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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 17 décembre 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Lionel Jospin dont la nomination en qualité de membre du Conseil Constitutionnel est proposée par M. le Président de l’Assemblée nationale (M. Guillaume Larrivé, rapporteur)

– Vote sur la proposition de nomination de M. Lionel Jospin en qualité de membre du Conseil Constitutionnel

– Présentation du rapport de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées (Mme Cécile Untermaier et M. Philippe Houillon, rapporteurs).

– Présentation du rapport de la mission d’information sur les modalités d’inscription sur les listes électorales (Mme Elisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, rapporteurs).

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Lionel Jospin dont la nomination en qualité de membre du Conseil constitutionnel est proposée par M. le Président de l’Assemblée nationale (M. Guillaume Larrivé, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Lionel Jospin, qui pourrait devenir le soixante-dix septième membre du Conseil constitutionnel depuis sa création, en 1958, dans des circonstances loin de faire l’unanimité. Si d’aucuns, à l’image de Michel Debré, espéraient qu’il joue un rôle de juge constitutionnel, certains parlementaires, comme André Chandernagor, ne voulaient pas de cette institution, tandis que d’autres – je pense à François Luchaire – auraient voulu limiter son rôle à celui de répartiteur des compétences normatives.

Avec le temps, le Conseil, en raison notamment de sa jurisprudence, n’a cessé d’évoluer. Il est aujourd’hui devenu protecteur des droits et libertés, rôle essentiel dans un État de droit. Rares étaient pourtant, en 1958, les observateurs qui auraient imaginé une telle révolution, tant notre tradition constitutionnelle et juridique était hostile à l’idée que la loi puisse être jugée par d’autres que ceux qui la font.

Je ne suis pas le seul ici à penser que cette institution doit continuer à évoluer. C’est dans cette perspective que le président de la République a fait déposer sur le bureau de notre assemblée, en mars 2013, un projet de loi prévoyant que les anciens présidents de la République ne soient plus membres de droit du Conseil. Sans doute nous direz-vous ce que vous pensez d’un tel projet de réforme constitutionnelle, que nombre des membres de cette commission soutiennent.

Peut-être aborderez-vous également la question de la transparence des procédures, notamment dans le cadre du contrôle a priori, en évoquant les opinions « séparées », c’est-à-dire celles qui se différencient des opinions majoritaires. En réponse au questionnaire qui vous a été adressé, vous êtes montré plutôt réservé quant à la publicité de ces opinions ; pour ma part, j’y suis plutôt favorable, dans la mesure où une décision de justice puise sa rationalité dans la confrontation des raisonnements qui l’ont fait naître et qu’il est donc utile d’en connaître le cheminement.

En définitive, les mutations les plus fortes qui attendent l’institution sont sans doute à anticiper dans les relations qu’elle entretient avec les autres juridictions, qu’il s’agisse des juridictions nationales ou européennes comme la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour de justice de l’Union européenne. Plutôt qu’à une concurrence entre toutes ces instances, c’est vers une harmonie et un clair partage des compétences, indispensables à la réalisation d’un État de droit le plus complet possible, qu’il faut tendre. Ce n’est donc pas en termes de hiérarchie qu’il faut envisager les rapports entre ces juridictions mais en termes de complémentarité, au service des droits et des libertés mais aussi de l’intérêt général.

Il me reste à vous remercier, monsieur le Premier ministre, de vous prêter à cet exercice, sous la responsabilité de Guillaume Larrivé, qui a accepté d’être le rapporteur de cette nomination, comme c’est désormais l’usage au sein de la commission des Lois, où les propositions de nomination sont précédées d’un rapport, toujours confié à l’opposition.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Vous avez bien voulu, monsieur le Premier ministre, vous soumettre à cette audition, en acceptant la proposition qui vous a été présentée par le Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui souhaite vous nommer au Conseil constitutionnel afin d’achever le mandat, trop tôt interrompu, du regretté Jacques Barrot, qui avait été nommé en 2010 par le Président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer.

Votre mandat courrait, par conséquent, jusqu’en février 2019. Je précise que, à l’expiration de ce mandat, vous ne pourriez être à nouveau nommé membre du Conseil constitutionnel, l’article 12 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n’autorisant une nouvelle nomination que si le membre du Conseil constitutionnel a occupé des fonctions de remplacement depuis moins de trois ans.

Qu’il me soit permis de rappeler, à titre liminaire, ce qui fonde l’avis que notre commission est aujourd’hui invitée à exprimer. La commission des Lois a compétence pour donner un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, en vertu des articles 13 et 56 de la Constitution, dans leur rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, et des lois organique et ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application.

S’agissant d’une nomination proposée par le Président de l’Assemblée nationale, notre Commission est seule compétente. Elle a la faculté, le cas échéant, de s’opposer – par un vote secret, acquis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein de la Commission – à une nomination qui ne paraîtrait pas conforme à l’intérêt de notre pays. C’est là un important progrès des droits du Parlement, souhaité et organisé par la révision constitutionnelle conduite sur l’initiative du président de la République Nicolas Sarkozy, malgré les réticences et les doutes de l’opposition de l’époque. Chacun peut désormais, sur tous les bancs, se féliciter de cette avancée démocratique majeure, qui donne aux représentants de la Nation le pouvoir d’exprimer un avis sur la composition du Conseil constitutionnel. Dans cet esprit, je remercie le Président Jean-Jacques Urvoas d’avoir choisi un rapporteur issu des rangs de l’opposition, alors qu’il n’y était pas tenu par les textes.

Votre rapporteur ne croit pas opportun de présenter ici le parcours de M. Lionel Jospin, que chacun connaît pour ce qu’il est, celui d’un homme public éminent, engagé dans la vie politique de notre pays, au service de l’État, ayant assumé pendant cinq années la direction du gouvernement de notre République.

Si votre nomination est confirmée, vous serez, à ce stade, le seul ancien Premier ministre de la Ve République à avoir été nommé au Conseil constitutionnel. Georges Pompidou y avait siégé entre 1959 et 1962, avant de devenir chef du Gouvernement, et Jacques Chirac en est membre de droit en sa qualité d’ancien président de la République.

Je suis, pour ma part, favorable au fait que des personnalités qui ont occupé les fonctions les plus éminentes au cœur de l’État puissent faire bénéficier le Conseil constitutionnel de leur expérience, qu’il s’agisse des anciens chefs de l’État, membres de droit, ou, le cas échéant, d’anciens Premiers ministres nommés au Conseil constitutionnel, dès lors qu’ils ont quitté la vie politique. Il s’agit là peut-être d’un point de nuance, voire de désaccord avec vous, monsieur le Premier ministre, puisque la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, que vous avez présidée en 2012, avait estimé que « l’appartenance [...] au Conseil constitutionnel, de ceux qui ont été les plus hauts responsables politiques du pays introduit [...] par elle-même, une forme de confusion entre fonctions juridictionnelles et fonctions politiques qui ne [...] paraît pas souhaitable ». Je ne partage cet argument de principe ni pour les anciens présidents de la République ni pour les anciens Premiers ministres, dès lors qu’ils ont fait le choix de quitter la vie politique. Et je suis certain que vous aurez à cœur, si vous rejoignez le Conseil constitutionnel, d’éviter toute confusion entre la fonction juridictionnelle et la fonction politique.

Je terminerai cette introduction en vous priant, monsieur le Premier ministre, de nous faire part de votre analyse sur les missions du Conseil constitutionnel et la manière dont vous entendez y contribuer. De quelque manière qu’on le regarde, du point de vue du législateur, de la doctrine ou du justiciable, le Conseil constitutionnel a connu, au fil de la Ve République, une profonde mutation. Le général de Gaulle avait créé le Conseil comme un organe de régulation des relations entre les différentes institutions. Dès 1971, celui-ci a heureusement choisi, de manière assez prétorienne, de contrôler la constitutionnalité des lois, en étudiant leur conformité non plus seulement à la lettre de la Constitution, mais aussi aux principes, droits et libertés énoncés et garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par les autres éléments du « bloc de constitutionnalité ». Valéry Giscard d’Estaing a ensuite profondément transformé l’institution, avec la révision de 1974 qui a permis la saisine du Conseil par soixante parlementaires, autrement dit par l’opposition. Le Conseil constitutionnel est enfin entré dans un nouvel âge avec la révision de 2008, voulue par le président Nicolas Sarkozy et créant la question prioritaire de constitutionnalité, qui donne à tous les justiciables le droit de provoquer la saisine du Conseil constitutionnel pour faire valoir leurs droits fondamentaux. C’est une avancée majeure de l’État de droit : tout l’édifice des lois est désormais susceptible d’être contrôlé par le Conseil constitutionnel au regard des droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité.

Si la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité s’est traduite, dans un premier temps, par un important accroissement de l’activité du Conseil, le nombre de QPC semble s’être stabilisé ces dernières années – 74 décisions en 2012 et 66 en 2013. Néanmoins, les statistiques témoignent de l’activité intense du Conseil constitutionnel : en 2013, celui-ci a rendu 357 décisions, dont 89 dans le cadre du contrôle de constitutionnalité – dont 66 QPC –, 257 en matière d’élections et 11 dans le cadre de ses autres compétences – déclassements, incompatibilités et décisions d’organisation interne.

Cela représente, en moyenne, près de sept décisions par semaine. Dès lors, une partie de la doctrine s’interroge sur d’éventuelles évolutions de la composition, des procédures et de l’organisation du Conseil constitutionnel, de plus en plus « juridictionnalisé ». C’est dans cet esprit, monsieur le Premier ministre, que je vous ai adressé la semaine dernière un questionnaire auquel vous avez bien voulu apporter des réponses écrites, transmises à chacun des commissaires aux lois et rendues publiques sur le site de l’Assemblée nationale. Je précise que je n’ai pas estimé souhaitable de vous soumettre des questions de droit constitutionnel matériel, qui vous auraient amené à anticiper sur les positions que vous pourriez prendre en tant que membre du Conseil constitutionnel, les décisions étant soumises au secret des délibérés.

Vos réponses écrites traduisent votre fidélité à une conception du contrôle de constitutionnalité que je qualifierais de classique, c’est-à-dire de conforme à l’esprit de la Ve République. Les chemins escarpés et incertains qui conduiraient à publier les opinions dissidentes des membres du Conseil constitutionnel, à envisager que celui-ci soit saisi pour avis par le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif ou, plus révolutionnaire encore, à envisager une évolution vers une Cour suprême unique, n’ont pas votre préférence. Cette prudence me semble empreinte de sagesse.

Vous avez exprimé, de même, votre attachement au fait que le juge constitutionnel n’exerce pas de contrôle de conventionnalité, conformément à sa décision de 1975. Vous avez cependant estimé que, dans ce cadre, il importait que le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation veillent à maintenir un vrai « dialogue des juges », favorisant une certaine cohérence des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité.

Qu’il me soit permis à cet égard de former un vœu : le Conseil constitutionnel ne doit pas craindre, demain, de s’écarter de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si cela lui apparaît conforme à l’intérêt national. Le Conseil constitutionnel n’est pas et n’a pas vocation à devenir une chambre subordonnée à la Cour de Strasbourg ; il est le juge constitutionnel suprême d’un pays, le nôtre, qui a été l’un des premiers à énoncer une Déclaration des droits de l’homme et qui sait faire respecter les droits fondamentaux, en s’assurant toujours de préserver un juste équilibre entre les droits des personnes et le droit de l’État. Le Conseil constitutionnel doit à la fois rester indépendant de toute autre institution et savoir dialoguer raisonnablement avec le Gouvernement et le Parlement de la République, sans faiblesse ni dogmatisme, en gardant à l’esprit l’avertissement de Montesquieu : « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

C’est en restant fidèle à cette conception française de la séparation des pouvoirs que nous aurons maintenant le plaisir, monsieur le Premier ministre, de vous écouter.

M. Lionel Jospin. J’ai déjà eu l’honneur de me rendre devant votre Commission, le 27 novembre 2012, à l’occasion de la remise du rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dont j’avais assumé la présidence. Je n’imaginais pas à l’époque que je serais de nouveau auditionné aujourd’hui, en vue de ma nomination au Conseil constitutionnel. Cette occurrence résulte d’une proposition du Président de l’Assemblée nationale, et je l’en remercie. Elle est malheureusement due à la disparition de notre ancien et regretté collègue Jacques Barrot. J’étais en Australie lorsqu’il est décédé et je n’ai donc pu m’associer à l’hommage qui lui a été rendu. Je voudrais donc dire ici le respect que m’inspirait l’homme, le militant humaniste, l’élu et le responsable national et européen. La religion a joué, dans la vie et dans l’engagement de Jacques Barrot, un rôle qu’elle n’a pas eu pour moi, mais nous n’étions guère éloignés quant à l’exigence que requiert la politique, et nous étions, tous deux, des républicains. J’ai eu, ces jours derniers, un échange avec son épouse, et nous sommes convenus de nous rencontrer.

Il y a douze ans, j’ai quitté la vie politique active ainsi que les responsabilités et les mandats qui l’accompagnent. Sans cesser d’être un citoyen animé par des convictions, je me suis peu exprimé ces toutes dernières années sur l’actualité politique. La proposition du Président de l’Assemblée nationale a été pour moi une surprise. Si je l’ai acceptée, c’est qu’exercer une telle fonction serait pour moi un honneur et me permettrait, différemment que par le passé, de servir encore la République, dans le plein respect de ses valeurs et de ses règles, mais dégagé de l’esprit partisan et animé d’un esprit d’impartialité. C’est pourquoi j’ai été sensible aux réactions qu’ont exprimées à l’évocation de mon nom les présidents de groupe Christian Jacob et Philippe Vigier.

Je voudrais par ailleurs vous confier qu’en raison de mon âge – je suis né la même année que Jacques Barrot –, la perspective de n’exercer la fonction de membre du Conseil constitutionnel que pendant quatre années n’a pas été pour rien dans mon acceptation.

Comme il est d’usage à la commission des Lois pour ce type d’audition, votre rapporteur m’a adressé une liste de questions, auxquelles j’ai répondu par écrit à votre intention. Ces questions et mes réponses ayant été mises en ligne sur le site de l’Assemblée nationale, je me suis, de mon côté, abstenu de toute expression publique, me réservant pour l’audition devant votre Commission.

Voulant résumer ma position à partir de ce questionnaire, la presse a titré : « Jospin défavorable à de grands changements au Conseil constitutionnel ». Voilà qui m’a rassuré. Imaginez en effet ce qu’aurait été la réaction des actuels membres du Conseil s’il avait au contraire été annoncé : « Jospin favorable à de grands changements au Conseil constitutionnel » : ils en auraient été, à bon droit, surpris, voire choqués. La prudence dont j’ai pu faire preuve sur certains sujets, cette approche « classique » qu’évoquait le rapporteur, répond sans doute à des convictions mais elle relève aussi d’une position de principe : lorsqu’on envisage de rejoindre une institution prestigieuse de la République, qui plus est collégiale, il est sage de ne pas sembler à l’avance vouloir la bouleverser et encore moins lui faire la leçon.

La création du Conseil constitutionnel a d’emblée marqué une rupture avec notre tradition constitutionnelle, qui conférait au seul législateur, réputé donc infaillible, la faculté de juger la loi. Les auteurs de la Constitution de 1958 défendaient certes l’instauration d’un parlementarisme rationalisé mais ils entendaient surtout donner au Parlement une position sans commune mesure avec celle qui était la sienne sous la IIIe ou la IVe République. L’institution a par la suite évolué, d’abord avec la capacité de saisine conférée à soixante députés ou sénateurs, mais également grâce à la décision du Conseil d’affirmer un certain nombre de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, déduits de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. Devenu, en quelque sorte, protecteur des droits et des libertés, le Conseil a vu sa légitimité renforcée au gré des alternances politiques, qui offraient aux parlementaires des différents bords l’occasion d’en appeler à ses arbitrages.

M. le rapporteur, vous avez qualifié mon approche de classique, prudente et même sage. Je reviendrais au cours de notre échange sur la question des membres de droit du Conseil constitutionnel que vous avez évoquée. En ce qui concerne les rapports entre le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, j’ai souligné, en réponse à vos questions écrites, qu’il était naturellement « souhaitable de rechercher, dans l’attachement à nos principes, des convergences entre les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme ». Cette formule est une manière de faire écho à l’idée que notre République repose sur un socle de valeurs que nous avons le devoir de défendre – par le dialogue, cela va sans dire.

M. Pascal Popelin. « Monsieur François Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel, mais sachez que dès à présent, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude. » Ainsi s’exprimait Robert Badinter, lors de son discours d’investiture, le 4 mars 1986, rappelant l’exigence d’indépendance et de neutralité à laquelle doit se tenir le juge constitutionnel à l’endroit de toute autorité constituée, afin d’être en mesure de jouer en toute liberté son rôle de contre-pouvoir, nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie. Quelle appréciation portez-vous sur ce devoir d’ingratitude et, au-delà de votre position personnelle dont chacun connaît la rigueur, estimez-vous, compte tenu notamment du mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel, que toutes les conditions sont réunies pour qu’il puisse pleinement s’exercer ?

M. Guillaume Garot. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique que vous avez présidée proposait d’étendre le régime d’incompatibilité des membres du Conseil constitutionnel aux activités de conseil, même réglementées. Considérez-vous aujourd’hui que la fonction de juge constitutionnel doive être exclusive de toute autre fonction ou de tout autre engagement, afin de garantir la neutralité et l’indépendance de l’institution ?

M. René Dosière. Analysant dans son ouvrage Cas de conscience, trois décisions du Conseil constitutionnel avec lesquelles il s’est trouvé en désaccord, Pierre Joxe écrit : « Quand on est minoritaire dans une instance politique comme le Conseil constitutionnel, dont les débats ne sont pas publics, il faut accepter que sa voix soit comptée mais qu’elle ne compte pour rien. » Partagez-vous cette analyse ?

M. Lionel Jospin. Le « devoir d’ingratitude » est une jolie formule, et je me garde de penser que les membres du Conseil constitutionnel devrait faire preuve de gratitude envers qui que ce soit. Si c’est un honneur pour moi, ancien Premier ministre et ancien parlementaire, d’avoir été choisi par le Président de l’Assemblée nationale, soyez assurés que c’est évidemment en totale indépendance que j’exercerai mes fonctions. Je nuancerais cela étant la formule de Robert Badinter et parlerais plutôt d’un « risque d’ingratitude », afin d’écarter toute idée d’intentionnalité dans l’ingratitude. C’est objectivement que les membres du Conseil constitutionnel doivent se situer à distance des institutions qui les ont nommés pour dire le droit. Un juge, par ailleurs, a toujours la faculté de se déporter d’une affaire, s’il l’estime préférable. Par ailleurs, le fait que les membres du Conseil constitutionnel soient nommés par le responsable de l’exécutif ou les deux présidents des assemblées sans que cela remette en cause leur indépendance témoigne d’un progrès de l’État de droit dans notre pays. Je n’ai donc rien à redire à ces modalités de nomination.

La commission de déontologie que j’ai présidée a suggéré qu’il n’y ait plus de membres de droit au sein du Conseil constitutionnel. Elle a également recommandé que ses membres s’abstiennent de toute activité de conseil. C’est conforme à ma conception de l’institution mais ce n’est guère l’état actuel du droit.

Je partage avec Pierre Joxe une longue histoire politique et militante, et il a tout mon respect. Je divergerais cependant de son propos dans la mesure où je ne définirais pas le Conseil constitutionnel comme une instance politique. Le Conseil juge en droit et non en opportunité, ce qui appartient au législateur. Je me suis déjà exprimé par écrit, en réponse au rapporteur, sur la question des opinions dissidentes et considère avant tout le Conseil comme une juridiction constitutionnelle. Si je dois y siéger, ce ne sera pas dans la posture d’un militant politique, ce qui n’implique pas que je doive renoncer pour cela à mes convictions.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je souhaite vous interroger sur l’innovation récente que constitue le contrôle par voie d’exception et connaître votre sentiment sur les questions prioritaires de constitutionnalité. Les considérez-vous comme une garantie de protection supplémentaire accordée aux justiciables ?

M. Paul Molac. Votre passage à Matignon a marqué le pays par une certaine ouverture dont témoigne l’adoption de lois sociales – telles que celle sur les 35 heures, souvent décriée mais guère remise en cause – et de lois sociétales. En 1999, la France a procédé, sous votre gouvernement, à la signature de la Charte européenne des langues minoritaires. Cette décision s’est heurtée néanmoins à la position du Conseil constitutionnel, qui a déclaré que l’article 75-1 de la Constitution, introduit par la révision de 2008, était sans effet. Étant, avec le président Jean-Jacques Urvoas, à l’origine d’une proposition de loi constitutionnelle visant à la ratification de la Charte européenne des langues minoritaires, j’estime que la défense des langues minoritaires fait partie intégrante des droits de l’homme et que la France s’honorerait de ratifier la charte. Qu’en est-il pour ce qui vous concerne ?

M. Patrick Mennucci. L’évolution des modes de saisine du Conseil constitutionnel a contribué de fait à élargir depuis 1958 son champ de compétences. Pensez-vous qu’il faille encore élargir cette saisine ?

M. Lionel Jospin. La réforme constitutionnelle de 2008 a considérablement élargi le champ des saisines possibles du Conseil constitutionnel, puisqu’il est désormais loisible à des personnes physiques ou morales de le saisir à l’occasion de litiges résultant de lois qui mettraient en cause les droits et libertés que leur garantit la Constitution. D’aucuns ont parlé de petite révolution, même si, quantitativement, après un premier afflux, le régime des QPC s’est stabilisé, la Cour de cassation et le Conseil d’État faisant office de filtres et régulant les questions posées au Conseil. Cette réforme d’importance a eu le mérite de faire apparaître que le Conseil constitutionnel n’était pas seulement une instance intervenant dans les rapports entre les institutions au sommet de l’État mais qu’il se souciait également de la protection des citoyens.

Pour ce qui concerne la Charte des langues minoritaires, ma position est la même qu’en 1999.

Enfin, toute cour peut avoir la tentation de pousser jusqu’à son terme la logique de son influence. Il est sage cependant que les juridictions sachent limiter leur rôle. Avant d’examiner de nouvelles formes de saisine du Conseil constitutionnel, il serait préférable, selon moi, d’établir un bilan précis des QPC, qui – et c’est une innovation importante – peuvent aboutir à la remise en cause de lois déjà promulguées et donc de dispositions législatives en vigueur.

M. Guy Geoffroy. Les décisions du Conseil constitutionnel sont fréquemment commentées et parfois contestées. Partant de l’idée selon laquelle on ne commente ni ne conteste une décision de justice et dans la mesure où le Conseil est de plus en plus considéré comme une instance juridictionnelle, que penser de l’organisation, dans le champ politique, d’un concert d’appréciations, éventuellement divergentes, des décisions qu’il rend ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le Premier ministre, j’aimerais connaître votre sentiment général – et non, bien sûr, votre position précise – quant au rapport qu’entretient le Conseil constitutionnel avec l’évolution du droit européen. On peut avoir l’impression que les très nombreuses réformes de la Constitution qui ont découlé des positions du Conseil constitutionnel sur les transferts de compétence voulus par les traités en viennent à défigurer la conduite même de la parcelle de souveraineté nationale détenue par le Parlement. En cette matière, le Conseil constitutionnel agit a priori : consulté, il ne contrôle pas à proprement parler les traités européens, mais se contente d’indiquer à l’exécutif et au Parlement s’il convient de modifier la Constitution pour les intégrer. Cette accumulation de révisions constitutionnelles nécessitées par les traités donne le sentiment que le Conseil constitutionnel français ne porte jamais de jugement général sur l’éventuelle atteinte à la souveraineté nationale qui pourrait en résulter.

Ma seconde question concerne le déferlement du droit dérivé issu des traités. La transposition des directives a fait l’objet en 2004 d’une importante décision dans laquelle le Conseil constitutionnel indiquait que cette transposition constitue une exigence constitutionnelle au regard de l’article 88-1 de la Constitution. Le Conseil a ensuite précisé qu’il pouvait, et pourrait désormais, contrôler la loi qui en résulte, afin de vérifier qu’elle ne heurtait pas des principes constitutionnels qu’il a limités à ce qu’il a appelé l’« identité constitutionnelle de la France ». Peut-être cette dernière demande-t-elle à être détaillée, ce qui n’a pas été fait depuis lors. Selon les commentateurs autorisés, elle se compose principalement de la forme républicaine du Gouvernement et de la laïcité. Ce qui donnerait au Conseil constitutionnel, en matière de contrôle a posteriori de la transposition du droit dérivé, une vision quelque peu étroite, surtout par comparaison avec la Cour de Karlsruhe qui pousse beaucoup plus loin le contrôle, y compris celui des pouvoirs du Parlement.

L’impression dont je fais état vous paraît-elle justifiée ? Dans son contrôle a posteriori, le Conseil constitutionnel pourrait-il selon vous appliquer le principe qu’il a lui-même dégagé en mettant en garde contre les lois qui heurteraient l’identité constitutionnelle de la France ?

La réponse à ma dernière question peut certainement se déduire de ce que vous avez dit de votre position personnelle quant à votre engagement dans la vie publique française : j’imagine que vous ne seriez jamais en situation de solliciter du Conseil constitutionnel un congé de quelques semaines pour mener une campagne électorale à la demande du Président de la République en exercice – dans le cas auquel je songe, il s’agissait de Jacques Chirac –, considérant qu’une telle attitude n’est guère conforme à la déontologie que l’on peut attendre des membres du Conseil constitutionnel.

M. Lionel Jospin. Les commentaires sur des décisions du Conseil constitutionnel sont une tentation à laquelle j’ai cédé par le passé – un passé assez lointain, j’en conviens : en 1981-1982, comme responsable de certaine formation politique importante. Le texte de la loi de nationalisation avait alors été déféré devant le Conseil, qui avait décidé de procéder à des annulations ou d’imposer, notamment à propos de l’indemnité de rachat, des principes résultant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. J’ai commenté ces décisions et me suis joint aux critiques adressées au Conseil. L’alternance – qui a voulu que celui-ci soit visé par des critiques venant d’autres parties de l’échiquier politique – mais aussi son évolution même ont beaucoup changé la donne. Assurément, l’on n’empêchera pas des responsables politiques de formuler des commentaires s’ils le souhaitent, car cela relève de leur liberté d’appréciation. En revanche – si du moins je vous ai bien compris, monsieur le député –, l’idée de créer à propos du Conseil constitutionnel une sorte de consensus, voire la méthodologie d’un concert critique symétrique de la gauche et de la droite, si je puis encore utiliser ces termes, m’apparaît comme une construction audacieuse.

Les questions soulevées à propos du droit européen sont complexes et je ne sais si je suis en mesure de répondre à toutes dans le cadre de cette audition. La situation résulte à la fois du fait que nous avons accepté, au sein de l’Union européenne, des formes de souveraineté partagée et d’une réalité constitutionnelle française, liée à la hiérarchie des normes. La Constitution et plus largement le bloc de constitutionnalité occupent légitimement le sommet de cette dernière, les normes européennes et internationales bénéficiant d’une autorité moindre. Paradoxalement, il est en même temps prévu – car c’est la condition sine qua non pour construire une communauté européenne et partager les souverainetés – que le droit européen s’impose à la loi française, comme d’ailleurs toutes les obligations contenues dans les traités que nous signons. Peut-être la relative abondance des révisions constitutionnelles – par laquelle on peut parfois être troublé, je l’ai également été moi-même – est-elle due à cette double nécessité : maintenir la supériorité du bloc de constitutionnalité tout en garantissant la supériorité en droit français des normes internationales que nous avons acceptées, ce qui suppose de les intégrer à la Constitution.

Vous avez résumé, madame, l’identité constitutionnelle de notre pays par deux traits que j’approuve, dont la laïcité. Je n’en dirai pas plus de cette notion sur laquelle je vais certainement avoir à travailler.

Enfin, au-delà de tout jugement sur les décisions qu’ont pu prendre tel ou tel membre du Conseil constitutionnel à tel ou tel moment, je puis vous rassurer : je n’ai absolument pas l’intention de mener une quelconque campagne politique dans les quatre ans et trois mois qui seraient devant moi si d’aventure j’entrais au Conseil constitutionnel.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le Premier ministre, le bloc de constitutionnalité intègre plusieurs textes de valeur constitutionnelle dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Selon vous, les principes, droits et libertés consacrés par ces deux textes sont-ils par nature de valeur égale ?

M. Christian Assaf. Monsieur le Premier ministre, je connais et apprécie votre parcours. Vous avez montré votre aptitude à être un grand homme d’État et un serviteur hors pair de la France lorsque vous avez eu à exercer des responsabilités ministérielles, puis la fonction de chef du Gouvernement. Tout au long de votre vie d’engagement, vous avez su agir en toute transparence, avec la rigueur qui vous est propre, plaçant votre action au-dessus de tout soupçon, agissant toujours en conscience, au nom de l’intérêt général.

Vous n’êtes toutefois pas sans connaître les caricatures et les raccourcis faciles qui peuvent accompagner les nominations d’anciens responsables politiques au Conseil constitutionnel. Que pensez-vous de cette situation, de ces possibles polémiques ? Que mettriez-vous en avant pour affirmer votre indépendance vis-à-vis tant de votre parcours passé que de l’autorité qui va, selon toute vraisemblance, vous nommer ?

M. Sébastien Pietrasanta. J’aimerais vous interpeller, monsieur le Premier ministre, sur le sujet, devenu récurrent, de la nomination des membres de droit du Conseil constitutionnel.

L’article 56 de la Constitution permet aux anciens présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel. Trois personnes possèdent actuellement ce statut : Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Comme le rappelle Jean-Jacques Urvoas sur son blog, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 7 novembre 1984, a considéré, « d’une part, que la qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel d’un ancien président de la République ne saurait, en l’absence de disposition expresse en ce sens, priver celui-ci du droit normalement reconnu à tout citoyen [...] d’être candidat à tout mandat électif ; que, d’autre part, les membres de droit du Conseil sont, sous la seule réserve de la dispense de serment [...], soumis aux mêmes obligations que les autres membres du Conseil constitutionnel [...] ; qu’il suit de là que l’élection au Parlement d’un membre de droit du Conseil constitutionnel fait obstacle à ce que celui-ci siège au sein de ce Conseil ».

Présentant ses vœux au Conseil constitutionnel en janvier 2013, François Hollande a déclaré qu’il comptait « mettre fin au statut de membre de droit du Conseil constitutionnel des anciens présidents de la République ». Le groupe socialiste a déposé en mai 2013 une proposition de loi constitutionnelle tendant à réformer le Conseil constitutionnel, notamment en supprimant la nomination des membres de droit que sont les anciens présidents de la République. Cette mesure semble de bon sens. Quelle est votre position sur ce point ?

M. Lionel Jospin. Pour le Conseil constitutionnel, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 sont de force égale, comme toute autre composante du bloc de constitutionnalité. Cela ne fait aucun doute. Par ailleurs, chacun, peut-être même au sein du Conseil, et en tout cas au dehors, peut avoir ses affinités historiques, ses préférences – qui pour l’esprit libéral exprimé dans la Déclaration de 1789, qui en faveur de l’évolution que représentait le préambule de 1946, avec l’affirmation des droits sociaux, de certains droits économiques, des droits de la puissance collective à l’égard de l’activité économique du pays.

Pour ma part, quand je relis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – comme je l’ai évidemment fait avant de vous retrouver –, je suis de nouveau frappé par ce texte magnifique, sa force, sa densité, son caractère novateur. En même temps, les droits nouveaux affirmés dans le préambule de la Constitution de 1946, directement issus d’une réflexion sur la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, sur l’expérience du totalitarisme, sur les souvenirs de la crise des années trente, sont essentiels à mes yeux. Quoi qu’il en soit, je le répète, du point de vue du droit et de l’appréciation du Conseil constitutionnel, ces deux textes fondamentaux ont exactement la même force.

Quant à la présence d’anciens responsables politiques au sein du Conseil constitutionnel, il me semble qu’elle est, aux yeux du Conseil lui-même comme des constitutionnalistes, une bonne chose. L’existence d’un certain équilibre, non prédéfini, entre les praticiens du droit, qu’ils soient universitaires, appartiennent à l’ordre judiciaire ou à la juridiction administrative, et des hommes ou des femmes qui, sans ignorer le droit, ont une expérience différente de l’État pour avoir eu à le conduire ou pour avoir été des législateurs, est certainement utile au travail du Conseil.

Pour le reste, chacun est garant de sa propre indépendance. Le fait d’avoir été longuement engagé dans la vie politique de son pays n’empêche pas l’indépendance, y compris vis-à-vis des formations politiques auxquelles on a pu appartenir, et n’interdit pas d’avoir à l’avenir, dans une situation et une mission différentes, une vision différente des choses, laquelle n’implique pas de renoncer à ses conceptions.

Vous avez donc, monsieur le député, à former votre opinion avant de donner votre avis, y compris sur ce point, en considérant l’homme que j’ai été et celui que je suis aujourd’hui. À cette fin, on pourrait trouver une indication – même s’il n’y avait pas là la moindre anticipation de ma part – dans le fait que je n’ai pas été disert lorsqu’il s’agissait de commenter la vie politique française au cours des toutes dernières années, et que je me suis, en règle générale, gardé d’y intervenir de manière partisane comme de polémiquer avec ceux qui n’appartenaient pas à mon univers politique, n’intervenant guère que pour corriger des propos liés à mon action comme Premier ministre lorsque je les estimais inexacts.

Venons-en à la question des membres de droit. Je l’ai rappelé, j’ai présidé une commission qui avait préconisé qu’il soit mis fin à ce statut. Dans l’esprit de la commission à l’époque, me semble-t-il, et, indéniablement, dans le mien, hier comme aujourd’hui, cette proposition n’avait aucun rapport avec la qualité individuelle des membres de droit du Conseil constitutionnel. De l’unique ancien président qui, à ma connaissance, prend aujourd’hui part aux activités du Conseil, chacun connaît l’exceptionnelle intelligence et la très grande expérience ; je crois d’ailleurs, sans avoir encore eu l’occasion de me renseigner beaucoup, que sa participation aux travaux du Conseil est tout à fait active.

Je partage à titre personnel la position de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique. Il me semble que, dans l’exercice des missions publiques, on doit relever soit de l’élection, soit de la nomination par une autorité qui a le pouvoir de nommer. La référence à une sorte d’antériorité automatique ne me paraît pas tout à fait conforme à notre esprit républicain. On peut d’ailleurs se demander si cette disposition ne trouve pas son origine dans la conjoncture politique de l’époque et dans la volonté de traiter avec respect celui qui était devenu un ancien président de la République.

Toutefois, ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui décide de sa propre composition ni de son statut, mais le pouvoir constituant, le législateur. Dès lors, quoi que j’en aie pensé et quoi que j’en dise devant vous, ce débat doit avoir lieu hors du Conseil : il relève de votre responsabilité de parlementaires – et, bien sûr, de celle du pouvoir exécutif par l’intermédiaire de projets de loi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Vous avez souligné que le Conseil constitutionnel était à vos yeux une juridiction davantage qu’une institution politique, et insisté sur le respect qu’il vous inspire. Cette prudence ne devrait pas vous empêcher d’avoir un avis sur deux sujets récurrents lorsqu’il est question du Conseil dans les cursus de droit ou de sciences politiques. Avant même d’entrer dans cette institution, que pensez-vous, à la lumière de son évolution, du système actuel de désignation de ses membres ainsi que de leur nombre ? Le Conseil constitutionnel, qui auparavant ne statuait guère, se réunit aujourd’hui régulièrement ; Jean-Louis Debré a d’ailleurs beaucoup œuvré pour cette évolution.

M. Jacques Valax. Vous avez parlé de la hiérarchie des normes. Quelle est selon vous la valeur de la Charte de l’environnement ? Le principe de précaution a-t-il vocation à limiter l’étendue du droit de propriété ? Comment s’articule-t-il à la liberté d’entreprendre ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Que pensez-vous de l’idée selon laquelle il y aurait trop de principes constitutionnels qui enserrent le législateur ?

M. Lionel Jospin. Alors que je suis devant vous parce que le Président de l’Assemblée nationale a proposé de me nommer, il y aurait peut-être de ma part sinon de l’ingratitude, du moins une forme d’impolitesse à contester le système actuel de désignation des membres du Conseil constitutionnel ! Je l’ai dit, le fait que des membres du Conseil soient désignés par le président de la République, par le Président de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat, tout en étant à l’évidence pleinement indépendants des pouvoirs exécutif et législatif, témoigne à mes yeux de la maturité et de l’équilibre de notre système démocratique. À ce stade, je n’ai donc a priori aucune observation à formuler sur un dispositif qui relève au demeurant, répétons-le, du législateur et non du Conseil constitutionnel lui-même.

L’on m’a dit que l’on travaillait beaucoup au Conseil constitutionnel. Le nombre de ses membres y est-il pour quelque chose ? Les QPC représentent indiscutablement une charge supplémentaire, même si leur quantité s’est stabilisée. Sur ce point, je n’ai pas d’opinion arrêtée. Mais peut-être est-ce ce nombre relativement réduit qui a motivé ma réponse à l’une des questions écrites du rapporteur, lequel formulait l’hypothèse d’un Conseil constitutionnel à la fois consultatif en amont et juridictionnel en aval, sur le modèle du Conseil d’État pour les décrets. Il existe au Conseil d’État, où la formation est évidemment beaucoup plus nombreuse, des sections différentes et ceux qui donnent un conseil ne siègent pas en formation de jugement. Il est clair que dans une instance de neuf ou dix membres, l’organisation du travail serait profondément bouleversée par l’instauration d’un tel double rôle. Il appartiendra au législateur et au constituant de trancher et peut-être au Conseil, en tout cas à son président, de donner son avis sur la charge de travail de l’institution et sa capacité à exercer ses nouvelles missions. Je n’ai donc pas à contester particulièrement le nombre de ses membres ni à formuler des suggestions.

La Charte de l’environnement fait partie du bloc de constitutionnalité. À ce titre, elle possède la même force que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, le préambule de la Constitution de 1946 ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cela ne fait aucun doute, même si des personnalités qui sont à l’origine de l’inscription dans la Constitution de la Charte de l’environnement peuvent, m’a-t-on dit, en regretter en partie les conséquences. Assurément, je comprends que le principe de précaution affirmé dans cette Charte puisse faire l’objet de débats. La vocation du Conseil constitutionnel a toujours été, lorsque les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République étaient en jeu, de rechercher l’équilibre entre des principes de force égale : l’égalité et la liberté, la propriété et la nécessité de l’organisation économique collective – et peut-être ici, le principe de précaution et le progrès, même si ce dernier ne constitue pas aujourd’hui un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Enfin, y a-t-il trop de principes constitutionnels qui enserrent le législateur ? Mon sentiment, à ce jour, est plutôt que non. Mais c’est au législateur de faire connaître son impression à cet égard puisque c’est lui qui, par hypothèse, se trouverait enserré.

Mme Cécile Untermaier. Je suis très honorée de m’adresser à vous, monsieur le Premier ministre. La motivation des décisions du Conseil constitutionnel me semble quelquefois, avec tout le respect dû à l’institution, un peu trop légère : pour comprendre la décision, on est obligé de se reporter à son commentaire officiel, ce qui pose un problème pour le justiciable et la démocratie en général. De plus, il arrive que l’on relève des contradictions entre la décision du Conseil et les commentaires. La dernière en date concerne la décision du Conseil constitutionnel sur la résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale : la décision et le commentaire ne se fondent pas sur le même article de la Constitution. La publication des opinions dissidentes ne serait-elle pas un bon moyen d’enrichir la motivation des décisions ? D’une part, chaque membre devrait argumenter davantage pour convaincre les autres ; d’autre part, ces opinions éclaireraient de manière intéressante le fond du débat. Ne serait-ce pas un apport considérable à la démocratie et au fonctionnement de nos institutions ?

M. Alain Tourret. Si la perfection était de ce monde, que serait selon vous le Conseil constitutionnel idéal ? L’actuel ? L’actuel, mais intégrant la modification concernant les membres de droit ? Ou un autre encore, et dans ce cas, lequel ?

Nous avons le Conseil d’État ; nous avons la Cour de cassation ; et nous avons le Conseil constitutionnel. Faut-il s’orienter vers une cour constitutionnelle ?

M. Jean-Michel Clément. On reproche souvent à l’Assemblée nationale de trop légiférer, ce qui suggère qu’en votant les lois, nous ne nous soucierions pas assez de précision. Parmi les objectifs de valeur constitutionnelle développés par le Conseil figurent l’intelligibilité et l’accessibilité de la loi. Ces principes vous paraissent-ils suffisamment respectés ? Dans sa jurisprudence concernant la qualité de la loi, le Conseil doit-il continuer de donner indirectement des indications au législateur que nous sommes ? Jusqu’où peut-il aller pour améliorer la qualité de la loi ?

Mme Colette Capdevielle. Dans le cas d’une QPC, estimez-vous nécessaire que le Conseil constitutionnel puisse soulever d’office une inconstitutionnalité qui lui apparaîtrait dans le cadre de la procédure, inviter les parties à s’expliquer et en tirer lui-même toutes les conséquences ?

Quelle serait votre attitude si une QPC future concernait un texte que vous auriez vous-même fait voter lorsque vous étiez Premier ministre ?

M. Lionel Jospin. Mon sentiment, certes encore imparfait, est que les motivations actuelles des décisions du Conseil sont assez détaillées. Je ne suis pas aujourd’hui en mesure de porter un jugement de valeur ni de formuler des suggestions pour, le cas échéant, améliorer leur qualité.

Je puis en revanche vous répondre, madame la députée, à propos des avis dissidents. Dans mes réponses écrites, j’ai fait part de ma réserve, voire de mon opposition. En effet, le secret des délibérés est un principe fondamental de notre droit, qui s’applique à l’ensemble des juridictions françaises ; à supposer que l’on veuille le modifier s’agissant du Conseil constitutionnel, il serait sans doute extrêmement difficile d’éviter que la question ne se pose pour les autres juridictions de l’ordre judiciaire et administratif. Or ce principe est, me semble-t-il, la meilleure garantie de l’indépendance des magistrats et de leur autorité morale lorsqu’ils jugent.

Considérons, même si je ne le connais pas encore d’expérience, ce qu’est le Conseil constitutionnel. Sauf à l’identifier à une instance politique – ce qui poserait problème du point de vue des nominations –, son travail, si je l’ai bien compris, consiste à s’appuyer sur le droit, sans porter des jugements de valeur ou d’opportunité, ce qui empiéterait sur le terrain du législateur, pour rechercher collectivement la meilleure solution à un contentieux électoral, à une QPC ou lors du contrôle de la constitutionnalité d’une loi. Au sein d’une instance aussi restreinte en nombre, dont certains membres sont aussi connus, notamment pour leur engagement politique passé, la possibilité d’opinions dissidentes – qui existent à la Cour européenne des droits de l’homme, mais pas à la Cour de justice de l’Union européenne – modifierait fondamentalement le travail en exposant au risque sinon de « postures », du moins de positions a priori.

Dans une société où tout tend à devenir une scène de théâtre, il n’est peut-être pas mauvais qu’il existe des instances qui travaillent dans la discrétion. La validité de leur travail sera reconnue dans la mesure où l’autorité même des décisions l’est. Le Conseil ne serait plus le même si ses membres exprimaient leurs opinions dissidentes, sans parler du risque de limiter leur liberté d’expression au cours de la discussion.

Que serait un Conseil constitutionnel idéal ? Je ne le sais pas et je n’oserais tenter devant vous, monsieur le député, de le définir, en contradiction avec la modestie de mon propos introductif. Quoi qu’il en soit, le Conseil est dès à présent une cour constitutionnelle, même s’il n’en porte pas le nom. Devrait-il devenir une Cour suprême, comme aux États-Unis ? Je ne le pense personnellement pas. Cela supposerait qu’il assume les fonctions de la Cour de cassation et du Conseil d’État. Nous avons un système organisé, coordonné et qui fonctionne, même s’il peut certainement être amélioré. Le modèle spécifiquement américain de la Cour suprême serait trop éloigné de la tradition constitutionnelle française.

L’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi est-il suffisamment respecté ? À cet égard, le Conseil d’État joue déjà, en amont, un rôle important, de même que le secrétariat général du Gouvernement – j’en ai fait l’expérience comme Premier ministre. D’après ce que j’ai commencé à comprendre, c’est surtout l’ambiguïté des lois que le Conseil constitutionnel veut éviter. Mais il ne doit pas, à mon sens, se risquer à empiéter sur le pouvoir du Parlement.

Enfin, si une QPC, ou une autre discussion d’ailleurs, concernait un texte de loi voté par le Parlement à l’époque où j’étais Premier ministre, il est évident que je me déporterais.

M. Georges Fenech. Monsieur le Premier ministre, vous préférez parler de « risque » plutôt que de « devoir » d’ingratitude ; nous vous comprenons parfaitement. Personne ne peut mettre en doute votre attachement viscéral à l’impartialité, qui marquera certainement votre mandat au Conseil constitutionnel. Mais c’est sur l’apparence d’impartialité, notion retenue par la Cour européenne des droits de l’homme, que je souhaite vous interroger. Vous serez juge constitutionnel, donc juge de l’élection. J’en parle d’autant plus volontiers que j’en ai fait la douloureuse expérience. Si l’un de vos anciens adversaires politiques devait comparaître à ce titre devant vous – car il s’agit bien alors d’une juridiction à part entière, où l’on comparaît en présence de ses avocats –, que se passerait-il ? Vous venez vous-même d’évoquer la possibilité d’un déport. L’excluez-vous dans cette hypothèse ?

M. Lionel Jospin. Tout d’abord, il m’est difficile d’évoquer des cas hypothétiques.

Ensuite, chacun ses penchants. Le mien est, si je le peux, d’accomplir avec scrupule la mission qui m’a été confiée ou que je me suis donnée. Quand j’ai été le chef d’un parti politique, je l’ai été vraiment, tout en respectant, je l’espère, ceux qui n’avaient pas les mêmes opinions que moi. Quand j’ai été ministre de l’éducation nationale, je l’ai été pleinement. J’ai eu face à moi des personnels et des parents qui représentaient une extrême diversité de sensibilités et d’opinions, ce que j’ai gardé à l’esprit dans l’exercice de mes responsabilités – avec Jules Ferry pour référence, même si lui pensait à la laïcité. Quand j’ai été chef de gouvernement, je me suis efforcé, là encore, d’être pleinement un chef de gouvernement.

Si je devais être un juge constitutionnel, mon penchant, et mon plaisir, seraient donc d’être pleinement et seulement un juge constitutionnel. Ne sachant quels cas pourraient se présenter à l’avenir, et n’ayant pas à préjuger de ce que pourrait être l’attitude d’autres membres du Conseil constitutionnel, je m’en tiens à cette profession de foi, dont j’espère qu’elle suffira à vous convaincre, monsieur le député.

M. le rapporteur. Chacun des membres de la commission des Lois sera juge, en conscience, des conséquences qu’il convient de tirer de cette audition. Pour ma part, il me semble que nous avons participé à un débat de haute tenue, qui vous a permis, monsieur le Premier ministre, de démontrer trois qualités éminentes. La première est bien sûr l’expérience de l’État, qui est un fait. La deuxième est l’impartialité personnelle, qui est une vertu. La troisième est sans doute la fidélité aux principes classiques de notre République, indispensable au sein d’une institution, le Conseil constitutionnel, qui doit savoir modérer les ardeurs de la majorité du moment, et incarner le temps long dans un monde politique trop souvent prisonnier des postures et agité par des considérations immédiates.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie et vous laisse quitter la salle afin que nous puissions procéder au vote.

Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Lionel Jospin en qualité de membre du Conseil constitutionnel.

Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :

Nombre de votants : 54

Bulletins blancs ou nuls : 4

Suffrages exprimés : 50

Avis favorables : 40

Avis défavorables : 10

La Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Lionel Jospin comme membre du Conseil constitutionnel.

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*   *

La Commission examine ensuite le rapport de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées (Mme Cécile Untermaier M. Philippe Houillon, rapporteurs).

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Mes chers collègues, je viens vous rendre compte des conclusions de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées dont la création remonte au 17 septembre dernier. Alors que le Gouvernement annonçait le dépôt d’un projet de loi susceptible de renouveler profondément les conditions de leur installation et de leur exercice, nous avions jugé nécessaire d’engager une réflexion approfondie sur les professions juridiques réglementées qui relèvent de la compétence de notre Commission : je veux parler des administrateurs et mandataires judiciaires, des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers des tribunaux de commerce, des huissiers de justice, des notaires mais également des avocats et des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation – car ces derniers forment une profession trop injustement méconnue…

Avec Philippe Houillon, vice-président et co-rapporteur de la mission, ainsi que ses treize autres membres – que je salue –, nous nous sommes efforcés de recueillir les points de vue les plus divers, en recevant près de 160 personnes, dans le cadre de 42 auditions – et surtout dans une volonté d’écoute et d’apaisement, de confrontation des idées et de construction.

Qu’avons-nous tiré de ces investigations et de ces échanges ? Tout d’abord, une conviction et un bilan. La conviction, c’est que le statut d’officier public et/ou ministériel et, au-delà, le principe même de la réglementation gardent globalement leur pertinence. Ils correspondent à l’idée même que la société française se fait de la place du droit en son sein. Le bilan, c’est que si les professionnels s’acquittent de manière plutôt satisfaisante des missions que leur confie la loi, il ne saurait être pour autant question de les exonérer, par principe, de tout examen critique de leur organisation et de leurs conditions d’exercice. La justification même du monopole dont bénéficient les professions juridiques réglementées suppose en effet une adaptation permanente du service qu’elles doivent rendre à la population. Je dirais même que la mission première des professions juridiques réglementées, c’est de protéger nos concitoyens !

Ceci posé, la mission dresse plusieurs constats qui plaident en faveur de changements significatifs, tant pour le renouvellement et une meilleure implantation des professions juridiques réglementées sur le territoire que pour l’amélioration et le renouvellement de l’offre de service. Répétons-le : la mission ne souhaite pas bouleverser les professions juridiques réglementées en se conformant au modèle anglo-saxon. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien changer du tout aux conditions actuelles d’installation et d’exercice de ces professions.

Lorsque je parle de renouvellement, je pose évidemment la question des modalités d’accès à des métiers qui incontestablement exigent des qualifications et des compétences spécifiques. Celles-ci impliquent nécessairement des cursus de formation et surtout un recrutement assez sélectif. Cette exigence justifie-elle le maintien d’un droit de présentation ? Ce droit de présenter un successeur à l’agrément du garde des Sceaux a pu correspondre à une certaine conception de la société, celle de la Restauration. Elle apparaît quelque peu datée aujourd’hui – vous en conviendrez – au regard des principes de la méritocratie républicaine. Sur ce plan, la décision que le Conseil constitutionnel a rendue le 21 novembre 2014 en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité sur le rattachement du notariat aux places et emplois publics mentionnés à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, nous laisse une responsabilité entière. C’est pour cette raison que la mission préconise de confier à une commission ad hoc, associant l’Autorité de la concurrence, le soin d’évaluer la différence économique et juridique entre le droit de présentation et la « finance » de l’office.

Pour ce qui est des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels, la mission constate un nombre d’offices stable voire en baisse qui répond de façon insuffisante aux demandes d’installation des jeunes.

Pour la mission, la conjonction de l’application du droit de présentation et du strict encadrement des installations de professionnels dans le cadre des règles d’implantation des offices tendent à illustrer un certain malthusianisme.

Enfin, pour apprécier la qualité de l’offre de services assurée par les professions juridiques réglementées, la mission a eu recours à deux critères : le coût des prestations et l’existence de besoins qui seraient insatisfaits.

Le premier critère conduit à s’interroger sur la pertinence des tarifs et des éléments de rémunération appliqués et perçus par les officiers publics et ministériels, ainsi que par les administrateurs et les mandataires judiciaires, les avocats se trouvant eux dans une situation distincte puisque, hormis le tarif de postulation, leurs honoraires sont libres. La mission fait sienne un diagnostic aujourd’hui assez communément admis – si ce n’est par les professionnels eux-mêmes : les tarifs et les éléments de rémunération ne correspondent plus aux conditions d’exercice de leurs missions, aux risques qui s’y attachent et aux services rendus. Ils se caractérisent par une assez large opacité, ce qui alourdit la charge de travail des professionnels et les expose à l’incompréhension – voire au mécontentement, si ce n’est la suspicion – des clients.

Pour apprécier des besoins non satisfaits, la mission s’est mise à la place du consommateur mais aussi des professionnels. Cet examen montre que favoriser la compétitivité des professions du droit sans porter atteinte à leur ADN constitue un objectif primordial.

C’est sur cette base que notre rapport formule 20 propositions. 13 d’entre elles sont communes aux deux rapporteurs, 7 autres étant défendues par moi-même. Le co-rapporteur a souhaité pour sa part présenter une contreproposition sur un point précis. Ces propositions témoignent d’une convergence des points de vue sur l’essentiel et je tiens ici à nous en féliciter. Grâce à la mission, je pense que nous aurons contribué à passer d’une logique de confrontation – entre majorité et opposition, et, à certains égards, avec les professions – à un relatif consensus sur des changements raisonnables et sur des points qui méritent une particulière vigilance.

Au chapitre de ces changements, je rangerai tout d’abord la suppression de la charge d’officier ministériel des avocats aux conseils (et donc leur droit de présentation), en contrepartie d’une juste et préalable indemnité. Cette proposition m’est propre mais je crois qu’elle est parfaitement fondée, compte tenu des fonctions remplies par ces professionnels auprès des cours suprêmes. Du reste, elle n’implique pas de renoncer à l’organisation d’un barreau spécialisé, c’est-à-dire fondé sur un nombre limité d’avocats habilités à plaider devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Dans le schéma que je défends, il faudra organiser un concours exigeant permettant d’augmenter le nombre des avocats aux conseils, dans la limite d’un numerus clausus révisable afin d’ouvrir cette profession.

Avec l’ensemble des membres de la mission, nous proposons ensuite de confier à l’Autorité de la concurrence le soin de proposer et de publier une carte des zones de notre territoire dans lesquelles les officiers publics et ministériels ne sont pas en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la population. Cette carte sera arrêtée de manière définitive par le garde des Sceaux car l’implantation de ces professionnels doit rester une prérogative du ministère de tutelle des professions juridiques réglementées. Il s’agit là d’une demande des professions elles-mêmes. Dans l’exercice de cette fonction, nous souhaitons cependant que le ministère de la Justice puisse s’appuyer non seulement sur la consultation des professions concernées mais surtout sur une expertise extérieure à ces dernières. C’est la raison pour laquelle la procédure transparente que nous préconisons mobilise l’Autorité de la concurrence, en raison de toutes les garanties d’indépendance et de compétence qu’elle présente. Il s’agit aussi de rompre avec un fonctionnement qui, à certains égards, confine à la cogestion ou à l’« entre-soi » et qui est insatisfaisant depuis des années.

Sur la base de la carte des carences que le garde des Sceaux aura arrêtée, nous proposons que soit publiée une liste des offices à créer et des associations possibles dans les offices existants. Dans ce cadre nouveau, le ministre de la Justice pourvoira en conséquence les offices à créer, si besoin au terme d’une procédure de sélection objective et impartiale dont les modalités seront à définir. Par-delà le sens que chacun peut attribuer à la notion de liberté d’installation, je crois que ce dispositif régulé peut nous permettre d’atteindre deux objectifs essentiels à tous : d’une part, donner une chance à nos jeunes diplômés de s’installer rapidement, dans des conditions plus égalitaires qu’aujourd’hui ; d’autre part, établir une procédure de localisation des offices et des études qui garantisse la permanence et l’amélioration du maillage territorial. De notre point de vue, ce dernier constitue une préoccupation d’autant plus nécessaire que les professions juridiques réglementées contribuent à l’accès au droit.

C’est dans ce même souci de proximité que pour ma part, je préconise – en concertation avec la profession – d’expérimenter, pour deux ans, une extension de la postulation des avocats devant les tribunaux de grande instance situés dans le ressort d’une même cour d’appel. De mon point de vue, les pouvoirs publics ne sauraient écarter d’un revers de main les objections soulevées par les avocats à l’élargissement de leur périmètre d’intervention. La suppression de la territorialité de la postulation peut comporter le risque de voir la profession se concentrer dans les centres urbains plus importants et dans les grandes agglomérations. Il en va en outre de l’organisation des barreaux, de leurs ressources mais surtout de l’accomplissement de missions essentielles, particulièrement en matière pénale. La même préoccupation conduit la mission à maintenir le contrôle a priori qu’exercent les barreaux sur la création, par d’autres confrères, de bureaux secondaires dans leur ressort, tout en réduisant à deux mois le délai au-delà duquel le silence du barreau d’accueil vaudra acceptation de la demande de création d’un bureau secondaire.

Il est impératif de renouveler l’offre et la qualité des prestations des professions juridiques réglementées. Mais ces évolutions ne sauraient être engagées sans considération pour un principe cardinal : la préservation de la sécurité juridique.

Dans cet esprit, nous soutenons d’abord l’idée d’une révision du système de tarification et de rémunération applicable aux officiers publics et ministériels, ainsi qu’aux administrateurs et mandataires judiciaires. Cette rénovation doit suivre une ligne directrice : établir une tarification transparente, tenant davantage compte du coût réel des prestations, assurant une péréquation entre des actes rémunérateurs et des actes réalisés à perte grâce au maintien d’un caractère proportionnel. Pour atteindre cet objectif, nous proposons de confier à l’Autorité de la concurrence le soin de publier une proposition de grilles de tarifs uniques, qui seront arrêtés par la Chancellerie, après consultation des professions juridiques réglementées concernées. Cette grille serait révisée tous les cinq ans, suivant une procédure analogue qui s’appuierait à la fois sur l’expertise de l’Autorité de la concurrence en matière tarifaire et sur les éléments fournis par les professions en ce qui concerne l’évolution de leurs métiers. À mes yeux, ce cadre général doit permettre également l’organisation d’une péréquation nationale qui permette le financement des actes réalisés à perte par les petits offices.

En ce qui concerne les conditions pratiques d’exercice de chacune de ces professions, la mission a privilégié une approche pragmatique qui nous conduit à estimer que certaines solutions avancées depuis quelques semaines méritent sans doute un examen très attentif et un peu de circonspection.

Il en va ainsi du développement de l'interprofessionnalité capitalistique. Depuis plus de dix ans, le législateur a adopté un certain nombre de dispositions qui ont ouvert le champ des possibles, notamment par le biais des sociétés de participation financière des professions libérales (SPFPL). Or les textes d’application n’ont pas toujours suivi : en ce qui concerne l’interprofessionnalité capitalistique, le décret ne date que du 19 mars 2014. Dès lors, plutôt que d’étendre une interprofessionnalité capitalistique déjà possible et sur laquelle nous manquons de recul, nous jugeons plus utile de développer l’interprofessionnalité d’exercice entre professions du droit. Vous l’aurez compris, dans l’esprit de cette proposition commune à vos deux rapporteurs, ceci exclut une ouverture aux professions du chiffre. Il importe de mutualiser les compétences mais dans un cadre qui soit fondé sur le partage d’une culture professionnelle commune ou proche. Chaque profession possède sa déontologie et ses spécificités, dans l’intérêt même de nos concitoyens.

C’est pourquoi, à ce stade, nous ne pouvons qu’exprimer des réserves à propos de la création d’un statut d’avocat en entreprise. Certes, les entreprises ne peuvent faire abstraction de la place du droit dans le développement de leurs activités. Certes, la place des juristes en leur sein pose question. Mais l’indépendance de l’avocat, consubstantielle à l’éthique même de cette profession, s’accommode mal du lien de subordination qu’impliquerait l’établissement d’un contrat de travail avec un unique employeur. Et, pour la crédibilité des avocats comme pour l’unité de leur métier, on ne saurait envisager raisonnablement la création d’une nouvelle profession réglementée. Pour toutes ces raisons, il nous semble indispensable de préserver l’indépendance constitutive du métier d’avocat, en excluant la possibilité de l’exercer avec le statut d’avocat en entreprise. Cette position n’interdit toutefois pas de réfléchir à l’octroi de garanties de confidentialité en ce qui concerne les correspondances entre un juriste d’entreprise et son employeur, dans un souci de compétitivité du droit français et de la place de Paris.

La mission a également examiné la possible création d’une profession unique de l’exécution qui rassemblerait les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires et les mandataires judiciaires. Pour ma part, je n’écarte pas cette perspective par principe car, après tout, cette mesure marquerait un approfondissement des dispositions légales qui, à l’heure actuelle, apportent déjà d’utiles tempéraments au morcellement des tâches. Du reste, cette proposition figurait dans le rapport remis en 2009 par M. Jean-Michel Darrois sur les professions du droit et l’on ne peut s’interdire de penser qu’il peut en résulter une amélioration de l’offre de services des professions, grâce à l’exercice de missions faisant appel à des compétences qui peuvent être communes ou proches. Pour autant, je ne sous-estime pas la spécificité des savoir-faire, les exigences déontologiques propres à chacune de ces professions, ainsi que les garanties conventionnelles spécifiques accordées aux salariés. C’est la raison pour laquelle je milite en faveur d’un rapprochement progressif des professionnels, après une concertation étroite avec les professions qui donnent toute sa place à leurs salariés également. Dans un premier temps, je préconise donc la création de structures interprofessionnelles et de passerelles, notamment entre huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires.

Nous sommes ici tous conscients de la sensibilité et de la complexité des sujets que nous abordons. La publication du rapport de l’Inspection générale des Finances a été accompagnée d’un certain nombre de polémiques. Je crois qu’il importe aujourd’hui de les dépasser et de donner à la représentation nationale – comme a pu le faire le rapport de notre collègue Richard Ferrand – les moyens de débattre sereinement et utilement du projet de réforme que nous allons examiner dans quelques semaines. C’est le but que les membres de la mission se sont fixé. Nous espérons l’avoir atteint en dégageant les termes d’un compromis acceptable par tous. C’est pourquoi je vous demande d’autoriser la publication de ce rapport qui, je le rappelle, a été adopté hier à l’unanimité des membres présents de la mission envers qui je renouvelle mes remerciements.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je cède à présent la parole à Philippe Houillon, en saluant la présence de M. François Brottes, président de la commission spéciale créée par l’Assemblée nationale afin d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité et qui s’est réunie hier pendant près de quatre heures en présence du ministre, M. Emmanuel Macron.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je vous remercie, Monsieur le président. Mon propos sera bref. Je tiens d’abord à saluer l’esprit de dialogue et de mesure de Mme Untermaier. De mon point de vue, nous avons pu travailler de manière très utile et – je l’ai déjà dit hier devant la mission – non sans humour, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Monsieur le Président, quand vous avez décidé de créer cette mission au sein de la commission des Lois, j’ai trouvé que le délai de deux mois et demi dont nous disposions était extrêmement chiche. Aujourd’hui, il me paraît une éternité quand je mesure que la commission spéciale, qui doit traiter non seulement des professions juridiques et judiciaires mais de bien d’autres sujets – les articles sur les professions juridiques ne représentent que 20 % du texte –, va devoir mener à bien ses travaux en sept jours, dont le samedi et le dimanche – si le calendrier qui nous est présenté ne connaît pas de modifications et si la raison ne finit pas par l’emporter. Finalement, nous aurons bénéficié d’un temps suffisant qui nous a permis d’entendre – Mme Untermaier l’a dit à l’instant – 160 personnes, ce qui n’est pas rien. Ceci nous permet sans doute de disposer d’une vision un peu plus fine des choses, à défaut de pouvoir nous appuyer sur une étude d’impact du projet de loi pertinente, qui, ainsi que l’a relevé le Conseil d’État présente un caractère particulièrement lacunaire.

Si je devais résumer l’esprit de ce rapport, j’emploierais deux verbes : « adapter » et « préserver ». Nous ne disons pas, bien entendu, qu’il ne faut rien réformer. Mais nous avons également un souci de la mesure, de la préservation de ces professions car tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elles constituent un secteur efficace, voire excellent, qui marche bien. Alors que tout cela est parti – cette affirmation n’engage que moi – d’une opération de communication de M. Montebourg, il faut faire attention à ne pas tout bouleverser. C’est précisément l’esprit de ce rapport puisque nous nous retrouvons sur 13 de ses 20 propositions et sur des « piliers » importants qui vont être débattus.

Il en va ainsi, par exemple, de la liberté d’installation. Plutôt que d’en décréter le principe, nous disons quelque chose frappée au coin du bon sens : « On regarde puis on voit après ». On établit une « carte des carences », on localise les endroits où il existe des manques et on prend des décisions en conséquence.

En matière de tarifs, la même démarche a été privilégiée. Les officiers publics et/ou ministériels ne peuvent pas appliquer des tarifs à la « tête du client ». Il faut des tarifs uniques sur l’ensemble du territoire car l’application d’un dispositif de « corridor tarifaire » soulèverait au contraire des difficultés, par exemple dans le cas des huissiers de justice.

Mme Untermaier l’a déjà indiqué, nous nous retrouvons également sur le refus d’un statut d’avocat en entreprise.

Nous avons par ailleurs des points de divergence, par exemple sur le projet de la création de la profession de commissaire de justice. Pour ma part, j’estime que les professions appelées à être rassemblées dans ce cadre n’ont rien à voir les unes avec les autres pour l’instant. Cela vaut a fortiori pour les mandataires judiciaires.

Nous aurons l’occasion d’en débattre mais il y a plus de points qui nous rassemblent que de points qui nous séparent. Nous nous accordons également sur un principe général – une orientation qui ne devrait pas surprendre puisque nous sommes membres de la commission des Lois – qui consiste à affirmer, à plusieurs reprises, que les professions juridiques réglementées ont pour ministère de tutelle celui de la Justice. Je suis peiné de l’absence de ce dernier dans l’élaboration du projet de loi. Il faut – nous le faisons dans le rapport lorsque nous proposons des mesures – lui redonner la responsabilité ultime, parce qu’il doit en être ainsi.

Évidemment, je pense qu’il est utile que la Commission autorise la publication de ce rapport car il va être un élément important dans le débat parlementaire à venir. Il offre par ailleurs des « moments » de lecture tout à fait excellents et importants. Par exemple, Mme Untermaier parlait tout à l’heure du droit de présentation, de la distinction entre l’« office » et la « finance ». Ce sont là des questions sur lesquelles il existe peu de décisions de justice et le rapport comporte des analyses juridiques très fines qui, de toute façon, représentent une contribution importante à l’évolution du droit dans ce domaine.

Je ne suis pas d’accord sur tout mais nous nous rapprochons sur de nombreux points et la discussion continuera, Monsieur le président de la commission spéciale, dans le cadre de nos travaux. Je plaide donc naturellement pour que le rapport de la mission soit publié, étant souligné – comme Mme Untermaier l’a rappelé toute à l’heure – qu’il a été adopté hier par la mission à l’unanimité, ce qui n’est pas si fréquent.

M. Philippe Goujon. Il est vrai qu’il s’agit d’un rapport utile – même si nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour en prendre connaissance, nous avons néanmoins écouté avec intérêt les rapporteurs – en ce sens qu’il permettra peut-être d’éviter un certain nombre des dérives que contient le projet de loi de M. Macron sur la réglementation de ces professions. Il ne s’agit évidemment pas de n’importe quelles activités, ni d’activités économiques dont la dérégulation favoriserait la croissance – on ne voit d’ailleurs pas très bien comment cela pourrait y contribuer. Les Français ont la chance de vivre dans un pays où il existe une sécurité juridique, ce qui est loin d’être le cas dans beaucoup d’autres pays et ce qui fait l’intérêt des professions réglementées. Comme le rapporteur l’a dit, il s’agit de ne pas casser un système qui fonctionne dans de bonnes conditions de sécurité juridique. Il ne faut envisager d’y toucher que d’une main tremblante et, en tout cas, sans léser les professions en question.

Je souhaiterais simplement poser quelques questions.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, j’ai interrogé Mme la garde des Sceaux – qui, comme l’a rappelé le rapporteur Philippe Houillon, est très en retrait  – sur la question de l’indemnisation des notaires (une question dont l’impact financier s’élève à huit milliards d’euros) et des commissaires-priseurs judiciaires (une question dont l’impact financier serait de quatre milliards d’euros) mais je n’ai pu obtenir que des réponses vagues. En quelque sorte, on renvoie ces professions devant les tribunaux. Vos auditions, en revanche, semblent avoir confirmé la nécessité de procéder à cette indemnisation. Certes, rien n’est sûr mais il semble qu’un pas soit fait dans cette direction. Je souhaiterais donc vous entendre sur ce point. Je n’ai pas très bien compris en quoi l’Autorité de la concurrence, compétente pour émettre des avis sur des activités soumises à loi de l’offre et de la demande – ce qui n’est pas le cas des professions juridiques réglementées –, serait en mesure d’évaluer de façon pertinente la valeur du droit de présentation. C’est une question très importante car elle concerne beaucoup de professions.

Par ailleurs, le rapport sur les professions réglementées de M. Richard Ferrand – qui n’a disposé que de trois semaines pour rédiger son rapport, ce qui est toujours mieux que le délai dont disposera la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de M. Macron – a indiqué que l’ouverture des conditions d’exercice, sous forme salariée, du notariat, à raison de deux salariés pour un associé, avait accru le nombre de salariés de ces structures. Votre proposition consistant à ouvrir les conditions d’exercice salarial pour les autres professions implique-t-elle de restreindre l’ouverture du notariat au salariat comme le proposait le rapport Ferrand ?

Enfin, voir figurer dans le rapport ce que l’on pourrait appeler « le loup » de la création d’une profession unique de l’exécution judiciaire – même sous la forme d’une réflexion proposée par Mme Untermaier –, est surprenant lorsque l’on sait que ces professions n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres et que, légalement, elles peuvent même être incompatibles entre elles, comme l’a d’ailleurs reconnu M. Ferrand dans son rapport et comme l’ont confirmé les professionnels concernés que j’ai pu, comme beaucoup de mes collègues, entendre.

M. Marc Dolez. Comme je l’ai fait hier devant la mission, je voudrais d’abord souligner le sérieux et la qualité du travail accompli par nos deux rapporteurs, même si j’avoue une certaine perplexité sur la portée du rapport, dans la mesure où sa publication interviendra une semaine après la présentation du projet de loi de M. Macron en Conseil des ministres. Les dispositions de ce texte relatives aux professions juridiques réglementées ont donc été élaborées sans que le Gouvernement ait pu prendre connaissance des propositions de la mission. Par ailleurs, nous considérons – cela a été dit toute à l’heure et nous partageons ce point de vue –, que toute réforme des professions juridiques réglementées – réforme à laquelle ces professions sont prêtes et pour laquelle elles formulent des propositions – devrait être évidemment conduite sous l’autorité du garde des Sceaux, qui est leur ministre de tutelle.

Cela m’a amené à rédiger, au nom du groupe GDR, une contribution qui figure dans le rapport et qui insiste sur un certain nombre de fondamentaux, parmi lesquels notre attachement au droit continental et notre refus de tout alignement sur le droit anglo-saxon. J’ai noté hier, avec satisfaction et intérêt, que nos deux rapporteurs adhéraient à l’essentiel de ce que dit cette contribution, ce qui me semble important.

Au-delà des divergences qui peuvent exister entre nous, notamment sur les propositions qui sont faites – j’adhère à certaines d’entre elles, pas à d’autres –, je partage, in fine, le point de vue exprimé par les autres membres de la mission et qui consiste à essayer de faire en sorte que, dans les semaines à venir, notre travail soit le plus utile possible. Je considère donc que si nous parvenons, sur les points qui nous rassemblent, en particulier sur ceux qui touchent aux fondamentaux que je viens d’évoquer, à faire entendre la voix de la commission des Lois et l’esprit de ce rapport face à la logique de Bercy, nous aurons fait œuvre utile.

M. Jacques Valax. J’ai été très heureux de participer aux travaux de cette mission d’information, une mission créée dans les conditions que l’on sait et qui nous a permis, d’une certaine manière, de rappeler qu’il existe un pouvoir législatif et qu’il doit être respecté. Sans cette mission, notre travail serait d’autant plus difficile aujourd’hui, voire inopérant.

Je voudrais souligner, à mon tour, la qualité du travail effectué. Nous avons travaillé sans a priori, ce qui était important, en prenant soin de respecter les spécificités de chacune des professions que nous avons auditionnées. Nous avons essayé de pousser, en quelque sorte, les différents intervenants dans leurs retranchements et de leur faire « baisser la garde » sur quelques points particuliers. En définitive, je crois que nous avons fait montre de notre respect pour chacune des professions, dont nous reconnaissons les particularités, tout en essayant de faire en sorte qu’elles évoluent.

Ce travail nous a permis de rappeler la spécificité de notre droit, qui, comme l’ont rappelé notre collègue Marc Dolez et le groupe GDR dans sa contribution au rapport, n’est pas une marchandise et ne peut être soumis aux règles du marché. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce principe et que nous devons défendre notre droit continental face aux tentatives d’intrusion du droit anglo-saxon.

Il me semble nécessaire de rappeler également les principes qui sous-tendent notre organisation juridique. Le premier principe est la sécurité juridique dont chacun reconnaît qu’elle existe au bénéfice de tous. Elle repose d'abord sur la compétence professionnelle, par exemple celle des huissiers ou des notaires qui fait l’unanimité. Ensuite, il y a le secret professionnel, principe de base des avocats, qui est également fondamental. Enfin, nous avons tous rappelé l’importance de la qualité du maillage territorial, de la facilité et de la promixité de l’accès, pour chacun, à la justice, principes qui sont essentiels et que nous avons réaffirmés dans le cadre de cette mission.

Le ministre de l’Économie nous avait indiqué que rien n’était arrêté et défini. Aujourd’hui, on s’aperçoit que nous allons discuter essentiellement sur la base du projet qui est le sien. Au risque de tenir un propos quelque peu simpliste, je dirais : « pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? » Si l’on reprend le travail de la mission, en ce qui concerne les avocats, les huissiers et les notaires, nous pourrions engager de profondes évolutions en mettant en œuvre un certain nombre de mesures.

Tout d’abord, si nous sommes tous fondamentalement opposés à la définition d’un statut d’avocat en entreprise, il me semble que, sur la postulation, dont certains défendent le principe et d’autres non, des évolutions sont envisageables. À cet égard, la proposition formulée par Mme Cécile Untermaier, à savoir l’expérimentation, pour une durée de deux ans, dans deux cours d’appel, d’une extension de la postulation devant les tribunaux de grande instance situés dans le ressort de ces cours, me paraît susceptible de faire évoluer la profession d’avocat, dans la concertation et en la rassurant.

J’ai parlé de proximité et de maillage territorial. Il ne saurait être question, selon moi, de mettre en cause la compétence territoriale des huissiers en l’étendant à l’échelle nationale. Sinon, nous allons favoriser la création de grands cabinets sur le modèle anglo-saxon au détriment des cabinets présents sur nos territoires. C’est un danger face auquel je m’insurgerai jusqu’au bout.

Puisqu’il nous faut faire des propositions, en voici une sur laquelle tout le monde est tombé d’accord. Les huissiers du Trésor font bien leur métier mais ils le font peut-être moins bien que les huissiers privés. Ainsi, pourquoi ne pas envisager – c’est d’ailleurs la proposition n° 20 de la mission – la fusion de ces deux professions ? Nous ferions des économies en supprimant ce faisant trois cents à quatre cents postes de fonctionnaires. La réforme pourrait être effectuée à brève échéance.

Les notaires, quant à eux, reconnaissent que mille emplois font défaut. Il faut donc faire un effort dans cette direction et permettre l’installation de mille à mille cinq cents notaires en confiant au garde des Sceaux, comme le suggère la proposition n° 5 du rapport de la mission, le soin de pourvoir les offices à créer, « si besoin au terme d’une procédure de sélection objective et impartiale dont les modalités seront à définir ».

Ainsi aurions-nous réglé les problèmes se posant à trois des professions juridiques réglementées. J’en appelle, sur ces sujets, à un souci de simplicité et à une appréhension réaliste des problèmes sans mettre du monde dans la rue. Ne mettons pas le feu partout et formulons des propositions sérieuses !

M. François Vannson. Je tiens à réaffirmer devant la commission mon opposition à la création du statut d’avocat salarié en entreprise. Les avocats ne sont pas que des prestataires de services : outre qu’ils servent les intérêts d’un client, ils sont aussi des auxiliaires de justice, au service de l’État de droit et de l’intérêt général. Leur rôle ne se conçoit que si leur indépendance est garantie, à la fois au plan économique, juridique et intellectuel. L’indépendance de l’avocat salarié, qui ne peut être qu’intellectuelle, ne peut pas exister par conséquent. S’il existe des notaires, des avocats ou des médecins salariés, il convient de souligner qu’ils ne sont jamais les salariés de leurs clients ou de leurs patients. Les avocats salariés en entreprise seraient irrémédiablement contraints par un lien de subordination envers leur employeur client, rendant illusoire toute idée d’indépendance.

L’avocat est soumis au secret professionnel qui, en France, n’appartient ni à l’avocat, ni au client mais relève de l’intérêt général. Le projet de loi de M. Macron prévoit que le secret professionnel de l’avocat salarié en entreprise ne serait pas opposable à l’employeur. Or l’existence du secret professionnel et dont la violation est pénalement sanctionnée est incompatible avec cette disposition du projet de loi. Celle-ci montre d’ailleurs que les avocats salariés en entreprise ne pourront être totalement indépendants. Surtout, au terme d’une jurisprudence bien fixée, la CJUE ne reconnaît pas le secret professionnel d’un avocat ou d’un juriste s’il est lié par un « rapport d’emploi » à son employeur.

De surcroît, sur le plan économique, cette mesure ne donne en rien l’espérance d’une croissance supplémentaire.

Enfin, participant à la défense de l’intérêt général, l’avocat a une obligation de déclaration de soupçon par l’intermédiaire du bâtonnier, dans le cadre des procédures de lutte contre le blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Cette exception forte au régime du secret professionnel de l’avocat est justifiée par le caractère impérieux de la lutte contre le terrorisme, l’évasion et l’optimisation fiscales. Or l’avocat salarié en entreprise ne sera jamais contraint de dénoncer son employeur. Dès lors, le statut d’avocat salarié en entreprise apparaît définitivement incompatible avec la qualité d’avocat libéral ou d’avocat salarié employé par un avocat libéral. En revanche, ce que la profession propose et que je soutiens, c’est un statut d’avocat en mission d’entreprise qui préserve l’indépendance de l’avocat et son identité d’auxiliaire de justice, défenseur des libertés et des droits de tous.

Concernant la postulation, je crains que les petits barreaux de province courent un risque car, à l’avenir, il leur sera sans doute plus difficile de pouvoir recruter des avocats. Je considère pour ma part que même en province, même en milieu rural, la population doit avoir accès au droit dans les mêmes conditions que tous nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national.

M. Jean-Michel Clément. Nous avions travaillé il y a quelque temps sur le rapport Darrois qui voulait définir une profession unique du droit. Depuis nous n’avons pas évolué. La mission d’information aura permis de mesurer l’existence de réflexes conservateurs solides et d’identifier des dérives qui ont pu conduire à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Cela a été un choc pour les professionnels concernés qui ont vivement réagi. En même temps, ils ont reconnu – lorsque nous les rencontrions individuellement, ce que j’ai pu faire – les dérives de leurs professions et, en tout cas, l’absence d’évolution. Je pense aux notaires qui, en leur temps, avaient évoqué l’idée de porter leurs effectifs à 10 000 en 2000 et à 15 000 en 2015 et qui sont toujours aujourd’hui à 9 500, ce qui montre qu’ils n’ont pas accompli les efforts nécessaires. Les professionnels interrogés individuellement acceptent aujourd’hui des évolutions mais dans certaines conditions.

Je souhaite que l’usager soit mis au centre de nos préoccupations, ce qui guidera un certain nombre de nos décisions. En ce sens, par exemple, je ne comprends pas en quoi l’arrivée de capitaux extérieurs améliorerait le sort de l’usager. Je crois au contraire que le partage de la valeur ajoutée doit toujours se faire demain entre les prestations et la rémunération de ceux qui les assurent, et non celle de tiers extérieurs.

Enfin, même s’il n’est pas facile de parler d’une profession dont on est issu, je m’autoriserai à évoquer la question de l’avocat en entreprise : ceux qui défendent cette idée ont en réalité des donneurs d’ordre et non des clients. Dès lors, ils ne servent que des intérêts et ils n’ont rien à faire parmi les avocats – en tout cas dans l’idée que je me fais de cette profession.

Enfin, la suppression des tribunaux d’instance a donné un premier coup d’arrêt à l’accès au droit, qui peut être assuré soit par l’aide juridictionnelle, soit par l’accessibilité aux juristes. Il ne faut pas, avec une réforme comme celle qui nous est proposée, augmenter les difficultés que nous connaissons déjà en éloignant les usagers des professionnels du droit. Il faut aussi penser à protéger l’usager. Ce doit être aussi l’esprit d’une loi qui se veut « pour la croissance et l’activité ».

M. Sébastien Huyghe. Je fais partie de la mission et je m’associe volontiers à ce qui a été dit sur ce beau travail collectif qui a fait évoluer, chez beaucoup de ses membres, l’image des professions juridiques qu’ils pouvaient avoir avant nos travaux. La question que je me suis toujours posée est : pourquoi avoir voulu remettre en cause – si ce n’est mettre en pièces – un système qui fonctionne bien et même très bien si l’on en croit l’opinion de nos concitoyens ? Au sein de cette mission, nous avons mené nos travaux tambour battant mais nous sommes parvenus à traiter tous les sujets de manière exhaustive. Je regrette que le projet du Gouvernement vienne en décalage – pour ne pas dire plus – par rapport au travail fourni par la mission. J’espère que ses conclusions, ou certaines d’entre elles au moins, seront entendues par le Gouvernement et que la majorité pourra rectifier le tir dans bon nombre de domaines.

Je n’approuve pas tout ce qui est écrit dans le rapport de la mission mais je partage finalement un certain nombre des propositions qui y sont faites et je ne m’opposerai donc pas à sa publication.

Je veux noter que, contrairement au projet de loi, celui-ci ne préconise pas la liberté d’installation pour les officiers ministériels et j’espère que, sur ce point, nous parviendrons à faire modifier le texte présenté par le Gouvernement. S’agissant de la proposition consistant à établir la cartographie des endroits où il pourrait être utile d’ouvrir des études d’huissiers ou de notaires, je m’étonne que cette mission soit confiée à l’Autorité de la concurrence – d’ailleurs, dans le rapport, beaucoup de missions lui sont confiées –, c’est-à-dire à Bercy, alors que ce n’est pas vraiment de son domaine de compétence. Ce type de questions doit rester – beaucoup de nos collègues l’ont dit, où qu’ils siègent sur les bancs de notre Assemblée – dans le giron de la Chancellerie qui est l’autorité de tutelle, en tout cas pour les officiers ministériels qui disposent du sceau de l’État qui, par essence, leur est conféré par le ministre de la Justice.

Nous sommes tous d’accord ici pour dire que le droit n’est pas une marchandise, qu’il y a une spécificité de notre système juridique qui se rattache au droit continental que nous défendons tous, par opposition au droit anglo-saxon auquel le ministre de l’économie semble trop attaché. Je veux rappeler ici que toutes ces professions juridiques réglementées ont d’abord pour mission de protéger nos concitoyens. Ce doit être le point de départ de toute réflexion sur ces professions et il nous appartient donc de faire en sorte de leur donner tous les moyens pour qu’elles assument au mieux cette mission.

Je me réjouis également que le rapport propose le maintien d’un tarif unique pour les professions juridiques réglementées – qui comprennent beaucoup d’officiers ministériels –, plutôt que de créer un « tunnel » comme il est prévu dans le projet de loi. Je crois qu’il est très important que nos concitoyens bénéficiant d’une même prestation paient le même prix, qu’ils se trouvent à Lille, à Marseille ou à Fournel, en Lozère. À un service égal et garanti par l’État doit correspondre un tarif égal.

Pour conclure, je tiens à m'inscrire en faux par rapport à ce qu’a dit le ministre, M. Emmanuel Macron, hier, devant la commission spéciale, à propos de l’existence de « déserts notariaux ». Il n’y a pas de déserts notariaux ! Le maillage territorial dans notre pays est organisé de telle sorte qu’il n’y en a pas. C’est d’ailleurs une des missions de la Chancellerie que de parvenir à une bonne répartition sur tout le territoire. Si l’on n’est pas content des tarifs, il faut se tourner vers le ministère de la Justice. Il en va de même pour le maillage des offices. Si le nombre d’études – comme M. Emmanuel Macron a semblé le déplorer hier devant la commission spéciale – a diminué depuis dix ans, c’est tout simplement – les auditions l’ont démontré – que certaines études n’étaient plus nécessairement viables. Elles n’ont pas forcément disparu mais se sont regroupées, les anciennes études devenant des bureaux annexes, et les anciens notaires qui exerçaient seuls dans une étude principale sont devenus des notaires associés qui offrent le même service juridique à la population. Il faut rappeler certaines réalités de ce secteur que le ministre de l’Économie ne connaît pas bien. Il devrait interroger à ce sujet celle qui est en charge de ce secteur, la garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui a l’autorité de tutelle sur les professions juridiques réglementées. Je pense que nous devons tout faire pour que cela demeure.

Mme Colette Capdevielle. Il était vraiment indispensable de réaliser ce travail au sein de notre commission. Je tiens à souligner le caractère précis, sérieux et documenté du rapport. Initialement, il s’agissait principalement d’apaiser des inquiétudes, dont nous avons pu constater qu’elles étaient souvent injustifiées. Les rapporteurs ont travaillé de manière très pragmatique, tout en respectant les grands principes ou, selon l’expression employée dans le rapport, « l’ADN des professions juridiques ».

La mission d’information s’est donnée pour fil conducteur une réflexion sur les moyens de favoriser l’accès, notamment des jeunes et des jeunes femmes, à certaines professions encore trop fermées mais aussi et surtout d’améliorer le service public à l’égard des justiciables.

Le travail accompli va constituer un socle essentiel pour la mise en place de la commission spéciale chargée de l’examen projet de loi de M. Macron. Les membres de cette commission pourront utilement s’appuyer sur les conclusions du rapport, notamment certaines de ses propositions, ainsi que sur les analyses qu’il contient, notamment pour déposer des amendements améliorant le dispositif proposé.

Parmi les propositions audacieuses du rapport, certaines méritent de retenir notre attention. Le droit de présentation des notaires, compte tenu des circonstances historiques de son apparition, détaillées dans le rapport, apparaît aujourd’hui très contestable. La valeur d’une étude de notaire et la valeur patrimoniale du droit de présentation ne devraient pas se confondre comme c’est le cas actuellement. Il faudra bien, un jour, s’orienter vers la suppression du droit de présentation.

Dans le même ordre d’idée, une profession a été étrangement oubliée par le rapport de l’Inspection générale des Finances comme par le rapport de Richard Ferrand : c’est celle de profession d’avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État. Le rapport de notre mission d’information ne commet pas cet oubli. Nous avons constaté que, depuis 1817, il n’existe que 60 offices, que le nombre actuel d’avocats aux conseils s’élève à 108 et qu’en réalité, beaucoup d’autres professionnels travaillent dans ces cabinets d’avocats. Il y a en France un monopole de la représentation et de la plaidoirie devant les deux juridictions suprêmes. La technicité de la cassation exige indiscutablement une haute qualification. Néanmoins, bien que le ministère d’avocat aux conseils ne soit pas obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, les mémoires et les décisions rendues sont de bonne qualité. La difficulté qui se pose est liée au fait que l’organisation de cette profession contribue à filtrer les pourvois et il n’est bien entendu pas question d’engorger les juridictions suprêmes. Nous pourrions nous inspirer de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité pour laquelle deux filtres existent, bien que le ministère d’avocat aux conseils ne soit pas obligatoire. La régulation du contentieux devant nos deux cours suprêmes pourrait être assurée par d’autres moyens que par un véritable monopole. L’indemnisation de 60 charges ne devrait pas être un obstacle. Une telle mesure a été mise en œuvre récemment pour les avoués qui étaient bien plus nombreux. Je m’interroge également sur la compatibilité entre la profession d’avocat, soumise au principe d’indépendance affirmé dans le serment, et le statut d’officier public ministériel. J’ai interrogé hier sur ce point M. Emmanuel Macron, qui a reconnu que cette question devait être abordée dans le cadre du projet de loi pour la croissance et l’activité, ce dont je me félicite. C’est notre travail qui permet cette avancée.

La proposition n° 8 de la rapporteure relative à la postulation, que je relie à la question des huissiers de justice, me paraît très intéressante. La postulation a permis une très bonne couverture territoriale. La question essentielle n’est pas le maintien des professionnels mais l’accès au droit pour nos concitoyens qui en sont le plus éloignés et qui connaissent le plus de difficultés. L’idée d’expérimenter en zone rurale et en zone urbaine me paraît excellente car les réalités sont très différentes et qu’ajourd’hui, deux France semblent se dessiner.

Je me félicite que le rapport prenne en compte la question essentielle du financement de l’accès au droit – ce que ne fait pas le projet de loi de M. Macron. Il n’est pas possible de réformer le maillage territorial de manière substantielle sans examiner la question de l’accès au droit et à la justice, dans l’intérêt des justiciables. Nous devons porter une attention particulière aux déserts judiciaires, quelles que soient les raisons de l’éloignement de nos concitoyens. Le besoin de droit existe sur l’ensemble du territoire et pas seulement dans les villes dans lesquelles siège une cour d’appel.

S’agissant de la transparence et du coût, il est nécessaire de supprimer le tarif de postulation, qui est opaque, complexe dans son mode de calcul et aujourd’hui inadapté. Il faut en revanche imposer – c’est très important – les conventions d’honoraires pour toutes les professions juridiques réglementées. Il faut aussi simplifier la terminologie : les émoluments désignent les honoraires et non les frais. Il faut distinguer très clairement dans les conventions d’honoraires ce qui correspond aux frais, aux débours et aux honoraires. Cette évolution profiterait à tout le monde : aux professionnels, car elle favoriserait une gestion moderne de leur activité ; aux consommateurs, car elle les prémunirait contre de mauvaises surprises et garantirait la transparence. Nous recevons en effet souvent dans nos permanences des usagers du droit venus se plaindre.

Je soutiens également la proposition de création d’une profession unique de l’exécution, ce qui – je dirais enfin, Madame la rapporteure ! – simplifierait l’offre, la rendrait plus lisible pour des justiciables qui ne sont pas des professionnels et qui sont souvent perdus dans le dédale des procédures d’exécution. Cela permettrait surtout une réduction des coûts.

Le travail accompli dans le cadre de la mission d’information nous a fait prendre conscience de la difficulté de réformer les professions juridiques réglementées. Il nous a aussi permis de vérifier que ces professionnels ont des compétences, assurent des services de qualité et possèdent une déontologie. Déverrouiller ces professions n’est pas simple car il existe encore un fort conservatisme et des corporatismes. Il ne s’agit pas évidemment de casser ce qui fonctionne déjà et qui fonctionne bien. Je me félicite à cet égard que la mission – c’est son mérite – préserve les principes fondamentaux sur lesquels nous devons rester absolument inflexibles – je suis en parfait accord avec ce qui a été dit précédemment. Cela étant, il faut moderniser et adapter. Il faut certes ouvrir mais donner des droits à certains ne devrait pas en inquiéter d’autres. Ces inquiétudes – que je comprends – sont aussi liées au fait que les professions juridiques réglementées ont assez peu évolué de manière substantielle au cours des 20 à 30 dernières années.

Je me félicite que le rapport ait été adopté à l’unanimité par la mission d’information, ce qui est assez rare et illustre tant le poids des inquiétudes que le besoin d’évolution des professions juridiques réglementées. Ce vote unanime va nous permettre de mener des travaux constructifs dans le cadre de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je salue la qualité du travail de la mission d’information. La formule employée par M. Philippe Houillon, « adapter et préserver », me paraît être une bonne orientation pour la réforme des professions juridiques réglementées dans le cadre du projet de loi pour la croissance et l’activité.

Madame la rapporteure, je souhaiterais avoir des précisions sur la jurisprudence constitutionnelle fondée sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et relative au droit de présentation, ainsi que sur la distinction entre « office » et « finance » que vous avez évoquée.

Je souhaite ensuite exprimer mon inquiétude s’agissant de la cartographie des nouvelles études notariales. Le projet de loi pour la croissance et l’activité prévoit l’établissement au niveau national d’une cartographie des études notariales mais les jeunes qui souhaiteront s’installer pourront déposer des dossiers, les litiges éventuels se réglant devant le juge de l’expropriation. Ce que je crains, c’est que cette réforme crée un climat détestable au sein d’une profession qui fonctionne bien.

Enfin, je ne vois pas pourquoi on veut toucher à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation dès lors que cette profession fonctionne bien.

M. Guillaume Larrivé. Je m’associe volontiers aux propos de mes collègues François Vannson, Sébastien Huyghe et Pierre Morel-A-L’Huissier qui ont développé excellemment des arguments que je fais miens.

Je me permets de donner un conseil à M. Emmanuel Macron : celui d’appliquer le principe de précaution dans des secteurs complexes, régis par des usages anciens et dont le fonctionnement donne souvent satisfaction. Il apparaît d’autant moins nécessaire de bouleverser le système actuel qu’il n’existe pas de demande sociale en ce sens.

J’exprimerai une inquiétude particulière s’agissant du maillage territorial, en tant que député d’un territoire rural situé dans le ressort d’une très grande cour d’appel, celle de Paris. J’aborde cette question sans parti pris : j’ai été convaincu par les arguments que j’ai entendus localement sur la nécessité de maintenir une régulation entre des barreaux locaux, comme celui d’Auxerre ou de Sens, et le barreau de Paris, qui compte 26 000 avocats. Je crois profondément que la suppression du mécanisme de postulation aurait des effets radicalement pervers s’agissant de l’accès au droit. Je remercie donc M. Philippe Houillon de ne pas s’être associé à la proposition n° 8 de Madame la rapporteure. Je pense qu’en ce qui concerne la postulation des avocats, le plus sage est en effet de conserver le système actuel, en particulier dans le ressort de cours d’appel où les barreaux des tribunaux de grande instance sont à ce point déséquilibrés.

S’agissant des notaires, je partage la position de M. Sébastien Huyghe.

M. Paul Molac. M. Larrivé, je suis certain que M. Emmanuel Macron réalisera des « innovations responsables », pour reprendre les termes d’une proposition de loi que nous avons examinée récemment.

Le rapport consacre la conception française du droit, qui est différente de la conception anglo-saxonne et qui me semble permettre la protection des usagers. Il propose d’élargir l’accès aux professions, en particulier à la profession de notaire, ainsi que de réformer la tarification, qui est aujourd’hui largement obsolète, avec des actes qui ne sont pas assez rémunérés et d’autres qui le sont trop, compte tenu du travail qu’ils représentent et du caractère sans doute peu judicieux de leur tarification par rapport à la valeur du bien.

En tant que député d’un territoire rural, je redoute qu’en plus des déserts médicaux, nous soyons confrontés à des déserts juridiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : dans la plupart de nos territoires ruraux, on trouve des huissiers, des notaires, des professionnels qui délivrent des conseils gratuits, ce qui n’est pas le cas de toutes les professions juridiques. Je suis très sensible à cela.

Je salue la qualité du travail accompli, alors que la mission d’information disposait de très peu de temps. Nous devons maintenant travailler sur le projet de loi pour la croissance et l’activité, qu’il sera sans doute nécessaire d’amender.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je suis étonnée de la nature de nos discussions, qui me rappellent l’expression : « Et pourtant elle tourne ». Le monde change et on ne peut penser que les professions réglementées doivent être les seules à rester immobiles. Si je partage la position de la rapporteure, qui considère que le droit français est fondé sur des principes, à la différence du droit anglo-saxon, fondé sur la coutume, nous devons néanmoins considérer que l’évolution de la vie, du comportement de nos concitoyens, de leurs besoins, de leurs souhaits, de la technologie, mais aussi les évolutions différenciées des zones rurales et urbaines doivent conduire à une évolution naturelle – sans doute difficile, j’en conviens – de ces professions. Celles-ci ne sauraient en effet être extraites du temps. Je me félicite donc de cette mission d’écoute et d’attention qui a permis enfin de mettre ces sujets sur la table.

M. Yves Goasdoué. En tant que membre de cette mission d’information, je tiens à remercier notre collègue Cécile Untermaier pour la qualité de sa présidence, ainsi que M.Philippe Houillon car nous avons travaillé dans une ambiance très particulière, qui aurait pu être conflictuelle et qui ne l’a pas été. La mission a été utile car elle a permis à ses membres, souvent spécialistes de ces questions, de prendre conscience de la complexité des réalités et de toucher du doigt la diversité des territoires. Des solutions efficaces dans certains d’entre eux peuvent se révéler dangereuses dans d’autres. Les points de vue des professionnels sont eux-mêmes très divers en fonction des territoires dans lesquels ils exercent leur activité. Il n’est qu’à considérer la profession d’avocat pour se rendre compte que les points de vue ne sont pas les mêmes selon que l’on se trouve à Paris ou en province.

Le rapport a été adopté à l’unanimité car nous avons pris en compte la nécessité d’assurer aux Français – la mission était faite pour eux et non pas pour les seuls professionnels – la qualité requise des actes juridiques. Celle-ci doit garantir la sécurité juridique et permettre d’éviter l’inflation des contentieux. Ces éléments ont déjà été évoqués ce matin. Je préfère parler de « tradition française » plutôt qu’à ceux de « droit continental ».

Pour autant, tout va-t-il bien dans le meilleur des mondes ? Je ne le pense pas. Nos concitoyens ont droit à un juste prix, à un prix prévisible. Lorsqu’on se lance dans un achat ou dans une procédure contentieuse, il est nécessaire de pouvoir établir un bilan des coûts et des avantages. Il faut savoir ce que coûtera d’aller devant la justice faire trancher un différend. Nous avons un vrai travail parlementaire à conduire sur cette question, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité car la notion de « corridor » ou de « tunnel » tarifaire contenue dans le projet de loi me paraît devoir être éclaircie.

Hormis la profession d’avocat, un certain nombre de professions n’ont pas jusqu’à présent accepté de s’ouvrir, bien qu’elles en aient exprimé l’intention. Les chiffres en témoignent. Il faut trouver les voies et moyens raisonnables de permettre à des jeunes, en particulier à des jeunes juristes méritants, de s’installer et de participer au maillage du territoire sans mettre en péril les structures existantes. Il faut trouver des solutions de manière pragmatique mais aussi volontariste car la seule autorégulation a conduit à la situation que nous connaissons et ne donnera aucun résultat.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je pense en effet que nous avons fait œuvre utile en créant cette mission car le calendrier d’examen parlementaire du projet de loi de M. Macron sera évidemment contraint. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté, au nom de la commission des Lois, que le texte soit examiné par une commission spéciale afin d’éviter des conditions d’examen du texte encore plus acrobatiques, avec une saisine de notre commission pour avis puis éventuellement au fond, ce qui nous aurait laissé encore moins de temps pour travailler.

Nous avions pour ambition de nous doter d’une doctrine pour aborder la question des professions juridiques réglementées. Nous disposons d’un état des lieux sur lequel nous sommes tous d’accord, même si des divergences existent sur les propositions. Nous sommes donc maintenant mieux armés pour l’examen du projet de loi qui débute, notamment ceux d’entre nous qui vont prendre part aux travaux de la commission spéciale qui s’est réunie pour la première fois hier.

À présent, je soumets au vote de la Commission l’autorisation de publier le rapport de la mission d’information.

La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées, en vue de sa publication.

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La Commission examine ensuite le rapport d’information de Mme Elisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, rapporteurs de la mission d’information sur les modalités d’inscription sur les listes électorales.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure. La mission d’information sur les modalités d’inscription sur les listes électorales a conduit ses travaux dans un délai relativement court, qui a néanmoins permis de procéder aux auditions nécessaires à l'appréhension du sujet qui nous était soumis. Question à première vue « mineure » ou « technique », la procédure d’inscription sur les listes électorales revêt en réalité une grande importance dans la mesure où elle conditionne l’exercice du droit de vote par chaque citoyen, la participation du plus grand nombre aux élections et donc la légitimité démocratique de nos institutions. Les objectifs poursuivis par cette procédure – satisfaire l’exigence démocratique de participation du plus grand nombre d’électeurs aux scrutins et garantir la sécurisation du processus électoral – sont potentiellement contradictoires. De ce point de vue, au terme de nos travaux, nous estimons que les modalités d’inscription ont un impact négatif sur l’exercice du droit de vote et éloignent parfois certains électeurs de l’institution électorale. Nous formulons en conséquence 23 propositions qui touchent principalement à quatre thèmes : l’assouplissement du calendrier d’inscription, la réforme de la procédure d’examen et de contrôle des inscriptions, l’accompagnement des démarches d’inscription et la rénovation des conditions de choix de la commune d’inscription.

En premier lieu, nous avons constaté que le calendrier d’inscription était devenu contraignant et inadapté au rythme électoral ainsi qu’à la mobilité professionnelle et résidentielle des électeurs. Depuis un décret du 8 juillet 1975, il est permis de s’inscrire toute l’année mais, en tout état de cause, au plus tard le 31 décembre de l’année qui précède une élection. Ce délai est nécessaire aux opérations de révision des listes électorales, qui font intervenir de nombreux acteurs, et aux contestations de celles-ci devant le juge compétent. Mais ce calendrier a été fixé à une époque où la mobilité des électeurs était faible et les dates des scrutins concentrées aux mois de mars et d’avril. Certes les possibilités de s’inscrire en dehors de cette période existent mais elles sont soumises à des conditions strictes, supposant que l’intéressé ait accédé à la majorité électorale, acquis la nationalité française ou recouvré ses droits civils et politiques après le 31 décembre, ou encore qu’il ait été muté ou qu'il ait déménagé pour des raisons professionnelles après cette date. De fait, la liste électorale se retrouve figée pendant une année entière, empêchant de voter les électeurs qui souhaitent s’inscrire passé ce délai ou qui déménagent pour des motifs autres que professionnels. Préjudiciable à la participation électorale à tous les scrutins, ce délai le sera encore davantage pour les élections organisées l’année prochaine. Car, à la différence des élections départementales qui se tiendront à leur terme normal au mois de mars, les élections régionales seront reportées au mois de décembre et les électeurs qui souhaiteront y prendre part doivent s’inscrivent d’ici quinze jours.

Nous proposons donc d’aligner la révision des listes électorales sur le rythme des élections en remplaçant la révision annuelle qui prévaut aujourd’hui par une révision pré-électorale des listes, grâce à la clôture de la période d’inscription non plus le 31 décembre mais quelques jours avant le scrutin organisé. En l’état actuel de la procédure d’examen, un délai minimal de quarante-cinq jours nous est apparu raisonnable. Toutefois, comme nous y a invité le président de la République, nous pensons possible de réduire ce délai à trente jours, à condition de réformer la procédure d’inscription et de mieux réguler tout au long de l'année les demandes d’inscription. S’agissant de l’année 2015, il nous paraît anormal d’exiger des électeurs qu’ils s’inscrivent dès maintenant pour participer à une élection qui aura lieu dans un an. Dans ces conditions, nous recommandons que le législateur intervienne rapidement, soit en rouvrant le délai d’inscription quelques semaines avant le mois de décembre, soit en élargissant les motifs d’inscription hors période actuellement prévus par le code électoral.

En deuxième lieu, la procédure d’élaboration des listes électorales doit, selon nous, être réformée afin de garantir leur fiabilité et la qualité de leur mise à jour. Les auditions ont montré que les listes électorales — dont nous nous satisfaisons aujourd’hui — n’étaient pas toujours exactes, une discordance existant entre le fichier général des électeurs détenu par l’INSEE, qui fait figure de référence, et les listes de chaque commune. Certes des opérations de mise en concordance permettent à l’INSEE et aux communes de procéder aux régularisations nécessaires mais ces opérations, extrêmement longues, ne peuvent être généralisées. Cette procédure fait intervenir différents acteurs, à commencer par des commissions administratives communales dans lesquelles sont nommés un représentant de la préfecture, un représentant du tribunal de grande instance et un représentant du maire. L’INSEE, grâce au fichier général des électeurs, contrôle les éventuelles doubles inscriptions en informant chaque commune des radiations à faire et intervient dans la procédure d’inscription d’office des jeunes. Les préfectures sont chargées du contrôle de la régularité du processus de révision des listes et le juge statue sur les contestations qui lui sont soumises.

En pratique, cette procédure ne garantit pas l’impartialité et l’efficacité de la mise à jour des listes, comme en témoignent les dysfonctionnements constatés dans les modalités de désignation et les conditions de travail des membres des commissions administratives. La désignation des représentants de la préfecture et du tribunal de grande instance se fait parfois sur proposition du maire. La difficulté de trouver des personnes disponibles et le caractère bénévole de la mission qui leur est confiée conduisent à des absences ponctuelles ou répétées de l’un des trois membres dont la participation est pourtant exigée. Et certaines commissions ne respectent pas les formalités procédurales prescrites par le code électoral, comme l’obligation de tenir un registre précis de leurs décisions. Par ailleurs, nous avons observé une imparfaite coordination à l’échelle nationale des décisions d’inscription et de radiation prises au niveau communal. Chaque commune conservant la maîtrise de sa liste électorale et l’INSEE ne pouvant vérifier que les radiations qu’il a suggérées ont été réalisées, certains électeurs sont doublement inscrits. Ces doubles inscriptions, qui existent incontestablement, ne sont toutefois pas le signe particulier d’une fraude électorale, la plupart des électeurs doublement inscrits ignorant l’être. Ces dysfonctionnements s'expliquent aussi par l’absence de dématérialisation des échanges entre certaines communes et l’INSEE, la saisie manuelle des inscriptions occasionnant des erreurs.

Face à ce constat, nous proposons de réorganiser les commissions administratives afin de réduire le nombre de membres à désigner en leur sein et de remédier à leur éparpillement actuel. Leur compétence, aujourd’hui limitée à un seul bureau de vote, pourrait être étendue à plusieurs bureaux, voire à tous les bureaux de vote de la commune lorsque c’est possible. Dans les communes les plus petites, nous pensons qu’il est possible de les organiser au niveau intercommunal : le caractère communal de leur compétence serait toutefois préservé par la présence obligatoire du maire ou de son représentant lorsque sont examinés les dossiers concernant des électeurs de sa commune. Il serait également souhaitable de rendre publics leurs travaux et de renforcer le contrôle des préfectures sur leurs opérations, notamment quant à l’obligation de tenir un registre et à l'utilité de dresser un procès-verbal de chacune de leurs réunions.

Nos propositions ne reviennent pas sur le rôle décisionnaire de ces instances en matière d’inscription et de radiation, seules les commissions administratives pouvant, à nos yeux, exercer cette compétence. En revanche, nous souhaitons que soit confié à l’INSEE le soin de mettre à jour les listes électorales de chaque commune là où, aujourd’hui, il ne peut que recommander la radiation d’un électeur. Serait instaurée une liste électorale nationale gérée par l’INSEE qui centraliserait toutes les inscriptions et radiations décidées par les commissions administratives et dont seraient extraites les listes communales, sur lesquelles chaque commune pourrait, au moment de leur extraction, faire valoir ses observations. Cette  proposition nécessite que soit dès à présent lancée une vaste opération de régularisation des listes actuelles, opération qui ne pourra aboutir qu’en 2017.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le troisième axe de notre rapport consiste à mieux accompagner les électeurs dans l’inscription. Nous ne sommes pas dans un pays où l’inscription et la réinscription sont automatiques, à la différence d’autres États européens qui pratiquent l'automaticité de l'inscription, comme l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie ou les Pays-Bas, grâce au système de la déclaration domiciliaire. En France, où la tradition du fichier domiciliaire n’existe pas – le Parlement a d’ailleurs rejeté à plusieurs reprises les propositions tendant à instaurer un tel système – l’inscription sur les listes électorales est principalement volontaire et nous considérons qu’il est nécessaire de la conserver. Par dérogation à cette procédure, le législateur a voté en 1997 l’instauration d’une procédure d’inscription d’office au bénéfice des jeunes. Encore faut-il préciser que cette procédure ne conduit pas à l’inscription automatique du jeune, dans la mesure où elle suppose que celui-ci ait préalablement effectué son recensement militaire. Même si son bilan est plutôt positif, cette procédure ayant incontestablement permis d’améliorer le taux d’inscription des jeunes électeurs, nous formulons plusieurs préconisations d’ordre pratique. Il s’agit d’abord de mieux prendre en compte les  changements d’adresses intervenus entre la date de recensement du jeune et la date de sa majorité. Nous suggérons également de remédier à l’hétérogénéité des pratiques observées par les communes dans l'application de cette procédure, certaines inscrivant automatiquement le jeune qui s’est fait recenser, d’autres exigeant qu’il confirme par retour du courrier son inscription. Enfin, nous proposons de réduire les « angles morts » de cette procédure, qui, aujourd’hui, ne permet pas l’inscription d’office des jeunes aux élections partielles ni au second tour d’un scrutin pour ceux qui atteindraient l’âge de 18 ans entre les deux tours.

Par ailleurs, nous avons cherché à comprendre les raisons pour lesquelles autant de personnes étaient, dans notre pays, mal inscrites sur les listes électorales. Lorsqu’une personne déménage, elle fait des démarches administratives pour signaler le changement de ses coordonnées et s’imagine souvent, qu’ayant fait ces démarches, la mutation aura été automatiquement réalisée sur les listes électorales. Nombre de nos concitoyens croient en effet – à tort – que lorsqu’ils signalent leur déménagement à l’administration fiscale ou à la sécurité sociale ou se manifestent auprès de leur nouvelle commune, le changement d’inscription aura été automatiquement réalisé.

Notre idée est donc simple : elle consiste à accompagner l’électeur lors de son déménagement afin que, à chacune des démarches qu’il réalisera à cette occasion, il lui soit proposé de modifier son inscription sur les listes électorales, au travers du portail mon.service-public.fr qui est en train de monter en puissance. Nous soumettons cette proposition à deux conditions essentielles, destinées à préserver la sécurité juridique et les contrôles qui doivent s’attacher à la procédure d’inscription : l’identification de démarches administratives présentant les mêmes garanties de sécurité que celles qui existent actuellement pour l’inscription sur les listes et la vérification des mêmes pièces justificatives. On peut également imaginer qu’une personne faisant sa déclaration de revenus auprès de l’administration fiscale ou sollicitant la délivrance d’une carte nationale d’identité ou d’un permis de conduire se verra proposée, par l’intermédiaire de mon.service-public.fr, la modification de sa commune d’inscription dès lors qu’elle signalera son changement d’adresse. Dans le même esprit, une proposition systématique d’inscription pourrait être formulée aux personnes qui acquièrent la nationalité française, nombre d’entre elles semblant considérer que les démarches d’acquisition de la nationalité valent inscription sur les listes électorales.

En dernier lieu, nous proposons d’élargir le choix de la commune d’inscription par l'électeur en rénovant les conditions d’attache avec celle-ci. La commune d’inscription est déterminée par trois conditions alternatives. Les deux premières, qui reposent sur la preuve d’un domicile ou l’existence d’une résidence continue de six mois au moins, ne posent pas de difficulté. En revanche, la troisième, liée à la qualité de contribuable local, apparaît « vieillotte » en exigeant de l’électeur qu’il figure personnellement depuis cinq années consécutives au rôle d’une des contributions directes communales. Nous n’avons pas trouvé l’origine de ces cinq années, délai qui nous paraît long et que nous proposons de réduire à une période plus courte de deux ans. Surtout, l’exigence d’une inscription personnelle au rôle fiscal est inadaptée à certaines situations personnelles et professionnelles. Ainsi, pourquoi priver d'inscription sur la liste électorale la personne qui acquiert son appartement par l'intermédiaire d'une société civile immobilière afin de le transmettre à ses enfants ? De même, si la plupart des commerçants exerçaient, il y a quelques décennies, leur activité en nom propre, ils peuvent aujourd'hui le faire sous divers statuts, notamment en SARL ou EURL. Dès lors, pour quelle raison un commerçant, dont l’entreprise est soumise à un statut juridique particulier mais qui exerce une activité économique réelle et a un lien économique avec sa commune, se retrouverait-il, dans un cas, autorisé à s’inscrire et dans l’autre pas ? Nous appelons donc de nos vœux un toilettage de ces dispositions qui ne changera pas le fond des choses mais facilitera les inscriptions et, en tout état de cause, permettra de ne plus les bloquer pour des raisons discriminatoires.

Vous le voyez, nos propositions s’inscrivent toujours dans le double objectif de satisfaire l’exigence démocratique d’inscription du plus grand nombre sur les listes sans porter préjudice à la sécurité juridique du processus électoral. Sur les vingt-trois propositions que nous formulons, près de la moitié est d’ordre législatif et l’autre moitié est réglementaire ou administrative. J’en évoquerai une dernière qui ne manquera pas de rappeler des souvenirs à ceux d’entre vous qui ont tenu des bureaux de vote. Nous constatons tous, à cette occasion, des inexactitudes sur les listes électorales : adresses inexactes, prénoms mal orthographiés, dates de naissance erronées, etc. Alors qu’aujourd’hui aucune procédure ne rend obligatoire la saisine de la commission administrative sur ces erreurs, nous suggérons que le président du bureau de vote soit tenu de les lui transmettre afin qu’elles soient régularisées et corrigées.

Pour le reste, nous sommes, ma collègue et moi, d’une sensibilité très proche sur l’ensemble des propositions. Je dois néanmoins exprimer une certaine prudence sur la question des délais. Si je souscris totalement au délai d’inscription de quarante-cinq jours avant le scrutin, compte tenu du temps administratif nécessaire aux opérations de révision des listes, un délai de trente jours me paraît compliqué à atteindre si l’on songe que, dans l’idéal, les listes électorales devraient même être arrêtées et purgées des recours au moment du dépôt des candidatures et du début de la campagne électorale. Pour le reste, j’ai la conviction que nous avons ouvert des pistes intéressantes, susceptibles d'améliorer considérablement la tenue des listes électorales dans notre pays.

Mme Claudine Schmid. Je vous remercie, monsieur le président, de m’accueillir dans votre Commission. Je voudrais connaître les raisons pour lesquelles aucun agent du ministère des affaires étrangères n’a été entendu. Il me semble en effet important de tenir compte des spécificités des élections pour les Français résidant à l’étranger, dont 1,3 million sont inscrits sur les listes tenues par les consulats. J’appellerai donc votre attention sur quatre points.

Premièrement, le délai de quarante-cinq jours, avant la tenue du scrutin, pour s’inscrire sur les listes électorales, me semble incompatible avec le vote électronique. Comme vous le savez, celui-ci a lieu une semaine avant le jour du scrutin. L’envoi des identifiants requis pour voter de cette façon se fait environ trois semaines avant celui-ci, ce qui implique que les listes soient établies. Par ailleurs, le délai de quarante-cinq jours est-il compatible avec le délai de vingt jours, au cours duquel les électeurs peuvent former un recours ?

J’appelle également votre attention sur le fait que, dans les circonscriptions où votent les Français de l’étranger, la date du premier tour des élections législatives précède d’une semaine celle de ce même vote dans l’hexagone.

Deuxièmement, je voudrais m’assurer, par rapport à la proposition n° 7, qu’il a bien été pris en considération que la journée citoyenne n’est pas obligatoire à l’étranger, certains postes consulaires ne l’organisant d’ailleurs pas.

Troisièmement, j’aimerais savoir si vous avez tenu compte de la nécessité de bien articuler les listes électorales consulaires établies à l’étranger et les listes électorales municipales établies dans l’hexagone, comme y invitait le Conseil constitutionnel dans ses observations relatives à l’élection présidentielle de l’année 2012.

Quatrièmement, il faudrait, dans le cadre de l’arrêt des listes, prendre en compte l’élection spécifique des conseillers consulaires des Français de l’étranger mentionnée dans la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure. D’autres parlementaires nous avaient demandé s’ils pouvaient intervenir au sein de la mission sur cette question mais nous avons décidé de l’exclure de notre champ de travail, compte tenu des spécificités et des difficultés soulevées par la problématique générale du vote à l’étranger, qui pourrait à elle seule faire l’objet d’une autre mission d’information.

Mme Claudine Schmid. La loi est pourtant la même pour tous !

M. Patrice Verchère. La France est l’un des pays où les modalités d’inscription sur les listes électorales sont les plus contraignantes. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de ce rapport, dont les conclusions appellent à moderniser l’exercice du droit de vote, ce qui pourrait peut-être interrompre la progression de l’abstention.

Au mois d’octobre, le président de la République a présenté des mesures de simplification de la vie administrative et a annoncé, à cette occasion, sa volonté d’autoriser l’inscription sur les listes électorales un mois au plus tard avant le jour du scrutin. Dans votre rapport, vous préconisez – c’est la proposition n° 2 – de fixer ce délai à quarante-cinq jours. Pouvez-vous nous indiquer les raisons – techniques, peut-être ? – pour lesquelles vous n’avez pas retenu la proposition du président de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Pour toutes les raisons que nous avons indiquées précédemment, il nous semble que quarante-cinq jours constituent un délai nécessaire. Ma collègue a indiqué tout à l’heure qu’il pourrait être encore réduit à trente jours, en précisant qu’elle faisait preuve d’un certain optimisme. Quoiqu’il en soit, l’objectif est d’assouplir le calendrier d’inscription tel qu’il est aujourd’hui fixé par le code électoral. C’est d’autant plus nécessaire que la fréquence des votes aux mois de mars et d’avril est pour partie liée à des hasards, notamment le décès du président Georges Pompidou au cours de son mandat, et que des élections peuvent tout aussi bien survenir à d’autres moments de l’année, je pense en particulier aux dissolutions et aux référendums.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure. Fixer un délai de trente jours est peut-être ambitieux mais il n’est pas impossible d’imaginer qu’à terme, notre pays fasse profondément évoluer sa procédure d’inscription dans un sens qui permette de réduire des délais qui nous paraissent aujourd’hui incompressibles, par exemple en attribuant à chaque électeur un numéro facilitant la gestion de son inscription ou en se dotant d’outils informatiques efficaces.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais remercier les deux rapporteurs. Ces questions reviennent de manière épisodique, mais jamais réellement de manière continue. Or la lecture du rapport et les propos des rapporteurs m’ont convaincu que le sujet mérite qu’on s’y investisse vraiment. Je me félicite de la liste très complète et consensuelle – sous d’infimes réserves – des propositions qu’ils ont faites. Votre travail est très utile pour tenter de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. Nous avons tous été, en présidant un bureau de vote, face à des personnes profondément mécontentes et dépitées, empêchées par la complexité des dispositions juridiques de s’exprimer à l’occasion d’un scrutin, alors même qu’elles sont de bonne foi. Tout ce que vous proposez va dans le bon sens.

Je me permets toutefois de suggérer une modification rédactionnelle car j’ai buté à la lecture du chapeau de présentation des six premières propositions. Je vous propose donc de le rédiger ainsi : « Assouplir le calendrier d’inscription, devenu trop contraignant et inadapté au rythme démocratique et à la mobilité des électeurs ». J’ai le sentiment que c’est ce que vous vouliez écrire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je pense que la remarque doit pouvoir faire consensus.

M. Guillaume Larrivé. Tout en approuvant les propositions des deux rapporteurs, je souhaiterais formuler une recommandation supplémentaire, tirée de mon expérience de deux années de mandat parlementaire et de chef de l’opposition municipale d’une ville. L’impartialité des commissions administratives de révision des listes électorales représente un enjeu crucial, surtout dans les grandes villes. Un contrôle ex post est certes possible, par la saisine du tribunal d’instance. Mais c’est plutôt en amont qu’il conviendrait de renforcer les garanties d’impartialité. Pour citer un exemple personnel, dont la presse régionale s’est d’ailleurs fait l’écho, j’observe que mes deux parents – manifestement parce que leur fils est député – ont, deux années de suite, dû justifier de leur inscription sur les listes électorales, alors qu’ils sont contribuables locaux dans ma ville depuis plus de 35 ans. C’est pourquoi il faudrait envisager d’assurer la représentation systématique de l’opposition municipale au sein des commissions administratives de révision des listes électorales, aux côtés des représentants de la majorité. Nous pourrions ainsi nous inspirer, au plan local, des pratiques que nous observons couramment au sein de notre commission des Lois. Pour assurer l’impartialité de la procédure de révision des listes électorales, il n’est pas possible de s’en remettre à la seule vigilance des représentants des préfectures et des tribunaux d’instance – à laquelle appelle, à juste titre, la proposition n° 17 du rapport d’information –, ceux-ci ayant à faire face à beaucoup d’autres tâches. L’opposition municipale doit donc être représentée dans ce processus, par exemple dans une commission chargée de la supervision globale de la révision des listes électorales. En tout état de cause, souhaitons qu’une proposition de loi vienne rapidement traduire en droit les excellentes propositions de nos rapporteurs !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La préoccupation que vous évoquez est réelle et nous nous sommes interrogés sur les moyens d'y répondre. Votre proposition présente deux inconvénients : d'une part, elle remettrait en cause la composition même de la commission, qui regroupe, outre les représentants de la préfecture et du tribunal de grande instance, un seul représentant du maire ; d'autre part, elle contribuerait à politiser les missions qui lui sont confiées. Il est exact que ce sont parfois, dans les faits, des représentants de la majorité municipale qui siègent dans ces commissions : le préfet et le président du tribunal de grande instance devant désigner des représentants dans chacune des commissions administratives instituées par bureau de vote, ils peinent à trouver des personnes disponibles et compétentes et se retournent alors vers les maires pour qu'ils leur proposent des noms. Face à cela, nous suggérons plusieurs avancées. Tout d'abord, nous proposons de réduire le nombre de ces commissions en supprimant la commission centralisatrice qui agrège les listes électorales de chaque bureau et en élargissant la compétence des commissions instituées pour un bureau à plusieurs bureaux. Les membres désignés par les préfectures et les tribunaux de grande instance seraient ainsi les mêmes pour plusieurs bureaux de vote, afin de garantir l'uniformité des décisions qui sont prises à l'égard d'électeurs placés dans la même situation et d'éviter des radiations et des inscriptions injustifiées. Ensuite, en milieu rural, nous suggérons d'organiser cette commission à l'échelon intercommunal, ce qui garantirait, de la même manière, que les représentants du préfet et du tribunal participent à toutes les décisions prises pour l'ensemble des communes concernées, seul le représentant du maire changeant selon l'origine des demandes d'inscription ou des radiations examinées. Par ailleurs, la publicité de ses travaux rendrait plus transparentes les décisions qu'elle prend. Enfin, plus l'INSEE se verra investi des missions de mise à jour et de coordination des listes électorales communales, plus on évitera ce genre d'écueils, et c'est précisément l'objet de l'une de nos propositions.

Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un vrai sujet, qui n'existe pas seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes, où il nous a été rapporté que la tentation pouvait être grande de radier les enfants étudiants des familles supposées être favorables à l'opposition municipale. Mais le traitement différencié des électeurs ne procède pas toujours d'arrière-pensées politiques, comme le montrent les différences d'interprétation entre communes sur les pièces justificatives admises pour prouver la domiciliation, certaines acceptant la facture de téléphone mobile, d'autres la refusant.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure. Nous invitons également, dans notre rapport, les préfectures et tribunaux de grande instance à désigner leurs représentants dans des conditions similaires à ce qui existe pour les commissaires enquêteurs.

Mme Claudine Schmid. Je m’étonne de la réponse apportée par la rapporteure à mon interrogation sur la prise en compte de  la spécificité de la situation des Français établis à l’étranger. Si votre rapport d’information devait aboutir à une loi, par exemple pour fixer une date limite d’inscription sur les listes électorales de quarante-cinq jours avant le scrutin, il ne serait pas possible de faire l’économie d’une réflexion sur ses conditions d’application à l’étranger.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure. Les délais que nous nous étions fixés pour rendre nos conclusions nous ont contraints à cibler l'objet de la mission d'information. Nous sommes les premiers à regretter de ne pas avoir pu se pencher sur cette question qui, je le répète, soulève des difficultés particulières nécessitant un traitement à part.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous avons dû effectivement faire des choix pour traiter le cœur de l'objet de la mission d'information tel qu'il avait été fixé par la Commission. J'ignore les intentions du Gouvernement en la matière mais, si des initiatives législatives devaient être prises sur ce sujet, nous serions disponibles pour en discuter ; en tout état de cause, si un texte devait prochainement traduire dans le code électoral nos propositions, nous nous attacherions naturellement à en vérifier la compatibilité avec les dispositions spécifiques applicables aux Français de l'étranger.

M. Guillaume Larrivé. J’ai bien compris que les commissions de révision comprenaient trois membres, un représentant du maire, un représentant du préfet et un représentant du tribunal de grande instance. Dans ces conditions, je suggère que le représentant du maire ait un suppléant qui appartient au groupe d’opposition, et dont la participation aux travaux publics de la commission, sans voix délibérative, permettrait de ne pas attendre la saisine ex post du juge d’instance pour régler les éventuels problèmes.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Comme l’évoquait à l’instant M. Jean-Luc Warsmann, il est désormais essentiel que vos propositions se concrétisent dans une proposition de loi. À présent, je soumets au vote de la Commission l’autorisation de publier le rapport de la mission d’information.

La Commission autorise, à l’unanimité, le dépôt du rapport de la mission d’information relative aux modalités d’inscription sur les listes électorales, en vue de sa publication.

La séance est levée à 12 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère,
M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Daniel Gibbes, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage

Assistaient également à la réunion. - M. François Brottes, M. François Loncle, M. Pierre-Alain Muet, M. Christophe Premat, Mme Claudine Schmid, Mme Clotilde Valter