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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 10 avril 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Eric Brac de la Perrière, directeur général, Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage et Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations d’Eco-Emballages

La séance est ouverte à onze heures quinze.

La commission procède à l’audition de MM. Eric Brac de la Perrière, directeur général, Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage et Johann Leconte directeur des relations avec les élus et les associations d’Eco-Emballages.

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons M. Éric Brac de la Perrière, directeur général de l’organisme Eco-Emballages depuis 2009 après avoir travaillé dans le monde de la publicité et de la presse. M. Brac de la Perrière est accompagné par M. Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage d’Eco-Emballages.

Créé en 1992, Eco-Emballages a donc un peu plus de vingt ans d’existence. Il s’agit d’un organisme atypique puisqu’il revêt la forme d’une société anonyme sans but lucratif. Son actionnariat est majoritairement contrôlé par une structure dénommée Ecopar qui rassemble des groupes de la grande consommation et des organisations professionnelles. Pour accomplir sa mission, Eco-Emballages dispose d’un agrément délivré tous les six ans par les pouvoirs publics ; son dernier agrément par arrêté date de la fin 2010.

Pouvez-vous, messieurs, nous en dire un peu plus sur le fonctionnement de votre organisme et de sa filiale Adelphe, sur l’usage des éventuels bénéfices d’une SA dite sans but lucratif, sur les obligations ou le cahier des charges qui conditionnent l’agrément reçu et, bien entendu, sur les relations d’Eco-Emballages avec les industries qui intéressent la Commission ? Nous avons constaté au fil des auditions que la part du recyclage, celui de l’aluminium notamment, est relativement importante comparée à celle de la requalification de matières premières. Que fait-on au juste des emballages métalliques collectés ? Sont-ils très largement retraités en France ou une partie en est-elle exportée pour être recyclée ailleurs ? Sur ce point, la Commission aimerait disposer de statistiques et de comparaisons avec les autres pays européens. Quels liens avez-vous noués avec les industriels français des métiers de la sidérurgie ou de l’aluminium ? Des exemples précis de sites industriels pourraient utilement nous éclairer.

Je vais d’abord vous donner la parole pour un exposé liminaire, puis les membres de la commission d’enquête, et d’abord son rapporteur, Alain Bocquet, vous poseront des questions afin d’engager la discussion. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Brac de la Perrière et de Los Llanos prêtent successivement serment.

M. Éric Brac de la Perrière, directeur général d’Eco-Emballages. J’ai rejoint Eco-Emballages en 2009, date à laquelle, comme vous le savez, l’entreprise a connu une crise de trésorerie qui a conduit à en modifier toute la gouvernance.

Au moment de la naissance d’Eco-Emballages, en 1992, bien peu nombreux étaient ceux qui parlaient d’écologie. Mais le législateur, avec l’État, les entreprises et les collectivités locales, a procédé à une innovation majeure : désormais, chaque consommateur – entreprise, association, État, individu – devait pouvoir ne pas polluer. En référence au principe pollueur-payeur adopté en 1972 par l’OCDE, la responsabilité élargie du producteur – REP – a été donnée en 1992 aux entreprises de la grande consommation : au lieu d’en passer par une taxe, locale ou nationale, on les a chargées d’instaurer un dispositif permettant à chaque consommateur de ne pas polluer. Seconde innovation : les entreprises se sont regroupées pour accomplir cette mission d’intérêt général et ont demandé aux collectivités locales, qui l’ont accepté, de se charger de séparer les déchets de ce qui est recyclable.

Ces choix ont permis de déployer le dispositif en vingt ans, sans la moindre contrainte, auprès de la quasi-totalité des Français. Le résultat est très satisfaisant : 67 % de l’ensemble des matériaux sont recyclés, à un coût juste pour le citoyen. L’internalisation de cette responsabilité par les entreprises a également entraîné une réduction à la source des emballages, de 20 % au cours de la période. En effet, les entreprises ne peuvent absolument pas se dédouaner par le paiement. Elles paient le point vert – au poids et à l’unité – pour pouvoir recycler leurs emballages, mais sont de ce fait incitées à en réduire le poids et la quantité, ce qui épargne les ressources naturelles et fait diminuer le nombre d’emballages dans les poubelles. Voilà le premier effet du dispositif que vous avez créé il y a vingt ans.

Il a eu pour second effet de placer les collectivités locales au fondement de l’économie circulaire en les chargeant de séparer ce qui est bon de ce qui est à jeter. Dans ce domaine, deux décisions très importantes ont été prises. Premièrement, le recyclage matière a la priorité sur la création d’énergie et sur l’enfouissement. Aujourd’hui, en France, sur cinq millions de tonnes de déchets, trois sont recyclées matière, un est mis en décharge – pour un coût faible - et un million est valorisé énergétiquement grâce à la récupération d’énergie. Nous souhaitons pour notre part la disparition de la mise en décharge, qui permettrait d’apporter un financement et un cadre légal au recyclage matière.

Deuxièmement, le choix a été fait d’un recyclage matière local. 80 % de l’acier recyclé grâce au geste de tri des consommateurs est recyclé à la maille française et près de 100 % à la maille européenne. Nous conservons nos déchets chez nous pour y créer des emplois et de l’activité économique, contrairement à des pays voisins – notamment la Belgique et l’Allemagne – qui ont choisi d’exporter dans des pays lointains certains de leurs déchets, notamment une partie des plastiques, et qui vont être mis en difficulté par la décision prise il y a quinze jours par la Chine de cesser l’importation de ce dernier type de déchets.

S’agissant de l’aluminium et de l’acier, Eco-Emballages finance le traitement de déchets qui iraient en décharge s’il ne le faisait pas. En effet, même si, par rapport à la production totale d’acier et d’aluminium, la part qui provient de la collecte sélective est relativement faible, il est important de la transformer sur place. En aval, les débouchés, qui donnent son sens au geste de tri des citoyens, doivent être locaux dans la mesure du possible.

Le tri atteint aujourd’hui un palier : il n’augmente plus assez pour atteindre nos objectifs. Pour relancer ce geste, nous avons investi 110 millions supplémentaires en 2011, mais nous devons également nous interroger – avec vous – sur les dispositifs incitatifs qu’il conviendrait d’instaurer.

Notre statut de société privée sans but lucratif signifie que nous ne réalisons aucun bénéfice et que nous ne redistribuons aucun dividende. Lorsque nous ne dépensons pas tout l’argent que nous percevons parce que nous n’avons pas à traiter autant de tonnes de déchets que prévu, nous constituons des provisions pour charges futures que nous reversons l’année suivante aux collectivités locales. Souvent critiquées, celles-ci se sont beaucoup mobilisées dans ce domaine. Les élus s’attachent à montrer que le tri engendre la propreté, le lien social, l’activité économique ; les collectivités mènent des actions de collecte et de tri auxquelles elles procèdent elles-mêmes, par un système de régie, ou dont elles chargent des opérateurs ; en outre, pour tout cela, elles ont accepté d’être payées au résultat et non aux moyens, de sorte que l’habitant sait exactement où il va.

L’histoire a été belle : nous avons créé 28 000 emplois directs, le taux de recyclage atteint 67 % et le tri est plébiscité par les Français qui y voient le premier geste environnemental, avant l’extinction de la lumière ou le fait de couper l’eau en se brossant les dents. Nous sommes parvenus, sans contrainte particulière, à fédérer des acteurs qui n’ont pas du tout la même culture. Les emballages ménagers ne représentent qu’1 % des déchets en France, mais ce sont les plus visibles et ceux dont le tri permet à chacun d’agir. S’il reste beaucoup à faire, notamment pour développer les débouchés et vis-à-vis des décharges, le bilan, au bout de vingt ans, est très satisfaisant.

M. Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage d’Eco-Emballages. J’apporterai quelques compléments relatifs à l’acier et à l’aluminium.

L’emballage est une utilisation minoritaire des métaux : les emballages ménagers en acier correspondent à une consommation annuelle de 280 000 tonnes alors que la consommation totale d’acier en France atteint 15 millions de tonnes ; pour l’aluminium, les chiffres sont respectivement de 60 000 tonnes et de plus d’un million de tonnes. Pour capter ce faible gisement, nous avons consenti un effort particulier. Nous recyclons des métaux qui, spontanément, ne seraient pas recyclés : les emballages sont les objets les plus petits, les plus dispersés, les plus difficiles à capter dans le flux des déchets. Sans le dispositif de financement institué par Eco-Emballages, les acteurs économiques les mettraient en décharge ou se tourneraient vers des filières de traitement moins chères que la collecte sélective.

Le taux de recyclage des emballages en acier est légèrement supérieur au taux global de 67 % ; celui de l’aluminium, métal difficile à capter étant donné la légèreté des emballages, est inférieur. Nous nous efforçons de le porter au maximum car le recyclage des métaux représente un gain environnemental attesté : malgré la faiblesse des quantités, on estime à quelque 500 000 le nombre de tonnes de CO2 dont le recyclage des emballages ménagers métalliques permet d’éviter l’émission chaque année.

Enfin, plus de 80 % des tonnages d’acier et d’aluminium issus des emballages ménagers sont recyclés en France, le reste l’étant en Europe. En vertu de l’agrément qui nous a été délivré et afin de faciliter le fonctionnement du marché, nous sommes tenus de garantir leur traçabilité jusqu’au recyclage final. En d’autres termes, le dispositif Eco-Emballages ne finance la collecte sélective que de tonnes dont nous savons parfaitement où elles sont recyclées ensuite. Chaque tonne dont nous finançons le recyclage fait ainsi l’objet d’un certificat de recyclage émis par les acteurs industriels concernés.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Même si c’est auprès des particuliers que vous agissez, ne pourriez-vous, par le truchement des collectivités locales et avec des partenaires, récupérer les tonnes de métaux dans les cimetières où ils dorment dans nos villes, ou auprès de la SNCF ? Outre l’enjeu environnemental, il s’agit d’une matière première dont nous avons besoin.

Par ailleurs, dans d’autres pays qui ont choisi de motiver les particuliers par des incitations financières, dont l’Allemagne, le taux de recyclage est beaucoup plus élevé qu’en France et les villes sont plus propres. Sans aller trop loin, ne pourrait-on faire de même pour récupérer davantage de métaux, plutôt que de les laisser voler sur les voies ferrées ?

M. Éric Brac de la Perrière. Sur ce dernier point, en vertu du principe pollueur-payeur, le consommateur doit payer, et il le fait dans la mesure où cette contribution est intégrée au coût facturé par les industriels. Actuellement, l’incitation efficace provient des élus et des collectivités, d’une part, et d’autre part des marques, qui poussent au recyclage. Cette forme d’incitation n’a pas de coût mais elle crée une valeur non marchande qui est essentielle à notre modèle. Pour rendre une ville plus propre, les élus ont intérêt à miser sur le tri sélectif car nos études montrent qu’une personne qui le pratique ne jette pas de papiers par terre.

Faut-il monétiser le geste de tri ? À mon sens, ce pari est risqué car l’on risque de déplacer des tonnes sans en créer de nouvelles. Si l’on en vient à payer les particuliers et les entreprises responsables pour un geste qu’ils devraient adopter spontanément, il nous faut en mesurer les conséquences. L’incitation, bienvenue si elle permet de créer de nouvelles tonnes, devrait être sociale plutôt que financière. Aux Pays-Bas, une collectivité locale a ainsi renoncé à prendre en charge la collecte sélective et le tri : elle les laisse entièrement aux habitants, auxquels elle redistribue par anticipation tout le produit de la revente des matériaux qu’ils lui rapportent, sous forme de points convertibles en places de cinéma, entrées à la piscine, etc. Il serait en revanche problématique que le secteur de la distribution, très actif dans ce domaine, tire profit de la monétisation pour faire du tri un outil de fidélisation commerciale. Le coût potentiel de la rémunération du tri est aujourd’hui estimé à trois à quatre milliards d’euros. Mieux vaut en appeler à la responsabilité de chacun, selon une méthode qui semble porter ses fruits.

M. Carlos de Los Llanos. En ce qui concerne votre première question, Monsieur le rapporteur, outre l’infime partie des gisements de métaux qui est recyclée, il en existe en effet d’autres, beaucoup plus importants et sans doute mal exploités. Mais le domaine d’intervention d’Éco-Emballages reste limité aux emballages ménagers du fait de l’agrément que nous avons reçu des pouvoirs publics. Toutefois, les efforts consentis en marge de ce dispositif par les collectivités et par les acteurs industriels exercent certainement un effet d’entraînement sur les autres gisements.

M. Éric Brac de la Perrière. Si les consignes de tri ne s’appliquent pas aux métaux qui échappent à notre responsabilité puisqu’ils ne viennent pas de la collecte sélective, la poubelle jaune peut toutefois être considérée comme une sorte d’aspirateur à matière. On pourrait dès lors envisager d’étendre notre périmètre d’intervention en tirant profit des dix millions de bacs déjà installés. Notre entreprise est ouverte aux initiatives, notamment celles des recycleurs.

M. Michel Liebgott. Malgré le bilan positif que vous dressez, on sait que vingt kilos de verre par an et par Français ne sont pas recyclés comme ils le devraient : nous pouvons mieux faire.

Dans la sidérurgie, c’est essentiellement la construction, l’automobile, le packaging qui sont concernés. Dans lesquels de ces domaines intervenez-vous ? On s’interroge souvent sur l’avenir des véhicules mis à la casse et dont on ne récupère pas l’acier. Certains estiment que nous manquons d’aciéries électriques. En somme, existe-t-il des marges de manœuvre dans le domaine qui intéresse notre commission ?

M. le président Jean Grellier. Qu’en est-il des apports volontaires de ferrailles ou d’aluminium dans les déchetteries ?

M. Carlos de Los Llanos. Je rappelle qu’en théorie notre responsabilité est limitée aux produits pour lesquels nous recevons des contributions des metteurs en marché. Toutefois, en pratique, il n’est pas toujours possible de savoir si un produit provient ou non d’un emballage, notamment pour les métaux. Nous prenons donc en charge les métaux récupérés par les collectivités locales auprès des citoyens : cela exclut les gros gisements dont il a été question, notamment ceux de la SNCF et tous ceux où l’on trouve des objets qui ne sont pas de consommation courante, mais inclut tout ce qui est rejeté par les citoyens dans le circuit municipal, en collecte sélective ou parfois en déchetterie si les particuliers y déposent des emballages.

M. Gaby Charroux. L’évacuation d’épaves de véhicules hors du domaine public représente une lourde charge pour les collectivités. Dans ma ville, qui compte moins de 50 000 habitants, plusieurs véhicules sont concernés chaque mois. En outre, les collectivités peuvent être chargées d’enlever les encombrants, parmi lesquels on trouve souvent des appareils électroménagers usagés. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne pourrait-elle pas servir d’incitation ?

M. Éric Brac de la Perrière. Depuis 1992 ont été créés une quinzaine de filières REP ou d’éco-organismes différents, dont nous ne sommes pas responsables puisque notre responsabilité ne va pas au-delà de celle des metteurs en marché : dans le domaine qui vous intéresse, elle se limite aux canettes, aux capsules, aux emballages ménagers en acier ou en aluminium. Cela étant, lorsqu’un élu ou une collectivité s’intéresse aux déchets ménagers, il ou elle étend généralement sa compétence aux autres filières REP – réfrigérateurs, meubles, textiles, chaussures – parce qu’il considère que la matière a de la valeur.

On a récemment parlé de créer un guichet unique qui traiterait toutes les questions environnementales : pourquoi pas, afin que l’élu n’ait pas trop d’interlocuteurs, mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’un guichet administratif qui priverait les entreprises contributrices de la connaissance du terrain, celle qui leur permet de savoir comment capter le plus de matière au meilleur coût. Le metteur en marché doit rester responsable : il doit aider chaque citoyen à ne pas polluer. Je suis convaincu que les REP doivent se rapprocher des territoires, en partenariat avec les collectivités locales : ensemble, l’univers économique de la production, le monde du recyclage et l’élu responsable pourront créer plus de valeur au service de l’intérêt collectif, celui du consommateur et de l’habitant. Un dispositif uniquement financier ne doit pas se substituer au régime de responsabilité pleine et entière.

M. le président Jean Grellier. En effet, le champ de notre commission excède le domaine de compétence d’Eco-Emballages. Je retiens l’importance de l’organisation des filières REP en matière de collecte et de recyclage des différents matériaux liés à la sidérurgie.

M. Éric Brac de la Perrière. S’il existe des tonnes d’acier ou d’aluminium non récupérées, il paraît opportun de déterminer leur provenance et d’en appeler à la responsabilité des producteurs. C’est très facile ; c’est ce que nous avons fait pour les déchets ménagers.

M. le président Jean Grellier. Merci, Messieurs.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 10 avril 2013 à 11 heures

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Gaby Charroux, M. Jean-Pierre Decool, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Denis Jacquat, M. Christophe Léonard, M. Michel Liebgott, M. Patrice Prat, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Alain Marty