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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 29 octobre 2014

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président puis de M. Jean Grellier, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Monloubou, président d’ERDF, de M. Éric Peltier, chef de département à la direction des finances d’ERDF et de M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le président, soyez le bienvenu. Votre carrière s’est déroulée au sein du groupe Électricité de France (EDF), essentiellement dans ses activités de distribution et dans son secteur commercial. On rappellera d’ailleurs que, filiale à 100 % d’EDF, Électricité réseau distribution France (ERDF) gère la quasi-totalité du réseau national de distribution, dont 5 % relèvent néanmoins d’entreprises locales. Le réseau n’est d’ailleurs pas la propriété de l’entreprise que vous présidez, puisqu’il appartient aux collectivités territoriales qui, en tant qu’autorités concédantes, sont regroupées dans des syndicats départementaux.

ERDF emploie près de 35 000 salariés, pour 35 millions de sites raccordés, et compte environ 25 millions de clients dans toutes les catégories d’abonnés.

Nous attendons que vous nous apportiez des informations sur les éléments constitutifs du coût de la distribution dans les tarifs de l’électricité. Nous souhaiterions aussi en savoir plus sur vos rapports avec les fournisseurs dits « alternatifs ».

Vos capacités d’investissement pour les années à venir constituent l’un des sujets cruciaux. En 2013, vos investissements ont atteint quelque 3 milliards d’euros, en progression de 3,5 % par rapport à l’exercice précédent. Des actions telles que l’enfouissement des lignes, l’émergence des smart grids, le déploiement du compteur Linky, sans oublier le maillage territorial des bornes de rechargement des véhicules électriques représentent de vrais défis financiers pour votre entreprise. Au titre de la programmation de ses activités, quelles perspectives de recettes celle-ci entrevoit-elle dans les années à venir, sachant que le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) représente actuellement près de 90 % de ces recettes ? L’entreprise dispose-t-elle de fonds de réserve importants ?

Que représentera la part de la distribution dans les tarifs, par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à une progression régulière et soutenue de cette part ?

Enfin, il serait utile que vous nous précisiez de quel degré d’indépendance dispose la gouvernance d’ERDF par rapport à sa maison mère EDF, qui détient la totalité du capital de sa filiale. Dans un passé récent, des critiques ont en effet été émises, s’agissant notamment du niveau des remontées de dividendes servis à EDF.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

M. Philippe Monloubou prête serment.

M. Philippe Monloubou, président d’Électricité réseau distribution France (ERDF). ERDF est une entreprise de service public issue, en 2008, d’un groupe intégré. En charge de la distribution publique d’électricité sur 95 % du territoire métropolitain, elle gère, avec 1,3 million de kilomètres de lignes en basse et moyenne tension (HTA), le premier réseau d’Europe par sa taille, pour 35 millions de clients desservis. Chaque année, 11 millions d’interventions sont réalisées sur ce réseau. ERDF compte enfin plus de 1 000 implantations sur l’ensemble du territoire, et emploie 37 000 salariés.

Le réseau de distribution évolue ; il accueille chaque année de nouveaux consommateurs – entre 350 000 et 450 000, et il ne vous aura pas échappé que nous sommes actuellement dans le bas de la fourchette –, mais surtout, fait plus récent, 30 000 nouveaux producteurs, soit, avec une puissance d’environ 1 gigawatt, l’équivalent d’une tranche nucléaire : le projet de loi relatif à la transition énergétique confortera bien entendu cette tendance. Ce sont aujourd’hui 95 % des producteurs qui sont raccordés sur le réseau de distribution d’ERDF, pour une puissance d’environ 13 gigawatts. Des apports aussi massifs d’énergie intermittente appellent une évolution des modes opératoires, d’où la nécessité d’investir dans les smart grids et la numérisation des données : c’est là l’une des conditions de l’adaptation des réseaux et même, j’ose le dire, du succès de la transition énergétique.

La distribution d’électricité en France est caractérisée par sa dimension concessionnaire, avec deux niveaux de régulation : un niveau national pour la fixation des tarifs et des critères de qualité ; un niveau local, avec les 623 contrats de concession qui lient ERDF aux autorités concédantes, et aux termes desquels s’exercent des prérogatives en termes de contrôle, de suivi et d’exigence patrimoniale. Tout cela est le fruit d’une longue histoire, que certains d’entre vous connaissent bien, et qui, comme je le suggérais, n’est pas terminée car les collectivités ont, en matière énergétique, des attentes auxquelles il faudra répondre.

Ces mêmes collectivités, donc, délèguent le plus souvent à l’opérateur national la gestion de leur réseau mais, à la différence d’une concession classique, ni le tarif, ni les niveaux de qualité ne sont fixés au niveau local.

Le TURPE, vous l’avez rappelé, constitue l’essentiel de nos recettes – environ 90 % – et de celles du transporteur. Fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), il repose sur le principe de la péréquation tarifaire, lequel garantit à tous les utilisateurs, où qu’ils se trouvent, un prix d’acheminement identique. Le TURPE 4 a été fixé pour une période de quatre ans. Il couvre d’abord, Dominique Maillard a dû vous le rappeler, le tarif de transport, pour 2 200 postes sources, qui assurent l’interface entre le réseau à très haute tension (THT) et le réseau HTA. En 2013, ce « TURPE transport » a représenté 3,4 milliards d’euros ; il couvre également les achats de pertes sur les réseaux – pour 1,4 milliard –, qu’elles soient techniques ou non techniques – fraudes, adaptations tarifaires, résiliations hors du cadre normatif ou locaux vacants –, et, pour 4,7 milliards, les charges opérationnelles : exploitation, maintenance et entretien des réseaux, conduite, relations avec les fournisseurs et les clients.

Le TURPE couvre également les redevances versées aux autorités concédantes et les contributions au fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ), pour 700 millions d’euros, ainsi que les charges liées aux investissements – rémunération du capital et amortissements –, pour 3,2 milliards – et même un peu plus en 2014. Au total, ce sont donc 8,6 milliards d’euros qui sont investis dans l’économie locale, conformément à la vocation même d’ERDF quant au maillage territorial, à travers le déploiement d’un réseau que Dominique Maillard qualifie de « chevelu ».

La facture, pour un consommateur résidentiel, se décompose de la manière suivante : 30 % pour l’acheminement de l’énergie – soit environ 49 euros par mégawattheure –, 36 % pour la fourniture et 34 % pour la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et les taxes.

Même si une partie d’entre elles sont restées stables, les charges couvertes par le TURPE sont en forte croissance depuis 2008. Les investissements ont pour ainsi dire doublé depuis 2007, après avoir connu des niveaux relativement faibles à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La maintenance préventive, qui contribue bien entendu à la qualité du réseau, a aussi été significativement revue à la hausse, ne serait-ce qu’à travers les interventions d’urgence liées aux intempéries, dont les médias se sont fait l’écho.

Les 700 millions d’euros versés aux autorités concédantes au titre des redevances étant presque intégralement réinvestis dans les réseaux, ce sont en réalité 4 milliards au total qui sont investis tous les ans. La commission spéciale saisie du projet de loi pour la transition énergétique s’est d’ailleurs penchée sur ces investissements et la manière de les coordonner au mieux.

Le principe du TURPE, tarif national péréqué fixé par la CRE, est celui d’un « cost plus » : le revenu d’ERDF, perçu à travers des recettes tarifaires, doit couvrir ses coûts et lui permettre d’investir ; mais ce tarif recouvre aussi des exigences de productivité et des incitations à fournir le meilleur service aux utilisateurs du réseau : vous avez mentionné les fournisseurs alternatifs, mais d’autres acteurs apparaissent sur le marché, liés par exemple à la flexibilité ou à l’effacement.

Les investissements ont d’abord pour objet de traiter les demandes de développement du réseau : le niveau des raccordements est globalement soutenu, même si l’on peut déplorer un infléchissement vers le bas lié à la conjoncture économique, et les grands programmes de restructuration urbaine posent des enjeux de sécurité et de maîtrise, en termes de transition énergétique comme de développement économique.

Depuis deux ans, la puissance raccordée de l’éolien et du photovoltaïque sur les réseaux ne cesse de croître, et l’on peut penser que la future loi amplifiera encore cette tendance – je reviendrai sur le développement des véhicules électriques. Le raccordement des énergies intermittentes sur des mailles à géométrie variable génère, au niveau local, des pointes toujours plus nombreuses.

Deuxième grand domaine d’investissements : la gestion des obligations réglementaires, sécuritaires et de voirie. Les élus de terrain que vous êtes connaissent les implications des modifications d’ouvrage, eu égard aux restructurations urbaines, en termes de contraintes et de délais. Ces dépenses, couvertes à 50 % par les recettes, représentent environ 200 millions d’euros par an. L’isolation des transformateurs avec du PolyChloroBiphényle, dit « PCB », a fait l’objet d’une nouvelle réglementation, plus exigeante, qui a nécessité une dépense de 400 millions d’euros, dont 300 millions d’investissements, sans parler de l’amiante, de la mise à la terre ou de la mise en conformité des réseaux.

La réglementation relative aux déclarations de travaux a aussi un impact en matière de cartographie. La numérisation est bien entendu un facteur de performance pour la mise à jour des données ; elle implique des investissements, par exemple pour les branchements, pour lesquels la loi de 2012 nous impose des normes réglementaires qui passent par la numérisation. Toute situation de non-conformité pouvant avoir un impact sur la sécurité des tiers, une nouvelle réglementation, dite de « contrôle technique des ouvrages », a vu le jour ; il ne s’agit pas de la discuter, bien entendu, mais elle est une source de dépenses supplémentaires, sans parler de la question des colonnes montantes : autant de charges qui nécessitent une gestion dans le temps compatible avec le niveau des investissements.

Le troisième grand segment d’investissements est la modernisation de l’outil de travail et des moyens d’exploitation, qu’il s’agisse des véhicules utilisés par les agents – pour la sécurité desquels un industriel de référence se doit naturellement d’avoir des exigences élevées –, mais aussi des systèmes d’information, liés à l’évolution des marchés – celui de l’effacement, par exemple – ou à la numérisation des données : à travers le projet Linky, ERDF deviendra un opérateur de « big data » ; c’est la condition même de la maîtrise des smart grids. La gestion de données de consommation nécessite au demeurant des investissements d’autant plus élevés qu’elle implique aussi des exigences de sécurité, de non-discrimination et de fiabilité, sans oublier les interfaces avec les parties prenantes, clients
– domestiques ou industriels – et collectivités.

Nos investissements portent aussi, quatrièmement, sur la modernisation du patrimoine et l’amélioration des performances du réseau, dans des conditions de sécurité et de maîtrise auxquelles les parties prenantes sont évidemment très sensibles. Globalement, le niveau du réseau français est dans la moyenne européenne, nonobstant des écarts de qualité dans certaines zones rurales : c’est là une priorité de nos investissements, avec le souci de donner la meilleure visibilité aux parties prenantes.

La modernisation du patrimoine est au cœur des discussions sur les capacités d’investissement du distributeur. Le faible niveau des investissements, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, a été préjudiciable à la qualité moyenne et il explique la remontée des durées de coupure ; cela a conduit ERDF à reprendre une forte dynamique d’investissements, avec près de 3,5 milliards d’euros par an, soit environ 40 milliards pour l’ensemble de la décennie à venir. Au reste, le niveau moyen des coupures connaît déjà un infléchissement, en dépit d’une année 2013 assez agitée en raison des aléas climatiques. La Cour des comptes a d’ailleurs salué, dans son rapport de 2013, la nouvelle dynamique d’investissements de notre entreprise.

Au-delà de la modernisation du patrimoine, les investissements doivent financer la transition énergétique. L’intégration des énergies renouvelables implique, telle qu’elle est prévue, un investissement brut de près de 4 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 1,8 milliard pour l’éolien et 2,3 milliards pour le photovoltaïque. Quant aux 7 millions de bornes de recharge électrique, elles pourraient appeler, d’ici à 2030, un investissement de l’ordre de 5 milliards d’euros. Ce chiffre, purement évaluatif, dépend bien entendu de la nature des bornes, puisqu’une borne de recharge rapide exige une puissance trente fois supérieure, sinon plus, à celle d’une borne de recharge lente. Nous pourrons vous communiquer nos estimations établies en fonction des différentes hypothèses.

Le déploiement des compteurs Linky a été décidé cet été ; nous avons d’ores et déjà ouvert des appels d’offre pour la première tranche de 3 millions, qui seront installés d’ici à la fin de 2015 ; les 32 autres millions autres le seront à partir de 2017. Aux termes du plan d’affaires élaboré avec la CRE, ce déploiement implique un investissement de 5 milliards d’euros, qui restera cependant neutre pour le consommateur, qu’il s’agisse de l’installation même des compteurs ou du TURPE. Cette neutralité est assurée par un mécanisme de différé tarifaire, les charges d’investissement, qui courront jusqu’à l’échéance de 2021, étant amenées à générer des gains une fois engagé le déploiement massif. Le mécanisme a bien entendu un coût, puisque de tels gains sont susceptibles d’entrer dans le périmètre du TURPE ; ce coût d’immobilisation a été négocié avec la CRE, avec l’application d’un taux bien entendu différent de celui de la rémunération des capitaux.

Le tarif doit garantir un revenu suffisant pour permettre des investissements, tout en assurant une juste répartition, entre les clients, des charges liées aux impératifs de péréquation. Depuis le 1er novembre 2002, plusieurs TURPE, aux caractéristiques très différentes, se sont succédé. Le TURPE 1 obéissait à une approche comptable, les TURPE 2 et 3 à une approche économique ; la transition entre les TURPE 3 et 4 a vu de nouveau prévaloir l’approche économique, et le TURPE 4 est une sorte d’hybride. Or, au vu des niveaux d’investissements que j’évoquais, la stabilité tarifaire et la visibilité sont indispensables. Le tarif doit faire sens économiquement tout en gardant une robustesse juridique. À cette fin, l’article 42 du projet de loi relatif à la transition énergétique apporte une sécurité juridique au régulateur, s’agissant de la constitution du prochain tarif ; il me semble indispensable d’aller au bout de cette logique, qui est de nature à garantir la stabilité et la lisibilité tarifaires. Le même article lève en particulier une ambiguïté qui incitait le régulateur à la logique comptable, alors que, pour les entités régulées – et pas seulement dans le secteur de l’énergie –, c’est l’approche économique qui prévaut désormais.

Un dernier mot sur l’évolution du TURPE, cette fois quant à sa structure. Le raccordement des bornes électriques et des énergies intermittentes, ainsi que le développement de l’autoconsommation impliquent que, désormais, le critère de la puissance s’imposera sur celui de la consommation, que reflète encore majoritairement le TURPE. Tel qu’il est aujourd’hui construit, celui-ci pourrait en effet envoyer des signaux tarifaires contraires à l’optimisation des investissements. Il faudra donc, de mon point de vue, repenser la pondération entre la part fixe et la consommation dans l’architecture du TURPE.

D’une manière plus générale, il s’agit d’inciter à une juste localisation des charges – certains d’entre vous ont à gérer ce problème à travers les schémas directeurs – et d’adapter les signaux tarifaires ou économiques au développement, par exemple, de l’autoconsommation. La tarification doit aussi être associée à l’accès aux données, élément essentiel de la transition énergétique. Sur l’ensemble de ces sujets, nous espérons que le TURPE 5 apportera des réponses.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Quel est l’impact sur les coûts, donc sur les tarifs de l’électricité, des liens entre EDF, ERDF et Réseau de transport d’électricité (RTE) ? Certains choix, en termes de propriété du capital, de relations entre les structures ou de comptabilité, ne sont-ils pas de nature à générer des coûts supplémentaires ? Quelle serait l’alternative au système actuel ?

Sur les territoires, les syndicats évoquent le poids des contraintes contractuelles qui, d’après eux, font prévaloir une logique comptable et financière – avec, notamment, l’obligation de remontées de dividendes – sur le service public. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Quid de la gouvernance globale du dispositif ?

Vous avez évoqué la qualité du service aux entreprises, s’agissant en particulier des coupures. Sur ce point, vos indicateurs de qualité révèlent des différences qualitatives entre les trois zones de votre cartographie, les entreprises installées dans les territoires excentrés peuvent être pénalisées, du fait de ce zonage, par rapport à celles qui le sont dans les agglomérations.

M. François Brottes. Vous avez dressé une longue liste de vos charges passées, présentes et à venir ; de fait, toutes nous intéressent, notamment parce qu’ERDF est sans doute l’opérateur qui occupe la plus mauvaise place : votre maison mère vous demande des compte et de l’argent ; les collectivités vous reprochent de ne pas en faire assez ou de manquer de transparence, même si le projet de loi relatif à la transition énergétique améliorera sans doute la gouvernance. Vous êtes enfin en première ligne face aux consommateurs, puisque le distributeur peut être amené à leur couper l’électricité sur injonction des fournisseurs. Vos équipes, souvent au front lors des tempêtes, doivent assurer la maintenance des réseaux, de jour comme de nuit ; et l’on vous en demande toujours plus : outre l’impact de l’autoconsommation et de l’intermittence sur les investissements, vous essuyez des critiques sur la lenteur des raccordements, de la part des acteurs des énergies renouvelables comme des industriels, qui parfois doivent attendre des semaines avant d’ouvrir leur usine. Vous avez dû reconfigurer vos équipes au niveau local après la scission d’avec GDF, et il a fallu du temps pour retrouver ce que permettait l’ancien système, même si des accords subsistant sur quelques territoires permettent une optimisation.

Quels sont les bénéfices de la mutualisation par un gestionnaire unique ? L’îlot autonome est une sorte de rêve, notamment pour les grandes villes ; mais la fin du monopole d’ERDF, ne l’oublions pas, signifierait celle de la péréquation comme de la mutualisation en matière de recherche ou de ressources humaines. Certaines régies, qui voudraient s’émanciper de la loi de 1946, font à la fois votre métier et celui d’ERDF, semant ainsi le trouble : avez-vous un avis sur l’avenir de ces entités ?

La mise en terre des réseaux, au-delà de l’argument esthétique, permet-elle de réduire les frais de maintenance ?

Les liens avec RTE sont-ils devenus plus fluides ? Y a-t-il encore des facteurs de surcoût ?

S’agissant du compteur Linky, l’échéance de 2021 me semble bien lointaine : certains pays vont plus vite dans ce déploiement. Les charges seront étalées, j’entends bien ; mais comment mettre en œuvre de nouvelles approches de consommation sans cet outil ? J’ai fait adopter un amendement au projet de loi sur la transition énergétique, qui permet à chaque client de suivre l’évolution de sa facture en euros ; nous avons fait en sorte qu’ERDF n’ait pas à subir les conséquences financières de cette mesure, mais il serait bon que le compteur intelligent ait, passez-moi l’expression, deux cerveaux : l’un pour le réseau, l’autre pour le consommateur. Au reste, vous n’avez guère évoqué les économies qu’une telle gestion à distance vous permettrait de réaliser.

M. Denis Baupin. Vous n’avez pas répondu à la question du président Gaymard sur les dividendes versés à EDF : pouvez-vous nous en préciser le montant pour les cinq dernières années ? D’où vient, par ailleurs, que vous ayez à verser 75 % de votre résultat net à EDF, contre 60 % pour RTE ?

Les réseaux de distribution d’électricité, qui appartiennent aux collectivités, figurent pourtant dans le bilan de votre entreprise : comment expliquez-vous cette anomalie qui oblige à des acrobaties comptables ? Quel est l’impact de ce véritable hold-up sur les tarifs et sur l’équilibre financier d’ERDF ?

Vous avez évoqué 8,6 milliards d’euros investis chaque année dans l’économie locale ; mais je ne retrouve pas cette somme, qui me paraît élevée, dans votre décomposition du TURPE : quelles activités locales recouvre-t-elle ?

Les énergies renouvelables, à mon sens, doivent être dites variables plutôt qu’intermittentes ; et cette variabilité est prévisible – les prévisions de Météo France étant fiables à trois jours –, alors que celle du nucléaire, en cas d’arrêt fortuit d’une centrale, est plus intempestive. En tout état de cause, je note avec satisfaction que le coût estimatif du raccordement des réseaux d’énergies renouvelables est moins élevé que celui des bornes de recharge électrique.

Les délais de raccordement sont, entend-on souvent dire, trop longs : ont-ils été raccourcis ? Le partage des coûts de raccordement entre le gestionnaire du réseau et les producteurs vous semble-t-il légitime ? De fait, le raccordement au réseau THT n’est pas inclus dans les coûts de l’EPR de Flamanville, alors qu’il l’est souvent dans ceux des producteurs d’énergies renouvelables.

À défaut de chiffres sur les investissements nécessaires à l’installation des bornes électriques, selon qu’elles sont à recharge lente ou rapide, avez-vous un ordre de grandeur sur la différence de coût entre les premières et les secondes ? Ne voyez, d’ailleurs, aucune malice dans ma question : le véhicule électrique est à mes yeux une solution d’avenir, puisque l’électricité sera, je le pense, renouvelable. Reste que nous devons avoir une idée de l’impact financier du déploiement des 7 millions de bornes, sur lequel nous aurons à nous prononcer lorsque le projet de loi relatif à la transition énergétique reviendra à l’Assemblée.

Présidence de M. Jean Grellier, vice-président.

M. Philippe Monloubou. Même si le lien capitalistique entre les entités demeure, la scission entre EDF, ERDF et RTE a généré des surcoûts puisqu’il a fallu créer de nouvelles interfaces ou systèmes d’information ; mais l’intégration permet aussi, conformément à la loi elle-même et moyennant des règles de bonne conduite quant au respect de l’indépendance de chacun, des bénéfices en termes de coût, dont profite in fine le consommateur. C’est vrai, par exemple, pour la recherche et développement, en tout cas pour ERDF – puisque celle de RTE est indépendante. Les contrats visés, bien entendu, sont connus par la CRE.

Les relations avec les syndicats locaux font partie de notre histoire ; il y a eu des crises, mais des progrès significatifs ont été accomplis sur des sujets qui nous lient, à commencer par la cohérence des investissements, pour laquelle la future loi nous donnera des outils. Nous œuvrons en ce sens, que ce soit avec les préfectures ou à travers la convention de septembre 2013 signée avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), et aux termes de laquelle nous nous sommes engagés sur des plans de coordination qui devraient être réalisés d’ici à la fin de 2015. C’est l’ensemble de la régulation qui profitera de l’amélioration des niveaux de qualité à travers les investissements.

La remontée des dividendes, au sujet de laquelle on m’interroge souvent, est l’un des éléments constitutifs d’ERDF, société anonyme. RTE a remonté 60 % de dividendes en 2014, contre 55 % pour ERDF. Le chiffre a pu varier au cours des années précédentes, mais nous restons dans la norme. J’ajoute que, si les dividendes sont demandés par EDF, ils constituent, in fine, une ressource pour l’État.

Ce versement détourne-t-il des sommes au détriment des investissements ? Je ne le crois pas, d’autant que ces derniers ont très sensiblement augmenté au cours des dernières années ; et comme je l’indiquais, ils devraient atteindre 40 milliards d’euros sur l’ensemble de la décennie qui s’ouvre, soit 4 milliards par an : ce montant, tout à fait significatif au regard du coût des raccordements et de la modernisation du réseau, nous oblige collectivement, avec les syndicats, à des choix toujours plus efficients, les attentes étant fortes, c’est vrai, dans certains territoires. Dans l’Est, en zone frontalière, on voit émerger des pratiques industrielles différentes : le développement économique nous oblige, avec les autorités concédantes, à répondre aux exigences de qualité. Cela implique des choix, donc des arbitrages, de la part d’ERDF comme des autorités concédantes, au regard notamment des enjeux que pose la transition énergétique.

La gouvernance a suscité des débats dont la commission spéciale s’est fait l’écho, et son évolution reflète le vœu d’un meilleur partage, avec les autorités concédantes, quant aux choix d’entreprise et à l’allocation des ressources. On parle beaucoup d’investissements, mais la présence des autorités organisatrices de l’énergie au conseil de surveillance permettra aussi une meilleure compréhension des dépenses allouées à la qualité comme des choix techniques, financiers et stratégiques. ERDF investit chaque année, via ses dépenses d’exploitation, des sommes très significatives pour la maintenance, la réparation, l’élagage, l’exploitation même et la conduite des réseaux : autant de dépenses, monsieur Baupin, réalisées au niveau local.

ERDF est d’ores et déjà une entreprise numérique : elle conduit le réseau moyenne tension avec des agences de conduite ; près de 80 % des incidents sont corrigés par des systèmes automatiques, qui assurent aussi les rétablissements pour 80 % des clients. Cette évolution se renforcera encore avec les capteurs du système Linky, qui, monsieur le président Brottes, permettront un traitement immédiat des incidents.

Si votre question sur la gouvernance visait aussi les relations avec l’actionnaire, celles-ci, je le répète, sont respectueuses de ses prérogatives en matière d’orientation stratégique et de supervision financière. L’ensemble de nos contrats avec EDF incluent des dispositions exigeantes sur le contrôle – et même l’audit, s’il y a lieu – du régulateur.

Le zonage, madame la rapporteure, renvoie désormais à la maille départementale, à l’échelle de laquelle sont donc appréciés les temps de coupure et les interventions nécessitées dans tel ou tel secteur. Il s’agit, par le fait, d’orienter nos investissements en fonction des besoins des entreprises. Au-delà des coupures se pose d’ailleurs la question des raccordements, pour lesquels ERDF, entreprise dont il ne faut jamais oublier qu’elle est jeune, a consenti beaucoup d’efforts ; la fin du système intégré a exigé, en 2008, l’édification de ce que d’aucuns ont appelé une « muraille de Chine » qui l’a, pour ainsi dire, coupée de ses clients ; depuis, ceux-ci sont revenus vers elle compte tenu, notamment, des progrès réalisés en matière de raccordement : les délais, dans le cadre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), ont été ramenés à presque dix-sept mois. Toutes les régions disposent dorénavant de systèmes d’information et d’équipes dédiées permettant de suivre et même d’anticiper les demandes des producteurs. L’évolution est donc en cours ; la satisfaction des clients l’atteste.

Je remercie François Brottes de sa sensibilité aux contraintes parfois contradictoires qui nous sont soumises, lesquelles justifient, dans le cadre de notre mission de service public, la mobilisation de nos 37 000 agents. La mutualisation par un gestionnaire national a des avantages en termes de moyens ou de rapidité d’intervention. Les coupures peuvent être dues à des incidents mais aussi, on l’oublie trop souvent, à des travaux ; or, si les coupures pour travaux ont été très significativement réduites, c’est d’abord parce que la dimension nationale de l’entreprise permet de poursuivre le développement de nouvelles techniques. La gestion de plateformes électrogènes, par exemple, a un coût qui peut être mutualisé à l’échelle de territoires élargis. La mutualisation se traduit aussi par la capacité à mobiliser des ressources partout sur le territoire – pendant la période de Noël dernier, six cents agents d’ERDF ont ainsi été mobilisés en Bretagne –, en fonction des alertes de Météo France, qui nous permettent d’anticiper.

Au regard de la transition énergétique, la mutualisation permet aussi des investissements équilibrés entre les territoires et les réseaux : en évitant les effets de congestion, elle présente un intérêt économique réel, même si les équilibres deviendront de plus en plus locaux. Le modèle national de gestion des données, condition du succès de la transition énergétique et de la maîtrise des réseaux intelligents, doit cependant s’adapter aux demandes territoriales, y compris dans l’anticipation.

L’enfouissement implique en effet une moindre maintenance, mais son coût reste prohibitif ; des techniques anciennes et connues, telles que le réseau torsadé, apportent des bénéfices comparables en termes de sécurité et d’efficacité. M. Brottes s’était d’ailleurs interrogé, lors des débats de la commission spéciale, sur le bon usage des techniques. Est-il vraiment utile, par exemple, d’enfouir des réseaux torsadés ? L’enfouissement se justifie sans doute pour le réseau neuf, voire renouvelé, mais, pour le reste, il me semble plus judicieux d’orienter les investissements vers d’autres techniques.

Je me suis attaché à la fluidité des relations avec RTE, même si chaque entreprise défend bien entendu ses intérêts. Des facteurs de surcoût demeurent, par exemple dans la gestion de l’effacement, dont le distributeur est exclu : sans remettre en cause les dispositions législatives existantes, nous pourrions contribuer, auprès de RTE, à une meilleure maîtrise du système. Sur de tels sujets, ERDF et RTE sont en effet complémentaires, ou pourraient le devenir au niveau régional. C’est tout particulièrement vrai pour la gestion des données : en ce domaine, des progrès restent possibles car, si le distributeur a toute légitimité pour la captation desdites données, RTE ne peut être exclu du système dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, nous entretenons avec cette entreprise un dialogue ouvert.

L’échéance de 2021 peut paraître lointaine, monsieur Brottes, mais elle renvoie à des limites qui tiennent aux capacités de mobilisation sécurisée des ressources : comment imaginer ne pas respecter les exigences des clients ou provoquer des surcoûts en raison d’un déficit de qualité ? Le déploiement annuel de 8 millions de compteurs représente un effort industriel considérable à l’échelle de l’Hexagone ; qui plus est, nous l’assumerons de manière socialement responsable vis-à-vis des petites entreprises sur l’ensemble du territoire : nul n’admettrait, à commencer par nous-mêmes, une interruption brutale des contrats passés avec elles ; d’où la nécessité d’un lissage. Tout ce qui peut contribuer à l’accélération du déploiement, ne serait-ce que de quelques mois, est bien entendu bénéfique, mais il ne faut pas perdre de vue les enjeux industriels qu’il pose, en termes de logistique, de maîtrise des processus, d’installation et de qualification des compteurs.

M. François Brottes. Pour la télévision, la conversion de l’analogique au numérique s’est faite en quelques mois, alors qu’elle concernait aussi plusieurs millions de foyers…

M. Philippe Monloubou. Certes, mais l’installation de 8 millions de compteurs par an est un défi qu’aucun pays, pas même l’Italie, n’a relevé à ce jour. Si vous nous demandiez d’installer 10 millions de compteurs communicants, nous le ferions, mais non sans vous avoir préalablement promis que ce serait avec le résultat attendu.

Avant d’évoquer les économies que le compteur Linky est susceptible de générer pour ERDF, il faut rappeler qu’il est d’abord un outil au service du client, lequel bénéficiera quotidiennement d’une information objective et historique qui, à n’en pas douter, modifiera son rapport au distributeur, au fournisseur et à la consommation d’énergie. Les smart grids représentent également une évolution à son bénéfice, puisqu’ils amélioreront la précision et la réactivité des interventions.

Quant aux économies, elles concernent quatre grands domaines : les relevés, qui jusqu’à présent nécessitent le déplacement d’agents ; les interventions, dont certaines pourront être réalisées directement par le client ; les pertes techniques, avec, au-delà des fraudes, la meilleure maîtrise des situations de vacance du logement ou la régularisation des puissances souscrites ; l’évolution maîtrisée des smarts grids, enfin, même si l’effet, moindre à court terme, n’a pas été comptabilisé dans le plan d’affaires.

Sur les cinq dernières années, monsieur Baupin, les dividendes versés à EDF varient de 52 % en 2012 à 64 % en 2013, pour s’établir, comme je l’ai rappelé, à 55 % cette année – contre 60 % pour RTE.

M. Denis Baupin. Pouvez-vous nous donner les sommes, plutôt que les taux ?

M. Philippe Monloubou. Je n’ai pas les chiffres sous la main ; mais, rapportés à un résultat net de 780 millions d’euros, 55 % donnent 427 millions. Le résultat peut évoluer d’une année sur l’autre, mais cela vous donne un ordre de grandeur.

Je ne présidais pas ERDF lorsqu’il fut décidé ce que vous appelez une « anomalie » de son bilan ; elle renvoie en tout cas à des normes comptables liées à la nature des concessions.

Je vous communiquerai les chiffres sur l’intermittence et les coûts de raccordement au réseau, auxquels ERDF a bien entendu pris sa part. Selon le scénario envisagé, 90 % des bornes électriques devraient être à recharge lente et 10 % à recharge rapide ; le coût des premières avoisine les 1 000 euros l’unité, contre 7 000 euros pour les secondes.

M. Denis Baupin. Quid du raccordement des énergies renouvelables, en termes de délais et de partage des coûts ?

M. Philippe Monloubou. Comme je l’ai indiqué, le délai pour les S3REnR est de l’ordre de dix-huit mois, mais il va décroissant. Nous sommes aussi en mesure, je le répète, d’anticiper le processus auprès des producteurs, que les cellules dédiées relancent afin de boucler les dossiers dans les délais impartis. Si tout n’est pas parfait, ERDF fait preuve d’une efficacité reconnue sur l’ensemble du territoire ; elle laisse même espérer une réduction des délais à quinze mois, progrès significatif au vu de la lourdeur des procédures. Quoi qu’il en soit, si nous essuyions des critiques en ce domaine par le passé, les choses se sont donc nettement améliorées.

Mme Annick Le Loch. Pourquoi les îles bretonnes n’ont-elles jamais été raccordées au réseau ?

Par ailleurs, il m’a été rapporté qu’ERDF pouvait ramener le délai d’intervention d’une semaine à deux ou trois jours mais moyennant un surcoût de 130 euros : le confirmez-vous ?

M. Philippe Monloubou. Oui : la réduction du délai à deux jours est l’une des prestations qui figure dans de notre catalogue. En tout état de cause, l’un des avantages du compteur Linky est qu’il permettra des interventions à distance.

Je vous répondrai ultérieurement, si vous le souhaitez, sur les îles bretonnes, qui font l’objet de la plus grande attention de notre part. En 2015, ERDF investira 4 millions d’euros dans la rénovation de la liaison avec l’île de Sein. Je suis conscient de la sensibilité des populations locales à ces sujets ; ces îles, d’ailleurs, nous servent souvent de référence pour les smart grids : le premier réseau opérationnel de cette nature a été déployé sur les îles de Houat et de Hoëdic. Je vous invite à découvrir l’espace de présentation que nous avons dédié à ce thème, boulevard de Grenelle à Paris : on peut s’y faire une idée de ce qu’apporteront les réseaux intelligents, qu’il s’agisse de la gestion à distance de la charge et des coupures ou des panneaux photovoltaïques, de façon que l’île bénéficie d’un minimum d’énergie en cas de coupure.

M. François Brottes. Le dispositif est-il financé par la péréquation ?

M. Philippe Monloubou. Oui.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous invite à nous communiquer par écrit des informations complémentaires sur les sujets suivants : le chiffrage de l’apport de la mutualisation ; le coût des bornes de recharge selon leur type ; les investissements requis pour gérer la variabilité des énergies renouvelables ; enfin, les dividendes versés, le résultat et le chiffre d’affaires pour les cinq dernières années.

M. Jean Grellier, président. Monsieur le président, je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 29 octobre 2014 à 18 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Marc Goua, M. Alain Leboeuf, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais