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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 18 février 2015

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Alain Leboeuf, Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Zajdenweber, directeur de participations Énergie et M. Thomas Gosset, directeur de participations adjoint Énergie de l’Agence des participations de l’État (APE)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons à présent messieurs Alexis Zajdenweber et Thomas Gosset, respectivement directeur et directeur-adjoint des participations « Énergie » de l’APE. L’Agence, dont la création remonte à 2004, a pour mission de superviser de façon active la gestion des participations de l’État actionnaire en fonction de stratégies entrepreneuriales clairement définies.

À lui seul, le secteur de l’énergie représente plus de 50 % du chiffre d’affaires global des entreprises sous participation de l’État. Outre les 84,5 % détenus dans le capital d’EDF – qui contrôle à 100 % ses deux filiales RTE et ERDF –, l’État est également actionnaire à 36,7 % de GDF Suez et directement à 21,7 % d’Areva très majoritairement sous contrôle public. La question des tarifs de l’électricité s’avère difficilement dissociable des interrogations sur l’architecture du système sous contrôle public, dominé par EDF. Des rapprochements ou des synergies de l’opérateur historique avec Areva qui traverse une période délicate pourraient, à terme, modifier l’équilibre actuel de l’ensemble.

Nombre d’interlocuteurs de la Commission ont critiqué le montant des versements de dividendes d’EDF à l’État tout en regrettant que l’entreprise fasse remonter une part de dividendes à partir de RTE et d’ERDF. Sans remettre en cause le principe du paiement d’un dividende à l’État actionnaire, les critiques pointent généralement l’importance d prélèvement au regard des besoins de financement pour investissement des trois entités en question. Quelle est, sur ce point, l’opinion de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ? Le régulateur a-t-il une légitimité à s’exprimer sur ce sujet ?

Nous aimerions, messieurs, que vous traciez à grands traits le paysage et les conséquences des participations de l’État au sein des entreprises du secteur de l’électricité, en rappelant les questions qui font l’objet d’échanges ou de débats en cours avec des services de la Commission européenne. L’APE est-elle directement associée à ce type de confrontations avec Bruxelles ?

Avant de vous passer la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Alexis Zajdenweber prête serment.)

M. Alexis Zajdenweber, directeur des participations « Énergie » de l’APE. Je commencerai par rappeler comment l’État actionnaire aborde les problématiques tarifaires, avant de répondre à vos questions – à condition qu’elles relèvent de la compétence de l’APE. Vous l’avez dit, l’État est actionnaire d’EDF, mais également de GDF Suez et d’Areva ; compte tenu de l’objet de la Commission d’enquête, j’évoquerai surtout EDF, mais la même logique vaut pour les autres producteurs et exploitants d’installations productrices d’électricité.

Comme tout actionnaire, l’État veille à ce que l’entreprise EDF accomplisse les tâches qui lui sont confiées – parmi lesquelles plusieurs missions de service public – en réalisant des profits et en se développant par des investissements rentables et soutenables, afin de pouvoir rémunérer ses salariés et ses bailleurs de fonds dont ses actionnaires, et en particulier l’État. Les tarifs de vente de l’électricité sont une donnée essentielle de cette équation puisque le chiffre d’affaires d’EDF – résultante des volumes multipliés par les prix – en dépend directement.

Avant tout, les revenus d’EDF doivent nécessairement couvrir ses coûts. Toute entreprise cherche à vendre les biens ou les services qu’elle commercialise à un prix supérieur à ses coûts. Pour un moyen de production d’électricité en fonctionnement – par exemple une centrale nucléaire –, ces « coûts complets » incluent les charges annuelles d’exploitation, notamment les salaires de ses employés et le combustible, les investissements de maintenance qui en assurent la performance et la sûreté, et une marge lui permettant de rembourser et de rémunérer les bailleurs de fonds qui ont pris le risque de financer l’investissement initial. Il est donc naturel que les tarifs réglementés de vente (TRV), qu’EDF doit proposer à tout client qui le demande en vertu de sa mission de service public, couvrent ses coûts. Si le régulateur souhaite limiter la hausse d’un tarif régulé, il peut discuter ses trajectoires de coûts avec EDF ou introduire une régulation incitative. Idéalement, celle-ci doit partager les gains d’efficience constatés entre le fournisseur et le consommateur.

Si l’entreprise ne parvient pas à couvrir ses coûts avec son chiffre d’affaires – soit parce que le régulateur est trop exigeant, soit parce que ses concurrents sont plus compétitifs –, elle doit les réduire. Ne pas arriver à couvrir ses coûts complets signifie que la décision d’investissement initial se révèle mauvaise, puisque la rentabilité escomptée n’est pas atteinte ; à l’entreprise alors d’en tirer les leçons pour ses investissements futurs. En cas d’impossibilité de couvrir même les charges annuelles – exploitation et maintenance –, l’entreprise doit fermer son moyen de production.

En 2015-2016, EDF verra la régulation tarifaire significativement modifiée, avec la construction des TRV par empilement, l’entrée en vigueur de la nouvelle formule de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) et la fin des TRV jaunes et verts ; ces nouvelles règles constituent un enjeu fort pour le groupe, et l’État actionnaire les scrute avec attention. Jusqu’en 2014, environ 70 % du chiffre d’affaires d’EDF était régulé. Avec la fin des TRV jaunes et verts en 2016, un prix de l’ARENH actuellement supérieur aux prix de gros sur le marché et la nouvelle construction des TRV par empilement, EDF sera davantage exposée aux prix de marché et à la concurrence. Son actionnaire souhaite que l’entreprise se montre capable de s’adapter à cette situation en maîtrisant ses coûts et en proposant des offres attractives à ses clients, et que les principes retenus pour la construction des tarifs régulés lui assurent la couverture de ses coûts, pour la part de ses ventes qui reste régulée et pour le jour où les tarifs de marché redeviendront supérieurs aux tarifs régulés. Il convient en effet de rappeler que la régulation mise en place pour l’ARENH est asymétrique, son prix représentant un plafond pour EDF : quand les prix de marché sont inférieurs à l’ARENH, EDF vend aux prix de marché, donc en-dessous de l’ARENH ; lorsqu’ils sont supérieurs, EDF ne peut pas vendre au-dessus de l’ARENH. Or on prévoit le retour à une situation de prix de marché supérieurs à l’ARENH, les besoins européens en matière de renouvellement du parc de production d’électricité devant corriger la situation actuelle de surcapacité.

Pour engager les investissements nécessaires sur le parc français, son principal opérateur – EDF – doit évaluer s’il peut compter sur des revenus suffisants pour les rentabiliser ; il a donc besoin d’une visibilité maximale sur les trajectoires tarifaires. Les besoins de renouvellement du parc de production seront importants à l’horizon 2030 ; dans certains cas, les investissements massifs pourront être retardés en prolongeant la durée de vie des moyens existants, mais en tout état de cause, les entreprises et leurs actionnaires décideront d’autant plus facilement d’investir qu’ils pourront anticiper leurs revenus futurs.

À court terme, EDF travaille à l’extension de la durée de vie d’une partie de son parc nucléaire historique. Le juste calibrage de l’ARENH et sa stabilité sont donc des éléments clés pour les décisions d’investissement à venir, dites de « grand carénage ». À plus long terme, les décisions de renouvellement dépendront de perspectives de marché fondées sur des projections d’offre et de demande, ainsi que des soutiens publics éventuels à certains modes de production, par exemple aux énergies renouvelables. Il faudra éventuellement imaginer des dispositifs tarifaires spécifiques, à l’instar du « contrat pour différence » instauré par les autorités britanniques pour permettre la construction de nouvelles centrales nucléaires au Royaume-Uni dans le cadre du projet Hinkley Point. Ce contrat assurera un minimum de revenus aux investisseurs, moyennant un juste partage du risque.

Bien entendu, en période d’investissement, la politique de distribution de dividendes d’EDF doit être finement calibrée. Vous savez que la rémunération des bailleurs de fonds d’une entreprise inclut aussi et surtout ses actionnaires, car ils immobilisent du capital dans l’entreprise qu’ils ne peuvent pas utiliser ailleurs, par exemple pour réaliser des investissements plus rentables. De tout temps, mais particulièrement dans une période d’investissement, un actionnaire responsable doit se poser la question de la soutenabilité des dividendes qu’il reçoit de son entreprise. S’agissant d’EDF, l’orientation retenue depuis juillet 2011, qui correspondait au début de la période de réinvestissement du groupe, consiste à fixer un objectif de taux de distribution de dividendes en pourcentage du résultat net courant (RNC). Ce principe et le taux choisi – entre 55 et 65 % du RNC, soit quelque 60 % en moyenne – sont fondamentaux : ils reposent sur le sentiment partagé par l’entreprise et son actionnaire qu’il s’agit du niveau soutenable pour le groupe dans la période actuelle. Ils permettent également d’ajuster le niveau à la performance effective du groupe, hors événements exceptionnels, dans une fourchette qui permet un lissage, donc une stabilité recherchée à la fois par l’État – soucieux des finances publiques – et par le marché. Sans faire du dividende une variable d’ajustement, l’engagement à atteindre un objectif de flux de trésorerie positif en 2018, pris il y a un an et confirmé la semaine dernière par la nouvelle direction générale, atteste de la soutenabilité de cette politique de dividendes, déclinée ensuite au niveau des filiales d’EDF, notamment ERDF et RTE.

J’espère vous avoir convaincus de l’importance des questions tarifaires pour l’actionnaire du groupe EDF et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Revenons sur les relations entre l’État et l’opérateur historique. Pour une entreprise comme EDF, l’État représente à la fois l’actionnaire, la tutelle et la puissance publique qui définit une politique de l’énergie contraignante. Comment s’articulent ces différents avatars de l’État et leurs interventions ?

Qu’en est-il de la gouvernance du groupe ? Comment fonctionne le conseil d’administration ? Quel rôle l’État, sous ses différentes casquettes, y joue-t-il ?

Dans nos auditions, nous avons entendu beaucoup de critiques sur le montant des dividendes ; certains sont allés, dans une vision caricaturale, jusqu’à présenter la somme versée à l’État comme une donnée à partir de laquelle on calculait tout le reste. On a souvent évoqué la pression de l’État actionnaire, confronté à la situation difficile des finances publiques, pour maximiser les dividendes, cette pression se répercutant en cascade sur les filiales d’EDF. Les opérateurs du territoire, tels que les syndicats départementaux, partagent ce sentiment. Qu’en pensez-vous ?

Vous l’avez rappelé : la logique de fixation des tarifs renvoie aux coûts complets et il est évident que les tarifs doivent couvrir les coûts. En tant que membre du conseil d’administration de l’entreprise, pouvez-vous porter une appréciation sur ces derniers ? Existe-t-il des marges de manœuvre pour les réduire ? L’opérateur mène-t-il une politique systématique de maîtrise des coûts, et avec quels résultats ? Quelles nouvelles dispositions seraient susceptibles de dégager des gains – à partager entre l’actionnaire et les salariés ?

Enfin, participez-vous, directement ou indirectement, à la fixation du taux de rémunération du capital dans le cadre de l’ARENH ? Comment fixe-t-on l’ARENH, et comment contribuez-vous à ce processus ?

M. Alexis Zajdenweber. Comme tout sujet interministériel, la politique énergétique implique des échanges réguliers entre différentes administrations compétentes. Dans cet ensemble complexe, chacun doit rester dans son rôle, la répartition des tâches garantissant l’efficacité du système et la capacité de l’État à prendre des décisions éclairées. Aussi l’APE se borne-t-elle à jouer pleinement le rôle de l’État actionnaire, en constant dialogue avec les autres intervenants. En revanche, nous n’avons pas vocation à interagir avec les autorités indépendantes.

Le renouvellement de la gouvernance d’EDF, il y a quelques mois – a été l’occasion de faire entrer en vigueur les nouvelles règles issues de la récente réforme de la gouvernance des entreprises publiques. La gouvernance au sein d’EDF fonctionne bien. Chaque facette de l’État y trouve sa place, y joue son rôle et y parle depuis son point de vue : l’État actionnaire comme l’État régulateur, à travers un commissaire du Gouvernement.

Nous avons conscience des critiques en matière de dividendes que vous avez entendues. Comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, nous avons fixé une « guidance », le ratio se situant dans une fourchette autour d’une moyenne d’environ 60 % du RNC. C’est ce dernier qui détermine le montant des dividendes, et non l’inverse. L’État souhaite être un actionnaire responsable, source de stabilité ; les règles claires qu’il a fixées en accord avec l’entreprise reposent sur le niveau soutenable des dividendes, y compris dans une phase d’investissement. Il n’est jamais bon que l’actionnaire d’une entreprise n’ait aucune exigence en matière de dividendes : le capital investi doit engendrer une rémunération. Mais nous n’opposons pas dividendes et investissements, les premiers représentant la rémunération d’un capital investi qui finance les seconds. On ne saurait envisager l’un sans l’autre : les bons investissements sont faits dans la perspective de pouvoir rémunérer le capital investi et l’actionnaire qui en est à l’origine.

Il est logique que cette politique, partagée avec le groupe EDF, se décline également dans ses filiales. En 2012, nous avons comparé les niveaux de dividendes d’ERDF et de RTE à ceux versés par des entreprises similaires pour constater que la politique pratiquée par EDF à l’égard de ses filiales se situait dans la moyenne. Par ailleurs, il faut relativiser les montants : le niveau des dividendes servis par ERDF et RTE à leur actionnaire est de l’ordre respectivement de 400 et 250 millions d’euros, à rapporter aux volumes des investissements réalisés par ces entreprises – respectivement 3,2 milliards d’euros pour ERDF en 2013 et 2014, et 1,4 milliard pour RTE en 2014.

S’agissant des éventuelles marges de manœuvre pour réduire les coûts de l’opérateur historique, le conseil d’administration d’EDF surveille la trajectoire financière de l’entreprise, suivant de près l’évolution du chiffre d’affaires, des charges opérationnelles et des investissements. L’entreprise a récemment mis en œuvre un programme de réduction des coûts – le plan Spark – dont certains effets ont vocation à être pérennes, et s’est réengagée, à l’occasion de la présentation de ses comptes annuels, sur une trajectoire de trésorerie nette positive à l’horizon 2018. Cet objectif suppose de contrôler l’ensemble des coûts de l’entreprise, tant en matière d’achats que de masse salariale. Selon nous, il existe encore des marges et le groupe est en mesure de les trouver. Quant aux nouvelles mesures à instaurer, il faudrait créer des mécanismes incitatifs de tarification qui amèneraient EDF à exploiter au maximum les marges de coût dont elle dispose.

L’APE n’a pas vocation d’entrer en dialogue avec la CRE au sujet du mécanisme de l’ARENH. Nous donnons notre point de vue au sein des structures étatiques, mais nous ne sommes pas directement partie prenante dans cet exercice de régulation.

M. Denis Baupin. Auditionner des représentants de l’État actionnaire en commission d’enquête est l’occasion de poser toutes les questions que nous avons accumulées depuis des années !

Quel est, selon l’État actionnaire, le prix actuel du mégawattheure nucléaire en France ? Le P.-D.G. d’EDF que nous auditionnions tout à l’heure l’a situé à 55 euros, ajoutant que ce prix allait rester identique à l’issue du grand carénage. Dans son rapport à la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire – dont j’étais le rapporteur –, la Cour des comptes l’avait chiffré à 59,80 euros. Comment comprendre cet écart ?

En matière d’investissements d’EDF, le coût de l’EPR de Flamanville – projet qui n’est toujours pas terminé – a explosé par rapport aux prévisions initiales. Comment l’État actionnaire a-t-il pu autoriser un investissement à un coût aussi sous-évalué ? Quels enseignements a-t-on tiré de cette expérience pour éviter qu’elle ne se reproduise ? EDF lance en ce moment d’énormes projets, tels que Hinkley Point en Grande-Bretagne ; faut-il s’attendre à une explosion similaire des coûts ? Quelles garanties l’État prend-il lorsqu’un industriel dont il est actionnaire annonce le coût d’une installation, pour éviter que celui-ci ne dérape ? Cette observation vaut également pour les investissements réalisés par d’autres entreprises de la filière nucléaire, par exemple Areva dont l’État est également actionnaire : le projet UraMin représente 2 milliards d’euros de pertes, l’EPR de Finlande, 4 milliards. Quelles leçons l’État tire-t-il de ces gigantesques échecs qui seront financés par le contribuable français ? Selon le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), personne ne croyait au prix de l’EPR de Flamanville annoncé au départ ; mais qui donc a autorisé cet investissement ?

Dans le cadre de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, la Cour des comptes a chiffré les investissements futurs relatifs au grand carénage à 110 milliards d’euros. Comment comprendre l’analyse du P.-D.G. d’EDF qui affirme qu’ils n’auront pas d’impact sur le prix du kilowattheure ? Quelle appréciation l’État actionnaire porte-t-il sur cette question et quelle stratégie compte-t-il poursuivre s’agissant de l’engagement des travaux ? Ceux-ci se feront-ils au cas par cas, en fonction de la rentabilité des réacteurs ?

Quel sera l’impact du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) sur les coûts d’EDF et le prix du mégawattheure ? Présent au sein de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), d’EDF, d’Areva et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’État fixera également, au travers des ministères, le coût officiel du projet. Les écarts entre les estimations des uns et des autres vont du simple au double ; quel est le point de vue de l’APE ?

Le P.-D.G. d’EDF déclare dans la presse qu’il estime indiscutable la nécessité de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Quelle est la position de l’État actionnaire ? Les futurs réacteurs devront-ils remplir des critères de rentabilité ? Actuellement, on envisage de vendre le kilowattheure aux Britanniques à Hinkley Point à un prix 30 % plus élevé que celui de l’éolien, et deux fois plus élevé que celui de l’électricité en Grande-Bretagne.

La durée d’amortissement des installations nucléaires est aujourd’hui fixée à quarante ans ; pouvez-vous confirmer que l’État actionnaire compte suivre en cette matière les préconisations de l’ASN ? Celle-ci n’ayant pris aucune décision – un référentiel sera progressivement élaboré, un cahier des charges devant être produit pour 2018 –, il n’est pas question d’aller au-delà de ce seuil. Toute tentative de ce type s’apparenterait à une manipulation des cours de bourse pour une entreprise cotée comme EDF dont 15 % du capital sont détenus par des actionnaires privés.

M. Alexis Zajdenweber. Vos questions ne relèvent pas toutes de la compétence de l’APE.

EDF chiffre en effet le prix du mégawattheure nucléaire à 55 euros, en euros 2011 ; la Cour des comptes le situe pour sa part à 56,40 euros, en euros 2012. L’écart entre les deux estimations n’est donc pas si significatif.

L’EPR de Flamanville représente un sujet d’une grande complexité. C’est l’entreprise EDF qui porte la responsabilité du chantier, l’État actionnaire n’ayant pas vocation à s’y substituer. Premier en son genre, cet EPR est une tête de série ; quand on mène un projet de ce niveau d’ambition technologique, on rencontre inévitablement des coûts inattendus.

M. Denis Baupin. Mais on savait dès le départ qu’il s’agissait d’une tête de série !

M. Alexis Zajdenweber. Certes, mais il est difficile de prévoir quel type de difficultés l’on va rencontrer et de les quantifier ex ante. La complexité de ce type de projets induit une incertitude sur les coûts de la tête de série ; l’expérience que l’on en retire doit justement profiter aux installations suivantes, y compris celles qui sont d’ores et déjà en construction, par exemple en Chine sur le site de Taishan. De fait, ce dernier projet, qui a démarré après Flamanville, progresse à un bon rythme et bénéficie des enseignements de la tête de série.

Siégeant comme représentant de l’État au conseil d’administration d’Areva – et non d’EDF –, je sais que pour répondre aux difficultés rencontrées par cette entreprise, l’État s’est efforcé d’en faire évoluer la gouvernance. Jusqu’à la fin de l’année dernière, Areva était gérée par un directoire et un conseil de surveillance. Sans se prononcer dans l’absolu sur la pertinence de ces organes ; la mise en place d’un conseil d’administration a permis à celui-ci d’être mieux informé et plus à même de prendre des responsabilités.

Le grand carénage est un projet composite qui concerne l’ensemble des investissements nécessaires à la maintenance du parc nucléaire historique, et ne se réduit pas à la question de la prolongation éventuelle de la durée d’amortissement des centrales. Les chiffres évoqués en matière de coût du parc historique restent valides ; certains investissements du grand carénage visent à prendre en compte les nouvelles exigences posées après l’accident de Fukushima ; d’autres représentent des investissements de maintenance, nécessaires pour que les installations puissent atteindre l’âge de quarante ans ; une partie enfin concerne une éventuelle prolongation de la durée de vie des centrales. En allongeant la durée d’amortissement des investissements, on retrouve la capacité de les réaliser sans impact sur le coût de production de l’électricité nucléaire du parc historique. En revanche, l’État actionnaire n’a pas vocation à influencer ou à remettre en cause les décisions de l’autorité indépendante que représente l’ASN ; nous les considérons comme des données qui commandent tout le reste. Je l’ai rappelé : nous sommes particulièrement vigilants à ce que chacun se cantonne à son rôle.

S’agissant de Cigéo, la décision ne relève pas de l’État actionnaire ; c’est la ministre de l’écologie qui arrêtera le montant du devis au terme de la procédure de consultation des différents opérateurs et de l’ASN. Cigéo représente d’ores et déjà des provisions importantes dans les comptes d’EDF que l’entreprise a rendus publics le 12 février ; toutefois, le chiffrage restant encore incertain, EDF a considéré qu’à ce stade, conformément aux standards comptables il n’était pas nécessaire de modifier ces provisions à la hausse ou à la baisse au regard des débats en cours.

La construction de nouveaux réacteurs nucléaires renvoie à la politique de l’énergie et ne relève pas directement des prérogatives de l’État actionnaire. Ce sujet est actuellement débattu avec la représentation nationale, la loi sur la transition énergétique fixant le cadre dans lequel devra évoluer le mix énergétique français. Je me bornerai donc à constater que la ministre responsable de la politique de l’énergie a eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. L’État est aujourd’hui le principal actionnaire d’EDF ; cette situation est le fruit de l’histoire, mais l’État a-t-il besoin de ce niveau de participation au capital de l’entreprise pour exercer ses responsabilités ? Quels avantages voyez-vous au fait d’avoir un partenaire privé ? De même, quels sont les avantages et les inconvénients d’un actionnariat entièrement public – option que l’on a expérimentée par le passé ? Quel est aujourd’hui le niveau souhaitable d’actionnariat public ? On peut étendre la réflexion aux autres entreprises du domaine de l’énergie, telles que GDF Suez où l’État détient – là aussi pour des raisons historiques – 30 % de participation, avec une action spécifique. À quel niveau s’exprime la différence entre ces deux entreprises ? Quels enseignements tirez-vous de cette comparaison ? Vous amènent-ils à faire évoluer le niveau de participation de l’État dans l’une ou l’autre d’entre elles ? Les prérogatives de puissance publique dépendent-elles du poids de l’État dans la gouvernance de l’entreprise – 30 % avec une action spécifique pour GDF Suez, 84 % pour EDF ? Ou bien faut-il chercher l’efficacité ailleurs, le portefeuille de l’APE comprenant une large palette d’instruments ? En somme, quelles réflexions vous inspire cette situation héritée du passé ?

M. Alexis Zajdenweber. L’APE a pour principe de ne pas commenter les niveaux de participation de l’État dans différentes entreprises, ce type de jugements étant d’une grande sensibilité, surtout pour des sociétés cotées. Je me contenterai donc de noter que le niveau actuel de participation au capital d’EDF ne constitue pas un obstacle à l’exercice par l’État de son rôle d’actionnaire.

M. Denis Baupin. Aurait-on découvert en cours de route que l’EPR de Flamanville représentait une tête de série ? L’APE détenant un portefeuille significatif d’entreprises, y a-t-il d’autres exemples de projets dont le coût aurait été multiplié par trois entre l’annonce initiale et la réalisation ? De plus, le retour d’expérience devrait faire baisser les coûts ; or celui de Hinkley Point dépasse, selon les estimations, celui de Flamanville. Pour ne pas consolider le coût de ce projet dans son endettement, EDF a essayé de ne pas être majoritaire dans le conglomérat qui le financera ; à partir de quel pourcentage de participation l’entreprise devra procéder à la consolidation ?

Vous affirmez que l’APE ne remet jamais en cause la parole de l’ASN qui fixe la durée d’amortissement des installations nucléaires à quarante ans. En même temps, vous dites que les investissements du grand carénage ont pour but non seulement de porter les installations jusqu’à quarante ans, mais aussi, éventuellement, d’aller au-delà. On peut comprendre la logique de rentabilité ; mais l’Autorité des marchés financiers comme la Compagnie nationale des commissaires aux comptes – que j’ai interrogées en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire – ont toutes deux déclaré que l’amortissement sur cinquante ans leur paraissait totalement inenvisageable sans le feu vert de l’ASN. Toute décision de passer outre l’avis de l’Autorité aurait des conséquences sur la crédibilité du cours de bourse de l’entreprise EDF. Comment conciliez-vous ces lourdes contradictions ?

Enfin, je ne vous demande pas s’il est pertinent de construire de nouveaux réacteurs, ni quand il faudrait le faire ; je souhaite simplement comprendre la stratégie de l’État actionnaire au sein de l’entreprise. À quel niveau de rentabilité – c’est-à-dire à quel prix du kilowattheure –, estimera-t-on qu’il vaut mieux investir dans le nucléaire que dans d’autres types d’énergie ? Le mégawattheure est évalué à quelque 110 euros à Hinkley Point ; pour ses réacteurs, EDF le chiffre à 55 euros. Le coût variant du simple au double, quelle serait la cible si l’on décidait de construire un nouveau réacteur en France ?

M. Alexis Zajdenweber. Tout le monde avait conscience que l’EPR de Flamanville était une tête de série mais il est toujours difficile de prévoir ex ante dans quelle mesure les coûts d’une tête de série sont susceptibles d’évoluer. Si le risque est connu, l’ampleur de la variation est beaucoup plus difficile à anticiper. Sans vouloir vous taquiner, entre la phase de recherche et développement et celle de la mise en œuvre, certains projets en matière d’énergies renouvelables – tels que les éoliennes en mer – se révèlent eux aussi beaucoup plus coûteux que prévu.

M. Denis Baupin. Avez-vous des exemples et des chiffres concrets ? Parlant devant une commission d’enquête, sous serment, vous devez nous dire dans quels cas les écarts constatés entre les devis effectués et les coûts de réalisation se sont révélés supérieurs à ceux observés dans le cas de l’EPR.

M. Alexis Zajdenweber. Je parlais uniquement de la multiplication des coûts par deux ou par trois que vous évoquiez, et non du montant. Aujourd’hui, Areva est par exemple engagée dans une activité d’éoliennes en merdont le développement coûte plus cher que ce qu’on avait anticipé. Dans la vie économique des entreprises, il est normal que le passage de la recherche et développement au déploiement présente ce type de risques. Sans critiquer les technologies en question ou les investissements correspondants, je souhaitais juste souligner que l’effet « tête de série » existe dans tous les domaines.

M. Denis Baupin. Ne mélangeons pas tout ! Le prix de Flamanville est aujourd’hui au minimum trois fois plus élevé que ce qui a été annoncé lorsque l’État a pris la décision de construire cet EPR ; cela n’a rien à voir avec le coût de recherche et développement qui peut dépasser les prévisions. Quel contrôle l’État peut-il exercer sur le coût des projets ? En effet, quand il se fait avoir en lançant un investissement qui coûtera finalement trois fois plus cher que prévu, c’est le contribuable qui paie. La question est donc lourde de conséquences !

M. Alexis Zajdenweber. Loin de moi l’idée d’en minimiser la gravité ! L’État doit jouer pleinement son rôle d’actionnaire au sein des instances de gouvernance de l’entreprise, qui sont évidemment saisies des grands projets d’investissement, les étudient et les questionnent. Mais une tête de série comporte forcément une part d’incertitude et de risque plus élevée qu’un projet réalisé au terme de plusieurs expériences de développement.

Votre question sur la consolidation de la dette de Hinkley Point est très technique ; n’étant pas en mesure de vous fournir une réponse précise sur-le-champ, je me propose de revenir vers vous après avoir fait les recherches nécessaires.

En matière de durée de vie des centrales, la relation entre EDF et l’ASN relève d’une dynamique : compte tenu de la durée et de la lourdeur des décisions d’investissement et des processus industriels qu’ils impliquent, EDF est parfois obligée de prendre des décisions avant que l’ASN ne rende son avis générique, puis des décisions individuelles concernant chacune des installations. Il ne s’agit pas de préempter sa décision : EDF comme l’APE assument le risque de voir l’investissement remis en cause si l’ASN décide que telle ou telle installation n’a pas vocation à être prolongée au-delà de quarante ans. Mais dans cette dynamique, il est possible pour EDF d’entrer dans une logique de prolongement comptable d’une partie de son parc.

Enfin, la question relative au niveau du prix est complexe. Les travaux entre Areva et EDF pour optimiser le design et le coût de l’EPR en fonction des enseignements de Flamanville sont toujours en cours et on ne sait pas encore quel en sera l’effet. J’aurais donc du mal aujourd’hui à vous donner un chiffre qui ferait foi en la matière.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le directeur, je vous remercie pour vos réponses.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l’électricité

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 18 h 30

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, Mme Clotilde Valter

Excusés. – M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Boinali Said, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert