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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 15 avril 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 63

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Vice-président

– Examen de la proposition de loi de M. André Chassaigne, Mme Marie-George Buffet et plusieurs de leurs collègues relatives au droit de préemption des salariés (n° 2688) (Mme Marie-George Buffet, rapporteure)

– Examen de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, Mme Chantal Guittet et M. Jean-Pierre Le Roch et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export » (n° 2216) (Mme Chantal Guittet, rapporteure)

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président.

La Commission examine la proposition de loi de M. André Chassaigne, Mme Marie-George Buffet et plusieurs de leurs collègues relatives au droit de préemption des salariés (n° 2688) (Mme Marie-George Buffet, rapporteure).

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Mes chers collègues, je vous remercie de m’accueillir au sein de votre Commission en tant que rapporteure de la proposition de loi relative au droit de préemption des salariés. Ce texte, qui crée un droit nouveau pour les salariés, vise à répondre à un besoin exprimé encore ce matin par les employés de Gaillon, qui souhaitent pouvoir reprendre leur entreprise afin d’éviter sa délocalisation. Les chefs d’entreprise et les syndicalistes que nous avons auditionnés estiment du reste que, pour assurer le maintien des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), la piste du rachat par les salariés doit être explorée.

Le Conseil économique, social et environnemental indique dans un avis du 22 janvier 2013, que le modèle coopératif doit être modernisé afin de faciliter la reprise d’entreprise par les salariés. Celle-ci, ajoute-t-il, ne doit pas être réservée aux entreprises en difficulté, le modèle coopératif, notamment les sociétés coopératives et participatives (SCOP), peut apporter plus globalement une réponse à l’enjeu de la transmission de PME saines.

Chaque année, 17 000 entreprises, employant entre cinq et cent salariés font l’objet d’une transmission. Or, des milliers d’emplois sont détruits à cette occasion, soit parce que l’entreprise cesse ses activités faute de repreneur, soit parce qu’elle passe sous le contrôle d’acquéreurs dont la préoccupation est d’accroître leurs marges au détriment des emplois voire de délocaliser. Ainsi, nombreux sont les salariés qui subissent les ventes et reventes de leur entreprise et leur cortège subséquent de licenciements économiques.

Avant la loi du 31 juillet 2014, dite « loi Hamon », relative à l’économie sociale et solidaire, aucun dispositif n’offrait aux salariés de véritable possibilité d’intervenir sur le choix du repreneur ou de prendre part à la vente. La proposition de loi qui vous est soumise s’inscrit dans le prolongement de ce texte en renforçant le droit de préemption des salariés. Ce faisant, elle répond à la préconisation du Conseil économique, social et environnemental qui, dans son avis précité, prône « l’application d’un droit de reprise préférentiel aux salariés repreneurs dans le cas spécifique de fonds prédateurs dont l’action se solde par des destructions massives d’emplois et de savoir-faire dans les territoires ».

L’acquisition de TPE ou de PME par les salariés constitue en effet une solution efficace pour l’avenir de ces entreprises. De fait, ces derniers sont attachés au maintien de l’emploi, ne sont pas tentés de délocaliser et connaissent le fonctionnement de l’outil de production et du marché. Ce dispositif favorise donc le maintien des entreprises et de l’emploi dans nos territoires.

Si la proposition de loi laisse ouvert le choix de la forme juridique sous laquelle l’entreprise sera reprise, nous espérons que la structure coopérative sera privilégiée. Les sociétés coopératives sont soumises à des règles qui imposent que les résultats soient affectés en priorité à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise. Leur mode de gouvernance démocratique permet, en outre, de faire valoir les intérêts de la majorité des coopérateurs salariés. La transformation en coopérative équivaut ainsi un changement de modèle qui a bien des vertus. J’ajoute qu’économiquement, les coopératives ont fait leurs preuves puisque, selon la Confédération générale des SCOP, leur taux de pérennité à trois ans est de 77 %, contre 65 % pour l’ensemble des entreprises françaises, tandis que leur taux de rentabilité est identique voire légèrement supérieur à la moyenne.

La création d’un droit de préemption des salariés provoque un bouleversement culturel tel que leur formation et leur accompagnement ainsi que la formation et l’accompagnement du cédant sont nécessaires. On sait, en effet, qu’il est difficile pour un dirigeant de se séparer de son entreprise et, pour les salariés, d’envisager même de la gérer. Or, les acteurs que nous avons auditionnés soulignent combien l’anticipation, le temps de préparation du projet de reprise et l’accès au financement sont décisifs pour la réussite du projet. Certains d’entre eux ont par ailleurs suggéré des pistes de financement, qui vont du recours facilité à l’épargne salariale à l’extension des avantages fiscaux prévus dans la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 dite « Dutreil II ». Ces pistes méritent d’être explorées pour compléter la proposition de loi.

Cette dernière s’inscrit dans le prolongement des articles 18 à 20 de la loi « Hamon », qui créent un droit d’information des salariés sur les possibilités de reprise au moment de la cession de l’entreprise. Ainsi l’article 2 de la proposition de loi vise-t-il à permettre au comité d’entreprise de se faire assister d’un expert-comptable pour étudier un projet de reprise, et aux salariés d’accéder à la base de données économiques et sociales en cas d’offre de vente. Il sera possible de discuter ensemble d’un projet de reprise grâce à la création d’une heure mensuelle d’information syndicale. Il s’agit de consolider la procédure d’information afin d’accroître les chances de reprise par les salariés.

L’article 1er de la proposition de loi vise, quant à lui, à ajouter une étape à cette procédure d’information, en permettant aux salariés qui n’ont pas acheté le fonds de commerce ou les parts de l’entreprise au moment où ils ont été informés de la vente de rester prioritaires. Lorsqu’un employeur trouve un acquéreur, il doit le notifier aux salariés, les informer du prix et des conditions de la vente, et leur donner un accès aux documents comptables. Les salariés ont ensuite deux mois pour se substituer au nouvel acquéreur et devenir propriétaires de l’entreprise. L’opération est sans effet sur le chef d’entreprise vendeur, puisque toutes les clauses contractuelles demeurent inchangées à l’exception du nom de l’acheteur. La procédure est relativement simple et connue ; c’est celle d’une préemption.

La proposition de loi adopte l’ensemble des critères de la loi relative à l’économie sociale et solidaire : son champ d’application est le même ainsi que la taille des entreprises visées par le dispositif.

Certains se sont interrogés sur la constitutionnalité de la proposition de loi. Ainsi Mme la secrétaire d’État au Commerce a-t-elle fait allusion, hier, en réponse à une question d’actualité posée par le président André Chassaigne, à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 dite « Florange ». Cependant, le droit de préemption que nous proposons d’instituer ne porte atteinte ni au droit de propriété ni à la liberté d’entreprendre. Comme le précise le Conseil constitutionnel, « il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. » Or, je rappelle que notre Constitution protège le droit de chacun à avoir un emploi et que le combat contre le chômage et les délocalisations est un objectif d’intérêt général indiscutable.

De surcroît, cette proposition de loi est très en retrait par rapport au contrôle des structures en matière agricole, par exemple, ou à la loi « Dutreil II » précitée, qui autorise les communes à préempter des fonds de commerce et des baux commerciaux en faisant diminuer leur prix par le juge. Quant à nous, nous ne proposons rien de tel. Le propriétaire est respecté ; il n’est ni exproprié ni spolié ; il vend parce qu’il le veut au prix qu’il veut.

Mes chers collègues, cette proposition de loi a pour ambition de contribuer à la préservation des entreprises, notamment des TPE et des PME, donc de l’emploi, sur l’ensemble du territoire afin d’y maintenir une activité économique et sociale.

M. Jean-Michel Clément. Cette proposition de loi, disait madame la rapporteure, crée un droit et répond à un besoin. Mais comment en est-on arrivé à l’expression d’un tel besoin ? Le fait qu’il faille légiférer pour obliger les chefs d’entreprise à informer leurs salariés de leur intention de vendre leur affaire en dit long sur leur défiance envers leurs personnels.

La question de la pérennité des entreprises est essentielle. Or, plus on attend pour réaliser la cession, qui est l’acte de gestion le plus délicat, plus le risque de perte de substance est grand. Pour qu’une transmission soit réussie, elle doit, selon moi, comprendre celle du savoir, celle du pouvoir et celle de la propriété. Dans le cadre du droit de préemption, ces trois phases se trouvent rassemblées en une seule et unique opération, la préemption, ce qui créera inévitablement des difficultés.

Par ailleurs, le droit de préemption est, avez-vous dit madame la rapporteure, la suite du droit d’information. Or, il existe plusieurs exceptions à ce droit, qui n’est pas applicable en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession au conjoint, aux ascendants et aux descendants.

Ensuite, les chefs d’entreprise, lorsqu’ils font le choix d’un statut social, peuvent, par exemple, prévenir l’immixtion brutale de tiers dans le contrat de société en prévoyant que l’agrément des associés est toujours nécessaire. Je crains donc que les chefs d’entreprise n’anticipent la cession de leur entreprise en adaptant le statut de leur société de façon à ce que le droit de préemption ne puisse pas s’exercer.

Enfin, il est prévu, afin d’encourager la création de sociétés coopératives, que des salariés regroupés pourront reprendre l’entreprise. À cet égard, le délai de deux mois paraît toutefois très court pour permettre aux salariés de se mettre d’accord sur une proposition collective, de réunir les capitaux et de créer la société.

Pour ces différentes raisons, je crains que l’on ne parvienne pas à atteindre l’objectif assigné. Je ne suis pas opposé à cette proposition de loi, loin s’en faut, mais elle est à parfaire. C’est pourquoi j’envisage de m’abstenir, en souhaitant que nous puissions revenir plus précisément sur un certain nombre de points lors de l’examen du texte en séance publique.

M. Alain Tourret. Le projet de loi Macron, dont j’étais l’un des rapporteurs, prévoit la possibilité pour le juge d’imposer la cession d’une entreprise en difficulté à des repreneurs présentant un plan de sauvetage crédible, c’est-à-dire un dispositif assez semblable à celui de la proposition de loi. Quelles difficultés avons-nous rencontrées ?

Tout d’abord, il faut définir précisément l’intérêt général, qui s’apprécie par rapport au bassin d’emploi. Ensuite, le Conseil d’État, que nous avions sollicité, a estimé, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi « Florange », qu’il n’était pas possible de prévoir une telle procédure pour des entreprises de moins de cinquante salariés – c’est pourquoi nous avons finalement retenu celles comptant au moins 150 salariés. Or, j’ai cru comprendre que la proposition de loi visait les entreprises de moins de 249 salariés. Il me paraît donc difficile qu’en l’état, le texte passe l’obstacle du contrôle de constitutionnalité, car le Conseil constitutionnel est très sourcilleux sur le respect du droit de propriété.

M. Paul Molac. Cette proposition de loi reprend l’amendement que le groupe écologiste avait déposé sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire et qui tendait à imposer au chef d’entreprise le respect d’un délai de deux mois sous peine de nullité de la vente. Cette proposition avait suscité une levée de boucliers des chefs d’entreprise. J’ai bien conscience des difficultés soulevées par M. Clément, mais le maintien des entreprises relève de l’intérêt général. Certaines pratiques ont en effet des conséquences délétères sur l’aménagement du territoire – je pense à ces dépeceurs qui reprennent une entreprise pour la fermer et n’en conserver que le carnet d’adresses afin de conforter leur propre activité. Cette préoccupation est pour moi essentielle. Je soutiens donc la proposition de loi, ne serait-ce que pour qu’elle fasse l’objet d’une discussion approfondie en séance publique.

M. Dominique Raimbourg, président. Madame la rapporteure, je souhaiterais que vous m’apportiez une précision. L’article 2 distingue entre, d’une part, les entreprises dans lesquelles il existe un comité d’entreprise et dont les salariés peuvent obtenir des informations par le biais de l’expert-comptable qu’ils mandatent, et, d’autre part, les petites entreprises dont les salariés ne sont informés qu’au moment de la cession. Est-ce bien cela ?

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Oui, monsieur le président.

Je crois qu’il nous faudra sans doute améliorer le texte d’ici au 7 mai lors de son passage en séance plénière, mais il vise bien les TPE et les PME. Leurs dirigeants ont en effet besoin d’aide pour trouver des repreneurs susceptibles de poursuivre leur œuvre, car ils sont souvent face à des prédateurs.

En ce qui concerne le délai de deux mois, tous nos interlocuteurs estiment qu’un temps d’information, voire de formation, est indispensable, notamment pour réunir les moyens nécessaires à la reprise. Il me semble que nous pouvons envisager de modifier ce délai, en prenant garde toutefois de ne pas mettre en difficulté le dirigeant de l’entreprise. J’insiste sur le fait que cette proposition s’inscrit dans le prolongement de la loi « Hamon », dont les dispositions, je l’espère, ne seront pas remises en cause lors de la deuxième lecture du projet de loi pour la croissance et l’activité, dit « Macron ». Monsieur Tourret, vous avez raison, il convient sans doute de préciser l’intérêt général en faisant référence aux bassins d’emploi.

En tout état de cause, je vous remercie pour vos interventions, et j’espère que nous pourrons enrichir cette proposition de loi lors de son examen en séance publique.

La Commission en vient à l’examen des articles, lesquels ne font l’objet d’aucun amendement.

Article 1er (art. L. 23-10-13, L. 23-10-14, L. 141-33 et L. 141-34 [nouveaux] du code de commerce) : Droit de préemption des salariés

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 (art. L. 2142-12 [nouveau], L. 2323-7-2 et L. 2325-35 du code du travail) : Information des salariés

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

*

* *

Puis la Commission procède à l’examen de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, Mme Chantal Guittet et M. Jean-Pierre Le Roch et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export » (n° 2216) (Mme Chantal Guittet, rapporteure).

Mme Chantal Guittet, rapporteure. Mes chers collègues, je vous remercie de m’accueillir au sein de la commission des Lois pour vous présenter cette proposition de loi très attendue par les entreprises exportatrices, dont je rappelle qu’elles contribuent à la réduction du déficit de notre balance commerciale et sont soumises aux rigueurs de la compétition internationale.

La proposition de loi participe de la volonté du Gouvernement de lever les obstacles législatifs et réglementaires auxquels les entreprises sont confrontées. Elle ne menace aucun droit, ne marque aucun recul ; il s’agit d’un simple ajustement technique dont devrait résulter un accroissement des commandes pour nos entreprises, donc, à terme, des créations d’emploi.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie (LME) en 2008, le délai de paiement entre les entreprises ne peut excéder quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Toutes les transactions entre entreprises françaises sont soumises à cette règle, sauf si elles concernent des denrées périssables. Le dépassement du délai est sanctionné, aux termes de l’article L. 442-6 du code de commerce, d’une amende de 15 000 euros pour les particuliers et de 375 000 euros pour une personne morale.

Cette disposition, qui vise à éviter qu’une grande entreprise ne mette en péril les PME qui la fournissent en réglant ses factures en retard, pose toutefois un problème aux entreprises qui vendent à l’international. Le droit international, en l’occurrence la convention de Vienne de 1980, laisse en effet une complète liberté de choix aux parties pour la fixation des délais de paiement, sous réserve que personne ne soit lésé dans la négociation. Quant au droit européen, il fixe, par une directive du 16 février 2011, un délai de soixante jours tout en laissant aux cocontractants la possibilité de s’entendre, à condition qu’il n’y ait pas d’abus.

Ainsi, alors que la France ordonne un délai de quarante-cinq jours fin de mois ou de soixante jours à compter de la facture, le reste du monde, notamment certains pays européens comme la Belgique, laisse une entière liberté aux commerçants. L’entreprise française subit un effet ciseau : elle doit payer ses fournisseurs immédiatement et accepter d’être rémunérée par ses clients plus tard pour s’adapter au marché international. Une telle situation, outre qu’elle entraîne des frais de trésorerie, nuit à la compétitivité de nos entreprises, leur fait manquer des contrats et détruit des emplois.

Les exportations indirectes réalisées par les sociétés de négoce indépendantes atteignent un montant de 36 milliards d’euros par an. Ces 4 600 entreprises comptant plus de 35 000 salariés, ainsi placées dans une situation de faiblesse concurrentielle, sont finalement incitées par le code de commerce à choisir un fournisseur européen, dont les délais de paiement sont négociables, plutôt qu’un fournisseur français. Selon les Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), chaque fois que les négociants indépendants substituent à 1 % de leurs achats auprès des producteurs français des achats à l’étranger, 360 millions d’euros de chiffre d’affaires sont perdus par les usines et les agriculteurs français et entre 3 500 et 7 000 emplois quittent le territoire national. Cette hémorragie doit cesser !

C’est pourquoi la proposition de loi vise à dispenser les entreprises de « grand export », c’est-à-dire exportant hors de l’Union européenne, de l’encadrement des délais de paiement issu de la loi de modernisation de l’économie. Dans l’Union européenne, la directive de 2011 déjà évoquée apporte, malgré ses défauts, un début de réponse satisfaisante.

Cette initiative est saluée par les entreprises qui exportent, mais elle inquiète leurs fournisseurs, qui redoutent de voir la charge de trésorerie se reporter sur eux. Il faut entendre cette inquiétude.

À cet égard, le texte initial excluait déjà les grandes entreprises exportatrices du bénéfice de la dérogation, d’abord pour prévenir les clauses abusives et l’abus de domination, ensuite parce que ces entreprises ont un certain poids dans les négociations internationales ou peuvent trouver des solutions pour financer leur trésorerie. Mais, pour apaiser les craintes des fournisseurs, je vous proposerai par amendement d’assouplir, plutôt que de supprimer, l’encadrement réglementaire, en concédant des délais de paiement un peu plus longs aux entreprises exportatrices : quatre-vingt-dix jours à compter de la facture si le fournisseur est une PME et cent vingt jours s’il s’agit d’une grande entreprise. Nous offririons ainsi plus de liberté aux exportateurs tout en maintenant le contrôle auquel sont attachés leurs fournisseurs.

La législation actuelle constitue de fait un véritable barrage à l’achat des productions françaises destinées au grand export, donc à la valorisation du « made in France » à l’international. Les productions étrangères se voient en effet conférer un avantage comparatif évident à cause d’une malheureuse distorsion légale. Nous vous proposons de rendre à nos entreprises la possibilité de lutter à armes égales avec leurs concurrentes internationales, sans pour autant sacrifier la sécurité économique apportée aux fournisseurs par la loi de modernisation de l’économie.

M. Jean-Pierre Le Roch. La loi de modernisation de l’économie a plafonné les délais de paiement entre entreprises à quarante-cinq jours fin de mois ou à soixante jours à l’émission d’une facture. La loi relative à la consommation du 17 mars 2014 a renforcé cette règle en créant un régime de sanctions administratives. Par ailleurs, une directive européenne a étendu au marché communautaire le plafonnement de ces délais à soixante jours. Notre pays a fait le choix d’un encadrement strict des délais de paiement alors que la directive européenne autorise les parties, sociétés de négoce et fournisseurs, à négocier par voie contractuelle un délai supérieur à soixante jours. Nos entreprises doivent ainsi composer avec des délais de paiement hors Union européenne à cent vingt jours, voire cent cinquante jours ou plus, notamment dans le transport de conteneurs, et subissent un effet ciseau et des problèmes de trésorerie. Je rappelle que 10 % des exportations françaises seraient concernées pour un montant d’environ 33 milliards d’euros. Le problème est d’autant plus aigu que l’entreprise de négoce est petite ; or, il s’agit très souvent de petites et moyennes entreprises.

Dès lors, les négociants, soit sélectionnent leurs clients, soit se tournent vers des fournisseurs autres que français, puisque les Belges et les Italiens dérogent à la directive européenne, soit délocalisent leur siège pour pouvoir négocier leurs délais de paiement.

Or, les sociétés de négoce, qui font de l’achat-revente au « grand export », sont un des piliers de l’appareil exportateur français. Elles représentent environ 10 % du commerce extérieur de la France et sont un relais indispensable des entreprises françaises à l’international. Elles offrent en outre des compétences qui manquent à nos entreprises, en particulier celles qui débutent à l’export, et constituent une interface pour le développement de leurs exportations. Ce type de sociétés est du reste une des forces des économies allemande et japonaise, qui se sont appuyées très tôt sur ces entreprises spécialisées dans la commercialisation de produits pour pallier l’inexpérience de leurs acteurs nationaux.

M. Bernard Gérard. Cette proposition de loi reprend un amendement que madame la rapporteure avait déposé sur le projet de loi relatif à la consommation, amendement qui avait été adopté par notre assemblée puis supprimé en commission mixte paritaire. Il est en effet incontestable que nos entreprises exportatrices pâtissent du décalage existant entre les délais de paiement de leurs clients à l’international, qui sont plus longs, et ceux de leurs fournisseurs nationaux, régis par la loi de modernisation de l’économie. En instaurant une dérogation aux délais de paiement pour les entreprises de « grand export », on répond donc à une préoccupation importante. C’est pourquoi le groupe UMP ne s’opposera pas à cette proposition de loi, qui permettra à des entreprises françaises d’être plus compétitives, qu’il s’agisse des entreprises exportatrices ou de leurs fournisseurs, de taille plus modeste, qui sont concurrencés par des entreprises belges ou italiennes.

Je rappelle du reste que, lors de l’examen d’autres textes, certains de nos collègues UMP ont proposé d’amender la législation existante sur ce point, notamment en faveur de secteurs comme celui du jouet, à l’activité saisonnière. Il est en effet important de trouver des ajustements qui, sans dénaturer la loi, permettent de s’adapter à la réalité d’un marché. J’ajoute que la proposition de loi prévoit des verrous et des pénalités afin d’éviter les excès. Il nous appartiendra de vérifier que nous restons effectivement dans l’épure de la loi de modernisation de l’économie, qui a permis aux entreprises françaises de reconstituer leur trésorerie.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. L. 441-6 du code de commerce) : Dérogation à l’encadrement des délais de paiement

La Commission est saisie de l’amendement CL1 de la rapporteure.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. Afin d’apaiser les craintes de certains fournisseurs, nous proposons de fixer le délai de paiement maximal à cent vingt jours lorsque le fournisseur est une grande entreprise ou une entreprise de taille intermédiaire et à quatre-vingt-dix jours lorsqu’il s’agit d’une petite et moyenne entreprise ou d’une micro-entreprise.

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL2 de la rapporteure.

La Commission adopte ensuite l’article 1er modifié.

Article 2 (art. L. 441-6-1 du code de commerce) : Dérogation à la communication au ministre chargé de l’économie des informations sur les délais de paiement

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Puis elle adopte, à l’unanimité, l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à 10 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, Mme Marie-George Buffet, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. Philippe Doucet, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Chantal Guittet, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Hervé Morin, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jacques Valax, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Laurence Dumont, Mme Françoise Guégot, Mme Sandrine Mazetier, M. Jean-Jacques Urvoas