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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 10 décembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Philippe Bucher, président de FerroPem, de M. Luc Baud, directeur de l’énergie de FerroPem, et de M. Jean-Paul Aghetti, directeur « Énergie » de Rio Tinto Alcan

M. le président Hervé Gaymard. Merci, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation.

FerroPem est une entreprise spécialisée dans le silicium métal et ses alliages. Historiquement, la société a repris des activités françaises de Pechiney, et elle appartient aujourd’hui au groupe espagnol FerroAtlantica. FerroPem possède six usines en France et réalise 400 millions de chiffre d’affaires par an, dont 85 % à l’exportation ; ses effectifs comptent près de 1 000 emplois directs. Les activités industrielles de FerroPem ont été implantées, comme celles de beaucoup d’autres entreprises de la métallurgie, au plus près des ressources hydrauliques.

Dans un document que vous nous avez fait parvenir, monsieur Bucher, vous mentionnez à ce sujet une éligibilité de votre activité au dispositif dit de l’article 8 de la loi de nationalisation de 1946 créant EDF. Vous nous préciserez en quoi ce dispositif concerne encore des électro-intensifs comme vous.

Vous nous avez également précisé que l’essentiel de votre activité est encore soumis au tarif réglementé vert EJP B qui vous lie à EDF. Ce tarif serait en augmentation de 5 % pour l’année à venir, avant de disparaître le 1er janvier 2016.

Au regard de son niveau, vous estimez que l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) ne constitue pas la solution à la survie des « hyper électro-intensifs », catégorie à laquelle appartiennent FerroPem et Rio Tinto Alcan.

Avant de vous donner la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

M. Jean-Philippe Bucher et M. Jean-Paul Aghetti prêtent successivement serment.

M. Jean-Philippe Bucher, président de FerroPem. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous permettre de défendre notre position s’agissant de l’évolution des tarifs de l’électricité en France. FerroPem et Rio Tinto Alcan se qualifient d’industries « hyper électro-intensives » en raison de l’électricité qu’elles utilisent en très grande quantité et comme matière première non substituable par le gaz, le fioul ou toute autre énergie. L’électricité est historiquement l’élément majeur de leur compétitivité. Certaines de nos usines existent depuis plus de cent ans. Elles sont encore au sommet mondial de la compétitivité dans leur domaine : le silicium métal pour FerroPem, l’aluminium pour Rio Tinto Alcan.

Dans un marché de l’électricité qui a considérablement évolué, nos deux sociétés fonctionnent encore avec des tarifs publics régulés. Elles bénéficient de contrats historiques conclus il y a de nombreuses années avec l’opérateur national, en fait dès la loi de nationalisation des moyens hydroélectriques de 1946. Depuis soixante-cinq ans, nous avons toujours réussi à trouver les synergies, les complémentarités, les caractéristiques de consommation qui ont permis à l’opérateur de nous fournir de l’électricité et à nous de nous montrer compétitifs. Aujourd’hui, alors que nous sommes, j’y insiste, des sociétés compétitives, florissantes et saines, que nous gagnons de l’argent, nous allons être confrontés, FerroPem au premier chef, à un problème existentiel à l’horizon du 31 décembre 2015, date à laquelle les tarifs régulés disparaîtront. Parallèlement, notre complément de tarif, qui se fait sous forme de ristourne, est en train de diminuer en sifflet et prendra fin définitivement en 2022. En l’état actuel, nous n’avons pas trouvé de solution pour garantir notre approvisionnement en électricité, notre sang pour ainsi dire !

Le document qui vous a été distribué montre que FerroPem se situe dans le premier tiers de l’histogramme des coûts mondiaux de production de silicium. Le passage à l’ARENH, même en continuant à « saisonnaliser » notre activité, nous placerait au dernier rang des producteurs. Autrement dit, dès la première crise, nous serions sérieusement menacés et ne gagnerions plus d’argent.

Lors d’une audition précédente, ici même, il y a près d’un an, j’avais indiqué qu’il nous fallait, pour survivre, un prix de l’électricité rendue aux bornes de nos usines, donc transport compris, entre 20 et 30 euros du mégawattheure, sur une base de consommation de douze mois. Á 20 euros du mégawattheure, la France redeviendrait un pays attractif pour les industriels électro-intensifs ; à 30 euros, nous serions dans une situation défensive qui permettrait le maintien des activités telles qu’elles existent aujourd’hui.

Les mesures qui seront arrêtées, quelles qu’elles soient, devront être lisibles sur une quinzaine d’années de façon à pouvoir mettre en place des plans industriels, à pouvoir investir techniquement, commercialement et socialement. Il nous faut également des solutions rapides puisque notre échéance est 2016.

Je voudrais nuancer certaines des déclarations qui ont été faites la semaine dernière devant votre commission d’enquête. Je tiens, en premier lieu, au nom de notre groupement, à m’inscrire en faux contre l’assertion selon laquelle les industriels électro-intensifs gaspilleraient l’électricité s’ils ne l’achetaient pas cher. L’électricité est notre matière première ; c’est l’indicateur de notre technicité, de notre capacité de produire. Pendant cent ans, des générations d’ingénieurs se sont succédé pour nous élever au niveau où nous sommes ; ce n’est pas pour gaspiller aujourd’hui ! Quel que soit le tarif auquel nous pourrons accéder, l’électricité restera, pour nous, la matière première à gérer de façon optimale en priorité.

J’ai entendu également qu’accorder des mesures de bonification à une industrie comme la nôtre est un jeu à somme nulle, c’est-à-dire que l’argent dont nous bénéficierions serait financé par d’autres consommateurs. Or le modèle est plus compliqué que cela. Nous ne demandons pas à avoir mieux ou davantage que les prix compétitifs auxquels nous avons accès jusqu’au 31 décembre 2015 ; nous souhaitons seulement la pérennisation de la situation qui nous a permis de vivre jusqu’à maintenant. Il ne s’agit pas de créer un transfert d’argent en notre faveur, mais seulement de maintenir les équilibres tels qu’ils existent actuellement. C’est un souhait que partagent toutes les industries électro-intensives qui se sont regroupées avec nous dans nos démarches. On nous oppose que ces conditions pourraient être à l’origine d’un manque à gagner virtuel dans les années à venir. Ce n’est pas tout à fait exact, car nous sommes des consommateurs de base : nous consommons la nuit, le week-end, l’été, bref lorsque personne d’autre ne consomme. Dans ces périodes-là, qui représentent plus de la moitié du temps, notre facteur de charge est de l’ordre de 85 à 90 %, contre moins de 20 % pour un consommateur privé. Á cet égard, nous sommes extrêmement intéressants pour EDF et RTE car en consommant de façon très régulière et dans des périodes de moindre sollicitation, nous contribuons à absorber les frais fixes et à limiter la modulation des moyens de production.

Par ailleurs, comme nos usines sont situées à côté des centres de production d’électricité – parfois même, le centre de production est à l’intérieur de l’usine –, le coût de transport est nul. Pourtant, historiquement, nous le payons au tarif plein – dans quelque temps, peut-être accéderons-nous à un tarif « discounté ». D’une certaine façon, nous subventionnons aujourd’hui le transport ; si, un jour, nous venions à disparaître, cette subvention se transformerait en une charge pour le réseau. J’insiste sur ce point pour tordre le cou à l’idée selon laquelle l’argent dont nous bénéficierions serait financé par les autres consommateurs. Cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Je répète que nous demandons simplement le maintien de la situation pendant suffisamment longtemps pour avoir la lisibilité nécessaire à la mise en place d’un plan industriel.

Notre activité du silicium connaît une croissance de 7 % par an, notamment grâce au développement du marché du photovoltaïque. De 2005 à 2011, le groupe FerroAtlantica, repreneur de FerroPem, a investi plus de 100 millions d’euros dans les usines de Savoie, des Pyrénées et de la vallée du Rhône, afin de les moderniser et d’augmenter les capacités de production. Or, en 2010, et bien que le marché continue de croître, la décision a été prise d’arrêter d’investir en France pour nous tourner plutôt vers la Chine, l’Afrique du Sud et le Québec, cela en raison du manque de visibilité sur l’avenir de l’électricité. Grâce à l’hydroélectricité, nos industries sont pourtant parvenues à vivre pendant cent ans, mais aujourd’hui, les perspectives ne nous paraissent pas viables : l’ARENH serait mortifère pour nous, et le marché de gros ne peut pas nous donner la lisibilité dont nous avons besoin sur nos coûts principaux au-delà d’un an.

Nous sommes convaincus que le Gouvernement a la volonté de répondre à notre souci. Le ministre de l’économie travaille avec ses services sur une solution liée à l’hydraulique historique. Si nous en sommes très satisfaits, nous insistons sur le fait que la réponse doit être rapide, calibrée à un niveau significatif et offrir suffisamment de lisibilité sur les prochaines années. Partout où j’ai pu avoir à négocier le développement de FerroAtlantica dans d’autres pays que la France, j’ai eu à faire à des gouvernements qui utilisaient leur politique énergétique comme un levier de politique industrielle et socio-économique. Limiter les enjeux à la rationalisation du marché de l’électricité se ferait au détriment de l’équilibre socio-économique et industriel du pays.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour votre intervention, très intéressante, ainsi que pour le dossier très complet et précis que vous nous avez communiqué.

Ai-je bien compris que la seule pérennisation du système actuel vous permettrait de faire face à la concurrence internationale, et que vous n’aviez pas besoin de davantage ?

Vous avez également indiqué ne plus investir dans notre pays, mais en Chine, en Afrique du Sud et au Québec. J’ai noté que vous n’aviez pas mentionné d’autres pays européens ; comment nos concurrents et partenaires européens s’inscrivent-ils dans cette géographie ? Quels sont les éléments qui mettent vos concurrents hors Union européenne dans une situation bien plus favorable que la vôtre ? Souffrez-vous d’un cadre juridique européen difficile pour vous et qu’il faudrait faire évoluer ?

Parmi les gouvernements étrangers qui utilisent la politique énergétique comme levier de leur politique industrielle compte-t-on des pays européens ? Ceux-là, qu’offrent-ils de plus à leurs industries électro-intensives que ne le fait la France ? Il s’agit pour nous de savoir comment se comportent nos partenaires européens dans un cadre qui est supposé être commun.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons bien compris que les tarifs de l’électricité sont l’une des composantes essentielles de votre activité. Chacun ici est conscient qu’il est important pour la compétitivité de vos entreprises, pour leur maintien en activité même, de trouver ensemble des solutions afin de pérenniser les coûts actuels. Vous avez clairement indiqué que c’est ce que vous demandez et pas davantage.

Plusieurs options s’ouvrent à nous. Elles ont déjà été discutées à plusieurs reprises, soit ici même, soit en commission des affaires économiques. La première, c’est la possibilité d’exonérer une partie de la CSPE, qu’il faudrait probablement déplafonner. La deuxième serait d’exonérer une partie du TURPE (Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), et une piste a été ouverte dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. La troisième concerne la valorisation à son juste prix de la rémunération de l’effacement et de la saisonnalité, aujourd’hui d’un très faible niveau au regard du service qui est pourtant ainsi rendu à l’équilibre du système électrique français. La Commission européenne, interrogée sur ce point, a répondu très clairement que c’était possible, à condition que l’aide accordée soit effectivement proportionnée au service rendu. Il faudra donc effectuer une analyse précise. L’empilement de ces différentes mesures dérogatoires permettrait-il de répondre à vos attentes quant au prix final de l’électricité ?

Il ressort des différentes auditions que nous menons depuis le début de nos travaux que le système des aides aux entreprises diffère sensiblement d’un pays européen à l’autre et que la Commission européenne n’a pas toujours une lecture unanime sur cette question. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Gorges.  J’ai bien compris que, pour vous, la cible doit être un prix de l’électricité compris entre 20 et 30 euros du mégawattheure et que vous avez besoin de lisibilité à quinze ans, c’est-à-dire jusqu’en 2030. Vos concurrents ont-ils les mêmes contraintes que vous ?

Confirmez-vous que le prix de l’électricité représente plus de 20 % de votre prix de revient ?

La rémunération de l’effacement est-elle déjà intégrée dans vos coûts actuels ?

Je ne suis cependant pas tout à fait d’accord avec vous pour considérer que la proximité de la source d’approvisionnement devrait vous exonérer de payer le transport. Si tout le monde pense ainsi, c’est la fin de la mutualisation !

Je remarque que vous utilisez l’eau comme matière première et que votre production sert à l’industrie photovoltaïque : vous êtes dans la transition énergétique. En la matière, la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité impliquera nécessairement une réduction de la consommation, puisque les énergies renouvelables ne suffiront pas à compenser la perte de capacité. Les orientations qui sont dorénavant prises vous paraissent-elles de nature à favoriser, dans notre pays, le développement de pans industriels importants qui s’appuieraient sur l’électricité ? Je vois que des fonderies, qui sont de grosses consommatrices d’énergie, se transforment en abandonnant le charbon au profit de l’électricité. Si la France était capable de produire de l’électricité à bas prix, elle pourrait faire revenir de l’activité et conserver un visage industriel qu’elle est en train de perdre. Pour ma part, je crains que la transition énergétique ne mette fin à vos activités et qu’elle va avoir pour effet d’envoyer la production dans des pays où le prix de l’énergie est bien moindre. Tous les modèles montrent que notre révolution énergétique ne s’oriente pas vers la diminution des coûts, mais vers leur augmentation. Qu’en pensez-vous ?

Mme Jeanine Dubié. Effectivement, l’effacement et la saisonnalité devraient être mieux rémunérés. Dans le document que vous nous avez remis, vous indiquez qu’ils représentent 300 mégawatts d’une centrale virtuelle. Est-ce la limite maximale ou existe-t-il encore des gains possibles ?

Pensez-vous que le modèle appliqué par l’Allemagne aux industriels électro-intensifs est transposable en France en l’état actuel de notre réglementation ?

M. Jean-Philippe Bucher. Madame la rapporteure, nous bénéficions aujourd’hui de tarifs compétitifs, compris entre 20 et 30 euros du mégawattheure, parce que nous consommons majoritairement en heures creuses. Nous arrêtons de consommer pendant les périodes de pointe et même en hiver. Bref, nous nous livrons à de nombreuses acrobaties pour optimiser le coût de l’électricité. Plutôt qu’un régime de faveur, il s’agit d’une sorte de gymnastique que nous avons développée pendant des dizaines d’années avec EDF pour valoriser au mieux la synergie entre notre consommation et la production d’EDF. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits de notre position concurrentielle qui nous permet d’exercer nos responsabilités de leader mondial, de faire de la recherche et développement, et de développer des projets à haute valeur ajoutée en aval. Nous ne demandons pas un avantage supplémentaire, nous avons seulement besoin de pérenniser notre position compétitive.

L’électricité n’est pas, bien évidemment, le seul facteur de notre compétitivité, mais c’est un élément majeur. En Europe, nous avons un concurrent historique, la Norvège, dont la compétitivité est avérée, et des projets sont dans l’air en Islande où les ressources hydroélectriques sont très importantes. En dehors de cela, il reste une seule usine de production de silicium en Espagne, mais elle fait d’ailleurs partie de notre groupe, et une autre en Bavière, qui est l’une des moins compétitives au monde et qui ne parvient à survivre qu’en raison de ses liens avec le gouvernement bavarois et à certains gros clients locaux qui lui sont assurés. Nos principaux concurrents sont en Chine, au Brésil et en Amérique du Nord où ils profitent de la faiblesse du dollar et d’une énergie abondante et peu chère.

Pour autant, nous attendons de l’Union européenne qu’elle envisage sa politique énergétique au travers d’objectifs industriels, en utilisant l’outil électricité comme levier au service de sa politique industrielle.

Nous avons conclu, avec le gouvernement du Québec, un accord sur vingt-cinq ans. Avec l’Islande, nous avions négocié un contrat d’une durée de dix-huit ans, mais nous n’avons pas donné suite. Nous avons également traité avec la Malaisie, qui cherche à attirer des industriels sur l’Île de Bornéo. Quant à la Chine, elle gère ses ressources électriques pour poursuivre son industrialisation.

Le contexte de la concurrence est évidemment mondial. Aujourd’hui, le Brésil, qui est l’un de nos principaux concurrents et dont l’énergie est essentiellement d’origine électrique, se trouve passagèrement dans une situation critique en raison d’une sécheresse durable. Nos homologues brésiliens, qui d’habitude sont les plus agressifs sur les marchés européens et nord-américains, sont conjoncturellement « hors-jeu » parce qu’ils attendent la pluie depuis maintenant un an et demi.

M. Jean-Paul Aghetti, directeur « Énergie » de Rio Tinto Alcan. Pour nous, le point fondamental, c’est de conclure des contrats à long terme. Or, Mme Céline Gauer, que vous avez auditionnée récemment au titre de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, considère que la France, avec un producteur dominant, est dans une position spécifique : dès lors que celui-ci signe un contrat à long terme, il ferme le marché, ce qui, pour Bruxelles, est inacceptable. Il est essentiel que vous, parlementaires, nous souteniez pour faire infléchir cette politique européenne et assouplir les positions du « gardien du temple » qu’est la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Nos groupes industriels sont capables de trouver des marchés sur vingt-cinq ou trente ans ailleurs dans le monde ; le seul endroit où ce n’est pas possible, c’est dans l’Union européenne, et en particulier en France. C’est cela qui, pour nous, est inacceptable !

Nous ne pouvons pas faire de business avec le marché de gros. Pour prendre une image, nous sommes embarqués avec les commissaires européens à bord du Titanic ; pour éviter l’iceberg, il faut barrer à gauche ou à droite, mais, en tout cas, il faut donner un coup de barre. Monsieur le président Gaymard, en lançant, au mois de février 2005, avec M. Devedjian, une table ronde sur les électro-intensifs qui a abouti au consortium Exeltium, vous étiez en avance sur votre temps. Les industriels électro-intensifs vous en seront éternellement reconnaissants.

De la même manière que, selon le célèbre footballeur anglais Gary Lineker, « le football se joue à onze et, à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent », sur le marché de l’électricité, le jeu se joue à vingt-huit et, à la fin, ce sont aussi les Allemands qui gagnent ! Certains intervenants ont indiqué ici que les Allemands subventionnent leur industrie sans que Bruxelles siffle les « hors-jeu ». Or les quatre mesures qu’ils ont mises en œuvre sont conformes à la réglementation européenne.

D’abord, ils utilisent la compensation carbone, prévue par une directive négociée sous la présidence française, avec M. Borloo, et qui permet à chaque État membre de donner une compensation du CO2 qui se trouve dans le prix de l’électricité. Les Allemands appliquent cette mesure, comme les Norvégiens et les Grecs, alors que les Français ont fait le choix de consacrer les enchères du CO2 à l’amélioration de l’habitat. Ce n’est donc pas là une subvention, mais l’application d’une directive européenne.

Ensuite, ils ont mis en place, dans le cadre de l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), l’équivalent de la CSPE. Là encore, une négociation a eu lieu entre la Commission, Sigmar Gabriel, Angela Merkel et Thierry Repentin. L’Allemagne applique les règles directrices qui ont été définies par Bruxelles le 9 avril dernier, pas plus pas moins. Pour notre part, nous demandons seulement que ces lignes directrices soient appliquées à nos industries.

Les Allemands ont également joué sur la rémunération de l’effacement. En France, c’est la Bérézina : sa valorisation a baissé de 70 % au cours des trois dernières années et, aujourd’hui, elle ne rapporte rien. Pour l’entreprise Aluminium Dunkerque, il représente 0,15 euro par mégawattheure contre 1,5 euro pour le transport, soit un rapport de un à dix. Laissez donc tomber la piste de l’effacement. Polarisez-vous sur le transport qui rapporte plus ! L’Allemagne, elle, a décidé d’accorder beaucoup de mégawatts à l’effacement. Alors que la France est responsable de 50 % du gradian thermosensible de l’Europe, c’est elle qui rémunère le moins les effacements en Europe. On marche sur la tête !

M. Jean-Philippe Bucher. Cette année, le budget alloué aux effacements en France est de 18 millions d’euros, alors qu’il est de 350 millions d’euros en Espagne – 550 millions l’année dernière. Les ordres de grandeur sont vraiment complètement différents.

Bien entendu, la situation de l’appareil de production n’est pas la même en Allemagne, en Espagne et en France. La France est très fière d’avoir réussi à moduler la production des centrales nucléaires, mais le taux de rendement synthétique (TRS) des centrales françaises est de 75 %, contre 85 % pour les belges. La modulation des centrales nucléaires est certainement une performance technique d’EDF, mais elle a un coût pour l’ensemble des usagers et elle pénalise l’industrie française.

M. Jean-Paul Aghetti. Pour en terminer avec les mesures prises par l’Allemagne, la quatrième est l’attribution à certains consommateurs industriels stables et flexibles d’un abattement de 90 % sur le coût du transport d’électricité pour service rendu au réseau. Si j’ai bien compris l’intervention de Mme Gauer, elle a validé le système allemand, estimant qu’il appartenait au régulateur et à l’administration de définir la contribution et la rémunération.

Pendant que la France se montrait timorée, les Allemands ont réussi à empiler des solutions toutes « euro-compatibles » avec le pragmatisme et l’efficacité qui les caractérisent. Lorsque l’exonération de transport pour tous leur a valu des problèmes avec la Commission européenne, trois mois plus tard, ils avaient négocié avec elle un nouveau système pérenne. Compte tenu de l’échéance, nous devons, nous aussi, trouver rapidement une solution efficace. Pour ce faire, nous avons besoin de vous, de l’administration, et de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

S’agissant de la problématique de la transition énergétique soulevée par M. Gorges, nous ne faisons, pour notre part, pas de politique. Nous essayons simplement de faire marcher nos usines et d’émettre le moins possible de gaz à effet de serre. De toute façon, le problème ne se pose pas au niveau français ni même européen ; il est chinois. Aujourd’hui, la Chine développe énormément sa production de silicium, d’aluminium et d’acier au moyen du charbon. De 2 millions de tonnes en 2000, sa production d’aluminium est passée à 28 millions de tonnes, ce qui représente plus de 60 % de la production mondiale. Quant à ses émissions de CO2, elles atteignent 16 à 18 tonnes par tonne d’aluminium contre 1,8 tonne pour la France. Tout l’enjeu de la Conférence Paris Climat 2015 sera de contraindre les Chinois à s’adapter dès maintenant, pas d’attendre 2030. Si rien n’est fait d’ici-là, leurs émissions de CO2 seront colossales et, pour le coup, on n’arrivera pas à maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2 degrés.

Hormis la Suisse et la Suède, aucun autre pays au monde ne possède un mix énergétique comparable à celui de la France. Nous n’avons pas à rougir de notre situation, et nous avons le meilleur opérateur. Grâce à ce mix énergétique, nous avons réussi à maintenir jusqu’à présent nos entreprises en situation de production en obtenant des contrats historiques et des tarifs. Il importe maintenant de trouver les moyens de poursuivre cette réussite. L’enjeu ici, dépasse nos propres besoins et même la problématique de la transition énergétique : c’est la vie, la survie, l’avenir de la jeunesse, qu’il ne faut pas désespérer. Nous devons trouver une solution !

M. le président Hervé Gaymard. Pourriez-vous nous remettre une contribution écrite qui reprendrait ce que vous venez de nous dire s’agissant de l’Espagne et de l’Allemagne ?

M. Jean-Philippe Bucher. Tout à fait.

M. Jean-Paul Aghetti. Notre problème n’est pas tant de savoir ce que font les Allemands et les Espagnols. Nous ne sommes pas en concurrence avec les pays européens et nous n’avons rien à gagner à aller dénoncer nos voisins. Il nous faut trouver des solutions qui nous permettent d’avoir une visibilité et de maintenir le système actuel.

M. Jean-Philippe Bucher. Les industriels « hyper électro-intensifs » ont besoin de davantage qu’un transport à prix réduit, une CSPE plafonnée et des effacements maximum. Quant à savoir si la France doit avoir ou non une industrie électro-intensive dans le cadre de la transition énergétique, au-delà de l’intérêt que peut avoir pour nous notre propre survie, la question nous dépasse. Nous pouvons seulement dire qu’au cours des cent dernières années, la France a eu une industrie électro-intensive qui lui a permis de vivre, de prospérer et d’être au sommet de la hiérarchie mondiale dans ces domaines. Lâcher ces industries serait laissé filer la production dans des pays qui polluent davantage que nous, mais aussi s’interdire de développer des filières qui découlent de notre activité. En tant qu’industries lourdes, nous drainons des volumes financiers considérables en matière d’investissements récurrents ou de budgets d’entretien, et nous faisons appel à de nombreux sous-traitants. Nous portons des projets ambitieux parce que la nature de l’aluminium ou du silicium en fait des matériaux clés pour baisser les coûts de transport et développer des énergies renouvelables. L’enjeu dépasse donc la seule consommation d’électricité des industries électro-intensives et la question de leur abandon ou non. Si notre pays veut retrouver une croissance régulière et significative, il faut être conscient qu’il consommera inéluctablement de plus en plus d’électricité. Je ne conteste pas le bien-fondé des économies d’énergie, mais il est incontestable aussi que la croissance va de pair avec l’augmentation de la consommation énergétique. C’est une loi physique qui est corroborée par la relance de l’industrie américaine grâce à une source d’énergie que je n’ai pas à critiquer ni à juger.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie pour votre contribution qui a beaucoup stimulé notre commission, la plupart de ses membres n’étant pas à convaincre.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 10 décembre 2014 à 17 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Gorges, M. David Habib, M. Alain Leboeuf, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. François Brottes, M. Guillaume Chevrollier, M. Michel Destot, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, Mme Viviane Le Dissez, M. Stéphane Travert