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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 6 juillet 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 93

Présidence de M. Gilles Carrez, Président
puis de
M. Dominique Lefebvre,
Vice-président

–  Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la carte des syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM, SMF) : une rationalisation à poursuivre

–  Examen du rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur la gestion et la transparence de la dette publique (MM. Jean-Claude Buisine, Jean-Pierre Gorges et Nicolas Sansu, rapporteurs)

–  Présences en réunion

La commission entend M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la carte des syndicats intercommunaux (SIVU, SIVOM, SMF) : une rationalisation à poursuivre.

M. le président Gilles Carrez. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, qui est accompagné de Mme Brigitte Beaucourt, présidente de section de chambre régionale des comptes, et de M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître.

L’audition porte sur le rapport d’enquête que la Cour des comptes a réalisé en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur les syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU), les syndicats intercommunaux à vocation multiple (SIVOM) et les syndicats mixtes fermés (SMF). Ce rapport s’intitule « Une rationalisation à poursuivre » et atteste qu’une évolution est en marche, même si elle est lente. Il a été rédigé sur proposition de notre rapporteure spéciale, Christine Pires Beaune, et porte sur un sujet essentiel. Il a été commandé à la fin 2014 en même temps que deux autres rapports d’enquête dont nous avons déjà été saisis, sur les contributions internationales de la France entre 2007 et 2014, et sur le bilan d’étape du transfert de services de l’INSEE à Metz.

Je saisis cette occasion pour vous rappeler que fin 2015, nous avons demandé quatre nouvelles enquêtes à la Cour sur les sujets suivants : la tutelle des majeurs, la prise en compte – un thème qui m’est particulièrement cher – de la dépense locale et de son efficacité dans la répartition des concours de l’État aux collectivités territoriales et dans les critères de péréquation, les moyens des services de police technique et scientifique et leur coordination et, enfin, l’efficacité de la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans la collecte des impôts. Les rapports correspondants nous seront remis entre septembre 2016 et janvier 2017.

Plus généralement, notre commission entretient avec la Cour des comptes, dont nous recevons très souvent des représentants, des relations suivies et très efficaces.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Cette enquête a commencé au début de 2015, les termes en ayant été définis en février 2015 lors d’une rencontre avec vous-même, monsieur le président, ainsi qu’avec Mme Pires Beaune.

Un mot sur la méthode : nous avons travaillé tout à la fois à partir de données nationales et d’un échantillon de trente départements appartenant à dix régions – échantillon que nous avons souhaité représentatif pour examiner les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) – ainsi qu’un échantillon de 330 syndicats. Le rapport dont vous êtes saisis comporte deux volumes : le premier contient le rapport de synthèse stricto sensu, et le second comporte des annexes contenant trente monographies départementales concernant les trente départements étudiés.

Sur ce sujet qui est loin d’être simple, je diviserai mon intervention en trois parties. Nous avons d’abord dressé un état des lieux du paysage syndical qui, au début de 2016, se caractérise par un nombre encore important de syndicats. Ensuite, nous avons tâché de comprendre pourquoi la politique de simplification du paysage intercommunal menée depuis l’entrée en vigueur de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 a rencontré des difficultés, et lesquelles. Enfin, nous avons voulu constater les premiers effets immédiats et différés de la loi NOTRe, que vous avez adoptée en août 2015 et qui comporte des dispositions précises sur les nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) et sur les syndicats, et ce à quoi l’on peut s’attendre en matière de simplification.

Premier constat : le nombre de syndicats demeure important. Au 1er janvier 2016, c’est-à-dire avant la vague de simplification actuelle, il y avait encore un peu moins de 8 000 SIVU, environ 1 150 SIVOM et 2 000 SMF – étant entendu que nous n’avons pas abordé la question des syndicats mixtes ouverts mais seulement celle des syndicats mixtes fermés, en cohérence avec l’approche intercommunale de l’enquête. Nombreux sont les syndicats de petite ou de très petite taille, qui sont à l’image de l’émiettement communal ; c’est particulièrement le cas des SIVU. La diversité des syndicats correspond davantage à l’histoire des départements qu’à leurs caractéristiques démographiques. Ainsi, il serait tout à fait erroné de prétendre qu’il existe un grand nombre de syndicats dans les zones rurales, tandis qu’ils sont moins nombreux dans les zones urbaines : les choses ne sont pas si simples. Nous avons dressé une carte qui montre les écarts de densité du nombre de syndicats par département. Hormis quelques exceptions en Aquitaine, c’est surtout dans un grand quart nord et est du territoire que se trouvent les plus fortes densités de syndicats.

Le nombre de syndicats a très lentement diminué entre l’entrée en vigueur de la loi dite « Chevènement » sur la coopération intercommunale de 1999 et la fin des années 2000, puis cette baisse s’est accélérée. Il existait encore 18 000 SIVU et SIVOM en 1995, contre 9 000 seulement en 2015. Paradoxalement, l’accélération de la baisse du nombre de syndicats n’a pas été un effet immédiat de la loi de 2010, mais plutôt différé : c’est en 2013 et 2014 que ce mouvement de suppression s’est opéré.

Notons qu’en dépit de la forte baisse du nombre de syndicats, environ 150 nouveaux syndicats ont été créés. Si la création de SMF n’a rien d’étonnant, il s’est tout de même créé 63 SIVU et 8 SIVOM entre janvier 2015 et avril 2016, et ce non pas seulement dans le domaine scolaire. Dans le même temps, le nombre de communautés de communes et d’agglomération s’est réduit : il en restait 2 000 au début de 2016, avant que les nouveaux schémas ne produisent leur effet.

Les compétences de ces syndicats couvrent principalement l’eau, l’assainissement et les activités scolaires – regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), activités périscolaires ou transports scolaires.

J’en viens à l’enjeu financier, qui n’est certes pas négligeable, mais qui reste modéré : en comptabilité nationale, l’ensemble des syndicats représentent un poids financier de l’ordre de 10 milliards d’euros. Cela étant, toutes les dépenses engagées ne se trouvent pas dans les comptes des syndicats, en particulier ceux qui gèrent des services publics industriels et commerciaux, puisque les coûts de fonctionnement et de personnel des services liés à l’eau ou à l’assainissement, par exemple, relèvent de délégations de service public. Autrement dit, le poids financier que j’évoquais est celui qui apparaît dans les comptes publics, à quoi il faut ajouter celui des délégations de service public.

À votre demande, nous avons examiné le coût de fonctionnement des syndicats : les dépenses de rémunération sont de l’ordre de 1,5 milliard d’euros. Quant aux indemnités des élus, elles représentent 80 millions d’euros, soit 0,8 % des recettes de fonctionnement des syndicats.

L’effort d’investissement des syndicats de métropole n’est pas négligeable : il s’élève à 3,5 milliards, contre 17 milliards pour les communes et 5 milliards pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Au total, l’état des lieux dressé avant que la loi NOTRe ait porté ses fruits révèle une organisation départementale encore foisonnante. Les structures syndicales continuent de se surajouter à la densité persistante de la carte communale et de celle, en voie de transformation, des EPCI à fiscalité propre.

Comment expliquer les difficultés qui entravent la politique de simplification voulue par le législateur en 2010 par la loi portant réforme des collectivités territoriales ? Le rapport rappelle dans un premier temps les différents leviers que ladite loi mettait à la disposition des préfets, notamment le schéma de coopération intercommunale, qui a un caractère prescriptif, ainsi que les pouvoirs renforcés accordés aux préfets pour une durée limitée ou encore les dispositions explicites permettant la fusion de syndicats et les moyens alloués pour encourager les dissolutions. Un premier mouvement avait également été engagé pour favoriser les compétences obligatoires et optionnelles des communautés de communes et d’agglomération, que la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi NOTRe ont prolongé.

Nous avons dressé le bilan des schémas de 2011 et celui des schémas de 2015 et 2016. À l’évidence, pour des raisons que l’on peut comprendre, les préfets et les élus ont donné la priorité à l’achèvement de la carte de l’intercommunalité à fiscalité propre afin de couvrir le territoire. La simplification de la carte syndicale, même si elle a directement découlé de ce mouvement, a naturellement constitué une sorte de variable d’ajustement lors de la négociation des nouveaux schémas. En fin de compte, les préfets n’ont que rarement recouru aux pouvoirs renforcés, notamment le pouvoir de passer outre l’opposition des communes concernées.

La photographie de la situation en 2015 – qui, heureusement, est vouée à évoluer et dont je rappelle qu’elle date d’avant la loi NOTRe – révèle un certain nombre de cas insatisfaisants. Il restait encore de nombreux exemples de doublons et surtout de chevauchements de périmètres et de compétences, d’où l’empilement de structures de nature diverse sur un même territoire. Cela s’explique tout à la fois par la non-coïncidence des cartes et par la non-reprise des compétences par l’EPCI à fiscalité propre, en raison notamment d’un découpage parfois artificiel découlant de la définition de l’intérêt communautaire. Il restait aussi un certain nombre de bizarreries : ainsi, 315 syndicats géraient encore des lycées et des collèges et se survivent à eux-mêmes, alors qu’ils auraient dû disparaître depuis une trentaine d’années. De même, il existait 412 syndicats « dormants » dont le compte est neutre – et je laisse de côté les syndicats dont l’activité est faible. Le secteur d’Auffray illustre parmi mille autres exemples la superposition des différents périmètres institutionnels. Les monographies figurant dans les annexes du rapport présentent d’autres exemples cartographiés.

Pourquoi un tel enchevêtrement persiste-t-il ? Pour des raisons que chacun connaît bien dans le domaine de l’eau et de l’assainissement : elles sont liées aux problématiques de bassins-versants, mais aussi à l’hétérogénéité des équipements et des modes de gestion sur un même territoire, où les tarifs et les délais d’échéance des contrats peuvent varier, ce qui n’interdit certes pas l’unification de la gestion d’un service sur un large territoire, mais qui la complique grandement. Il existe aussi de nombreux syndicats à vocation scolaire, qui ont connu un nouveau développement suite à l’adoption de la loi du 29 février 2012 visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.

À ces difficultés inhérentes aux compétences des syndicats s’ajoutent trois grandes catégories de difficultés transversales : le poids de l’histoire et du contexte politique, des obstacles juridiques et des obstacles financiers ou comptables.

La Cour des comptes n’est pas la mieux placée pour juger du poids de l’histoire et du contexte politique, mais il est indéniable que les territoires se caractérisent par des réalités vivantes qui expliquent qu’il soit par exemple très difficile de mener à bien la rationalisation et le mouvement de fusion des communautés et des syndicats dans le sud.

Les obstacles juridiques tiennent d’abord au caractère restrictif – auquel la loi NOTRe a largement remédié – de la définition de l’intérêt communautaire de certaines compétences exercées par les communautés, d’où le fait que d’autres fractions de compétences, sur un territoire plus limité, ont pu être confiées à des SIVU ou à des SIVOM. Autre obstacle juridique : la lourdeur des mécanismes de dissolution des syndicats dormants en dehors de la période au cours de laquelle les préfets disposent de pouvoirs exceptionnels.

Quant aux obstacles financiers et comptables, ils sont liés au fait que l’extension des communautés et son corollaire, la disparition de syndicats par dissolution ou par fusion, supposent de posséder une connaissance extrêmement précise des actifs et des passifs des syndicats concernés, ce qui présente souvent de très grandes difficultés. En effet, c’est lors de la dissolution du syndicat que l’on s’aperçoit parfois que tout n’a pas été fait correctement dix ou vingt ans auparavant et que la dévolution des biens n’a pas été effectuée comme elle aurait dû l’être, ou encore que les équipements n’ont pas été amortis en temps utile. Autre difficulté : ces syndicats sont souvent porteurs d’un investissement et donc liés par un emprunt qu’il n’est pas difficile, en théorie, de restituer aux communes membres avant de le renvoyer à la communauté ; cela représente toutefois un travail important et suppose que les élus locaux soient fortement accompagnés par la préfecture, par le comptable et par la DGFiP, laquelle s’y est à nouveau engagée.

La loi NOTRe prolonge le dispositif prévu dans la loi de 2010 avec le schéma départemental de coopération intercommunale, les attentes en matière de simplification du paysage syndical étant accentuées. D’autre part, l’élargissement des communautés de communes à une base minimale de 15 000 habitants – hormis les exceptions prévues par la loi – a pour conséquence logique, si les compétences sont correctement transférées, qu’elles absorbent les syndicats qui se trouvent sur leur territoire. Surtout, vous avez décidé – c’est l’une des dispositions les plus fortes du texte – que les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement seraient transférées de droit aux EPCI à fiscalité propre – s’ajoutant ainsi à la compétence de gestion des déchets et de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) – entre 2017 et 2020, ce qui aura des conséquences très importantes, voire décisives, sur la carte syndicale. Enfin, le transfert de la compétence en matière de transport scolaire aux régions pourrait produire un effet différé sur l’organisation des réseaux de transport scolaire au niveau infradépartemental, quoique nous ne puissions encore en juger précisément à ce stade.

Ayant achevé le présent rapport au début du mois de juin, nous avons pu faire le point sur les SDCI pour 2015 et 2016, en comparant les projets de schémas de 2015 et les schémas définitifs tels qu’ils ont été adoptés dans les trente départements étudiés. Or, cette comparaison révèle des différences. Au niveau national, tout d’abord, la direction générale des collectivités locales (DGCL) et l’Association des communautés de France (AdCF) envisagent la suppression ferme de 1 300 à 1 400 syndicats – sur 10 000 – par les arrêtés de périmètre. Pourtant, les projets de schémas des trente départements couverts par notre étude prévoyaient à eux seuls la suppression d’un millier de syndicats – ce qui, par extrapolation à tous les départements, aurait signifié la suppression d’environ 3 000 syndicats à l’échelle nationale. L’examen des schémas définitifs montre que ces ambitions ont été très largement revues à la baisse. En Isère, par exemple, il était prévu 50 fusions ou disparitions de syndicats ; il n’en est resté que 19 ; en Eure-et-Loir, où l’on nous annonçait 93 disparitions, il ne s’en est produit aucune à ce stade. Dans le Rhône, 66 disparitions étaient prévues mais 9 seulement ont eu lieu.

Précisons que les schémas départementaux se composent d’un premier volet contenant des décisions fermes qui se traduiront par des arrêtés de périmètre et, par conséquent, des dissolutions qui se produiront d’ici à la fin de l’année, dans le cadre de la période de pouvoirs exceptionnels accordés aux préfets, mais aussi d’une seconde étape pour les années 2017 à 2020, au cours de laquelle la suppression de syndicats sera de nouveau envisagée de manière plus prospective ou optionnelle. Ce processus n’est pas dénué de pertinence dans la mesure où, pour les raisons que j’indiquais, le mouvement de transfert de compétences en eau, assainissement et gestion des déchets produira un effet différé. Reste néanmoins une incertitude liée au fait que si nous disposons désormais des nouveaux arrêtés de périmètre des EPCI à fiscalité propre, leurs compétences étendues ne sont pas encore précisément définies ; il se produira donc le moment venu un effet de seconde vague sur les syndicats. Nous en déduisons que si la suppression de 1 300 à 1 400 syndicats est d’ores et déjà prévue, il se peut que le nombre de disparitions et de fusions d’ici à 2020 soit beaucoup plus important.

Nous avons également voulu montrer que ce mouvement de recomposition pourrait avoir des effets en termes de mutualisation et d’économies, mais qu’il ne faut pas se leurrer : dans un premier temps, il pourrait au contraire se produire un surcroît de dépenses liées à l’exercice de compétences techniques, étant entendu qu’il se traduirait par une élévation du niveau de qualité. Ce sera notamment le cas lorsque les équipements livrés à l’EPCI à fiscalité propre ont été mal entretenus. Dans ce domaine, qui n’est pas seulement d’ordre comptable, il peut d’ailleurs se produire des effets d’aubaine, car certains EPCI à fiscalité propre hériteront d’équipements parfaitement bien entretenus par les syndicats, tandis que d’autres hériteront d’équipements en mauvais état dans lesquels il faudra investir. On peut y voir une forme d’iniquité pour les populations concernées.

La période de 2017 à 2020 sera importante. La DGCL devra exercer un pilotage ferme et un suivi fin pour accompagner la simplification de la carte syndicale. Il faudra veiller à la disparition effective des 4 213 SIVU potentiellement concernés par le transfert des compétences, dont 2 232 sont chargés de l’eau et 1 000 de l’assainissement. Il faudra également accompagner les opérations de dissolution.

Ensuite, de deux choses l’une : soit toutes les compétences exercées par les syndicats seront transmises à l’EPCI qui les exercera sur l’ensemble du territoire, soit certaines communes du territoire en question se trouveront dans la nécessité – légitime – de se regrouper pour exercer en commun certaines compétences de proximité. De ce point de vue, il existe un arsenal juridique intéressant – que vous avez renforcé par la loi NOTRe – permettant la prestation de services par une commune pour d’autres, ou encore la fourniture de services communs, qu’il s’agisse de fonctions de support ou de fonctions opérationnelles. Ces instruments doivent être exploités davantage qu’ils ne le sont.

J’en viens enfin aux perspectives. Nous pensons qu’il se produira un nombre non négligeable de dissolutions supplémentaires d’ici à 2020. Parviendrons-nous néanmoins à supprimer tous les SIVU et SIVOM ? Qu’en sera-t-il des syndicats mixtes fermés ?

Selon nous, les SMF, à défaut de se multiplier, continueront de grossir pour gérer certains services publics à l’échelle quasi départementale. En revanche, le nombre de SIVU et de SIVOM continuera de diminuer. Cependant, il faudra les cartographier en 2020, car il en restera certainement plusieurs milliers. Combien en restera-t-il précisément lorsque le bruit et la poussière de la réforme seront retombés ? Peut-être trois à quatre mille. Deux scénarios pourront alors être envisagés : soit le Gouvernement et le Parlement décident de supprimer définitivement cette catégorie, soit vous estimez qu’il demeure des besoins ciblés dans certains secteurs comme le secteur scolaire ou dans certains territoires ruraux ou de montagne, par exemple, auquel cas il faudra redéfinir la cartographie des syndicats et sans doute – c’est ce que nous prônons – ouvrir une nouvelle période de pouvoirs exceptionnels des préfets pour accompagner ce dernier mouvement de simplification, en fonction des choix que vous aurez faits. Il n’appartient pas à la Cour de trancher cette alternative.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir présenté cette étude très riche et intéressante. La Cour des comptes a l’avantage de pouvoir s’appuyer sur les chambres régionales des comptes, qui permettent de réaliser des analyses transversales concernant les collectivités territoriales.

Permettez-moi une observation et une question. Pendant longtemps, nous nous sommes battus – je parle sous le contrôle de Jacques Pélissard, ancien président de l’Association des maires de France (AMF) – pour introduire davantage de souplesse en termes de mutualisation et d’entente intercommunale, tant nous étions conscients que cela était devenu nécessaire au fil de la création des structures – communautés de communes et d’agglomération – résultant du mouvement de rationalisation enclenché en 1999 par la loi Chevènement. Or, nous nous sommes heurtés à de fortes réticences de la part du ministère de l’intérieur ; il était par exemple très difficile de faire adopter ici même les dispositions législatives nécessaires. Je prends donc note de ce qu’indique le présent rapport de la Cour : pour que refluent les structures syndicales compte tenu de la généralisation d’une intercommunalité sous des formes limitées – que nous jugeons adaptées, hormis les questions de périmètre –, il faut parallèlement introduire davantage de souplesse en matière de mutualisation, d’ententes intercommunales, d’échange de services.

Ma question porte sur les indemnités. La suppression de tous les syndicats de l’eau permettrait d’économiser 37 millions d’euros au titre des indemnités des élus. Face à de tels montants, je me demande parfois si cette question ne freine pas la diminution du nombre de nos syndicats…

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale pour les crédits de la mission Relations avec les collectivités territorialesJe remercie la Cour d’avoir réalisé ce travail très fouillé pendant dix-huit mois, ce qui témoigne de la richesse du sujet.

Si j’ai demandé que soit conduite cette enquête, c’est parce que j’ai constaté la persistance des syndicats alors que la loi portant réforme des collectivités territoriales aurait dû se traduire par leur diminution. Cela étant, la situation varie profondément selon les départements, ce qui ajoute à sa complexité puisqu’il faudra trouver les solutions adéquates dans chaque cas.

Le rapport montre bien que la loi de 2010 n’a pas produit les effets escomptés. Selon moi, la loi NOTRe produira des effets beaucoup plus forts, notamment parce que le transfert en bloc des compétences concernant l’eau, l’assainissement et les déchets se traduira par définition par la suppression de certains petits syndicats. Les délais varieront entre 2018 et 2020 ; s’il devait être prévu une clause de revoyure, il faudrait donc qu’elle s’applique après 2020, c’est-à-dire au terme du transfert de compétences.

Je n’étais pas favorable au transfert de la compétence de l’eau, parce que les modes de gestion sont très variés et que plus de la moitié des communes gèrent encore l’eau en régie – un mode de gestion inégalement utilisé mais qui a le mérite de maintenir le prix de l’eau à un niveau inférieur tout en permettant la réalisation des travaux nécessaires. Il existe en effet des cas dans lesquels les investissements n’ont pas été réalisés et les réseaux pas entretenus, mais l’inverse existe aussi.

D’autre part, j’ai constaté sur le terrain que les communes qui gèrent l’eau en régie le font sur un budget annexe qui couvre la trésorerie de leur budget ordinaire de fonctionnement. Le jour où cette compétence sera transférée se posera donc pour certaines communes la question de la trésorerie du budget principal.

Il me semble qu’il serait erroné d’aborder la question de la rationalisation des syndicats sous le seul angle financier. L’enjeu financier – environ 10 milliards d’euros – n’est certes pas négligeable, mais il reste relativement faible. Selon moi, c’est surtout la qualité du service public rendu à la population qu’il faut privilégier, ainsi que la suppression des redondances. Si ces redondances existent, c’est parce que le transfert de compétences n’a pas été effectué en bloc, mais par « saucissonnage », d’où la coexistence dans certains territoires de trois syndicats gérant le tourisme pour un même périmètre. Dès lors, les opérateurs et les usagers ne s’y retrouvent plus et ne savent pas à qui s’adresser. Pire, les délais de réalisation des projets sont très longs. J’en veux pour preuve le projet de vélo-rail touristique en cours dans mon département, dont s’occupent simultanément trois syndicats, ce qui complique beaucoup les choses.

Ensuite, je suis très étonnée qu’une centaine de nouveaux syndicats, principalement des SIVU et des SIVOM, aient été créés ces derniers mois ! Les EPCI couvrent désormais l’ensemble du territoire ; comment est-il possible qu’il se crée encore de tels syndicats alors que nous disposons d’instruments souples, qu’il s’agisse de conventions de prestation de services, de mécanismes de mutualisation et d’entente ou encore de services communs ? Dans ce domaine, le contrôle de légalité me semble défaillant.

D’où ma conclusion : peut-être faudrait-il créer dans chaque département une cellule provisoire d’une, deux voire trois personnes qui seraient chargées d’aider les élus à rationaliser les syndicats et, surtout, à faire la promotion de ces outils souples que les élus méconnaissent très souvent, ce qui éviterait tous ces désagréments.

M. Jacques Pélissard. Le phénomène suivant illustre bien le propos de Christine Pires Beaune : le passage d’intercommunalités de taille moyenne à de très grandes intercommunalités s’est traduit par un mélange des compétences, d’où la tentation fréquente de rendre certaines compétences aux communes, qui les exercent dès lors par l’intermédiaire de syndicats à vocation unique. Autrement dit, la loi NOTRe, en créant de grandes intercommunalités, a paradoxalement favorisé la création de SIVU destinés à gérer des compétences rendues aux communes. Pour remédier à cette situation ubuesque, il faut, comme l’a indiqué le président Carrez, faciliter toutes les mutualisations ascendantes ou descendantes et les prestations de services croisés entre communes et intercommunalités, et introduire une véritable souplesse garantie dans la pratique, qui permettra de gérer cette situation provisoire en attendant la prise de compétences définitives des intercommunalités. Nous n’avions pas anticipé d’emblée le fait que de nouveaux SIVU seraient créés pour gérer des compétences rendues aux communes, mais c’est une réalité.

M. Jean-Louis Dumont. Le rapport ne fait pas référence aux syndicats d’électrification, et pour cause : la loi du 7 décembre 2006 n’a fait qu’encourager leur création. Or, c’est un processus très lent. Dix ans plus tard, je constate qu’il existe une nouvelle organisation départementale alors qu’aucun des syndicats existants n’a été dissous. Dans ma région, pourtant, les syndicats d’électrification sont riches et anciens de plusieurs décennies, et leurs membres perçoivent de modestes indemnités. Pourquoi le rapport n’en fait-il pas état ? Le préfet a-t-il encore un rôle à jouer en la matière ?

M. Charles de Courson. Cette étude très riche montre avant toute chose l’extrême diversité française. La carte de la répartition du nombre de syndicats par département fait nettement apparaître deux France, qui coexistent depuis l’époque romaine. Dans la France germanique du nord et de l’est, le nombre de syndicats dépend en grande partie du nombre de communes – près de 730 communes dans l’Aisne, 620 dans la Marne, par exemple. Le sud, au contraire, se caractérise de grandes communes de tradition romaine, ce qui explique que les syndicats soient beaucoup moins nombreux – certains départements comme les Bouches-du-Rhône comptent tout juste une centaine de communes. Il existe donc un lien logique évident entre le nombre de communes et le nombre de syndicats.

Cette distinction se retrouve sur la carte des syndicats compétents en matière scolaire : lorsque leur nombre est trop élevé, toutes les communes ne peuvent plus abriter une école et il devient nécessaire de recourir à l’intercommunalisation, sous forme de syndicat par exemple. Or, cette carte fait apparaître une exception : le département de la Marne. C’est le fruit d’une politique que j’ai menée pendant vingt-cinq ans afin d’encourager les regroupements pédagogiques concentrés avant de confier cette compétence aux intercommunalités. Quelques exceptions demeurent cependant, qui s’expliquent par des fusions entre une intercommunalité disposant de la compétence scolaire mais pas l’autre, les deux structures n’ayant pu aboutir à un accord en la matière, d’où la création d’un syndicat. Autrement dit, la fusion d’une intercommunalité oblige parfois à créer un syndicat – une anomalie inévitable, en quelque sorte.

Je regrette que le rapport ne ventile pas les indemnités par région. Dans la Marne, par exemple, le conseil général a interdit à ses membres de toucher une quelconque indemnité dans un syndicat où ils le représentent. Dans d’autres départements, en revanche, le « bricolage » est de règle. S’agissant des syndicats d’électricité, la Marne a pris une décision radicale : elle a décidé de fusionner les quelque vingt-cinq syndicats primaires et le syndicat départemental de telle sorte qu’il ne subsiste plus qu’un seul syndicat départemental qui dessert les 620 communes. Dans certains départements, au contraire, les syndicats primaires demeurent, même s’ils sont désœuvrés puisqu’il existe un syndicat départemental ; ils permettent néanmoins de continuer de percevoir des indemnités, sans que cela ne soit trop visible, vu le faible montant de la taxe sur l’électricité… Et encore cette taxe, pourtant plafonnée, peut-elle atteindre un taux de 30 % dans certains départements comme le Gard !

Au fond, d’où vient le problème ? Soyons francs : il est dû au fait que nous n’avons pas eu le courage de restructurer le réseau communal. Si les communes étaient intégrées aux communautés de communes sous forme de sections, sur le modèle des métropoles par exemple, les syndicats ne seraient plus nécessaires.

Tout cela a un coût, que vous n’avez sans doute pas pu évaluer. Est-il plus ou moins élevé que celui d’une intégration des structures ? Dans la Marne, les choses sont claires : l’intégration s’est traduite par une diminution des coûts.

Vous n’avez abordé la défense incendie que de manière succincte. Il existe en la matière deux stratégies très différentes : certains départements ont intégré tous les services dans un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) suite à la loi de 1996 – avec pour conséquence l’effondrement du nombre de volontaires dans les communes, comme dans la Haute-Marne par exemple. La Marne, au contraire, n’a intégré que les centres de secours et les centres de secours principaux au sein d’un SDIS tout en maintenant deux syndicats et en encourageant la communautarisation des corps de volontaires, qui permet de dynamiser leurs effectifs dans la mesure où ils ne sont plus responsables d’une seule commune, mais de blocs de plusieurs communes.

Enfin, avez-vous pu évaluer les délais de dissolution d’un syndicat ? Il faut entre dix-huit mois et deux, voire trois ans dans certains cas. Vous signalez des cas de désaccord, mais même en cas d’accord entre les intéressés, la procédure est extrêmement longue en raison de mécanismes comptables, d’où le maintien de la structure pendant une ou deux années. Il va de soi, dès lors, qu’il est difficile de réunir le quorum du comité syndical lorsque le syndicat est en cours de dissolution...

M. Éric Alauzet. Ma question porte sur l’amortissement des dépenses d’investissement et l’inadaptation de ses modalités aux spécificités des SIVU. Je l’ai déjà posée lors de l’examen du projet de loi de finances ; elle a alors été écartée au motif que les syndicats étaient voués à disparaître. Or, ce n’est pas le cas : non seulement leur disparition prend du temps, mais de nouveaux syndicats sont même créés avec la nouvelle carte intercommunale, et peut-être se produira-t-il des cas dans lesquels les syndicats devront in fine persister. Autrement dit, la question des modalités d’investissement se pose.

Lorsque le SIVU a réalisé des investissements ponctuels, puisqu’il ne possède qu’une compétence unique, ses investissements sont chaotiques : ils peuvent être très lourds une année, puis négligeables voire nuls pendant les dix années suivantes. Or, pendant cette période, il doit à la fois recourir à la contribution des usagers pour rembourser l’emprunt contracté et amortir. Autrement dit, il thésaurise tout en sollicitant davantage les contribuables – lesquels pourraient y trouver un motif de recours. De ce point de vue, les modalités d’amortissement me semblent ne pas convenir aux syndicats. Au fond, le but de l’amortissement est de parvenir à l’autofinancement. Ce qui peut être amorti au titre de la compétence routière pourra servir à réaliser un investissement dans un autre domaine, par exemple. Toutefois, ce schéma ne fonctionne pas dans le cas d’une activité unique caractérisée par des investissements irréguliers. Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Hetzel. Dans votre rapport, monsieur le président, vous recommandez au Gouvernement et au Parlement de prévoir la possibilité de conclure des ententes intercommunales dans les trois départements d’Alsace-Moselle. Il est vrai que certaines dispositions ne s’y appliquent pas encore, mais je m’interroge sur la pertinence d’étendre ce mécanisme aux trois départements en question, et ce pour une raison simple. La question des ententes se pose principalement dans le domaine scolaire, notamment dans le cadre de regroupements pédagogiques intercommunaux en milieu rural. De deux choses l’une : soit le RPI est adossé à l’EPCI, soit il ne l’est pas. En Alsace-Moselle, seuls les RPI adossés sont possibles à ce stade. Pourquoi voulez-vous absolument encourager les RPI non adossés dans ces trois départements ? Compte tenu de leur spécificité, je suis plutôt favorable à ce que l’on favorise les RPI adossés, de sorte que l’EPCI puisse se saisir de cette compétence. De ce point de vue, votre recommandation me semble contreproductive, car elle favorisera des formes de coopération plus relâchées que le dispositif actuel qui, il est vrai, est plus coercitif, mais qui me semble être un atout – même s’il doit faire l’objet d’une volonté politique plus affichée. Je crains en effet que votre recommandation n’aboutisse au maintien de petits RPI tels des villages gaulois.

M. Alain Fauré. Je constate que mon département, l’Ariège, est plutôt en avance en matière de regroupement des syndicats. Il n’y a aucun hasard à cela : quand on est pauvre, on est obligé de faire attention, et donc de rationaliser. Les territoires les plus aisés, quant à eux, mettront plus longtemps à rationaliser – ce qui nous ramène à la remarque quelque peu provocatrice de notre président selon laquelle les indemnités pourraient constituer un frein. Quoi qu’il en soit, les communes et les intercommunalités doivent rationaliser.

Vous nous indiquez, monsieur Vachia, que le coût de fonctionnement des syndicats s’élève à 13,4 milliards d’euros ; je ne peux m’empêcher de rapprocher de montant de celui, presque identique, des économies que l’État demande aux collectivités de réaliser sur trois ans.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale. Ce montant de 13,4 milliards englobe aussi les investissements ; en réalité, le coût du fonctionnement ne s’élève qu’à 1,5 milliard.

M. Alain Fauré. Peu importe. Ayant présidé la commission chargée d’analyser les incidences des baisses de dotation aux collectivités territoriales, j’ai été surpris de la manière très différente dont les élus ont géré cette contrainte selon les territoires. Certains ont choisi de préserver leur budget de fonctionnement et de diminuer les investissements ; d’autres, au contraire, ont entrepris des efforts en matière de fonctionnement suite à des audits portant sur des pratiques en vigueur depuis plusieurs décennies parfois – audits qui ont été l’occasion de chercher des niches d’économies possibles dans tel ou tel domaine. Ceux qui ont rapidement procédé à ces audits ont globalement bien vécu la baisse des dotations ; en consentant cet effort difficile, ils ont même préservé l’investissement.

La loi doit aller plus loin. La loi NOTRe, par exemple, aurait dû imposer aux petites communautés de communes de se transformer en communes nouvelles, plutôt que de leur en laisser le choix. De même, nous n’avons pas veillé à maîtriser la notion de compétence, d’où la création de nouveaux syndicats par des communautés de communes ne pouvant reprendre certaines activités. C’est ubuesque ! Il aurait mieux valu inciter ces communautés de communes à adopter des compétences dans leur version la plus développée pour que chacun s’y conforme. De surcroît, nous avions douze ans pour adapter la fiscalité. Sans doute l’État aurait-il dû prévoir d’accompagner ces collectivités méritantes qui ont bousculé leurs habitudes en ne diminuant pas d’emblée leurs dotations afin de les encourager à reprendre les compétences en question. En somme, ce rapport tombe à pic pour nous inciter à aller plus loin lors du prochain projet de loi en la matière, qui ne manquera pas d’arriver rapidement.

M. Alain Chrétien. Je n’ai toujours pas compris l’utilité de la nouvelle structure qu’est le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), qui est un syndicat mixte fermé. Autrefois, il existait des pays, constitués en syndicats mixtes ou en associations régies par la loi de 1901 ; ils fonctionnaient très bien. Aujourd’hui, sous prétexte de simplifier et de réduire le nombre de syndicats, nous avons demandé à ces pays de se transformer en PETR. Pour quelle raison, sinon pour complexifier davantage le dispositif ? Il est demandé à ces pays d’élaborer de nouveaux projets de territoires et des schémas directeurs. Les pays avaient été créés en 1995 par Patrick Ollier, notamment, et confirmés en 1997 par Dominique Voynet ; voici que l’on crée une nouvelle catégorie pour, semble-t-il, faire pendant aux métropoles, alors que les pays fonctionnaient bien ! Vous nous indiquez que 91 nouveaux syndicats viennent d’être créés. Expliquez-moi donc pourquoi nous avons créé cette nouvelle catégorie, les PETR, qui, à mon sens, ne correspond à rien !

Mme Véronique Louwagie. Vous évoquez, monsieur le président, un effet différé en matière de regroupement – et, au fond, une certaine inertie. Le sujet mérite que l’on s’y attarde, car l’enjeu financier de 10 milliards d’euros n’est certes pas considérable par rapport au montant total des recettes du bloc communal, mais ce n’est tout de même pas un montant négligeable.

La question des indemnités se pose, mais elle n’est pas la seule. En réalité, la difficulté tient à un manque de courage et de volonté dans les territoires, et au fait que les élus qui sont membres de ces syndicats sont également délégués communautaires et maires ou adjoints au maire. Nombreux sont ceux qui sont très impliqués dans le regroupement des EPCI – un processus parfois très complexe dans les territoires. Des regroupements ont eu lieu au 1er janvier 2014, d’autres au 1er janvier 2017, au prix d’un considérable déploiement d’énergie, laquelle est concentrée sur cette question au détriment des autres.

Comme Christine Pires Beaune, il me semble utile de prévoir un mécanisme de soutien assorti d’une volonté et d’un message fort en faveur du regroupement de syndicats, ainsi qu’un soutien logistique.

Enfin, vous faites dans ce rapport la promotion d’un certain nombre d’outils financiers, notamment les fonds de concours, qui pourraient utilement permettre de tenir compte de certaines différences, par exemple lorsque les équipements de communes membres d’un EPCI auraient été mal entretenus. Disposez-vous de statistiques concernant l’utilisation de ces fonds de concours dans les EPCI ?

M. Nicolas Sansu. Alain Fauré a mentionné une commission d’enquête qui n’a pas prospéré mais dont le rapport existe – je pourrai vous le communiquer, car ses conclusions me semblent beaucoup moins caricaturales que ce qu’Alain Fauré nous a présenté.

Ne négligeons pas le fait que les centaines de milliers d’élus locaux sont ceux qui permettent le déploiement des services publics partout sur le territoire, en particulier dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, où il existe des milliers de SIVU et de SIVOM. Les élus exercent parfois moyennant une indemnité, mais le plus souvent avec beaucoup d’allant et de compétence ; n’oublions pas cette caractéristique de notre pays.

Enfin, la loi NOTRe est tout de même particulière : elle impose le regroupement des intercommunalités de moins de 15 000 habitants, mais elle prévoit le transfert aux intercommunalités de la compétence de l’eau et de l’assainissement d’ici à 2018 et 2020. Or, il arrive que les syndicats ne concordent pas avec les EPCI nouvellement créés dans le cadre des schémas départementaux. Il en résulte une situation incroyable, comme l’illustre le département du Cher, où certains EPCI résultant de la fusion d’anciens EPCI ne correspondent pas aux frontières des syndicats d’eau et d’assainissement. Comment, dans ces conditions, allons-nous favoriser la suppression des syndicats ?

M. Patrick Ollier. Certes, monsieur Sansu, les élus locaux permettent de fournir des services publics – c’est même leur mission. Toute la question consiste à savoir comment. De ce point de vue, monsieur le président Vachia, votre rapport enrichit le débat.

Au fond, c’est de l’histoire de notre pays et de sa longue marche vers l’intercommunalité que nous parlons, et de la manière dont les élus sont capables de travailler ensemble. Depuis que je siège à l’Assemblée – cela fait quelques années –, nous cherchons les moyens pour y parvenir. Il me semble que les différentes majorités, qu’elles soient de droite ou de gauche, ont manqué de courage et d’autorité, car nous aurions pu aller beaucoup plus vite.

J’ai la chance d’avoir été élu dans les Hautes-Alpes, un territoire montagnard où j’ai créé la première intercommunalité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et d’être aujourd’hui à la tête, avec le président Carrez, de la métropole du Grand Paris – qui, convenons-en, n’est pas une zone rurale. Ces deux expériences m’amènent à faire le constat d’un manque de courage et de vision.

Alain Chrétien faisait référence aux pays. C’est moi qui les ai créés, en tant que rapporteur d’un projet de loi défendu par Charles Pasqua, lors d’un débat nocturne à l’Assemblée et contre l’avis de ma propre majorité. Lorsque j’ai voulu créer un pays avec les élus de la montagne, il ne s’agissait que de délimiter un périmètre pertinent de développement, sans aucun enjeu de pouvoir. Hélas, Mme Voynet a ensuite commis une terrible erreur en suscitant cet enjeu de pouvoir par la création de groupements d’intérêt public (GIP) et en permettant la gestion du pays par un syndicat mixte, alors que l’association suffisait amplement et présentait l’avantage d’éviter tout enjeu de pouvoir.

La question des indemnités que soulevait le président Carrez se pose tout autant que celle de l’enjeu de pouvoir. Songez qu’il existe environ 11 000 structures de coopération intercommunale sur notre territoire, si l’on tient compte de l’ensemble des syndicats ! Dans quel pays vit-on ? Autrefois, il n’existait pas d’intercommunalités. Depuis, les différents gouvernements ont pris des mesures visant à en couvrir la carte du territoire national. Il serait donc opportun de prévoir la suppression automatique des syndicats lors de la création des intercommunalités.

À cet égard, la gauche se gargarise en permanence d’un discours politiquement correct sur le cumul des mandats. Ce n’est pourtant pas le cumul des mandats qui est en cause, mais le cumul des fonctions !

M. Charles de Courson. Et des indemnités…

M. Patrick Ollier. En effet. Les Français ne comprennent pas pourquoi une même personne peut être président d’un syndicat d’électrification et d’un syndicat des eaux tout en étant maire et conseiller départemental, car il en résulte une profonde confusion. En somme, il faudrait que la suppression des syndicats soit automatique dès lors qu’il existe une structure intercommunale en mesure de reprendre la compétence concernée.

Autre question : celle de la fiscalité propre. Je ne suis pas opposé au SIVU, qui permet d’exercer une mission particulière en attendant que l’intercommunalité s’organise. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de disposer d’un SIVOM ! Pourtant, cela arrive parfois, et ce n’est pas satisfaisant.

D’autre part, il est accordé aux préfets une autorité qu’ils n’utilisent pas. Soit ; il appartient dès lors au législateur, monsieur le président, de pallier par son courage l’absence de courage de l’administration de l’État. Hélas, cela ne se fait pas. Je suis le premier à défendre la liberté des élus, mais il faut aussi tenir compte de l’intérêt public. Or, l’intérêt des citoyens consiste à ne pas dépenser tant de millions d’euros pour un service qui pourrait être rendu avec un nombre bien moindre de structures.

Je conclurai par un mot sur les métropoles. Leur création aurait dû être l’occasion de supprimer certains syndicats. De deux choses l’une, en effet : soit les métropoles sont capables de fournir des services de proximité, et alors elles doivent être dotées des compétences nécessaires, soit elles n’en sont pas capables, auquel cas mieux vaut les supprimer. Il me semble par exemple que la métropole du Grand Paris est capable de rendre bien des services relevant des quatre modestes compétences qui lui ont été attribuées. Là encore, la loi ne va pas au bout de sa logique et s’arrête au milieu du gué, d’où un stupide débat politicien sur les compétences des métropoles.

En clair, mon propos est un hymne à la simplification, à la cohérence et à la logique, et non pas à la pratique politicienne qui conduit à de tels résultats. À force de vouloir faire plaisir à tout le monde, on ne fait plus plaisir à personne !

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Les normes comptables applicables à certains syndicats ont changé : ils sont désormais tenus d’inscrire un amortissement dans leur compte de résultat – ce qui est logique lorsqu’il s’agit de construire des stations d’épuration, par exemple. Un point m’étonne cependant : les subventions perçues par le syndicat, qu’elles proviennent du conseil départemental ou des agences de l’eau, ne sont pas amorties. Autrement dit, on augmente une charge d’un côté sans prendre en compte les recettes dont on dispose de l’autre. En conséquence, l’inscription de l’amortissement entraîne la hausse du prix du mètre cube d’eau, ce qui signifie que les usagers paient alors même que de l’argent rentre dans les caisses du syndicat. L’amortissement se fait d’un côté, mais pas de l’autre. Serait-il possible de recommander que les subventions soient également amorties, y compris celles qui proviennent du conseil départemental et des agences de l’eau, ou, à l’inverse, qu’aucun amortissement ne soit prévu ? On éviterait ainsi un différentiel délirant, des syndicats pourtant riches étant tout de même conduits à demander de l’argent en augmentant le prix de l’eau !

M. Jean-Pierre Gorges. Ce rapport arrive à point nommé pour montrer que le fameux mille-feuille, que tout le monde critique, se complique de plus en plus en dépit des différentes mesures de simplification. Chacun propose des mesures, qu’il s’agisse des pays – de l’une ou de l’autre sorte – ou des PETR, et ainsi de suite. À mon sens, les choses seraient beaucoup plus simples si l’on respectait la loi, car les syndicats tomberaient naturellement. En Eure-et-Loir, par exemple, les choses se passent assez bien : deux communautés d’agglomération rassemblant près de 60 % des habitants ont entraîné la suppression de tous les syndicats, pays et autres structures.

Au fond, quelle est la loi qui doit donner le signal de cette simplification ? C’est la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) permet de définir un bassin de vie correspondant à un cercle de quinze kilomètres de rayon autour d’une ville-centre et d’une zone urbaine, ce qui permet facilement d’aboutir à un bassin de 200 000 habitants. J’ai tracé un tel cercle autour de la cathédrale de Chartres : dans un rayon de vingt kilomètres, toutes les communes peuvent intégrer l’intercommunalité, qui va passer de 46 à 67 communes. Les syndicats tombent peu à peu au fil de notre croissance progressive, en application de la loi ; rien de plus simple. Il en va de même à Dreux, où les élus ont tracé un cercle similaire autour du beffroi.

Pourquoi n’a-t-on pas imposé un lien de dépendance entre les dispositions concernant l’intercommunalité et la loi SRU ? Construisez d’abord un bassin de vie avant de créer une intercommunalité homothétique. Les bassins de vie sont peu nombreux, et les départements français bien conçus autour de villes-centres et de préfectures. En Eure-et-Loir, nous avons tracé des cercles autour de nos quatre centres – Chartres, Dreux, Nogent-le-Rotrou et Châteaudun – puis nous les avons étirés pour en faire des patatoïdes, et le tour était joué : nous avions couvert le département. Pourquoi ne pas avoir hiérarchisé la loi SRU et les lois sur l’intercommunalité, la première étant arrivée avant les autres ? Cela s’est traduit par de très coûteux « bricolages » consistant à créer des structures intermédiaires dessinées par la préfecture. Résultat : bagarre dans le sud, pagaille dans le nord ! Comment peut-on laisser faire cela ? Ce ne sont pas les politiques qui savent définir un bassin de vie mais les gens eux-mêmes, en fonction du lieu où ils vont à la messe, au lycée, en boîte de nuit, acheter leur pain. Si nous nous calions sur cela, tout se ferait tout seul !

La moitié du département d’Eure-et-Loir – 60 %, précisément – est déjà organisée de la sorte. J’espère que le reste du département suivra. Tout le monde est convaincu du bien-fondé de la démarche, mais les réticences persistent en raison des petits avantages que l’on a évoqués. Tout débat sur la création d’une intercommunalité commence forcément par envisager qui seront le président et les vice-présidents et à quel niveau seront fixées les indemnités. Le cumul n’a rien à voir ! Au contraire, il serait préférable que l’Assemblée nationale et le Gouvernement se composent d’un plus grand nombre de « cumulards » qui sont aussi maires et présidents d’agglomération – et qui sont présents aux réunions, car certains font actuellement le tour de France pour nous expliquer la vie et ce qu’ils feront demain, mais ils ne sont pas ici ! On changerait ainsi la loi de sorte que la loi SRU prime sur la loi sur l’intercommunalité, et tout serait réglé : les syndicats tomberaient. L’expérience en est faite en Eure-et-Loir : venez donc voir !

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale. Est-il possible de compléter notre information sur les fonds de concours, qu’a évoqués Véronique Louwagie ? Je suis favorable aux fonds de concours, mais lorsqu’ils sont nombreux dans un territoire donné, les coefficients d’intégration fiscale sont très faibles. Or, là où cette corrélation existe, cela signifie que le fonds de concours est dévoyé. Prenons-y garde et vérifions ce point.

D’autre part, Valérie Rabault a soulevé la question très importante des subventions d’amortissement : dans le cas des syndicats d’eau et d’assainissement, ce sont en effet les usagers qui paient et les subventions d’équilibre sont interdites, ce qui renchérit le prix de l’eau. Le comble est que les départements qui subventionnent ces syndicats sont, eux, tenus d’amortir, alors qu’il s’agit d’une compétence facultative et qu’ils ne devraient donc pas être soumis à une telle obligation. Il faut donc inverser l’ordre des choses : les syndicats devraient amortir les subventions d’amortissement qu’ils ont reçues, et les départements ne devraient pas avoir à le faire puisqu’ils ont le droit de renoncer du jour au lendemain à accorder leur subvention.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Permettez-moi de commencer par la question comptable, qui est très importante. Le principe général de la comptabilité voudrait que toute subvention affectée à un équipement soit amortie en même temps que l’amortissement de l’équipement lui-même. Autrement dit, une fraction de la subvention d’investissement est rapportée en produit au compte de résultat.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Ce n’est pourtant pas le cas.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Ce devrait l’être.

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale. En réalité, c’est le cas au titre de la nomenclature M14, mais pas de la nomenclature M49.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Il est anormal que cela ne soit pas le cas. Il se trouve que le Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP) conduit en ce moment un travail sur les normes comptables applicables aux collectivités territoriales, dont l’un des volets principaux porte justement sur l’amortissement des subventions d’investissement. Quoi qu’il en soit, je partage tout à fait votre point de vue, madame la rapporteure générale, sur les subventions d’investissement affectées. Le véritable problème auquel se heurte le CNoCP concerne davantage les subventions d’investissement non affectées. Cela étant, je n’opposerais pas l’amortissement par les départements des subventions qu’ils versent avec celui des subventions reçues.

Plusieurs intervenants ont souhaité davantage de souplesse en matière de mutualisation. Deux solutions peuvent être envisagées : soit le nouvel EPCI reprend toutes les compétences du syndicat, y compris dans le cadre de RPI adossés, ce qui, dans l’esprit de la loi que vous avez adoptée, constitue la meilleure des solutions ; soit certaines communes membres d’un grand EPCI doivent, pour telle ou telle raison, exercer une mission en commun. Nous avons alors repris les différentes formules qui, sur le plan juridique, sont parfaitement définies dans la loi NOTRe, qu’il s’agisse de services communs, de prestations de services entre communes ou entre communes et communautés de communes, ou encore d’ententes communales – un outil qui peut s’avérer utile parmi d’autres, y compris en Alsace-Moselle, monsieur Hetzel.

Je ne suis pas un enthousiaste des fonds de concours, madame Pires Beaune, car c’est une formule quelque peu archaïque par rapport à l’intégration fiscale ; ils peuvent certes permettre de résoudre des difficultés ponctuelles mais, in fine, ils obscurcissent davantage le tableau qu’autre chose.

S’agissant des indemnités, nous vous avons présenté le chiffrage global. Leur montant est à la fois élevé et faible. Il existe en effet certaines situations discutables, que nous avons relevées dans le rapport. Les différents textes de loi successifs contiennent des mesures favorisant – ou non – la suppression à terme des indemnités, mais il n’appartient pas à la Cour de formuler une appréciation sur ce point.

Comme l’ont suggéré Mme Pires Beaune et Mme Louwagie, il y aura à l’évidence un besoin d’accompagnement entre 2017 et 2020 du mouvement de fusion et de dissolution des syndicats. Au fil des transferts de compétences, les mesures de suppression des syndicats qui persistent seront prises ; or, les opérations de dissolution sont longues et compliquées, pour les raisons comptables que j’ai indiquées, parce qu’il faut prévoir une période de liquidation et une période de dévolution des actifs et des passifs. Un accompagnement actif par la préfecture et par la direction départementale des finances publiques sera donc nécessaire ; une cellule dédiée pourrait même être utile. L’une des raisons qui expliquent la persistance des syndicats tient justement à la complexité de leur dissolution, qui incite plutôt à les laisser vivre leur vie et mourir de leur belle mort.

Le rapport aborde la question des syndicats d’électrification, monsieur Dumont : nous citons la loi de 2006, qui a promu la création de syndicats départementaux d’électricité et qui a – ou devrait avoir – pour effet de faire disparaître les syndicats primaires, ainsi qu’un exemple dans l’Oise. Il est vrai que cette question n’est pas traitée de manière approfondie, mais les monographies révèlent tout de même un tableau contrasté entre deux types de situations : celles dans lesquelles le ménage a été fait et où il ne subsiste qu’un seul syndicat départemental, et celles dans lesquelles les syndicats primaires résistent pour des raisons qui, pour dire le moins, ne sont pas d’ordre technique. Nous avions également évoqué ce point dans le rapport annuel.

L’amortissement, monsieur Alauzet, ne se fait pas toujours alors qu’il le devrait, car il est indispensable. Il s’effectue en effet dans la durée pour ce qui concerne les SIVU, qui gèrent un équipement unique ; s’il ne se faisait pas, la valeur patrimoniale finirait par ne plus correspondre à la valeur réelle du bien ; de plus, l’amortissement, comme vous l’avez indiqué, sert à constituer une forme d’autofinancement. Le code général des collectivités territoriales prévoit des mesures d’atténuation qui permettent aux petits SIVU, en deçà d’un certain seuil démographique ou financier, de ne pas imposer aux usagers le paiement du montant correspondant à la dépense annuelle totale. En l’absence d’amortissement, le transfert d’un équipement du syndicat à un EPCI à fiscalité propre pose de graves difficultés.

Les PETR, monsieur Chrétien, sont des syndicats mixtes fermés sur lesquels, en toute franchise, nous nous posons les mêmes questions que vous. Je n’en dirai pas davantage.

M. Alain Chrétien. Votre réponse me suffit…

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. S’agissant des centres de secours, monsieur de Courson, la situation est là encore très contrastée. Dans certains cas, la compétence a été intégralement transférée au SDIS ; dans d’autres cas, il reste des syndicats qui gèrent des centres de secours de proximité, étant entendu que le maire conserve ses pouvoirs de police et que la possibilité de communautariser existe, d’où une situation complexe. Dans certains départements, les préfets ont encore fort à faire – même si l’on ne peut généraliser.

De façon générale, les préfets n’ont pas fait un usage extensif de l’ensemble des pouvoirs qui leur étaient conférés concernant les syndicats.

M. le président Gilles Carrez. Ceux-ci n’étaient pas prioritaires : les préfets avaient assez à faire avec les schémas directeurs de coopération intercommunale…

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. En effet. Tous ont reconnu avoir privilégié les SDCI et l’aménagement des communautés de communes, les syndicats passant à l’arrière-plan. Cela s’est traduit par plusieurs déceptions, y compris en Eure-et-Loir, monsieur Gorges, où l’on nous annonçait de nombreuses suppressions immédiates de syndicats ; leur disparition est différée.

J’en viens à la question – que vous soulevez à juste titre, monsieur Sansu – de la discordance entre le territoire de certains syndicats de l’eau et celui de l’EPCI correspondant. La loi prévoit déjà que lorsque trois EPCI sont compétents, il doit toujours y avoir un syndicat. Nous anticipons la création de grands syndicats mixtes fermés – c’est l’un des thèmes du rapport – destinés à rétablir une cohérence cartographique. Si le transfert de la compétence d’eau et d’assainissement à la communauté ne correspond pas en termes cartographiques, alors la création d’un grand SMF devient indispensable, étant entendu que cela suppose un vaste effort d’unification des modes de gestion et de mise à niveau des équipements.

Il est vrai, madame Pires Beaune, que de nombreuses communes gèrent encore le service de l’eau en régie, souvent à la satisfaction des usagers – à la condition essentielle que l’on veille à la connaissance, à la qualité technique et au renouvellement des réseaux, ainsi qu’à la qualité de l’eau. Les grands SMF se dotent en général des moyens nécessaires pour ce faire. Cela étant, ces SMF ne disparaîtront certainement pas dans les années à venir, d’où un enjeu financier dont il faut tenir compte.

M. le président Gilles Carrez. Nous vous remercions beaucoup pour ce rapport très intéressant, qui nous procure un socle solide à partir duquel nous pourrons accélérer certaines évolutions qui font consensus entre nous.

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* *

La commission examine le rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur la gestion et la transparence de la dette publique (MM. Jean-Claude Buisine, Jean-Pierre Gorges et Nicolas Sansu, rapporteurs).

M. le président Gilles Carrez. Nous examinons aujourd’hui le troisième et dernier rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle au titre de 2016. Je laisse la parole aux rapporteurs.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Je souhaiterais d’abord rappeler quelques chiffres : depuis 1974, aucun budget n’a été voté en équilibre, et la dette publique n’a cessé de progresser, passant de 20 % du PIB à la fin des années 1970 à près de 96 % du PIB aujourd’hui, soit 2 096 milliards d’euros à la fin de l’année 2015. Cette situation de fort endettement est inédite sous la Ve République, mais elle ne l’est pas dans l’histoire : en 1944, par exemple, l’endettement a atteint près de 280 % du PIB, avant d’être réduit drastiquement sous l’effet de l’inflation et de retomber à moins de 30 % du PIB en 1950.

Pour ce qui est de la période actuelle, je voudrais souligner trois points.

Le premier est qu’un fort niveau d’endettement public n’est pas propre à la France : la plupart des pays industrialisés ont suivi ce même chemin, alors même que les orientations politiques et idéologiques étaient sensiblement différentes. Dans ce phénomène généralisé d’endettement, une partie importante relève donc des mécanismes de fonctionnement du système économique et financier tel qu’il s’est développé depuis une quarantaine d’années.

Le deuxième point est que la dette touche également le secteur privé, dans des proportions plus importantes encore que le secteur public. Le secteur privé non financier en France est ainsi endetté à hauteur de 124,8 % du PIB en 2015, et l’endettement du secteur financier, à l’échelle de la zone euro, atteint près de 150 % du PIB.

Enfin, la dette publique ne se résume pas uniquement à un fardeau : elle est d’abord liée à la constitution du bien public. Ce n’est donc pas tant le niveau de la dette publique qui importe que sa soutenabilité, c’est-à-dire notre capacité à l’honorer sans nous appauvrir et sans réduire excessivement nos marges de manœuvre.

Or, malgré la réduction des taux d’intérêt sous l’effet de politiques monétaires ambitieuses, le taux apparent sur l’ensemble de notre dette publique – 2,2 % – demeure largement supérieur au taux de croissance, ce qui alimente un « effet boule de neige », que le président Gilles Carrez avait mis en évidence dès 2010 dans ses précédentes fonctions de rapporteur général.

Face à ce constat, il nous a semblé nécessaire d’analyser les causes multiples de notre endettement, avant de traiter du sujet de la gestion de la dette et de la question de sa transparence, dont parlera Nicolas Sansu. Enfin, nous nous sommes interrogés sur les solutions qui pourraient réduire notre endettement tout en maintenant la capacité à investir et à appuyer le développement de l’activité, point que présentera Jean-Pierre Gorges.

Je profite de ma position de premier orateur pour saluer les équipes de l’Agence France Trésor (AFT), dont le professionnalisme a été reconnu par tous les interlocuteurs que nous avons auditionnés. Leur travail a, certes, une limite : celle d’un financement fortement contraint et qui a profondément évolué en quelques décennies. C’est pourquoi nous avons aussi souhaité analyser les phénomènes à l’œuvre dans la progression de l’endettement, lesquels relèvent, selon notre analyse, de trois causes principales.

La première est, bien entendu, le déficit permanent de l’État. La part des dépenses publiques en proportion du PIB est ainsi passée de 35 points de PIB en 1960 à 56,8 points en 2015. Dans la mesure où la hausse concomitante des prélèvements obligatoires n’a pas suffi à couvrir la dépense publique, la différence a été nécessairement financée par l’endettement. Je tiens néanmoins à rappeler l’effort poursuivi depuis 2012, qui a permis de diviser par deux le niveau du déficit public par rapport aux points hauts atteints en 2009 et 2010.

La Cour des comptes cependant a constaté un net recul de la part de l’investissement dans les dépenses : en 2015, sur un accroissement de l’endettement de 93 milliards d’euros, seuls 11,7 milliards ont été consacrés à l’investissement, soit 12 %. La progression de l’endettement répond donc essentiellement à celle des charges d’activité de l’État : personnel, fonctionnement, mais aussi dépenses d’intervention.

Parallèlement, les recettes en pourcentage du PIB ont baissé de façon permanente. Un vrai travail d’évaluation dynamique des recettes et des dépenses fiscales mérite donc d’être mené et suivi.

La croissance de l’endettement tient à un second facteur majeur : l’évolution du mécanisme de financement de l’État, laquelle est intervenue en même temps qu’un durcissement de la politique monétaire : je veux parler de la disparition du « circuit du Trésor », qui permettait à l’État de drainer l’épargne des banques et des particuliers, à des conditions qu’il définissait lui-même. Il pouvait, en outre, compter sur la banque centrale pour lui fournir des avances, voire pour monétiser sa dette. Ce système, qui permettait à l’État de se financer sans trop de difficultés, a progressivement été remplacé par un financement passant exclusivement par les marchés.

Cela devait permettre à l’État d’accroître sa capacité de financement – ce qui a été le cas –, mais aussi de rendre la dette plus transparente et de mieux maîtriser la masse monétaire. Force est de constater que ces derniers objectifs n’ont pas été atteints. Si l’État peut en effet faire appel aux liquidités à l’échelle internationale, cet appel au marché a un coût considérable : entre 1978 et 2014, la France a versé 1 254 milliards d’euros d’intérêts pour la dette de toutes les administrations publiques confondues.

La transparence n’existe pas plus, et même plutôt moins, sur les détenteurs de la dette publique. Quant à la volonté de mieux maîtriser la masse monétaire, la disparition du circuit du Trésor n’a pas empêché l’émergence de bulles financières ou immobilières.

La question de la dépendance de l’État à l’égard des marchés doit donc être posée sérieusement.

Enfin, dernier facteur, il ne faut pas oublier le poids du ralentissement général de la croissance et de l’inflation sur le niveau actuel de notre endettement en terme de ratio par rapport au PIB ; d’autant que la croissance joue non seulement sur le ratio de dette, mais aussi sur les recettes fiscales. Entre 2008 et 2009, au moment de la crise financière, les recettes fiscales nettes de l’État ont chuté de 40 milliards d’euros – cette chute a été due en partie aux dépenses fiscales, en particulier au bouclier fiscal –, alors que les dépenses n’ont augmenté que de 12 milliards d’euros. Dans certaines situations, c’est bien l’absence de recettes qui creuse le déficit, plus que l’augmentation des dépenses.

Quelles leçons peut-on retenir de ces mécanismes de progression de l’endettement ?

D’une part, que le budget de l’État se retrouve constamment pris en étau : d’un côté, des baisses d’impôts sont nécessaires pour stimuler la croissance et engendrer des recettes fiscales supplémentaires ; de l’autre, ces baisses de recettes entraînent un accroissement du déficit si elles ne sont pas suivies d’une hausse significative de l’activité ou d’une réduction des dépenses publiques. C’est pourquoi une politique raisonnée consiste à trouver des solutions pour favoriser l’investissement et l’activité sans nécessairement alourdir le déficit. C’est ce que fait le Gouvernement depuis 2012 en stabilisant le niveau des prélèvements obligatoires, tout en dégageant des marges de manœuvre pour les entreprises.

D’autre part, cela doit nous conduire à nous poser des questions sur le rythme de remboursement soutenable pour notre pays. La soutenabilité de la dette dépend, en effet, de l’écart entre le taux de croissance et le taux d’intérêt apparent applicable au stock de dette publique. Chaque fois que le taux de croissance est inférieur au taux d’intérêt apparent, le poids de la dette par rapport au PIB s’accroît, sauf coupe drastique dans les dépenses publiques.

Enfin, la gestion de la dette présente des paradoxes qui ne sont pas sans risque : alors que l’endettement public a augmenté de plus de 30 points de PIB depuis 2008, la charge de la dette est restée stable, voire a légèrement diminué, pour représenter 43,8 milliards d’euros en 2015.

Cela est dû à la faiblesse actuelle des taux d’intérêt, situation inédite qui peut se retourner à moyen terme. Le risque sur la dette publique serait alors important : pour une augmentation de taux d’intérêt de 1 point, la charge de la dette serait supérieure de 2 milliards d’euros dès la première année. L’impact étant cumulatif au fur et à mesure des réémissions de dette, la charge de la dette serait, en 2025, supérieure de 16,8 milliards d’euros à celle de 2016.

C’est pourquoi il est nécessaire de s’intéresser plus en détail aux modalités de gestion de la dette, point que traitera mon collègue Nicolas Sansu.

Avant de lui céder la parole, je tiens à rappeler que la situation n’est pas catastrophique, contrairement à ce que j’entends parfois : le déficit tend à être maîtrisé, le Gouvernement s’y employant depuis le début du quinquennat. Il reste encore des efforts à faire, mais les résultats montrent que la France est sur la bonne voie.

Pour le reste, je souhaite vous faire partager un point de vue plus personnel : au cours des auditions, nous avons pu apprécier le rôle joué par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Je trouverais particulièrement intéressant de mettre en place un mécanisme similaire à la CADES pour la dette de l’État, avec l’objectif d’éteindre celle-ci à long terme, en établissant un échéancier mettant en œuvre la stratégie de désendettement de l’État.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je rappelle que ce travail de la Mission d’évaluation et de contrôle était une demande de ma part, à la suite d’une proposition de résolution européenne que j’avais défendue devant notre commission l’année dernière. Dans la mesure où il est d’usage de nommer un rapporteur de la majorité et un rapporteur de l’opposition, et où ma position est incertaine, j’ai été « encadré » par deux collègues corapporteurs. Je tiens à les saluer ; nous avons travaillé ensemble de manière conviviale et, je l’espère, efficace.

Comme l’a rappelé Jean-Claude Buisine, la gestion de la dette s’opère dans un cadre contraint par les règles européennes et par un niveau élevé de dette, qui nous oblige à un refinancement régulier sur les marchés. La dette de l’État nous est apparue, dans ce cadre, très convenablement gérée : la charge de la dette est maîtrisée, et l’État met en œuvre son programme de financement sans anicroche, avec un taux moyen à l’émission de titres à moyen et long terme de 0,63 % en 2015, contre 4,15 % en moyenne sur la période de 1998 à 2008.

Ce satisfecit ne nous empêche pas de nous interroger sur la stratégie d’émission.

L’AFT – qui n’a d’agence que le nom, puisqu’il s’agit non pas d’une structure autonome, ainsi qu’il en existe dans certains pays, mais d’un démembrement de la direction générale du Trésor – résume sa stratégie en quelques mots : transparence, prévisibilité et adaptation à la demande des investisseurs. Elle travaille en relation étroite avec les dix-huit banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), qui ont pour rôle d’acheter les titres sur le marché primaire et d’assurer la liquidité du marché secondaire, ainsi que de conseiller l’État en matière de politique d’émission et de gestion de la dette. Les SVT nous ont indiqué que l’AFT était l’une des administrations les plus performantes en matière de gestion de la dette. Les liens entre les SVT et l’AFT sont d’ailleurs très resserrés, ce qui peut parfois poser des problèmes de conflits d’intérêts.

L’AFT explique qu’elle ne peut pas se montrer opportuniste en modifiant sa politique d’émission pour profiter du contexte, de taux d’intérêt très bas. Il nous semblerait pourtant possible de profiter davantage des opportunités de marché pour sécuriser une plus grande partie de la dette aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons actuellement.

En outre, je voudrais être très clair sur un sujet dont nous avons déjà beaucoup parlé au sein de notre commission : la réémission de souches anciennes, porteuses de coupons plus élevés que les taux du marché, ainsi que les primes d’émission qui en découlent.

D’une part, ces émissions ne coûtent globalement pas plus cher à l’État que celles qui portent des coupons proches des taux du marché. Ce qui est opéré, c’est un décalage dans le temps, c’est-à-dire l’encaissement immédiat d’une prime par l’État compensé par le versement, les années suivantes, de coupons plus élevés. D’autre part, cette stratégie d’émission n’est ni propre à la France, ni nouvelle : l’AFT y recourt régulièrement pour entretenir la liquidité du marché secondaire et répondre à la demande des investisseurs. Selon les explications de l’AFT, sans ces émissions, la moindre liquidité du marché entraînerait des taux d’intérêt plus élevés, notamment sur ces souches anciennes, qui sont recherchées.

À la différence des années précédentes, le montant des primes d’émission encaissées en 2015 a été extrêmement élevé : 22,7 milliards d’euros. Pourtant, la proportion de titres émis à partir de souches anciennes a été de 33,9 % en 2015, donc proche des niveaux enregistrés en 2010 et en 2012 – 32,7 % –, et moindre qu’en 2009 – 38,5 % – ou en 2011 – 40,5 %.

L’importance des primes encaissées – de mémoire, la prime la plus élevée a été de 8,9 milliards d’euros – et le montant total de 22,7 milliards proviennent de l’écart de taux entre les coupons sur les souches anciennes – de 4 à 6 % – et les taux d’intérêt actuels du marché.

Si cela soulever des questions quant à son résultat immédiat en comptabilité budgétaire, point dont nous avons débattu lors de l’examen du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015, en comptabilité nationale, sur longue période, il n’en va pas de même.

J’en viens au problème de la connaissance des détenteurs de la dette. L’un des buts de cette mission était de renforcer la transparence sur cette question. Force est de reconnaître que nous avons peu progressé : l’AFT nous a expliqué qu’elle n’avait pas une connaissance exhaustive de ses investisseurs et que celle-ci se heurtait à des obstacles qui sont détaillés dans le rapport et sur lesquels je reviendrai brièvement. Nous ne sommes pas convaincus que l’AFT nous ait fourni toutes les informations dont elle pouvait disposer. Cela reste donc un sujet d’interrogation.

Je rappelle ce que l’on sait : la dette de l’État est détenue à 62 % par des non-résidents, mais aucune répartition par pays ou par secteur d’activité n’est fournie ; les 38 % détenus par les résidents se répartissent entre les compagnies d’assurances pour 19 %, les établissements de crédit pour 9 %, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) pour 2 % et une catégorie « autres », dans laquelle figurent notamment les acteurs publics tels que la Banque de France.

La part de cette dernière catégorie augmente nécessairement avec la politique de rachat de titres, dite d’assouplissement quantitatif – quantitative easing –, menée par la Banque centrale européenne (BCE) et par son bras armé en France, la Banque de France. Ainsi, une part grandissante de la dette est détenue par la BCE, principalement via la Banque de France. La BCE a en effet acheté 152 milliards d’euros de titres français depuis que l’assouplissement quantitatif, décidé en mars 2015, est mis en œuvre. Et cela va continuer jusqu’en mars 2017.

Les autres informations dont dispose l’AFT proviennent des SVT, sur les transactions qu’ils opèrent. Il ressort de ce reporting qu’environ les deux tiers des investisseurs résident dans la zone euro et que les investisseurs hors zone euro se situent principalement sur le continent européen, au Moyen-Orient et en Asie.

Pour justifier l’absence de données précises sur la détention de la dette, l’AFT invoque le volume de titres échangé chaque jour sur le marché secondaire, qui s’élève à plus de 10 milliards d’euros. Chaque année, s’échange sur ce marché plus de 1,5 fois le montant total de la dette publique française. S’y ajoute le problème des intermédiaires entre l’émetteur et le détenteur final, qui peuvent être nombreux et internationaux. Je rappelle à cet égard qu’il n’y a aucune transaction directe entre l’État et les investisseurs finaux : l’État vend aux SVT sur le marché primaire, et ce sont eux qui revendent sur le marché secondaire.

Ces obstacles ne sont pourtant pas insurmontables. Il existe, pour les actions, un dispositif permettant d’identifier les porteurs de titres en interrogeant le dépositaire central et en remontant la chaîne. Techniquement, ce dispositif, même s’il n’est pas parfait, pourrait être transposé aux titres d’État, ce que l’article L. 228-2 du code de commerce exclut explicitement. Si ce verrou juridique n’a pas été levé, c’est parce qu’il y a, en fait, une volonté, très clairement exprimée par le directeur général de l’AFT, mais aussi par le ministre des finances Michel Sapin – lors des auditions –, de protéger l’anonymat des investisseurs, de crainte de les voir fuir le marché de la dette française. Comme s’ils avaient quelque chose à cacher !

L’une de nos propositions est donc de lever le verrou qui empêche l’État d’interroger le dépositaire central, à savoir Euroclear. Il ne s’agit pas de publier la liste des détenteurs de la dette de l’État, mais de permettre à celui-ci d’avoir accès à cette information, afin notamment d’éviter que les titres de dette de l’État ne viennent alimenter les paradis fiscaux.

En 2009, à l’initiative du rapporteur général Gilles Carrez, nous avions instauré, à l’article 125 A du code général des impôts, un prélèvement à la source sur les intérêts des valeurs du Trésor payés hors de France dans un État ou territoire non coopératif. Cette mesure rapporte moins de 1 million d’euros. On sait très bien qu’il suffit à celles et ceux qui détiennent de tels titres et localisent leurs revenus dans des États ou territoires non coopératifs de passer par un intermédiaire pour éviter ce prélèvement à la source.

Le manque de progrès sur la question de la transparence de la dette a été, je l’ai dit, la source de notre plus grande frustration dans le cadre de ce travail car la transparence est une condition de notre souveraineté. Ajoutons que, d’après ce que les dirigeants d’Euroclear nous ont indiqué lorsque nous les avons auditionnés le 29 mars dernier, le Trésor pourrait organiser lui-même les compensations, ce qui permettrait beaucoup plus de transparence.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Ainsi que mes collègues corapporteurs viennent de vous l’exposer, la dette publique pose de nombreux problèmes, celui de la transparence n’étant pas le moindre. Si la gestion de la dette par l’AFT nous a semblé professionnelle et efficace, voire assez remarquable, la question de l’endettement pose la question du soutien à l’activité sans aggraver son niveau.

J’ai joint une contribution au rapport, que j’ai intitulée « De la dérive à l’addiction ». Ce qui manque, c’est de faire le lien entre le recours à l’endettement et l’évolution du chômage car utiliser la dette pour soutenir l’activité n’a guère de sens si cela ne réduit pas le chômage.

Il nous a semblé nécessaire de proposer quelques pistes de réflexion.

Il s’agit notamment de se poser la question de l’évolution de certaines règles de l’Union européenne nous contraignant passablement sur un certain nombre de points.

D’un point de vue comptable, d’abord, il faudrait soustraire du calcul du déficit public les dépenses liées aux opérations militaires intéressant la sécurité de l’Europe et approuvées par le Conseil européen telles que l’intervention au Mali. Des propositions ont déjà été faites en ce sens, mais elles sont restées sans aucune suite. D’une manière générale, je me suis toujours interrogé sur le fait d’intégrer les dépenses de la défense dans les pactes de stabilité, car très peu de pays en Europe ont un budget d’investissement et de fonctionnement important dans le domaine de la défense, ce qui fausse les règles.

D’un point de vue économique, ensuite, les règles du pacte de stabilité et de croissance ne sont pas toujours favorables à l’investissement, même si la Commission européenne a accepté, en janvier 2015, une évolution de son interprétation : l’argent public placé dans le fonds européen finançant le plan d’investissement de 315 milliards d’euros, dit « plan Juncker », ne sera pas pris en compte dans le calcul du déficit du pays contributeur. C’est une avancée.

Par ailleurs, la Commission a assoupli les critères permettant d’activer la « clause d’investissement », qui permet de dépasser le niveau de déficit autorisé pour financer des dépenses d’investissement – le problème de la dette française, on l’a dit, en particulier de la dette de l’État, c’est qu’elle est essentiellement constituée de dépenses de fonctionnement.

Cette clause d’investissement fait écho aux règles applicables aux collectivités territoriales qui ne peuvent recourir à l’emprunt que pour financer de l’investissement – même si il y a un débat sur ce point : selon certains, l’investissement des collectivités territoriales est aussi permis par la dotation globale de fonctionnement (DGF), c’est-à-dire, in fine, par le budget de l’État.

Cependant, seuls sont pris en compte les investissements cofinancés par l’Union européenne, et les États soumis à une procédure pour déficit excessif, tels la France, ne peuvent s’en prévaloir. Ces restrictions limitent donc sérieusement notre capacité à investir. Il faudrait aller plus loin en permettant aux États soumis à une procédure pour déficit excessif de relancer leur investissement sans craindre des sanctions et en ne limitant pas la définition des investissements aux seuls projets cofinancés par l’Union européenne, ce qui en restreint excessivement le champ. Ce sont deux des propositions que nous formulons.

Dans la mesure où l’argent ne coûte pas cher, ce serait l’occasion d’investir fortement – j’avais d’ailleurs interrogé le ministre des finances à ce sujet. Mais, pour cela, il faut être crédible. Il serait vertueux de réaliser des investissements productifs qui relanceraient l’activité et, partant, amélioreraient les rentrées fiscales, mais l’Europe nous contraint. Nous sommes pris, en quelque sorte, dans un étau.

Plus généralement se pose la question des solutions pour que la dette ne soit pas un frein à l’investissement.

L’assouplissement quantitatif pratiqué par la BCE ne permet pas suffisamment de relancer l’investissement et le crédit aux entreprises : en transitant par le marché, la quantité de monnaie impressionnante créée par la banque centrale n’atteint que très peu l’économie réelle et alimente plus vraisemblablement de nouvelles bulles financières ou immobilières, ce qui est un autre risque majeur de l’excès d’endettement que nous connaissons. L’idée est donc de créer un lien direct entre la création monétaire et les entreprises.

La question pourrait se poser, dès lors, d’en passer par la monétisation des dettes publiques, mais celle-ci est interdite par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit, là encore, d’une contrainte : il n’est pas possible pour la BCE, ou pour les banques centrales nationales, d’acquérir des instruments de dette des États. Certains parmi nous le regrettent. À titre personnel, je considère qu’il n’y a aucune garantie pour que l’argent qui serait ainsi accordé à l’État soit utilisé à bon escient et ciblé sur l’investissement. Dans le cadre de ce travail, j’ai défendu l’idée que la dette devait être réservée à l’investissement. On ne devrait pas pouvoir s’endetter pour financer le fonctionnement quotidien : c’est un mécanisme très dangereux à terme.

Il reste que les établissements publics de crédits de la zone euro, à commencer par la Banque européenne d’investissement (BEI), peuvent accéder aux financements de la BCE dans les mêmes conditions que les établissements privés. Dès lors, rien n’interdirait à la BCE d’utiliser son pouvoir de création monétaire pour financer les organismes publics de crédit sur la base d’investissements concertés et programmés avec les États de la zone euro. En France, tel pourrait être le cas, par exemple, de la Caisse des dépôts et consignations ou de la Banque publique d’investissement (Bpifrance). L’intérêt d’un tel circuit direct serait de favoriser immédiatement l’investissement.

Cette opération permettrait une augmentation de la masse monétaire au bénéfice direct de l’économie réelle, une relance de l’activité et, par conséquent, de l’inflation, avec l’ensemble des effets bénéfiques qui en sont attendus sur le niveau des dettes publiques comme privées. En cas de surcroît d’inflation, perspective aujourd’hui très lointaine, il serait aisé de stopper cette politique.

On peut remarquer que tout converge : les taux d’intérêt sont bas, l’énergie ne coûte par cher et il n’y a pas d’inflation. Toutefois, l’absence d’inflation est aussi due, à mon avis, à la faiblesse de l’investissement. D’autre part, si les taux d’intérêt, actuellement très bas, reviennent à un niveau supérieur à l’inflation, notre dette risque de nous coûter de plus en plus cher.

Ces investissements produiraient, de plus, des recettes pour les États, notamment via la réduction du chômage, et contribueraient ainsi au rééquilibrage des budgets nationaux. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, c’est bien l’évolution de la courbe du chômage qui agrège l’économique et le social : si l’économie fonctionne, mais qu’elle est réservée à quelques-uns, nous avons raté notre pari social.

Une autre solution qui permettrait de réduire le coût de l’endettement serait d’accorder une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière (FESF), afin qu’il puisse prêter de l’argent aux États au même taux qu’il emprunte à la banque centrale, sans la prise d’intérêt opérée par le marché financier. Transformer le FESF en banque permettrait d’aider les États à se prémunir contre le risque de remontée des taux d’intérêt. Je souligne que même si le rapport entre l’augmentation des taux et l’accroissement de la charge de la dette est n’est pas exponentiel, et que ce mécanisme est généralement plus lent qu’on ne le pense, il n’en reste pas moins très dangereux.

Précisons que ce schéma impliquant le FESF est bien un schéma avec prêt et remboursement de prêts. Car il faut savoir que nous ne remboursons jamais le capital de la dette : nous réempruntons chaque année pour payer les annuités et les frais financiers.

Enfin, une dernière solution à explorer consisterait à recourir de manière accrue aux garanties publiques que pratique déjà l’État dans le cadre des plans industriels, notamment à travers l’action de Bpifrance.

En application de l’article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une garantie doit être autorisée par la loi de finances et fait l’objet d’un plafond, mais ces plafonds pourraient être augmentés sans alourdir le déficit. En effet, en comptabilité nationale comme en comptabilité budgétaire, les garanties ne sont pas intégrées à la dette publique tant qu’elles ne sont pas appelées. Cela permettrait d’encourager le secteur privé à développer l’investissement sans recourir au déficit de l’État.

Certes, il existe un risque potentiel, mais, en réalité, il ne se matérialise que rarement, et il est largement inférieur aux bénéfices de ce type de méthode, qui constitue un palliatif de l’absence de prise de risque du secteur bancaire privé. L’État pourrait supporter ce risque au regard des bénéfices qu’il en retirerait en termes de soutien à l’activité économique. Selon moi, nous n’arriverons pas à nous sortir de la situation actuelle sans prendre de risques.

D’une manière générale, je pense que seul l’investissement nous permettra de reprendre la bonne voie.

M. le président Gilles Carrez. Merci, messieurs les rapporteurs, pour cette présentation.

Je reviens sur le montant particulièrement élevé des primes d’émissions en 2015. Vous avez avancé un élément très important, M. Sansu : en 2015, la proportion des émissions sur souches anciennes a été dans la moyenne haute, mais elle n’a pas été anormalement élevée c’est bien l’écart de taux qui a fait la différence. Il y a cependant un aspect que vous n’avez pas évoqué : ces primes d’émission servent à rembourser de la dette. Et on ne m’enlèvera pas de l’idée que, en remboursant de la dette, notamment de la dette à court terme, on ralentit sa progression par rapport au PIB, ce qui est l’un des critères de Maastricht. Je suppose donc que le Gouvernement – chacun le ferait à sa place – va communiquer sur le fait que la dette n’a pas été un problème au cours de la présente législature, en soulignant la différence avec la précédente. Or c’est une vision sinon inexacte, à tout le moins très partielle.

Par ailleurs, qu’est-ce qui interdirait d’utiliser les primes d’émission à autre chose qu’au remboursement de la dette ? Il semble qu’elles soient traitées uniquement comme un phénomène de trésorerie, interne à la dette. N’aurait-on pas pu inscrire le montant de 22,7 milliards d’euros en recettes budgétaires, quitte à l’amortir, ainsi que le suggère Charles de Courson ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il y a sur ce point effectivement un effet d’aubaine. Dans le même temps, si cela change la donne pour 2015, cela ne la change pas sur la durée, quels que soient la maturité de ces souches anciennes et les coupons qu’elles portent.

Si l’on inscrivait ce montant en recettes budgétaires, il faudrait alors se poser la question d’inscrire aussi la provision correspondante, ce qui neutraliserait l’opération. Quoi qu’il en soit, la LOLF dispose que les primes d’émission sont des ressources de trésorerie, qui viennent donc immédiatement en déduction de la dette.

M. le président Gilles Carrez. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une affectation obligatoire.

M. Dominique Lefebvre. Il ne faut pas tout analyser à travers un prisme politicien : le montant très élevé des primes d’émission en 2015 correspond simplement à une réalité du marché. La question, c’est de le placer.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il est placé. Ce sont en effet les souches anciennes qui sont recherchées.

M. le président Gilles Carrez. Ainsi que l’a relevé la rapporteure générale la semaine dernière, la politique de rachat sur le marché secondaire pratiquée par la BCE assèche l’offre de ce type d’obligations.

M. Charles de Courson. Je reviens sur ce sempiternel problème : qui détient la dette française ? Vous expliquez pourquoi on ne veut pas savoir, mais, en réalité, l’AFT sait qui détient, in fine, la dette française. Si l’on connaît les flux, on peut calculer les stocks ou, à tout le moins, trouver des ordres de grandeur. Dans votre rapport, vous indiquez que les banques centrales elles-mêmes ne tiennent pas à ce que l’on sache pourquoi elles achètent ou vendent de la dette. Quelles sont leurs raisons ? Je suppose que c’est pour éviter la spéculation.

D’après ce que vous avez indiqué, la BCE, qui a décidé d’intervenir sur le marché secondaire, détient environ 150 milliards d’euros de titres français, soit un peu de moins de 10 % de notre dette. Or, avec l’extension de l’assouplissement quantitatif à 80 milliards par mois, on nous dit que ce montant augmenterait de 15 milliards par mois. Disposez-vous d’informations à ce sujet ? Quelle est la projection pour la fin de l’année 2016 ? Ce montant pourrait atteindre 250 à 280 milliards.

D’après le tableau que vous avez reproduit à la page 91 de votre rapport, le montant des primes d’émission encaissées entre 2012 et 2015, qui dépasse 45 milliards d’euros. Vous expliquez que l’une des raisons est l’intervention de la BCE sur le marché secondaire, qui a asséché le marché pour les institutions qui souhaitent acheter des titres plus chers afin de bénéficier de taux d’intérêt plus élevés. Pourriez-vous nous en dire plus sur l’intervention de la BCE ? Pourquoi s’intéresse-t-elle particulièrement aux souches anciennes, et non à des émissions plus récentes ? Rien ne l’empêcherait d’acheter des titres sur le marché secondaire quelques jours après leur émission.

J’en termine par la traduction comptable de ce phénomène, qui devient massif. Vous indiquez qu’« en comptabilité générale, les primes ou décotes font l’objet d’un étalement sur la durée de vie des titres ». Dès lors, on trouve désormais, dans la comptabilité générale de l’État, des charges financières qui ne sont pas les mêmes qu’en comptabilité budgétaire. La LOLF assimile l’ensemble des opérations relatives aux emprunts à des opérations de trésorerie, alors que, dans toutes les autres institutions publiques, y compris les collectivités territoriales, il s’agit d’opérations budgétaires. J’avais tenté de faire supprimer cette disposition proprement monstrueuse de la LOLF, hélas sans succès. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ? Quel est l’écart entre les charges financières en comptabilité budgétaire et les charges financières en comptabilité générale ?

M. Alain Chrétien. La principale information que je retiens de ce rapport, c’est que près des deux tiers de la dette de notre pays appartiennent à des non-résidents, États ou entités, que l’on ne connaît pas. En termes de souveraineté financière et de souveraineté nationale, cela ne peut pas laisser indifférent ! Vous êtes-vous interrogés l’évolution de la part de la dette détenue par les non-résidents ?

Au Japon, la dette publique atteint 200 % du PIB, ce qui pourrait être une catastrophe nationale – en France, elle approche 100 % du PIB et nous sommes en difficulté – mais cette dette appartient en grande majorité aux Japonais. Ils savent à qui appartient leur dette, puisqu’ils la possèdent !

Il serait donc important que l’on réfléchisse à la manière de réorienter notre endettement afin que notre dette appartienne principalement au peuple français. C’est une question de souveraineté nationale. D’autant que, au regard de l’évolution des taux d’intérêt, que vous avez évoquée, se pose la question de la dépendance vis-à-vis de ces institutions étrangères, dont on ne connaît pas les intentions. Aujourd’hui, la Chine est la première créancière des États-Unis : elle peut changer la structure de la dette américaine quand et comme elle le veut. Peut-être sommes-nous, nous aussi, tributaires de circonstances analogues.

Je m’interroge : cette ignorance est-elle voulue ou non ? Charles de Courson indique qu’on ne veut pas savoir, ce qui est pire encore que de ne pas savoir.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. On peut savoir.

M. Alain Chrétien. Alors, il faut que l’Assemblée nationale sache ! Et qu’on ne nous dise pas qu’on peut savoir, mais qu’on ne fait rien pour ! Vous avez proposé de lever les verrous juridiques ; cela me semble absolument indispensable. Si l’on veut être souverains, il faut dire clairement que l’on veut que la dette française soit en majorité détenue par des résidents.

M. Dominique Lefebvre, président. Je félicite à mon tour les rapporteurs. Ce sujet n’est pas simple à traiter, car il y a de multiples aspects, notamment la question de la sincérité de la dette dans un environnement macroéconomique donné et dans le contexte mondialisé que nous connaissons. Le rapport est très riche en informations. J’ai lu avec intérêt les contributions de Jean-Pierre Gorges et de Nicolas Sansu, qui montrent bien que la question de la dette donne lieu à des approches différentes et à de nombreux débats politiques.

Depuis 2012, la question de savoir qui sont les non-résidents qui détiennent plus de 60 % de notre dette revient assez régulièrement sur tous les bancs. Certains estiment que ce niveau de détention est une atteinte intolérable à la souveraineté et à l’indépendance nationales, et exigent la transparence en la matière. Cela dit, une fois que l’on saura qui détient la dette, que fera-t-on de plus ou de moins ? Si l’on veut être indépendant en matière de dette, il faut dépendre de soi-même, c’est-à-dire être fort économiquement.

Dès lors que les dépenses sont supérieures aux recettes, il y a deux possibilités : soit on emprunte à ceux qui ont de l’argent, soit on émet de la monnaie, ce qui ne peut se faire désormais que dans le cadre de la zone euro. L’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire le rachat par la BCE de titres d’État à des intermédiaires financiers, se traduit, in fine, par de la création monétaire.

La question fondamentale reste celle de la stabilisation de la dette et, à long terme, de sa réduction. À cette fin, il faut connaître les origines de la dette et ses effets, dont certains sont d’ailleurs positifs. Nous disons tous assez spontanément que le financement à moyen terme, par la dette, des dépenses de fonctionnement ou de la protection sociale est absurde. Dans une période de croissance faible ou lorsqu’il y a des chocs de court terme, il est assez normal que l’Unédic ait une dette, mais il y a un problème si les comptes évoluent toujours dans le même sens et que cette dette devient perpétuelle.

Tous les gouvernements depuis 1974, quelle que soit leur couleur politique, ont leur part de responsabilité dans la progression de la dette. Néanmoins, il y a eu deux périodes de forte augmentation : d’une part entre 1993 et 1998, d’autre part entre 2002 et aujourd’hui, avec 400 milliards d’euros supplémentaires entre 2002 et 2007, puis 600 milliards au cours de la période suivante. Aujourd’hui la dette tangente les 100 % du PIB. Pendant très longtemps, mes collègues de la Cour des comptes ont écrit dans leurs rapports que dépasser les 100 % serait une catastrophe, compte tenu de l’« effet boule de neige ». Mais pourquoi 100 % plutôt que 90 % ou 60 %, taux qui constitue l’un des critères de Maastricht ? On ne le sait pas. Le vrai problème, c’est lorsque la dette progresse de manière continue et que l’on n’arrive pas à la maîtriser, ce qui renvoie aux politiques qui sont menées.

Il faut d’ailleurs raisonner en prenant en considération la dette publique globale plutôt que sa répartition par catégories d’administrations, dès lors notamment que l’État transfère 105 milliards de crédits budgétaires et d’outils fiscaux aux collectivités territoriales. On dit souvent que les collectivités territoriales sont, par définition, mieux gérées que l’État et que leur dette est vertueuse, car elles ne s’endettent que pour investir, mais, en réalité, les dépenses de fonctionnement des collectivités progressent deux à trois fois plus vite que celles de l’État.

D’autre part, il y a la question, posée notamment par Nicolas Sansu, de savoir s’il existe des mécanismes qui permettraient, à dette équivalente, de réduire le coût de son financement, ce qui renvoie à la question du rôle des banques centrales et des intermédiaires financiers. En l’espèce, j’appelle l’attention sur un paradoxe : ainsi que le montre le rapport, le coût de la dette n’a cessé de baisser. Certes, la question de la détention de la dette par les non-résidents et celle du fonctionnement des marchés financiers méritent d’être posées, mais il faut se garder des raccourcis populistes en la matière. Cela étant, tout le monde sait qu’une partie de notre dette est détenue par les banques centrales de pays asiatiques, ce qui renvoie à d’autres déséquilibres macroéconomiques mondiaux.

Le rapport est très intéressant et va alimenter le débat. Néanmoins, la seule réponse simple que l’on peut apporter est la suivante : il vaut toujours mieux avoir un endettement maîtrisé qu’un endettement dont on n’arrive pas à freiner la progression, tant en termes de souveraineté et d’indépendance qu’en termes de coût.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Pourquoi ne veut-on pas dire quelles banques centrales achètent ou vendent nos titres ? Le directeur général de l’AFT nous a expliqué très clairement qu’il s’agissait d’éviter la spéculation sur certains États – je vous renvoie à son audition. Pour ma part, je ne pense pas que cet argument soit opérant.

Les titres de dette publique français constituent 18 % des actifs rachetés par la BCE. Il est en effet probable que la part de dette française détenue par la BCE atteindra 260 ou 270 milliards d’euros à la fin du processus, si l’assouplissement quantitatif s’arrête en mars 2017 – mais bien malin qui peut dire si cette politique de liquidité va continuer ou non.

Monsieur le président, l’assouplissement quantitatif n’est pas de la création monétaire ex nihilo, puisqu’il y a un remboursement ; ce n’est donc pas tout à fait l’équivalent de la création monétaire que l’on pratiquait auparavant avec le circuit du Trésor.

Nous n’avons pas abordé la question de l’écart entre comptabilité budgétaire et comptabilité générale dans le rapport. Les chiffres figurent dans le projet annuel de performances de la mission Engagements financiers de l’État.

Bien évidemment, monsieur le président, il vaut mieux un endettement maîtrisé qu’un endettement non maîtrisé, mais il y a plusieurs manières de maîtriser son endettement. Certains vous expliqueront qu’on dépense trop, d’autres que tout dépend de la manière de financer la dette. Les uns et les autres ont d’ailleurs raison en partie. Selon moi, l’un des enjeux est la transparence. On nous dit qu’on ne peut pas faire la transparence si tout le monde ne la fait pas. Mais, si l’on en reste là, on ne la fera jamais, ce qui pose un problème, notamment pour traiter la question des États et des territoires non coopératifs. On sait que les banques centrales du Moyen-Orient et d’Asie détiennent une part non négligeable de la dette française, mais on connaît les flux, non les stocks. L’AFT et Euroclear peuvent calculer les stocks à partir des flux.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Je comprends la question de notre collègue Alain Chrétien. Techniquement, on peut savoir qui sont les détenteurs non-résidents. Mais le système actuel nous permet d’émettre de la dette à des taux très bas, voire négatifs. Le risque, c’est que le marché se bloque, et que l’on ne puisse plus y avoir accès pour refinancer la dette, sachant que l’on ne rembourse pas le capital.

Le véritable piège est que, plus la dette augmente, plus les frais financiers diminuent. En d’autres termes, plus on emprunte, moins cela coûte cher d’emprunter. Dans la mesure où l’on ne rembourse pas le capital et que les frais financiers diminuent avec l’augmentation de la dette, l’endettement est devenu un mode de fonctionnement, l’outil des responsables politiques, dans la limite du plafond symbolique des 100 % du PIB. On nous habitue à vivre avec la dette, mais, le jour où le retournement des taux d’intérêt se produira, cela nous coûtera très cher, peut-être un ou deux points de croissance.

En résumé, l’anonymat nous permet d’avoir des frais financiers faibles, mais risque de nous coûter cher à moyen terme.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il est aussi nécessaire de connaître les détenteurs de la dette afin de savoir qui est susceptible de jouer avec nous ou contre nous en cas de retournement des taux d’intérêt. Cela réduirait les risques.

Ainsi que nous l’avons précisé dans le rapport, « connaître » ne signifie pas « publier ». Il s’agit non pas d’établir un cadastre public, mais de disposer d’un certain nombre d’informations, comme en matière d’impôt sur le revenu.

M. Dominique Lefebvre, président. Donc, il ne s’agit pas d’instaurer un reporting public sur la dette.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Non. En revanche, il est important de pouvoir remonter jusqu’au détenteur final.

En application de l’article 145 du règlement, la commission autorise la publication du rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion et la transparence de la dette publique.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 6 juillet 2016 à 9 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Pascal Cherki, M. Alain Chrétien, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Yann Galut, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, M. Jacques Pélissard, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Olivier Carré, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Fruteau, M. Joël Giraud, M. David Habib, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, M. Laurent Marcangeli, M. Camille de Rocca Serra, M. Gilles Savary, M. Philippe Vigier

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