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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 10 avril 2013

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), président de la branche « métaux ferreux », Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux » et M. Igor Bilimoff, directeur général.

La séance est ouverte à onze heures cinquante.

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons plusieurs responsables de la Fédération de la récupération, du recyclage et de la valorisation (FEDEREC). Cette organisation professionnelle créée en 1945 regroupe différents métiers, dont des activités méconnues du public mais qui représentent des enjeux considérables, qu’ils soient économiques, donc financiers, ou environnementaux. Elle rassemble des recycleurs qui achètent notamment des métaux pour les revendre après valorisation.

MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de FEDEREC et président de sa branche des métaux ferreux, Patrick Kornberg, président de la branche des métaux non ferreux et Igor Bilimoff, directeur général, nous présenteront, statistiques à l’appui, le chiffre d’affaires et les emplois que leurs activités génèrent, ainsi que la manière dont elles s’intègrent aux filières industrielles de la sidérurgie et de la métallurgie.

Pourriez-vous nous préciser, Messieurs, le type de relations que vous entretenez avec les industriels que vous approvisionnez ? Nos industriels sont-ils équipés pour traiter dans leurs usines le gisement de matières premières secondaires constitué par les ferrailles de récupération ? En d’autres termes, certaines ferrailles partent-elles à l’exportation, parfois lointaine, pour revenir sous la forme de nouveaux produits ? Par ailleurs, d’autres pays développés, notamment européens, sont-ils plus performants que le nôtre en matière de retraitement ? Cette question appelle quelques précisions sur les prestations existant en France dans le cadre du fret ferroviaire, et qui sont indispensables pour alimenter les usines.

À la suite du bref exposé liminaire qui vous permettra de nous présenter vos activités, notre rapporteur, Alain Bocquet, et les autres membres de la Commission d’enquête vous poseront des questions. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Bilimoff, Gaudin et Kornberg prêtent successivement serment.

M. Igor Bilimoff, directeur général de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC). La France, en difficulté, cherche à se réindustrialiser, elle peine à s’approvisionner en matières premières et doit à tout prix sécuriser ses approvisionnements ; le ministère de l’industrie a donc souhaité fédérer des syndicats de la récupération de tous matériaux. Nous ne sommes pas en 2013, mais en 1945. Et voilà qu’aujourd’hui l’histoire se répète. La récupération est devenue recyclage, mais le métier reste le même : extraire d’un déchet par définition très hétérogène la matière première afin de la vendre à une industrie de transformation – la sidérurgie, mais aussi l’industrie papetière, du bois, du plastique ou du verre. Cette énumération vous donne une idée de la constitution actuelle de FEDEREC : nous comptons onze branches techniques organisées par matériau, nos métiers consistant précisément à produire cette matière première et à la vendre, puisqu’elle possède une forte valeur économique, notamment à l’export. Cela nous distingue des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), qui sont davantage fondées sur le déchet entrant : pour notre part, nous pouvons produire une matière à partir d’une multitude de déchets, donc d’une multitude de REP.

FEDEREC réunit 1 300 entreprises adhérentes. Le secteur engrange un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros – en légère diminution en 2012 –, largement dépendant de la valeur de revente des marchandises, à laquelle il convient d’ajouter la prestation de service. Le secteur emploie 33 400 salariés qui occupent des postes de tous niveaux de qualification : aux métiers de faible niveau de qualification et d’insertion auquel le secteur était traditionnellement identifié s’ajoutent, de plus en plus, des métiers qualifiés, de haute technologie, nos entreprises ont su négocier le tournant de la professionnalisation et de l’industrialisation. Le secteur connaît une croissance d’autant plus marquée qu’il touche aux grands enjeux de l’avenir de l’humanité – eau, agro-alimentaire, ressources en matières premières. La France peut s’enorgueillir de produire 44 millions de tonnes de matières premières recyclées qui sont vendues sur le territoire national, à nos voisins européens et parfois à la grande exportation. Cette croissance s’accompagne d’une croissance de l’emploi, la diversité des emplois que nous offrons nous permettant d’absorber peu à peu des secteurs industriels déclinants grâce à la proximité entre nos cultures.

M. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la FEDEREC, président de la branche « métaux ferreux ». Les branches « métaux non ferreux » et « métaux ferreux » de FEDEREC réunissent plus de 700 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros pour la ferraille et 5 milliards pour les métaux non ferreux. Les ferrailles proviennent à 25 % – en tonnage – des véhicules hors d’usage, à 25 % de démolitions d’usines, de démolitions ferroviaires, des préparatifs de réinvestissement dans les usines, à 25 % de chutes neuves issues de l’industrie de transformation – emboutissage, tournure –, le dernier quart résultant de collectes diverses issues de déchetteries et d’achats au détail auprès de particuliers.

Ces ferrailles, nous les préparons sur nos chantiers grâce à des installations de broyage, pour 30 à 35 % d’entre elles, le reste étant traité par chalumage ou cisaillage, sauf les chutes neuves qui sont déjà, par définition, consommables en l’état par la sidérurgie ou par la fonderie. Nous récupérons 16 millions de tonnes de ferraille par an en France. Nos clients sont à 90 % des sidérurgistes équipés de fours électriques – qui constituent, avec les hauts fourneaux, l’un des deux moyens de fabriquer de l’acier. La part restante va en fonderie et dans les hauts fourneaux, puis notamment dans les convertisseurs. La sidérurgie française absorbe 8 à 9 de ces 16 millions de tonnes auxquelles s’ajoute la consommation des fonderies, le reste étant exporté vers l’Union européenne, essentiellement dans les pays limitrophes que sont la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, et, pour un million de tonnes, hors de l’union économique, vers la Suisse, le Maroc et, surtout, la Turquie. Une très petite quantité est exportée vers la Chine et quelques tonnages partent vers le Pakistan et l’Inde par conteneur.

Ce sont nos clients – les sidérurgistes – qui fixent les prix en fonction de la situation sur le marché international de la ferraille, en général tous les mois. Nous vendons en France à des sidérurgistes qui ne sont pas nécessairement français, en particulier à Mittal. Nous sommes une véritable filière industrielle, qui travaille sans subvention ; dans notre secteur, nous produisons de la richesse et créons des emplois. 80 % des déchets issus des activités économiques constituent notre gisement, si bien que, lorsque leurs affaires vont mal, cela impacte directement nos entreprises.

M. Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux ». Les métaux non ferreux sont le cuivre, l’aluminium, le zinc, le plomb, l’étain et le nickel. Nous travaillons également sur leurs alliages : le laiton issu du cuivre et du zinc, le bronze issu du cuivre et de l’étain, etc.

Le gisement diffère légèrement de celui de la ferraille : ici, une partie des chutes neuves de production est déjà récupérée par le producteur lui-même. S’il s’agit bien de produits recyclés, ils ne passent pas par nos sites. Nous estimons à 15 % les chutes neuves de production qui sont traitées par le monde du recyclage, pour des raisons de proximité et parce que les conditions commerciales peuvent être plus avantageuse. 15 % proviennent de déconstructions, notamment de démolitions industrielles ou d’immeubles. L’essentiel de notre gisement provient donc de petites et moyennes entreprises, de particuliers et de collectes diverses.

Le traitement des métaux non ferreux inclut le tri, la séparation et/ou le broyage. Au cours des quinze dernières années, afin d’optimiser le recyclage et le service fourni aux clients, nous avons développé, grâce à notre investissement dans la recherche et développement, des outils technico-industriels très performants.

Deux millions de tonnes de matières premières recyclées de métaux non ferreux ont été produites en 2012 en France. L’essentiel des métaux non ferreux traités est constitué d’aluminium, qui a connu une forte expansion – de plus d’un tiers – au cours des vingt-cinq dernières années, du fait de sa part croissante dans les fabrications automobiles et de ses nouvelles applications. Le chiffre d’affaires issu du recyclage de ces métaux s’élève à 5,25 milliards d’euros.

Nos clients sont majoritairement des affineurs, qui retransforment le produit en cathodes dans le cas du cuivre, et, dans le cas de l’aluminium, en lingots – essentiellement destinés à l’industrie et aux fondeurs automobiles, puis aux extrudeurs et aux lamineurs. La consommation française totale – donc non limitée aux produits issus du recyclage – est d’environ 1,5 million de tonnes. Depuis quinze ans, de nombreuses usines de métallurgie ont fermé, notamment en France, mais 85 % des volumes que nous traitons sont consommés en France et dans les pays européens : la Belgique et l’Allemagne pour le cuivre, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne pour l’aluminium. Le domaine a connu une forte concentration : ainsi, le secteur du cuivre est désormais dominé par une grosse société qui est le deuxième producteur mondial.

Depuis 2011, la loi oblige à payer par chèque, et non plus en espèces, lorsque l’on achète des métaux au détail. Le but était de lutter contre le vol des métaux, mais, en réalité, la vente au détail intéresse essentiellement des particuliers ou de petits entrepreneurs, par exemple un plombier qui change la toiture en zinc d’une maison et revend le matériau ainsi récupéré à un recycleur. Cette loi étant uniquement française, et non européenne, les régions limitrophes que sont la Belgique et l’Allemagne ou encore l’Espagne reçoivent directement les métaux, ce qui engendre pour nous une perte de volume de 30 à 60 % susceptible de générer une perte de 20 % des emplois et de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le volume produit, déjà réduit sur le marché par les difficultés actuelles, part à l’exportation, vers la Belgique, l’Espagne et surtout l’Allemagne. Nous prenons acte de cette loi puisqu’elle a été votée. Mais le problème se pose des sites illégaux et des trafics associés est de plus en plus important car se sont vers ces chantiers clandestins que partent également les métaux.. Toutefois, nous restons optimistes, parce que nous faisons en sorte d’optimiser les matières que nous produisons en allant chercher, loin si nécessaire, de nouveaux gisements, notamment de canettes ou de trains même si ces derniers posent le problème du désamiantage. « Max et les Ferrailleurs » c’est fini ! Nous sommes aujourd’hui une véritable filière industrielle.

M. Igor Bilimoff. Je conclurai cette présentation en précisant les liens que nous entretenons avec la sidérurgie et le sens de l’économie circulaire.

L’économie circulaire repose sur deux notions : la proximité – le cercle est au plus près de la source – et la circulation de matière, le déchet devenu inutile revenant à l’état de matière première. Nos métiers correspondent à ces deux dimensions : il s’agit de ramener un déchet dans un cycle économique et de le ramener à l’état de matière, en France, au plus proche ou au plus loin.

Le principe de proximité correspond à l’évolution spontanée de nos métiers. À l’origine, la récupération s’est organisée près des usines. Mais, peu à peu, celles-ci ont eu de plus en plus besoin de pratiquer l’échange de matières, jusqu’à entrer dans un véritable marché mondial, 100 millions de tonnes de ferraille ont été échangées dans le monde l’année dernière pour une consommation mondiale de 580 millions de tonnes. Nous avons donc dû nous adapter à la demande de standardisation des industriels et travailler à la reconnaissance de la qualité des matières et à la normalisation. 80 % de nos ventes sont réalisées en France, de sorte que le principe de proximité est respecté. En revanche, pour tous les matériaux, notre production est excédentaire par rapport à la capacité d’absorption française. Même si l’on réimplantait des usines sur le territoire, notre rythme de croissance et notre capacité à puiser dans de nouveaux gisements, notamment dans le secteur des bâtiments et travaux publics, sont tels que notre croissance va plus vite que celle de l’industrie manufacturière en France et même en Europe, qui est aussi excédentaire en matière première recyclée. Si l’exportation n’est pas un phénomène recherché ni majoritaire dans notre secteur, la vente de matières premières recyclées peut permettre de capter une partie de la croissance d’autres pays pour en faire bénéficier le territoire national en créant des emplois non délocalisables et en dynamisant l’activité économique.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Pourriez-vous nous citer des exemples réussis de valorisation des métaux ferreux et non ferreux dans des entreprises françaises ?

La cotation est-elle mondiale ? Européenne ? Quelles sont ses fluctuations et leurs effets sur votre activité ?

Les exportations, dont le niveau reste élevé, acheminent les matériaux vers la Turquie où ils sont transformés par des ronds à béton avant de revenir chez nous. Comment construire des filières plus complètes ?

Comment suggérez-vous d’aménager la loi visant à lutter contre le trafic afin d’éviter le problème qui se pose dans les zones frontalières et que, élu du Nord, je connais bien ?

M. Gaby Charroux. Pourquoi ne pas mieux nous protéger de cette évasion de matériaux par la réglementation européenne ? Dans les Bouches-du-Rhône, le vol de cuivre est un sport au moins départemental !

Pouvez-vous nous en dire plus sur les filières aval ?

M. Michel Liebgott. Quelles sont vos relations avec les grands sidérurgistes européens, dont ArcelorMittal ? Est-il plus facile de travailler avec eux ou avec les sidérurgistes de niche implantés dans d’autres pays ?

Y a-t-il assez d’aciéries électriques en France ? À Gandrange, un syndicat projette d’en ouvrir une avec le concours de la région Lorraine.

M. Igor Bilimoff. Pour répondre à la question sur les vols et l’évasion de certains matériaux, il convient de dissocier la question de l’achat au détail du problème de l’exportation, de la fuite ou du trafic illicite de déchets. En effet, un changement de réglementation ne décourage pas les voleurs. Il était peut-être bienvenu d’interdire les achats en espèces au nom de la traçabilité ou encore de la professionnalisation, mais ce n’était pas le meilleur moyen de lutter contre le vol de métaux, qui s’explique par l’augmentation exponentielle de leur valeur au cours des dernières années. L’évolution des vols suit plutôt celle des prix que celle de la législation. En revanche, celle-ci a entraîné de nombreux effets collatéraux. De fait, le paiement en espèces l’emporte en Allemagne, pour des raisons historiques, alors que la Belgique a tenté d’instaurer une réglementation avant d’y renoncer puis d’y revenir, l’Angleterre suivant une évolution similaire à la nôtre. Nous demandons donc à la représentation nationale de nous aider, d’aider la France à défendre l’harmonisation au niveau européen. Car cette réglementation, que nos adhérents souhaitaient et à laquelle ils se plient désormais volontiers, doit s’appliquer à tous.

Il ne saurait exister de réglementation sans contrôle. Le problème n’est pas la réglementation en elle-même mais le manque d’opérations coup de poing visant à s’assurer de sa bonne application. Tous les professionnels de la chaîne, au-delà même de FEDEREC, le disent : nous avons besoin de mieux lutter contre les trafics et contre l’implantation de sites illégaux. Nous nous sommes efforcés de transmettre cette demande aux pouvoirs publics et d’inciter à une coordination interministérielle sur le sujet, car c’est en réinjectant dans l’économie réelle les volumes dont nos activités ont été privées que nous pourrons recréer des emplois et de retrouver de la valeur ajoutée sur notre territoire.

Nous parlons d’évasion non de matières premières recyclées mais de déchets. La distinction n’est pas seulement sémantique : s’agissant des matières premières recyclées, il n’est plus question d’évasion, mais, quoi que l’on pense de ce choix, d’exportation. Ce que nous refusons, c’est qu’un véhicule hors d’usage à peine dépollué soit compacté et envoyé à l’étranger pour y être démantelé. Un véhicule ne se compose pas seulement d’acier mais aussi de mousses, de plastiques, de verre, etc. qui doivent être séparés sur notre territoire car cette matière constitue la ressource stratégique que nous déciderons d’employer à tel ou tel usage, en France, et ailleurs si nous trouvons d’autres débouchés. La convention de Bâle qui régit très précisément les transferts transfrontaliers de déchets – au sens juridique du terme, est globalement bien appliquée ; les anomalies dont font état les récents rapports de la Commission européenne sont à 95 % documentaires et ne correspondent que dans à peine 2 % des cas à un trafic constaté. En revanche, nous devons livrer une lutte impitoyable, avec les douanes, contre les trafics de déchets au sens courant du terme.

M. Jean-Pierre Gaudin. En ce qui concerne les aciéries électriques, la France est exportateur net de ferraille, pour environ 5 millions de tonnes par an, de même que l’Union européenne, pour 15 à 16 millions. En 2007, le marché européen de l’acier produisait 210 millions de tonnes d’acier, contre seulement 169 en 2012. Ce déclin s’explique par la chute de la demande : au cours de la même période, la production d’acier a baissé de 20 % tandis que la demande européenne perdait 25 %. Nous sommes favorables à la création de toute usine susceptible de nous offrir des possibilités de vente en aval, mais nous devons tenir compte de l’état du marché et de son évolution prévisible.

M. Igor Bilimoff. Et cette question nous dépasse largement.

M. Patrick Kornberg. Pour répondre à la question de M. Alain Bocquet sur le système de cotation, à la différence de ce qui se pratique dans la sidérurgie, les métaux non ferreux sont cotés quotidiennement, par référence à la cotation des matières premières du London Metal Exchange (LME) sur laquelle se fondent nos clients. Ainsi, pour coter les tubes de cuivre, qui sont des tubes plombiers composés à 97 % de cuivre – l’avantage des métaux non ferreux comme de la ferraille étant leur proportion très élevée de matière recyclable –, le LME, assorti d’une décote, est multiplié par 97 %. De même, l’aluminium est coté tous les jours en fonction de l’offre et de la demande et du prix de vente des lingots. Le seul problème est l’arbitrage. Par exemple, la tonne de cuivre, qui valait 5 850 euros en valeur LME il y a trois jours, est aujourd’hui tombée à 5 750 : un acheteur qui aurait acquis 10 tonnes a perdu 1 000 euros s’il ne les a pas arbitrées.

Au sujet des entreprises et usines implantées en France, je citerai l’exemple de Tréfimétaux, qui ne possède plus aujourd’hui que deux usines sur notre territoire – contre dix au temps de sa prospérité – produisant l’une des tubes de cuivre, l’autre des barres de laiton destinées à la robinetterie, et qui appartient désormais à un groupe italien. Dans le domaine de l’affinage de l’aluminium, de nombreuses entreprises ont disparu au profit de sociétés allemandes ou italiennes qui existaient déjà et qui se sont progressivement développées.

En ce qui concerne le vol, nous travaillons avec l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante, l’OCLDI, et je fais partie de Pol-PRIMETT, organisation européenne de lutte contre le vol de métaux auquel s’associent les polices européennes. Il suffit de couper deux câbles de cuivre de la SNCF pour provoquer des dommages collatéraux considérables, outre la perte qui découle de la valeur des métaux volés. Au cours des dernières années, du fait de la nouvelle législation, de véritables bandes organisées se sont constituées et l’on pourrait parler de crime organisé en France et en Europe.

M. Igor Bilimoff. S’agissant de la valorisation, notre production de matières premières n’a rien à envier aux ressources naturelles ; elle leur est même supérieure puisque nous parvenons à des taux de pureté de 98 %, conformément aux normes techniques définies à Séville et qui encadrent la « sortie du statut de déchet » régie par une directive européenne. Ce taux est prévu pour la ferraille – sachant que sont considérés comme impurs des contaminants comme le cuivre, qui ne sont pas polluants comme on l’entend communément. Nous appliquons donc des critères draconiens correspondant aux prescriptions techniques, de plus en plus poussées, des consommateurs de matière.

Fait notable, la production de matières premières recyclées de métaux, que l’on devait à l’origine très majoritairement à des PME voire à des TPE familiales, est aujourd’hui presque également répartie entre PME et grands groupes, du fait du développement au cours des dernières années d’entreprises comme Derichebourg ou Guy Dauphin Environnement, ainsi que Sita et Veolia et Paprec – qui ont procédé par rachat de sociétés du secteur. S’y ajoute le groupe franco-flamand Galloo, entreprise frontalière de taille notable, ainsi que de grosses sociétés régionales. Nous espérons voir apparaître des entreprises de taille intermédiaire qui se seraient constituées par assemblage de PME, sur le modèle d’Epur ou de SLG.

Un autre aspect qui nous importe concerne les relations entre acteurs. Nous y travaillons au sein du Comité stratégique de filières éco-industries, le COSEI, qui permet d’identifier les points de blocage majeurs en matière d’économie circulaire de proximité. Il s’agit essentiellement de l’approvisionnement, de l’assurance-crédit et de la solvabilité de nos clients, outre le respect du contrat – qui ne va pas de soi lorsque les prix chutent de 40 % en moins d’un mois, comme en 2008-2009 ! Nous cherchons actuellement des solutions innovantes pour remédier à l’insuffisance des assurances crédits.

M. Jean-Pierre Gaudin. En réponse à M. Michel Liebgott, nos relations avec les grands groupes sidérurgiques, quelle que soit leur taille, sont équilibrées, abstraction faite de la profonde dépression de 2008-2009. Ce sont eux qui fixent les prix, sur le marché international puis européen, après quoi nous adaptons notre prix d’achat au prix auquel nous pouvons vendre, en tenant compte de nos frais. Le problème est la solvabilité de nos clients, mise à mal par la SFAC Euler et par la COFACE, chargées de la couverture en France ou à l’export. La réduction atteint 50 %, voire davantage dans certaines usines. Cela dénote une certaine méfiance vis-à-vis de nos partenaires sidérurgistes, y compris les plus gros, dont ArcelorMittal et les grands groupes allemands et italiens. Dans ce dernier cas, cette méfiance pourrait s’expliquer par la gêne que la fermeture du site de Tarente pour raisons environnementales a causée au groupe Riva.

M. Patrick Kornberg. S’agissant de la grande exportation, la petite part de métaux non ferreux exportée vers la Chine ou l’Inde est destinée à des produits manufacturiers qui y seront mieux travaillés de manière bien précise ; mais, pour le reste, nous compensons largement cette manufacture par nos outils industriels.

J’ajoute qu’à la suite d’une table ronde organisée par le ministre du redressement productif, je vais présider à partir de la semaine prochaine un groupe de travail consacré à l’optimisation de la filière aluminium en France.

M. le président Jean Grellier. Existe-t-il encore un potentiel de développement, notamment dans la déconstruction de véhicules automobiles ?

M. Igor Bilimoff. Oui. Pour nous, l’enjeu majeur est la captation du gisement, qui dépendait jusqu’à présent de la valeur des produits puisque, je l’ai dit, nous ne bénéficions d’aucune subvention. En d’autres termes, nos activités sont payées par la valeur de revente des matières premières recyclées. Comment mobiliser de nouveaux gisements ? Au secteur du BTP, qui en fournit beaucoup, s’ajoutent les filières de démantèlement de matériel usagé issu des avions, du ferroviaire ou des bateaux. Dans le cas d’un prescripteur unique – la SNCF, Air France, d’autres compagnies aériennes –, il peut être paradoxalement difficile de mobiliser le gisement de manière structurée. Cela étant, fort heureusement, de nombreuses entreprises en France pratiquent déjà le recyclage des ferrailles et du matériel roulant ; certaines d’entre elles se sont même spécialisées. Notre pays est le champion d’Europe du désamiantage, lequel précède au recyclage du matériel ferroviaire. Bartin, par exemple, a été l’un des premiers à se spécialiser dans le démantèlement des avions.

Pour être stimulées, ces filières auraient besoin de politiques de vente plus lisibles, puisqu’il s’agit ici de déchets de valeur, négociés par ceux qui les produisent. Les constructeurs automobiles en usent ainsi avec leurs chutes de production. Bref, cela se pratique déjà, de manière tout à fait spontanée ; mais l’on peut certainement faire plus à condition de mobiliser tous les acteurs, et notamment les producteurs des futurs déchets.

Enfin, un problème juridique se pose. Le déchet étant défini comme ce qui est abandonné ou en voie d’abandon, à quel moment un avion va-t-il devenir déchet ? Est-ce en France parce qu’il est sur le territoire français, aux États-Unis parce qu’il y aura atterri ? N’est-ce pas à cause de ce problème que nous, Français, avons souvent laissé fuir nos bateaux en fin de vie – dont celui, particulièrement emblématique, qui fut acheminé vers l’Angleterre – au lieu d’utiliser notre savoir-faire industriel pour les démanteler sur notre territoire ? Ici, le prix n’est pas le seul enjeu : s’y ajoutent le savoir-faire et la préoccupation environnementale.

Rappelons à ce sujet, pour conclure, que nos entreprises adhérentes, toutes installations classées pour la protection de l’environnement, ont beaucoup investi dans ce domaine et s’y montrent exemplaires.

M. le président Jean Grellier. Merci, Messieurs.

La séance est levée à douze heures quarante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 10 avril 2013 à 11 h 45

Présents. - M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Gaby Charroux, M. Jean-Pierre Decool, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Christophe Léonard, M. Michel Liebgott, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Denis Jacquat, M. Alain Marty