Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 19 novembre 2014

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Alain Leboeuf, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons M. Jean Gaubert, le Médiateur national de l'énergie, accompagné par Mme Catherine Lefrançois, responsable du service des études et des recommandations et de Mme Aurore Gillmann, en charge des relations institutionnelles.

Nul besoin de vous présenter, monsieur Gaubert, vous qui avez longtemps été l’un de nos collègues à l'Assemblée nationale où vous avez toujours manifesté une attention particulière à la protection du consommateur, notamment en qualité de rapporteur pour avis des crédits à la consommation. Sur le thème retenant l'attention de la mission, vous avez rédigé avec Jean Proriol un rapport parlementaire remarqué sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d'électricité. S’il ne résume évidemment pas toute votre carrière, ce rappel explique les raisons qui vous ont amené à occuper la fonction de médiateur national de l'énergie.

La Médiation de l'énergie est une autorité administrative indépendante qui est principalement saisie de litiges ou de problèmes entre les consommateurs d'électricité ou de gaz et leurs fournisseurs. Après étude de chaque cas, le médiateur émet des recommandations concernant les solutions possibles, en exerçant ainsi un pouvoir d'expertise et de conciliation. Le médiateur doit aussi être informé des suites données à ses recommandations. Nous lui demanderons d'ailleurs s'il dispose ainsi d'une sorte de droit de suite.

Monsieur Gaubert, nous vous invitons à nous faire part de vos observations sur la précarité énergétique, les tarifs sociaux et le futur chèque énergie qui complétera ou se substituera aux dispositions actuelles.

La Médiation ne limite sans doute pas son activité à ce seul champ d'intervention. Est-elle également saisie de litiges ou de difficultés que rencontrent certains consommateurs comme les agriculteurs, commerçants ou artisans dans leur activité professionnelle ? Une typologie de ces litiges serait d'ailleurs utile à l'information de la mission.

Plus généralement, quel est votre avis sur les politiques commerciales des fournisseurs d'électricité, y compris les fournisseurs alternatifs ? Avez-vous été consulté sur les nouvelles modalités de fixation des prix de l'électricité intervenues récemment ? Avez-vous été amené à faire part de vos observations aux administrations de tutelle du secteur sur les modes d'évolution tarifaire vous paraissant souhaitables ?

Lorsqu’on évoque les litiges entre consommateurs et fournisseurs, on pense immédiatement que le plus important flux d'affaires concerne EDF et sa clientèle. Qu'en est-il de la situation concernant ERDF ou les différents distributeurs locaux ?

Après votre exposé liminaire sur l’activité du médiateur national de l’énergie, les membres de la commission vous poseront quelques questions. Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean Gaubert prête serment.)

M. Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie. N’ayant pas la science infuse, je ne pourrai peut-être pas répondre à toutes les questions : maintenant que je ne suis plus parlementaire, j’ai moins de domaines de compétence et davantage de temps pour creuser les sujets sur lesquels des responsabilités m’ont été confiées.

Sachez que j’ai bien conscience que les sujets qui nous valent de nous exprimer devant la représentation de la nation sont toujours extrêmement importants.

Lors de vos précédentes auditions, vous avez déjà abordé certains thèmes sur lesquels je ne vais pas m’étendre. J’approuve notamment les propos tenus par le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur nombre de sujets et ceux tenus par le président de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur le chèque énergie et les tarifs sociaux. À quelques petites nuances près, je partage l’analyse de Bruno Léchevin.

Le prix de l’électricité dépend de trois composantes essentielles et définies : la production, le transport et la distribution. Dans le coût de la distribution, la part du fournisseur inclut des frais commerciaux qui suscitent des interrogations. La part variable du prix de l’électricité est relativement faible ; ensuite, il y a ce que l’on appelle improprement des taxes. La contribution au service public de l'électricité (CSPE) est-elle une taxe ? J’entends dire qu’il s’agit d’un impôt de toute nature et, en tout état de cause, il s’agit davantage d’un instrument de péréquation et de répartition que d’une taxe. Si c’est une taxe, elle est affectée. S’y ajoutent la taxe sur la consommation finale d'électricité (TCFE) et la taxe à la valeur ajoutée (TVA).

Arrêtons-nous sur les rémunérations et les marges diverses. Les textes font référence à la notion de « marge raisonnable » qui est très difficile à comprendre, qui a d’ailleurs beaucoup évolué au fil des ans et qui est aussi imprécise que celle du temps de refroidissement du canon du fusil. Elle évoluait aux alentours de 6 % avant 2006, à une époque où le loyer de l’argent se situait à 4,5 % ou 5 % ; curieusement, elle atteint quelque 10 % actuellement, alors que le loyer de l’argent est tombé à moins de 1 %. L’État est schizophrène : à chaque fois qu’EDF réalise un euro de marge, l’État est intéressé à hauteur de 84,5 centimes d’euros.

Vous noterez donc que la marge raisonnable a évolué récemment de façon inversement proportionnelle au taux de rémunération de l’argent sur le marché. À ce prix-là, je serais disposé à m’endetter pour prêter de l’argent à EDF. Il y a de quoi s’interroger, d’autant qu’il s’agit d’investissements peu risqués. Qu’un entrepreneur en capital-risque demande un retour sur investissement important, on peut le comprendre sinon l’approuver. Quand il s’agit d’activités régulées, par conséquent peu risquées, cette rémunération qui va être payée par le consommateur apparaît extrêmement importante.

Lors d’une autre audition préparatoire à la loi sur la transition énergétique, j’ai eu à m’exprimer sur les prélèvements effectués sur Réseau de transport d'électricité (RTE) et Électricité réseau distribution France (ERDF). De quelle nature est la rémunération de RTE et d’ERDF ? C’est le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), dont le niveau est défini par la CRE en concertation avec les opérateurs et dont la vocation est de couvrir les besoins de développement, de maintenance et d’entretien des réseaux. Curieusement, elle génère aussi des bénéfices relativement importants qui remontent à la maison mère, ce qui doit nous inciter à nous poser des questions. Le Parlement peut décider de conserver ces niveaux de prélèvement mais en connaissance de cause : c’est là où se trouvent les marges, même si la ministre de l’environnement a eu raison de demander à ce que soit recalculée l’élévation des prix.

La responsabilité d’EDF est largement partagée parce que les administrateurs d’État ont une position prépondérante au sein du conseil d’administration. Cela étant, je m’interroge sur le fait que les coûts commerciaux soient répartis au prorata entre les prix de marché de l’électricité et les tarifs réglementés. Dans le domaine des tarifs réglementés, les vrais coûts commerciaux sont les frais de gestion de dossier puisqu’il n’y a pas de coûts de communication, de publicité ou de démarchage de clients nouveaux. Pourtant, la CRE a je crois confirmé l’application d’une règle de trois. Je ne peux pas croire qu’à l’intérieur de l’entreprise on ne sache pas faire la différence entre les uns et les autres. Certains se battent pour une hausse des tarifs réglementés qui leur fera gagner plus d’argent – ce qui nous conduit parfois devant le Conseil d’État où nous ne gagnons pas toujours – et cela doit nous interpeller.

Chez EDF, j’ai le sentiment que l’amélioration des marges tient plus à l’augmentation de la rémunération des capitaux qu’à une vraie amélioration de la performance technique de l’entreprise. Il suffit d’augmenter le taux de rémunération des capitaux pour faire de la marge. La situation de l’entreprise – des capitaux bien rémunérés pour une activité régulée – est relativement confortable. Si je ne sais pas analyser la performance d’EDF, je vois bien que les décisions prises entre 2006 et 2010 ont des conséquences très importantes sur le secteur.

Autre composante : la fameuse CSPE qui n’est plus du tout indolore après une douzaine d’années d’existence et qui le sera encore beaucoup moins à l’avenir. Son montant qui atteignait environ 6 milliards d’euros en 2013 se répartissait de la manière suivante : 3,8 milliards d’euros pour les énergies renouvelables, 1,7 milliard d’euros pour les systèmes insulaires, 400 millions d’euros pour la cogénération et 300 millions d’euros pour l’aide aux plus démunis. Contrairement à ce que d’aucuns laissent croire, ce n’est pas « l’aide aux pauvres » qui coûte cher, y compris parce que les 300 millions d’euros ne sont même pas dépensés en raison d’une absence de croisement de tous les fichiers. Le chèque énergie sera un peu plus souple mais pas plus opérant si l’on n’y consacre pas davantage de moyens.

En fait, la CSPE alimente le seul fonds contributif à la transition énergétique. Lors de la création de cette contribution, il y a eu débat : faut-il une taxe sur l’ensemble des énergies pour financer l’ensemble des énergies renouvelables ou chaque énergie doit-elle financer sa propre énergie renouvelable ? Les pétroliers et les gaziers ont gagné en imposant l’idée que chacun devrait financer son énergie renouvelable. Résultat : pratiquement toutes les énergies renouvelables existantes, notamment le photovoltaïque, l’éolien terrestre ou offshore, sont électriques. Dans bien des cas, même le biométhane finit en électricité car le lieu de production est trop éloigné des réseaux de gaz et que le raccordement relève de l’entreprise productrice. Au lieu d’avoir des énergies renouvelables diversifiées, nous allons vers une production d’électricité renouvelable.

Qui paie la CSPE ? Lors des débats, on a culpabilisé les utilisateurs de chauffage électrique, ces « tarés » qui n’ont rien compris et qui paient le plus de CSPE. Vous qui êtes des parlementaires, vous savez comme moi que ceux qui se chauffent à l’électricité se répartissent entre trois catégories : les locataires du parc locatif privé dont les propriétaires ont fait le choix de « grille-pain » qui ne coûtent pas cher ; nombre de locataires du parc locatif public en milieu rural et périurbain ; les petits accédants à la propriété qui sont limités par le volume de leur prêt bancaire.

Est-ce que ce sont des riches ? Non, et pourtant ils vont devoir subir une hausse continuelle de la CSPE au vu des chiffres dont nous disposons et qui ont été donnés par Philippe de Ladoucette, le président de CRE, et qui confirment les nôtres. Pensez-vous que la CSPE va pouvoir tenir longtemps ? Pour ma part, je ne le pense pas comme je l’ai dit lors de mon audition par la commission spéciale sur la transition énergétique. Nombre de nos concitoyens ne se chauffent déjà plus ; ils vont consommer moins alors que la CSPE va devoir rapporter davantage pour financer les engagements pris dans les énergies renouvelables. La contribution devra donc augmenter plus vite, avec les conséquences que je vous laisse imaginer.

Pendant ce temps, que paient les autres énergies pour financer les renouvelables ? Le pétrole a dépensé entre 100 et 200 millions d’euros pour financer essentiellement ce que l’on appelle, à tort, le pétrole vert. Le gaz a payé 4 millions d’euros en 2013. Je comprends que le PDG de GDF-Suez continue de défendre l’idée selon laquelle chacun doit payer pour son énergie renouvelable. Je voudrais vraiment que vous mesuriez à quel point la CSPE sera incapable d’assumer l’ensemble des charges engagées et à venir.

Or la transition est d’autant plus nécessaire que la consommation d’électricité va augmenter et non pas diminuer, contrairement aux schémas envisagés par certains il y a dix ans. Tous les régulateurs, tous ces petits moteurs installés dans les maisons fonctionnent à l’électricité, au point que le poste « autres usages de l’électricité » tend à devenir parfois plus important que le poste « chauffage ». S’il est une priorité, c’est bien de trouver un financement pérenne pour les engagements passés et à venir dans le domaine des énergies renouvelables et qui nous permettront d’atteindre les objectifs fixés.

N’oublions pas que ces énergies renouvelables sont financées par de l’argent du public et que les sur-rémunérations ne sont pas forcément de bonnes solutions. L’effet d’aubaine n’a pas davantage sa place dans ce domaine que dans d’autres et les taux de rémunération de 10 à 12 % ne devraient plus être de mise dans l’éolien terrestre. Quelques chiffres montrent l’iniquité du système qui avait été élaboré dans le secteur du photovoltaïque : les appels d’offre actuels tournent autour de 140 ou 150 euros du mégawattheure alors que certains contrats ont été signés sur la base de 450 euros entre 2006 et 2010-2011.

Personnellement, j’habite près d’un centre éolien offshore réalisé au prix d’un investissement formidable de 2 milliards d’euros et qui produira de l’électricité pour un coût, beaucoup moins formidable, de 200 euros du mégawattheure. Si l’on persiste dans cette voie, nul besoin de s’interroger sur l’évolution des prix de l’électricité : ils vont continuer de fortement monter. Les consommateurs m’intéressent mais je n’oublie pas que la France compte aussi des industries électro-intensives qui risquent d’être affectées par une hausse des prix de l’électricité. Ce centre éolien a été réalisé sur appel d’offre, mais nous avons pris des marges : les promesses aux pêcheurs – la députée du secteur ne me contredira pas – frisent l’indécence. Le consommateur paiera ! Mais pourra-t-il continuer de payer ?

Les tarifs d’électricité ont augmenté de 15 à 17 % depuis 2010-2011, et de quasiment le double avec la CSPE. Les tarifs sociaux ne compensant pas la hausse, les bénéficiaires n’ont pas du tout conscience d’avoir été aidés. Il ne faut pas s’attendre à des remerciements de leur part, sous prétexte que leur facture augmente un peu moins que celle des autres. Si nous voulons vraiment que ces aides sous forme de tarifs sociaux ou de chèque énergie – auquel je suis favorable car il couvrira toutes les énergies - soient efficaces, elles doivent s’élever à un milliard d’euros au minimum. Sinon, inutile d’y consacrer beaucoup de temps : personne ne se rendra compte de leur existence. Et si le chèque énergie se réduit à 100 euros comme aujourd’hui, vous aurez en plus la situation particulière de ceux qui utilisent à la fois de l’électricité et du gaz et qui touchent actuellement deux fois les aides et qui n’auront plus que le chèque énergie. En revanche, ceux qui sont détenteurs d’un contrat de vente de gaz réparti (VGR) seront connus dans le système de chèque énergie alors qu’ils ne le sont pas dans celui des tarifs sociaux. Cela conduira donc à des transferts.

Quoi qu’il en soit, si l’enveloppe ne passe pas de 300-400 millions d’euros à 1 milliard d’euros, ce qui correspond à un chèque de 200 à 250 euros par famille, l’aide sera invisible et inefficace. Pour avoir participé au colloque de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), j’ai pu constater l’unanimité de vue des associations sur le sujet, certaines estimant même que l’aide devrait être portée à 400 à 450 euros par famille, ce qui me semble impossible.

Avons-nous été consultés sur les évolutions tarifaires ? Non et nous n’avons d’ailleurs pas à l’être, ce qui ne m’empêche pas de porter un jugement positif sur l’action menée qui a démontré qu’une hausse annuelle de 5 % n’est pas inéluctable. C’est aussi une question de volonté politique.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour votre exposé, monsieur Gaubert.

Vous avez répondu partiellement à l’une des questions que nous nous posons depuis le début de nos travaux : de quelle manière le dispositif français, tel qu’il a été construit, pèse-t-il sur les coûts et les tarifs ? En tant qu’actionnaire, l’État perçoit une rémunération. Exerçant sa tutelle, il impose aussi des contraintes et des charges qui peuvent contribuer à alourdir les coûts et donc les tarifs. Pourriez-vous revenir sur ce point ? Quel est le poids du dispositif tel qu’il a été construit au cours des dix dernières années, avec EDF, RTE et ERDF ? La demande de rémunération de l’État pèse non seulement sur EDF mais aussi sur les autres structures qui lui sont rattachées.

À votre avis, que faudrait-il remettre en cause pour agir sur les coûts et sur les tarifs ? Dans vos développements sur la CSPE, vous avez évoqué les charges pesant sur les tarifs. Pensez-vous qu’il y a une autre manière de les imputer ? Est-il possible de bâtir pour le consommateur d’électricité, que ce soit un ménage ou une entreprise, un système tarifaire qui tienne compte des différences entre le coût des infrastructures – les investissements peuvent être considérables – et celui de l’énergie proprement dite ? En allant au bout de la logique que vous avez esquissée, serait-il possible de construire un système tarifaire totalement différent de celui qui prévaut actuellement ? Si l’imputation des charges ne change pas, le consommateur ne pourra pas payer, dites-vous. Ne faut-il donc pas réaménager l’ensemble du dispositif ?

M. François Brottes. Monsieur le Médiateur, par le passé, nous avons essayé de faire preuve de créativité sur le sujet. Je nous invite à continuer. Peut-on envisager de casser le modèle tarifaire existant pour éviter d’aller dans le mur ?

Dans chaque composante du coût de l’électricité – production, transport, distribution – il faut faire la part entre les investissements et l’exploitation. D’une part, quel que soit son niveau de consommation, chacun doit prendre sa part du fardeau de la charge fixe car il faudrait continuer à payer l’investissement de base même si tout le monde éteignait la lumière. Même l’adepte de l’autoproduction a besoin d’être raccordé au réseau, le spécialiste des pompes à chaleur que vous êtes ne l’ignore pas. Le propriétaire d’une résidence secondaire, qui exige d’avoir de la lumière au moment où il le souhaite, doit en assumer les conséquences sous forme de contribution à la charge fixe que cela représente. D’autre part, l’accroissement des besoins de consommation, quand la famille s’agrandit ou que l’entreprise se développe, peut engendrer des besoins accrus d’investissements de production.

Le modèle tarifaire doit aussi tenir compte du mode consommation : le consommateur devrait payer en fonction de son comportement plus ou moins vertueux, plus ou moins responsable de débordements dans la gestion du réseau, mais ce n’est pas encore le cas. Sa facture évolue en fonction de la puissance et du volume d’énergie demandés. Comment peut-on l’inciter à faire un meilleur usage du réseau pour que le système soit moins sous tension ? C’est la tension du système qui engendre la spéculation, les surcoûts et des tarifs qui deviennent prohibitifs, de la même façon que l’intermittence des énergies renouvelables génère des surcoûts. Un mode de consommation plus serein permettrait de peser sur les coûts.

Il est nécessaire d’avoir une autre approche tarifaire si l’on veut intégrer les facteurs que je viens d’évoquer, sachant que la liste n’est pas close. Pour conclure, je ferai un parallèle avec la situation du marché des télécommunications où le temps de la consommation à l’unité est bel et bien fini. Ce secteur fonctionne aussi avec un réseau, des volumes et des débits que l’on pourrait comparer à la puissance. Pourtant, les consommateurs ne paient plus à la communication comme ils paient au kilowattheure. Étant un peu à l’origine de la création de cette commission, je nous invite à réfléchir autrement sur les tarifs de l’énergie.

M. Jean-Pierre Gorges. Votre intervention était édifiante, monsieur Gaubert. Avez-vous participé aux réflexions sur la loi relative à la transition énergétique ? La consommation d’électricité va continuer à progresser dans notre pays, dites-vous, alors que ce texte stipule exactement l’inverse pour préconiser une réduction du parc nucléaire et un développement des énergies renouvelables. Selon vous, non seulement la consommation d’électricité va augmenter mais la CSPE va faire exploser les tarifs. Le modèle prévu dans la loi que nous venons d’adopter est une machine infernale et, à terme, les gens ne pourront même plus consommer de l’électricité.

Vous qui représentez les consommateurs, en quelque sorte, êtes-vous en phase avec les propositions de la loi sur la transition énergétique ? Confirmez-vous que la consommation d’électricité va continuer à augmenter ? Pensez-vous que, dans le contexte actuel, il est sain de se retirer progressivement du nucléaire ? Pensez-vous que nous pourrons nous appuyer sur les énergies renouvelables, c'est-à-dire l’électricité photovoltaïque et éolienne, de manière définitive ou seulement pendant une phase de transition ?

Mme Jeanine Dubié. Vous avez évoqué le montant de la CSPE consacré aux énergies renouvelables, et nous savons qu’il existe de nombreux litiges liés aux arnaques d’entrepreneurs pas très honnêtes. Certains surfent sur les dispositifs législatifs et fiscaux d’encouragement des énergies renouvelables comme ceux qui concernent le photovoltaïque, les pompes à chaleur, et bientôt la rénovation énergétique via le crédit d’impôt qui est inscrit dans la loi relative à la transition énergétique et que nous avons validé dans le projet de loi de finances pour 2015.

Ces mauvaises pratiques minent la confiance des consommateurs, vous devez le constater dans votre tâche de médiateur comme nous le constatons dans nos permanences. Avez-vous une évaluation des montants que nous pourrions économiser grâce à un encadrement plus efficace ? Comment pourrions-nous mettre en place un système de labellisation avec des contrôles ? Fort de votre expérience de médiateur, pourriez-vous nous suggérer la bonne méthode à appliquer pour éviter de reproduire les mêmes erreurs ?

M. Jean Grellier. Que pensez-vous du rapport entre abonnement et consommation, les deux éléments qui apparaissent sur une facture d’électricité ?

Créé pour s’adapter à l’évolution européenne, le système devait être favorable au consommateur mais il se traduit plutôt par une somme d’inconvénients. L’échange que nous venons d’avoir avec la représentante de la Commission européenne montre que la discussion est assez bloquée. Quelles seraient vos recommandations, au niveau national et européen, pour débloquer le système et faire en sorte que le prix de l’énergie soit supportable pour le consommateur et contribue à la compétitivité de nos industries ?

M. Jean Gaubert. Pour répondre à Mme Valter et à M. Gorges, je vais revenir sur la CSPE. Comme Philippe de Ladoucette, le président de CRE, je compare les engagements que nous avons pris à échéance de quinze, vingt ou vingt-cinq ans avec la surface des « contribuables ». Ces derniers ne sont pas les plus aisés de notre société et ils ne pourront pas tenir. Au mieux, ils arrêteront de se chauffer ce qui fera augmenter mécaniquement la CSPE à l’unité, à un rythme supérieur à celui qui était prévu.

Sans vouloir polémiquer, je rappelle à M. Gorges que ce système n’a pas été inventé par le gouvernement actuel. À présent, notre responsabilité collective est de nous atteler à résoudre ce problème extrêmement important. Pour ma part, je pense que la seule solution est de créer une vraie contribution pour la transition énergétique, en l’appliquant à toutes les énergies sur la même base, quitte à déplaire aux gaziers. Ceux qui contribueraient un peu plus crient au scandale, arguant qu’une telle mesure favoriserait le chauffage électrique. Or la norme RT 2012 interdit, de fait, le chauffage électrique. Le problème du chauffage électrique ne se pose plus que pour les gens qui sont déjà piégés. Nous avons besoin d’un fonds pour financer la transition énergétique et, si nous voulons sauver la CSPE, il faut en élargir l’assiette. Jean Launay avait présenté un amendement en ce sens et le Parlement peut s’en saisir s’il le souhaite.

En parallèle, il faut être très regardant sur la dépense. La CSPE peine déjà à financer les engagements pris, de grâce ne rajoutons pas de nouvelles dépenses si on ne change rien ! Cette vigilance doit s’appliquer aussi aux coûts des énergies renouvelables, j’y insiste. Au mois de juin dernier, j’ai assisté à un colloque auquel participaient tous les opérateurs de l’offshore. Lors d’une table ronde, ils ont tous expliqué qu’il était illusoire de penser que le prix du mégawattheure descendrait au-dessous de 200 euros. Cet épisode m’a marqué et j’ai eu l’impression qu’il y avait entre eux une entente illicite. Nous devons nous poser la question. Lorsque j’étais parlementaire, je pensais aussi que l’on surpayait le photovoltaïque dans certaines régions françaises, voire dans toutes les régions. Nous n’en avons pas fini de payer les scories de cette période-là ! À l’époque, nous n’étions pas très nombreux à tenir ce genre de discours.

Madame Valter, vous m’interrogez sur la relation entre EDF et ses filiales, un sujet que j’ai évoqué à plusieurs reprises. Ces filiales n’ont pas le même statut : contrairement à ERDF, RTE est davantage sous la responsabilité de la CRE que d’EDF. C’est ainsi qu’au printemps dernier, la CRE a décidé de faire redistribuer aux consommateurs et non à la maison mère, la partie des excédents de RTE qu’elle estimait injustifiés.

Instruite par le montage rapide de RTE en 2000, la direction d’EDF s’est arrangée pour ne pas se faire rouler une deuxième fois avec le montage d’ERDF : le poids de la maison mère EDF pèse très lourd sur sa filiale ERDF. Alors que la nomination du président de RTE se fait en conseil des ministres, celle du président d’ERDF a lieu dans le bureau du président d’EDF, ce qui change la nature des rapports. En outre, la direction financière d’EDF intervient en permanence chez ERDF. Si le dernier directeur financier d’ERDF n’a pas donné trop d’explication sur sa récente démission, les interprétations ne manquent pas.

En 2012 ou 2013, la direction financière d’EDF a demandé aux fournisseurs d’ERDF de diminuer de 2 % le prix des marchés qu’ils venaient de signer, ce qui n’est pas très conforme aux règles européennes. Les fournisseurs étant pieds et poings liés à ERDF, ils n’ont pas pu se plaindre. EDF a aussi décidé de diminuer les programmes d’investissements qui avaient permis de définir le TURPE, afin de faire remonter des dividendes. Ce genre d’opérations est possible à ERDF, pas à RTE. Le TURPE doit servir à financer les réseaux et non à faire remonter du cash vers la maison mère, sauf si tous les besoins d’investissement ont été satisfaits.

Si je me permets de vous répondre sur EDF, c’est parce que j’ai été administrateur de cette maison pendant dix ans. En tant que médiateur, je n’ai pas de compétences sur ces sujets et je n’aurais pas été informé sur la manière dont les choses se passent chez EDF ou ailleurs. Pour faire apparaître les marges ou les déficits souhaités, le dirigeant d’entreprise peut jouer sur la durée des amortissements. Cette très vieille technique a toujours cours chez EDF, avec l’aval de Bercy.

Une règle plus précise sur les amortissements permettrait d’agir davantage sur le prix. Le tarif de l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) a été fixé à 42 euros – ce que d’aucuns jugent insuffisant – en prenant notamment en compte le calcul des amortissements. Va-t-on accepter l’allongement de la durée de vie de certaines centrales nucléaires ? À quelles conditions ? À quel prix ? En Belgique et aux Pays-Bas, l’allongement de la durée de vie de certaines centrales s’est traduit par le versement d’un pactole à l’État, même quand il s’agissait d’entreprises privées. Le calcul des amortissements est un vrai sujet de réflexion.

Plusieurs questions portaient sur le partage dans la facture entre l’amortissement de l’investissement et la consommation. En tant qu’élu, j’ai toujours considéré que l’abonnement devait couvrir l’amortissement des investissements, partant du fait que la personne raccordée peut demander à tout moment une puissance et une consommation donnée que l’opérateur doit avoir en réserve. Vos interventions me font plaisir parce que j’ai souvent entendu des orateurs plaider dans l’hémicycle pour la suppression des abonnements, pas forcément pour les factures d’électricité mais au moins pour celle de l’eau. Si nous le faisions, nous ferions payer les amortissements à ceux qui sont prisonniers de la consommation d’électricité.

J’utilise souvent un exemple qui parlera à Mme Le Dissez, celui des résidences secondaires qui sont nombreuses dans notre région. Si vous supprimez l’abonnement à l’eau, tous les investissements seront payés par les autochtones alors que les investissements importants et supplémentaires sont faits pour répondre aux besoins des résidents secondaires qui affluent pendant l’été – et nous sommes contents qu’ils viennent. Pour l’électricité, nous sommes dans la même situation.

S’agissant de la construction tarifaire, je suis de ceux qui regrettent que la loi Brottes n’ait pas pu être totalement appliquée, car le système par tranches de consommation était incitatif. Nous devons réfléchir à la répartition des charges d’amortissement et de consommation, c’est tout ce que je peux dire. L’abonnement à la puissance existe déjà. Est-ce que les écarts de prix sont assez importants ? Je ne sais pas mais j’appelle votre attention sur le fait qu’en élargissant les écarts pour les premières tranches, on punirait encore davantage les prisonniers du chauffage électrique. Mais c’est sans doute une piste à explorer.

Est-ce que la concurrence induit une baisse des coûts ? Pour ma part, je n’en ai jamais été persuadé. Nous avons constaté que notre pays avait les coûts d’électricité quasiment les plus bas d’Europe avant l’introduction de la concurrence. Par définition, la concurrence avait vocation à équilibrer les situations par l’ouverture des frontières. Européen convaincu, je suis pour l’ouverture des frontières entre nous à condition que nous ayons les mêmes règles. Quoi qu’il en soit, nous constatons que cela n’a pas été concluant chez nous.

À cet égard, il ne faut pas confondre le gaz et l’électricité. Le gaz est un produit qui se stocke et qui ne réagit pas comme l’électricité à certains paramètres. À part dans les barrages et les ballons d’eau chaude, l’électricité n’est pas stockée dans notre pays. Il existe bien quelques batteries très écologiques fonctionnant au lithium, importées de pays où elles ne sont pas considérées aussi écologiques que cela par les personnes qui les fabriquent. À partir du moment où ce produit ne se stocke pas, il fait immanquablement l’objet de manipulations et de coups.

En 1999 ou 2000, j’étais allé visiter la salle des marchés qu’EDF avait installée à Londres faute d’avoir le droit de le faire en France à l’époque – ce qui était formidable de la part d’un service public – et j’en étais revenu horrifié. Je m’étais rendu compte qu’il y avait des manipulations car les transactions étaient sans rapport avec la réalité physique de la production. Pour des produits stockables, la loi de l’offre et de la demande peut fonctionner assez correctement. Pour des produits non stockables, une forte régulation est nécessaire.

Est-ce que je suis en phase avec la loi sur la transition énergétique ? me demande Jean-Pierre Gorges. Quitte à vous surprendre, je répondrais par l’affirmative. Le leitmotiv principal de cette loi est la baisse de la consommation d’énergie et non pas la baisse de la consommation d’électricité. Nous allons sans doute assister à des baisses de consommation d’énergies diverses – fioul, gaz, charbon et autres – dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, et à une stabilisation voire à une augmentation des consommations d’électricité : non seulement la substitution passe souvent par l’électricité, mais on utilise souvent des appareils électriques pour mieux gérer la consommation d’énergies fossiles.

Qu’est-ce que je pense du nucléaire ? À titre personnel, je n’ai jamais été très opposé au nucléaire car je pense que nous en aurons encore besoin pendant une longue période, tout en étant très content de savoir que mes petits-enfants pourront s’en passer. Cela étant, je vous ferais remarquer que la donne est en train de changer : les débats portaient sur les risques ; ils s’orientent vers des considérations économiques.

EDF vient d’annoncer un nouveau retard d’un an du démarrage du réacteur nucléaire de troisième génération de Flamanville, dont la facture ne cesse de déraper. Nous avons vendu deux centrales EPR (European Pressurized Reactor) en Grande-Bretagne sur la base de coûts de production de 108 et 110 euros du mégawattheure, ce qui est supérieur aux coûts de production de l’éolien terrestre. À l’avenir, les débats sur le nucléaire porteront plus sur son coût que sur sa sécurité.

Que va-t-il nous rester ? L’éolien terrestre, qui ne pose aucun souci de démantèlement, va être moins coûteux que l’électricité nucléaire. On nous dit que cet EPR est une tête de série. Qu’en est-il de ceux qui sont en chantier en Chine et en Finlande ? Un peu comme dans le cas de l’éolien offshore, les prix ne cessent de monter. La question – à laquelle je n’ai pas de réponse – mérite d’être posée.

Madame Dubié, nous ne sommes pas compétents sur les arnaques dans le domaine des énergies renouvelables. Nous aurions aimé l’être parce que nous sommes souvent saisis, mais le Parlement ne l’a pas souhaité pour le moment. Ne noircissons pas le tableau : il existe beaucoup d’opérateurs honnêtes mais on en parle moins que des malhonnêtes. Mais quand un malhonnête a sévi dans un endroit, les actions en faveur de la transition énergétique deviennent difficiles à mener car tous les voisins ont peur de se faire avoir.

Dans notre dernier rapport, nous avons dénoncé l’action d’un opérateur qui n’est pas classé dans la catégorie des margoulins : EDF Bleu ciel. Certains cadres d’EDF sont un peu mal à l’aise par rapport à ce système de labellisation d’entreprises par EDF Bleu ciel qui a une très bonne image. L’entreprise labellisée arrive chez le client avec une société de financement et le contrat est signé. Par la suite, il arrive que le client constate que les installations ne fonctionnent pas et que l’entreprise, plus ou moins compétente, a même disparu. EDF a récupéré les certificats d’économie d’énergie alors même qu’il n’y en a pas. Le particulier, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant.

Pour que la transition énergétique réussisse, nous devons donner à nos concitoyens l’assurance qu’ils ne se feront pas avoir s’ils se lancent dans ce genre d’opérations. L’État a créé « reconnu garant de l'environnement » (RGE) qui devra s’imposer comme le seul label véritable dans ce domaine. Chaque grande entreprise créant son label, les gens finissent par se perdre dans le maquis, ne savent plus à qui se fier et n’entreprennent pas les travaux. Le label RGE devrait être le seul à être reconnu comme label.

Nous étions demandeurs de cette compétence que l’on va peut-être nous confier. Au moment du débat, la crainte était que nous ayons besoin de moyens supplémentaires. Nous réfléchissons à des solutions qui nous permettraient de nous appuyer sur des opérateurs locaux pour assumer cette tâche à moyens quasiment constants. La transition énergétique est un processus obligatoire et même exaltant : sous la pression des événements, nous sommes en train de changer de monde. Pour y parvenir, nous devons prendre quelques précautions pour que nos concitoyens ne se fassent pas avoir et pour qu’ils aient confiance.

M. Alain Leboeuf, président. Vous avez parlé des litiges concernant les consommateurs, qu’en est-il de ceux qui opposent les producteurs ?

M. Jean Gaubert. Nous ne sommes pas compétents, ce qui est dommage car les questions dont nous avons parlé sont souvent liées à des litiges de production. C’est pour cette raison que nous souhaitions être compétents pour les litiges liés aux énergies renouvelables. Bien évidemment, nous n’avons pas envie de l’être pour ceux qui opposeraient l’opérateur d’un grand barrage à EDF, par exemple. Mais il y a un manque en ce qui concerne les énergies renouvelables.

M. Alain Leboeuf, président. Effectivement, j’ai en tête quelques exemples dans ce domaine et les gens ne savent pas vers qui se tourner.

M. Jean Gaubert. Pour le moment, ils ne peuvent se tourner vers personne. Quand l’entreprise existe encore, on peut espérer qu’elle a une garantie décennale et des assurances. Quand elle n’existe plus, le client n’a plus de recours. Dans ces cas-là, nous aurions souhaité que le parrain – celui qui a donné un label – soit responsable, d’autant plus qu’il reçoit les certificats d’économie d’énergie.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le médiateur, je vous remercie ainsi que vos collaboratrices.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 19 novembre 2014 à 18 h 45

Présents. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, Mme Annick Le Loch, M. Stéphane Travert