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Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité

Mercredi 4 mars 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Hervé Gaymard, Président

– Échange de vues et adoption du rapport

Au cours de sa réunion du mercredi 4 mars, la commission d’enquête a procédé à l’examen du rapport présenté par Mme Clotilde Valter.

Mme Clotilde Valter, rapporteur. Je tiens tout d’abord à remercier de leur investissement les membres de la Commission d’enquête.

La question que nous avons traitée est importante pour nos concitoyens comme pour les entreprises. Elle représente un enjeu majeur pour le pays aux plans économique, social, industriel et stratégique. De plus, comme l’a souligné lors de son audition Mme  Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sa grande complexité pose un problème de démocratie.

L’objectif que nous nous sommes fixé pour la rédaction du rapport est tout d’abord pédagogique : nous désirons y intéresser non seulement nos collègues parlementaires, mais également les nombreux acteurs du pays. Le rapport se veut aussi lucide sur la situation et les enjeux. Nous n’avons pas voulu nous payer de mots, mais prendre nos responsabilités devant le pays comme parlementaires, dans la mesure où le dispositif actuel est à la croisée des chemins et qu’il doit relever de nombreux défis. C’est pourquoi il nous faut débattre des réponses à apporter.

François Brottes a rappelé devant Mme Royal les trois chocs successifs que notre dispositif a dû absorber : l’ouverture du marché, le changement de statut d’EDF et la transition énergétique. C’est un bon résumé historique. Il est de la responsabilité des parlementaires de préparer les enjeux de demain, d’autant que les choix que nous ferons pèseront sur le long terme. Aujourd’hui, nous supportons encore les conséquences des choix effectués il y a dix, voire il y a vingt ou trente ans.

La première partie du rapport pose un diagnostic en décrivant un dispositif en bout de course. Non seulement les tarifs répondent à des vocations multiples – couvrir les coûts des fournisseurs, assurer la péréquation géographique, préserver le pouvoir d’achat des ménages, favoriser la compétitivité des entreprises, préparer la transition énergétique ou dégager des ressources fiscales pour les collectivités locales –, mais la situation a ceci de baroque que la fin du monopole n’a pas ouvert la voie à une véritable concurrence, celle-ci ayant plutôt eu pour effet, en France, d’accroître les coûts. L’opérateur historique est aujourd’hui au pied du mur, après avoir connu l’âge d’or du monopole. Il importe donc de préparer EDF aux enjeux de l’avenir. Outre la complexité de sa situation financière, ses relations avec l’État, qui est à la fois tutelle, régulateur et actionnaire, sont incohérentes. Le cadre juridique européen est, par ailleurs, unanimement contesté, car il ne semble plus répondre aux enjeux du moment. Enfin, les défis de la transition énergétique nous imposent de nous orienter vers, sinon une baisse, du moins une maîtrise de la consommation énergétique, ce qui implique d’intégrer les nouveaux moyens de production, notamment l’autoconsommation et la production décentralisée.

Pour relever les défis à venir, il importe tout d’abord de remettre de la cohérence afin de résoudre les problèmes, tant de démocratie que de fonctionnement, posés par la situation actuelle. Nous proposons trois grandes pistes de travail.

La première est de donner à EDF les moyens d’affronter les défis du futur en clarifiant ses relations avec l’État, en réduisant ses coûts pour dégager des marges de manœuvre financières et en lui permettant de jouer un rôle de leader non seulement dans le secteur du nucléaire mais également dans celui des énergies décarbonées : EDF doit accroître la part de ses investissements consacrés aux énergies renouvelables.

Deuxième piste : la France doit porter une vision intégrée de l’Europe de l’électricité. C’est une proposition dont nous mesurons l’ambition. Il faut rompre avec une politique européenne bâtie autour de la seule concurrence, qui n’intègre pas les autres aspects de politique publique, tels que le climat ou la compétitivité des industries électro-intensives. Une bataille est à mener pour construire l’Europe de l’énergie que nous souhaitons.

La troisième piste consiste à revoir la structure des tarifs de l’électricité. Il convient, tout d’abord, de faire évoluer les tarifs sans modifier les fondamentaux – tel est l’objet de la réforme de la CSPE – et, pour ce faire, de distinguer ce qui relève de l’usager et ce qui relève des politiques publiques de solidarité. C’est le chantier des mois à venir – Mme Royal l’a confirmé. Il convient également d’intégrer dans les tarifs les évolutions importantes du monde de l’énergie. Le monde a changé depuis quarante ans, avec notamment l’introduction de la concurrence et l’apparition des énergies nouvelles, d’une production décentralisée et de l’autoproduction. Le bouleversement de l’ensemble des paramètres n’est pas sans poser notamment la question du forfait ou celle des risques liés à d’éventuelles « évasions de tarifs ». La décentralisation de la production peut également redynamiser la concurrence.

Avec ces pistes de travail, le rapport ouvre un champ de réflexions.

Nous avons, je pense, atteint nos différents objectifs, qu’il s’agisse du diagnostic ou des orientations concrètes. Nous avons voulu susciter le débat au sein de l’Assemblée nationale pour préparer de manière responsable les enjeux futurs. La nécessité de revenir aux fondamentaux des tarifs est le fil rouge du rapport. Il convient de déterminer avec précision tant les principes qui doivent présider à leur fixation que les modalités de l’action publique, dont la responsabilité en la matière est pleine et entière.

M. Denis Baupin. Je parle au nom du groupe écologiste, unanime sur le sujet.

Cette commission d’enquête a permis de poser un diagnostic pertinent de l’état et de la complexité de la tarification de l’électricité. Les pistes de réflexions qui ont été dégagées sont intéressantes.

J’ai toutefois sursauté en lisant, dans la synthèse du rapport, que « l’injection des énergies renouvelables […] n’est pas adaptée aux mécanismes de marché ». Est-ce à dire que les énergies renouvelables sont par essence des énergies de service public ? Boutade mise à part, ne faudrait-il pas plutôt préciser que c’est la logique de marché qui n’est pas adaptée à l’injection des énergies renouvelables ? Je ne vois pas en quoi ce serait à la forme d’organisation de la régulation et non à la pertinence de nos choix de dicter le mix énergétique. Il n’est pas question de nous incliner devant des directives : notre souhait n’est-il pas de mettre en œuvre la transition énergétique ? Il convient donc d’adapter les mécanismes de régulation à l’introduction des énergies renouvelables.

Je partage, en revanche, complètement l’idée selon laquelle il est nécessaire de modifier le business model des énergéticiens, qui ne doivent plus chercher à vendre le plus grand nombre possible de kilowattheures. Je partage également le diagnostic s’agissant des relations empreintes de contradictions entre l’État et EDF – le rapport de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, qui évoque la « schizophrénie de l’État », a déjà soulevé la question. Il convient également de poser celle de la gouvernance des tarifs, qui sont aujourd’hui fixés par l’État en fonction de considérations multiples – sociales, politiques, économiques –, sans aucune transparence ni aucun contrôle du Parlement. Or si on entend souvent demander que celui-ci soit consulté sur la fixation de la CSPE, une telle demande est plus rare s’agissant de la fixation des tarifs eux-mêmes, alors que leur impact social est plus important que celui de la seule CSPE.

L’État devrait d’autant mieux assurer son contrôle de l’Agence des participations de l’État (APE), via la création d’une commission dédiée à cette fin, que des choix devront être effectués en matière d’investissement. Assurément, Mme la ministre a souligné, hier, au cours de son audition qu’ils le seront dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) : toutefois, la courbe des tarifs ne saurait suivre celle des financements nécessaires à tous les investissements dans lesquels EDF veut s’engager, même si l’on tient compte de l’endettement. Leur trop-plein n’est pas compatible avec les objectifs du projet de loi relatif à la transition énergique, notamment les 50 % de nucléaire en 2025. Il convient, du reste, que l’entreprise EDF équilibre ses investissements entre le nucléaire, qui ne doit plus constituer son cœur de métier, et les énergies renouvelables.

Il ne faudrait pas, par ailleurs, que la logique de la tarification au forfait soit une invitation au gaspillage ou, du moins, exonère ceux qui en bénéficieront de l’obligation de réaliser des économies d’énergies – j’ai déjà évoqué le sujet lors de l’examen de la proposition de loi de M. Brottes instaurant une tarification progressive de l’énergie. Quant à la participation des autoproducteurs et autoconsommateurs aux frais du réseau, rappelons que le développement de l’autoproduction réduira les coûts de réseau : plus nombreux seront les quartiers ou les entreprises qui y recourront, moins les besoins d’investissement dans le réseau seront importants.

Enfin, s’agissant de l’évolution de la CSPE, il faudrait distinguer l’époque où les énergies renouvelables n’étaient pas encore matures de la situation présente qui a vu leurs coûts baisser de manière significative. Le mélange de ces deux périodes ne serait ni cohérent ni lisible pour le consommateur.

Mme Jeanine Dubié. La synthèse du rapport résume bien l’ensemble des enjeux, je tiens à le souligner.

Toutefois, alors que les représentants de Réseau de transport de l’électricité (RTE) ont souligné, au cours de leur audition, que la transition énergétique entraînerait une modification de l’architecture du réseau représentant des coûts d’investissements importants, ce point n’apparaît pas dans la synthèse : peut-être figurera-t-il dans le rapport lui-même.

S’agissant des hyper électro-intensifs, les propos de Mme la ministre au cours de son audition, hier soir, n’ont pas été de nature à totalement me rassurer : je n’ai pas l’impression, en effet, que les hyper électro-intensifs aient été entendus et qu’au 1er janvier 2016 ils paieront le mégawatt en dessous de 25 euros afin de rester compétitifs. Or des centaines d’emplois sont en jeu. Certes, le soutien public à l’effacement apporte une partie de la réponse : des préconisations spécifiques aux hyper électro-intensifs figureront-elles dans le rapport ?

M. François Brottes. L’Assemblée nationale et le Sénat ont considérablement amendé le texte relatif à la transition énergétique, notamment pour permettre aux pouvoirs publics de recourir à des dispositifs adaptés à toutes les industries électro-intensives et pas seulement aux hyper électro-intensives. L’interruptibilité, l’effacement, le transport, le traitement du CO2 et la rente hydraulique sont des leviers de nature à servir nos industries dans des conditions leur permettant de rester compétitifs, ces instruments différents étant adaptés au profil de consommation de chacun, ce que prend en compte la nouvelle version du projet de loi. En outre, le système assurera le maintien des tarifs actuels. Cette question ne se trouve pas au cœur du sujet de la commission d’enquête, d’où son absence du rapport, madame Dubié.

J’avais porté la résolution demandant la création de cette commission d’enquête et je suis pleinement satisfait de son travail. Je félicite Mme la rapporteure et M. le président d’avoir traité le fond du sujet sans éluder ses dimensions délicates et dans un langage accessible à tous – ce qui n’est pas toujours le cas des rapports des commissions d’enquête. Ce document secouera peut-être un certain nombre d’acteurs, car il pose l’ensemble des problèmes de manière pertinente.

Le rapport rappelle opportunément que l’entreprise EDF, à qui l’on demande tout et son contraire, a subi les trois chocs de l’ouverture du marché, du changement de statut et de la séparation d’avec GDF, et doit faire face aujourd’hui au défi de la transition énergétique. On ne peut pas tout exiger de cette entreprise, ce que le rapport indique clairement.

Alors que l’essentiel du financement de RTE provient du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) et est garanti par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), que la ressource d’ERDF est, elle aussi, assise et connue, EDF vit des recettes de la vente d’électricité. Il n’est donc pas anormal que ces entreprises n’aient pas été traitées sur le même plan.

Le rapport confirme avec raison que le consommateur doit devenir pleinement acteur du réseau, quel que soit le mode de contribution – y compris forfaitaire, monsieur Baupin. On doit rémunérer en conséquence le consommateur, partie prenante de l’équilibre général du réseau.

De fait, les énergies renouvelables (EnR) ont déstabilisé le marché, avec même cette nouveauté que des acteurs paient pour qu’on achète leur énergie. Nous sommes tous favorables à une forte montée en puissance des EnR, et il faudra bien que les directives et le marché s’adaptent au nouveau mix énergétique, et non l’inverse. Nous en sommes tous d’accord, mais la période est compliquée pour tout le monde.

Le Parlement et le Gouvernement pourront puiser dans les propositions, très riches et diverses, du rapport pour faire bouger les lignes. La clarification du rôle de l’État dans tous les domaines dont il assume la responsabilité s’avère absolument indispensable pour ne pas demander aux opérateurs publics de se livrer à des acrobaties auxquelles ils ne pourraient pas survivre.

J’encourage chacun à approuver ce rapport.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je souhaite saluer la sérénité qui a accompagné nos débats, réussite qui vous est due, monsieur le président et madame la rapporteure.

Ma préoccupation concerne la conciliation des tarifs sociaux et des exigences du marché. Lorsque nous voterons des dispositions législatives ou lorsque le Gouvernement arrêtera des mesures réglementaires, il ne faudra pas oublier que, pour certains de nos concitoyens, les charges représentent 30 % du revenu du ménage ; des foyers parviennent à payer leur loyer, mais ne peuvent plus faire face aux charges associées.

M. le président Hervé Gaymard. J’indique que les responsables des groupes ont jusqu’au vendredi 6 mars pour remettre à Mme la rapporteure leur contribution qui sera adjointe au rapport de la commission d’enquête.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure pour le formidable travail effectué, ainsi que les services de l’Assemblée nationale l’ayant aidée dans sa tâche. Comme vient de le dire M. Brottes, le rapport est clair et lisible ; il recense avec exhaustivité les problèmes qui se posent – même si chacun peut avoir son appréciation sur la manière de les résoudre. Il élabore des propositions qui font, je le crois, l’objet d’un consensus entre l’ensemble des groupes composant cette commission d’enquête.

Ce sujet politiquement important a longtemps souffert d’ambiguïtés et de contradictions imputables à l’évolution du paysage institutionnel et économique de ces dernières années. Il était donc important de dresser aujourd’hui cet état des lieux.

Je regrette simplement que ce travail n’ait pas précédé l’élaboration du projet de loi relatif à la transition énergétique, même si le parcours parlementaire de ce texte n’est pas achevé.

La Commission adopte le projet de rapport et se déclare favorable à sa publication

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Réunion du mercredi 4 mars 2015 à 16 h 15

Présents. - M. Joël Aviragnet, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Philippe Bies, M. François Brottes, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Guillaume Chevrollier, Mme Jeanine Dubié, M. Hervé Gaymard, M. Marc Goua, Mme Viviane Le Dissez, Mme Annick Le Loch, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean Grellier, M. David Habib, M. Boinali Said