politique qui lui aurait été nécessaire pour s’affirmer en qualité de véritable service diplomatique européen. Vous nous direz dans quelle mesure sa réorganisation, ainsi que celle des délégations de l’Union, est en mesure de l’aider à prendre son essor au service des objectifs ambitieux de la politique extérieure et de sécurité commune.

Cela dit, rien ne nous empêche d’imaginer une Europe capable de développer sa propre vision et de regagner en influence au plan mondial. La question est simple, la réponse évidemment complexe car il s’agit de la trouver à vingt-huit : quels sont les objectifs stratégiques sur lesquels nous voulons nous concentrer à l’avenir et comment se donner les moyens de les atteindre ?

J’identifie pour ma part quelques chantiers incontournables sur lesquels il nous sera précieux d’avoir votre éclairage.

Parmi les leçons de la crise ukrainienne figure la nécessité de réviser notre politique orientale et, plus largement, notre politique de voisinage, qui a pêché par un certain eurocentrisme et un manque de clarté dans ses objectifs. Si nous devions nous recentrer sur quelques objectifs politiques dans notre voisinage, quels seraient-ils ? Comment articuler cette politique avec un partenariat ambitieux avec ces deux voisins incontournables que sont la Russie et la Turquie ?

Autre dossier prioritaire à mes yeux, le renforcement de notre puissance militaire. Une politique étrangère européenne supposerait non seulement une analyse et une gestion communes des crises, y compris, si nécessaire, avec une composante militaire, mais aussi une même approche des menaces latentes et des risques à moyen et long terme. Les déclarations en ce sens d’éminentes figures politiques allemandes lors la Conférence sur la sécurité de Munich permettent-elles, selon vous, d’espérer des avancées, ne serait-ce que dans la mise en œuvre des conclusions du Conseil de décembre 2013, certes modestes mais qui ont le mérite d’être concrètes ?

Troisième priorité, celle d’une doctrine commune, à la fois politique et économique, à l’égard des grands émergents d’Asie et d’Amérique latine, mais aussi d’Afrique, continent fort de promesses, et de risques – faut-il rappeler que la majorité des opérations extérieures de l’Union s’y déploient ? Sur ce point, il faut avouer que la France est un peu seule et que nous avons du mal à identifier la stratégie de l’Union.

M. Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du SEAE. Le SEAE a été fondé il y a maintenant trois ans et demi ; nous sommes donc encore au début d’une grande aventure institutionnelle et administrative. Il correspond à une véritable nouveauté dans le cadre du système institutionnel de l’Union européenne. C’est pourquoi sa mise en place demande du temps.

Un rapport d’étape, ou « revue », a été rédigé à l’été 2013. Il est vraisemblable que celui-ci soit arrivé un peu trop tôt, puisque le SEAE était encore une création extrêmement récente. Ce rapport a été demandé par les États membres, qui voulaient notamment savoir si l’objectif qu’un tiers des cadres de catégorie A au sein du Service soient des diplomates avait été atteint. Le rapport l’a confirmé : sur 900 cadres de catégorie A, environ 300 sont des diplomates de carrière.

Ce rapport fixait par ailleurs une feuille de route identifiant les réformes nécessaires. Mme Ashton estime qu’il reviendra à son successeur au poste de haut représentant de mettre en œuvre ces réformes – son mandat, comme celui de la plupart des cadres travaillant au SEAE, arrive en effet à son terme cette année.

Le SEAE emploie aujourd’hui environ 3 700 personnes, dont 1 500 à Bruxelles et un peu plus de 2 000 dans les délégations, auxquels il convient d’ajouter environ 4 000 représentants des autres directions de la Commission européenne. Cela constitue un réseau important à l’étranger, que nous essayons de faire vivre en ouvrant des délégations là où nous en avons le plus besoin et en en fermant d’autres. Nous avons ainsi ouvert des délégations à Tripoli mais aussi au Myanmar, sommes en train d’en ouvrir une dans les Émirats arabes unis et projetons des ouvertures à Doha et Téhéran. Dans le cadre du budget communautaire, nous devons cependant réduire nos dépenses administratives de 5 % sur les cinq prochaines années : il faudra donc par ailleurs supprimer des postes ou fermer des délégations.

La taille du Service est comparable à celle du service diplomatique de la Belgique. Elle est donc très en-deçà, en termes quantitatifs, de ceux de la France, de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne.

Depuis le traité de Lisbonne, la Haute représentante remplit les fonctions de présidente du conseil des ministres des affaires étrangères, de la défense et du développement, préside les travaux du Comité politique et de sécurité (COPS) et les groupes de travail à dominante géographique au sein du Conseil. Le SEAE prépare les travaux des ministres des Affaires étrangères et en assure ensuite le suivi. De l’avis général, ces activités sont menées de façon satisfaisante.

Le SEAE assure aussi la coordination dans les pays tiers entre la délégation et les ambassades des États membres. Il s’agit également d’un travail important, réalisé de façon satisfaisante. Nos partenaires des pays tiers estiment qu’il s’agit d’une situation bien plus confortable que celle qu’ils connaissaient auparavant.

Le Service a été confronté à un grand nombre de crises depuis sa mise en place, concomitante avec le déclenchement des printemps arabes en Tunisie et en Égypte. Depuis lors, les crises se sont multipliées dans cette région, en Afrique et en Europe de l’Est. Le SEAE a dû développer une culture de la gestion de crise qui n’existait pas auparavant dans les institutions européennes. Désormais, le SEAE, lors de ses réunions de coordination, réunit autour de la même table le service de l’action humanitaire, les services en charge du développement et de la coopération, et, le cas échéant, les services en charge des questions d’immigration, de transports, d’énergie. C’est encore insuffisant, il reste des efforts à fournir, mais nous sommes sur la bonne voie.

Le Service souffre d’un certain nombre de faiblesses et de manques. Il nous faut en effet améliorer les relations entre les différentes institutions, la culture des uns et des autres étant encore mal adaptée à une approche réellement intégrée. Par ailleurs, il faudra faire en sorte, à l’avenir, que le Haut représentant soit le coordinateur de tous les commissaires en charge d’un aspect de l’action extérieure, par exemple à travers des réunions mensuelles organisées autour de lui. De plus, un véritable esprit de corps ne s’est pas encore développé au sein du SEAE, du fait de l’addition de fonctionnaires venus de la Commission européenne et des États membres. Un travail important en la matière, qui peut prendre plusieurs années, reste encore à accomplir.

Enfin, il nous faut définir une vraie vision stratégique, commune à tous les États membres et à toutes les institutions.

Le monde actuel voit se multiplier des crises exigeant une plus grande attention de notre part. Celles-ci sont en train de changer de nature : elles sont le fait non plus seulement d’États mais de plus en plus d’acteurs non étatiques, groupes terroristes ou non terroristes qui s’attaquent souvent à l’intégrité territoriale des États. Ce nouveau phénomène prend une ampleur sans commune mesure avec ce que nous avons pu connaître dans le passé.

Il est nécessaire d’adopter de nouvelles manière d’aborder ces crises.

La première est ce que vous appelez la « proximité », ce que, à Bruxelles, nous appelons le « voisinage », c’est-à-dire le partenariat oriental et le voisinage du Sud. La nouvelle Commission européenne devra reconsidérer cette question. La cohabitation de ces deux ensembles de l’Est et du Sud dans une seule et même politique a-t-elle encore un sens aujourd’hui ou faut-il deux politiques distinctes ?

La nature des problèmes qu’affrontent ces deux régions géographiques et les perspectives qui s’ouvrent à elles sont différentes. Les pays du partenariat oriental ont légitimement le droit de poser la question de savoir si, un jour, ils pourraient adhérer à l’Union européenne. La réalité est différente concernant les pays du voisinage du Sud car ils ne sont pas européens, ce qui détermine des objectifs différents. C’est cette absence de vision avec les pays du Sud qui nous handicape aujourd’hui.

La deuxième manière de mener une nouvelle réflexion consiste à s’intéresser à notre relation avec des partenaires stratégiques comme la Russie et les États-Unis. Il est nécessaire de réfléchir avec les États-Unis à une vision commune et à l’avenir de la relation transatlantique et de réfléchir à nos relations avec la Chine mais également avec d’autres pays émergents comme le Brésil, le Mexique, l’Inde ou l’Afrique du Sud.

Enfin, le troisième dossier sur lequel nous devons nous pencher, peu souvent évoqué mais à propos duquel l’Union européenne a progressé ces dernières années, est relatif à notre relation avec les grandes organisations multilatérales, comme l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union africaine ou la Ligue arabe, en relation avec la réflexion portant sur le voisinage du Sud.

Nous avons réussi à développer avec ces organisations, avec d’autres encore, ainsi qu’avec les pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), une dynamique de travail plus développée qu’auparavant. Ainsi, lorsque des crises surviennent, ces acteurs font appel à l’Union européenne, non seulement pour obtenir de l’aide financière mais aussi pour lui demander de réfléchir avec eux sur la manière de sortir de ces crises politiques. L’Union européenne est désormais un acteur impliqué dans la plupart de ces crises, comme dans celle sévissant au Soudan du Sud, pour laquelle son aide est sollicitée, mais aussi comme au Soudan ou encore en République centrafricaine.

L’Union européenne et le SEAE ont trois défis méthodologiques à affronter.

Tout d’abord, la capacité de l’Union à analyser les situations exige de se doter de capacités d’évaluation et d’analyse dans nos délégations, en liaison avec les services de renseignement des États membres, ainsi que de capacités à anticiper les évènements et à agir à temps. À ce propos, l’incapacité de notre chef de délégation en Irak à nous alerter sur ce qui se passait depuis déjà plusieurs mois dans ce pays, notamment à Falloujah, est frappante ; même si nous avions mis en garde les autorités irakiennes contre le danger et les menaces en présence, nous avons été pris de cours.

Le deuxième défi consiste à parvenir à changer les mentalités. Le problème fondamental est que l’Union européenne a jusqu’à maintenant été « payeur » davantage qu’« acteur ». Elle a rarement été un vrai grand acteur politique, sur la scène internationale, pesant sur la résolution des grandes crises, mais elle tend à le devenir de plus en plus, par exemple en Iran et dans les Balkans. Son système administratif éprouve des difficultés à assumer cette réalité. Il doit se transformer car, initialement, il n’avait pas été créé pour cela : la Commission européenne s’occupait avant tout de droits de l’homme, de commerce, de développement et d’action humanitaire ; en concordance avec la volonté des États membres, elle ne faisait pas de politique étrangère. Ce changement, induit par le traité de Lisbonne, doit s’accompagner d’une véritable révolution des mentalités, qui prendra du temps.

Le troisième défi est relatif à l’unité et à la cohérence de la diplomatie européenne : savoir définir le rôle des États membres d’un côté et celui de l’Union européenne de l’autre, savoir agir en bonne complémentarité et, enfin, savoir cibler là où l’Union européenne peut apporter une valeur ajoutée. En citant le cas de l’Ukraine, je serai plus optimiste qu’on ne l’est habituellement : lorsque les pays de l’Union se réunissaient, de fortes divisions et des points de vue divergents prévalaient mais, à l’issue de ces réunions, ils se montraient finalement capables de converger vers une position unie car ils avaient conscience qu’une telle unité était indispensable pour influer. Cela devrait nous donner des espoirs à mesure que nous avançons en matière de diplomatie européenne.

M. Pierre Lellouche. M. Pierre Vimont a été un formidable diplomate et a apporté sa très grande expérience dans cette innovation qu’est le SEAE. J’ai apprécié sa franchise à propos des aspects positifs et négatifs de son expérience au SEAE.

Nous savons que les États, pour diriger la politique extérieure de l’Union européenne, veulent désigner une personne qui ne fera pas d’ombre à leur propre politique étrangère. En outre, l’Union européenne n’a pas aujourd’hui de réelle politique de défense et les seuls États qui dépensent de l’argent pour l’Europe de la défense ont de moins en moins les moyens de s’investir dans le hard power. Enfin, la justice américaine impose un tsunami normatif aux relations économiques internationales et nous vivons de plus en plus sous la coupe du droit américain. Enfin, en matière d’échanges internationaux, nous éprouvons de grandes difficultés à établir un minimum de réciprocité vis-à-vis des pays émergents, notamment la Chine.

Dans ces conditions, est-il encore raisonnable de continuer de parler de « politique étrangère » de l’Union européenne ou s’agit-il simplement d’améliorer la coordination du travail des commissaires, en prenant acte du fait qu’il s’avère difficile de faire travailler ces acteurs ensemble ?

Au final, l’investissement en vaut-il la chandelle ? Le SEAE n’est-il pas simplement un élément supplémentaire ajouté à la bureaucratie de l’Union européenne ? Il semblerait que son action ne pèse pas vraiment sur les grandes affaires. Ce manque d’influence tient en partie à Mme Ashton et aux divergences entre les États européens, mais est-il judicieux de dépenser autant d’argent pour un service comme le SEAE ?

En outre, ne devrait-on pas arrêter de parler d’une « Europe de la défense » ? Ne serait-il pas plus raisonnable de réduire le niveau rhétorique du discours tenu au peuple européen alors que l’Europe de la défense n’existe pas ? Le temps de revenir à la réalité n’est-il pas arrivé ?

M. Axel Poniatowski. Lorsque vous comparez le SEAE à l’organisation de l’action extérieure de la Belgique, raisonnez-vous en termes de crédits budgétaires, d’effectifs de fonctionnaires ou de nombre d’ambassadeurs ?

L’Union européenne possède-t-elle des ambassades auprès des États membres de l’Union européenne ?

Comment s’articule la coordination entre les ambassades de l’Union européenne et celles des États membres ?

Après trois ans, vous avez une expérience unique de l’action extérieure de l’Union européenne. Sur le plan de l’organisation de ce service international, feriez-vous la même chose aujourd’hui ?

Les implantations des ambassades de l’Union européenne sont-elles bien choisies ?

L’Union européenne est très tournée vers les pays ayant besoin d’une aide internationale. N’aurions-nous pas intérêt à focaliser l’action extérieure sur ces pays ? En cas de crise, ce sont les chefs d’État ou les ministres des affaires étrangères des États membres qui se déplacent, pas les dirigeants européens. Quel est donc l’intérêt d’avoir des ambassades de l’Union européennes chez les BRICS ou dans les grand pays stratégiques ? Ne font-elles pas double emploi avec celle des États membres ? De réelles économies pourraient être accomplies en implantant ces ambassades dans les pays les moins stratégiques, où finalement l’Union européenne joue un rôle plus important que chacun des États membres individuellement.

Comment mener une politique étrangère sans politique de défense ? La Grande-Bretagne et la France, par exemple, ont à la fois une défense qui se projette et une réelle politique étrangère.

Dans le cadre de vos fonctions, vous avez constaté que certains pays sont hermétiques à la constitution d’une politique de défense commune. Pensez-vous que naîtra un jour une véritable politique de défense de l’Union européenne, opérationnelle et capable de se projeter ?

M. François Loncle. Malgré nos multiples invitations, Mme Ashton n’a pas souhaité se rendre devant les parlements nationaux. Est-ce une marque de mépris ou la peur de ne pas être suffisamment compétente ?

J’ai observé que la représentation diplomatique de l’Union européenne à travers le monde doublonnait avec les représentations des États membres. Une ambassade de l’Union européenne pourrait suffire pour toute l’Afrique de l’Ouest, une autre pour toute l’Afrique orientale et une troisième pour toute l’Afrique australe, par exemple.

M. Michel Piron. Vous avez évoqué l’intérêt des synthèses politiques entre État membres. Mais les positions communes obtenues sont-elles de réelles positions ou des absences de position ?

L’absence de politique européenne pour le pourtour méditerranéen n’est-elle pas due aux divergences de sensibilité en l’Europe du Nord et l’Europe du Sud ? Nous sommes là à la frontière entre politique humanitaire et politique de sécurité. Comme beaucoup de citoyens, les vagues de migrants m’ont choqué, mais l’Italie n’en peut plus. Face à ce phénomène, quelle est l’approche européenne ? Est-il possible de contrôler les eaux méditerranéennes, de sorte que la gestion des migrants ne repose pas sur un seul pays ? Peut-on espérer à un minimum de solidarité européenne ?

M. Pierre Lequiller. Les dernières élections européennes ont été marquées par une montée des extrêmes et l’absence de politique étrangère extérieure a surement joué dans ces résultats. Je ne jette pas la pierre à Mme Ashton, car c’est une tâche difficile, mais l’Europe a été peu présente pour régler les crises en Afrique ou en Ukraine. Une politique extérieure de l’Union européenne visible aurait pu avoir des répercussions positives sur la perception que nos concitoyens ont de l’Union.

Un travail en amont est-il mené pour chercher à prévoir les évènements et à commencer à harmoniser les positions européennes avant que les crises ne surviennent ?

A-t-il été essayé d’engager une coopération renforcée en matière d’Europe de la défense, en réunissant, dans un premier temps, les quelques pays favorable à ce projet ?

M. Pierre Lellouche. Qui est susceptible de remplacer Mme Ashton une fois qu’elle aura quitté ses fonctions ?

Lorsque j’étais secrétaire d’État chargé des affaires européennes, au moment de la répartition des rôles au sein de la Commission européenne, l’idée générale était que la politique étrangère et la défense soient l’affaire des Français et des Britanniques. Comme la défense avait été confiée à M. Barnier, c’est aux Britanniques, avec Mme Ashton, qu’est revenue la politique étrangère. Sommes-nous encore, cette fois-ci, sur une épure franco-britannique ? Dans l’hypothèse où vous seriez autorisé à nous le dire, connaissez-vous les personnes présentes sur la short list ?

M. Arnaud Richard. Pour être moins direct, quel est, selon vous, le meilleur profil pour occuper ce poste ?

Mme la présidente Danielle Auroi. L’unanimité s’avérant inefficace, ne serait-il pas possible d’envisager des décisions à la majorité qualifiée ?

Vous sous-entendez que les membres du partenariat oriental auraient vocation à adhérer à l’Union européenne, contrairement aux pays du voisinage Sud. Mon analyse est un peu plus nuancée car affirmer que la Géorgie, la Biélorussie et leurs voisins ont vocation à entrer un jour dans l’Union européenne, c’est agiter un chiffon rouge devant la Russie. D’un point de vue diplomatique, c’est difficilement tenable. Qu’en pensez-vous ?

Les Émirats arabes unis, que vous avez évoqués, entretiennent des relations avec certains groupes informels qui nourrissent l’instabilité de la région complexe du Machrek. Avez-vous la possibilité de discuter avec des représentants de ce pays ?

M. Pierre Vimont. J’apprécie que vous posiez des questions aussi directes sur l’utilité d’une politique étrangère européenne. Les difficultés que connaît cette dernière viennent, je crois, des objectifs beaucoup trop ambitieux que nous nous sommes faussement fixés. Cette fameuse idée d’« Europe puissance », capable, une fois mis en place le Haut représentant, de parler d’égal à égal avec tous les grands acteurs de la communauté internationale, notamment les grands États membres, voire de se substituer à ces derniers, est, d’une part, totalement irréaliste et, d’autre part, en décalage avec les traités, qui ne mentionnent pas de politique étrangère unique. Il nous est seulement demandé d’être complémentaires avec les États membres pour apporter une valeur ajoutée dans les domaines où c’est possible.

Par exemple, nous ne sommes pas intervenus en première ligne au Mali car nous n’y disposions pas de forces de projection, nous n’étions pas en mesure d’agir immédiatement et unilatéralement sur place – au demeurant, l’ONU ne serait pas non plus capable de projeter immédiatement une telle force de maintien de la paix, il lui faut entre six et huit mois pour le faire. En revanche, puisque un État membre – en l’occurrence la France – était capable de le faire, l’Union européenne a appuyé cette action en intervenant en deuxième ligne. En l’espèce, nous nous sommes donné pour mission d’assurer la formation des forces armées maliennes afin, à terme, de les professionnaliser.

Monsieur Loncle, je vous rappelle que nos diplomates au Mali et au Burkina Faso ont joué un rôle tout à fait utile, notamment dans le dialogue en faveur d’un cessez-le-feu ou encore pour préparer l’accord de Ouagadougou. De plus, dans les pays francophones ou anglophones d’Afrique australe, les autorités préfèrent communiquer avec des représentants de l’Union européenne, jugés plus neutres que ceux des anciennes puissances coloniales. Là encore, l’Union joue un rôle complémentaire souvent très appréciés des États membres. Ce rôle doit rester complémentaire ; jamais l’Union européenne ne pourra se substituer d’une quelconque manière aux États en matière de politique étrangère ; son action est complémentaire.

Puisque nous sommes en France, vous voyez la politique étrangère à travers le regard d’une des grandes puissances européennes, qui possède un réseau diplomatique complet, qui est membre permanent du Conseil de sécurité et qui joue par conséquent un rôle important dans toutes les grandes crises. Mais pensez à certains États membres de l’Union européenne, comme la Hongrie, Chypre ou Malte, dont les réseaux diplomatiques sont très limités et qui disposent de très peu d’informations : l’Union européenne est très importante pour eux car elle les aide à être représentés et à faire prévaloir leur opinion. Tel est aussi le rôle de l’Union européenne : ses vingt-huit membres doivent tous être représentés, sans considération de leur grandeur ou de leur importance sur l’échiquier international. Peut-être existe-t-il des double-emplois dans les cas de la France, de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne mais les pays plus petits ne sont souvent représentés que par l’Union européenne. Un dispositif pour les informer et répondre à leurs souhaits d’engagement de démarches diplomatiques – lorsque l’un de leurs citoyens est détenu ou lorsqu’ils s’alarment de violations des droits de l’homme – représente une vraie valeur ajoutée.

Le système peut-il être rationnalisé ? Bien évidemment, monsieur Poniatowski. Nous avons dû démarrer avec un dispositif qui ne correspondait absolument pas aux besoins d’une politique étrangère puisque nous avons repris le réseau, essentiellement centré sur les actions économiques, de la Commission européenne, à qui il avait été fait interdiction, pendant plus de cinquante ans, de s’intéresser aux affaires étrangères. Nous avions très peu de personnel à Moscou mais beaucoup dans les Îles Fiji, par exemple. Nous nous sommes efforcés de réorganiser et de restructurer ce réseau vers une vraie action de politique étrangère, ce qui est, je dois l’admettre, un travail de longue haleine.

Nous n’avons pas de délégations dans les États membres. Les représentations de la Commission européenne dans les États membres sont seulement chargées d’informer les pays sur l’actualité de l’Union européenne.

En revanche, par souci d’économie, les États membres cherchent à rationaliser leur réseau national en fonction du réseau européen, notamment en fermant des ambassades – c’est le cas, par exemple, de l’Espagne dans un certain nombre de pays africains voire de la France en Amérique centrale. Il nous est alors demandé d’héberger leur ambassadeur plus une secrétaire et un chauffeur. À l’inverse, des États membres ayant effectué de gros investissements immobiliers dans certains pays d’Afrique nous proposent de nous loger sur leur campus. L’entraide s’opère même sur le plan politique : lorsque plusieurs États membres ont décidé de suspendre leurs relations diplomatiques avec Damas et d’y fermer leur ambassade, leurs diplomates maintenus sur place pour continuer à suivre les événements ont été hébergés par la délégation européenne située dans la capitale, qui est restée ouverte assez longtemps. Nous sommes en train d’inventer ce que j’appellerai une « vraie délégation européenne », qui coopère avec les diplomates des États membres et les fait coopérer entre eux, dans un souci d’optimisation des dépenses et de complémentarité, avec de réelles perspectives de succès. Il ne serait d’ailleurs pas bon non plus de supprimer toute présence des États membres, notamment en Afrique de l’Ouest ou en Afrique australe.

Monsieur Lequiller, le vrai problème n’est pas l’inexistence d’une action européenne extérieure mais le manque de communication à ce propos : nous ne faisons pas suffisamment connaître ce que nous faisons. En menant une meilleure stratégie de communication, nous pourrions mieux faire comprendre à l’opinion publique que notre travail, même s’il n’est pas parfait, a des conséquences positives. En République centrafricaine, par exemple, la France est très présente. Or c’est à l’Union européenne que Mme Catherine Samba-Panza, Présidente de transition, a adressé sa demande de récréer un dialogue politique entre les groupes qui s’opposent dans son pays. Elle a estimé qu’il était plus crédible de formuler sa demande à l’Europe qu’à la France, mais la coopération entre notre délégation et l’ambassade de France à Bangui est d’une transparence parfaite, nous agissons en bonne complémentarité. Car, dans le contexte actuel, tel est le secret : ne pas avoir d’ambitions excessives mais travailler le plus possible en complémentarité.

En ce qui concerne la crise ukrainienne, l’Europe partait de positions très différentes, entre ceux qui voulaient se lancer immédiatement dans une offensive généralisée contre la Russie, y compris éventuellement militaire, et, à l’opposé, ceux qui ne voulaient rien faire. Nous avons défini une politique de sanctions assez intelligente, sur laquelle les États-Unis se sont d’ailleurs calés, en commençant par adopter des sanctions individuelles et en préparant d’éventuelles sanctions économiques. Nous pourrions évidemment nous interroger sur l’effet et l’efficacité de telles sanctions pour convaincre la Russie de rester raisonnable et d’aller dans le sens de la désescalade, ce qui n’est pas acquis, loin s’en faut. Quoi qu’il en soit, je pense que notre action a été plutôt habile. L’important est de montrer que l’Union européenne, au-delà des analyses, est capable d’agir de front et de dégager en amont une position commune en prévision de crises et de conflits.

À mon tour, je vous poserai une question à tous. Face aux printemps arabes, la performance de l’Europe n’a peut-être pas été optimale, mais un seul de ses partenaires de la communauté internationale a-t-il su apporter une réponse ? Quelles furent les réactions des États-Unis, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, du Qatar ? Je ne prétends pas que nous ayons réussi à bien cerner le problème ni à lui trouver une réponse, mais je constate que nous ne faisons pas plus mal que les autres et que, parce que nous travaillons pour vingt-huit États membres, nous avons l’honnêteté d’essayer objectivement d’agir pour améliorer la situation. C’est vrai, monsieur le Président, tout au début du printemps arabe – notamment à propos des évènements en Égypte et Tunisie –, notre réponse commune n’était pas fondée sur une véritable vision politique du problème. Nous annoncions alors une aide financière de 11 ou 12 milliards d’euros et une assistance au processus de transformation, dans différents domaines comme le commerce, la mobilité, les transports ou l’énergie. Nos partenaires du monde arabe nous le reprochent avec raison. Cet approfondissement d’une vision politique reste à conduire, au bénéfice de l’entrée en fonction du futur collège de la Commission européenne. Et il convient d’aller au bout de la logique géographique : les phénomènes constatés actuellement en Libye, dans le Sinaï, en Égypte, au Yémen et ailleurs ont des conséquences au Sahel ; ce qui se passe en République centrafricaine ou au Nord du Nigeria peut être directement lié aux évènements en Lybie. Les transferts transfrontaliers d’armes ou les déplacements de milices l’imposent imposent de prendre en considération l’ensemble de cet espace dans son intégralité.

Cela pose des difficultés à l’Union, dont la politique, d’une part en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel, d’autre part en Afrique du Nord, est menée par des services disjoints. Au cours des prochains mois, il faudra y réfléchir et modifier cette organisation afin de suivre une seule et même logique.

L’Union européenne, je l’admets, manque d’une politique de lutte contre l’immigration illégale. Jusqu’à maintenant, la solidarité a été essentiellement organisée par les ministres de l’intérieur. Si je me souviens bien, M. Laurent Fabius, lors d’une réunion récente du conseil Affaires étrangères, a pris position en faveur d’une meilleure coordination entre ministres de l’intérieur et ministres des affaires étrangères sur cette question. Il est en effet évident que le problème doit être traité à ces deux niveaux, avec des actions à entreprendre pour prévenir l’immigration illégale, notamment pour trouver des réponses politiques au sort de ceux qui sont déjà en mer et s’approchent de nos côtes. Il faut renforcer les instruments existants, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (FRONTEX) en particulier, et les gérer de manière plus solidaire que ce n’est fait à l’heure actuelle. L’Union européenne doit donner plus de visibilité à son action et intervenir en amont, avant même l’embarquement des immigrants illégaux, dont un grand nombre se déplacent par bateau, notamment ceux en provenance de Lybie. Comment stabiliser la situation intérieure de ce pays afin de prévenir l’immigration illégale vers le territoire européen ? C’est un problème politique très compliqué ; l’Union devrait réfléchir à des propositions de solution puis agir. Plus globalement, parce qu’elle attire aussi des immigrés illégaux ou réfugiés de Syrie, d’Érythrée, du Soudan du Sud et du reste de l’Afrique, elle devrait élaborer une véritable stratégie de réponse à ce phénomène, en endossant une politique de prévention de ses causes, notamment de celles liées au développement économique. Tout cela n’a de sens que si nous sommes capables d’avoir un vue d’ensemble du problème, que nos instruments agissent aux différentes étapes du processus, que toutes nos actions sont fondées sur une vision commune et font l’objet d’un accord politique pour chacun des États d’origine concernés. Je suis conscient de la difficulté mais l’Union européenne possède l’avantage de pouvoir agir de façon plus cohérente et intégrée.

S’agissant de la succession de Mme Ashton, une série de noms circulent ; ceux de plusieurs ministres des affaires étrangères, à la compétence incontestable, ont été cités. À mon avis, le meilleur profil pour ce poste serait une personnalité d’expérience dans le domaine de la diplomatie, à l’instar d’un ministre des affaires étrangères ou d’un bon parlementaire riche d’une expertise sur cette question. Les discussions concernant la nomination du Haut représentant sont conduites en même temps que celles concernant les deux autres postes stratégiques, ceux des présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, ce qui implique d’autres considérations, notamment la nationalité des candidats. Mais je ne suis pas sûr, monsieur Lellouche, que la France et la Grande-Bretagne voient le problème de cette manière…

Madame la Présidente, le traité de Lisbonne prévoit en effet la possibilité de recourir à la majorité qualifiée pour les décisions d’application, à l’instar de la coopération structurelle permanente ou des missions de coopération par groupes d’États membres pour le compte de tous, dans le cadre de la politique de sécurité, prévues à l’article 44 du traité sur l’Union européenne. La vérité, c’est que ces dispositions, faute de volonté de la part des États membres, n’ont jamais été mises en œuvre.

Mon analyse sur les perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne était purement juridique et nullement politique. Il serait en effet inapproprié d’agiter un chiffon rouge devant nos partenaires russes en allant droit vers l’adhésion de l’Ukraine ou vers l’ouverture d’une négociation d’adhésion – nombreux sont d’ailleurs les États membres qui s’y opposeraient.

Il convient en outre de distinguer, d’un point de vue juridique, voire économique et politique, entre les deux composantes de notre politique de voisinage : le partenariat oriental concerne des États qui peuvent avoir un jour vocation, selon la lettre du traité, à demander leur adhésion à l’Union européenne ; d’autres pays, en revanche, pour des raisons géographiques, n’ont pas le droit d’y adhérer. C’est pourquoi une réponse négative avait été opposée à la demande soumise par le Maroc. Il serait artificiel que ces pays, qui se caractérisent par des niveaux de développement économique et social ainsi que par une proximité géographique avec l’Union européenne très différents, fassent l’objet d’une approche similaire dans le cadre de la politique du voisinage.

Jusqu’à présent, avec les Émirats, nous n’avons réussi à parler d’aucune des questions qui dérangent. Le vrai débat qu’il faudra un jour avoir avec les pays de cette région est relatif aux moyens de sortir de l’impasse actuelle en Libye, en Syrie et maintenant aussi en Irak. Il faut tenir un discours de vérité : certains d’entre eux misent sur une politique de provocation et nous en sommes conscients. Pour stabiliser la région, tout le monde doit se mettre d’accord sur le type de soutien à apporter aux pays qui la composent.

Mme la présidente Danielle Auroi. Avant de conclure, pourriez-vous nous éclairer davantage à propos de la politique européenne de défense ?

M. Pierre Vimont. J’ai déjà évoqué le cas du Mali. Mais qu’attend-on de cette politique ? Personne ne pense qu’elle puisse se substituer à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), investie d’une mission de défense collective du territoire européen – et moins encore à la lumière des évènements actuels en Ukraine. Mais il est évident que la défense collective du territoire européen est en train de redevenir une priorité. L’Union doit par conséquent s’interroger sur ses possibilités d’action et la conception de ses missions. Dans de nombreux cas, je le répète, elle déploie ses forces en complémentarité avec des missions entreprises par d’autres organisations internationales. Certaines de ses missions concourent à son action extérieure, à l’instar de ses missions d’observation en Ukraine ou de ses missions civiles au Kosovo. Elle mène également des missions de formation et de consolidation dans les domaines de la police et de la justice. Elle est aussi engagée dans une mission de maintien de la paix en République centrafricaine, qui se transformera peut-être, comme au Mali, en une mission de formation de l’armée.

Le Conseil européen nous a demandé de réfléchir à la possibilité d’aller plus loin et de doter l’Europe d’une force de projection, à partir de ses brigades d’intervention, ou battle groups. Celles-ci n’ont jusqu’à présent jamais été déployées, ce qui dénote un manque de volonté politique, vous avez raison, madame la Présidente. Essayer de rendre ce dispositif plus performant et plus efficace serait un bon test.

Il faut du reste cesser de sous-estimer l’évolution de l’état d’esprit d’un certain nombre d’États membres : lorsque nous avons lancé un appel pour générer des forces dans le cadre de la mission en République centrafricaine, pays peu connu chez nombre de nos partenaires, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie ont tout de suite répondu positivement, de même que la Géorgie, en tant que contributeur extérieur à l’Union européenne. Le fait que les Lettons et les Lituaniens soient volontaires pour s’engager en faveur du maintien de la paix en Afrique centrale est plutôt réconfortant. Je dirai même – sans être exagérément optimiste, car cette mise en pratique des missions est extrêmement compliquée et laborieuse – qu’une politique commune prend forme, petit à petit. Nous pouvons donc envisager des avancées vers une véritable politique de sécurité et de défense commune, par de petites étapes, ce qui exige temps et patience.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 25 juin 2014 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Claude Buisine, M. Michel Destot, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Axel Poniatowski, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Patrick Balkany, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. François Lamy, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrick Lemasle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier

Assistaient également à la réunion. - M. William Dumas, M. Michel Piron, M. Arnaud Richard