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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 5 novembre 2014

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Dundilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE), de M. Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché, de Mme Anne Chenu, directrice de la communication et des affaires européennes et de Mme Hélène Pierre, chargée de mission

M. le président Hervé Gaymard. Mesdames, messieurs les députés, nous accueillons la direction de l’Union française de l’électricité (UFE), l’organisation professionnelle qui fédère les principales entreprises du secteur, c’est-à-dire les producteurs, les gestionnaires des réseaux et les fournisseurs.

L’UFE est représentée, ce soir, par son président, M. Robert Durdilly, accompagné par M. Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché, Mme Anne Chenu, directrice de la communication et des affaires européennes, et Mme Hélène Pierre, chargée de mission.

L’UFE est une organisation d’employeurs membre du Medef et d’Eurelectric, instance de représentation européenne du secteur.

Le comité social de l’UFE joue un rôle important au titre de la négociation collective de la branche des industries électriques et gazières (IEG), notamment pour harmoniser les positions des employeurs. Cette question n’est pas totalement étrangère à l’objet de notre Commission d’enquête puisque la consommation des salariés de cette branche fait l’objet d’une tarification dérogatoire parmi les usagers domestiques.

Plus généralement, l’UFE est l’interlocutrice des pouvoirs publics, tant en France qu’à Bruxelles, sur les principaux sujets concernant le marché de l’électricité. Elle est donc un lobby – en l’espèce ce mot n’est pas du tout péjoratif – qui réfléchit et agit pour faire valoir ses positions au regard des textes européens comme les grandes directives mais aussi des textes nationaux, comme récemment avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

À cet égard, la Commission d’enquête aimerait connaître les orientations que privilégie l’UFE sur les évolutions du marché de l’électricité. Quel type de régulation reste-t-il à bâtir ?

Nous savons que vous avez établi un dialogue avec vos correspondants allemands, l’Agence allemande de l’énergie et la Fédération industrielle de l’énergie et de l’eau, notamment sur la sécurité d’approvisionnement du système électrique européen. Une conférence commune s’est tenue sur le sujet à Berlin, au mois de septembre dernier. Quelles observations peuvent être tirées de ce dialogue ? Un grand marché unifié de l’électricité relève-t-il toujours de lointains espoirs et les divergences constatées tenant aux méthodes de tarifications ont-elles tendance à se creuser ou peut-on entrevoir un commencement de rapprochement ?

Sur la question tarifaire, nous souhaitons évidemment recueillir le point de vue de l’UFE à propos de la nouvelle méthode officialisée, la semaine dernière, pour la fixation des tarifs réglementés. Avez-vous quelques inquiétudes concernant la robustesse économique du système et par conséquent pour son avenir ?

Nous allons vous écouter, dans un premier temps, pour un bref exposé liminaire, après quoi les membres de la commission, à commencer par la rapporteure, Mme Clotilde Valter, vous poseront des questions.

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

M. Durdilly prête serment.

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE). Monsieur le président, je vous remercie pour votre propos liminaire, au cours duquel vous avez parfaitement décrit la mission de l’UFE en France et au niveau européen.

L’UFE regroupe tous les acteurs du secteur électrique en France : aussi bien les producteurs que les fournisseurs, les réseaux de transport et de distribution Réseau de transport d’électricité (RTE) et Électricité réseau de distribution France (ERDF), ainsi que l’ensemble des entreprises locales de distribution (ELD), qui jouent un rôle important sur nos territoires.

Ce tour de table assez large nous offre une vision d’ensemble du système électrique, de l’amont à l’aval. C’est une valeur ajoutée importante pour nos réflexions car nous avons toujours la volonté d’apporter des contributions sur la base d’études construites à partir de scénarios d’avenir en fonction des grandes orientations politiques.

Nos grands sujets de préoccupation, qui rejoignent d’ailleurs le thème principal de cette audition, touchent la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble du système électrique, laquelle implique aussi bien les producteurs et les commercialisateurs – par exemple à travers les offres d’effacement – que les réseaux.

Nos préoccupations portent également sur les politiques climat-énergie, sous l’impulsion des directives européennes et des politiques françaises, sur la concurrence – qui a des conséquences assez sérieuses en matière d’organisation de notre secteur et d’ailleurs très directement en matière de construction des tarifs – et sur l’impact des prix sur l’activité économique. Le volet compétitivité nous préoccupe beaucoup, avec nos collègues du Medef. Nous sommes toujours à l’écoute des consommateurs et des grands consommateurs afin de prendre des positions pour l’avenir et d’orienter nos activités sur le plan concurrentiel mais aussi industriel.

Notre dernier grand axe de préoccupation est le volet social, puisque nous sommes chargés de la négociation collective de la branche des industries électriques et gazières. Si vous avez des questions plus précises sur ce volet, j’y répondrai bien volontiers.

Avant de répondre à vos questions, je vous propose de revenir sur le mode de construction des tarifs réglementés de vente et d’en rappeler les principales composantes, sur l’impact de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », et sur le risque, en France comme dans nombre de pays européens, de non-couverture des coûts, susceptibles d’engendrer des difficultés. Enfin, j’évoquerai les échanges avec l’Allemagne car ils portent sur des préoccupations très précises que je resituerai dans un contexte plus général.

Jusqu’à une période récente, les tarifs réglementés de vente avaient pour finalité de couvrir les coûts comptables générés par les activités de production, de distribution et de transport d’électricité. Il était assez facile de cerner ces derniers car une entreprise intégrée assurait l’intégralité des activités. L’approche s’effectuait par typologie de clients. C’est ainsi qu’ont été introduits des tarifs avec des couleurs, les tarifs bleus, jaunes et plus récemment verts, suivant la nature des clients – particuliers, entreprises, très petites entreprises, etc. – et leur mode de consommation.

Une part fiscale a toujours été appliquée à ces tarifs, même si, il y a encore une dizaine d’années, celle-ci restait relativement modeste.

Entre 1985 et 2005, les tarifs ont baissé de l’ordre de 40 % en euros constants – ils ont diminuéé de 70 % depuis 1950. On a parfois l’impression qu’ils ont toujours augmenté alors que, durant de belles périodes, ils ont beaucoup chuté.

Dans mon exposé, je prendrai comme référence le tarif bleu, les mêmes principes s’appliquant aux tarifs verts et jaunes, qui vont d’ailleurs bientôt disparaître.

En 2005, le montant des taxes représentait 18 % de l’ensemble de la facture, la part énergie était de 43 % et la part réseaux de 39 %. Depuis, la situation a beaucoup évolué, j’y reviendrai.

Sous l’impulsion de l’ouverture à la concurrence, est apparu un régulateur, que vous avez eu l’occasion d’auditionner. Sa mission première consiste à définir les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Pendant plusieurs années, ceux-ci ont été élaborés de manière indépendante des tarifs réglementés de vente ; ils ont vécu leur vie indépendamment des tarifs intégrés. Les effets collatéraux de l’augmentation des TURPE sur les tarifs intégrés n’ont parfois pas été totalement pris en compte. Je m’explique : lorsque la Commission de régulation de l’énergie (CRE) décide d’augmenter le TURPE, si le tarif intégré lui-même n’augmente pas, cela signifie que la part énergie des tarifs réglementés baisse. Or c’est ce qui s’est passé dans un certain nombre de cas.

De manière plus singulière, lors de l’élaboration des TURPE, la part énergie de certains types de tarifs, certes marginaux, devenait négative : la part réseaux était supérieure au tarif réglementé correspondant. Ces deux modes de construction complètement différents, qui n’étaient pas forcément cohérents entre eux, ont provoqué ces distorsions. C’est cette raison principale qui a conduit à suggérer, lors de l’élaboration de la loi NOME, que les tarifs réglementés devaient être construits par additionnalité, c’est-à-dire en additionnant les différentes composantes, le tarif réglementé étant la résultante de l’ensemble de ces composantes.

Le deuxième principe sur lequel on s’est appuyé est celui de la couverture des coûts. Au départ, il s’agissait des coûts comptables d’un ensemble intégré. Mais ce principe est devenu un peu plus compliqué sous l’effet de la concurrence. Après avoir été assez bien corrélé pendant plusieurs années, on assiste maintenant à une forme de début de décrochage. Il est important de bien anticiper les conséquences de ce type de décrochage sur la durée.

Le dernier facteur d’évolution important est la contribution au service public de l’électricité (CSPE), forme de taxe qui a beaucoup évolué. À l’origine, elle permettait en effet de compenser les tarifs appliqués dans les départements d’outre-mer, la cogénération et les tarifs sociaux. Elle sert dorénavant aussi à soutenir les énergies renouvelables, cette part étant croissante et devenant extrêmement importante.

Nous vous avons préparé deux schémas extrêmement simples.

Le premier montre l’évolution de la structure du tarif bleu entre 2005 et 2014. En 2005, le prix moyen du mégawattheure était de 120 euros, contre 158 euros en 2014. La part énergie, qui était de 43 % en 2005 est tombée à 36 % en 2014, et la part réseaux est passée de 39 % à 30 %. Quant à la part taxes, qui inclut la CSPE, elle représente aujourd’hui 34 %, contre 18 % en 2005. On voit que l’augmentation la plus significative est la part des taxes, notamment la CSPE, qui, en quelque sorte, vient prendre une partie de la part énergie. La structure du tarif bleu s’est donc beaucoup modifiée.

Le second tableau décompose les éléments de la facture d’un client moyen. Ce schéma permet de comprendre le principe de l’additionnalité. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), issu de la loi NOME, vise à permettre aux concurrents producteurs ou commercialisateurs opérant en France et dépourvus de parc nucléaire d’être, si je puis dire, à égalité dans la compétition avec EDF au regard du sourcing nucléaire. Cet accès régulé a une vocation transitoire.

Cet accès au nucléaire suit une courbe de charge très plate, en ruban. Pour faire la dentelle de la courbe de charge, si je puis dire, un complément est nécessaire. Introduit dans le nouveau calcul découlant de la loi NOME, ce complément est valorisé par rapport au prix du marché de gros. Viennent ensuite, toujours dans la part énergie, les coûts de commercialisation au sens large. Aujourd’hui, la partie vraiment concurrentielle sur le marché de l’électricité porte sur le complément et la commercialisation, qui ne représentent plus que 10 % de la valeur globale payée par le client. C’est dire combien le jeu concurrentiel, sur le territoire français, est limité.

La part réseaux est composée du transport et de la distribution. Quant aux taxes, elles se décomposent en trois : la CSPE, les autres taxes et la TVA.

J’en viens au risque de non-couverture des coûts. Il existe un retard entre l’application des hausses tarifaires et les coûts réellement engendrés par l’ensemble des activités de production, commercialisation, distribution, transport d’électricité. Ce décalage ne permet pas de couvrir les coûts comptables et encore moins les coûts économiques complets nécessaires au financement du renouvellement de l’appareil de production. Les coûts ne sont pas couverts car plusieurs facteurs interviennent dans la détermination du tarif réglementé et presque toutes les composantes sont à la hausse.

À cela s’ajoutent des phénomènes d’amplification. Par exemple, si la CSPE augmente de 5 euros, comme la TVA s’applique, c’est au total une hausse de 6 euros qu’il faudra répercuter sur la facture. La CRE estime que le retard de répercussion des hausses est de l’ordre de 5 milliards d’euros pour la CSPE et de 2 milliards d’euros pour les tarifs proprement dits. Actuellement, le déficit tarifaire est de l’ordre de 7 milliards d’euros. Si ce retard n’est pas rattrapé ou s’il devait être amplifié, cela aurait toute une série de conséquences, notamment une déstabilisation financière des acteurs industriels du secteur électrique. Nous devrions également faire face à des difficultés en matière de concurrence – et vous savez que nous sommes très surveillés en la matière, la France étant toujours suspectée de ne pas faire ce qu’il faut pour que le marché s’ouvre véritablement – puisque celle-ci ne peut fonctionner si les tarifs réglementés ne sont pas calés sur les vrais coûts économiques, les concurrents étant exposés à ces coûts économiques. Enfin, le manque à gagner poserait des problèmes à EDF sur sa capacité à investir : l’opérateur devrait davantage recourir à l’emprunt ce qui, in fine, coûte beaucoup plus cher.

La Commission européenne a publié récemment un rapport très intéressant sur ces questions. Elle a identifié que onze États européens avaient la tentation de ne pas répercuter totalement les prix et que les conséquences étaient toujours assez négatives, soit pour le consommateur, soit pour les finances publiques. L’Espagne s’est retrouvée confrontée à ce genre de situation il y a plusieurs années, avec un passif qui a atteint plusieurs dizaines de milliards d’euros, ce qui la place dans une situation extrêmement critique.

Nous avons engagé des travaux en commun avec nos collègues allemands, les deux ministres concernés nous ayant adressé des lettres nous encourageant à le faire. Il s’agit d’aborder la question de la sécurité d’approvisionnement de manière conjointe afin de voir quelles solutions peuvent être apportées à la situation actuelle de chacun des deux pays. En France, vous le savez, il est prévu d’implémenter un marché de capacité. Pour sa part, l’Allemagne est dans un processus de concertation avec les pouvoirs publics sur la question de la création ou non d’un marché de capacité. D’ailleurs, elle vient de publier un livre vert à ce sujet et elle publiera, dans quelques mois, un livre blanc en vue de prendre des décisions. Pour notre part, il nous a paru important de bien montrer que la France s’inscrivait dans une logique européenne et qu’il n’était pas question pour elle de traiter la question des marchés de capacité seule dans son coin.

Les marchés de capacité sont nés de l’idée que le marché de l’énergie européen ne peut pas totalement donner les signaux économiques permettant de procéder aux investissements à moyen et long terme sécurisant l’alimentation électrique. Sur ces bases, la France a progressé, comme d’autres pays, vers l’idée d’un marché de capacité, qui revient à donner une valeur à la puissance et non pas uniquement à l’énergie. En France, il nous paraissait important de mener ce projet à bien en l’intégrant dans une logique européenne. Au moment où les Allemands s’interrogent sur le mécanisme à mettre en place, il était donc essentiel que les représentants de l’industrie, de part et d’autre du Rhin, travaillent ensemble pour dresser un état des lieux de la situation dans les deux pays et savoir si l’implantation d’un marché de capacité serait bien de nature à apporter une solution au problème du financement à moyen et long terme des investissements nécessaires à la sécurité de l’approvisionnement.

Vous le savez, l’Allemagne a développé massivement les énergies renouvelables, grâce à des mécanismes de soutien assez classiques de type obligation d’achat. Elle a depuis lors réformé son système. Ces subventions accordées aux énergies renouvelables produisant de l’électricité ont deux effets. Premièrement, elles créent des surcapacités de production s’il n’y a pas en parallèle de besoins supplémentaires d’électricité ; dans ce cas, le prix du marché a tendance à baisser. Deuxièmement, les producteurs étant rémunérés à la production d’énergie renouvelable, ils sont incités à produire même en l’absence de besoin ; c’est ainsi que sont apparus les prix négatifs sur les marchés de l’énergie.

Ces deux phénomènes ont abouti à ce que les prix du marché de gros ne soient plus représentatifs des coûts économiques d’équilibre entre l’offre et la demande. Ce problème existe en Allemagne et en France. Le marché de capacité et une réforme des mécanismes de soutien ont précisément pour objectif de corriger cela.

La partie prix de gros dans les tarifs réglementés de vente, qui vient d’être introduite, présente également des risques si ce prix du marché de gros n’est plus représentatif. Or c’est aujourd’hui le cas pour les coûts économiques moyens des parcs de production. C’est ainsi que, partout en Europe, des centrales au gaz, des cycles combinés gaz, même en très bon état, presque neufs, sont arrêtés. C’est paradoxal : alors que l’on a besoin de la flexibilité de production dans le système électrique, on arrête de produire plusieurs dizaines de gigawatts à l’échelle européenne, du fait de cette dépression sur les prix du marché de gros, ce qui présente des risques importants pour la sécurité d’approvisionnement. Ce sont ces questions que nous voulons approfondir avec nos collègues allemands.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur Durdilly, je vous remercie pour votre exposé très clair.

Pensez-vous que l’organisation actuelle entre les différents acteurs de notre pays pèse sur les coûts et sur les tarifs ? Y a-t-il des effets d’organisation, de chaîne, liés à la façon dont le dispositif est conçu ?

Quelle évolution voyez-vous à long terme en matière de coûts et de tarifs ?

Quelles seront les conséquences de la mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique sur les coûts et les tarifs ?

Par ailleurs, j’aimerais connaître votre point de vue à propos des entreprises électro-intensives.

Ma dernière question porte sur la tarification dérogatoire des agents, que le président Gaymard a abordée dans son introduction.

Mme Jeanine Dubié. Par un communiqué de presse du 4 novembre, nous avons appris que le Gouvernement avait décidé de maintenir le prix de l’ARENH à 42 euros par mégawattheure. De fait, cette décision conduit à reporter au 1er juillet 2015 la réévaluation du prix de l’ARENH qui était prévue au 1er janvier 2015. Comment réagissez-vous à cette annonce ?

La semaine dernière, nous avons auditionné le président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), Fabien Choné, qui se félicite de ce report, considérant qu’il donnera plus de visibilité en termes de prix et d’organisation par rapport à vos membres. Que pensez-vous de cette position ?

M. Michel Sordi. Selon vous, où se situe le bon mix énergétique à mettre en œuvre dans les années à venir, afin de conserver la meilleure compétitivité pour nos entreprises ?

M. Jean Grellier. L’année dernière, dans le cadre d’une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, un certain nombre d’entreprises électro-intensives nous ont fait remarquer les différences d’approche et de prise en compte des directives européennes liées à la concurrence entre l’Allemagne et la France. Savez-vous si nos partenaires allemands ont entrepris une démarche visant à favoriser les électro-intensifs et de quelle manière ? Quelle est la différence avec la France ?

M. Robert Durdilly. Madame la rapporteure, il y a un grand débat pour savoir si la concurrence est le meilleur moyen d’organiser le marché de l’électricité, par opposition au monopole tel que nous l’avons connu dans le passé. Ce qui est sûr, c’est qu’une organisation complètement intégrée et monopolistique dégage des synergies. Mais un certain nombre de pays, notamment la Grande-Bretagne, ont considéré qu’un tel monopole était inefficace, peu productif, et cette école l’a finalement emporté sur l’autre. Je ne prendrai pas parti ici pour un modèle ou pour l’autre, chacun d’entre eux ayant ses vertus. Il est certain que la mise en place de la concurrence impose une sorte de désoptimisation à l’instant T d’un système très intégré. Nous espérons que la mise en concurrence stimulera les offres pour les clients, l’innovation, la compétitivité, etc.

À ce jour, le marché n’est pas complètement bien organisé, on est un peu au milieu du gué. Ceux qui sont favorables à l’ouverture à la concurrence totale considèrent que si le marché ne fonctionne pas bien dans un pays comme le nôtre, c’est parce qu’il existe encore des barrières, des tarifs réglementés de vente. Il est encore plus compliqué de le faire en France en raison du nucléaire, d’où la mise en place de l’ARENH, qui avait une vocation transitoire, ouvrant à d’autres solutions plus industrielles sur la concurrence, y compris dans le domaine nucléaire. Tout à l’heure, j’ai insisté sur le fait que la partie concurrentielle est extrêmement réduite puisqu’elle représente 10 % de la valeur globale payée par le client, les autres composantes étant l’ARENH, le transport, la distribution, la CSPE et les autres taxes.

S’agissant de la sécurité d’approvisionnement, l’un des problèmes réside dans le fait que les coûts fixes sont très importants et que l’équilibre du système impose de délivrer une puissance à tout instant. Or le marché de l’énergie ne donne pas les signaux économiques permettant d’investir dans des moyens de pointe, même de semi-base, on le voit avec les cycles combinés gaz. C’est pourquoi nous avons promu l’introduction d’un marché de capacité. Nous pensons que le marché de capacité participera à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement du marché de l’électricité en France.

Pour vous répondre à propos de l’évolution à long terme des coûts et des tarifs, je reprendrai mon second schéma. Les chiffres indiqués proviennent soit de la Cour des comptes, soit de la CRE ; nous sommes donc sûrs de nos références. Pour notre part, nous faisons seulement une ou deux hypothèses mais elles sont très peu prégnantes dans le résultat global. Actuellement, l’ARENH est de 42 euros par mégawattheure. La CRE a annoncé qu’il devrait passer à 44 ou 46 euros. La Cour des comptes considère que le coût complet du nucléaire est de l’ordre de 50 euros par mégawattheure, voire 55 euros si l’on introduit le grand carénage, c’est-à-dire la prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires. Tout dépend de ce que vous prenez dans l’ARENH. Je l’ai dit tout à l’heure, c’est une base, un ruban. En France, vous le savez, le nucléaire est modulé, cela fait une petite différence entre le coût complet et le coût pris dans la base nucléaire qui sert au sourcing des concurrents.

Comme l’ARENH a été créé pour faciliter la concurrence, il est normal que le président de l’ANODE demande qu’il soit le plus bas possible. Il le souhaite d’autant plus si le tarif réglementé de vente ne crée pas un espace concurrentiel. Un nouveau concurrent est obligé de proposer une offre plus basse que le tarif réglementé de vente, sans quoi le client n’a aucun intérêt à changer d’opérateur. En tout cas, ce qui compte, ce sont les vrais coûts économiques et comment faire en sorte d’avoir à la fois un espace concurrentiel et une bonne couverture des coûts, afin qu’il n’y ait pas de perdants, si je puis dire.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, le complément pèse assez peu. Il est valorisé par rapport au prix du marché de gros. Il est bas et il est encore plus bas en Allemagne – il y a dix euros d’écart. Actuellement, en France, il est un peu plus bas que l’ARENH, ce qui est paradoxal car, normalement, les moyens de semi-base et de pointe sont plus chers au mégawattheure que le nucléaire. Mais, en raison de la surcapacité et des subventions massives aux énergies renouvelables, le prix du marché de gros connaît une dépression. Logiquement, si l’on corrige le marché et qu’il redevient représentatif des coûts, cette partie-là augmentera. Inversement, si l’on continue à développer des énergies renouvelables électriques alors qu’il n’y a pas de demande en électricité, on crée de la surcapacité et des coûts économiques échoués dans le système. Bien sûr, il ne faut pas arrêter les EnR électriques mais faire en sorte que leur développement soit piloté en fonction de l’évolution de la demande. Il faut donc organiser massivement des transferts d’usage entre le pétrole et l’électricité. Le projet de loi relatif à la transition électrique se donne des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables, et c’est bien, mais il faut prendre en compte cette réalité. Parallèlement au développement des EnR électriques, il faut donc mettre en place un plan de développement du transfert des usages du pétrole vers l’électricité, sans oublier l’efficacité énergétique. Par ailleurs, il faut développer les EnR non électriques ; or, bien qu’elles représentent un potentiel important en la matière, c’est dans ce domaine que nous sommes le plus en retard.

Je reviens sur mon schéma. En ce qui concerne la commercialisation, nous avons pris pour hypothèse la stabilité à l’horizon 2025. Les chiffres indiqués concernant le transport résultent des travaux que nous avons effectués avec RTE, ERDF, etc. La part transport connaîtra une augmentation à l’horizon 2025 – à mon avis, elle n’est pas trop excessive et elle est tout à fait supportable – parce que plus il y a d’énergies renouvelables électriques, plus on a besoin de réseaux. Chacun a bien pris conscience que l’on ne pourra pas se passer des réseaux avec les énergies renouvelables.

M. le président Hervé Gaymard. Mais cela a pris du temps !

M. Robert Durdilly. Je me rappelle avoir eu l’occasion de débattre de cette question avec les parties prenantes qui n’étaient pas acquises à cette idée. En la matière, on a bien progressé.

S’agissant de la CSPE, nous nous référons aux travaux de la CRE, qui a modélisé les engagements en matière de développement. La part CSPE passerait de 16,5 euros à 30 euros par mégawattheure en 2025, hors impact de la réduction du parc nucléaire. L’un des objectifs de la loi sur la transition énergétique est de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 à 50 %. Mais tout dépend de l’évolution de la demande d’électricité sur cette période. Certains pensent que l’on pourrait baisser la demande d’électricité à due concurrence de la réduction de la production nucléaire correspondante. Ce n’est pas du tout ce que nous pensons, pour de nombreuses raisons, comme la démographie, le développement des nouveaux usages, notamment les technologies de l’information, et l’activité économique. Pour notre part, nous ne voulons pas nous inscrire dans le scénario de la décroissance, même si les efforts réalisés en matière d’efficacité énergétique permettront de réduire l’impact lié à la croissance économique. Mais l’idée selon laquelle nous ferions des bonds spectaculaires en matière d’efficacité énergétique au point de compenser la hausse naturelle des consommations, voire de les réduire de 20 à 30 % à l’horizon 2025, est complètement illusoire. RTE a retenu comme hypothèse une stabilité de la consommation, hypothèse qui me semble bonne.

Je le répète, le chiffre de 30 euros par mégawattheure annoncé par la CRE ne tient pas compte de la réduction du parc nucléaire existant. Si l’on devait diminuer la production nucléaire de 20 gigawatts à l’horizon 2025 alors que la demande en électricité serait toujours là, il faudrait compenser. Or, compenser avec des énergies renouvelables, c’est-à-dire non émettrices de CO2, entraîne un coût supplémentaire que l’on peut évaluer entre 20 et 25 euros par mégawattheure.

Ce qui manque, dans la loi sur la transition énergétique, c’est l’évolution de ses impacts économiques et industriels. Chacun s’accorde à le dire, elle n’a pas pris la mesure des conséquences des grands objectifs qu’elle fixe et qui vont engendrer d’autres types de problèmes. Il est donc important d’évaluer les conséquences à la fois économiques, industrielles voire sociales de ces orientations.

Enfin, la part des autres taxes et de la TVA devrait augmenter, mais il s’agit d’augmentations mécaniques.

Sur la base des coûts évalués par les grands opérateurs concernant le réseau et par la CRE concernant l’évolution de la CSPE, en 2025, le coût moyen du mégawattheure serait d’un peu moins de 200 euros, contre 158 euros aujourd’hui.

Les électro-intensifs constituent en effet un sujet de préoccupation. Le fait qu’il existe des mesures spécifiques en leur faveur semble de bons sens pour tout le monde. Mais qui doit financer cet effort particulier ? C’est un peu la même logique que pour les clients en situation de précarité. Il est malsain qu’une partie des consommateurs compense les mesures prises pour une autre catégorie de consommateurs. Il faut donc inscrire ces mesures dans une politique publique et trouver les bons mécanismes.

Nos voisins allemands ont massivement soutenu leur industrie électro-intensive avec deux composantes. L’une est l’exonération presque intégrale de l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), l’équivalent de la CSPE. Et l’effort en faveur des énergies renouvelables est supporté par les autres catégories de clients, essentiellement les particuliers, ce qui explique que le prix de l’électricité payé par un particulier en Allemagne soit pratiquement le double de celui payé par un particulier en France. En Allemagne, on utilise beaucoup ce que l’on appelle « la rémunération de la flexibilité ». C’est un principe intelligent qui consiste à rémunérer un consommateur qui se montre flexible ou qui a un appel de puissance très régulier – car soumettre le parc de production et les réseaux à des à-coups importants a des conséquences. Le projet de loi prévoit un dispositif sur cette question. Il est tout à fait normal qu’un consommateur, dont les caractéristiques d’appel de puissance de consommation sont, si je puis dire, plus économes que la moyenne d’un autre client, paye moins cher sa consommation.

La question de la tarification dérogatoire des agents revient assez souvent. Les prix particuliers ont vu le jour lors de la nationalisation, il y a donc quelques années. L’existence de dispositifs spécifiques liés à l’activité, ou « avantages en nature », est tout à fait normale. C’est le cas par exemple à la SNCF ou chez Air France. À l’époque où a été créé ce système, le référentiel était complètement différent d’aujourd’hui. Comme les tarifs particuliers n’évoluent pas au même titre que les autres tarifs, l’avantage s’accroît dans le temps. J’ajoute que la tarification dont bénéficient les salariés d’EDF ne les incite pas à réaliser les mêmes économies que les autres consommateurs, et ils ne payent pas non plus les taxes correspondantes, d’où un certain décrochage. Ce sujet est bien identifié. Les entreprises de la branche des industries électriques et gazières étaient prêtes à ouvrir le dossier ; le contexte politique ne le permet pas pour l’instant…

M. le président Hervé Gaymard. Merci pour cette litote !

M. Robert Durdilly. …mais nous sommes toujours prêts.

Où se situe le bon mix énergétique permettant de conserver la meilleure compétitivité pour nos entreprises ? Les coûts des différentes filières de production sont très bien connus. On peut espérer que les coûts de certaines filières renouvelables continuent de baisser. On sait que le coût de la prolongation du parc nucléaire français est très compétitif, qu’il s’agit d’un excellent investissement. C’est grâce à un développement industriel que l’on baisse les coûts et – le serpent se mord la queue – il faudrait que la baisse des coûts bénéficie à des filières industrielles françaises. En tout cas, cela vaut le coup d’investir dans ces nouvelles filières.

L’efficacité énergétique est une variable d’ajustement du mix de production : vous pouvez aussi faire des économies sur l’efficacité énergétique. Mais, si vous visez un optimum économique, il faut cibler les investissements en fonction de l’intérêt qu’ils présentent : soit vous souhaitez mieux isoler des bâtiments énergivores, soit vous voulez réduire les émissions de CO2, etc. Il faut faire attention car certains équipements ont un temps de retour supérieur à leur durée de vie, ce qui n’est pas très rationnel au plan économique.

Ma réponse est donc assez simple. D’abord, il faut conduire la transition de l’optimum du mix énergétique, le faire évoluer, le piloter, en mettant toujours en avant la meilleure efficience économique dans le système. Ensuite, il faut éviter les surcapacités que j’ai décrites tout à l’heure, qui ont pour effet de vous faire payer deux fois, une fois pour soutenir les énergies renouvelables et une autre fois parce que vous avez été obligé de déclasser des actifs de production tout à fait opérationnels. C’est ce que l’on voit dans les tarifs. En effet, la part CSPE qui vient soutenir les énergies renouvelables augmente et la partie production diminue ; une espèce de transfert entre la part CSPE et la part production apparaît. Le paradoxe, c’est que plus le marché de gros baisse, plus cela coûte cher à soutenir puisque la CSPE est calculée par différence par rapport au prix du marché. Cette spirale négative doit être cassée. Il faut donc faire en sorte que le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables ne vienne pas complètement perturber le signal économique sur les marchés de gros.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le président, je vous remercie pour ces explications limpides.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 5 novembre 2014 à 17 h 15

Présents. - M. François Brottes, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Marc Goua, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais