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La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, je vous présente tous mes vœux à l’occasion de cette première réunion de l’année 2015. J’ai par ailleurs le plaisir d’accueillir Mme Danielle Auroi, qui a rejoint notre commission.
La Commission procède à l’audition des quatre personnalités dont les nominations au Conseil supérieur de la magistrature sont envisagées par le président de la République et le Président de l’Assemblée nationale.
M. Guy Geoffroy, rapporteur. Monsieur le président, je me joins à vous pour présenter tous mes vœux à cette commission, son président, ses fonctionnaires et à mes collègues dans leur diversité.
Effectivement, dans ce temps consacré au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), nous avons à auditionner quatre candidats, deux étant proposés par le président de la République et deux par le président de l’Assemblée nationale, sachant que deux autres candidats sont également proposés par le président du Sénat, dans le cadre de la procédure nouvelle qui découle de la révision constitutionnelle de 2008. Mais avant de recevoir la première candidate, je souhaite que nous nous rafraichissions la mémoire sur le Conseil supérieur de la magistrature, vieille dame respectable mais en bonne santé, née il y a un peu plus de 131 ans, rentrée dans notre paysage constitutionnel en 1946 avant d’être sanctuarisée par les articles 64 et 65 de la Constitution du 4 octobre 1958.
Nous recevrons donc aujourd’hui Mme Soraya Amrani Mekki et M. Jean Danet, tous deux proposés par le président de la République, puis M. Fabrice Hourquebie et Mme Evelyne Serverin, tous deux proposés par le président de l’Assemblée nationale. J’observe que ces quatre propositions sont également réparties entre les femmes et les hommes, ce qui est de bon augure.
Je rappelle qu’il ne s’agit pas de désigner ni de confirmer ces candidatures mais de dire, avec nos collègues du Sénat pour ce qui concerne les candidatures proposées par le président de la République, et nous seuls pour ce qui concerne les candidatures proposées par le président de l’Assemblée nationale, si nous entendons nous y opposer à une majorité des trois cinquièmes. J’en profite pour dire qu’un certain nombre d’entre nous estime qu’à ce veto des trois cinquièmes devrait être substitué un vote positif, pour lequel on pourrait demander une majorité qualifiée.
Les personnalités qualifiées dont nous parlons sont au nombre de six depuis la révision constitutionnelle de 2008 et sont désignées pour quatre ans. Le 21 décembre 2010, la commission des Lois avait émis un avis sur les nominations de M. Jean-Pierre Machelon, de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, ainsi que sur celles de Mme Martine Lombard et de M. Bertrand Mathieu.
Je ne reviendrai pas sur les règles de vote, mais reprendrai quelques éléments sur le Conseil de la magistrature, sa vie, son œuvre et son utilité.
Le CSM est composé de 22 membres qui se répartissent dans les trois formations : la formation plénière, qui remplit les fonctions consultatives du Conseil ; la formation compétente à l’égard des magistrats du siège qui est, à ce titre, présidée par le premier président de la Cour de cassation ; la troisième formation, compétente à l’égard des magistrats du parquet qui est, à ce titre, présidée par le procureur général près la Cour de cassation.
Ces 22 membres sont répartis de la manière suivante : 14 magistrats, un conseiller d’État désigné par ses pairs, un avocat désigné par le président du Conseil national des barreaux, et six personnes dites qualifiées, désignées par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, lesquelles ne doivent appartenir ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif.
Ces personnalités qualifiées étaient au nombre de trois avant 2008. Elles sont dorénavant six. Et vous savez que le projet de révision constitutionnelle qui a déjà eu l’occasion d’être examiné ici même, puis au Sénat, a prévu que le nombre des personnalités qualifiées serait ramené à cinq et que leur mode de désignation ne ferait plus intervenir le président de la République ni les présidents des deux assemblées, processus devenu habituel pour d’autres nominations.
Les compétences du CSM peuvent être regroupées en trois catégories : celles qui sont liées à la nomination des magistrats ; celles qui sont liées à leur régime disciplinaire ; enfin, des compétences consultatives qui, pour l’essentiel, incombent à la formation plénière.
À l’égard des magistrats du siège, le CSM dispose d’un pouvoir de proposition pour les postes les plus élevés : il s’agit essentiellement des magistrats à la Cour de cassation et des premiers présidents de cours d’appel. Dans ce cadre-là, la proposition du CSM vaut décision, dans la mesure où le garde des Sceaux ne peut pas s’en défaire. Pour les nominations qui concernent les autres magistrats du siège, l’avis émis sur les propositions faites par le garde des Sceaux est obligatoire, celui-ci ne pouvant passer outre un avis négatif.
À l’égard des magistrats du parquet, sujet sur lequel nos candidats ont été interrogés par écrit et ont formulé des observations fort intéressantes, la formation compétente émet un avis que le garde des Sceaux n’est pas tenu de suivre lorsqu’il est défavorable. Néanmoins, dans la pratique, depuis la révision constitutionnelle de 2008, aucun garde des Sceaux n’a passé outre un avis défavorable. On peut même estimer qu’une certaine forme de jurisprudence est en train de s’installer, qui préfigure le rapprochement des règles de nomination des magistrats du parquet de celles des magistrats du siège.
C’est bien sûr la formation compétente à l’égard des magistrats du siège qui statue en qualité de conseil de discipline des magistrats du siège. La sanction est prononcée directement par le CSM. Il en va différemment pour les magistrats du parquet. La formation compétente émet un avis, le pouvoir de prononcer la sanction appartenant au garde des Sceaux.
Rappelons également que depuis la révision constitutionnelle de 2008, le CSM peut être saisi par un justiciable dès lors que ce dernier estime que le comportement adopté par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire.
Le CSM a également des compétences consultatives. Sa formation plénière a pour mission de répondre aux demandes d’avis formulées par le président de la République. Elle se prononce sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le ministre de la Justice saisit le Conseil.
Reprenons à présent les grandes lignes du projet de réforme constitutionnelle que j’ai rapidement évoqué tout à l’heure. Celui-ci avait été déposé sur le Bureau de notre assemblée le 14 mars 2013. Il prévoyait de modifier la composition du Conseil en portant le nombre de ses membres de 22 à 23 : 8 magistrats du siège, 8 magistrats du parquet, un conseiller d’État, un avocat et cinq personnes qualifiées n’appartenant ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif – ce qui est déjà la règle –, mais surtout désignées par un collège de personnalités indépendantes comprenant : le vice-président du Conseil d’État, le président du conseil économique, social et environnemental, le Défenseur des droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes ainsi qu’un professeur des universités. Si elle devait aboutir, cette révision constitutionnelle – sujet sur lequel vous aurez sans doute à cœur de demander l’opinion de nos impétrants – rendrait les magistrats majoritaires au sein du Conseil. Ceux qui ont eu la lourde responsabilité, que j’ai partagée avec certains, il y a quelques années, de siéger dans la commission d’enquête chargée de se pencher sur les conséquences de l’affaire dite d’Outreau, se souviennent que, lors de nos débats, la question de la composition du CSM et de la répartition entre les magistrats et les non magistrats avait été abondamment évoquée.
Je ne veux pas vous noyer sous les chiffres. Mais si certains souhaitaient des précisions sur l’activité du CSM, et notamment sur l’activité de nomination de chacune des formations entre 2006 et 2013, je serais à même de les leur fournir. Sachez en tout cas que pratiquement 1 300 projets de nomination de magistrats du siège, et 550 à 630 projets de nomination de magistrats du parquet sont examinés par le Conseil chaque année, ce qui est extrêmement important. En revanche, le nombre d’observations est limité : environ la moitié des propositions portant sur les magistrats du siège en font l’objet, et une proposition sur trois concernant les magistrats du parquet en fait l’objet. Les avis défavorables sont également peu nombreux. C’est ainsi qu’en 2013, sur 614 avis concernant la formation du parquet, seulement 15 ont été défavorables. Et comme je vous l’ai déjà dit, depuis l’année 2008, les gardes des Sceaux successifs ont suivi ces avis défavorables.
Je terminerai par quelques mots, très brefs, sur les quatre candidats. Comme chacun d’entre vous sans doute, j’ai beaucoup apprécié la qualité de leurs réponses à notre questionnaire : réponses complètes, structurées, qui justifieront sans doute de notre part plutôt des demandes de précision que des demandes portant sur le fond. J’ai apprécié également la diversité de leurs parcours et de leurs profils : trois professeurs d’université, dont l’un a partagé son temps professionnel entre la profession d’avocat et celle d’enseignant en université ; un directeur de recherches au CNRS. Sans présager du vote de notre Commission, l’on peut penser que si leur nomination est confirmée, ces candidats apporteront au CSM la diversité que l’on peut souhaiter des personnes qualifiées, qui doivent être représentatives de la société civile.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le rapporteur, je crois en effet que nous pouvons nous féliciter de la qualité des réponses qui ont été fournies. J’ai trouvé particulièrement intéressante la projection qu’ils font sur la réforme souhaitable du CSM et sur les responsabilités éventuelles auxquelles ils pourraient être confrontés. Cela nous annonce des échanges tout à fait passionnants.
Avant de procéder à ces quatre auditions, je passe la parole à notre collègue Dominique Raimbourg, qui me l’a demandée.
M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, je souhaite qu’il soit mentionné au compte rendu que je ne participerai pas au vote concernant l’un des candidats, M. Danet. En effet, il se trouve que j’ai été associé, comme avocat, avec M. Danet pendant dix-sept ans et que je suis resté, avec d’autres, copropriétaire de l’immeuble dans lequel nous exercions. De ce fait, mon appréciation risquerait d’être entachée d’un favoritisme excessif.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le député, que vous utilisiez cette faculté de déport vous honore. Non seulement cela figurera au compte rendu de la Commission, mais surtout, je vais pouvoir informer le déontologue du fait que dorénavant, les parlementaires s’auto-limitent, en application des dispositions qu’ils ont eux-mêmes prises. J’espère que, dans l’avenir, ce comportement exemplaire se renouvellera. Quoi qu’il en soit, il est noté que, s’agissant de l’élection de M. Danet, vous vous déportez.
Mes chers collègues, nous en venons donc à l’audition des quatre personnes proposées pour siéger au du Conseil supérieur de la magistrature en qualité de personnalités quialifiées.
La Commission procède tout d’abord à l’audition de Mme Soraya Amrani Mekki, dont la nomination au Conseil supérieur de la magistrature est proposée par M. le président de la République (M. Guy Geoffroy, rapporteur).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la professeure, je vous remercie de votre présence. La commission des Lois en sait déjà beaucoup sur vous, puisque vous avez déjà répondu avec une très grande précision au questionnaire que notre rapporteur vous a fait parvenir. Je ne doute pas que les questions qui vous seront posées à l’issue de votre propos introductif seront davantage des demandes de précision que de véritables interrogations. Vous avez la parole.
Mme Soraya Amrani Mekki. Monsieur le président de la commission des Lois, mesdames et messieurs les députés, c’est un grand honneur de me présenter aujourd’hui devant vous, conformément à la procédure de nomination des personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la magistrature.
Le Conseil supérieur de la magistrature est un organe constitutionnel. Il représente une véritable garantie pour l’État de droit car il veille, par ses fonctions multiples et variées, à l’indépendance de la justice – qui n’est pas qu’une institution, mais aussi une valeur. « Création continue de la République », selon les termes de M. Jean Gicquel, en mouvement, il a évolué de manière remarquable par strates successives. Les fonctions des personnalités qualifiées, qui participent aux travaux des deux formations, siège et parquet, constituent donc un honneur, mais aussi une grande responsabilité dont je mesure l’ampleur.
Je me présente à vous ce matin afin de vous faire part non seulement de mon intérêt pour la fonction, mais aussi et surtout de mon apport éventuel à l’institution.
Pour ce faire, je souhaiterais, dans un premier temps, vous exposer mon parcours scientifique, témoin d’un intérêt central pour l’organisation et le fonctionnement de la justice avant de vous faire part, dans un second temps, de mon expérience au sein d’institutions qui m’a donné l’opportunité de porter un autre regard sur le système judiciaire, regard que je qualifierais de plus « social » ou de plus « sociétal ». L’indépendance de la justice ne concerne pas en effet que l’institution judiciaire. L’indépendance des magistrats est avant tout posée au bénéfice des justiciables et la justice est rendue « au nom du peuple français ». Il est donc important d’avoir également une vision plus sociétale du fonctionnement de la justice.
Commençons par mon parcours scientifique. Je suis agrégée des facultés de droit, actuellement en poste à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Je suis ce que nous appelons dans notre jargon une « processualiste » ; nous évitons d’employer le terme « procédurière », car cela serait à la fois péjoratif et réducteur.
Je m’intéresse donc à la science du procès. La procédure est au service de la justice et des droits substantiels des citoyens mais elle ne lui est pas servile. L’effectivité des droits substantiels – et même des droits de l’homme – passe par l’effectivité du droit au juge. Cette effectivité ne dépend pas uniquement des règles de procédure. Elle est éminemment liée à l’administration de la justice, et même à ce que le directeur de l’École nationale de la magistrature appelle « les savoir-faire et les savoir-être des magistrats ». Comme le disait avec humour le doyen Carbonnier : « Que serait la tête sans les bras ? ». Être processualiste, c’est donc lier systématiquement théorie et pratique du procès.
Cette spécialisation en droit processuel a débuté par un travail de doctorat sur « Le temps et le procès civil ». Il y était alors question de la gestion du temps dans les procédures civiles et des enjeux en termes de respect des droits et libertés fondamentaux. Si le délai raisonnable des procédures, garantie du procès équitable, requiert une certaine célérité, il est évident qu’il ne faut pas confondre célérité avec précipitation. Lorsqu’il est question de justice, la célérité doit rimer avec sérénité. Cette thèse de doctorat a tracé la ligne d’une grande partie de mes travaux doctrinaux consacrés à ce que l’on pourrait résumer grossièrement comme une recherche sur l’efficacité de la procédure. Je peux vous en donner quelques illustrations.
J’ai, par exemple, travaillé sur la déjudiciarisation. Vous le savez comme moi, il est nécessaire de maîtriser les flux contentieux. D’où l’engouement extraordinaire pour les modes alternatifs de règlement des conflits et les réflexions plus théoriques et conceptuelles sur ce qui constituerait le cœur du métier de juge.
Je me suis intéressée à l’analyse économique du procès. Dès 1995, certains ont pu comparer la justice à une entreprise. De hauts magistrats ont même dit que la justice dispose de moyens finis pour faire face à des besoins infinis et qu’il lui faut faire des choix. Je ne suis pas d’accord avec une application stricte de l’analyse économique du procès à la procédure et à la justice. La justice n’est pas un produit comme un autre.
Je me suis également penchée sur l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont été un temps envisagées comme des outils neutres et un formidable moyen d’accélérer les procédures. C’est tout à fait vrai, mais pas seulement, et l’on a pu, un temps, sous-estimer l’impact des nouvelles technologies sur le respect des garanties du procès équitable, et notamment sur l’indépendance des magistrats.
Ces travaux ont été réalisés d’un point de vue purement académique. Mais j’ai eu aussi l’opportunité de participer à des commissions ministérielles de réforme de la procédure. Je veux parler des missions dites « Magendie I » et « Magendie II » sur « la célérité et la qualité de la justice » – la première en 2004 sur la réforme de la procédure de première instance et la seconde en 2008 sur la réforme de la procédure d’appel. Il est très intéressant de noter que la lettre de mission du garde des Sceaux – en 2004 comme en 2008 – portait sur une réforme de la procédure à coût constant. Nous avons alors fait des préconisations à coût constant, en ayant toujours en tête le respect des droits et des libertés fondamentaux – autrement dit, une recherche de l’efficacité sans compromission pour l’équité.
Ces travaux multiples m’ont évidemment amenée à cultiver des relations avec les professionnels de justice, magistrats, avocats, greffiers et médiateurs et m’ont permis d’enrichir mes contributions aux Presses universitaires de France : un ouvrage qui traite de la théorie générale du procès, et l’autre de la procédure civile.
Mais cette vie académique et scientifique ne suffit pas. J’ai eu la possibilité et l’opportunité, en tant que professeure de droit, d’être nommée dans des institutions qui constituent de véritables interfaces entre l’État et la société civile, et qui m’ont permis de porter un autre regard sur l’institution judiciaire.
D’abord, j’ai été nommée à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dont je préside depuis trois ans la sous-commission consacrée à l’éthique, la société et l’éducation aux droits de l’homme. Cette commission, qui n’est pas un « Conseil d’État bis », procède par auditions d’experts d’horizons très différents : philosophes, sociologues, anthropologues, praticiens, gens de terrain. Les discussions et les débats entre ses membres, souvent très animés mais très enrichissants, sont le reflet de ceux de la société civile. La CNCDH est composée de représentants des grands syndicats, des grandes religions de France, des organisations non gouvernementales et de diverses personnalités qualifiées, dont le directeur de l’École nationale de la magistrature (ENM) jusqu’à une date récente.
Les différents travaux menés au sein de la CNCDH permettent de s’apercevoir du fossé – pour ne pas parler du gouffre, parfois – existant entre les réflexions venant de l’institution judiciaire et le regard porté par la société civile sur son fonctionnement. On y développe l’idée que l’indépendance de la justice est une garantie essentielle, la première d’un État de droit, mais que cette indépendance doit se donner à voir et qu’il faut, pour cela, que la justice ait les moyens de son indépendance.
Ensuite, j’ai été nommée, il y a un an et demi, à l’Observatoire national de la laïcité qui traite de questions extrêmement sensibles, et qui a pu développer ses travaux malgré de très fortes tensions politiques. Les travaux de l’Observatoire sont très enrichissants et se déroulent toujours dans le respect des valeurs républicaines. Le plus souvent, l’on parvient à un consensus, ce qui montre qu’il est possible de raisonner sereinement.
Enfin, j’ai été désignée il y a deux ans comme membre du comité « déontologie et indépendance de l’expertise » de la Haute autorité de santé. Les enjeux économiques et sanitaires y sont extrêmement importants. Les liens entre médecins, scientifiques et laboratoires pharmaceutiques sont très ténus. Le comité précédent avait élaboré un guide de l’indépendance de l’expertise qui nous sert au quotidien de grille d’analyse lorsque nous avons des avis à rendre sur tel ou tel cas. Cette expérience concrète de l’« indépendance en action » est très enrichissante.
En définitive, mesdames et messieurs les députés, mon parcours scientifique, académique et institutionnel témoigne du vif intérêt qui est le mien pour le Conseil supérieur de la magistrature, pour les garanties qu’il offre dans un État de droit, ainsi que pour l’étude de ses rouages et de ses procédures internes. Mais il est temps, à présent, de laisser place à la discussion. Je vous remercie pour votre attention.
M. le rapporteur. Madame, vous avez écrit : « Concernant, enfin, mes activités scientifiques, je veillerai rigoureusement au respect du secret professionnel et du devoir de réserve et de discrétion afférents à mes fonctions. Toute production scientifique, colloque, publications, devra être faite à l’aune des devoirs qui m’incomberaient en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature ».
Pourriez-vous être un peu plus précise et nous donner éventuellement un ou deux exemples où vous feriez le choix de renoncer ou d’agir différemment ?
Mme Soraya Amrani Mekki. Merci pour cette demande de précision, qui est importante et utile.
J’estime que la qualité de personnalité qualifiée membre du Conseil supérieur de la magistrature suppose une certaine prise de distance avec l’actualité brûlante et une certaine mesure dans la prise de position. Cela n’empêche pas des travaux scientifiques. En revanche, certains exercices auxquels on peut s’adonner en tant que professeur d’université pourraient être évités. Je vous en donne un exemple concret : je suis la directrice scientifique des numéros spéciaux de procédure civile à la Gazette du Palais. J’y contribue régulièrement par des notes de jurisprudence ou par des commentaires ; je pense que de ce point de vue-là, il n’y a aucune difficulté. En revanche, en tant que directrice scientifique, je rédige également les éditoriaux, qui sont un peu plus libres. Faire un éditorial sur le modèle de l’action de groupe en France ne pose pas de difficulté. En revanche, je m’interdirai tout éditorial portant sur un thème dont aurait à connaître le CSM ou concernant directement ce dernier.
De la même façon, si je dois participer à des conférences ou à des congrès internationaux, je veillerai à le faire uniquement en qualité de professeure agrégée des facultés de droit, et non pas en tant que membre du Conseil supérieur de la magistrature. Si je dois intervenir en tant que membre du CSM, ce sera par délégation du CSM et uniquement dans ce cadre. Évidemment, si dans certaines situations, je pouvais avoir un doute, j’interrogerais mes éventuels futurs collègues au CSM afin de prendre une position nette et ferme.
Mme Marietta Karamanli. Madame, lors de votre présentation, vous avez insisté sur la question des droits de l’homme. Cela m’a fait penser à un élément qui est présent, de manière récurrente, dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, celle-ci considère que, du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif. Selon vous, le CSM pourra-t-il renforcer la légitimité des membres du ministère public et mettre notre pays en cohérence avec le point de vue exprimé par la CEDH ?
Mme Soraya Amrani Mekki. Cette question, essentielle, est au cœur de l’indépendance de la magistrature.
Vous le savez, il y a une divergence d’interprétation entre le Conseil constitutionnel et la CEDH à ce propos. Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il y avait une unité du corps de la magistrature – même s’il ne l’a pas exprimé de cette façon. La CEDH, quant à elle, considère, comme elle l’a expliqué dans les arrêts Medvedyev et Moulin c. France, que le parquet ne fournit pas les garanties d’indépendance suffisantes pour être qualifié « d’autorité indépendante » au sens de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, nécessaires pour intervenir lorsque les libertés individuelles sont en jeu. Très concrètement, imaginez que l’on arrête des personnes sur un bateau et qu’on les retienne quelques jours. Au-delà d’un certain délai, on devra présenter ces personnes devant une autorité judiciaire indépendante. Le parquet peut-il être cette autorité judiciaire indépendante ? La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que non, du fait du statut du ministère public.
Je sais que les membres du ministère public ont souvent été très heurtés par cette décision parce qu’ils peuvent se vivre comme indépendants. Mais il y a une grande différence entre l’indépendance et l’apparence d’indépendance, et la justice doit se donner à voir également de manière indépendante. Lorsque je disais dans mon propos introductif que l’indépendance est faite pour les justiciables, il est important que les justiciables voient cette indépendance en action. Cela peut poser de nombreuses difficultés relativement au statut des magistrats du parquet.
Vous m’avez interrogée sur la possibilité, pour le CSM, d’agir pour cette indépendance. Mais cette possibilité est contrainte et dépend, non pas du CSM, mais de l’intervention du législateur dans le sens d’une réforme du CSM et d’une réforme constitutionnelle.
La question qui se pose est de savoir s’il faut passer, s’agissant de la désignation des membres du parquet, d’un avis simple à un avis conforme. Mais cette question ne peut pas être posée de manière totalement isolée ; on ne peut pas s’interroger uniquement sur l’avis conforme, il faut s’interroger sur un éventuel alignement des procédures de désignation des magistrats du siège et du parquet, ce qui aboutirait, peut-être, à donner au CSM un pouvoir de proposition, s’agissant des postes les plus importants de procureurs généraux. Et on rebondirait, encore une fois, sur la question de l’inamovibilité.
Ces questions concernent un système judiciaire. Toucher à un aspect ne peut qu’avoir des répercussions sur d’autres aspects relatifs au statut, et même, à rebours, sur certains équilibres de procédure pénale.
Donc, il est clair que la réponse ne pourra venir du CSM que si la représentation nationale lui en donne les moyens.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la professeure, vous savez que sous la houlette bienveillante et féconde de Dominique Raimbourg, cette législature a eu à connaître d’un projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 4 juin 2013, qui visait à réformer le CSM. Il modifiait notamment l’article 64 de la Constitution, que le regretté professeur Guy Carcassonne qualifiait d’« incongru ».
Je souhaiterais vous interroger sur la place du président de la République. L’actuel article 64 dispose que le président de la République est « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » et qu’il est, pour cela, assisté du CSM. En tant qu’universitaire, seriez-vous choquée que l’on supprime, dans cet article, la référence au président de la République ? Après tout, l’article 5 prévoit déjà qu’il assure la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et l’on peut considérer que la justice est un pouvoir public. L’article 5 pourrait suffire à rappeler le rôle du président.
Mme Soraya Amrani Mekki. Comme cela apparaît noir sur blanc dans notre ouvrage coécrit avec MM. Loïc Cadiet et Jacques Normand, la Théorie générale du procès, je suis favorable à une réforme de l’article 64 de la Constitution.
Il me semble qu’en 2013, si je me réfère aux travaux parlementaires que j’ai pu consulter, une voie médiane avait été envisagée. Elle consistait – et je considère que c’est un minimum – à supprimer la référence à la simple assistance par le CSM. Il était ainsi précisé : « le Conseil supérieur de la magistrature concourt, par ses avis et ses décisions, à l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Ce n’est qu’à la faveur d’un amendement que l’on était passé à la rédaction suivante : « le Conseil supérieur de la magistrature veille par ses avis et ses décisions, à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Je trouve assez étonnant qu’aujourd’hui, dans la Constitution, seul le président de la République soit le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et qu’il soit seulement « assisté » par le CSM. En termes d’apparence d’indépendance, c’est surprenant.
En 1958, le positionnement du président de la République au-dessus des institutions pouvait justifier cette rédaction, mais cela ne me semble plus conforme à l’évolution de la Ve République. Voilà pourquoi, pour éviter un mélange des genres et afficher clairement et hautement l’indépendance de la magistrature, je serais assez favorable à une réforme de l’article 64, au moins dans la version minimale – mais finalement assez mesurée – que vous aviez vous-même proposée en 2013.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Madame, dans votre propos liminaire, vous avez signalé d’emblée que la justice s’exprimait « au nom du peuple français ». J’étais heureuse de l’entendre, car c’est quelque chose que l’on oublie trop souvent. Mais s’il n’y a plus aucune référence « au nom du peuple français » et à ceux qu’il élit, en quoi une justice peut-elle être indépendante, notamment dans l’acception que vous venez de développer à l’instant ? C’est une question de vocabulaire, mais vous savez, en tant que juriste, que le vocabulaire a son importance.
Par ailleurs, dans cette Europe compliquée, avec des cultures différenciées, n’aurait-on pas tendance, dans un certain nombre d’institutions, à faire de la coutume la règle de la construction de notre droit, comme c’est le cas dans les pays d’obédience anglo-saxonne ? Je ne souhaite pas que nous soyons obligés d’appliquer des décisions qui aboutissent, in fine, à modifier le droit français et ses principes.
Mme Soraya Amrani Mekki. D’abord, la justice est effectivement rendue « au nom du peuple français ». Cela figure dans de nombreux textes. La référence à l’article 64 n’est donc pas indispensable pour que ce soit le cas.
Ensuite, la question que vous soulevez est assez complexe et renvoie à une autre question, relative à la légitimité des juges. La culture anglo-saxonne est une culture du précédent, de la coutume et de construction du droit par la jurisprudence. Ce n’est pas la culture française. La jurisprudence n’est plus simplement « la bouche de la loi » parce que, dans le code civil, on a imposé au juge de répondre malgré les insuffisances de la loi et ses obscurités. On dit à chaque étudiant de droit de première année que le juge ne crée pas le droit, mais qu’il y contribue quand même un peu.
Cette collaboration du juge et de la loi pose véritablement question. Je pense à l’article très important de M. Philippe Malaurie intitulé « La jurisprudence combattue par la loi ». En définitive, en France, c’est le législateur qui a le dernier mot.
Maintenant, il y a parfois un décalage important entre le contenu des décisions de justice qui sont rendues et la perception que l’on peut en avoir, soit dans l’opinion publique, soit dans les médias, soit dans des commentaires politiques. On a parfois le sentiment – et je pense aux travaux sur la laïcité – que le fait de passer devant un juge serait forcément un aléa judiciaire, une insécurité, et que le juge s’arrogerait des pouvoirs qu’il n’a pas. Je ne le pense pas. En revanche, je pense que l’institution judiciaire doit améliorer sa communication, la manière de s’exprimer, et renforcer l’accessibilité des décisions de justice.
Quoi qu’il en soit, la justice est rendue « au nom du peuple français », elle n’a pas besoin de l’article 64 pour le faire et je ne vois pas, en France, une dépossession du pouvoir politique par l’autorité judiciaire – laquelle n’est pas encore un pouvoir.
M. Patrick Mennucci. Comment la future membre du CSM que vous serez sans doute saisira-t-elle, dans ses décisions et dans son travail, les attentes de l’opinion publique ?
Mme Soraya Amrani Mekki. C’est une question essentielle. Comme je l’ai indiqué dans mes réponses écrites, l’opinion publique est importante parce que, si la justice doit être indépendante, elle doit se donner à voir de manière indépendante. Il faut donc entendre l’opinion publique. Mais il faut aussi savoir la décrypter.
De nombreux et importants travaux universitaires, non pas de juristes mais de sociologues, ont été réalisés sur la lecture de l’opinion publique. J’ai donné comme exemple les travaux de M. Benoît Bastard, qui montrent bien que, dans les sondages d’opinion publique, on trouve un pourcentage très important de « sans opinion », ce qui est absolument catastrophique, ou que les réponses données sont parfois incohérentes : des personnes disent qu’elles ne savent pas ce qu’est un magistrat du siège mais ajoutent ensuite, à une très grande majorité, qu’elles sont favorables à la séparation du siège et du parquet.
Pour décrypter l’opinion publique, il faut s’appuyer sur les travaux des chercheurs. La manière de poser un questionnaire, de sélectionner les questions et d’interpréter les résultats est très importante. Le CSM y a déjà travaillé lorsqu’il a collaboré avec le CEVIPOF dans le cadre d’une étude sur la parité au sein de la magistrature. Le CSM a également sollicité des enquêtes d’opinion lorsqu’il a préparé le recueil déontologique des magistrats.
Je pense qu’il faut entendre l’opinion publique. Pour cela, il faut poser des questions utilement, de manière construite. Mais il ne faut pas se faire guider par cette opinion publique, car le temps de la justice n’est pas le temps des médias, ni le temps des politiques.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la professeure.
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La Commission procède ensuite à l’audition de M. Jean Danet, dont la nomination au Conseil supérieur de la magistrature est proposée par M. le président de la République (M. Guy Geoffroy, rapporteur).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, monsieur Danet, d’avoir accepté de venir devant notre commission des Lois pour cet échange, qui a été préalablement nourri par les réponses que vous avez bien voulu fournir à notre rapporteur. Ces réponses ont été portées à la connaissance des membres de la Commission et publiées sur internet. Notre Commission entend en effet nourrir la transparence des décisions que nous sommes amenés à prendre.
Je vous passe la parole pour un propos introductif. Vous répondrez ensuite aux questions que nos collègues souhaiteront vous poser.
M. Jean Danet. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux dire tout d’abord le grand honneur qui m’est fait de me présenter devant vous en qualité de candidat proposé par le président de la République pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature.
Afin de vous soumettre les éléments utiles à votre décision sur cette candidature, je voudrais, pour engager le dialogue avec votre Commission, vous présenter très succinctement les principales étapes de mon parcours, vous dire comment je perçois les fonctions de membre du CSM et ce que je crois discerner des enjeux à venir pour cette institution dans sa configuration actuelle, telle qu’elle résulte des dernières réformes de 2008 et 2010.
Son rôle, nous le savons tous, est essentiel pour assurer l’indépendance et l’impartialité de la justice et donc la séparation et l’équilibre des pouvoirs, mais aussi pour promouvoir la qualité de la justice tant par une gestion des ressources humaines adaptée aux mutations contemporaines que par une réflexion, une action préventive de nature déontologique et, si nécessaire, juridictionnelle au plan disciplinaire.
Commençons par mon parcours. À soixante et un ans, j’ai eu la chance de pouvoir mener, par choix personnel, deux carrières professionnelles.
Après des études de droit à Nantes et à Rennes, j’ai engagé un doctorat d’État. En même temps que je menais cette recherche, j’ai travaillé, effectué mon service national et, en janvier 1980, je suis devenu avocat à Nantes. Dès 1981, j’ai rejoint le cabinet de Maîtres Danièle Frétin et Dominique Raimbourg qui m’ont associé cette année-là. Je suis demeuré dans ce cabinet durant toute ma carrière d’avocat.
En février 1982, j’ai soutenu à l’Université de Paris Sorbonne, sous la présidence du doyen Jean Carbonnier, ma thèse de doctorat intitulée « Droit et disciplines de production et de commercialisation en agriculture ».
Mais très vite, le métier d’avocat m’a happé et si j’ai continué de publier dans le domaine de ma thèse, je suis devenu d’abord un praticien, ajoutant à la spécialisation de droit économique celle de droit pénal, tant au service des victimes que des mis en cause.
Élu en 1985 membre du conseil de l’Ordre et devenu, à la demande de mon bâtonnier, secrétaire général de l’Ordre, j’ai pu apprécier les bienfaits de la délibération collective. Celle-ci réunit plus souvent qu’on ne l’attendrait, notamment sur des questions déontologiques, des confrères aux modes d’exercice variés et aux opinions a priori très éloignées. Comme secrétaire général de l’Ordre, j’ai eu à rédiger le projet d’une décision disciplinaire très lourde de conséquences, et je sais la responsabilité du juge disciplinaire.
En 1995, encouragé par des universitaires nantais, après qualification du Conseil national des universités, j’ai été recruté à Nantes comme maître de conférences. Le motif de cette évolution professionnelle est simple : le seul reproche que je faisais au métier d’avocat était de rendre difficiles la prise de distance et le temps de la réflexion que j’avais beaucoup appréciés en travaillant ma thèse et qui me manquaient.
De 1995 à 2000, j’ai mené – comme la loi l’autorise – les deux métiers, celui d’avocat et celui d’enseignant-chercheur. Cependant, j’ai vite constaté qu’il m’était difficile de tenir en même temps une activité soutenue de recherche avec celle, saturée d’urgences, de l’avocat pénaliste. J’ai donc fait en 2000, en bonne intelligence avec mes associés, un choix très atypique au regard de simples considérations matérielles, et ai cessé, après vingt et un ans, l’exercice de la profession d’avocat pour me consacrer à l’enseignement et à la recherche.
Depuis 2001, j’ai consacré mes recherches à un seul objet d’études : la justice pénale. Je mène des travaux classiques, les travaux habituels de la doctrine. J’ai aussi publié des essais. Et, ces dix dernières années, j’ai encadré des recherches pluridisciplinaires sur la justice pénale avec une équipe de juristes, de sociologues, de politistes et de spécialistes du budget de la justice. J’ai ainsi coordonné de 2008 à 2013 une recherche financée par l’Agence nationale de la recherche sur « La réponse pénale », avec une étude de terrain dans cinq juridictions de tailles très diverses. Nous avons, dans ce cadre, procédé à des entretiens avec de nombreux magistrats mais aussi avec les partenaires de l’institution – élus, policiers, etc. Cette recherche, qui porte notamment sur le management public dans la justice, sur les mutations du siège et du parquet, a retenu l’attention de l’Inspection générale des services et de certaines directions du ministère de la Justice.
Pour avoir, durant sept ans, dirigé à Nantes l’Institut d’études judiciaires, j’ai été amené à réfléchir sur les trajectoires des étudiants en droit vers la magistrature. On sait les interrogations que soulèvent les questions de parité aux différents niveaux de la hiérarchie du corps, mais aussi la contraction des catégories sociales d’origine signalées dans les rapports du jury de concours.
Ma réflexion sur la justice et la magistrature s’est nourrie encore d’interventions très régulières à l’École nationale de la magistrature dans des cycles de formation continue et, par exemple, M. le procureur général Jean-Marie Huet, qui vient d’être élu par ses pairs pour siéger dans le prochain CSM, m’a sollicité en septembre dernier pour intervenir dans un cycle de formation destiné aux premiers présidents et aux procureurs généraux.
Enfin, au plan international, j’ai eu l’occasion, en 2010, à la demande du ministère des Affaires étrangères, de participer à une évaluation de l’aide apportée par la France à la formation des magistrats dans certains pays. Dans ce cadre, les missions que j’ai effectuées au Niger et à Madagascar ont été instructives : je n’ai pas besoin de vous dire, à vous parlementaires, qu’on apprend parfois de nos propres institutions en allant observer celles des autres, mêmes lorsqu’elles sont situées dans des pays où la justice est, disons, moins assurée de son indépendance.
Au-delà des recherches et missions diverses, mon intérêt pour l’institution judiciaire, pour la magistrature et ses mutations s’est accru ces dernières années du fait de ma participation à diverses instances de réflexion : le groupe réuni par le professeur Loïc Cadiet qui a publié en 2011 le rapport intitulé Pour une administration au service de la justice ; le comité d’organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive présidé par Mme Nicole Maestracci ; la commission sur l’évolution du ministère public présidée par M. Jean-Louis Nadal ; un groupe de travail restreint de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice sur les rapports de politique pénale. J’ai également participé l’an passé au colloque sur « La justice du XXIe siècle » en qualité de rapporteur d’un des ateliers.
J’ai enfin eu le privilège, depuis dix ans, d’être entendu régulièrement par les commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat ou par les parlementaires en charge de rapports d’information, et donc de réfléchir, avec des parlementaires, sur la loi et sa réception par la pratique.
Bref, j’ai eu la chance toutes ces années d’être un universitaire libre de sa réflexion, qui a pu observer sur son écran d’ordinateur, mais aussi sur le terrain et dans différents groupes de réflexion sur la justice, les profondes mutations de celle-ci… et un observateur qui a participé aux délibérations dans ces groupes et qui a parfois, après débat, changé d’avis sur telle ou telle question.
Passons à ma vision du Conseil supérieur de la magistrature. Siéger au CSM dans les quatre années à venir serait à mon sens une lourde responsabilité qui exige de chacun de ses membres qu’il investisse son énergie au service de l’institution, c’est-à-dire au service de l’indépendance de la justice, des valeurs d’impartialité, d’intégrité et de dignité qui sont à la fois celles qui s’imposent à tous les magistrats, mais aussi aux membres du Conseil.
Nombreux sont ceux qui s’accordent à souhaiter, pour cette institution, davantage d’indépendance, d’autonomie et de pouvoir dans la gestion des nominations et des carrières comme au plan de son pouvoir déontologique et disciplinaire, à commencer bien sûr par tout ce qui touche au parquet. Et il est probable que les métamorphoses du CSM ne sont pas achevées. Les travaux de la conférence internationale tenue à l’occasion de son 130e anniversaire démontrent, s’il en était besoin, que tout peut être en débat : la composition du Conseil, ses pouvoirs en matière de nomination comme en matière disciplinaire – notamment pour le parquet –, ses modes de saisine – auto-saisine et saisine par les magistrats – pour les avis, ses relations avec l’ENM, et même, pour certains, ses pouvoirs de gestion des juridictions, question liée à celle de sa mutation, évoquée par certains, en un Conseil supérieur de la justice.
Sur toutes ces questions, c’est la représentation nationale qui est maître du jeu.
À mon sens, une autre tâche attend le prochain Conseil : dans sa configuration actuelle et dans le champ de ses compétences, il lui appartiendra de remplir au mieux et pleinement ses fonctions, de mener à bien certaines évolutions déjà engagées, de faire évoluer ses pratiques et ses méthodes quand il est possible de le faire sans mutation législative ni constitutionnelle. La qualité des travaux et des décisions du CSM sont et seront, à mon sens, sa meilleure contribution au débat sur ce que peuvent et/ou doivent être les évolutions futures d’une institution que d’autres, à l’avenir, serviront. Les rapports d’activité annuels du dernier CSM donnent une idée assez précise de ce qui peut, dès à présent, être fait.
La poursuite du dialogue avec la direction des services judiciaires du ministère de la Justice dans le cadre des procédures de nomination, les améliorations processuelles des phases d’enquête disciplinaire vers plus de contradictoire sont importantes. De même, l’accès du CSM à l’ensemble des études – statistiques et autres – menées par les services de la Chancellerie et par l’Inspection générale des services dans ses fonctions d’audit lui permettraient, au-delà des visites en juridiction, d’avoir une vue d’ensemble sur les ressources humaines. Autant d’enjeux repérables et repérés par le dernier rapport du CSM, sur lesquels le Conseil futur pourrait engager avec la Chancellerie un dialogue constructif.
L’amélioration constante de ses méthodes très concrètes d’appréciation des qualités requises pour diriger les juridictions n’est pas seulement un objectif qui peut et doit figurer parmi les indicateurs de performance du programme « Conseil supérieur de la magistrature » de la loi de finances. Elle doit aussi, à mon sens, continuer d’innerver toute sa réflexion collective. Dans le contexte actuel d’un défaut d’attractivité assez marqué pour certaines fonctions, notamment au parquet, la manière d’appliquer les règles relatives à la mobilité géographique et fonctionnelle ne sont pas des enjeux mineurs.
Il convient de réfléchir aussi à l’évolution des dispositions ouvertes par la dernière réforme, qui permettent aux justiciables de se plaindre des magistrats. C’est une bonne chose, mais il est permis de penser que l’usage fait de ce droit par les justiciables évoluera. Ira-t-on vers moins de plaintes mais plus souvent recevables, ou bien le CSM a-t-il vocation – et ce serait problématique – à devenir le défouloir de toutes les colères du justiciable, y compris les moins fondées ? Autrement dit, comment mieux informer le public – et ses conseils – de la réalité de ce droit afin que le justiciable en fasse un meilleur usage et que la justice – avec le Conseil – en tire un meilleur profit ?
En même temps qu’il assume ses tâches, le Conseil doit donc mener un travail d’évaluation de sa propre action. Les rapports d’activité et la mise à jour des règles déontologiques sont ici irremplaçables.
Toutes ces questions seront à mon sens au cœur des débats du prochain CSM.
Si je puis, par ma connaissance de l’institution judiciaire, acquise depuis les trois ou quatre modestes points d’observation que j’ai occupés dans ma vie professionnelle (d’abord comme avocat puis comme universitaire juriste, ensuite comme chercheur attaché aux démarches pluridisciplinaires et, enfin, en divers lieux du débat public), participer activement à la réflexion et à l’action du Conseil et servir ainsi la République et l’indépendance de la justice parce que vous m’en aurez jugé digne, croyez bien que j’en serais à la fois très heureux et très honoré.
M. le rapporteur. Monsieur Danet, j’aurai une question à vous poser, qui découle d’une réponse à l’une des questions qu’au nom de mes collègues, je vous avais fait adresser. Elle concerne la place dorénavant attribuée à l’exécutif.
Vous écrivez dans votre réponse : « (…) le nécessaire dialogue entre le ministre de la Justice et le Conseil n’est pas rompu puisque, sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut participer aux séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature. Peut-être ira-t-on un jour un peu plus loin en envisageant que ce dialogue se tienne à l’initiative du seul CSM comme certains le souhaitent ».
S’agissant de la dernière phrase, j’aimerais quelques précisions. Premièrement, faites-vous partie des « certains » ? Deuxièmement, trouveriez-vous opportun que, finalement, le garde des Sceaux n’ait plus la latitude de décider ou non de sa présence, et qu’il ne puisse être présent que s’il était invité par le Conseil ?
M. Jean Danet. Cette phrase était inspirée, notamment, d’une réflexion de la CNCDH. Je crois, pour ma part, qu’il faut distinguer ici la question de la réalité de la relation entre le CSM et le garde des Sceaux lorsque celui-ci participe à des séances du Conseil, et l’apparence que cela donne quant aux relations entre l’exécutif et le CSM.
Selon moi, il faut veiller, d’une manière d’ailleurs tout à fait générale – qu’il s’agisse de questions très simples, par exemple relatives aux audiences ou aux relations entre le parquet et le siège, ou de questions relatives au CSM – à ce que l’indépendance ne soit pas seulement réelle, mais que tout indique qu’elle est là et que l’apparence de l’indépendance soit également une réalité.
Certains peuvent considérer que le fait que le garde des Sceaux ait la faculté de participer à toute séance du CSM, sauf en matière disciplinaire, risque de nuire à l’image d’indépendance du Conseil. Il a donc été proposé que ce soit à l’initiative du CSM que le garde des Sceaux puisse participer – dans un dialogue qui est nécessaire, compte tenu de la configuration actuelle et de l’importance de la direction des services judiciaires, comme on l’a vu au cours de la période récente – aux séances du CSM.
Je pense que ce serait plus clair à bien des égards et que, pour un certain nombre de nos concitoyens, cela renforcerait l’apparence de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui est évidemment très important.
M. René Dosière. Monsieur, dans vos réponses écrites, vous indiquez que la nature de vos activités professionnelles est parfaitement compatible avec les contraintes liées à l’exercice d’un mandat au Conseil supérieur de la magistrature mais que, s’il le fallait, vous êtes en capacité de prendre votre retraite professionnelle et donc de vous consacrer « à temps plein » au Conseil supérieur de la magistrature. Selon vous, l’intérêt d’une personnalité qualifiée au CSM est-il d’y être « à temps plein » ou, au contraire, de continuer à exercer une activité professionnelle annexe lui permettant d’avoir une vision un peu plus « ouverte » des problèmes judiciaires ?
M. Jean Danet. Si j’ai bien compris le fonctionnement de la dernière mandature, un « temps plein » au Conseil supérieur de la magistrature revient à être présent le mardi, le mercredi et le jeudi pour l’essentiel des travaux – à savoir ceux qui portent sur les nominations et sur les questions disciplinaires – et parfois le vendredi pour des colloques ou des manifestations particulières, voire des visites en juridiction. Il m’est apparu tout à fait possible de fixer mes cours les jours où le Conseil ne siège pas, et donc d’y être présent à temps plein.
Je pense qu’il est important que les personnalités extérieures apportent leur expérience et leur vision professionnelle des choses. J’ai, par précaution, indiqué que si jamais il fallait être présent au CSM plus de quatre jours par semaine, j’aurai la possibilité, en 2015, de faire valoir mes droits à la retraite. Ce n’est pas mon souhait premier, je le dis franchement. Pour autant, si la nécessité s’en faisait sentir, mes quarante années d’exercice professionnel ne m’éloigneraient pas immédiatement de ce qu’ont été mes activités. J’aurais encore en tête, pour la fin du mandat, les apports qui ont pu être ceux de mon exercice professionnel tant au barreau qu’à l’université. Ainsi, je ne serais pas trop déconnecté du réel.
Il me semble, en tout cas, que l’essentiel, pour les personnalités extérieures, est de faire en sorte d’être présentes au CSM d’une manière extrêmement soutenue. Sinon, cela n’aurait pas de sens.
Mme Marietta Karamanli. Merci, monsieur, pour votre présentation et pour la précision des réponses que vous nous avez déjà apportées par écrit. Je souhaiterais néanmoins revenir sur un élément. Dans la perspective d’une réforme plus globale du Conseil supérieur de la magistrature, l’éminent professeur Rousseau a plaidé pour qu’on en modifie l’appellation. Afin de bien marquer que ce conseil ne serait pas l’organe du corps des magistrats, mais davantage le conseil de l’institution et du service public de la justice, il deviendrait le Conseil supérieur de la justice. Qu’appelle de votre part cette proposition, certes symbolique, mais qui pourrait avoir des implications pratiques ?
M. Jean Danet. C’est une perspective sur laquelle nous avions également travaillé dans le cadre du groupe réuni par le professeur Loïc Cadiet en 2011 et début 2012, et que vous retrouvez dans le rapport qui a été déposé et qui s’intitule « Pour une administration au service de la justice ». Je rappelle que ce groupe de travail réunissait des hauts magistrats de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire, et trois universitaires.
Il faut bien comprendre que le passage vers un Conseil supérieur de la justice, comme il en existe dans un certain nombre de pays, a des conséquences systémiques tout à fait essentielles. Les pays dans lesquels existe un Conseil supérieur de la magistrature ont très généralement une architecture budgétaire différente, le budget des juridictions étant rattaché à la mission qui correspond aujourd’hui au contrôle de l’État, c’est-à-dire avec les juridictions administratives. En revanche, dans les pays ayant un Conseil supérieur de la justice, le ministère public reste rattaché au ministère de la Justice sur le plan budgétaire. Cela veut dire aussi que, dans ces pays, le Conseil supérieur de la justice a complètement la main sur la gestion des carrières et que ce que nous connaissons en France aujourd’hui sous la forme de la direction des services judiciaires lui est alors rattaché et quitte le champ du ministère de la Justice.
Aller au bout de ce que signifie le passage à un Conseil supérieur de la justice suppose donc, au plan budgétaire, au plan institutionnel, au plan de la gestion des ressources humaines, de faire un pas extrêmement important, extrêmement audacieux et qui n’est pas sans poser d’immenses questions.
Nous avions exploré ces voies avec le professeur Cadiet. J’avais pour ma part été très marqué par le fait qu’un certain nombre de hauts magistrats qui participaient à ce groupe de travail étaient ouverts à toutes sortes d’évolutions de ce type. J’ai fait le même constat dans la commission présidée par M. Jean-Louis Nadal, à savoir que les propositions innovantes sont souvent venues de magistrats assez élevés dans la hiérarchie, tandis qu’elles recevaient un accueil beaucoup plus frileux de ce que l’on pourrait appeler « la base » de la magistrature. Ce phénomène, qui n’est peut-être pas propre au domaine de la justice, méritait d’être souligné. En tout cas, ce passage à un Conseil supérieur de la justice constituerait une rupture.
Je ne suis pas constitutionnaliste et je me garderais bien de commenter le point de vue de mon éminent collègue, spécialiste de cette question. Malgré tout, il me semble que le dialogue du Conseil supérieur de la magistrature avec le Réseau européen des conseils de justice ne peut être que fructueux. En effet, sur tel ou tel point, nous avons intérêt à observer ce qui se passe chez nos voisins et leur mode de fonctionnement, ne serait-ce que pour permettre à la représentation nationale, ensuite, de faire les choix qui lui paraissent souhaitables, s’agissant de l’évolution du Conseil supérieur de la magistrature.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur, vous écrivez dans vos réponses que lorsqu’il y a des attaques vives, voire polémiques, délibérées contre les décisions de justice, le CSM devrait pouvoir défendre l’institution et s’exprimer spontanément. Avec cette perspective, ne changez-vous pas la nature du CSM ?
M. Jean Danet. Je n’ai pas développé mon propos. Disons qu’il me semble important que le Conseil supérieur de la magistrature puisse redire un certain nombre de choses essentielles sur ce qu’est la magistrature, la justice, l’indépendance de la justice et l’impartialité, et rappeler des vérités fondamentales. Mais il ne s’agit pas, dans mon esprit, bien entendu, de faire entrer le CSM dans l’arène polémique.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci pour votre disponibilité et la qualité de vos réponses.
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Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de Mme Soraya Amrani Mekki et de M. Jean Danet en qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature.
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La Commission procède à l’audition de M. Fabrice Hourquebie, dont la nomination au Conseil supérieur de la magistrature est proposée par M. le Président de l’Assemblée nationale (M. Guy Geoffroy, rapporteur).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le professeur, merci pour votre présence et pour les réponses précises que vous avez apportées au questionnaire que notre rapporteur, M. Guy Geoffroy, vous a adressé. À titre personnel, je tiens à dire tout le plaisir que j’éprouve à lire la revue Constitutions, dont vous êtes le codirecteur.
M. Fabrice Hourquebie. Monsieur le président, merci pour votre accueil et pour les propos que vous venez de prononcer en préalable à notre échange.
C’est un honneur pour moi de me présenter devant vous comme candidat proposé par le président de votre Assemblée pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature, dont la mission est primordiale dans la garantie de l’indépendance de l’autorité judiciaire et, partant, dans la protection de l’État de droit. Indépendance à laquelle je suis d’ailleurs particulièrement attaché, dans la mesure où je peux, en tant que professeur des universités et à la faveur d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel en 1984, en mesurer quotidiennement les vertus et le caractère précieux.
Peut-être, monsieur le président, monsieur le rapporteur, me permettrez-vous de revenir très rapidement sur mon parcours, pour dire ensuite quelques mots sur ma conception du rôle et des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, conception que vous trouverez étayée dans les réponses aux questions que votre Commission a bien voulu me soumettre.
J’ai été présenté dans un récent article d’un quotidien du soir comme « le benjamin » de la future et éventuelle équipe du Conseil supérieur de la magistrature. Professeur de droit public spécialisé en droit constitutionnel, agrégé des universités, j’ai effectivement trente-neuf ans mais j’ai pu m’intéresser très tôt aux questions de justice, qui demeurent l’axe principal de mes recherches. Je dois vous dire d’ailleurs que si je n’avais pas débuté ma thèse en 2003, j’aurais passé le concours de l’École nationale de la magistrature pour devenir, en cas de succès, parquetier. En outre, à la même époque, j’avais été admissible au concours de directeur des services pénitentiaires, mais les résultats de mon Diplôme d’études approfondies étant intervenus avant l’oral d’admission, j’ai privilégié le cursus universitaire. C’est vous dire le plaisir que j’aurais à revenir, par un autre biais, dans le champ de la justice.
Ma thèse traitait de l’émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Ve République ; plusieurs anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature siégeaient d’ailleurs dans mon jury, comme MM. Jean Gicquel ou Dominique Rousseau. Dès lors, mes publications, qu’il s’agisse d’ouvrages ou d’articles, et mes communications ont, pour l’essentiel, porté sur la justice comme troisième pouvoir, l’indépendance de la justice, l’office du juge, le contentieux constitutionnel, le droit constitutionnel processuel et la justice transitionnelle et ce, chaque fois que cela fut possible, dans une perspective comparée.
J’ai pu me confronter aux questions liées au statut des juges, au fonctionnement des cours suprêmes, aux défaillances des capacités judiciaires des institutions. Très concrètement, j’ai participé à différentes missions internationales et ai travaillé très régulièrement dans les congrès scientifiques d’associations prestigieuses comme l’Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français ou l’Association internationale des procureurs et poursuivants francophones. Je suis également codirecteur de la revue Constitutions, chez Dalloz, une jeune revue qui s’intéresse aux problématiques de justice – une chronique étant dédiée à cette question ; je suis membre du comité scientifique des Cahiers de la justice, revue au sein de laquelle je dirige également une rubrique. Enfin, je suis directeur de l’École doctorale de droit de l’Université de Bordeaux et secrétaire général de l’Association française de droit constitutionnel.
Ce rapide passage en revue de mes activités professionnelles avait pour unique objet de vous montrer le vif intérêt que je porte à l’institution judiciaire, que j’apprécie d’étudier en tant que pouvoir à part entière dans la Cité, avec le regard du constitutionnaliste. Pour cette raison, rejoindre le collège du Conseil supérieur de la magistrature serait un véritable honneur pour le professeur d’université que je suis, habitué à observer l’institution de l’extérieur.
Le Conseil supérieur de la magistrature est, paradoxalement, une institution encore mal connue, alors que son rôle est absolument essentiel dans le fonctionnement de la justice. En témoigne la succession des révisions constitutionnelles qui ont entendu le positionner plus clairement dans le paysage des institutions de l’État, notamment en renforçant progressivement ses compétences.
Cinq révisions constitutionnelles ont eu lieu à ce jour ; une sixième est en suspens. Pour résumer cette évolution, il n’est pas de meilleure formule que celle de l’un de mes maîtres, M. Jean Gicquel, qui a lui-même siégé au Conseil et qui avait déjà, après André Hauriou, incarné ce qui pourrait devenir une tradition au vu des nominations successives : la présence des professeurs de droit public au sein du CSM. Selon sa formule, « le Conseil supérieur de la magistrature est une création continue de la République » – création continue dont l’objectif sera d’amener progressivement le CSM à un statut constitutionnel et à des prérogatives renforcées au service de l’indépendance de la justice.
D’abord une naissance en 1883, dans un contexte si paradoxal incarné par une loi du 30 août qui, tout en suspendant le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, faisait de la Cour de cassation, statuant en chambres réunies, un Conseil supérieur de la magistrature.
Ensuite, une constitutionnalisation du CSM en 1946 et une profonde réorganisation de ses compétences et de sa composition en 1958.
Mais c’est sans conteste les réformes constitutionnelles de 1993, créant notamment les deux formations, et de 2008, retirant la présidence du CSM au chef de l’État et ouvrant la saisine aux justiciables – dans un mouvement qui me semble aller de pair avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel – qui vont progressivement faire du CSM la clef de voûte de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le projet de loi constitutionnelle de 2013 portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature semblait s’inscrire dans le prolongement de ces évolutions.
Le CSM a désormais sa place au sein des hautes institutions de la République. C’est une place qu’il a méritée, qu’il a conquise et qu’il doit défendre. C’est peut-être aussi une place qu’il se doit d’expliquer en communiquant davantage sur sa mission. Ses fonctions de représentation du corps judiciaire et d’interposition entre les pouvoirs constitutionnels doivent contribuer à faire de lui un véritable contre-pouvoir dans la démocratie constitutionnelle française.
Contre-pouvoir : le mot ne doit pas effrayer, bien au contraire. L’idée est induite par ce principe cardinal de l’État de droit, superbement théorisé par Montesquieu dans De l’Esprit des Lois et, avant lui, par John Locke dans son Traité du gouvernement civil, et qu’un professeur de droit bordelais dont l’université portait jusqu’à récemment le nom illustre de Montesquieu ne pouvait pas ne pas rappeler : l’idée de la séparation des pouvoirs, des checks and balances.
Il n’y a pas de démocratie modérée sans contre-pouvoirs. Montesquieu rappelait en effet qu’« il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Le contre-pouvoir c’est d’abord, pour reprendre ses termes, la « faculté d’empêcher », c’est-à-dire le pouvoir de veto ; le CSM dispose de cette faculté – certes à un degré variable selon qu’il s’agit du siège ou du parquet – tant en matière de nomination des magistrats qu’en matière disciplinaire.
Mais c’est aussi la « faculté de statuer », c’est-à-dire de proposer : là encore, le CSM l’exerce à l’égard de la nomination des magistrats du siège, tant à travers le pouvoir de proposition que de l’avis conforme ; mais aussi à travers les avis – voire des communiqués – qu’il rend ; certes, il y a une limite en ce qui concerne les avis : il lui faut avoir été saisi en ce sens par le Président de la République ou le garde des Sceaux.
Je ne voudrais pas être plus long, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, de façon à laisser le temps suffisant à la discussion. Mais il me semble qu’aujourd’hui, le Conseil supérieur de la magistrature est à la croisée des chemins et à la croisée des destins. Il est aujourd’hui un véritable organe de garantie de l’indépendance de la justice.
Peut-il devenir un peu plus ? Doit-il être autre chose ? Faut-il aller vers un organe d’autogouvernement de la magistrature que d’aucuns appellent de leur vœux ou qui s’inspirerait de certaines expériences étrangères ? La tradition judiciaire française le permet-elle ? La fameuse « conception française de la séparation des pouvoirs » chère au Conseil constitutionnel l’autorise-t-elle ? Il n’y a pas ici de réponse toute faite, notamment au regard de l’enjeu. Il y a surtout un formidable débat judiciaire, politique et doctrinal qui, quelle que soit l’hypothèse retenue, repose sur le postulat qui a fait consensus, à savoir que le Conseil supérieur de la magistrature est une institution pivot de l’État de droit et, partant, de la protection des droits.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie et je suis prêt à répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser.
M. Guy Geoffroy, rapporteur. Monsieur Hourquebie, je dois vous dire tout l’intérêt que représentent pour moi vos réponses écrites et vos propos : il n’est pas banal qu’un éminent constitutionnaliste s’exprime sur les questions relatives à la justice. Il n’est absolument pas anecdotique d’entendre le secrétaire général de l’Association française de droit constitutionnel évoquer à deux reprises la justice en tant que « pouvoir », et nous parler ensuite de « contre-pouvoir ».
Qu’entendez-vous donc par « pouvoir », étant observé que l’on parle du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et de « l’autorité » judiciaire ? Par ailleurs, si le projet de réforme constitutionnelle de 2013 devait aboutir, comment analyseriez-vous la notion de contre-pouvoir à ce que vous estimez être un pouvoir ? Je pose la question car la révision constitutionnelle prévoit que, dans chaque formation, le nombre de magistrats devienne supérieur à celui des non magistrats.
Dans mon propos introductif, j’ai évoqué la malheureuse affaire d’Outreau. Au cours des travaux de la commission d’enquête à laquelle j’ai eu le grand honneur de participer, la question du nombre de magistrats par rapport au nombre de non magistrats a été une sorte de fil d’Ariane. On s’est finalement prononcé pour l’égalité, pour ne pas avoir à trancher entre deux solutions qui avaient leurs tenants de part et d’autre de l’hémicycle. On avait dit à l’époque que la justice avait condamné des innocents, que la presse avait condamné la justice et qu’enfin, le Conseil supérieur de la magistrature semblait ne pas avoir répondu aux attentes de la population s’agissant du sort du malheureux juge Burgaud.
Je voudrais avoir votre opinion. Est-ce que le contre-pouvoir à ce nouveau pouvoir que deviendrait l’autorité judiciaire peut être avéré aux yeux du peuple, au nom duquel la justice est rendue, s’il y a davantage de magistrats que de non magistrats dans les instances chargées de juger de la manière dont la justice a été rendue ?
M. Fabrice Hourquebie. J’ai tenu ces propos en qualité de professeur de droit constitutionnel, ce qui n’engage évidemment pas l’Association française de droit constitutionnel. Mais je suis heureux, monsieur le rapporteur, que vous m’interpelliez sur cette question car vous touchez du doigt le débat doctrinal du moment – qui est aussi un débat politique.
La Constitution française consacre en effet la justice en tant qu’ « autorité judiciaire » et l’on connaît les raisons pour lesquelles le constituant de 1958 a tranché en ce sens. Les travaux préparatoires à la rédaction de la Constitution sont d’ailleurs particulièrement éclairants à ce propos, et l’on doit au président Latournerie un certain nombre d’options. Ce choix est à mettre en parallèle avec l’histoire constitutionnelle française – la défiance à l’égard des parlements d’Ancien Régime – et l’interprétation très orientée du propos de Montesquieu selon lequel « la puissance de juger est nulle. Le juge est la bouche de la loi. » Tout cela se traduit par une constitutionnalisation de la justice en tant qu’« autorité ».
Si je parle de pouvoir, c’est pour montrer l’écart qui existe entre le statut constitutionnel de la justice aujourd’hui et la réalité de ses attributions dans les faits. La justice se comporte comme un véritable pouvoir qu’on peut appeler « judiciaire » si l’on s’en tient à la justice judiciaire, ou « juridictionnel » si l’on tient compte de la dualité de juridictions et si l’on inclut – pourquoi pas – la justice constitutionnelle, qui serait ainsi la branche constitutionnelle du pouvoir juridictionnel. J’ai donc tendance à parler de « pouvoir » plutôt que d’« autorité » pour essayer de mettre le discours en adéquation avec les faits.
Par ailleurs, ériger la justice en pouvoir permet de jouer le jeu des checks and balances et de la démocratie modérée. Il ne peut y avoir de pouvoir et de contre-pouvoir que si les pouvoirs constitutionnellement consacrés ont en face d’eux un pouvoir égal, c’est-à-dire hissé à leur niveau.
Maintenant, la justice est-elle un contre-pouvoir et le CSM peut-il se comporter en contre-pouvoir ? Encore une fois, pour le constitutionnaliste que je suis, la notion de contre-pouvoir n’a rien d’effrayant et je tiens à la dédramatiser dans l’utilisation qui peut en être faite : c’est une notion fonctionnelle, qui va définir plutôt une institution au regard de sa capacité d’action à l’endroit d’une autre institution. Le contre-pouvoir, c’est l’institution qui va empêcher l’institution d’en face d’excéder ses compétences. Mais c’est aussi l’institution qui va pouvoir aider l’institution d’en face à se rééquilibrer.
La composition du Conseil supérieur de la magistrature est-elle un élément clé et décisionnel dans la conception d’un contre-pouvoir du CSM ? Je ne le pense pas. Je pense en revanche que, pour se conformer aux standards européens et à l’état du droit en vigueur, il serait légitime de revoir la composition du CSM, de dépasser ce clivage très ambigu qui a fini par conduire à une sorte de parité, notamment dans les formations disciplinaires, et d’opter pour une mise en majorité des magistrats au sein du CSM. Je ne crois pas que c’est la présence majoritaire des « laïcs » qui fera du CSM un véritable contre-pouvoir. Le CSM est une instance collégiale, une instance de délibération collective, qui doit aboutir à une décision commune. C’est en recherchant un équilibre entre les magistrats et les non magistrats que l’on pourra y parvenir.
M. René Dosière. Monsieur Hourquebie, j’aimerais que vous précisiez votre réponse concernant la possibilité, pour les justiciables, de saisir le CSM.
Dans cette réponse, qui me paraît un peu littéraire, ou en tout cas générale, vous écrivez que « la procédure semble connaître un certain succès puisque les chiffres communiqués indiquent une augmentation constante des plaintes depuis 2012… », mais ajoutez que « très peu de plaintes ont débouché sur des poursuites disciplinaires ». Vous indiquez que ce mécanisme de saisine directe « dépend de la culture et repose sur la correcte appropriation du dispositif par le justiciable » et qu’il faudrait « réfléchir aux moyens d’amélioration de la procédure ». Pourriez-vous préciser le sens de votre réponse ?
M. Fabrice Hourquebie. Selon moi, la possibilité donnée aux justiciables de saisir le CSM est effectivement une très bonne chose : il est important que le justiciable puisse avoir la capacité juridique de contester et de s’adresser au CSM. Pour autant, je pense que le dispositif est assez mal connu et en tout cas insuffisamment encadré.
Le nombre moyen des plaintes est d’environ 250 par an. Néanmoins, dans le dernier exercice du CSM, trois plaintes seulement ont débouché sur des poursuites disciplinaires : deux au siège, une au parquet. Un tel ratio doit interpeller, d’autant que ces trois poursuites ont débouché sur des non-lieux.
Je crois que ce mécanisme est effectivement imparfait et qu’un des moyens de l’améliorer serait de donner au CSM et aux commissions d’admission des requêtes un pouvoir supplémentaire ou, tout au moins, des pouvoirs différents, notamment celui de rappeler à l’ordre un magistrat. Une action préventive permettrait d’éviter ce décalage qui fait que des plaintes déclarées recevables sont finalement classées après enquête parce qu’on se rend compte que le manquement déontologique – s’il est avéré – est insuffisamment constitué pour aller sur le terrain d’une procédure disciplinaire.
Je pense que c’était une évolution nécessaire, comme le montre le nombre de plaintes. Mais l’écart entre les plaintes reçues et le résultat final montre aussi qu’il y a des améliorations à apporter, qui passent certainement par une modification des compétences, en tous cas des attributions de la commission d’admission des requêtes.
M. Gilbert Collard. J’ai écouté avec intérêt votre analyse très professorale du contre-pouvoir. Je me permets scolairement de rappeler que c’est le philosophe Alain qui, avec les radicaux, a théorisé la notion de contre-pouvoir.
Pour ma part, je crois que ce dont on a le plus besoin aujourd’hui dans notre société, c’est de contre-pouvoirs « couillus », au sens où Rabelais l’entendait, c’est-à-dire forts et puissants. Tout se joue souvent lors des audiences. Rappelez-vous l’arrêt du Parlement de Rennes, en 1617 ou 1619, faisant défense aux magistrats de « maltraiter de paroles » les justiciables et les avocats. Ne croyez-vous pas qu’il serait temps que le CSM puisse dépêcher dans les juridictions des observateurs qui fassent rapport ? L’on a pu entendre un président dire à un justiciable : « bougez-vous ! ». J’ai moi-même entendu le président du tribunal correctionnel de Marseille dire à un autre justiciable : « je ne vous respecte pas ! ». Le premier président saisi a considéré que ce n’était pas un manque d’impartialité, non plus que la Cour européenne. Reste que cela a été dit – ce que j’ai fait acter.
Le tribunal peut être un lieu d’humiliation. Quel que soit le justiciable, la petite humiliation est un petit fascisme. Certains magistrats commettent ces excès qu’un très grand juge appelait « l’abus du petit pouvoir », le petit pouvoir du mot, le petit pouvoir qui blesse, le petit pouvoir de la puissance sur celui qui, quel que soit son statut, est petit devant un juge. Sur la sellette, étymologiquement, l’on est petit. Quand va-t-on s’intéresser, non pas d’un point de vue constitutionnel, mais d’un point de vue humain, à la réalité d’une audience, à la nécessité pour le magistrat d’expliquer son jugement et à la politesse qui est due au justiciable ? Les manquements sont rares mais lorsque cela arrive, que cela fait mal !
Il pourrait y avoir des inspections dans les juridictions sans que le juge le sache, pour observer la manière dont les débats se déroulent. Du point du vue du fonctionnement des contre-pouvoirs, au sens où Alain l’entendait, ce serait très utile pour les « petits » justiciables, étant donné que l’on n’est jamais grand devant un juge.
M. Fabrice Hourquebie. Vous me permettrez de ne pas employer la même expression que vous à propos des contre-pouvoirs. J’en emploierai une autre, qui équivaut à la vôtre : il ne peut exister de contre-pouvoir qu’à partir du moment où ce contre-pouvoir n’est pas platonique. Il faut donc que le CSM ait des moyens suffisants pour lui permettre de s’imposer dans ce jeu des pouvoirs.
Je ne pense pas que « l’inspection surprise » des juridictions puisse relever des attributions du CSM. Toutefois, ce dernier dépêche régulièrement des missions dans les différentes juridictions, dans les cours d’appel, et s’entretient, notamment, avec les chefs de juridiction. Bien sûr, l’on peut s’interroger sur le décalage qui existe, au moment d’une audience, entre le juge et le justiciable. Le CSM élabore toutefois un recueil d’obligations déontologiques et peut être saisi en cas de manquement à la déontologie.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. À la suite des questions qui vous ont été posées sur la composition du CSM – débat passionnant dont les termes sont significatifs puisqu’on distingue les « laïcs » des magistrats –, je souhaiterais vous interroger sur la présidence du CSM. Dans la mesure où chacun, quel que soit sa place dans l’hémicycle, est favorable à l’indépendance de la justice, ne pourrait-on pas imaginer que la présidence du CSM fasse l’objet d’un vote des membres du CSM ? Quel est votre point de vue d’universitaire ?
M. Fabrice Hourquebie. La question de la composition du CSM a souvent caché d’autres questions fondamentales sur le terrain de ses compétences.
Où en est-on aujourd’hui ? Depuis 2008, les magistrats sont minoritaires. Une telle situation me semble être en porte-à-faux, ou du moins en contradiction avec certaines recommandations du Conseil de l’Europe et avec la Charte européenne sur le statut des juges de 1998. On est dans une situation de parité dans la formation disciplinaire.
Quant à la présidence du CSM, il me semblerait assez naturel, dans le sillage de la révision constitutionnelle de 1993, qui a créé les formations du siège et du parquet, qu’elle soit assurée par les plus hauts magistrats : le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette cour.
Je suis toujours un peu réticent à l’idée qu’un collège – particulièrement ici, dans un domaine qui a trait à la justice – débatte en son sein et vote pour désigner son président. Je pense que le Conseil supérieur de la magistrature – mais le raisonnement vaut aussi, par exemple, pour le Conseil constitutionnel – a besoin de sérénité. Or ce type de débats risquerait de provoquer des clivages, qui dépasseraient à mon sens le clivage existant entre « laïcs » et magistrats. Selon moi, la solution actuelle est faite de prudence et de sagesse. Elle est par ailleurs assez conforme au principe constitutionnel d’unité du corps judiciaire – malgré ses deux composantes distinctes.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Bien qu’elle ait constitué un véritable désastre judiciaire, l’affaire d’Outreau n’a abouti qu’à une condamnation extrêmement faible de l’institution judiciaire dans son ensemble. Pour ma part, je ne connaissais rien au monde judiciaire et ma position était assez simple : il fallait avoir confiance dans la justice de son pays ! Or, j’ai été fortement ébranlée par cette affaire, et notamment par l’absence totale de conséquences, institutionnelles et personnelles, qu’elle a pu avoir. Beaucoup de bruit pour rien ! Je voudrais avoir votre avis sur ce point.
M. Fabrice Hourquebie. Madame, je partage évidemment votre sentiment, en ce sens que l’affaire d’Outreau a été un véritable marqueur et un tournant dans la vie judiciaire française. Mais je m’en éloigne, dans la mesure où cette affaire a été suivie par la création d’une commission d’enquête, bipartisane, qui a fait un travail remarquable, et par une prise de conscience et une réflexion sur le rôle du juge d’instruction et la nécessité de la collégialité de l’instruction pour certaines affaires sensibles. J’ai même tendance à croire que les évolutions ultérieures, en ce qui concerne la déontologie ou le régime de la faute disciplinaire, en découlent. Aujourd’hui, peu ou prou, implicitement ou explicitement, les réformes successives, qu’elles soient organiques ou constitutionnelles, tirent des conséquences de cette affaire.
Au-delà, vous abordez une question absolument essentielle en démocratie : l’image et la perception du fonctionnement de la justice, et donc du CSM, par les citoyens. Selon moi, quand la justice rend une décision, quand le CSM prend une position ou procède à une nomination, un véritable effort de pédagogie s’impose.
À ce propos, il me semble que la rédaction de la décision de justice, qui participe totalement de l’action de juger, devrait évoluer. La juridiction administrative a entamé un travail en ce sens et je crois que la juridiction judiciaire pourrait faire de même. Cela contribuerait à la clarification des décisions et à cet effort de pédagogie.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, monsieur le professeur.
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La Commission procède à l’audition de Mme Evelyne Serverin, dont la nomination au Conseil supérieur de la magistrature est proposée par M. le président de l’Assemblée nationale (M. Guy Geoffroy, rapporteur).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame Serverin, je vous remercie de votre présence. Le président de l’Assemblée nationale a pensé que vous pourriez siéger au Conseil supérieur de la magistrature, et à ce titre vous avez reçu les questions que notre rapporteur, en notre nom, a bien voulu vous adresser. Avant que nous ayons un échange, peut-être serait-il utile que vous nous disiez en quelques mots les raisons pour lesquelles vous avez accepté l’idée que vous pourriez siéger au Conseil supérieur de la magistrature et, par exemple, en quoi votre parcours vous qualifie pour occuper une telle fonction.
Mme Evelyne Serverin. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la situation est un peu particulière dans la mesure où il s’agit d’une fonction à laquelle on n’est pas candidat, et pour laquelle il faut donner son accord ; en outre, les voies par lesquelles on est proposé sont assez mystérieuses. Mais je trouve que c’est bien ainsi. D’une certaine manière, j’ai vu, dans le fait que mon nom ait circulé et soit parvenu jusqu’ici, une forme de reconnaissance de ma qualification pour remplir cette fonction. Mais il faudrait demander à tous ceux qui sont à l’origine de cette proposition pourquoi ils ont trouvé ma candidature intéressante.
Maintenant, pourquoi ai-je accepté ? Parce que, pour des raisons que je vais rappeler rapidement, cela ne me paraissait pas totalement inadéquat.
Je suis directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – je crois d’ailleurs que ce serait la première fois qu’un directeur de recherches au CNRS siégerait au CSM. J’ai une double formation, de juriste et de sociologue, et depuis longtemps, mes recherches m’ont portée vers les activités de justice. Mais l’objet de ces recherches a toujours été, non pas les magistrats, mais l’activité des tribunaux, les actions en justice, et surtout les fonctions que remplissent les juridictions dans une société donnée. Durkheim ne disait-il pas que le contentieux et le droit sont la meilleure manière de savoir quel est l’état d’une société ? C’est cette entrée-là que j’ai choisie. Cela explique que pendant des années, sur les sujets les plus divers que je rappelle dans mes notes, j’ai travaillé empiriquement sur l’activité des tribunaux. Il me semblait donc que, du point de vue thématique, il n’était pas complètement hors de propos de faire partie de cette institution, en la voyant cette fois-ci du côté des magistrats.
Ensuite, à partir de 1985, pour des raisons professionnelles, j’ai contribué à mettre en place, avec les services de la Chancellerie, des outils de connaissance des contentieux. Ceux-ci sont tout à fait essentiels lorsque l’on parle de justice. Diverses méthodes sont utilisées ; les méthodes d’observation sont à la mode mais elles sont loin de permettre de prendre la mesure, sur des longues durées, de l’activité des tribunaux. J’étais à l’époque à la sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice. Par la suite, j’ai collaboré – et je le fais encore – avec le pôle « étude » de la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS). D’une certaine manière, j’ai mis « les mains dans le cambouis » pour que l’on puisse disposer, sur les procès, de données un peu plus fines que les indicateurs de durée qui tendent à devenir l’alpha et l’oméga de toute mesure de l’activité de la justice.
Ce long compagnonnage avec les services de la Chancellerie a fait que j’ai dirigé des groupes de travail et mis en place certains dispositifs – essentiellement en matière civile. Je pense que cette activité continue à porter ses fruits. C’est ainsi que je suis en train de travailler sur des séries statistiques sur les prud’hommes, un de mes sujets de prédilection.
D’autres raisons ont fait que j’ai accepté d’être candidate. Celles-ci n’ont plus rien à voir avec la justice, mais avec le fait qu’au CNRS, j’ai longtemps assuré des mandats au comité national. Je précise que cette instance constitue l’autorité hiérarchique des chercheurs, à la fois pour leur recrutement, leur promotion, les concours, et peut aussi rendre des avis en matière disciplinaire. J’ai tiré grand parti de cette expérience. Grâce à ma double formation, j’étais dans la « section 36 » consacrée au droit et à la sociologie, ce qui me permettait de voir passer toutes sortes d’études sur la justice ; ensuite, tout au long de cette activité, j’ai abordé les questions de carrière.
Enfin, depuis 2007, je fais partie du comité d’éthique du CNRS. J’en suis d’ailleurs à mon deuxième mandat. En 2014, ce comité a produit un guide sur l’éthique de la recherche. Or l’éthique de la recherche fait partie de ces questions délicates qui se sont transformées au fur et à mesure de l’évolution des fonctions de l’enseignement et de la recherche.
Pour toutes ces raisons, je n’ai pas considéré présomptueux d’accepter la proposition qui m’avait été faite. Et puis, comme chercheure, je suis curieuse de voir fonctionner une institution différente de toutes celles dans lesquelles j’ai été amenée à évoluer, et d’aller regarder sous un autre aspect les fonctions et les activités de justice.
Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais dire un mot sur les réflexions que l’anticipation de mon entrée dans cette institution a pu susciter chez moi.
J’ai lu avec beaucoup d’attention les rapports du CSM qui donnent une certaine idée de son activité et, surtout, une image des magistrats. Mais j’ai été étonnée que l’on ne voie pas très bien comment fonctionnent les différentes formations. Sur le papier, les personnes qualifiées sont majoritaires dans les formations, ce qui signifie qu’elles ont un poids important. Je sais que, sur ce point, une réforme est envisagée. Mais les règles de quorum, les conditions dans lesquelles les rapports sont attribués, toutes ces choses sont très importantes lorsqu’il s’agit de rendre des avis et de prendre des décisions. Or je dois dire que j’ai dû me faire un petit tableau Excel pour essayer de voir comment se répartissent, dans les formations, les différents participants. Sur ce point, je ne bénéficie pas d’informations pratiques, et j’ai encore à apprendre.
Encore une fois, la question des présents et des absents dans les formations, tout comme la question de la contribution des uns et des autres sont très importantes. Quoi qu’il en soit, pour ma part, j’ai l’intention d’être extrêmement présente, de ne pas laisser disparaître une voix dans le quorum, et de suivre effectivement l’ensemble des missions du CSM.
M. le rapporteur. Madame Serverin, il est en effet très nouveau qu’un profil comme le vôtre fasse l’objet d’une proposition de nomination au Conseil supérieur de la magistrature. Vous-même, dans votre réponse écrite, nous faites savoir qu’à votre connaissance, vous avez été proposée par le président de l’Assemblée nationale, mais que cette proposition aurait été la conséquence d’une réflexion confiée à un comité dont les membres « ont estimé que les compétences les désignaient pour les missions du CSM ». On aurait ainsi anticipé la procédure prévue par le projet de loi constitutionnelle de 2013.
Si l’on va jusqu’au bout de la réforme de 2013, le garde des Sceaux, représentant de l’exécutif, disparaîtrait pratiquement du CSM. En effet, certains vont jusqu’à estimer qu’il ne pourrait plus, de sa propre autorité, s’inviter dans les réunions non disciplinaires. Seul le CSM pourrait l’inviter. Par ailleurs, le CSM comprendrait plus de magistrats que de non magistrats.
Dans cette optique, la justice étant rendue « au nom du peuple français », ne serait-il pas dangereux que les non magistrats, devenus minoritaires, ne soient plus désignés, comme c’est le cas aujourd’hui, par les représentants du peuple que sont le président de la République et les présidents des deux assemblées parlementaires ? J’aimerais avoir votre opinion sur le sujet. Puisque les magistrats deviendraient majoritaires, ne pourrait-on pas, dans un souci d’équilibre, envisager que les non magistrats continuent à être désignés par les représentants du peuple ?
Mme Evelyne Serverin. Je l’ai dit, entre l’équilibre sur le papier et l’équilibre dans la pratique, se trouve la question de la majorité de fait, c’est-à-dire celle de la présence des personnes aux différentes séances.
Je ne vois pas bien en quoi le fait que les propositions passent par une sorte de pré-évaluation des candidatures serait dangereux. Cela me paraît plutôt constituer la garantie que les personnes qui seront désignées dans le cadre de cette procédure seront en mesure de siéger utilement. Et pour pouvoir siéger utilement, le problème n’est pas seulement d’être présent, il est d’être utile quand on est présent. Donc, ce travail préalable devrait éviter des malentendus, avec des personnes qui auraient accepté de participer mais qui, finalement, n’auraient pas le temps ou parfois, ne seraient pas en mesure de siéger utilement. Pour ma part, je n’ai pas l’intention d’être passive, mais surtout, j’ai l’intention de comprendre.
Je saisis ce que vous dites mais je ne vois pas de contradiction. Au contraire, je pense que ce type de procédure permet d’écarter les soupçons de politisation ou, simplement, de « copinage », et de s’assurer que les personnes sélectionnées ont quelque chose à apporter.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame, vous avez fait référence à votre participation au comité d’éthique du CNRS. Vous savez qu’un projet de loi vise à imposer des obligations déontologiques aux magistrats. Peut-être avez-vous entendu certaines organisations de magistrats s’étonner de cette perspective législative, arguant du fait que rien dans le droit européen ne conduit à souhaiter qu’il y ait de telles obligations déontologiques, et que l’ordonnance de décembre 1958 comporte déjà un certain nombre de règles particulières, notamment pour les magistrats de l’ordre judiciaire – par exemple, des incompatibilités ou des capacités de déport – et qu’au final, selon les termes mêmes d’une organisation de magistrats, ce projet est « inapproprié ». Quel est votre sentiment ?
Mme Evelyne Serverin. Là encore, l’expérience sera utile. Nous avons eu exactement les mêmes débats au comité d’éthique du CNRS. Entre les obligations des chercheurs en matière de recherche, qui sont issues du code de la recherche, et un certain nombre de référentiels d’action déontologique, la distance est difficile à trouver.
Pour en revenir au CSM, il me semble que son recueil des obligations déontologiques des magistrats mêle les deux. En réalité, il n’y a pas d’éthique sans, au départ, un référentiel d’obligations. Et c’est la déclinaison de ces obligations qui va se rapprocher de la pratique. La déontologie est plutôt faite de manières de se comporter et de manières d’être. Donc, il faut un référentiel, puis une déclinaison pratique. D’ailleurs, la proposition, qui figure dans le rapport du CSM de 2013, de créer un comité qui serait chargé de répondre aux interrogations déontologiques des magistrats est, selon moi, bienvenue. Encore une fois, entre ce qui est énoncé sous forme de règles ou de principes, et la décision à prendre dans un cas donné, il peut y avoir un fossé qu’il convient d’aider certains à franchir.
Je suis favorable à cette perspective, dans la mesure où elle peut aider à décider dans des cas difficiles – comme dirait nos collègues américains. Je ne pense pas que cela fasse double emploi. C’est le moyen de décliner, dans la pratique, des principes dont certains sont des obligations « pures et dures » posées par les textes. De ce point de vue, j’aime beaucoup la manière dont cela est présenté dans le recueil fourni aux magistrats.
Mme Marietta Karamanli. Madame, un certain nombre d’analystes considèrent qu’aujourd’hui, l’organisation de notre justice n’est plus adaptée à la demande sociale. Le juge serait celui à qui l’on s’adresse pour transformer les demandes de la société en droits. Qu’est-ce que cela implique, selon vous, pour un organe comme le Conseil supérieur de la magistrature ?
Mme Evelyne Serverin. C’est une très bonne question, qui correspond à certaines de mes interrogations.
Le CSM a la particularité d’être un organe pour la magistrature ; ce n’est pas un organe des tribunaux ni un organe qui s’intéresse aux litiges.
Mais vous parlez de demandes sociales. Pour ma part, je vois les demandes en justice : celles qui sont réalisées et celles qui ne le sont pas. Le non-recours, le fait de ne pas saisir la justice, fait partie des questions qui nous préoccupent beaucoup aujourd’hui. L’observation fine de l’évolution des objets de litige nous informe sur les lacunes de l’accès en justice – les droits que l’on ne défend pas – comme sur la transformation de ceux-ci au cours du temps. On ne demande pas aujourd’hui aux tribunaux ce que l’on demandait il y a vingt ou trente ans, et même bien avant – pour ma part, je m’intéresse aux statistiques remontant à 1821.
Comme je le dis toujours, quand on veut s’intéresser à l’activité des tribunaux, on apprend davantage de ce qui n’y est pas que de ce qui y est. Et ce qui n’y est pas révèle des béances. Je travaille beaucoup sur les prud’hommes en ce moment. L’évolution de l’objet des litiges dans les contentieux prud’homaux montre bien les lacunes d’un certain type d’actions.
Cette question est tout à fait essentielle. On doit se préoccuper de ceux qui n’agissent pas. On l’a fait en matière de droit de la consommation – par l’action de groupe. Mais dans beaucoup de domaines, on ne se pose tout simplement pas la question. On a même tendance à dire que les gens agissent trop et saisissent trop souvent les tribunaux. Or, en matière civile, ce n’est pas exact.
Je terminerai sur la mission d’évaluation du CSM. Que ce soit pour des nominations ou des promotions, on doit également savoir où travaillent les magistrats et avoir une idée des affaires qu’ils sont amenés à traiter. Il me semble qu’il faut avoir une connaissance fine de ces aspects pour pouvoir même s’intéresser aux magistrats.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame Serverin.
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Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Fabrice Hourquebie et de Mme Evelyne Serverin, dont les nominations sont proposées par M. le Président de l’Assemblée nationale en qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature.
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La Commission examine la proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat (n° 1725) (M. Philippe Doucet, rapporteur).
M. Philippe Doucet, rapporteur. Nous entamons aujourd’hui l’examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
Le temps qui nous a été imparti n’a pas été inutile, il nous a permis de soupeser les dispositions du présent texte, en avançant dans la recherche d’un consensus entre les deux assemblées.
En effet, deux points ressortent de l’examen du texte par les sénateurs.
Le premier point est que la proposition de loi fait l’objet d’un assez large consensus entre le Sénat et l’Assemblée nationale. J’en veux pour preuve le nombre important de dispositions déjà adoptées conformes. Or, ces dispositions revêtent un caractère essentiel si nous voulons apporter, à la condition d’élu local, des améliorations concrètes. Il s’agit en premier lieu du régime indemnitaire des élus : ainsi, par le vote conforme des assemblées, le montant de l’indemnité de fonction des maires et des présidents de délégation spéciale sera désormais, par principe, fixé au montant maximal qui résulte de l’application du taux prévu par la loi.
En deuxième lieu, le Sénat et l’Assemblée nationale sont également convenus de la nécessité d’étendre le champ des dispositifs existants relatifs aux garanties accordées dans l’exercice d’une activité professionnelle. Cette orientation commune se traduira demain par l’extension du nombre d’élus susceptibles de bénéficier du congé électif, du crédit d’heures, du droit à suspension du contrat de travail, du droit à la réintégration professionnelle ou encore de l’application du statut de salarié protégé.
Il convient enfin de signaler les dispositions relatives au remboursement des frais exposés dans l’accomplissement des fonctions électives, ainsi que celles portant sur les conditions de réinsertion professionnelle des élus ou de leur formation. Avec l’accord du Sénat sur ce point, nous disposons d’un texte qui permettra aux élus de bénéficier d’une allocation différentielle de fin de mandat rénovée : une allocation plus protectrice grâce au doublement de sa durée de versement, mais une allocation qui incite aussi à la reprise d’une activité professionnelle dans un délai raisonnable, compte tenu de son caractère dégressif. Les élus locaux se verront reconnaître également de nouvelles possibilités de validation des acquis de l’expérience avec, au titre de l’exercice d’une fonction exécutive, l’obtention d’un diplôme ou d’un titre universitaire. Ils pourront exercer le droit individuel à la formation, que le texte leur reconnaît ; ils bénéficieront par ailleurs de l’établissement d’un système de dépenses obligatoires pour la formation des élus ou encore de l’organisation obligatoire d’une formation au cours de la première année de mandat.
Bien entendu, le diable se niche souvent dans les détails et le Sénat ne s’est pas fait faute de revenir ici ou là, – parfois de manière assez substantielle – sur certaines dispositions auxquelles l’Assemblée nationale avait pourtant souscrit ou qu’elle avait étoffées.
Cela dit, je crois qu’au plan des principes, il existe une réelle communauté de vues sur les voies – si ce n’est sur les moyens – d’une véritable amélioration des conditions d’exercice des fonctions électives locales. Bien souvent – nous le verrons –, les modifications apportées par les sénateurs ne reflètent pas une divergence d’objectifs. Elles traduisent plutôt un choix différent dans les moyens employés pour les atteindre. En tout cas, elles n’hypothèquent en rien la possibilité d’un accord. À cet égard, il convient de saluer ici le rôle joué par le rapporteur du texte au Sénat, M. Bernard Saugey, qui a su faire montre d’une certaine bienveillance dans l’analyse et la présentation des apports de l’Assemblée nationale.
Cet esprit de conciliation me porte à tirer ce second enseignement de l’examen du texte au Sénat : par-delà nos sensibilités personnelles, il ne tient qu’à nous d’apporter à ce dispositif les équilibres nécessaires à sa pleine et juste efficacité.
D’une part, il semble nécessaire d’affirmer – ou de réaffirmer – des règles relatives à l’exercice des fonctions électives et qui correspondent aux exigences démocratiques de notre temps. C’est dans cet esprit que je vous proposerai le rétablissement total ou partiel de la rédaction que nous avions retenue en première lecture sur plusieurs points décisifs, dont notamment le contenu de la charte de l’élu local – tout en renonçant à certains éléments qui ont suscité l’incompréhension de nos collègues sénateurs – et la modulation des indemnités des conseillers départementaux et régionaux à raison de leur participation aux travaux de la collectivité à laquelle ils appartiennent.
D’autre part, il importe de donner à la proposition de loi toute sa portée par un certain nombre de précisions ayant pour objet de renouveler les modalités de financement de l’allocation différentielle de fin de mandat, d’assurer l’exercice et les ressources du droit individuel à la formation, de garantir l’application outre-mer des dispositions de la proposition de loi et de préciser les conditions de valorisation des acquis de l’expérience professionnelle.
Dans cet esprit, il semble utile de prévoir que les dispositions financières entreront en vigueur au 1er janvier de l’année prochaine, et non à l’occasion du prochain renouvellement des assemblées concernées, prévu dorénavant en 2020 ou 2021.
Cependant, cette nouvelle lecture doit aussi permettre d’avancer, en écartant certains points sur lesquels il ne semble ni possible politiquement ni utile juridiquement de modifier le droit en vigueur. C’est ainsi que je vous proposerai d’abandonner la modification de la définition de la prise illégale d’intérêts.
Mes chers collègues, cette nouvelle lecture pourra nous permettre d’avancer de manière constructive vers la recherche d’un texte consensuel entre les deux assemblées que j’appelle de mes vœux.
M. Lionel Tardy. Cette proposition de loi, déposée au Sénat par Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Sueur, a été adoptée à l’unanimité des groupes politiques du Sénat. Même si des réserves ont pu être formulées à l’encontre de l’ambition poursuivie par ce texte, celui-ci comporte des nombreuses avancées, sans qu’il soit pour autant possible de conclure à la création d’un véritable statut de l’élu local.
Alors que la proposition de loi vise à faciliter l’exercice des mandats locaux, sur certains points, elle est plus rigide que le droit existant. C’est le cas de l’article 1er, qui fixe l’indemnité du maire au taux maximal mais empêche les communes de moins de 1 000 habitants de déroger à ce taux par délibération du conseil municipal.
La prise illégale d’intérêts y est également redéfinie, sans que le Sénat et l’Assemblée nationale ne soient pour autant parvenus à un accord sur cette nouvelle définition. Ce texte n’est vraisemblablement pas le véhicule législatif le plus adapté pour redéfinir cette incrimination.
La proposition de loi a enfin pour objet de consacrer dans la loi une charte des élus locaux. Le principe et le contenu de cette charte doivent être interrogés.
M. Olivier Dussopt. Je me réjouis de l’examen en deuxième lecture de cette proposition de loi qui comporte de nombreuses avancées. Au-delà du texte même qui nous est soumis, l’examen de celui-ci est l’occasion d’ouvrir un débat sur la responsabilité pénale des élus locaux.
En effet, le 12 décembre 2014, le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne a reconnu des élus de la Faute-sur-mer responsables de certains faits ayant causé la mort de certaines personnes et il les a, par conséquent, condamnés à des peines d’emprisonnement ferme.
Je ne souhaite aucunement commenter cette décision de justice, notamment par respect pour la mémoire des victimes et de leurs proches.
Cette décision judiciaire a toutefois le mérite de rappeler que les élus locaux peuvent voir leur responsabilité pénale personnelle engager dans le cadre de l’exercice de leur mandat et qu’ils encourent à ce titre des peines lourdes, y compris d’emprisonnement ferme.
Si ces peines peuvent être légitimes dans certaines circonstances particulières, il y en a d’autres où tel n’est pas le cas. Le régime de protection des élus, tel qu’il résulte notamment de la loi « Fauchon » du 10 juillet 2000 s’agissant des délits non intentionnels, n’est pas suffisant et mérite donc d’être débattu.
Il en va notamment ainsi de la possibilité qu’offre cette loi, pour une formation de jugement, de mettre en cause la responsabilité pénale de la collectivité, en tant que personne morale, plutôt que la responsabilité personnelle de l’élu lorsqu’il s’agit d’un délit clairement non intentionnel.
M. Yves Goasdoué. Si la présente proposition de loi contient des dispositions techniques, elle permettra en réalité au plus grand nombre de citoyens d’accéder à des fonctions électives.
Lors des événements tragiques de ces derniers jours, nous avons constaté combien, même dans les plus petites villes, les gens se sont rassemblés autour de leur maire et de leurs élus.
Les dispositions techniques contenues dans ce texte sont donc importantes, car elles vont permettre à des citoyens de s’engager sans pour autant devoir renoncer à leur carrière professionnelle ni devenir des élus professionnels, grâce notamment au droit à la formation et à la validation des acquis de l’expérience. Ce texte va ainsi permettre à de nouveaux citoyens de s’investir dans la vie publique.
M. Philippe Gosselin. Je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi, examen qui a été si longtemps reporté qu’il devenait des plus improbables.
L’objectif de départ de nos travaux était que le présent texte puisse être opérationnel à l’occasion du renouvellement des conseils municipaux de mars 2014. Or, compte tenu du retard pris dans l’examen du texte, certaines de ces dispositions ne pourront s’appliquer durant l’intégralité du mandat de ces élus.
Si le texte qui nous est soumis n’est pas le « statut » tant attendu, il permettra néanmoins d’assurer un réel engagement de tous les citoyens – et pas seulement des personnes retraitées ou issues des professions libérales –, en donnant aux élus les moyens d’exercer leur mandat dans les meilleures conditions.
L’opposition a d’ailleurs porté, depuis le départ, un regard bienveillant sur ce texte, sur lequel elle a formulé des propositions en vue de l’enrichir.
Contrairement à ce qui a été parfois avancé, la charte des élus présente un véritable intérêt, car elle offre une synthèse du droit existant et définit un état d’esprit. En effet, si toutes ses dispositions n’ont pas un caractère normatif, la charte consacre de manière solennelle les droits et devoirs des élus.
En dépit de certaines divergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale – en particulier sur la prise illégale d’intérêts –, j’insiste sur les avancées positives de ce texte qui reconnaît le plein engagement des élus locaux, qui œuvrent au quotidien dans le souci de l’intérêt général et du bien commun. Ils sont les animateurs de nos territoires et, sans eux, la République ne serait pas ce qu’elle est, comme l’a démontré, ces derniers jours, la mobilisation des citoyens autour des élus et des maires et ce, dans toutes les communes de France.
M. Paul Molac. Cette proposition de loi ne constitue pas un statut de l’élu : cependant, elle comporte un certain nombre de mesures allant dans le bon sens, ce qui explique que les députés écologistes la voteront.
Parmi ces mesures, peuvent être relevées celles qui concernent la fixation des indemnités des maires, dont l’engagement fait honneur aux élus et à la République ; mais aussi des mesures de responsabilité, telle que celle que nous avions votée en première lecture, supprimée par le Sénat et que plusieurs d’entre nous proposent de rétablir aujourd’hui, qui prévoit la modulation des indemnités des conseillers départementaux et régionaux en fonction de l’assiduité de ces élus. C’est une exigence que nous devons avoir.
M. le Président Jean-Jacques Urvoas. Dans le rapport intitulé Renouer la confiance publique remis le 6 janvier dernier par le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, M. Jean-Louis Nadal, au président de la République, il est amplement fait référence au rapport d’information déposé par Philippe Doucet et Philippe Gosselin sur le statut de l’élu, ainsi que sur les travaux de la présente proposition de loi, en soulignant en particulier l’intérêt de la charte de l’élu local. Il est ainsi intéressant de noter qu’avant même que ce texte soit définitivement adopté, il fait d’ores et déjà référence.
La Commission en vient à l’examen des articles restant en discussion.
Article 1er A (art. 432-12 du code pénal) : Définition de la prise illégale d’intérêts
La Commission examine l’amendement de suppression CL49 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement propose de supprimer l’article 1er A. C’est en effet l’absence de consensus sur cet article qui explique en grande partie pourquoi l’examen de ce texte en deuxième lecture n’a pas pu avoir lieu plus tôt. Le Sénat, l’Assemblée nationale mais aussi le Gouvernement ont campé sur des positions irréconciliables a priori.
Cette situation est d’autant plus paradoxale que les travaux de la mission d’information menée avec Philippe Gosselin ont montré qu’il existait un écart significatif entre l’état réel de la jurisprudence sur ce sujet et la perception que les élus locaux et leurs associations représentatives en avaient, à la suite de quelques affaires judiciaires retentissantes.
Aussi, modifier la définition de cette incrimination pouvait présenter un risque sur son interprétation juridique mais aussi sur la perception du grand public, tenté de voir dans cette évolution une loi destinée à protéger les seuls élus.
C’est pourquoi je vous propose de supprimer cet article. Cependant, j’ai également demandé à la garde des Sceaux de nous fournir avant l’examen en séance publique une note permettant de faire toute la lumière sur l’état réel de la jurisprudence et des condamnations effectives en matière de prise illégale d’intérêts.
La Commission adopte l’amendement CL49 de suppression de cet article.
Article 1er B (art. L. 1111-1-1 [nouveau], L. 2121-7, L. 3121-9, L. 4132 7, L. 5211-6, L. 7122-8 et L. 7222-8 du code général des collectivités territoriales) : Institution et proclamation d’une charte de l’élu local
La Commission examine l’amendement CL48 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cette charte n’a pas vocation à ajouter de nouvelles normes ou obligations juridiques, mais à rappeler solennellement des grands principes mal connus par les nouveaux élus non juristes lors de l’installation d’une assemblée locale nouvellement élue.
M. René Dosière. Cette charte est une bonne innovation. J’aurai cependant deux questions à poser au rapporteur.
Ses dispositions trouveront-elles à s’appliquer à l’Assemblée de la Polynésie française ? L’article 8 prévoit que ces dispositions s’appliquent aux communes et intercommunalités polynésiennes, mais ne le précise pas en ce qui concerne l’assemblée de la collectivité d’outre-mer.
Les collectivités territoriales prennent en charge les frais d’avocat dans le cadre de la protection juridique des élus qui sont poursuivis : lorsque ces poursuites aboutissent à une condamnation définitive des élus, est-il légitime que la collectivité assure cette prise en charge ? Ne faudrait-il pas que les élus concernés supportent ces frais ?
M. Guy Geoffroy. Le débat sur cette charte de l’élu local a déjà eu lieu lors de l’examen en première lecture.
La transparence est une vertu cardinale, mais elle doit être responsable. C’est ainsi qu’avec René Dosière, nous avions partagé la même analyse et proposé, dans le cadre de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale, de ne pas modifier les règles en ce qui concerne la publicité des délégations de vote. J’ai, depuis, reçu des messages d’insultes pour avoir osé reculer en matière de transparence, alors que cette proposition d’amendement n’était pas motivée par une volonté de cacher quoi que ce soit, mais par celle de prendre en compte la possibilité d’absences et les disponibilités de chacun d’entre nous au sein de notre assemblée.
Dans le même esprit, les dispositions de cette charte ne peuvent être considérées comme constituant de nouvelles prescriptions que découvriraient les élus locaux. Elle doit se contenter de rappeler ce qui existe dans notre droit, sans jeter une nouvelle suspicion sur les comportements des élus locaux.
Aussi je propose à notre rapporteur de rectifier la rédaction de son amendement afin de prévoir que les élus locaux « agissent à tout moment » conformément à la loi – et non « doivent à tout moment agir » conformément à celle-ci. L’usage de l’indicatif ne créerait pas une nouvelle prescription mais rappellerait le comportement normal de l’ensemble des élus locaux.
M. Philippe Gosselin. La charte de l’élu local vise à synthétiser les droits et les devoirs des élus locaux, sans affirmer de principes nouveaux. Sa lecture au moment de l’installation des assemblées délibérantes de l’ensemble des collectivités représentera un rite républicain qui doit permettre l’affirmation solennelle des responsabilités auxquelles accèdent les citoyens lorsqu’ils sont élus.
Je suis par ailleurs favorable à la modification rédactionnelle proposée par M. Geoffroy.
M. le rapporteur. M. Dosière, la disposition proposée s’appliquerait au sein des communes de la Polynésie française, mais non pas à l’Assemblée de la Polynésie française, dont le statut relève de la loi organique. La protection juridique des élus locaux s’applique dès le début de la procédure judiciaire ; il paraît difficile de la remettre en cause en fonction du résultat de cette procédure.
Je suis favorable à la proposition de rédaction de M. Geoffroy visant à substituer, au sein de l’amendement, les mots « et agissent à tout moment » aux mots « et doivent à tout moment agir ». Je partage également le point de vue de M. Gosselin concernant le rôle de la charte et l’intérêt d’instaurer un rite républicain lors de l’installation des assemblées délibérantes, comme il en existe déjà lors de l’acquisition de la nationalité française.
La Commission adopte l’amendement CL48 rectifié par le rapporteur.
Elle se saisit ensuite de l’amendement CL1 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Comme M. Jean-Frédéric Poisson, je regrette que la charte soit inscrite directement dans la loi et je pense qu’il aurait été préférable qu’elle y soit annexée ; elle a heureusement été synthétisée par rapport à sa version initiale.
Le point 3 de la charte prévoit que lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires faisant l’objet d’un examen par l’organe délibérant dont il est membre, l’élu local s’engage à les faire connaître avant le débat et le vote. Le prolongement logique de cette disposition est le retrait du débat et du vote. L’article L. 2122-6 du code général des collectivités territoriales prévoit que lorsque les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune, le conseil municipal désigne un autre de ses membres pour représenter la commune, soit en justice, soit dans les contrats. Un tel droit de retrait devrait être instauré pour les autres élus.
M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement, qui procède d’une lecture maximaliste de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales du code général des collectivités territoriales selon lequel « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires » : comme le rappelle le Conseil d’État, la simple présence du conseiller municipal ne suffit pas à remettre en cause la légalité de la délibération du conseil municipal. Le juge administratif vérifie si la participation de l’élu a été de nature à lui permettre d’exercer une influence sur le résultat du vote. Il n’existe donc pas de principe général qui obligerait l’élu local concerné à s’abstenir.
La Commission rejette l’amendement CL1.
Elle examine ensuite l’amendement CL47 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à affirmer que dans l’exercice de ses fonctions, l’élu local s’abstient de prendre des mesures lui accordant un avantage personnel ou professionnel futur après la cessation de son mandat et de ses fonctions.
M. Patrice Verchère. Cette disposition serait-elle applicable lorsqu’un maire achèterait, après la cessation de ses fonctions, un lot dans un lotissement communal qu’il avait pris l’initiative de réaliser ? Cette question se pose fréquemment dans de petites communes.
M. le rapporteur. La charte se limite à rappeler des principes généraux. En l’espèce, cette disposition ne s’applique pas si la décision d’achat ou de réservation du terrain était prise après la cessation des fonctions de maire. Néanmoins, au-delà des normes juridiques, les élus doivent tenir compte de la perception des citoyens. Lorsque j’ai exercé les fonctions de maire, j’ai ainsi eu l’occasion de dire aux membres du conseil municipal qu’ils auraient en tant qu’élus moins de droits que les autres citoyens, en raison de la perception par les habitants des risques de conflits d’intérêts. Pour cette raison, même s’ils auraient le droit d’obtenir un logement social, les élus doivent s’abstenir d’en bénéficier.
M. Patrice Verchère. Je m’interrogeais sur l’interprétation à donner à la notion d’avantage futur.
M. le rapporteur. Mes remarques valent également pour un maire qui a cessé ses fonctions : celui-ci devra prendre en compte l’opinion des habitants de sa commune au-delà même du strict respect des règles.
La Commission adopte l’amendement CL47.
Elle se saisit ensuite de l’amendement CL20 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Cet amendement vise à supprimer la référence à l’obligation pour l’élu local de rendre compte aux citoyens des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions. La fonction d’élu implique par elle-même de rendre compte et les décisions des collectivités sont publiques. Cette disposition paraît donc peu opérationnelle. Je souligne néanmoins l’intérêt pour tout élu de rendre compte de son action aux citoyens, au cours de son mandat ou quand il en sollicite le renouvellement.
M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Je suis d’ailleurs surpris que M. Gosselin fasse cette proposition, alors qu’il a lui-même opéré une distinction entre les dispositions juridiques relatives à la publication des décisions des collectivités territoriales et l’intérêt pour les élus de prendre en compte l’opinion publique, dimension qui doit être présente dans la charte.
La Commission rejette l’amendement CL20.
La Commission est saisie de l’amendement CL21 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Cet amendement propose de compléter la lecture officielle de la charte par une prestation de serment du maire et des adjoints devant le conseil municipal, afin de consacrer un véritable rite républicain et solennel. Je n’ignore pas qu’une telle pratique peut sembler tout droit sortie de la IIIe République et paraître désuète, mais j’y verrais une forme d’engagement nécessaire.
M. le rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement qui m’a cependant permis, avec les équipes de la Commission, de me replonger dans l’histoire constitutionnelle. Tout au long du XIXe siècle, il a existé des prestations de serment et de fidélité des responsables locaux au régime, au roi ou encore à l’empereur. Toutefois, ces pratiques ont précisément disparu avec l’avènement de la IIIe République. La loi du 5 avril 1884 a consacré, au contraire, l’élection du conseil municipal et du maire, quelle que soit la taille de la commune. C’est donc une tradition républicaine vieille de plus de 130 ans qui veut que seuls des responsables publics nommés doivent prêter serment. Les élus locaux, à l’inverse, détiennent leur mandat en raison de leur seule élection au suffrage universel et non d’un serment d’obéissance. Je partage le souhait de Monsieur Gosselin d’instaurer un rite solennel, mais il me semble que la lecture officielle de la charte suffit à cela et ne suis pas favorable à une prestation de serment.
M. Philippe Gosselin. Je me suis également intéressé aux travaux préparatoires de la loi de 1884. Les serments prêtés avant 1870 constituaient un acte d’allégeance d’un édile local, le plus souvent nommé, à l’égard d’une personne. Mon amendement propose évidemment une tout autre logique puisque maire et adjoints prêteraient serment de fidèlement remplir leurs fonctions devant le peuple qui les a élus.
La Commission rejette les amendements CL21 et CL22 de M. Philippe Gosselin.
Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL30 du rapporteur, puis rejette l’amendement CL23 de M. Philippe Gosselin.
La Commission adopte enfin l’amendement de rectification CL29 du rapporteur, puis rejette l’amendement CL24 de M. Philippe Gosselin.
La Commission adopte l’article 1er B ainsi modifié.
Article 1er bis A [supprimé] (art. L. 3123-16 et L. 4135-16 du code général des collectivités territoriales) : Réduction des indemnités des conseillers généraux et régionaux à raison de leur participation effective aux séances plénières et réunions des commissions
La Commission examine en discussion commune les trois amendements de rétablissement de cet article CL41 du rapporteur, CL2 de M. Lionel Tardy et CL9 de M. Paul Molac.
M. le rapporteur. Je propose de rétablir en substance le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, qui prévoyait une modulation des indemnités des élus départementaux et régionaux en fonction de leur participation effective aux travaux de l’assemblée délibérante. Il importe de rappeler que les élus locaux sont tenus par des devoirs, en l’espèce l’assiduité. Chaque collectivité restera libre de fixer les modalités de la retenue pratiquée sur l’indemnité des élus, dans le respect d’un plafond égal à la moitié de ladite indemnité.
M. Lionel Tardy. Je souhaite également rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale. Les citoyens exigent davantage d’implication de leurs élus et sont plus vigilants. Les arguments retenus par le Sénat pour supprimer cet article ne me paraissent pas pertinents. D’une part, la libre administration des collectivités territoriales n’est pas remise en cause par le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, qui laisse à chacune la liberté de fixer sa propre modulation. D’autre part, la circonstance que de nombreuses assemblées locales ont d’ores et déjà adopté une telle modulation me paraît démontrer, au contraire, que l’inscription de son principe dans la loi ne posera pas de problème majeur. Le rétablissement de cet article est de bon sens.
M. Paul Molac. Je partage cet avis et propose également le rétablissement du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.
M. Philippe Gosselin. Au-delà du symbole, la modulation qu’il est proposé de rétablir est une mesure propre à réconcilier les citoyens avec leurs élus. Toute peine mérite salaire, l’absence de peine mérite également une diminution du salaire.
Les amendements CL2 et CL9 sont retirés au profit de l’amendement CL41 du rapporteur, que la Commission adopte.
L’article 1er bis A est ainsi rétabli.
Article 2 ter (art. L. 2123-2 du code général des collectivités territoriales) : Extension du crédit d’heures pour les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants
La Commission adopte l’amendement de coordination CL40 du rapporteur, puis l’article 2 ter ainsi modifié.
Article 3 bis B (art. L. 3123-19, L. 3123-19-1, L. 4134-6, L. 4134-7 et L. 4135-19 du code général des collectivités territoriales) : Élargissement à l'ensemble des conseillers généraux et régionaux du dispositif de remboursement des frais d'aide à la personne
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL28 et l’amendement de coordination CL33 du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL39 du même auteur.
M. le rapporteur. Cet amendement se contente de déplacer de l’article 8 à l’article 3 bis B des dispositions relatives aux élus des collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
La Commission adopte l’amendement CL39, puis l’article 3 bis B ainsi modifié.
Article 4 (art. L. 2123-11-2, L. 3123-9-2, L. 4135-9-2 du code général des collectivités territoriales) : Extension du champ d’application de l’allocation différentielle de fin de mandat
La Commission examine l’amendement CL16 de M. Yves Goasdoué.
M. Yves Goasdoué. Cet amendement propose de revenir au texte adopté par l’Assemblée en première lecture. Afin d’élargir le recrutement des élus locaux, nous avons élargi les conditions de versement de l’allocation différentielle de fin de mandat en la portant à un an et en la rendant dégressive. Il nous semble normal que ce soit l’élu qui finance cette assurance, et non la collectivité territoriale par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations.
M. Philippe Gosselin. Cet amendement rapprocherait ainsi ce régime du droit commun applicable à tous nos concitoyens en prévoyant que les élus financent eux-mêmes leurs prestations assurantielles.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL16.
Puis la Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL38 du rapporteur et l’article 4 ainsi modifié.
Article 5 [rappelé pour coordination] (art. L. 613-3 du code de l’éducation) : Validation des acquis de l’expérience professionnelle des élus locaux
La commission examine l’amendement CL15 de M. Yves Goasdoué.
M. Yves Goasdoué. L’article 5 met en œuvre la validation des acquis de l’expérience des élus locaux. Ces dispositions s’insèrent au sein du code de l’éducation. Cependant, la loi du 5 mars 2014 a déjà ouvert cette possibilité aux conseillers municipaux, conseillers généraux et aux conseillers régionaux. En rappelant cet article pour coordination, cet amendement supprime cette redondance tout en étendant le bénéfice de ces dispositions à tous les élus locaux, y compris ceux des assemblées délibérantes des collectivités d’outre-mer.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL15.
L’article 5 est ainsi rédigé.
Article 5 bis (art. L. 2123-12-1, L. 3123-10-1, L. 4135-10-1, L. 5214-8-1, L. 5215-16-1, L. 5216-4-3 du code général des collectivités territoriales) : Droit individuel à la formation des élus
La Commission examine l’amendement CL17 de M. Yves Goasdoué.
M. Yves Goasdoué. Cet amendement propose de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, en rendant obligatoires les cotisations des élus finançant le droit individuel à la formation.
Ce dispositif aboutira à une mutualisation de ce financement quel que soit le niveau de ressources des collectivités.
M. Philippe Gosselin. Au moment où le Gouvernement réaffirme le droit à la formation tout au long de la vie, il importe de réaffirmer le droit à la formation tout au long du mandat d’élu local.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL17 de M. Yves Goasdoué.
La Commission examine l’amendement CL18 de M. Goasdoué.
M. Yves Goasdoué. Nous proposons de ramener de 3 % à 1 % le taux minimal de la cotisation prélevée sur les indemnités de fonction des élus locaux.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL18 de M. Yves Goasdoué.
La Commission examine l’amendement CL19 de M. Yves Goasdoué.
M. Yves Goasdoué. Il faut permettre aux élus locaux d’accéder à des formations qui dépassent le simple cadre d’une éventuelle « carrière » d’élu.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL19 de M. Yves Goasdoué.
La Commission examine l’amendement CL37 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement supprime les dispositions relatives au droit individuel à la formation prévues pour les élus des établissements publics de coopération intercommunale, celles-ci étant juridiquement superflues.
M. Philippe Gosselin. Le texte doit effectivement pouvoir concerner l’ensemble des élus.
La Commission adopte l’amendement CL37 du rapporteur puis l’amendement CL36 du même auteur.
Elle adopte ensuite l’article 5 bis ainsi modifié.
Article 7 : Entrée en vigueur
La Commission examine l’amendement CL27 du rapporteur.
M. le rapporteur. Compte tenu du décalage entre ce que prévoit le texte et la façon dont il a pu être perçu, il semble préférable de le rendre applicable dès le 1er janvier 2016.
La Commission adopte l’amendement CL27 du rapporteur.
En conséquence, les amendements CL3 de M. Lionel Tardy et CL10 de M. Paul Molac tombent et l’article 7 est ainsi rédigé.
Article 8 (art. L. 1811-2 [nouveau], L. 2573-5, L. 2573-7, L. 7125-12, L. 7125-12-1 [nouveau], L. 7125-14, L. 7125-22, L. 7127-12, L. 7127-12-1 [nouveau], L. 7127-14 et L.7127-23 du code général des collectivités territoriales, art. L. 121-30, L. 121-33-1, L. 121-36, L. 121-37, L. 121-38-1, L. 123-2-2, L. 123-4 et L. 123-4-1 [nouveau] du code des communes de la Nouvelle-Calédonie) : Application de certaines dispositions de la présente proposition de loi en Nouvelle-Calédonie, dans les collectivités d’outre-mer régies par le principe de spécialité législative et aux collectivités territoriales uniques de Guyane et de Martinique
La Commission adopte l’amendement CL46 rédactionnel et l’amendement CL26 de coordination, du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL45 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de préciser que les deux articles du code de l’éducation modifiés par ce texte sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
M. le Président Jean-Jacques Urvoas. Je profite de cet amendement pour vous indiquer que je me rendrai en Polynésie française en février prochain, à l’invitation de son président, afin de mesurer l’adaptation nécessaire du code général des collectivités territoriales aux spécificités géographiques de la Polynésie, les maires de ce territoire que j’ai reçus m’ayant d’ailleurs alerté sur le caractère parfois baroque des obligations que l’on faisait peser sur eux.
La Commission adopte l’amendement CL45.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels ou de coordination CL44, CL43, CL42, CL31, CL32, CL35 et CL34 du rapporteur puis l’article 8 ainsi modifié.
La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi, ainsi modifiée.
M. le Président, Jean-Jacques Urvoas. Je constate que la proposition de loi est adoptée à l’unanimité par la commission des Lois.
*
* *
La Commission procède au dépouillement des scrutins sur les nominations de M. Fabrice Hourquebie et Mme Évelyne Serverin au Conseil supérieur de la magistrature envisagées par le Président de l’Assemblée nationale.
Les résultats des scrutins auxquels il a été procédé sont les suivants :
Sur la proposition de nomination de M. Fabrice Hourquebie :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 2
Suffrages exprimés : 25
Avis favorables : 9
Avis défavorables : 16
Sur la proposition de nomination de Mme Évelyne Serverin :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 27
Avis favorables : 18
Avis défavorables : 9
La commission des Lois a émis un avis favorable à la nomination de Mme Evelyne Serverin en qualité de personnalité qualifiée membre du Conseil supérieur de la magistrature et un avis défavorable à la nomination de M. Fabrice Hourquebie en qualité de personnalité qualifiée, membre du Conseil supérieur de la magistrature.
Puis, simultanément à la commission des Lois du Sénat, la Commission procède au dépouillement sur les propositions de nomination de Mme Soraya Amrani Mekki et de M. Jean Danet en qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Sur la proposition de nomination de Mme Soraya Amrani Mekki :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 27
Avis favorables : 26
Avis défavorables : 1
Sur la proposition de nomination de M. Jean Danet :
Nombre de votants : 26
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 26
Avis favorables : 19
Avis défavorables : 7
La commission des Lois a émis un avis favorable aux nominations de Mme Soraya Amrani Mekki et de M. Jean Danet en qualité de personnalités qualifiées membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
– M. Dominique Raimbourg, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne (n° 2341) ;
– Mme Danielle Auroi, rapporteure sur la proposition de loi de Mmes Danielle Auroi, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre (n° 1519).
La séance est levée à 13 heures 15.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Danielle Auroi, M. Luc Belot, M. Dominique Bussereau, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann
Excusés. - M. Erwann Binet, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Patrick Devedjian, Mme Laurence Dumont, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Cécile Untermaier
Assistaient également à la réunion. - Mme Julie Sommaruga, M. Lionel Tardy