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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 20 mars 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mmes Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA), et Caroline Colombier, déléguée générale de l’AFA, et de M. Olivier Dufour, directeur « affaires externes » (France/EU) de Rio Tinto Alcan

La séance débute à onze heures.

M. le président annonce d’abord les prochaines activités de la commission d’enquête.

M. le président Jean Grellier. Chers collègues, avant de procéder à l’audition prévue ce matin, je vous informe qu’un déplacement de la commission sera organisé le jeudi 18 avril à Saint-Jean-de-Maurienne, où notre collègue Hervé Gaymard s’est proposé de nous accueillir. Un appel à candidature sera lancé pour ce déplacement.

Dans le cadre de nos auditions, nous recevrons, le 27 mars, en plus du GrameF, des représentants de l’IUMM. Puis nous auditionnerons les dirigeants de Tata Steel, le 3 avril, avant de rencontrer M. Lakshmi Mittal le 17 avril.

La commission procède ensuite à l’audition de Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA), vice-présidente de la société Constellium.

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons, ce matin, Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA), qui est également vice-présidente de la société Constellium. Elle est accompagnée de Mme Caroline Colombier, déléguée générale de l’association, et de M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. C’est au titre de l’AFA, une organisation représentative du secteur dans sa globalité, que nous allons les entendre.

S’agissant des problèmes particuliers des sites de production français, la commission entend effectuer, comme je viens de l’indiquer, un déplacement en Savoie au cours du mois d’avril, dont les modalités sont en cours de préparation.

L’industrie de l’aluminium a, en France, une origine historique : c’est au milieu du XIXe siècle que fut coulé, pour la première fois, un petit lingot d’aluminium dans un laboratoire de l’École normale supérieure. Puis un brevet a été déposé, il y a cent vingt sept ans, concernant l’électrolyse, qui a permis une production industrielle selon le procédé « Hall-Héroult ». Ainsi, notre pays a longtemps été à la pointe de cette industrie avec le groupe puissant que fut Pechiney. La situation a toutefois considérablement évolué. Aujourd’hui, il n’existe plus que deux sites de production d’aluminium primaire, l’un à Dunkerque, l’autre à Saint-Jean-de-Maurienne. Toutefois, le secteur de l’aluminium regroupe dans son ensemble de nombreuses autres entreprises spécialisées.

Au niveau mondial, le marché de l’aluminium apparaît un peu moins déprimé que le marché de l’acier, du moins si on se réfère aux prévisions de grands producteurs qui prévoient une augmentation de 7 % de la demande mondiale en 2013, après une progression de 6 % l’année précédente. Vous nous préciserez sans doute, madame, si les pays émergents, notamment la Chine, sont désormais des concurrents aussi présents dans vos activités qu’ils le sont dans la sidérurgie. Au passage, je précise que cette commission d’enquête était, au départ, consacrée à l’avenir de la sidérurgie en France et en Europe puis qu’elle a été élargie à la métallurgie. Il semble néanmoins que la production d’aluminium puisse encore se développer dans des pays développés à hauts coûts salariaux, comme la Norvège ou le Canada, deux pays qui, il est vrai, disposent d’atouts avec des ressources énergétiques exceptionnelles. À cet égard, nous attendons que vous nous apportiez des informations plus précises sur les handicaps énergétiques qui affecteraient la production française, et les éventuelles responsabilités dans cette situation de la politique de l’énergie de l’Union européenne ou encore des fournisseurs français d’électricité.

Au regard des perspectives industrielles de l’aluminium, qui est traditionnellement considéré comme un matériau noble, la commission souhaite également connaître ce que des industries comme l’automobile, l’aéronautique ou encore le ferroviaire attendent des producteurs. La disparition, voire l’effacement progressif, d’une production d’aluminium en Europe ne leur ferait-elle pas encourir une incertitude concernant leur approvisionnement et même un risque de dérive en termes de prix ?

Avant de vous laisser la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, tous les trois, lever la main droite et dire : « Je le jure ». (Mme Béatrice Charon, Mme Caroline Colombier et M. Olivier Dufour prêtent serment.)

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de recevoir aujourd’hui les représentants de l’industrie française de l’aluminium, sachant que vos préoccupations initiales tournaient essentiellement autour de l’industrie sidérurgique. Compte tenu des circonstances, nous n’avons pas eu le temps de préparer une présentation spécifique pour cette audition, mais les deux documents qui vous ont été communiqués devraient contribuer à votre information.

Je m’appuierai d’abord sur celui qui porte l’intitulé « L’aluminium : introduction au matériau » pour rappeler qui nous sommes. L’Association française de l’aluminium représente la quasi-totalité des industriels français intervenant dans le secteur de l’aluminium à tous les niveaux du cycle, de l’électrolyse au recyclage et diverses activités aval, en passant par la transformation. Nous représentons une dizaine de milliers d’emplois directs en France.

Après avoir connu un taux de croissance de 6 % au niveau mondial en 2012, le secteur attend une augmentation à 7 % pour 2013. Depuis une trentaine d’années, la consommation mondiale de l’aluminium croît entre 5 et 7 % par an et cette tendance devrait se poursuivre au moins dans la prochaine décennie.

Cette croissance est due aux qualités intrinsèques de notre matériau qui, avec une densité inférieure de deux tiers à celle de l’acier et du cuivre, est très léger. En fonction des alliages, il peut être extrêmement malléable – ces alliages, dits doux, sont utilisés dans la menuiserie d’aluminium – ou extrêmement résistant, ce qui le rend très intéressant pour des secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile. L’aluminium est conducteur d’électricité et de chaleur ; il est résistant à la corrosion, l’oxyde d’aluminium ne se détachant pas comme la rouille. Qui plus est, comme tous les métaux, il est recyclable à l’infini sans perte de qualité, à condition de ne pas mélanger les différents alliages.

L’aluminium trouve des applications essentiellement dans le domaine des transports, à raison de 37 % : depuis très longtemps dans le domaine aéronautique, où nous bénéficions de la croissance extraordinaire des cadences de production d’Airbus et de Boeing, dans le domaine ferroviaire et dans la construction navale. À titre d’exemple, les premiers TGV étaient en acier alors que les TGV à deux étages sont en aluminium, en raison du poids limité qui doit peser sur les rails. Dans le domaine automobile, les moteurs sont déjà essentiellement en aluminium, et un certain nombre d’échangeurs thermiques utilisent de l’aluminium et non plus du cuivre. De plus en plus, l’aluminium investit le domaine de la carrosserie et des structures. Sa densité est beaucoup plus faible que celle de l’acier, mais il faut en mettre un peu plus pour avoir la même résistance. En général, on dit qu’un kilo d’aluminium remplace deux kilos d’acier dans les automobiles. Cet allègement permet une réduction de consommation de carburant et, par-là même, une réduction d’émission de CO2. Les constructeurs automobiles allemands utilisent de plus en plus l’aluminium, suivis par les constructeurs français et d’autres plus spécialisés sur le moyen de gamme.

Le bâtiment est un secteur qui utilise également beaucoup l’aluminium, historiquement, pour les encadrements de portes et fenêtres. Les grandes façades vitrées d’immeubles de bureaux ou de commerces sont portées par des structures de profilé d’aluminium. De nombreuses autres applications sont encore possibles, telles que des brise-soleil, des cloisons intérieures, etc.

L’emballage est aussi un domaine important, en particulier avec les canettes. Quand je suis entrée en 2003 dans le monde de l’aluminium, 50 % des canettes étaient en fer et 50 % en aluminium. Aujourd’hui, elles sont à 70 % en aluminium en Europe, sachant que dans le reste du monde, elles le sont toutes. L’aluminium prend donc des parts de marché sur l’acier.

Puisqu’il constitue un excellent conducteur électrique, tous les câbles de haute tension qui parcourent la nature aujourd’hui sont en aluminium. Par rapport au cuivre, il offre la même conductivité avec un diamètre de câble supérieur d’à peine 10 %, et il est beaucoup plus léger et infiniment moins cher. Dans le domaine de l’électricité, il trouve d’autres applications industrielles. Le seul endroit où l’aluminium n’est pas utilisé en électricité est le logement particulier, simplement parce que les connecteurs ne peuvent s’utiliser indifféremment pour l’aluminium ou le cuivre. Pour éviter tout problème de sécurité, on en est donc resté au cuivre.

L’industrie mécanique utilise également beaucoup d’aluminium, notamment pour toutes les pièces mobiles qui doivent être légères. Les moules en aluminium sont plus rapides à fabriquer que ceux en acier et s’usent peu.

Ces multiples utilisations de l’aluminium expliquent pourquoi ce matériau connaît une telle croissance mondiale, liée à la fois à l’augmentation de la population et à l’élévation du niveau de vie des pays émergents. Même en Europe, la consommation de l’aluminium augmente par substitution à d’autres matériaux.

L’aluminium est recyclable. S’il faut une grande quantité d’énergie pour fabriquer de l’aluminium primaire, le recycler ne demande que 5 % de cette énergie. Un récent reportage sur Arte affirmait qu’il fallait moins d’énergie pour recycler l’aluminium que pour recycler l’acier, mais cela demande à être vérifié et je n’en ai pas eu le temps.

On ne trouve pas d’aluminium pur dans la nature, il est issu de la bauxite qui tire son nom des Baux-de-Provence. Ce minerai est très répandu au niveau mondial puisque l’on considère qu’environ 8 % de l’écorce terrestre en est constituée. Il n’y a donc pas de risque de raréfaction. Il est également très bien réparti dans le monde. Aujourd’hui, on extrait la bauxite essentiellement dans les lieux où la concentration en aluminium est forte : en Australie, en Amérique du Sud ou en Afrique. La bauxite est lavée, raffinée et transformée en alumine, qui est l’oxyde d’aluminium. Pour séparer l’oxygène et l’aluminium on recourt à l’électrolyse, opération qui utilise beaucoup d’énergie. À partir de l’aluminium dit primaire, on fabrique des semi-produits, plaques ou tôles d’aluminium, profilés, câbles, qui entrent ensuite dans les produits finis. En fin de vie de ces derniers, l’aluminium est récupéré et recyclé. Aujourd’hui, à peu près un tiers de l’aluminium provient de produits recyclés, autrement dit, sur les 60 millions de tonnes d’aluminium utilisés dans le monde, 20 millions de tonnes sont issues du recyclage. Toutefois, en raison de l’utilisation croissante, on a toujours besoin d’aluminium primaire.

Aujourd’hui, la France n’a plus de mine de bauxite. Elle a encore une activité de raffinage d’alumine, notamment à Gardanne, dans le sud de la France, mais il s’agit d’alumine dite de spécialité qui est utilisée pour d’autres applications que le métal. L’électrolyse est la spécialité de deux sites français, à Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. Le laminage est pratiqué sur deux grands sites à Neuf-Brisach et Issoire, mais aussi à Annecy ou Rugles. Une dizaine de sites sont dédiés au filage. Avec toute l’activité de recyclage, ce sont en tout cinquante entreprises que représente l’Association française de l’aluminium.

Le recyclage récupère le plus possible d’aluminium. D’abord au niveau de la fabrication. Par exemple, la fabrication des canettes commence par la découpe de cercles dans des plaques. Toutes les chutes sont récupérées et recyclées. Ensuite, lors de la démolition de bâtiments, tous les profilés d’aluminium sont récupérés. Idem pour les machines. Le secteur où nous sommes en retard, notamment en France, est la collecte des déchets ménagers qui ne sont pas assez triés.

Vous avez compris de mon discours que nous importons à tous les stades de fabrication, que ce soit l’alumine, l’aluminium primaire ou même les déchets recyclés.

Je passe à l’étude conduite par Roland Berger dans le cadre de la première table ronde sur la filière aluminium organisée par Monsieur le Ministre Arnaud Montebourg, le 13 février dernier. La planche 22 montre comment la structure industrielle du secteur a évolué. Il y a encore quinze ou vingt ans, il s’agissait de sociétés nationales qui étaient complètement intégrées verticalement, c’est-à-dire qu’elles maîtrisaient tout le processus de l’électrolyse de l’aluminium au laminage et au filage et même, pour certaines, depuis l’extraction de bauxite. Il s’agissait de sociétés nationales qui étaient en situation de quasi-monopole. Au cours des quinze dernières années, la structure industrielle s’est complètement transformée, passant à une concentration horizontale. Tous les grands groupes miniers se sont progressivement regroupés et ont acheté des activités minières ou de raffinage d’alumine, gardant quelquefois de l’électrolyse, tandis que de grands groupes de transformation se sont créés, qui n’ont absolument plus d’activité amont. Parmi ces grands groupes de transformation, on distingue Constellium, société dans laquelle je travaille, Novelis dans le laminage, SAPA dans le filage, et bien d’autres. Dans le monde occidental, il n’existe plus que deux sociétés totalement intégrées verticalement : l’Américain Alcoa et le Norvégien Hydro.

La concentration du secteur est représentée sur la planche 23. On y constate que les six plus gros acteurs dans le raffinage d’alumine représentent 57 % du marché mondial, qu’ils ne sont plus que 50 % dans l’électrolyse et à peu près 40 % dans le laminage. Le même camembert pour le filage montrerait que les six plus gros représentent 15 ou 20 % du marché mondial. La dissémination est encore plus importante dans le recyclage. Il s’agit donc d’une industrie dont le degré de concentration décroît à mesure que l’on va vers l’aval.

Dans la vision que nous avons des enjeux pour l’industrie française de l’aluminium, il en est un majeur qui est le prix de l’énergie pour l’aluminium primaire, car il représente une part essentielle de ses coûts. Si aujourd’hui, le prix de l’aluminium primaire est fixé au niveau mondial par le London Metal Exchange, dit LME, sur lequel nous n’avons aucune influence, en revanche, les coûts dépendent essentiellement du prix de l’énergie. Certains pays, comme le Canada ou la Norvège, peuvent certes obtenir des coûts plus faibles grâce à leur industrie hydroélectrique, mais ils ont aussi choisi de faire de l’électrolyse plutôt que de vendre de l’électricité aux États-Unis. En France, le coût de l’électricité pourrait être bas grâce à notre parc nucléaire important. Les contrats des deux sites d’électrolyse arriveront bientôt à échéance, en 2014 et 2017. Nous souhaitons qu’ils soient renouvelés à un niveau moyen de ce dont bénéficient nos concurrents dans le monde, pas forcément plus bas, éventuellement avec des aménagements qui permettent de rendre ce prix vraiment compétitif. Ainsi, les producteurs d’aluminium pourraient, de temps en temps, arrêter un court instant leur production en période de pics important de consommation d’électricité pour préserver le réseau. L’application de la directive ETS sur les quotas de CO2 crée des coûts indirects et certains pays, comme l’Allemagne, ont décidé d’attribuer des compensations à leurs industriels. La France ne l’a pas fait. Même au sein de l’Europe, nous sommes pénalisés par rapport à nos concurrents. Il faut aussi prévoir une durée suffisante pour ces contrats de renouvellement. Pour des investissements aussi lourds, il ne peut s’agir que de contrats sur vingt ou trente ans.

J’ai déjà dit que le recyclage ne demandait que 5 % de l’énergie requise pour la fabrication d’aluminium primaire. Il est donc vraiment dommage d’exporter des déchets, puisque cela équivaut à exporter de l’énergie. Nous sommes à la fois exportateurs de déchets et importateurs d’aluminium recyclé. Peut-être conviendrait-il de mieux réfléchir à l’organisation de cette filière, sans doute dans le cadre de la table ronde de l’aluminium, par exemple en améliorant la collecte des déchets ménagers.

Parmi les nombreux secteurs d’application de l’aluminium, le bâtiment se porte aujourd’hui assez mal en France. Par ricochet, les sociétés de filage d’aluminium ne se portent pas très bien non plus. Tout ce qui peut être fait en faveur du bâtiment aura donc un impact favorable sur nos industriels. De manière générale, pour les produits filés, la France est un pays d’importation : plus de 50 % des profilés que nous consommons sont importés, pour la plupart d’Espagne. Le développement de l’industrie espagnole a été favorisé par des subventions européennes, notamment des industriels du filage qui sont venus nous concurrencer. Aujourd’hui, le domaine est globalement en surcapacité dans l’ensemble de l’Europe. Maintenant, c’est un peu tard, mais pour d’autres sujets, en tant que représentants de la nation, vous auriez certainement des choses à dire sur ces subventions. C’est vrai aussi en France, où certaines municipalités ou régions donnent des subventions pour l’implantation d’industries de ce secteur sur-capacitaire. Quel dommage ce serait de donner des subventions d’un côté pour fermer des usines de l’autre !

Comme tous les industriels français, nous sommes sensibles aux mesures destinées à favoriser le développement et le maintien de l’industrie en France. Tout ce qui favorise la recherche constitue un point extrêmement important. C’est pourquoi nous souhaitons absolument le maintien du crédit d’impôt recherche et la poursuite des initiatives d’instituts de recherche et de technologie, comme le pôle matériaux à Nantes et celui plus centré sur l’automobile en Lorraine. Ce sont des initiatives que nous saluons et que nous souhaitons voir se développer dans la mesure du possible.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous sommes satisfaits d’avoir associé les problèmes de l’aluminium et du cuivre à notre commission d’enquête.

Concernant l’avenir de la production d’aluminium en France, et plus généralement en Europe, la pente actuelle de fermeture des usines ne fait-elle pas encourir à certaines de nos industries de pointe un risque de dépendance ?

Est-il exact que les industriels allemands bénéficieraient, dans vos activités, de conditions tarifaires plus avantageuses en matière d’électricité ?

La France est-elle encore un acteur important dans la recherche et l’innovation des produits de l’aluminium ? Le centre de recherche et d’innovation de Voreppe, dans l’Isère, est-t-il toujours mondialement réputé pour son niveau ?

Le recyclage peut-il représenter un créneau de développement industriel en Europe, en lien peut-être avec l’organisation du tri et de la récupération des matières de base ?

Qu’attend le secteur de l’aluminium de la Conférence nationale de l’industrie ? Est-il exact que l’on parle, en ce moment, de créer une filière élargie qui réunirait l’acier, l’aluminium, le cuivre, le ciment et le verre ? Qu’en pensez-vous ?

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Par votre question sur la fermeture des usines, vous faites certainement allusion aux usines d’électrolyse en Europe, donc à la production d’aluminium primaire. Mon activité dans la société Constellium me permet de dire que nos destins - aluminium primaire et transformation - sont assurément liés. Aujourd’hui, l’usine de Neuf-Brisach est le premier client de l’électrolyse de Dunkerque. Cela ne veut pas dire que, à l’avenir, quoique dans un temps relativement long, nous ne pourrions pas nous reconfigurer, mais il faudrait surmonter deux handicaps majeurs. D’abord, les aspects logistiques, qui sont aujourd’hui extrêmement simples. Ensuite, le traitement des lingots d’aluminium sous la forme desquels l’aluminium est couramment transporté au niveau mondial. L’aluminium liquide issu de l’électrolyse est, en effet, refroidi sous forme soit de lingots, soit de plaques pour le laminage ou de billettes pour le filage qui sont plus directement utilisables par les transformateurs. Si nous devions nous fournir sur le marché mondial, nous devrions refondre les lingots pour en faire des plaques avant de les laminer, ce qui serait stupide des points de vue logistique, énergétique et économique. Si donc Dunkerque devait fermer demain, nous pourrions nous reconfigurer, mais ce serait très coûteux et mauvais aussi pour la planète.

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. Bien que directeur des relations institutionnelles chez Rio Tinto Alcan, j’interviens aujourd’hui au titre de l’Association française de l’aluminium.

En cette période de crise, la production européenne d’aluminium a chuté : depuis 2008, elle est passée de 3 millions de tonnes à 2 millions. Plusieurs sites ont été fermés sur cette période qui a été marquée par la fin de contrats de tarifs historiques, en Espagne par exemple, et par une crise du secteur puisque, en 2008, le prix de l’aluminium, qui se situait aux alentours de 3 300 dollars, a chuté en quelques mois à 1 300 dollars. Depuis, il avoisine les 2 000 dollars, ce qui est assez bas par rapport aux coûts de production. Cela étant, la baisse de production affecte exclusivement l’Union européenne ; les autres pays producteurs, comme la Norvège et l’Islande, sont plutôt en progression grâce à leurs ressources hydroélectriques et géothermiques.

La France n’a pas connu de baisse de sa production d’aluminium. Malgré de petites baisses de capacité liées à la crise, les deux sites de production de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont restés stables. Depuis vingt ans, d’ailleurs, la production d’aluminium primaire en France est stable. Les fermetures d’usines, dont la dernière a touché l’usine de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées en 2008, ont été largement compensées par l’investissement, en 1991, de Dunkerque, qui reste la dernière usine ouverte de l’Union européenne et celle qui a la meilleure technologie disponible en Europe. Elle est le vaisseau amiral de la production d’aluminium en Europe.

Dans cette situation, ce que nous craignons, c’est l’arrivée à terme de nos contrats historiques en 2014 pour Saint-Jean-de-Maurienne et à la fin de 2016 pour Dunkerque. Ces contrats avaient été signés respectivement en 1982 et 1991, avant la nouvelle donne du marché de l’énergie au niveau européen. Nous travaillons à leur renouvellement depuis longtemps déjà puisqu’une table ronde sur les prix de l’électricité a été organisée, dans notre usine de Dunkerque en 2003, pour que tous les industriels électro-intensifs puissent exprimer leurs desiderata en la matière. Depuis bientôt dix ans que nous cherchons des solutions, nos échéances se rapprochent, et le mur devant nous est haut.

Des comparaisons ont été établies entre ce qui se passe en Allemagne et la pratique en France. L’Allemagne a pris des mesures pour assurer aux électro-intensifs un prix de l’électricité compétitif. Sa décision d’arrêter le nucléaire a eu un effet inflationniste sur les prix de l’électricité, mais elle a fait le choix sociétal de faire porter le delta du coût sur les particuliers plutôt que sur les industriels. Lors du colloque sur la transition énergétique organisé par François-Michel Gonnot, le Dr. Hans-Joachim Ziesing, expert énergie auprès du gouvernement allemand, a indiqué que les industriels électro-intensifs ont obtenu 10 milliards d’euros de compensation en Allemagne. Si donc la facture augmente, des dispositifs sont prévus pour réduire le coût de l’électricité. Du côté de la France, selon un document de l’Union des industries utilisatrices d’énergie, au titre de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, dit ARENH, issu de la loi NOME, le mégawatheure coûterait aujourd’hui aux alentours de 47 euros. En Allemagne, il serait généralement de 35 à 37 euros et entre 31 et 37 euros pour les plus électro-intensifs, notamment pour les industriels de l’aluminium, grâce à une très large rémunération des effacements, à la compensation des effets indirects de la réglementation sur le CO2 et aux exonérations de taxes et de coûts de transport. Ce sujet fait actuellement l’objet d’un groupe de travail rassemblant la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, la Direction générale de l’énergie et du climat et la Commission de régulation de l’énergie dont nous attendons les résultats. Pendant toute cette période, l’Allemagne a su préserver son outil industriel en dégageant les marges et la fiscalité nécessaires. Elle a fait le choix de l’emploi en faisant porter l’effort de développement vers les énergies renouvelables par les particuliers et non pas par les industriels. Les questions sociétales sont portées par le grand public pour sauvegarder la compétitivité de l’industrie.

Le coût de structure de la production d’aluminium est composé pour un tiers d’électricité et un tiers d’alumine, le dernier tiers comprenant tout le reste. Le coût de main-d’œuvre représente grosso modo 10 %, ce qui permet d’envisager un avenir pour nos usines d’aluminium dans les pays industrialisés. L’alumine étant une commodité mondiale, nous n’avons pas d’impact sur son prix. Nous faisons des efforts très importants de compétitivité sur nos sites, mais l’évolution des prix de marché de l’électricité en Europe efface complètement ces efforts. L’analyse Roland Berger du prix de l’énergie par région dans le monde, page 17, montre que le prix de l’électricité moyen au Moyen-Orient, qui est proche du marché européen, est compris entre 20 et 25 dollars le mégawatheure, à mettre en regard des tarifs européens. Si nous voulons conserver nos usines en France – et la situation n’est pas à la fermeture –, il faut les garder compétitives et leur proposer des conditions d’accès à l’énergie comparables à celles qui existent dans le reste du monde, en faisant finalement tourner la politique industrielle autour de l’aluminium. C’est le choix qu’ont fait la Norvège et le Canada, qui considèrent ce métal comme stratégique. Les États-Unis, pays pourtant libéral, apportent également un soutien très fort à l’industrie de l’aluminium. C’est ainsi que dans la périphérie de New York, les autorités sont intervenues pour maintenir une usine de fil d’aluminium, très comparable à celle de Saint-Jean-de-Maurienne, promise à la fermeture. Grâce à un contrat basé sur l’électricité hydraulique à des coûts très performants, soit 20 dollars le mégawatheure, cet outil a été maintenu.

M. Christian Hutin. Nous sommes au cœur de la raison d’être de cette commission d’enquête. En plus des 10 000 emplois directs, avez-vous une idée du nombre des emplois indirects liés au secteur de l’aluminium ? Avec l’activité que la bauxite procure au port de Dunkerque et la maintenance de l’ensemble des usines qui doit être assez importante, on doit largement dépasser les 10 000 emplois indirects. J’ai le sentiment, partagé, je crois, par beaucoup ici, qu’il y a une forme d’urgence. Pour une fois, ce n’est pas le coût de la main-d’œuvre qui est en cause, mais celui de l’électricité qui présente un déséquilibre sur le plan international. Grossièrement résumé, je retiens de la conférence qu’a donnée Arnaud Montebourg que lorsque vous voulez une usine d’aluminium au Canada, on vous offre un barrage ; en France, on vous propose un rendez-vous avec la Commission européenne qui fait souvent barrage. Je dis cela parce que je suis intervenu, comme Michel Delebarre et beaucoup d’autres députés, avec le consortium Exceltium pour tenter de faire comprendre à l’Europe qu’il faut avancer.

À votre avis, que peut faire le gouvernement français ? Nous ne souhaitons pas forcément, comme l’Allemagne, faire payer les particuliers. D’autres moyens existent-ils dans d’autres pays pour faire baisser le coût de l’énergie ? Il est quand même malheureux qu’une usine installée à Dunkerque, à côté de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, ne puisse pas bénéficier de tarifs privilégiés, surtout compte tenu de l’impact que cela pourrait avoir sur l’emploi. Est en question aussi l’indépendance stratégique nationale. On ne produit plus en France que 1 % de l’aluminium mondial.

Quant au problème du carbone, il me ramène encore à l’Europe. Je suis président d’une association de surveillance de la qualité de l’air, je l’ai été au niveau national et je suis donc très attentif à ce sujet. Certains pays n’abordent pas tout à fait de la même manière la surveillance de la qualité de l’air ni ne respectent les directives européennes. Les pays de l’Est, en particulier, n’ont globalement pas une analyse aussi stricte que la nôtre. Il y aurait de quoi faire pour parvenir à une uniformisation au niveau européen, car nous sommes très pénalisés. Cela vaut aussi pour les enquêtes publiques. À Dunkerque, une enquête publique pour un terminal méthanier est conduite pendant longtemps et de manière citoyenne, alors qu’à côté, en Belgique, on construit d’abord et on mène l’enquête après. Or les ports belges nous font fortement concurrence.

Puisque nous sommes dans une commission d’enquête nationale et pas européenne, que peut faire le Gouvernement de la France pour lutter contre ces injustices industrielles qui entraînent des injustices sociales et des pertes d’emplois, ainsi qu’une perte d’indépendance de notre pays dans un secteur stratégique ? Un pays qui ne produit plus d’aluminium ne peut pas, à mon avis, rester indépendant, a fortiori s’il a une industrie aéronautique et de transport.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Votre question recouvre deux sujets. Le premier concerne l’application de la réglementation européenne dans les différents pays. Vous avez cité la qualité de l’air, mais c’est vrai aussi dans d’autres domaines environnementaux. Il est certain que la France souffre d’un différentiel de coût d’exploitation lié à l’application plus stricte ou effective de la réglementation, ce que ne font parfois même pas certains pays européens. Je ne peux pas en chiffrer exactement le pourcentage, il ne doit pas être trop élevé. Dans le domaine de l’électrolyse, en tout cas, le handicap le plus important est le coût de l’énergie. S’il y a un travail à faire sur l’application de la réglementation, il y en a un autre sur les coûts de base de certaines industries. On ne peut pas échapper à une réflexion sur les coûts de l’énergie.

M. le président Jean Grellier. Avez-vous des idées sur ce que peut faire la France s’agissant de ce coût de l’énergie ? Des négociations sont-elles engagées aujourd’hui en vue des échéances de 2014 et 2016 ? Avez-vous des propositions que nous pourrions éventuellement relayer ?

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. C’est là un sujet que nous pourrons peut-être explorer plus en détail lors de votre déplacement à Saint-Jean-de-Maurienne puisque c’est le site dont le contrat arrivera à échéance en premier.

Pendant des années, la concurrence a eu l’hégémonie du discours en matière de politique industrielle au niveau de l’Europe. Or, en octobre 2012, en même temps qu’il a dévoilé son document stratégique pour la croissance, le commissaire à l’industrie a lancé une étude de santé, dite fitness check. Deux secteurs ont été identifiés comme stratégiques et à très fort risque : le raffinage de pétrole, pour des raisons évidentes, et l’aluminium, pour des raisons non moins évidentes. Nous travaillons avec la DG entreprise pour évaluer l’impact de toutes les politiques européennes. Je vous rejoins sur l’aspect qualité de l’air, avec un souci très important à Dunkerque où l’idéologie environnementale à laquelle est confronté notre site pourrait le condamner à terme, alors qu’il est le moins polluant, le maître-étalon (benchmark) en la matière, avec la meilleure technologie. La situation est complètement ubuesque. En tout cas, ce fitness check constitue pour nous un véhicule de discussion avec l’Union européenne. D’ailleurs, il a connu une modification inverse à celle de votre commission d’enquête puisque, initialement consacré à l’aluminium, il a été élargi à l’acier à la suite de la table ronde du 12 février.

La France pourrait actionner un premier levier en poussant pour faire reconnaître le souci auquel est confronté notre aluminium. Dans tous les pays du monde, il est le premier sujet de politique industrielle du fait de son exposition aux aspects énergétiques et environnementaux.

Pour le deuxième aspect, ne cherchons pas à réinventer la poudre. À la suite de la table ronde de Dunkerque il y a dix ans, un rapport de l’Inspection générale des finances daté de 2004 a étudié les prix d’accès à l’énergie pour les industriels électro-intensifs. C’est de ce rapport que découle la création d’Exceltium, décidée par les parlementaires en 2005. D’après ce rapport, ces contrats doivent être conclus sur une durée longue – au minimum dix ans ; partager entre les signataires les risques réglementaires ; se situer dans une zone de prix proche de 30 à 32 euros le mégawatheure en 2004 ; prévoir des possibilités d’effacement lorsque cela est possible ; s’adresser exclusivement à des industries électro-intensives délocalisables de n’importe quel pays de l’Union européenne. L’idée initiale était de faire bénéficier ces industriels électro-intensifs du coût de production du nucléaire historique, mais depuis, EDF a demandé que ce contrat puisse porter sur du nucléaire de nouvelle génération, donc l’EPR. Les électro-intensifs y ont largement contribué au travers d’Exceltium, à hauteur de 2 milliards d’euros pour l’instant, car le coût de production de l’EPR est beaucoup plus élevé que celui du nucléaire historique. C’est pourquoi les industriels électro-intensifs souhaiteraient revenir à l’esprit initial du contrat Exceltium en le prolongeant sur une base de coût du nucléaire historique. Sur cette base pourraient venir se greffer des dispositifs euro-compatibles de nature à faire baisser la facture d’électricité et à la ramener à des niveaux comparables à ceux en cours dans le reste du monde : rémunération des effacements ou de l’interruptibilité, éventuellement tarifs plus intéressants en fonction de la proximité des usines et des lieux de production – ce qui serait favorable à l’usine de Dunkerque que 500 mètres séparent du site de Gravelines. La France doit défendre cette proposition comme l’Allemagne défend actuellement, contre la Commission européenne qui a ouvert une commission d’enquête, ses propres dispositifs d’exonération du tarif de transport.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). En matière de recherche et d’innovation dans le domaine de l’aluminium, le centre de Voreppe, qui appartenait autrefois à Pechiney, a été scindé en plusieurs entités dépendantes des nouvelles sociétés créées, notamment Rio Tinto Alcan et Constellium ainsi qu’une partie de Novelis. Pour Constellium, il s’agit d’un centre majeur où sont menés à la fois la recherche sur les nouveaux alliages pour l’aéronautique, l’automobile et l’emballage et des tests sur les procédés de laminage, de filage et de fonderie. Nous avons d’ailleurs une fonderie laboratoire pour un produit airware, complètement révolutionnaire pour l’aéronautique. Au niveau mondial, dans le domaine applicatif aluminium, il n’y a qu’Alcoa qui soit au même niveau que nous. Le primaire fait aussi l’objet de recherches à Voreppe et sans doute à Saint-Jean-de-Maurienne, mais ce n’est pas mon domaine.

Quant à savoir si la production de seconde fusion réalisée à partir de recyclage aurait plus d’avenir en Europe que la production primaire, je pense que nous avons besoin des deux. Au niveau mondial, un tiers de l’aluminium nécessaire à la fabrication des produits finis vient du recyclage ; en Europe et en France, c’est aux alentours de 45 %. Compte tenu de la croissance de la consommation, les deux sont nécessaires et il n’y a pas lieu de favoriser l’un plutôt que l’autre.

Nous sommes très favorables à la mise en place de filières sur laquelle se propose de déboucher la Conférence nationale de l’industrie. Nous connaissons bien la filière aéronautique, organisée autour du GIFAS, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, qui est très ancienne et qui fonctionne très bien. Nous espérons voir l’équivalent émerger dans le secteur de l’automobile. En tant que transformateurs, nous avons plutôt une approche de marché puisque nous fabriquons des produits pour des clients finaux. En amont, il y a certainement moyen de penser à des clusters permettant de diminuer le prix d’exploitation des électrolyses. Pour l’instant, l’AFA est pleinement engagée dans la table ronde organisée par Arnaud Montebourg, dont les premières réunions doivent bientôt avoir lieu.

Je n’ai pas d’information sur la filière élargie qui réunirait l’acier, le cuivre, l’aluminium, le ciment et le verre.

M. le président Jean Grellier. Cela nous a été confirmé la semaine dernière par M. Darmayan. Ce serait la treizième filière stratégique du Conseil national de l’industrie, puisqu’on ne parle plus maintenant de Conférence nationale de l’industrie. Il pourrait être intéressant pour vous de suivre cette évolution particulière car, jusqu’à présent ces filières ne présentaient pas de spécificités communes avec celles qui nous préoccupent.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). S’agissant de la concurrence des pays émergents, notamment dans l’aluminium primaire, la Chine investit énormément dans de nouvelles électrolyses à des coûts que l’on ne comprend pas toujours. Cette surcapacité explique en partie la baisse des cours mondiaux de l’aluminium. En ce qui concerne les produits transformés, nous ressentons la concurrence chinoise dans quelques secteurs particuliers, en particulier la feuille d’aluminium, pour laquelle la Commission européenne a accepté d’installer des barrières anti-dumping à l’importation. Nous ne ressentons pas encore trop cette concurrence dans le domaine des profilés en Europe, alors que l’Amérique du Nord, comme le Canada et le Mexique, se sont protégés après avoir connu une chute importante de production. Celle-ci est maintenant repartie. Pour notre part, nous souhaiterions que ces barrières anti-dumping puissent être posées avant que la catastrophe n’arrive. Trop souvent, la réaction se produit une fois que l’industrie a disparu tellement elle a souffert. Je ne sais pas quel moyen employer pour y arriver, mais je sais que cela est fondamental pour nous.

M. le président Jean Grellier. Nous en discuterons avec le commissaire Tajani, que nous recevrons dans les prochaines semaines, qui est au cœur de ces dispositifs. Pour avoir participé avec Alain Bocquet à une commission d’enquête sur l’industrie ferroviaire, je sais qu’on revient souvent de Bruxelles pas tout à fait désespéré mais presque. L’Amérique du Nord se protège mais nous, nous ne pouvons pas en faire autant. Pourquoi ?

Mme Michèle Bonneton. J’ai le sentiment, s’agissant des barrières anti-dumping, que tous les pays européens ne sont pas d’accord avec la France pour les mettre en place. Certains commercent beaucoup avec la Chine et craignent certainement des mesures de rétorsion commerciale, ce qui expliquerait les réticences de la Commission européenne. Toutefois, des aménagements ponctuels pourraient peut-être être apportés dans le secteur qui nous occupe aujourd’hui.

Pour l’aluminium primaire, le transport est-il une barrière au commerce international ? S’agissant de l’acier, on a compris qu’il était préférable de le fabriquer pas trop loin des lieux de consommation. En est-il de même pour l’aluminium ou bien son coût très élevé rend-il celui du transport négligeable ?

Je crois savoir que nos principaux concurrents européens sont l’Allemagne et certains pays du nord de l’Europe, sans plus. Pouvez-vous apporter des précisions ? Quels sont les facteurs qui favorisent cette concurrence ?

Vous avez expliqué que les grands groupes à structure verticale s’étaient scindés en de multiples entreprises, passant à une concentration horizontale. De ce fait, est-il encore pertinent de parler de filière ? Si oui, est-il nécessaire de l’organiser et comment procéder ? Qu’attendez-vous des pouvoirs publics dans ce domaine ?

Même si la croissance de la consommation nécessitera toujours de fabriquer de l’aluminium primaire, le recyclage me semble un formidable atout à développer : 45 % d’aluminium recyclé, cela laisse des marges de manœuvre. Où trouve-t-on de l’aluminium à recycler ? Ne faudrait-il pas faciliter le recyclage des déchets ménagers, compliqué par divers ajouts de matériaux, en discutant avec les industriels de l’écoconception des produits ?

Dans le processus de fabrication, quels sont les produits polluants ? L’électrolyse de l’alumine ne dégage pas, à connaissance, de dioxyde de carbone ou alors de façon extrêmement marginale. Il n’y a pas d’atome de carbone dans l’alumine. Si le dioxyde de carbone peut être considéré comme polluant au titre du réchauffement climatique, il ne l’est pas pour la santé. Actuellement, le coût de la tonne de carbone est à son plus bas historique. Cela a-t-il vraiment un impact sur le coût de la fabrication de l’aluminium ? Je suis sceptique.

Permettez-moi, monsieur Dufour, de vous interroger au titre de vos responsabilités chez RTA. Quelle est la politique de l’entreprise en ce qui concerne l’innovation et la recherche ? À ma connaissance, dans ce domaine, les effectifs devraient être réduits du tiers, aussi bien à Saint-Jean-de-Maurienne qu’à Voreppe, tant en recherche qu’en fonction support. Selon mes informations, ces coupes devraient intervenir à l’automne prochain. Voilà qui est inquiétant pour la recherche de haut niveau développée à Voreppe en particulier – que je connais mieux pour en être la députée –, et augure mal de l’avenir de l’ensemble des activités liées à l’aluminium en France. Par ailleurs, les sites Constellium et RTA à Voreppe étant très proches physiquement et très liés, si l’un était en péril, l’autre pourrait être mis en difficulté.

S’il est indéniable que RTA est gêné par le coût de l’énergie, il semble quand même que ses activités liées à l’aluminium en France soient rentables. L’entreprise envisagerait de se recentrer sur son cœur de métier que sont les activités minières, qui sont nettement plus rentables. L’activité aluminium est beaucoup plus récente et ne semble pas considérée comme une bonne affaire.

Quand on parle de nucléaire, je ne peux que me sentir interpellée. J’observe d’ailleurs, au passage, que les centrales comportent beaucoup d’aluminium. Il faut être très prudent avec la prolongation de la durée de vie des centrales. On ne peut pas négliger les coûts d’un accident éventuel, qui pourraient représenter 500 milliards d’euros. Sachant que Tchernobyl a déjà coûté nettement plus de 1 000 milliards d’euros, on ne peut pas faire totalement l’impasse sur ce genre de perspective.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Que l’aluminium soit transporté partout dans le monde ou plutôt de façon régionale dépend essentiellement des différentiels des coûts de production. Quand la différence est très faible, la provenance reste très régionale ; dès que les différentiels augmentent, compte tenu de la faiblesse des coûts de transport, on passe très facilement d’un continent à l’autre. On voit bien les flux s’inverser sur certains produits entre l’Amérique du Nord et l’Europe, en fonction des coûts. Globalement, l’aluminium se transporte très facilement et, en fonction des différentiels des coûts de production, il peut venir de très loin.

S’agissant de la concurrence européenne, je vous propose de reprendre la planche 22 de l’étude Roland Berger. Sont en présence : Rio Tinto Alcan, présent aussi bien en France que dans d’autres pays européens et en Islande ; le russe RUSAL ; l’anglo-australien BHP Billiton ; Alcoa ; le norvégien Hydro. La concurrence est donc assez large et livrée avec les armes de chaque pays. Elle est moins liée à la société elle-même qu’à la situation du pays dans lequel sont localisées ses activités, notamment au coût de l’énergie. Dans la transformation, Constellium est une société très présente en France, en Allemagne, en Suisse, en République tchèque et en Slovaquie ; Novelis est un lamineur très présent en Allemagne ; SAPA est un fileur d’origine suédoise très présent dans toute l’Europe ; Alcoa n’a plus d’activité de filage, à l’exception du filage dur, en Europe ; outre l’aluminium primaire, Hydro a des activités de laminage ainsi que de filage, ces dernières étant sur le point d’être fusionnées avec celles de SAPA. Le secteur du filage compte énormément de sociétés plus petites, certaines même de taille familiale. La concurrence européenne est donc assez large et je ne pense pas qu’avec un tel nombre de sociétés, on puisse se retrouver en situation de cartel.

Compte tenu des préoccupations différentes des transformateurs et des producteurs d’aluminium primaire, on peut, en effet, s’interroger sur la pertinence d’une filière couvrant de haut en bas le cycle de l’aluminium. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’est pas possible de faire des choses ensemble, et c’est ce à quoi nous allons réfléchir dans le cadre de la table ronde lancée par Arnaud Montebourg. Cela dit, la scission s’est faite assez naturellement. Ce n’est pas par hasard qu’on est passé de sociétés intégrées verticalement à une concentration horizontale.

En matière de recyclage, le renforcement de la réglementation nous incite à réfléchir à la conception des produits pour que les matériaux en fin de vie puissent être séparés plus facilement. Nous y souscrivons totalement tant pour l’automobile que pour le bâtiment ou une quantité d’autres applications. Cela faciliterait certainement le recyclage. Partout où l’aluminium est en gros morceaux, il est récupéré et recyclé. L’affaire est plus compliquée quand il est présent en petites quantités et mélangé à d’autres matériaux.

L’électrolyse de l’aluminium est effectuée au moyen d’une électrode en carbone qui attire l’oxygène contenu dans l’oxyde d’aluminium et rejette du CO2. C’est le procédé lui-même qui est émetteur de CO2, lequel n’est pas, en effet, dangereux pour la santé dans des conditions de concentration normales.

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. S’agissant du recyclage, sachez que 75 % de l’aluminium produit depuis le début de l’ère industrielle sont encore utilisés aujourd’hui. Les taux de recyclage sont très importants dans le bâtiment et l’automobile, avec des temps plus ou moins courts – une trentaine d’années pour le bâtiment, une dizaine pour l’automobile. Ils ont beaucoup moins importants, bien qu’ayant beaucoup évolué ces derniers temps, dans l’emballage. Ce fort taux de recyclage s’explique par le réel intérêt économique de cette pratique.

Par son contenu énergétique, l’empreinte carbone de l’aluminium est hautement liée à la source d’énergie. Au sein du groupe Rio Tinto Alcan, nous croyons beaucoup à l’aluminium hydro nucléaire, qui représente d’ailleurs la quasi-totalité de notre production. D’ailleurs, nous nous défaisons actuellement d’actifs australiens qui travaillent sur une base de charbon. L’aluminium produit à partir d’hydroélectricité émet 2 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium contre 16 tonnes pour une production à partir du charbon et 18 tonnes à partir de lignite, comme en Allemagne. Du point de vue de l’empreinte carbone, l’aluminium est un investissement intéressant dans la mesure où les deux applications principales en sont le transport et le bâtiment, et où l’émission initiale de CO2 sera compensée tout au long de la vie de l’aluminium puisque le recyclage ne demande que 5 % de l’énergie initiale. En outre, 1 kilo d’aluminium utilisé dans une voiture permet d’économiser 2 kilos d’acier et d’économiser 20 kg de CO2 dans la vie de la voiture. L’aluminium est certes utilisé dans les centrales nucléaires mais aussi dans les énergies renouvelables, que ce soit les éoliennes, le cadre des cellules photovoltaïques, l’intégration dans le bâtiment, les brise-soleil qui permettent de réduire l’utilisation de la climatisation en été, et j’en passe.

Les émissions directes de CO2 par nos usines sont contrôlées par la technologie aluminium Pechiney, qui est encore leader mondial en la matière et contribue à faire reconnaître nos usines comme références (benchmarks). De ce fait, le coût des quotas de CO2 sur Dunkerque est plutôt neutre. Nous sommes très attachés et très attentifs à cette qualité de l’usine. Quand il est intégré dans le coût de l’électricité, le coût du CO2 peut être très important puisque le prix de marché de l’électricité prend en compte la source marginale de production de l’énergie (souvent le charbon).

La politique de recherche de Rio Tinto Alcan pourra être détaillée lors de votre visite à Saint-Jean-de-Maurienne, qui sera peut-être pour vous l’occasion de découvrir notre site de recherche qui est très important pour la recherche sur l’aluminium. Notre chef de la direction, Jacynthe Côté, quand elle vient en France, vient voir deux sites : les cuves d’électrolyse du laboratoire de recherche sur les fabrications (LRF) à Saint-Jean-de-Maurienne et les salles égyptiennes du Louvre. Ces cuves sont des prototypes de la dernière technologie et constituent la référence mondiale dans la production d’aluminium. Le site de Voreppe est plutôt dédié au support technique, même si nous y avons aussi un laboratoire qui travaille sur le développement d’anodes très spécifiques qui permettraient de ne plus émettre de CO2. C’est là un sujet extrêmement important qui s’apparente au Saint Graal pour la recherche en aluminium.

Ces deux sites sont soumis à deux facteurs d’influence. Le premier, c’est que Rio Tinto Alcan, en abandonnant ses usines en Australie, a réduit sa production d’aluminium de 4 millions de tonnes à 2,5 millions de tonnes. Cette nouvelle empreinte mondiale nécessite d’ajuster les effectifs, y compris de recherche. Puisque ce sont les sites existants qui financent l’effort de recherche, il faut alléger leurs coûts pour leur permettre de rester compétitifs. Le second aspect, le plus important, c’est que la technologie Aluminium Pechiney est aujourd’hui talonnée par des technologies issues de Chine et du Moyen-Orient, et l’écart technologique se resserre. Notre marché naturel pour la construction de nouvelles usines d’aluminium se réduit ainsi comme peau de chagrin. Depuis 1990, la production d’aluminium en Chine a explosé et représente aujourd’hui la moitié de la production mondiale, tandis que l’Europe a perdu plus de 30 % de sa production. Jusqu’à présent, nous cherchions des brevets de manière indépendante ; aujourd’hui, nous souhaitons nous tourner vers de l’innovation ouverte, à l’instar d’autres secteurs comme l’industrie pharmaceutique. Nous sommes plutôt en recherche d’alliances et nous multiplions les projets avec les universités et d’autres sociétés.

Dans le domaine de l’offre technologique française en matière d’aluminium, Rio Tinto Alcan est un acteur important avec ses filiales ECL et Carbone Savoie. D’autres sociétés françaises ont accompagné ce développement technologique, comme les sociétés Fives Solios à Lille, Brochot et Alstom, qui ont développé des sous-stations spécifiques dont des équipements électriques ou des équipements environnementaux. C’est une vraie grappe technologique française qui s’est développée autour de ces métiers et qui reste, pour nous, une priorité. Par contre, nous la faisons évoluer d’un mode de fonctionnement autonome vers l’ouverture, ce qui permet d’aller chercher plus de soutiens publics puisque le support à l’innovation européen notamment ne peut pas concerner une seule société, contrairement à la pratique en Chine et aux États-Unis. Historiquement, la France représente, et cela continuera, grosso modo 60 % de l’effort de recherche total de Rio Tinto Alcan dont le centre névralgique est à Voreppe.

Mme Michèle Bonneton. Donc, il n’y aura pas de licenciement ?

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. Puisque nous devons nous ajuster à notre empreinte mondiale, notre budget de recherche global va diminuer. De ce fait, nous avons besoin de revoir les organisations, d’autant qu’en nous tournant vers la recherche ouverte, nous allons révolutionner les modes de fonctionnement. Mais nous en rediscuterons à Saint-Jean-de-Maurienne.

M. le président Jean Grellier. Merci à vous trois d’être venus jusqu’à nous. Nous vous tiendrons informés de l’évolution de nos travaux, mais nous nous reverrons sans doute à Saint-Jean-de-Maurienne.

L’audition se termine à midi vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 20 mars 2013 à 11 heures

Présents. - M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Jean Grellier, M. Christian Hutin, M. Denis Jacquat, M. Christophe Léonard, M. Alain Marty, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, Mme Edith Gueugneau