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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 27 mars 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean Grellier Président puis de M. Michel Liebgott Vice-Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-Formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)

La séance débute à onze heures.

La commission procède à l’audition de MM. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions, Messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Notre commission d’enquête porte sur l’avenir de la sidérurgie et de la métallurgie en Europe, industries auxquelles nous avons ajouté celles de l’aluminium et du cuivre – y compris leur transformation – pour former un ensemble dont le périmètre se rapproche ainsi de celui que couvre l’UIMM.

La commission a déjà entendu des organisations sectorielles, comme la Fédération française de l’acier ou l’Association française de l’aluminium, et elle recevra M. Lakshmi Mittal le 17 avril. Nous procéderons par ailleurs à des visites de sites industriels et nous rendrons ainsi à Saint-Jean-de-Maurienne le 18 avril.

L’UIMM occupe une place importante dans le monde de l’industrie, car elle fédère un grand nombre de secteurs. Les questions relatives à l’emploi et à la formation professionnelle sont essentielles pour ces activités, parfois qualifiées – bien à tort – de « vieilles industries », expression contre laquelle nous devons tous lutter.

Nous sommes particulièrement intéressés par l’évolution des effectifs sectoriels et par celle des qualifications et des besoins en personnel découlant de la transformation des techniques et des postes. Le cas de Florange a également mis en lumière un problème de pyramide des âges : à cet égard, la gestion prévisionnelle des effectifs, l’adoption de mesures d’âge et encore l’introduction du contrat de génération représentent sans doute des enjeux importants pour vos entreprises.

L’UIMM a développé, en tant qu’organisation patronale, une expérience de cogestionnaire de plusieurs dispositifs de formation professionnelle et nous souhaiterions connaître, Messieurs, les propositions de votre organisation pour mieux adapter le contenu de ces formations aux besoins de vos industries ou pour en réformer l’évaluation.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, tous les deux, lever la main droite et dire : « Je le jure ». (MM. Jean-Pierre Fine et Gilles Lodolo prêtent serment.)

Présidence de M. Michel Liebgott, vice-président de la commission d’enquête.

M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général de l’UIMM. L’UIMM représente un large éventail de secteurs d’activité : la sidérurgie, la transformation des métaux, les industries mécaniques, électriques-électroniques, les transports – du vélo aux véhicules à quatre roues, sans oublier l’aéronautique, le spatial et la construction navale – et une partie de la filière nucléaire, avec Areva notamment ; les industries électriques et gazières n’entrent pas, en revanche, dans le champ que nous couvrons. Notre organisation est compétente en matière sociale et dispose à ce titre d’informations intéressantes pour vos travaux, d’autant qu’elles concernent environ 1,5 million de salariés – soit plus de la moitié de l’effectif industriel français – répartis dans 43 000 entreprises.

Nous nous proposons de vous soumettre les principales conclusions d’une étude prospective que nous venons de mener sur l’évolution de l’activité et des métiers dans l’ensemble des secteurs que nous couvrons et sur ses conséquences en termes d’emploi et de formation. Cette étude a été réalisée avec les organisations syndicales dans le cadre de l’observatoire paritaire, prospectif et analytique des métiers et qualifications de la métallurgie, sur le site Internet duquel on peut la trouver.

M. Gilles Lodolo, directeur « Emploi-formation » de l’UIMM. Entre 1,4 et 1,5 million de salariés sont employés dans les entreprises françaises de métallurgie et 60 % d’entre eux le sont dans des établissements qui en regroupent moins de 500. Comme 90 % de ces entreprises comptent moins de cinquante salariés, ce tissu industriel est profondément ancré dans le territoire national. Notre objectif est de mettre à la disposition de toutes les compétences dont elles ont besoin pour mettre en œuvre leur stratégie et rester compétitives.

Le site Internet de l’Observatoire prospectif et analytique des métiers et qualifications de la métallurgie, organisme paritaire créé récemment, offre un large choix d’études sur l’évolution nationale et régionale de nos métiers. Celle que nous vous présentons est la plus générale. Elle nous conduit à estimer que la productivité – la valeur ajoutée rapportée à l’emploi – devrait continuer à progresser dans les années à venir grâce, notamment, à des opérations de mécanisation et de rationalisation des flux. Dans l’industrie, elle devrait croître de 3 % en moyenne annuelle entre 2010 et 2015, puis de 3,2 % entre 2015 et 2020, alors que, pour l’ensemble de l’économie, la progression devrait se limiter, durant les mêmes périodes, à 0,9 %, puis à 1,1 %. Le rythme d’augmentation sera donc nettement plus rapide dans l’industrie, y compris donc dans la métallurgie, que dans le reste de l’économie.

Dans cette étude, nous avons également élaboré plusieurs hypothèses d’évolution de l’activité par branches, en accordant un traitement particulier à certaines d’entre elles – la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, celle de machines… – qui présentent des forces ou des faiblesses spécifiques, tenant par exemple à l’âge des chefs d’entreprise ou à la plus ou moins grande facilité d’accéder aux brevets. Nous en avons déduit, dans un scénario « central », que 1,3 million de personnes devraient être employées dans la métallurgie en 2020.

Le secteur des industries métallurgiques et minières se caractérisait en 2009 par un fort taux de maintien au travail des salariés âgés de 55 à 59 ans ; a contrario, les jeunes étaient moins nombreux que dans les autres secteurs d’activité – même si l’écart constaté au détriment de l’industrie n’est pas très significatif. La proportion de salariés seniors, globalement forte, variait cependant quelque peu selon les activités : ainsi elle atteignait son niveau le plus élevé dans la « construction des autres matériels de transport » – hors construction automobile, navale, ferroviaire et aéronautique.

C’est plutôt dans les métiers à caractère technique que l’emploi est appelé à progresser dans les prochaines années. D’ici à 2020, le rythme de recrutement des ingénieurs et cadres techniques s’accélérera du fait d’un déplacement des besoins vers les fonctions de conception et de gestion de la production, et vers les activités de flux, aux dépens des activités de production proprement dite. Ce mouvement résulte de la complexification des tâches, mais aussi de celle des organisations industrielles qui s’internationalisent et qui deviennent de plus en plus imbriquées les unes dans les autres, imposant l’élaboration de nouvelles procédures logistiques. La gestion – mondiale, et non plus cantonnée à des territoires restreints – de la chaîne logistique exige un travail intellectuel de plus en plus important : on ne peut plus s’en remettre dans ce secteur à la seule force des bras. Les entreprises sont également amenées à développer des fonctions connexes comme les achats, la QHSE (qualité, hygiène, sécurité et environnement) et la maintenance de l’outil de production.

Malgré les impératifs de flexibilité et les incertitudes sur l’avenir, l’emploi dans la métallurgie reste fondé sur le modèle du CDI à temps plein – 89 % des contrats y sont de ce type.

M. Jean-Pierre Fine. Les besoins de recrutement dans l’ensemble des secteurs que nous représentons s’élèvent à environ 100 000 par an, à rapporter à l’effectif de 1,4 million de salariés.

M. Gaby Charroux. Et pourtant, vous prévoyez une diminution de l’emploi total dans la métallurgie !

M. Jean-Pierre Fine. La perspective d’une baisse de l’emploi – qui devrait décliner d’un niveau compris entre 1,4 million et 1,5 million de personnes en début de période à 1,3 million en 2020 – n’empêche pas des mouvements de se produire à l’intérieur de cette population, dont les départs à la retraite et les changements de secteur d’activité constituent les principaux ; ils nécessitent un flux d’embauches soutenu, ce que nous avons du mal à faire comprendre, car l’opinion publique ne retient que la diminution globale de l’emploi.

Cependant, le déséquilibre de la pyramide des âges au profit des plus de 50 ans, déjà souligné, fait peser sur la métallurgie un risque d’« évaporation » des compétences industrielles, au moment même où il s’impose d’élever le niveau de qualification dans tous les emplois.

S’ajoute à cela une difficulté sur laquelle l’UIMM et les industriels ne cessent d’appeler l’attention : nos entreprises peinent à recruter. Cette situation peut sembler paradoxale en période de chômage élevé, mais la recherche de personnes disposant de compétences adaptées aux offres de travail se solde par bien des échecs. Nous tentons ainsi d’accueillir, dans le cadre de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), des salariés qui ne disposent pas forcément des qualifications idoines ; or, au bout d’un an de cette expérience, nous sommes frappés du faible attrait de ce dispositif auprès des chômeurs : sur cent demandeurs d’emploi contactés par Pôle emploi et par l’UIMM, moins de dix répondent à l’invitation. Mon propos ne vise pas à stigmatiser les chômeurs, mais à mettre en lumière l’existence d’un problème.

Ce constat nous a poussés à créer un fonds de dotation, doté de 70 millions d’euros, pour guider les jeunes les plus éloignés de l’emploi vers les métiers industriels : entre 10 000 et 12 000 d’entre eux reçoivent ainsi une formation – qui peut porter sur des enseignements de base relevant du socle des connaissances ou simplement viser à resocialiser. Cette action n’a rien de philanthropique : elle vise à répondre à un besoin des industriels.

La localisation de l’emploi constitue une préoccupation majeure, car la composition et la stabilité du corps social dans un territoire reposent largement sur l’industrie. Ce qui était un fait historique reste vrai et la désertification de certains espaces a souvent découlé de la fermeture de sites de production. La compétitivité – « coût » et « hors-coût » –, la localisation des marchés et les compétences des salariés sont les facteurs principaux influant sur les décisions de délocalisation de l’activité hors de France. Le sujet de la compétence, particulièrement, occupe à cet égard une place de plus en plus déterminante, quoique difficile à quantifier. Un article de presse de ce matin faisait état du développement d’un pôle aéronautique au Maroc, dont l’une des causes réside dans la présence sur place des compétences recherchées. Aujourd’hui, assurer la maintenance aérienne au Maroc ou la fabrication d’un avion en Chine ne présente plus aucun inconvénient – en aéronautique, on n’en est pas à mille kilomètres près ! –, et de nombreuses pièces sont produites dans divers endroits du monde, l’assemblage ne comptant d’ailleurs que pour 5 % du prix d’un appareil. Disposer des compétences nécessaires en France constitue donc un enjeu fondamental. Or, les entreprises de carénage et EDF échouent à pourvoir plusieurs milliers de postes de chaudronniers, probablement parce que ce métier pâtit d’une image négative, qui ne correspond plus à la réalité.

Cette situation choque du fait du niveau du chômage et de l’étendue des besoins de main-d’œuvre qui demeurent insatisfaits. L’UIMM réunit tous les mois des industriels qui ont, lors de leur dernière rencontre, tenue la semaine dernière, fait du recrutement leur sujet majeur de préoccupation.

M. Michel Liebgott, président. À une certaine époque, la sidérurgie bénéficiait de ses propres centres de formation et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) permettait d’adapter les compétences aux besoins.

Au-delà de l’image négative des métiers de l’industrie, représentation erronée pour qui connaît les usines d’aujourd’hui, ne pensez-vous pas que la baisse continue des effectifs de la sidérurgie empêche les jeunes d’imaginer une carrière dans cette branche d’activité ? Ne devrions-nous pas mettre davantage en lumière la polyvalence de ces métiers qui permet aux salariés de travailler ensuite dans d’autres secteurs ?

En Lorraine, nous avons ouvert, après l’arrêt de Gandrange, un centre de formation pour jeunes, avec notamment l’idée de lutter contre le sentiment de démoralisation que peut induire la fermeture d’un site. Les entreprises n’ont-elles pas conduit un mouvement d’externalisation de certaines activités trop important ? La précarité, qui s’est nourrie du développement de la sous-traitance et du travail partiel, n’a en effet pas contribué à rendre les métiers industriels attractifs.

M. Jean-Pierre Fine. Les effectifs de la métallurgie se montent à 1,5 million de personnes aujourd’hui contre 2 millions il y a vingt ans. Mais les activités externalisées ne sont plus comptabilisées au titre de cette branche, de sorte que certains auteurs estiment que la diminution n’est pas aussi forte que les chiffres le laissent penser. À l’appui de cette thèse, on notera que la production française en volume ne subit aucun déclin.

Les industriels et leurs représentants reconnaissent porter une responsabilité dans l’image négative qui affecte nos métiers, dont nous ne savons pas présenter les atouts : ce sont probablement ceux qui offrent la plus grande stabilité aux salariés en même temps que de vastes perspectives d’évolution professionnelle. Les débats de ces derniers mois sur l’instauration de dispositifs de soutien à la compétitivité de notre pays se sont notamment focalisés sur l’opportunité de les cibler ou non sur les secteurs exposés à la concurrence internationale, c’est-à-dire sur l’industrie ; cela a conduit à étudier la structure des salaires, examen qui a révélé que l’industrie offrait, après le secteur bancaire, les rémunérations les plus élevées. Un chaudronnier jeune diplômé gagne bien plus qu’une caissière de supermarché ! Là aussi, nous échouons à faire connaître ces avantages, car l’attention médiatique se fixe sur les fermetures de sites – qui créent de vrais problèmes sociaux –, engendrant ainsi un effet dévastateur sur l’attractivité des métiers industriels. Jusqu’à une période récente, ce handicap était renforcé par la popularisation du thème de la société post-industrielle, mais la crise de ces dernières années a contribué à faire évoluer la réflexion sur ce sujet dans un sens opposé ; les baromètres d’image ont fait apparaître un retournement, au profit d’un autre concept de société qui, élément positif, fait consensus dans la société comme dans le monde politique. Aujourd’hui, l’industrie est considérée comme un élément vital pour le développement de notre pays et ce constat partagé constitue une base solide pour la reconstruction de notre secteur industriel. Les organisations syndicales de salariés sont nos meilleures alliées sur ce sujet, car nous partageons les mêmes analyses et les mêmes objectifs.

Il convient donc de s’attaquer à ce problème des compétences, afin de restaurer l’industrie dans notre pays car nous disposons par ailleurs d’atouts considérables. Vous les connaissez tous : situation géographique, infrastructures et, domaines dans lesquels la France tient un des tout premiers rangs au monde, innovation et créativité.

Nous avons déployé des instruments de formation continue pour nos salariés, car les technologies évoluent très rapidement ; nous comprenons très bien que, pour des raisons sociales, on privilégie en la matière les dispositifs en faveur des moins qualifiés, mais ne négligeons pas pour autant le fait que l’avenir de notre pays et de notre industrie dépend du développement des plus hauts niveaux de compétence. Nous ne devons pas opposer le soutien au travail peu qualifié à la stimulation de l’excellence, d’autant que l’emploi non qualifié dépend de l’emploi qualifié, qui permet la croissance de la valeur ajoutée et de la production. L’efficacité de notre organe de formation continue, l’Association de formation professionnelle de l’industrie (AFPI), inspire plusieurs de nos homologues étrangers ; nous avons suppléé là le marché – un tel instrument nécessitant l’élaboration et la mise à jour d’outils onéreux – pour créer les conditions du maintien d’un haut niveau de compétences. Les entreprises en bénéficient directement, puisque les salariés doivent parfois être formés instantanément et de manière individualisée pour répondre à certaines commandes. Étant donné la nature des marchés, on ne peut pas attendre six mois pour leur dispenser une formation directement utile à leur travail : nos entreprises ont souvent dû refuser des commandes parce que leurs employés ne disposaient pas des compétences nécessaires.

Malgré le ralentissement économique général de ces dernières années, l’état de la pyramide des âges et la volonté de montrer aux jeunes qu’ils peuvent avoir un avenir dans l’industrie nous ont incités à développer les mécanismes d’alternance dans notre branche : ainsi, le nombre d’alternants s’élevait à près de 38 000 en 2012, contre 34 000 deux ans plus tôt. La formation par l’apprentissage va du CAP au diplôme d’ingénieur mais, dans nos centres, 60 % des apprentis suivent des formations d’un niveau supérieur au baccalauréat. Ces dispositifs fonctionnent, car le taux d’insertion dans l’entreprise et dans l’emploi s’élève à 85 %. Même si une évolution des outils peut être envisagée, nous devons absolument préserver ce lien fondamental entre l’apprentissage, l’entreprise et l’emploi.

Chaque année, 3 000 à 4 000 contrats d’apprentissage – soit 10 % environ de ceux qui sont offerts par nos entreprises – sont perdus par manque de candidats. En revanche, grâce à la qualité de cette formation, le taux d’abandon – l’un des problèmes de l’apprentissage en général – n’atteint pas 5 %, ce qui est sans doute à mettre en rapport avec l’excellent taux d’insertion ensuite. Ce dispositif de l’UIMM – qui repose sur un réseau de 4 500 formateurs – coûte cher à nos entreprises, mais elles en ont besoin.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous ne prendrons jamais la mesure des immenses dégâts causés par l’idée de la société post-industrielle. Réorienter les enfants vers l’industrie nécessite le concours de tous et constitue un vrai défi, sachant qu’ils ont été incités depuis des années à voir plutôt leur avenir dans l’événementiel et la communication. Comment associer l’éducation nationale à ce travail, qui implique un véritable changement de culture ?

Comment les salariés peuvent-ils utiliser les périodes de chômage partiel – qui se sont développées dans certains secteurs comme l’automobile en raison de la crise – pour se former ?

Quels sont les principaux enjeux de compétitivité que doivent affronter les entreprises que vous représentez ?

L’Allemagne dépense beaucoup pour la transition énergétique, mais ses industriels paient leur énergie moins cher que les nôtres : qu’en pensez-vous ? D’autre part, quelle appréciation portez-vous sur le système européen de certification d’émission de CO2 ?

M. Gaby Charroux. Pour ce qui est de la formation, les constats que j’ai pu faire à Martigues et à Fos-sur-Mer, dans ma circonscription, rejoignent les vôtres. En revanche, ce que vous avez dit à propos de la mauvaise image de l’industrie me surprend : dans les territoires de tradition industrielle, population et syndicats sont très attachés à cette culture et le démontrent d’ailleurs en se mobilisant quand la production est menacée – ainsi en Moselle ou, aujourd’hui, dans ma région, autour du site chimique de Kem One. Les familles n’ont aucune réticence à orienter leurs enfants vers ce secteur, d’autant qu’elles connaissent les atouts auxquels vous avez fait allusion – stabilité, niveau des salaires et perspectives de promotion. Il existe donc un hiatus entre votre discours – qui est parfois aussi celui des médias – et ce que l’on constate dans les zones industrielles – en tout cas dans la mienne, d’ailleurs peuplée de beaucoup de Lorrains ayant émigré à Fos et Martigues. Comment pourrions-nous agir en prenant appui sur ce préjugé favorable à l’industrie ?

Existe-t-il vraiment des compétences que les industriels trouveraient au Maroc et pas dans notre pays ? L’analyse de la situation dans mon territoire et de l’évolution de l’Éducation nationale ces dernières années, ainsi que ma fonction antérieure de directeur d’un centre d’information et d’orientation (CIO) me conduisent à afficher une certaine perplexité quand je vous entends dire qu’il serait impossible de disposer de certaines compétences ; il y a certes des jeunes qui sont très éloignés de l’emploi, mais ceux qui suivent une formation de chaudronnier ou de soudeur dans le cadre de l’Éducation nationale sont parfaitement à même de répondre aux besoins des entreprises – peut-être ce constat ne vaut-il toutefois que dans les territoires à forte tradition industrielle.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. J’abonderai dans le sens de mon collègue Gaby Charroux. La Nièvre, dont je suis l’élue, abrite à Imphy un site industriel important auquel tous les habitants du département sont très attachés. L’UIMM, avec d’autres partenaires, y a ouvert un très bon centre de formation où je me rends tous les ans. On me dit à chaque fois qu’on a du mal à y attirer les jeunes, mais aussi que ceux qui en sortent ne trouvent pas facilement d’emploi. Il nous faut donc tout faire pour améliorer la situation.

Il existe une envie de se former et de travailler dans vos entreprises et si les professions de chaudronnier et de soudeur souffrent d’une image négative, il nous appartient d’essayer de corriger cette représentation car, dans la situation de l’emploi actuelle, il n’y a pas de raison que les jeunes se détournent de métiers stables, bien rémunérés et offrant des perspectives d’évolution.

Comment envisagez-vous, Messieurs, l’évolution de vos métiers et de quels moyens disposez-vous pour les promouvoir ou, tout simplement, pour en donner une plus juste perception ? Il me paraîtrait important de reconduire d’année en année les campagnes d’information dont vous avez pris l’initiative, d’autant que nombreuses sont les familles qui, inquiètes pour l’avenir de leurs enfants, pourraient y être sensibles, sans parler des chômeurs qui pourraient avoir l’idée de se réorienter vers ce secteur de la métallurgie.

Enfin, s’il vous est difficile d’attirer les jeunes à des métiers où les seniors sont nombreux, comment comptez-vous faire évoluer la pyramide des âges ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Vous entendre incite à l’optimisme, à ceci près qu’on ne voit pas que vos propos se vérifient dans le cas de la Moselle. Peut-être ne savons-nous pas rendre attractifs les métiers de l’industrie auprès des jeunes… Il reste que notre région qui, plus que la Lorraine, a fait vivre la France pendant des décennies avec les houillères et la sidérurgie, se trouve aujourd’hui abandonnée. Il faut donc que vous nous aidiez à faire partager votre optimisme.

M. Jean-Pierre Fine. Nous allons créer une association de défense des métiers de la métallurgie !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi pas ? Mais, en Moselle, votre tâche sera immense et vous devrez donner des éléments aux élus pour qu’ils relaient votre message.

M. Jean-Pierre Fine. Il convient d’insister sur l’orientation, qui ne se réduit pas à la communication…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Chez nous, c’est la communication qui fait défaut. L’orientation existe déjà !

M. Jean-Pierre Fine. Nous conduisons des actions d’information dans les lycées, en lien avec les enseignants et les conseillers d’orientation, mais ce travail n’est sans doute pas suffisant.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Les fermetures d’usines annihilent tous les efforts d’orientation, Monsieur !

M. Jean-Pierre Fine. Nous subissons également l’impact d’autres fermetures, celles des sections de formation aux métiers industriels. Nous pouvons comprendre les raisons économiques qui les motivent, car nous savons ce qu’il coûte d’entretenir des sections de cinq ou six élèves dans nos centres de formation d’apprentis de l’industrie (CFAI) ; nous acceptons de supporter cette charge parce que nos entreprises ont besoin de jeunes formés, mais je reconnais que tout cela n’est pas facile à organiser.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier permet d’utiliser davantage les périodes de chômage partiel pour la formation. Nous tentons de favoriser un emploi aussi large que possible de ce dispositif, notamment en faveur des PME et des PMI, qui font face aux problèmes les plus aigus et pour lesquelles un recours simplifié au chômage partiel est un besoin vital, ne serait-ce que pour former leurs salariés sans désorganiser leur production – c’est d’ailleurs d’autant plus nécessaire que ces entreprises n’ont pas la culture de la formation.

La compétitivité ne repose pas sur le seul coût du travail. En février 2012, l’UIMM a d’ailleurs élaboré un pacte social pour une industrie compétitive qui reposait sur quatre piliers dont seul le dernier était lié à un problème de coût : c’étaient les compétences, la qualité du dialogue social, le fonctionnement du marché du travail et le financement de la protection sociale.

Nous ne sommes pas compétents pour répondre à votre question sur l’énergie ; il faudrait la poser à nos fédérations, qui vous diront certainement que le bas coût de l’énergie représente bien un avantage compétitif.

Nous devons sans aucun doute intensifier nos efforts pour améliorer l’image de l’industrie, et les maintenir dans la durée, mais il faut bien mesurer l’investissement que cela suppose ! Les 7 millions d’euros que nous consacrons chaque année à nos campagnes de communication, et qui peuvent sembler beaucoup, sont en fait largement insuffisants. Il est dans ces conditions souhaitable que toutes les parties concernées mettent leurs moyens en commun et, à cet égard, les Semaines de l’industrie, dont la dernière s’est achevée dimanche, représentent une initiative tout à fait utile.

Au cours de la dernière année, nous avons constaté dans l’opinion publique un mouvement favorable à l’industrie, mais va-t-il se concrétiser ? Autrement dit, qui conseillera à son enfant d’entrer dans une filière d’alternance pour exercer un métier industriel ?

Nous nous heurtons aussi à un problème de mobilité lors des fermetures de sites. Dans le cas des suppressions de postes décidées par le groupe PSA, il sera autrement plus difficile de reclasser les salariés dans le bassin de Rennes que dans celui d’Aulnay-sous-Bois. Les disparités entre les territoires se comblent péniblement, de sorte que les mobilités géographiques et professionnelles sont limitées. Sans parler des obstacles culturels : rejoindre l’aéronautique – et y recevoir un bon accueil – ne va pas de soi quand on vient du secteur automobile.

À Toulouse, les industriels de l’aéronautique ne parviennent pas à recruter les compétences à la mesure de leurs besoins, qui sont considérables compte tenu d’une forte montée en cadence. En effet, leurs carnets de commande sont remplis pour les sept prochaines années et ils doivent produire quarante-deux A320 par mois. Cela supposerait de recruter 5 000 à 6 000 personnes par an, ce qui ne peut se faire sur le marché local.

M. Gaby Charroux. Les considérations salariales sont-elles étrangères au choix de recruter au Maroc ?

M. Jean-Pierre Fine. Elles jouent un rôle marginal.

Les disparités de niveau d’activité selon les secteurs se retrouvent évidemment dans l’évolution des salaires : ceux-ci stagneront dans l’automobile en 2013, alors qu’ils croîtront de 3,5 à 4 % dans l’aéronautique. La dualité du marché du travail engendre ainsi d’importants problèmes, constat que nous partageons avec les organisations syndicales. À force de renforcer certains secteurs, on précarise les autres, dans lesquels dominent les CDD, l’intérim et la sous-traitance.

Nous réfléchissons, avec les représentants des salariés, aux moyens de favoriser le maintien des seniors dans l’emploi, sujet qui est étroitement lié à un second : celui de la prévention de la pénibilité. Les conditions de travail restent dures pour certains salariés, mais elles se sont considérablement améliorées au cours des quarante dernières années et ce mouvement va se poursuivre. Cependant, il arrive qu’il produise des effets pervers : certains salariés perçoivent ainsi une prime de pénibilité qui représente 20 à 30 % de leur rémunération et, tout naturellement, ils répugnent à renoncer à cette source de revenu… Nous avons donc imaginé des solutions – malaisées à appliquer – comme la création d’un compte épargne-temps qui permet de partir plus tôt en retraite et qui ne contraint pas les employés à occuper un poste pénible pour le surcroît de rémunération qu’il offre.

Oui, certains territoires ont été particulièrement touchés par la perte d’emplois industriels, mais nous croyons à l’industrie ! Nous ne pensons pas pécher par excès d’optimisme lorsque nous prévoyons une baisse, de 1,4 à 1,3 million de salariés, des effectifs employés dans la métallurgie ! Simplement, le déclin de l’industrie ne nous paraît pas inéluctable, surtout si nous parvenons à résoudre le problème de la formation et des compétences.

M. Michel Liebgott, président. Messieurs, nous vous remercions.

La séance est levée à midi cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 27 mars 2013 à 11 heures

Présents. - M. Alain Bocquet, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gaby Charroux, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Denis Jacquat, M. Christophe Léonard, M. Michel Liebgott, M. Patrice Prat, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Christian Hutin, M. Alain Marty