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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 14 janvier 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 28

Présidence de Mme Viviane Le Dissez, Vice-présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Bazot, président et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » de l’UFC-Que Choisir

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Nous recevons M. Alain Bazot, président de l’organisation de consommateurs UFC-Que Choisir, et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » au sein de cette organisation.

Nous ne manquerons sans doute pas d’échanger avec vous sur les thèmes de la précarité énergétique, des tarifs sociaux de l’électricité ou encore sur les modalités de mise en œuvre du futur chèque-énergie. Aussi essentielles qu’elles soient, ces questions ne sont cependant pas les seules à retenir notre attention.

Les nouvelles modalités de fixation des tarifs de l’électricité mais aussi les approches commerciales des différents intervenants sur le marché, et en premier lieu d’EDF, représentent pour notre commission d’enquête d’autres sujets de réflexion.

Sur ces points, une initiative de l’UFC-Que Choisir mérite plus particulièrement d’être présentée. Vous avez, en effet, lancé une opération d’achats groupés de gaz destinée au grand public et baptisée « Gaz moins cher ensemble ». À ce titre, vous venez de boucler un deuxième appel d’offres auprès des distributeurs en leur soumettant un cahier des charges précis. Quelles conclusions tirez-vous de cette opération et pourquoi avez-vous choisi le gaz et non l’électricité ?

Existe-il des différences notables entre ces deux marchés, notamment en termes tarifaires, et les démarches commerciales des grands ou petits distributeurs sont-elles sensiblement différentes ? On peut s’interroger sur ces points, car on constate que GDF, comme EDF, proposent des offres mixtes – gaz et électricité – à des prix garantis sur une certaine durée et, bien entendu, sous certaines conditions contractuelles.

Nous attendons aussi de votre part, une appréciation plus générale sur la libéralisation progressive du marché de l’électricité, telle qu’elle a été conduite en France. À votre sens, cette libéralisation est-elle insuffisamment assumée ? Par rapport à des pays comparables, sommes-nous en retard pour offrir aux consommateurs une plus grande liberté de choix par les prix ?

Avant de vous céder la parole pour un exposé liminaire, je vous informe qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête doivent prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. ».

(M. Bazot et M. Mouchnino prêtent serment.)

M. Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir. Le prix de l’électricité est pour notre organisation un sujet de préoccupation majeure, dans la mesure où les tarifs de l’énergie arrivent dans le peloton de tête des sujets d’inquiétude cités par les consommateurs, qui constatent l’augmentation constante de leur facture, augmentation liée, d’une part, à la hausse des prix et d’autre part à l’augmentation de la consommation. La consommation d’électricité est en effet en hausse constante dans notre pays, qui est l’un des plus gros consommateurs européens ; elle a augmenté de 12 % depuis 2007 et de 63 % entre 1990 et 2012, tandis qu’elle a très nettement baissé en Allemagne ou en Belgique. Cette augmentation s’explique par la multiplication des équipements électriques, dont beaucoup comportent des systèmes de veille dont on sait qu’ils sont énergivores. Elle est aussi due à une spécificité française, à savoir la place très importante du chauffage électrique dans les logements.

Par ailleurs, les prix de l’électricité augmentent en France de manière rapide et durable, ce qui est problématique car, si la logique voudrait que le marché s’adapte à ces hausses de prix et que le consommateur diminue sa consommation, nous sommes ici face à un marché captif, puisque l’essentiel de l’électricité consommée l’est par des systèmes de chauffage qui ne se remplacent pas facilement, a fortiori quand le consommateur est locataire de son logement.

Il est vrai, cela étant, que le prix de l’électricité en France demeure parmi les moins chers d’Europe, grâce à un coût de production et à une fiscalité relativement faibles. C’est le résultat des investissements et des risques que nous avons consentis en nous dotant d’un parc nucléaire. Reste qu’il a paradoxalement augmenté de 31 % depuis 2007, date de l’ouverture du marché à la concurrence, alors que la théorie économique voudrait que la concurrence fasse baisser les prix.

C’est qu’en vérité le consommateur ne bénéficie guère d’une concurrence quasi inexistante parce que structurellement impossible. En effet, EDF, le fournisseur historique, demeure en situation de quasi-monopole avec 91 % des parts de marché alors que onze acteurs sont présents sur un marché où la captivité des consommateurs est encore plus élevée que dans le système bancaire puisque la Commission de régulation de l’énergie (CRE) évalue à 0,9 % le taux moyen de changement de fournisseurs et que huit mises en service sur dix continuent de se faire chez EDF.

Plusieurs raisons expliquent ce défaut de concurrence. En premier lieu, la méconnaissance totale qu’ont les consommateurs du marché. En second lieu, l’écart entre le tarif réglementé de vente (TRV) et les meilleures offres du marché excède rarement 3 ou 4 %, ce qui n’incite guère le consommateur à effectuer des démarches pour quitter l’opérateur historique. Enfin, certaines pratiques, comme les offres duales – gaz plus électricité – séduisent le consommateur par leur simplicité alors qu’elles sont loin d’être avantageuses économiquement.

L’approvisionnement en électricité est aux mains d’un seul acteur, EDF, qui garde la mainmise sur le nucléaire. D’où la création de cet artifice qu’est l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) par la loi NOME, en 2010. Dans la mesure où la distribution demeure une activité régulée, la concurrence ne peut s’exercer que sur la commercialisation, domaine dans lequel la marge de manœuvre des fournisseurs alternatifs demeure extrêmement faible.

C’est une différence essentielle avec le marché du gaz, sur lequel la concurrence est loin d’être parfaite mais où l’approvisionnement est ouvert : GDF, en théorie et abstraction faite de son poids économique, ne maîtrise pas plus que ses concurrents son approvisionnement en gaz puisqu’il n’est pas producteur. Le marché est donc potentiellement concurrentiel, ce qu’ont bien compris les clients professionnels, qui ont quitté en nombre ce fournisseur pour se tourner vers des offres plus intéressantes chez des fournisseurs alternatifs. Les ménages, en revanche, sont majoritairement restés chez GDF, bien que le TRV soit en moyenne 12 % plus élevé que les tarifs du marché libre, ce qui se traduit par une différence de 300 à 400 euros sur la facture annuelle. Avec, de surcroît, ce paradoxe qui veut que ce soit essentiellement GDF qui bénéficie des transferts vers le marché libre : en effet, la majorité des consommateurs, lorsqu’ils renoncent au TRV, le font pour choisir sur le marché libre les offres de GDF, pourtant infiniment plus chères que ce TRV ! Ce choix aberrant est bien la preuve qu’ils n’ont rien compris à un marché par trop complexe.

D’où notre opération « Gaz moins cher ensemble », dont la première édition, il y a un an, a rencontré un très beau succès, salué par l’Autorité de la concurrence, la CRE et d’autres institutions ou médias économiques, et a permis de faire bouger le marché. Grâce à son crédit dans l’opinion publique, l’UFC-Que Choisir a convaincu soixante-dix mille consommateurs de quitter GDF, en leur expliquant qu’il était facile et gratuit de changer d’opérateur. Ils ont ainsi bénéficié de l’offre inférieure de près de 15 % au TRV proposée par Lampiris, un opérateur français, filiale d’un groupe belge, qui a remporté notre appel d’offres.

J’insiste ici sur le fait que non seulement nous avons redonné du poids économique à la demande en faisant baisser les tarifs mais que nous avons également sécurisé l’opération en imposant au nouveau fournisseur un cahier des charges draconien et un contrat-type où ne figure évidemment aucune clause abusive. Par ailleurs, afin d’éviter, comme c’est fréquemment le cas, que le consommateur soit ballotté en cas de problème d’approvisionnement entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, qui se renvoient la responsabilité, nous avons également imposé que Lampiris soit le seul interlocuteur du consommateur, quitte à engager ensuite une action récursoire contre le distributeur. Enfin, l’UFC-Que Choisir s’est également engagée à fournir un accompagnement spécifique aux consommateurs en cas de litige.

Tandis que ce dispositif avait temporairement stimulé le marché, l’Autorité de la concurrence a pris la décision d’imposer à GDF d’ouvrir son fichier d’abonnés, et toutes les données – adresses, coordonnées téléphoniques, points de livraison – qu’il comportait à tout opérateur alternatif le lui demandant, ce qui, à nos yeux, fait courir un risque majeur : celui d’un démarchage intempestif assorti de pratiques commerciales abusives, comme des pratiques de désabonnement d’office. Souhaitant empêcher cette concurrence sauvage, nous avons donc relancé notre opération, avec les mêmes exigences en matière de cahier des charges. À ce jour, nous avons réuni cent cinquante mille candidats à la migration, face à deux opérateurs – GDF et Lampiris – qui procèderont très bientôt, le 20 janvier prochain, à des enchères inversées pour proposer aux consommateurs la meilleure offre, laquelle devra, au minimum, être inférieure de 12 % au TRV.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure suppléante. Je tiens au préalable à excuser la rapporteure de notre commission d’enquête, Clotilde Valter, retenue en commission spéciale pour l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité.

La facture d’électricité n’intègre pas uniquement les coûts supportés par EDF mais également les taxes, la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et le tarif d’utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE). En ce qui concerne ce dernier, les gestionnaires des réseaux, les collectivités concédantes et la CRE effectuent un arbitrage entre le montant des investissements sur les réseaux et le niveau de qualité d’alimentation. L’équilibre retenu vous paraît-il adapté, et le niveau d’investissement des gestionnaires de réseau est-il suffisant ?

Que pensez-vous du montant des subventions accordées aux énergies renouvelables (EnR), par le biais de la CSPE ?

Êtes-vous favorables à un système de fixation des tarifs calé sur le prix du marché et non sur les coûts supportés par EDF ? Si oui, comment faire en sorte que les consommateurs ne soient pas trop exposés aux fluctuations du marché ?

Le chèque-énergie vous paraît-il être un outil adapté à la lutte contre la précarité énergétique ?

Sur quel segment de la facture faut-il agir en priorité pour faire baisser les tarifs de l’électricité : la CSPE, le TURPE ou les coûts de production ?

L’optimisation de la consommation semble aujourd’hui être un axe prometteur, que l’on a souvent évoqué dans le cadre de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte. Que pensez-vous des compteurs intelligents ? Avez-vous des réserves sur l’utilisation des données à des fins commerciales ? Pensez-vous que l’on puisse aller vers l’effacement diffus et le pilotage à distance de la consommation ?

Enfin, que pensez-vous des mesures spécifiques destinées aux électro-intensifs ? De cette question dépend en effet la survie d’un certain nombre d’entreprises françaises, même si d’aucuns craignent que l’aide apportée aux industries électro-intensives ait des répercussions négatives sur les tarifs applicables aux particuliers.

M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » à l’UFC-Que choisir. Les dispositifs de lutte contre la précarité énergétique en vigueur actuellement posent un certain nombre de problèmes. En effet, malgré son automaticité, le tarif social de première nécessité n’a pas permis de toucher l’ensemble des consommateurs. Par ailleurs, calculée à partir de la puissance souscrite et du nombre de personnes composant le foyer, l’aide accordée ne prend pas en compte la nature du chauffage – électrique ou non – de l’habitation, ce qui est d’autant plus problématique que les ménages précaires sont souvent locataires de logements mal isolés, extrêmement énergivores.

Si le chèque-énergie est une perspective intéressante, notamment parce qu’il est envisagé de l’étendre à toutes les énergies, il suscite néanmoins de notre part quelques interrogations, notamment au regard de son financement. Asseoir le financement du chèque-énergie sur la CSPE n’est en effet, à nos yeux, pas une solution, dans la mesure où, d’une part, cela reviendrait à faire peser sa charge sur l’ensemble des consommateurs, y compris les consommateurs précaires, et où, d’autre part, la CSPE ne tient pas compte de la capacité contributive des consommateurs mais dépend de leur consommation. Nous plaidons donc en faveur d’un système qui ne soit pas assis sur la facture d’énergie mais prenne en compte la capacité contributive des ménages – en d’autres termes, l’impôt. Nous aurions ainsi un dispositif simplifié, qui garantisse l’octroi d’une aide nette.

M. Alain Bazot. Nous sommes très critiques en ce qui concerne la généralisation à marche forcée du compteur Linky, alors que les expérimentations n’ont pas été menées à leur terme. Plutôt que d’un compteur intelligent, nous pensons qu’il s’agit d’un compteur « communiquant ». Tout l’enjeu dès lors est de savoir qui, des professionnels ou des consommateurs, doit être destinataire des informations communiquées. Dans l’esprit de la directive communautaire, cette avancée technologique devait permettre au consommateur de maîtriser sa consommation, voire de la faire baisser, grâce aux informations fournies en direct par le compteur. Or l’option retenue pour les compteurs Linky n’a pas été celle-là, et l’on a choisi de confier aux professionnels le soin de valoriser ces données. Certes, les consommateurs ont toujours la possibilité d’avoir accès en différé – via internet – à leurs statistiques de consommation, mais c’est faire fi de la fracture numérique qui demeure une réalité et ignorer que l’information a d’autant plus d’impact sur les pratiques des consommateurs qu’elle est délivrée en temps réel. Par ailleurs, en permettant ainsi aux professionnels d’utiliser les informations fournies par les compteurs Linky à des fins commerciales, en vue de proposer au consommateur des services censés l’aider à maîtriser sa consommation, on prive ce dernier de son droit à l’information. Pour dire les choses autrement : il lui faudra payer plus pour consommer moins.

M. Nicolas Mouchnino. La nouvelle méthode de calcul des TRV, fondée sur l’empilement des coûts et censée garantir la contestabilité des tarifs, pose plusieurs questions, au premier rang desquelles celle de l’ARENH. Alors que l’ARENH avait été conçu à l’origine pour couvrir les coûts du nucléaire historique, un projet de décret envisage d’y intégrer les coûts de renouvellement et de prolongation du parc nucléaire. Cela reviendrait à faire partiellement financer celui-ci par les fournisseurs alternatifs, sachant que l’ARENH est censé être une disposition transitoire et qu’après sa disparition les fournisseurs alternatifs et leurs clients seront toujours dans l’obligation d’acheter de l’électricité à EDF puisqu’ils ne disposeront pas de leur propre parc, alors même qu’ils ont déjà financé le renouvellement du parc d’EDF. Il est étrange de faire ainsi financer la création d’actifs d’EDF par des tiers, et la logique voudrait que ces investissements soient intégrés aux TRV mais sortis de l’ARENH, de manière à n’être payés que par les seuls clients d’EDF. Nous dénonçons là un vrai manque de transparence.

Il en va de même pour le TURPE. Nous nous étonnons qu’après la décision du Conseil d’État, l’article 42 de la loi sur la transition énergétique confirme une méthode de calcul loin d’avoir fait ses preuves. En effet, outre l’impact du TURPE sur la facture du consommateur, on peut s’interroger, au vu des coupures de plus en plus fréquentes sur le réseau, sur son efficacité : ERDF est-il suffisamment incité à investir, compte tenu notamment du rattrapage rendu indispensable par le sous-investissement des dernières années ? Alors que les besoins en investissements sont évalués à 2 milliards d’euros d’ici 2020, le TURPE 3 ne prévoyait qu’une enveloppe de 800 millions d’euros pour l’amélioration du réseau, ce qui nous laisse loin du compte et confirme que le dispositif n’est pas assez incitatif.

Quant aux coûts de commercialisation, leur calcul obéit à une méthode également sujette à caution. Auparavant estimés à partir de la couverture des coûts, ils correspondent désormais, selon le décret d’octobre 2014, aux coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité « au moins aussi efficace qu’EDF ». Or, tandis qu’EDF, avec 91 % de parts de marché, n’a nul besoin d’une politique commerciale agressive et peut se contenter de gérer ses relations clientèle, ses concurrents, plus petits et obligés de démarcher leurs clients, ont donc des coûts commerciaux largement supérieurs. Nous pensons donc qu’il aurait été préférable d’adopter la méthode préconisée par l’Autorité de la concurrence, qui proposait de calculer ces coûts commerciaux à partir des coûts antérieurs, selon une trajectoire intégrant des gains de productivité.

Je signale par ailleurs que les certificats d’économie d’énergie obéissent, quant à eux, toujours à une logique de couverture des coûts, puisque l’article 221-5 du code de l’énergie stipule que « les coûts liés à l’accomplissement des obligations s’attachant aux ventes à des clients qui bénéficient de tarifs de vente d’énergie réglementés sont pris en compte dans les évolutions tarifaires arrêtées par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie », ce qui est d’autant plus contestable que la Cour des comptes a dénoncé le coût de gestion de ces certificats par EDF, jugé trop élevé par rapport à la concurrence. Plusieurs milliards d’euros sont ici en jeu, qui auront nécessairement un impact sur les TRV. Nous nous interrogeons donc sur le décalage entre le décret et les dispositions contenues dans le code de l’énergie.

Sur la facture d’énergie figure également la taxe sur la consommation finale d’électricité, ou TCFE. Prélevée par les collectivités territoriales, elle est plafonnée à 9,60 euros par mégawattheure et, de fait, 90 % des collectivités appliquent le taux plafond. Or cette taxe n’est pas affectée mais abonde le budget général des communes ou des départements : nous parlons ici d’1,8 milliard d’euros prélevés sur la facture d’énergie et dont la Cour des comptes n’est pas parvenue à déterminer quelle part était réinvestie dans le réseau d’électricité. Face au mur d’investissements auquel se trouve confronté aujourd’hui le secteur de l’énergie, il serait pourtant recommandé que ces sommes soient réinvesties dans le réseau de distribution ou affectées à des projets d’efficacité énergétique permettant de faire baisser la consommation des ménages. J’ajoute qu’au manque de transparence dont souffre la TFCE s’ajoute le fait que, contrairement au principe défendu par l’UFC-Que choisir et selon lequel l’électricité doit payer l’électricité, cette taxe n’est pas assise sur la capacité contributive des ménages mais sur leur consommation d’énergie.

L’UFC-Que Choisir n’a pas de position très arrêtée sur les subventions aux EnR. Quoi qu’il en soit nous connaissons l’impact de la CSPE sur la facture énergétique du consommateur final et, là encore, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de faire peser sur les seuls consommateurs le coût d’investissements – en l’occurrence dans les EnR – qui, in fine, bénéficieront à tous. Le problème se pose en termes identiques pour les industries électro-intensives, qui bénéficient déjà d’un plafonnement de la CSPE. Nous estimons que le consommateur n’a pas à supporter seul le poids des aides qui leur sont apportées et que le soutien à leur compétitivité doit avant tout passer par une redéfinition de notre politique industrielle.

Mme la rapporteure. L’impact sur le consommateur sera important si le soutien aux activités électro-intensives est intégré la CSPE, mais ce n’est pas forcément le cas. Si on s’accorde sur la nécessité de les aider – pour certaines de ces entreprises la facture énergétique pèse près de 30 % de leurs coûts de production –, cela peut se faire par d’autres moyens, inscrits au budget général.

M. Nicolas Mouchnino. C’est à cela que je me référais en parlant de politique industrielle, et tout moyen s’inscrivant dans cette perspective est à nos yeux préférable à une ponction sur la facture qui ne tient pas compte de la faculté contributive des uns ou des autres et va donc à l’encontre des efforts faits, par ailleurs, pour trouver des solutions à la précarité énergétique.

Mme la rapporteure. Votre raisonnement est le même pour l’ensemble des dispositifs : vous privilégiez la fiscalité sur la contribution des consommateurs.

M. Nicolas Mouchnino. Tout à fait.

Mme Jeanine Dubié. Vous avez été à l’origine de la saisine de la CRE sur la séparation entre EDF et ERDF, estimant qu’EDF ponctionnait 75 % du résultat net d’ERDF au détriment de l’investissement dans le réseau, ce qui allait à l’encontre de la mission d’intérêt général d’ERDF, et donc des consommateurs. À la suite de votre saisine, la CRE a demandé aux gestionnaires, et notamment à ERDF, de distinguer leur marque de celle de leur maison-mère. Êtes-vous satisfait de cette décision ou pensez-vous que la CRE aurait pu pousser plus loin ses injonctions ?

On sait que certaines entreprises ont profité des dispositifs réglementaires et fiscaux d’encouragement au développement des énergies renouvelables comme le photovoltaïque ou les pompes à chaleur, mettant parfois les consommateurs en grande difficulté. Quelle est votre appréciation de la situation et ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de mettre en place un système de labellisation assorti de contrôles plus stricts ?

Enfin, êtes-vous favorables à un élargissement de la CSPE à d’autres énergies, comme le gaz ou le pétrole ?

M. Alain Bazot. Nous sommes très critiques sur la politique de versement de dividendes d’EDF à l’État, qui hypothèque selon nous l’avenir de l’entreprise. Actionnaire à près de 85 % d’EDF, l’État se montre extrêmement gourmant et aspire la quasi-totalité du résultat net, soit près de 2 milliards d’euros. La conséquence de cette stratégie, c’est qu’EDF siphonne littéralement ses filiales, RTE et ERDF, cette dernière devant d’ailleurs faire ainsi remonter 75 % de son résultat ! Cela l’empêche évidemment d’investir à hauteur du rattrapage nécessaire sur les réseaux. Dans ces conditions, les préconisations de la CRE pour renforcer la séparation entre les différentes entités nous paraissent insuffisantes.

M. Nicolas Mouchnino. L’extension de la CSPE aux autres formes d’énergie permettrait de réduire la pression sur les consommateurs d’électricité ; elle pose néanmoins la question des effets de substitution, de leur nature et de leur intérêt. Il existe en effet des effets de substitution interne – entre gaz et biométhane, par exemple – ou externe. Élargir la CSPE à l’ensemble des énergies entraînerait probablement des effets de substitution externe en faveur de l’électricité, ce qui n’est pas l’objectif. En matière de mobilité, par exemple, nous ne sommes pas forcément prêts à supporter un parc conséquent de voitures électriques, ce vers quoi semble pourtant tendre la loi sur la transition énergétique. En outre, il est important de s’inscrire dans une logique de neutralité technologique et de ne pas commettre les mêmes erreurs qu’avec le diesel, artificiellement soutenu grâce à la fiscalité, avec les conséquences problématiques que l’on sait.

En laissant faire le marché, il est possible d’aboutir à d’autres effets de substitution, notamment vers le GLV ou l’hydrogène : je rappelle que le premier installateur de stations à hydrogène est aujourd’hui français et qu’il serait dommage de ne pas le favoriser.

La CSPE ne finance actuellement que les énergies renouvelables de type éolien, hydroélectrique ou solaire, mais on pourrait envisager d’y intégrer d’autres formes d’énergies alternatives aux énergies fossiles, afin de soutenir leur compétitivité. Beaucoup de pays misent aujourd’hui sur le développement du biogaz ou de l’hydrogène : ne perdons pas de temps.

M. Alain Bazot. Les dispositions prises en faveur du photovoltaïque ont en effet provoqué un effet d’aubaine dont ont profité, au détriment des consommateurs, de multiples opérateurs, qui n’étaient ni solvables ni compétents. Les banques, qui accordaient les crédits, ont, dans cette affaire, une très lourde responsabilité. Si l’on veut donc, à l’avenir, éviter la multiplication des litiges, il faut responsabiliser les financeurs. La labellisation ne peut être qu’une mesure complémentaire. Elle implique, dans un premier temps, que les professionnels soient formés et qu’ensuite soient précisément définis le degré d’exigence, les modalités de pilotage et la nature des sanctions éventuelles, autant de difficultés qui rendent sa mise en place très délicate.

M. Nicolas Mouchnino. La responsabilisation des professionnels est une problématique complexe. En matière de rénovation énergétique, par exemple, il n’est pas possible aujourd’hui d’invoquer la responsabilité d’un entrepreneur lorsque l’on conteste ses allégations de performance. Celles-ci, en effet, sont produites sur la foi des tests réalisés en laboratoire par le constructeur, et l’entrepreneur peut donc se retrancher derrière le fait que les travaux ont été effectués dans un environnement différent pour décliner toute responsabilité. D’où la nécessité de revoir l’organisation du système assurantiel en matière de rénovation énergétique.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Messieurs, nous vous remercions pour tous ces éclaircissements dont notre commission ne manquera pas de nourrir ses travaux.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 14 janvier 2015 à 18 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Jeanine Dubié, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais

Excusés. - M. Philippe Bies, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, M. Alain Leboeuf, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter