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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 16 décembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen, en lecture définitive, du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (M. Carlos Da Silva, rapporteur)

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine, en lecture définitive, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (M. Carlos Da Silva, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Notre Commission est réunie cet après-midi afin de procéder, en lecture définitive, à l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

M. Carlos Da Silva, rapporteur. Nous entrons dans la dernière étape de la navette parlementaire, avec l’examen du texte en lecture définitive et son vote demain en séance publique.

Mercredi dernier, en nouvelle lecture, la commission spéciale du Sénat a rétabli l’essentiel du texte que cette assemblée avait adopté en seconde lecture.

Les principales divergences entre les deux assemblées demeurent, portant essentiellement sur : l’opportunité de l’article 1er A, qui n’a aucune portée juridique ; la délimitation des régions prévues à l’article 1er – les deux découpages proposant des solutions divergentes pour l’Alsace, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ; les modalités d’évolution volontaire des limites régionales prévues à l’article 3, dont ce qui a été improprement appelé le « droit d’option » ; enfin, le nombre minimal de conseillers régionaux par département, prévu à l’article 7.

Hier, en séance publique, le Sénat a adopté un seul amendement, présenté par M. Jacques Mézard à l’article 7, portant à cinq le nombre minimal de conseillers régionaux par département, contre l’avis de sa commission spéciale et du Gouvernement. Le rapporteur de la commission spéciale, M. François-Noël Buffet, avait appelé à maintenir l’article 7 dans sa rédaction issu des délibérations de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, après avoir souligné qu’elle découlait d’un échange constructif avec le Gouvernement et moi-même. Naturellement, je suis également favorable à un tel maintien.

Puisque ces désaccords persistent, c’est désormais à notre Assemblée que revient le dernier mot : conformément au dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution, à ce stade de la procédure, l’Assemblée nationale ne peut reprendre que le dernier texte qu’elle a elle-même adopté, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat. En conséquence, en vue de la lecture définitive, je vous propose de reprendre le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

La Commission en vient à l’examen des amendements identiques CL1 de M. Patrick Hetzel et CL2 de M. Éric Straumann, déposés à l’article 7 du projet de loi.

M. Patrick Hetzel. Nous regrettons que le Gouvernement ait persévéré dans l’erreur que constituent ces regroupements – avis que partage au demeurant le président du conseil régional Champagne-Ardenne, M. Jean-Paul Bachy. Celui-ci a en effet déploré le mépris du Gouvernement à l’égard des collectivités régionales en général et de la sienne en particulier. Il s’est également dit surpris du fait qu’au cours de la procédure le président du groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC) de l’Assemblée nationale n’ait pas jugé opportun de recevoir les présidents de conseil régional, pas même ceux appartenant à sa propre majorité.

Nous sommes nombreux à nous être insurgés contre la manière dont le débat s’est déroulé. Alors que 96 % des élus régionaux et départementaux d’Alsace, soit une majorité allant bien au-delà de la « majorité alsacienne », se sont prononcés en faveur de l’organisation d’un nouveau référendum portant sur la création d’un conseil unique d’Alsace, le Gouvernement n’a pas daigné donner suite à cette requête. Sa seule réaction a consisté à faire en sorte que la majorité s’y oppose à l’Assemblée nationale, et le président du groupe SRC, M. Bruno Le Roux, a d’ailleurs dû intervenir à de nombreuses reprises pour rappeler les équilibres à maintenir.

Voilà qui ne me paraît pas de bon augure : même les Révolutionnaires, qui n’étaient pourtant pas tous de grands démocrates, ont procédé à une consultation de plus d’un an avant de délimiter les départements français. Aujourd’hui, la consultation a cédé le pas à l’imposition d’une réforme par une majorité qui ne tient nullement compte de la volonté des élus du territoire. On nous a régulièrement objecté que le référendum organisé au début de l’année 2013 en Alsace s’était soldé par un rejet, mais il est clair qu’aujourd’hui le résultat serait très différent.

M. Éric Straumann. Il est dommage que nous n’ayons pu entretenir de réel dialogue avec le Sénat, alors que ce dernier avait formulé une proposition pour défendre l’Alsace, en dépit de son désaccord de forme et de fond avec le présent texte.

Plus généralement, je constate que l’on traite les élus alsaciens avec grand mépris. Lorsque, le 3 août dernier, le président de la République fut accueilli de façon fort républicaine au Hartmannswillerkopf par les élus alsaciens, il nous a solennellement promis, au cours d’un échange de plus d’une heure, de nous recevoir à l’Élysée afin de discuter du sort de l’Alsace. Mais, alors qu’une date avait été fixée en septembre pour cette rencontre, il semble qu’une panne de scooter ait empêché que cet engagement soit tenu… (Protestations des membres du groupe SRC.) Je suis persuadé, en effet, qu’il l’aurait été si certaines circonstances n’avaient pas interféré. Toujours est-il que, malgré plusieurs relances de notre part, il ne nous a jamais reçus par la suite. C’est la première fois dans l’histoire de la République que l’on modifie les institutions d’une collectivité territoriale contre l’avis de tous les parlementaires qui en sont originaires. Je n’imagine pas que l’on puisse procéder ainsi dans une autre région de France ! Le président de la République a rappelé tout récemment sa volonté de favoriser la démocratie participative, mais jamais cette volonté ne s’est traduite dans les faits en la matière.

Nos élus ne pouvant accepter une telle réforme, c’est avec beaucoup d’impatience que nous attendons la prochaine alternance. Ce que la loi fait, elle peut le défaire. En 2017, nous saurons présenter un texte qui réponde à la volonté exprimée par la population et par les élus. Je trouve regrettable, dans l’intérêt même d’une bonne administration de la République et de la bonne gouvernance de notre pays, que vous fonciez ainsi dans le mur et obligiez des fonctionnaires à travailler pendant un an à un projet qui ne verra pas le jour.

Pour conclure, je souhaiterais interroger notre rapporteur. Les Corses proposent actuellement d’organiser un référendum en vue de fusionner leur collectivité territoriale avec les deux départements qui la composent. Ceci est-il juridiquement possible avant les élections départementales du mois de mars prochain – auquel cas les Alsaciens pourraient les suivre dans cette voie ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je n’ai pas souhaité déposer d’amendement parce que je connais les règles et parce que, de toute façon, cela n’aurait en rien résolu le problème. Je n’en persiste pas moins à considérer que cette réforme a été mal préparée : il aurait fallu mener une plus grande concertation, mieux écouter les parlementaires et en particulier les parlementaires alsaciens et lorrains.

En tant que députée mosellane, j’ai été choquée que notre région n’ait pas été traitée de la même façon que les autres. Chacun sait que l’argument utilisé à maintes reprises à la fois par le rapporteur et par certains de nos collègues, selon lequel la fixation du chef-lieu par la loi allait conforter Strasbourg en tant que capitale européenne, est un faux argument, car ce statut de capitale européenne découle d’un traité, sur lequel nul ne songerait à revenir. Je déplore, pour ma part, que les autres régions aient la possibilité de choisir leur capitale alors qu’on nous impose la nôtre. Les représentants de cette future région n’en sont que plus mal à l’aise. Pas plus tard que ce matin, au sein de l’Observatoire de la laïcité, nous évoquions le droit local et en particulier le Concordat – or aucun travail de réflexion n’a été mené en la matière.

Pour adhérer à un projet, il faut avoir la possibilité de choisir. N’avez-vous d’ailleurs pas à tout instant évoqué le référendum ? Eh bien, si vous ne nous laissez pas le choix, les conséquences électorales de votre attitude risquent d’être difficiles à gérer.

Enfin, j’estime n’avoir pas eu assez de garanties concernant le chef-lieu de la zone de défense, ni l’avenir de la cour d’appel. Ce n’est certes pas le sujet, mais le fait d’inscrire dans la loi que Strasbourg sera chef-lieu de la région nous interpelle.

Vous disiez vouloir faire une grande réforme ; ce ne sera malheureusement pas le cas, tant ce texte aura suscité de divisions, et je le regrette profondément.

M. Paul Molac. Je reviens sur la divergence d’interprétation de l’article 45 de la Constitution entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous voici empêchés, en effet, de déposer à nouveau certains amendements qui avaient été adoptés par la commission spéciale du Sénat, alors même que notre esprit de conciliation nous aurait conduits à rechercher un compromis entre les deux assemblées. L’un de ces amendements concernait l’Alsace, et ma question rejoint celle de M. Straumann : une fois le texte voté, qu’est-ce qui empêchera les deux départements de voter leur fusion à la majorité des trois cinquièmes dans un délai relativement court ? J’attends l’avis du grand constitutionnaliste que vous êtes, monsieur le Président…

Nous aurions souhaité, par ailleurs, l’instauration, dans les mêmes termes que le Sénat, d’un droit d’option que la loi actuelle ne permet pas.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’article 45 de la Constitution, qui n’a pas été modifié sur ce point par la révision constitutionnelle de juillet 2008, dispose qu’en lecture définitive l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte paritaire (CMP) – qui, en l’espèce, a échoué –, soit le dernier texte voté par elle, « modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». L’article 114 de notre Règlement reprend ces dispositions et n’a pas été non plus modifié sur ce point en 2009.

Un seul amendement a été adopté par le Sénat. Il porte sur l’article 7. Dès lors, aucun autre amendement ne peut être déposé en lecture définitive à l’Assemblée. C’est pourquoi plusieurs amendements qui n’ont pas été adoptés par le Sénat en séance, mais seulement en commission, ont été déclarés irrecevables aujourd’hui. Cette position de l’Assemblée est constante depuis la révision constitutionnelle de 2008 et ne souffre aucune exception.

Le dernier mot étant donné à l’Assemblée nationale, nous nous trouvons à l’étape ultime de la procédure parlementaire, qui a pour seul but non pas de retravailler le texte comme lors des étapes précédentes, mais de mettre fin à un différend entre les deux assemblées.

Le texte même de l’article 45 de la Constitution est sans équivoque sur l’objet de la nouvelle lecture dans la seconde chambre. En nouvelle lecture, le rôle du Sénat – et c’est un désaccord que nous avons avec lui – n’est pas à proprement parler d’élaborer un texte, contrairement aux étapes précédentes de la navette, mais d’adopter des amendements susceptibles d’être repris tels quels en lecture définitive par l’Assemblée. L’article 45 évoque clairement les amendements votés par le Sénat dans son ensemble, et non pas simplement en commission.

Il s’agit là de l’interprétation stricte de la Constitution, qui est la doctrine de l’Assemblée et que je vais respecter. Ainsi n’avez-vous pu défendre, mes chers collègues, des amendements que vous ne pouviez pas déposer…

M. le rapporteur. Je trouve la défense des deux amendements déposés par nos collègues assez étonnante au regard de leur contenu lui-même, puisqu’il s’agit, je le rappelle d’assurer un seuil minimum de cinq conseillers régionaux par département...

Personne ne peut soutenir qu’il n’y a pas eu suffisamment de concertation. Cela fait une dizaine d’années que des députés et des sénateurs, de droite comme de gauche, travaillent sur cette idée de rapprochement de régions. J’ai moi-même, en tant que rapporteur, longuement écouté les présidents de conseil régional, en tout cas tous ceux qui ont bien voulu se déplacer pour donner leur avis, mais le rôle de la représentation nationale est de prendre des décisions, décisions dont j’ai conscience qu’elles peuvent déplaire, y compris à des élus de ma sensibilité politique. C’est ainsi.

S’agissant des amendements eux-mêmes, je m’étonne que le sénateur Mézard les ait déposés, et j’émets un avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. Vous aurez noté qu’aucun député alsacien – pas même les deux députés socialistes de la région – n’a voté ce texte. Or vous avez balayé d’un revers de main cette unanimité qui s’est exprimée à l’occasion de chacune des trois lectures. Considérer qu’une région puisse être rattachée à une autre sans qu’aucun de ses élus n’y soit favorable, c’est une curieuse conception de la concertation ! L’unanimité des élus contre le texte aurait dû vous conduire à le modifier. Nous regrettons amèrement que vous ne l’ayez pas fait.

M. Paul Molac. Vous n’avez pas répondu à ma seconde question, monsieur le Président.

M. Guy Geoffroy. Ni à la première !

M. Paul Molac. Une fois le texte voté, et dès lors qu’il ne prévoit plus de consultation des électeurs, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin pourront-ils fusionner ?

M. le rapporteur. Aucun des arguments, a fortiori ceux défendus par les parlementaires alsaciens, n’a été balayé d’un revers de main, monsieur Hetzel. D’abord parce que vous les avez bien défendus, fût-ce parfois, de mon point de vue, avec quelque excès ; ensuite parce que vous n’avez pas convaincu la majorité de l’hémicycle – or c’est l’ensemble des députés qui représentent la nation française et le peuple tout entier.

Le dispositif permettant la fusion de régions ou de départements à une majorité qualifiée des élus doit entrer en vigueur le 1er janvier 2016. En attendant, c’est la loi en vigueur qui, bien sûr, s’applique, aux termes de laquelle toute fusion ne peut être décidée que par référendum – avec une double ou une triple majorité en fonction du nombre de collectivités concernées. Le présent texte offre donc en la matière une possibilité nouvelle, plus « ouverte », d’évolution de la carte régionale.

M. Éric Straumann. Puisque la loi en vigueur continue de s’appliquer, nous pourrions envisager, à l’instar des Corses, de lancer un processus de fusion des deux départements d’Alsace avec la région. Je ne suis pas un grand spécialiste de droit constitutionnel ni de droit administratif mais les trois collectivités concernées ont délibéré en ce sens à une majorité de 96 %. N’en pas tenir compte ne constitue-t-il pas un déni de démocratie ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. C’est un autre débat.

Les amendements identiques CL1 et CL2 sont rejetés.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

La séance est levée à 18 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Carlos Da Silva, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jean-Jacques Urvoas, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Autres députés. - M. Patrick Hetzel, M. Éric Straumann.