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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 16 décembre 2015

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du Numérique, auprès du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique sur le projet de loi pour une République numérique (n° 3318) (M. Luc Belot, rapporteur)

– Communication sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence.

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique, sur le projet de loi pour une République numérique (n° 3318).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le projet de loi pour une République numérique a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale la semaine dernière. Nous accueillons ce matin, pour nous le présenter, Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Nous examinerons les articles du projet de loi le 13 janvier prochain.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Le projet de loi pour une République numérique a fait l’objet d’un long travail préparatoire, selon une méthode originale, et même inédite : il a d’abord, en effet, été alimenté par une consultation publique lancée par le Conseil national du numérique, ce qui a permis à un très grand nombre d’acteurs concernés par ce sujet de s’exprimer. Cette consultation a duré six mois, et des réunions publiques ont été organisées dans plusieurs régions. Le Conseil national du numérique a ensuite rendu un rapport, qui a été à l’origine de la stratégie numérique du Gouvernement. Le projet de loi a ensuite été rédigé puis soumis à l’ensemble de nos concitoyens grâce à une plateforme en ligne, en toute transparence. Cette étape a permis d’apporter au texte des modifications très substantielles — plus de quatre-vingt-dix changements ont été opérés, et cinq articles ont été ajoutés. C’est donc d’une véritable co-construction de la loi qu’il s’est agi. Le texte a été vraiment enrichi. Je forme le vœu que cette méthode soit reprise dans le futur.

Le projet de loi a ensuite été soumis pour avis à l’ensemble des autorités administratives qui devaient être saisies conformément à la loi. Il a enfin été envoyé au Conseil d’État, et présenté en Conseil des ministres le 9 décembre dernier.

Il se compose de trois titres, que l’on peut résumer de façon très rapide en un volet économique, un volet sociétal et un volet social. Mais je précise tout de suite que ces trois catégories se mêlent. Ainsi, il est bien difficile de traduire en français la notion de privacy : on peut parler de respect de la vie privée ou de contrôle des données personnelles. Or ces données ont aujourd’hui – le modèle de tous les géants de l’internet le montre – une immense valeur économique.

La donnée est au cœur de l’essor du numérique dans l’économie et dans la société : ce projet de loi veut donc construire le socle juridique de son traitement, dans un sens d’ouverture, de libre circulation et de rediffusion, notamment des données publiques, et cela dans un environnement qui conforte la confiance des utilisateurs. Il n’y a pas de numérique sans confiance.

Le titre Ier est consacré à la circulation et à la diffusion des savoirs, des connaissances et des données. Il porte notamment sur la politique de l’open data, c’est-à-dire de l’ouverture des données : les données publiques seront désormais ouvertes par défaut. Cela nécessitera un changement culturel au sein de l’administration : les données doivent non seulement être ouvertes pour garantir la transparence de l’action publique, donc pour renforcer la démocratie, mais aussi pour promouvoir l’innovation, puisque ces données peuvent être utilisées par les entreprises pour créer de nouveaux produits et proposer de nouveaux services. Nous créons aussi une nouvelle mission de service public : la mise à disposition et la publication des « données de référence » en vue de faciliter leur réutilisation – ces données de référence devant être publiées dans des formats déterminés à l’avance. Les administrations devront donc mettre en place de véritables stratégies d’utilisation de leurs données – qui n’étaient pas jusqu’ici utilisées au mieux.

Nous créons également une nouvelle catégorie juridique, les « données d’intérêt général ». En effet, certaines données ne sont ni purement publiques, au sens où elles seraient produites par des administrations, ni complètement personnelles, rattachées à des individus, ni entièrement privées ou commerciales, même si elles le sont peut-être au départ. Ces données, il est pourtant de l’intérêt de tous qu’elles soient partagées avec la puissance publique, dans la mesure où leur contrôle par les seules entreprises privées qui ont signé des contrats avec l’État – sous forme de convention, de délégation de service public… – ne permet pas qu’elles soient utilisées de façon optimale.

Concrètement, aujourd’hui, une collectivité locale n’a pas toujours accès à toutes les informations sur l’exploitation de son service public de l’eau : elle ne peut donc pas les utiliser pour définir ses politiques publiques. Cet outil nouveau sera très important, en particulier pour les collectivités territoriales qui doivent faire des choix en matière de transport, d’énergie…

D’autres dispositions portent sur la possibilité laissée aux chercheurs de publier leur recherche de manière libre et ouverte : à l’issue d’un délai d’embargo, l’exclusivité signée avec un éditeur commercial sera levée. C’est l’une des conditions de la diffusion et du rayonnement international de la recherche française : nous accédons là à une demande très forte des chercheurs. C’est l’esprit de la culture numérique, puisqu’il s’agit de partager les savoirs de façon aussi large que possible, afin, entre autres, d’assurer la diversité de l’expression de ces savoirs sur la toile.

Le titre II crée de nouveaux droits pour nos concitoyens, en se fondant sur la notion de confiance. Nous introduisons pour la première fois dans notre législation la notion de neutralité de l’internet : il s’agit de garantir un accès ouvert et non discriminatoire au réseau. Nous introduisons également le principe de libre disposition des données personnelles, ce qui constitue un renversement de la logique de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 : celle-ci posait des principes en fonction du traitement réservé aux données personnelles, l’accès et la rectification se faisant auprès de tiers qui devaient être enregistrés auprès de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Ici, nous remettons l’accent sur le particulier, l’individu, qui doit être souverain sur l’usage de ses données personnelles. L’actualité a pu, ces dernières années, faire douter de la réalité de la protection de la vie privée sur internet, avec une multiplication des fuites de données personnelles en raison de failles de sécurité et de cyberattaques, comme il y en a eu beaucoup après l’attaque contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Il faut donc rétablir la confiance : le renforcement du régime juridique des données personnelles y contribuera.

Le principe général de libre disposition des données personnelles se décline de plusieurs façons : portabilité des données, mort numérique, droit à l’oubli pour les mineurs…

Le titre III, enfin, concerne l’accès au numérique. Le Gouvernement a toujours considéré le numérique comme un objet politique : il n’y a pas de République numérique sans un numérique pour tous nos concitoyens, et particulièrement pour ceux qui sont en situation de handicap. C’est pourquoi plusieurs dispositions portent sur l’accessibilité des sites internet des administrations, sur les services après-vente en ligne des grandes entreprises, sur les services de téléphonie mobile.

D’autres dispositions portent sur un sujet qui concerne tout particulièrement les députés : le numérique dans les territoires. Chacun a conscience qu’il est urgent d’accélérer le déploiement du numérique, afin que les services publics, les particuliers, les entreprises puissent en disposer : le projet de loi prévoit des outils qui doivent permettre cette accélération. Ces outils doivent aussi permettre aux collectivités locales de se préoccuper non seulement des tuyaux, mais aussi du contenu et des usages, afin que nos politiques publiques soient autonomes en la matière. Nous voulons encourager l’e-médecine, l’e-éducation, l’e-gouvernance ou l’e-administration. Nous permettons donc aux collectivités locales d’étendre leurs schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique (SDTAN) par un volet relatif aux usages.

M. Luc Belot, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, je reviens sur quelques-uns des sujets que vous venez d’aborder. Open data, open access, data mining, plateformes, neutralité du net… Voilà des termes qui ne sont pas fréquemment entendus au Parlement, alors qu’ils occupent largement les discussions économiques et les négociations internationales, voire l’actualité — ainsi, le principe de la sphère de sécurité (safe harbor) a été annulé par la Cour de justice de l’Union européenne il y a quelques semaines. Je pourrais en citer d’autres, qui apparaissent dans ce projet de loi : le e-sport, le droit à l’oubli pour les mineurs… Nous avions nous-mêmes, à l’occasion de l’audition du vice-président du Conseil d’État, évoqué le droit à l’autodétermination informationnelle dont le Conseil traitait dans son étude annuelle 2014. Mais nous abordons peu ces sujets et, à bien des égards, le monde numérique semble échapper aux réglementations, aux codes, aux lois.

Aussi l’enjeu de ce texte n’est-il rien moins que la confiance. Le Parlement a voté, en 2004, une loi pour la confiance dans l’économie numérique ; ce projet de loi doit établir la confiance dans la société numérique. Chaque citoyen, en France comme en Europe, doit pouvoir avoir confiance dans les acteurs numériques français, européens, mondiaux.

On parle souvent d’incapacité à réguler et à encadrer le monde numérique. Le fait est que le Parlement a souvent très mal légiféré. J’évoque régulièrement la loi anti-Amazon, qui visait à interdire à cette entreprise d’accorder à tous ses clients la gratuité de la livraison, afin d’assurer le respect de la réduction maximale de 5 % sur le prix d’un livre. La livraison gratuite s’est transformée en livraison à un centime, et cette loi – que nous avions pourtant passé du temps à écrire – a perdu toute portée, parce qu’elle ne visait qu’à réguler une seule plateforme. C’est certainement le travers dans lequel nous tombons le plus souvent : viser un seul acteur. Il me semble que c’est également le problème que présente la loi relative aux taxis et aux voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), qui me semble difficilement applicable.

Rien ne justifie que les pouvoirs publics renoncent à intervenir dans le monde numérique. Mais cette intervention doit être adaptée. Vous avez su, madame la secrétaire d’État, ne pas céder à la tentation d’un simple rattrapage fiscal pour des opérateurs mondiaux, le plus souvent américains, qui ne paient pas d’impôts : certains voudraient pour cette raison prévoir des règles supplémentaires, des obstacles, des blocages. Ce n’est pas l’esprit de ce texte, et c’est un point que je salue.

Cela n’enlève rien à la portée réelle du projet de loi. Vous travaillez sur la réalité des droits des citoyens, sur leur capacité à exister dans ce monde numérique, à disposer librement de leurs données personnelles au lieu de n’être que les jouets de grandes entreprises : c’est bien l’angle d’attaque le plus pertinent.

Je veux remercier ici tous ceux de nos collègues, nombreux, qui se sont investis dans le travail de préparation de ce texte et qui ont assisté aux auditions – nous avons commencé à entendre différents acteurs dès que le texte a été soumis au Conseil d’État, c’est-à-dire que ces auditions durent déjà depuis près de quatre semaines. Nous avons travaillé avec les commissions des affaires sociales, des affaires européennes, des affaires économiques, des affaires culturelles – avec cette dernière, nous avons établi un véritable partenariat, notamment sur les questions relatives aux universités et à la recherche, principalement l’open access et le data mining. Le lobby de l’édition peut être très puissant : il faut pouvoir entendre le point de vue des uns et des autres et conserver cette volonté de partir du citoyen et de ses droits. C’est ce qu’a su faire ce texte. La confiance se construit, elle ne se décrète pas : il faudra beaucoup expliquer, et beaucoup rassurer. Je ne doute pas que la commission des Lois saura répondre aux inquiétudes.

La semaine dernière, en séance publique, nous avons voté le projet de loi de transposition de la directive dite « ISP » – Informations du secteur public de 2013, qui porte notamment sur l’open data et la gratuité des données publiques. Nous devrons revenir sur ce sujet. J’invite notamment la Commission à se pencher sur l’article 106 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), dont bon nombre de collectivités locales n’ont pas encore perçu tout l’intérêt et toutes les conséquences. Nous devrons aussi traiter des plateformes, de la loyauté et de la portabilité, voire prévoir un encadrement.

Ce texte est donc très large. J’ai cité l’accessibilité et la recherche, je n’ai pas encore cité la mort numérique et la question patrimoniale ou pseudo-patrimoniale : que deviennent nos données après notre mort ? Les données personnelles font-elles partie de la succession ? Les auditions sur ce point ont été particulièrement riches.

Madame la secrétaire d’État, ce texte très attendu s’est longtemps appelé « loi numérique » : certains observateurs s’attendaient à un texte traitant aussi des écosystèmes numériques, des start-up, de leur financement, de leur fiscalité. Ce n’est pas le cas, et vous avez choisi un titre plus précis. Cette question du titre reviendra à coup sûr dans nos discussions, mais pouvez-vous expliquer les raisons de ce choix ?

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. On comprend bien la nécessité d’une application rapide de ses dispositions. Néanmoins, eu égard à l’ampleur des sujets traités, au grand nombre de codes modifiés, à la nécessaire précision de ce texte, écartez-vous totalement l’idée d’une deuxième lecture ?

S’agissant de l’open data, un débat s’est ouvert sur la gratuité des données publiques. Quelle est aujourd’hui votre position ? Nous avons évoqué en séance publique, lors des débats sur la transposition de la directive ISP, le modèle de freemium, où les données sont d’abord gratuites puis deviennent payantes en fonction de l’importance des données utilisées, de leur qualité ou de la fréquence de leur mise à jour, par exemple. Mme Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification, avait pris, en séance, l’engagement que le Gouvernement retravaillerait sur ce sujet.

S’agissant de la loyauté des plateformes, vous avez choisi d’inscrire ce texte dans le cadre du droit de la consommation. J’y vois un avantage certain : le texte s’appliquera aux acteurs nationaux, mais aussi internationaux, notamment les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon. Mais cela limite aussi la portée du texte au business to consumer, le business to business étant finalement peu concerné, alors qu’il constitue un véritable enjeu, dans le domaine par exemple des moteurs de recherche et des classements que ceux-ci proposent.

Comment, enfin, ce projet de loi s’articule-t-il avec les textes européens en cours d’élaboration, et attendus dès le début de l’année prochaine ? Nous avons appris hier que le projet de règlement général sur la protection des données pourrait par exemple permettre d’interdire l’accès des réseaux sociaux aux enfants de moins de seize ans.

Mme la secrétaire d’État. Je commence par vous remercier, monsieur le rapporteur, de votre implication très forte dans la préparation de ce texte.

Vous m’interrogez sur son titre : loi pour une République numérique. Tout débat de nature politique sur ce titre sera naturellement le bienvenu. Vous faites référence à d’autres titres qui ont existé, notamment «  projet de loi relatif à l’ambition numérique de la France  ». Jamais dans notre histoire législative un texte n’aura fait l’objet d’une telle transparence : toutes les versions martyres qui ont circulé ont été connues du grand public et étroitement analysées par les journalistes, qui m’interrogent souvent sur les raisons qui ont conduit à introduire ou au contraire à supprimer telle ou telle mesure. Dans un cadre plus ordinaire, où les projets de loi ne sont connus que lorsqu’ils sont présentés en Conseil des ministres, ce ne serait pas possible. Il sera sûrement intéressant pour les chercheurs, plus tard, d’examiner la genèse de ce texte.

Ce texte ne comporte pas, c’est vrai, de chapitre relatif au financement des entreprises, et en particulier des jeunes entreprises innovantes. N’y voyez pas une absence de volonté politique : ce n’est absolument pas le cas ; nous faisons énormément pour favoriser les écosystèmes d’innovation, avec l’Initiative French Tech, avec des dispositifs de financement mis en place dans le cadre de la Banque publique d’investissement… Mais nous n’avons repéré aucune mesure législative qui permettrait d’aller plus loin, sauf peut-être dans le domaine fiscal, mais celui-ci relève de la loi de finances.

De nombreux pays ont choisi, pour renforcer leur attractivité économique, de se donner des titres : Israël s’est ainsi appelé la start-up nation, Londres a mis en avant la Tech City, et chacun connaît la Silicon Valley californienne. La France aurait sans doute du mal, culturellement, à se définir comme « la nation des start-up ». La France est une République ; elle peut devenir la République des start-up.

Mais la République numérique va bien au-delà : il faut prendre conscience de la profondeur des bouleversements sociaux, économiques et culturels qu’entraîne le numérique : il révolutionne nos façons de travailler, de produire, de consommer, d’apprendre, d’enseigner, de communiquer… Parfois, notre appareil institutionnel n’est plus en phase avec ces évolutions si rapides. Il faut donc adapter le logiciel républicain, tout en restant fidèle à nos valeurs. Ce texte parle de liberté, de fraternité et d’égalité : liberté d’accès au savoir et aux données, accès égal au réseau, solidarité entre les territoires.

Quant à la procédure accélérée, elle présentait notamment l’avantage de permettre l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale sans respecter totalement le délai prévu entre le passage en Conseil des ministres et le dépôt au Parlement. Nous avons ainsi gagné quelques jours. Cette procédure ouvre également, c’est exact, la possibilité de ne faire qu’une seule lecture dans chaque assemblée. Il va de soi qu’un tel choix serait fait en concertation avec les parlementaires, et que nous ne le ferons que si les lectures des députés et des sénateurs sont assez concordantes. Il ne s’agit bien sûr en aucune façon de brider le Parlement : j’ai justement beaucoup insisté sur la nécessité de la transparence et du débat public. Je suis tout à fait persuadée que le numérique doit cesser d’être réservé aux experts et aux techniciens : les enjeux sont si forts qu’il est indispensable que la représentation nationale se les approprie. Quelque décision que nous prenions, soyez assurés qu’elle le sera en concertation avec les parlementaires, notamment avec les présidents des commissions saisies au fond.

Vous m’interrogez également sur la gratuité de l’open data, c’est-à-dire des données produites par les administrations et ouvertes. Ce sont des questions qui peuvent paraître complexes : ces données, dont la production est financée par le contribuable, doivent-elles être vendues ou mises gratuitement à disposition ? Certains argueront qu’elles n’appartiennent pas aux administrations, mais à nos concitoyens, et devraient donc être gratuites. D’autres avanceront que des organismes comme l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) doivent justement, pour remplir leur mission de service public, se reposer sur un modèle économique et être rémunérés pour la mise à disposition des données qu’ils produisent : dès lors, il faudrait introduire un système de redevance. Cette question aurait en effet pu se poser dans le cadre de la discussion du projet de loi présenté par Mme Clotilde Valter, mais le Gouvernement a préféré, pour que le débat soit vraiment global, l’inscrire dans ce projet-ci. Le Gouvernement travaille notamment sur la possibilité d’établir un système de complémentarité, en étroite collaboration avec les organismes concernés, afin de ne pas leur imposer un schéma qui mettrait en péril leur existence.

La logique qui a aujourd’hui mes faveurs est celle que l’on appelle freemium : les données sont gratuites au début, pour des usages modestes ou restreints, puis deviennent payantes au fur et à mesure qu’on les utilise de façon plus importante, et notamment pour les grandes entreprises qui en font un usage intensif, pour du big data. Plus précisément, les données seraient gratuites si elles sont reversées de manière libre et ouverte à la communauté, notamment sur le portail du Gouvernement : c’est la licence Share Alike. En cas de refus, les données seraient payantes à partir d’un certain volume de données consommées. C’est la solution vers laquelle se dirige le Gouvernement, mais cela devra naturellement faire l’objet d’un débat avec les parlementaires.

Vous m’interrogez également sur la loyauté des plateformes, c’est-à-dire des services d’intermédiation proposés en ligne, souvent par de très grands acteurs de l’internet – réseaux sociaux, moteurs de recherche, places de marché… En apparence, il est très difficile de leur appliquer les droits traditionnels, ceux qui ont jusqu’ici régi la sphère économique en France et en Europe : droit de la concurrence, droit de la consommation, droit fiscal… Dans un monde par essence international, la question de l’application de la loi territoriale se pose. Le sentiment qui domine, de façon frappante, c’est que l’on ne peut rien faire : il existe un véritable lobby de l’impuissance publique, souvent à partir du constat que ces entreprises ne paient pas l’impôt sur les sociétés à la hauteur de ce qu’elles devraient payer.

Mais c’est faux, totalement faux ! La réalité, c’est que ces entreprises respectent la loi nationale sur bien des sujets, notamment dans le domaine du droit de la consommation. Mais les obligations qui s’imposent à elles sont aujourd’hui très légères, bien plus que celles qui s’imposent dans d’autres secteurs. Nous introduisons donc une obligation de loyauté des plateformes. Elles devront d’abord délivrer aux consommateurs une information claire, loyale et transparente.

L’obligation d’autorégulation doit également se traduire par la publication des « bonnes pratiques » : que font ces entreprises des données personnelles, comment les utilisent-elles ? Quel est le volume de ces données ? Aujourd’hui, les pouvoirs publics ne savent presque rien de ces nouvelles pratiques commerciales, dont la régulation doit être faite à l’échelle européenne. Le Gouvernement français a été très actif sur ce chantier, avec le gouvernement allemand : c’est, je crois, notre volontarisme qui a permis d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour des travaux de la Commission européenne. Mais, pour réguler, il faut disposer d’informations et de données objectives sur les comportements de ces nouveaux acteurs. Comme l’ont fait les Allemands, comme sont en train de le faire les Britanniques et les Américains – qui ont créé une administration spécifique –, nous voulons désormais amasser ces informations. Pour cela, nous passons par l’autorégulation.

Enfin, l’obligation de loyauté concerne les avis en ligne – ceux que l’on peut consulter avant de réserver un hôtel ou un restaurant, comme avant d’acheter un lave-linge. On ne sait pas toujours si l’avis que nous lisons est authentique, ou s’il a été publié par le vendeur lui-même, voire par un robot. Nous proposons donc un processus qui doit permettre au consommateur d’évaluer l’authenticité de l’avis.

Vous m’interrogez enfin sur l’articulation de notre travail avec celui que mène le Gouvernement à Bruxelles. Elle est étroite. Deux textes européens pourraient concerner ce texte, à commencer par le règlement européen relatif aux données personnelles que nous avons déjà évoqué. Il se trouve que, sur ce texte, un accord a été trouvé hier entre le Conseil européen et le Parlement européen. Nous avons donc très bon espoir que ce texte soit adopté rapidement et promulgué au premier semestre de l’année 2016. Il faudra alors peut-être ajuster la loi française, au cours des discussions parlementaires. À aucun moment des dispositions que nous proposons ne heurtent l’esprit du règlement européen.

En ce qui concerne les plateformes, la Commission européenne travaille en ce moment sur leur rôle économique et nous sommes fortement engagés dans ce processus. Dans ce projet de loi, nous avons justement fait le choix de modifier le code de la consommation ; nous ne modifions pas le droit de la concurrence, qui est essentiellement européen et sur lequel travaille la Commission.

M. Bernard Gérard. Madame la secrétaire d’État, je ne suis pas entièrement convaincu par le titre du projet de loi, mais là n’est pas l’essentiel. Disons que je prends la République numérique comme un immense défi. C’est un défi qui concerne notre société, mais aussi l’Europe et le monde : il n’a pas de frontières.

Je suis pour ma part préoccupé par notre jeunesse, et j’ai déposé une proposition de loi relative au cyber-harcèlement ; elle a été cosignée par plus de quatre-vingts députés. Internet n’a pas été conçu pour les enfants, qui se trouvent seuls face à lui. Je regrette que ce projet de loi ne comporte aucune mesure sur cette question, et je proposerai des amendements pour le compléter. Lorsque des parents achètent un téléphone portable pour leurs enfants, rien ne les met en garde sur les risques de cet outil nouveau  –dont le téléphone n’est aujourd’hui que la septième fonction, bien après la photographie et l’accès à internet. À mon sens, lorsque l’on souscrit un abonnement, il faudrait une mise en garde, et les opérateurs de téléphonie devraient avoir l’obligation de fournir certaines applications.

Au-delà de ce qui est fait aujourd’hui, car l’éducation nationale prend des initiatives, c’est vrai, il faut agir contre le cyber-harcèlement. Nous devons protéger les enfants et leurs familles contre les risques d’internet.

M. Philippe Gosselin. On pourrait dire, en paraphrasant un certain grand auteur, que le XXIe siècle sera numérique ou ne sera pas.

Il s’agit ici de répondre à de nouveaux besoins, de développer des outils adaptés à l’intention des particuliers, des usagers des services publics et des entreprises – en la matière, les attentes sont grandes –, de créer de nouvelles formes d’activité autour de l’open data – je préfère quant à moi parler d’ouverture des données –, cet extraordinaire gisement de matières premières dont la gratuité est en question et devra être débattue au cours de nos futurs travaux. Il s’agit aussi de croissance et d’innovation, un domaine dans lequel le développement du numérique nourrit bien des espoirs, même s’il soulève aussi nombre de questions.

Annoncé en début de législature, puis reporté, le projet était très attendu. Il a été élaboré selon une procédure originale. On parlait sous la précédente législature de « coproduction législative » ; en l’espèce, on a adopté une approche citoyenne que je trouve sincèrement intéressante.

Le titre du texte est ambitieux, peut-être un peu trop – j’y reviendrai. On espère en tout cas ne pas vivre l’an I de la République numérique : la Constitution de l’an I, jamais appliquée, n’a pas laissé d’impérissables souvenirs…

Quant au contenu, le texte balaie l’ensemble des sujets d’actualité et des questions les plus attendues : la circulation des données du savoir, l’ouverture des données publiques et la création d’un service public de la donnée, les missions de la CNIL et de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) – un rapprochement s’esquisse à moyen terme et cette perspective, conjuguée aux conclusions du rapport sénatorial sur les autorités administratives indépendantes, ne peut que donner matière à réflexion –, les droits nouveaux, la neutralité de l’internet, l’accès au réseau, la loyauté des plateformes – autant de questions qui ont trait à la protection de la vie privée. Quant au «  numérique pour tous  », au-delà de la formule, qui rappelle d’autres slogans, il devra être confirmé.

Au total, en première approche, il y a de bonnes choses dans ce texte. Les droits du consommateur, voire du citoyen, sont accrus avec la portabilité des données des fournisseurs, le droit à l’oubli pour les mineurs, le sort des données après le décès. Mais les sujets de critique l’emportent sur les motifs de satisfaction.

Le premier problème est le calendrier. Le texte vient trop tard par rapport à la loi de Mme Clotilde Valter relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. D’un autre côté, l’« arche de Noé », c’est-à-dire le projet de loi « Macron 2 » sur les nouvelles opportunités économiques, va réserver au numérique une place importante. Bref, votre projet, madame la secrétaire d’État, est pris entre le marteau et l’enclume.

Viennent ensuite les critiques du Conseil d’État. Certes, une partie d’entre elles tombe sans doute d’elle-même puisque le texte sur lequel elles portaient n’est pas exactement le même que celui qui a été présenté en Conseil des ministres. Il reste que le Conseil d’État «  déplore l’insuffisance de l’étude d’impact qui, sur plusieurs sujets, n’évalue pas les incidences des mesures prévues par le texte  » ; or l’objet même d’une telle étude n’est-il pas d’éclairer non seulement la représentation nationale, mais aussi les décideurs ? Le Conseil relève également le caractère insuffisamment normatif de certaines dispositions, ce qui nous rappelle certain rapport annuel sur la «  loi bavarde  » – un problème auquel je sais le président de la commission des lois particulièrement sensible. Le Conseil constate enfin le «  décalage entre le contenu du projet de loi et son titre  » et va jusqu’à proposer un nouveau titre que nous pourrions reprendre par voie d’amendement : «  projet de loi sur les droits des citoyens dans la société numérique  ». Évidemment, c’est moins « classe » ; par ailleurs, la notion de « citoyens » n’est pas sans rapport avec celle de « République » ; toujours est-il que cette proposition mérite l’attention.

Au-delà de ces problèmes auxquels il est sans doute possible de remédier, l’impression se dégage d’un village gaulois qui résiste, voire qui s’enferme dans une législation trop franco-française. Un règlement européen est en cours de négociation ; vous y avez fait référence, madame la secrétaire d’État. Certes, des rapprochements ont eu lieu au cours des derniers jours, en particulier hier, mais à petite vitesse. Au cours de la précédente législature, alors que je siégeais à la commission des affaires européennes, j’avais déposé et fait adopter un projet de résolution européenne sur la protection des données ; c’était avant juin 2012, et le règlement dont nous parlons était déjà en gestation. Quatre ans se sont écoulés et je doute qu’il soit achevé avant l’examen du présent texte, prévu le 13 janvier en commission et du 19 au 21 en séance. Autrement dit, l’encre qui aura servi à l’écrire sera à peine sèche que votre loi sera déjà en décalage avec le règlement. Rappelons qu’un règlement est obligatoire dans toutes ses dispositions et d’application directe, à la différence d’une directive : il ne nécessite aucune transposition.

Votre projet sera rapidement promulgué puisqu’il fait l’objet d’une procédure d’urgence — ce que je dénonce, madame la secrétaire d’État. J’ai entendu vos arguments : il ne s’agit pas de tuer le débat parlementaire dans l’œuf. Je trouve néanmoins quelque peu fâcheux que celui-ci soit moins généreux que ne l’a été le débat public et citoyen, que j’approuve par ailleurs. Sans doute est-ce une manière de nous ramener à la condition moyenne qui est la nôtre sous la Ve République, mais je n’en suis pas d’accord.

Bref, nous risquons d’aboutir à deux textes contradictoires. Le Conseil d’État le disait il y a quelques semaines déjà, il sera «  difficile d’apprécier la parfaite adéquation [de certains articles] aux règles européennes en cours d’élaboration  ». Le dépôt de nos amendements pourrait être compliqué par cette concomitance.

Enfin, les réponses que le projet esquisse aux besoins de couverture numérique de l’ensemble du territoire ne sont ni assez concrètes ni assez précises. Or cet aspect est essentiel pour les territoires ruraux. Je vois que mon collègue Yves Goasdoué, de l’Orne, approuve : comme la Manche, son département a une politique numérique très volontariste, mais tous les départements ruraux ne sont pas logés à la même enseigne et je doute que la République numérique aille jusqu’à ces districts, pour filer la métaphore révolutionnaire. D’autant que je ne constate pas de grandes avancées quant au financement du dispositif – mais peut-être y aura-t-il des annonces à ce sujet.

Au total, si ce texte, intéressant du fait des questions qu’il soulève, mérite quelques satisfecit, il n’est pas tout à fait à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Je ne suis pas sûr qu’il devienne une grande Constitution de la République numérique. Il est vrai que l’on a vu des républiques en chasser d’autres !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je tiens pour ma part à saluer le travail de titan accompli par Mme la secrétaire d’État. L’élaboration du texte, remarquable, s’est fondée sur une démarche véritablement citoyenne qui a permis à chacun de prendre part au processus législatif. En outre, contrairement à ce qui vient d’être dit, l’étude d’impact, qui ne compte pas moins de 147 pages, offre toutes les explications que l’on veut bien y trouver. J’en remercie le Gouvernement.

Merci également au rapporteur d’avoir organisé un marathon d’auditions qui nous a permis de formuler nos demandes et qui a beaucoup apporté au texte.

J’en viens à mes questions.

Je doute que le fonds de solidarité pour le logement (FSL), déjà fortement mis à contribution pour payer les factures d’eau, de gaz et d’électricité des plus démunis, soit en mesure de financer leur accès à internet comme le prévoit le texte. Ne faudrait-il pas envisager une autre solution ?

L’open data est une ambition nécessaire, mais il faut entendre les inquiétudes de certains acteurs, s’agissant notamment des pertes de financement. Le débat devrait nous permettre d’obtenir des explications sur ce point.

La possibilité laissée aux services publics industriels et commerciaux (SPIC) de préserver une redevance ne risque-t-elle pas d’entraver la circulation des données et des savoirs ?

Aux termes du texte, les administrations vont bénéficier de longs délais avant l’entrée en vigueur de l’open data. Ne pourrait-on faire varier ces délais en fonction des situations ? Pourquoi ne pas fixer une règle générale d’entrée en vigueur différée qui pourrait être ramenée à un an, le délai étant porté à deux ans lorsque l’administration fait état de difficultés techniques rencontrées dans la mise en œuvre de la mesure ?

Les grandes entreprises peuvent facilement payer les données, à la différence des start-up qui en ont pourtant besoin pour se développer. Ne pourrait-on réserver la gratuité à certaines entreprises seulement ?

Comment le Gouvernement envisage-t-il de concilier la législation nationale avec celle qui est en cours d’élaboration au niveau européen ?

En ce qui concerne le handicap, nous avons reçu hier avec Mme Pochon des sourds et malentendants qui nous ont dit préférer le terme d’« interprétation » à celui de « traduction ». Il faudra également s’interroger sur les mesures destinées aux autres formes de handicap. On peut avoir un handicap et être mauvais lecteur.

Envisagez-vous de promouvoir les logiciels libres ?

J’en viens à la couverture réseau. Je pense moins aux territoires ruraux qu’aux outre-mer où l’on peut être privé de la 4G, de la 3G, voire de la 2G, et parfois du téléphone, par exemple en Guyane. Qu’est-il envisagé pour remédier à ce problème ?

Vous parlez de mieux utiliser le numérique. Mais ne faudrait-il pas faire en sorte que les conditions générales d’utilisation soient mieux et plus clairement rédigées, de manière à être compréhensibles par tous ? Souvent, pour ne pas avoir à lire un texte long et difficile écrit en petits caractères, on accepte les conditions générales d’utilisation (CGU) d’un clic, au risque de méconnaître ses droits.

En ce qui concerne la loyauté des plateformes, tout le monde y est favorable et elle a fait l’objet de concertations, mais cela suffira-t-il à la garantir ? Un sujet, vous le savez, me tient particulièrement à cœur : le droit à l’oubli physique pour les mineurs, c’est-à-dire l’écrasement physique des données. Nous devons y insister : ce droit doit être consacré.

En prison, un accès contrôlé à internet peut permettre aux détenus de préparer leur réinsertion. Ainsi, une prison centrale pour femmes que j’ai visitée propose une formation au secrétariat dans le cadre de laquelle un tel accès, naturellement régulé, peut être nécessaire.

Enfin, les jeunes sont nombreux à écouter de la musique sur leur smartphone et il leur arrive d’être bloqués par leur opérateur. N’y a-t-il pas, dans ce domaine aussi, quelque chose à faire ?

Mme Delphine Batho. Je salue l’arrivée devant notre Assemblée de ce projet de loi très attendu, dont la méthode d’élaboration est exemplaire par sa transparence et par la manière dont elle a mis la société civile à contribution.

Le texte comporte d’importantes avancées. J’approuve le choix de son titre ; je souhaite même que l’on aille jusqu’au bout de la logique qui y préside. Le projet, en effet, ne répond pas entièrement à cette question fondamentale : comment la souveraineté s’exerce-t-elle dans le cyberespace ? Telle est la question lancinante qu’ont posée les parlementaires de tous les groupes lors du débat préparatoire en séance publique. Entre-temps est intervenue la très importante décision, évoquée par le rapporteur, de la Cour de justice de l’Union européenne, qui dit clairement que les données des citoyens européens sont exploitées en toute illégalité aux États-Unis, ce qui révèle une défaillance de la régulation européenne et nationale.

Moi qui ai voté avec enthousiasme le projet de loi sur le renseignement, parce qu’il me paraît absolument normal que nos services aient les moyens de faire leur travail dans le cyberespace, je trouve paradoxal que les défenseurs des libertés ne s’émeuvent pas davantage de ce captage massif des données, exploitées notamment à des fins commerciales, sans que ne s’applique la moindre règle visant à protéger les droits des citoyens.

Les données sont la matière première ; elles sont en quelque sorte le capital de cette nouvelle économie du big data. Le problème est que les catégories juridiques de la loi de 1978 ne sont plus adaptées aux systèmes technologiques que nous connaissons aujourd’hui. En effet, cette loi prend en considération des données individuelles, même si elle intègre l’idée essentielle que celles-ci peuvent renseigner «  directement ou indirectement  » sur un individu ; or, actuellement, c’est à un réseau de données que nous sommes confrontés. De ce point de vue, l’article 26 du projet de loi, aux termes duquel tout citoyen a le droit de contrôler ses données, est problématique. Car, en laissant un tiers accéder à mes données, je lui offre aussi l’accès à celles de toutes les personnes figurant dans mon carnet d’adresses, avec qui j’ai eu un rendez-vous, qui ont posté des commentaires sur ma page Facebook, etc. On ne peut plus isoler les données personnelles les unes des autres.

Ce réseau de données solidaires rattachées aux personnes appelle une nouvelle approche juridique : les données ne peuvent plus être traitées que comme un bien commun. Dès lors, si l’on veut favoriser l’open data, le partage des données publiques et l’économie numérique, se pose la question du chiffrement lorsqu’il s’agit de gérer ce bien commun. Il faut, en effet, différents niveaux d’ouverture et de protection des informations qui se rattachent aux personnes. Les textes juridiques qui le permettront ne seront pas faciles à rédiger.

Je ne crois pas à l’autorégulation des plateformes. Il faudra, même si ce n’est pas au niveau européen, établir une règle de domiciliation juridique et fiscale à la source des données. On ne peut pas laisser exploiter les données des citoyens sans imposer la valeur ainsi créée et sans permettre d’en appeler à la justice en cas de défaillance.

M. François Vannson. Mon analyse de l’économie générale du texte est proche de celle de mon collègue Philippe Gosselin.

Je profite de l’occasion pour appeler une nouvelle fois votre attention, madame la secrétaire d’État, sur la nécessité d’assurer une desserte équilibrée de nos territoires par le haut et le très haut débit. Nous légiférons et améliorons les textes concernant le numérique ; encore faut-il que nos territoires aient accès à l’ensemble des données disponibles.

Certes, l’article 35 va permettre aux collectivités de s’engager encore davantage pour la desserte haut et très haut débit de leurs territoires. Mais quand un département doit mobiliser pour cela une masse financière considérable, à l’image des Vosges qui lancent un programme de 60 millions d’euros pour que 85 % des Vosgiens bénéficient de cette desserte en 2018, il a bien besoin du soutien de l’État dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. De tels projets sont essentiels à l’aménagement du territoire.

Mme Élisabeth Pochon. Madame la secrétaire d’État, je tiens à vous dire à mon tour combien j’apprécie le titre de votre projet de loi. La République numérique est peut-être un doux rêve, une utopie — que l’on espère raisonnable. Quoi qu’il en soit, j’ai envie d’y adhérer tant est bienfaisante, par les temps qui courent, l’idée que le numérique nous permet de renouer avec les valeurs de la République grâce à la liberté des échanges, l’égalité de tous les citoyens et, peut-être, la fraternité entre utilisateurs.

Je vous remercie de toutes les avancées que comporte le texte, et dont certaines me tiennent particulièrement à cœur. La première est la mise en ligne des données par les administrations, qui est très attendue par les associations œuvrant pour l’environnement ou dans le domaine économique et social, auxquelles elle épargnera d’incessantes recherches documentaires.

Ensuite, le droit à l’oubli renforcé pour les mineurs est essentiel à leur protection. Je sais, pour avoir très longtemps travaillé avec des jeunes, que leur engouement en cette matière n’a d’égale que leur naïveté, qui leur est préjudiciable aujourd’hui ou le sera après coup.

Une dernière chose. Je suis coprésidente, avec Mme Marianne Dubois, du groupe d’études sur la langue des signes ; mon parcours m’a sensibilisée à l’expérience des sourds et malentendants ; mon suppléant est sourd. Le numérique représente pour ces personnes une avancée extraordinaire ; ils s’en sont emparés, ils l’utilisent quotidiennement. Les revendications qu’ils expriment à ce sujet sont légitimes. Lors d’un débat sur la langue des signes que nous avons organisé récemment, il est apparu qu’ils attendaient beaucoup de la perspective d’un relais téléphonique, pour communiquer non pas entre eux, mais avec des entendants, lesquels veulent eux aussi converser avec les sourds de leur entourage. En somme, les sourds ne sont pas les seuls à s’intéresser à cette possibilité : pourquoi devraient-ils seuls payer un surcoût, même à un tarif abordable ? Madame la secrétaire d’État, je relaie auprès de vous cette demande de justice. Pouvez-vous y réfléchir et y travailler avec l’ensemble des opérateurs ?

Mme Cécile Untermaier. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de la méthode inédite à laquelle vous avez eu recours, fondée sur l’appel collaboratif aux citoyens. Comme vous, je crois opportun de s’appuyer ainsi sur l’intelligence collective. Il convient néanmoins de rester prudent et de s’assurer que la plateforme citoyenne préserve la liberté d’expression des internautes. J’étudie ces questions avec M. Dominique Raimbourg dans le cadre de nos travaux sur le Parlement ouvert ; nous avons été très heureux de vous entendre à ce sujet.

Quant au fond, je suis très sensible à l’ouverture des données publiques. Il s’agit d’une véritable révolution, au sens premier du terme : ce sera désormais à l’administration de mettre ces données en ligne spontanément et gratuitement, et non plus à l’usager de les chercher vainement, au point de devoir parfois saisir la CADA lorsqu’il n’obtient pas de réponse — même si l’administration a fait de gros efforts de communication depuis quelque temps. Espérons que la mesure sera efficace, ce qui suppose que l’administration soit dotée des outils nécessaires à la mise à disposition des données. S’agissant de l’accès des chercheurs aux données, je vous félicite : voilà un juste retour des choses, si l’on se souvient que c’est à des universitaires que nous devons l’invention d’internet.

L’idée que le citoyen doit être souverain dans l’usage qu’il fait de ses données personnelles est louable, mais ne doit pas rester un vœu pieux, même si ce n’est pas facile. Il faut y associer l’exigence de protection de l’enfant, sur laquelle mon collègue a insisté tout à l’heure. Nous devons réfléchir aux moyens de préserver les enfants des messages fallacieux que l’on peut trouver sur internet. Je dois avouer mon sentiment d’impuissance face à des attaques en ligne discriminatoires, médiocres, mais qui bénéficient d’une totale impunité. C’est donc un vaste chantier qui s’ouvre devant nous.

En travaillant sur le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, j’ai découvert à quel point celle-ci était présente sur internet. Ainsi, 90 % des médicaments proposés en ligne sont faux. Il y a là aussi un enjeu majeur en matière de consommation ; je ne doute pas que vous saurez en tenir compte, dans la mesure qui sera nécessaire.

S’agissant de l’accès au numérique, je souscris entièrement aux propos de Mme Élisabeth Pochon ; si elle dépose un amendement, je le signerai et je ne doute pas que vous y serez sensible, madame la secrétaire d’État.

Vous l’avez dit vous-même, l’accès au numérique est un objet politique. Nous le voyons bien dans les projets de loi qui nous arrivent. Dernièrement encore, à propos des règles applicables à l’élection présidentielle, nous avons renoncé à une diffusion par internet à cause de l’insuffisante couverture numérique des territoires, particulièrement ruraux. Le déploiement du numérique à l’intention des entreprises comme des particuliers est donc une urgence ; vous en avez d’ailleurs convenu.

Je profite de l’occasion pour vous dire combien il est difficile de mobiliser les opérateurs : malgré les fonds publics avancés, malgré la bonne volonté des élus, nous déplorons une grande inertie et une lenteur pour le moins paradoxale dans le domaine qui nous intéresse.

Je félicite le Gouvernement de son initiative et le rapporteur de son travail.

Mme Colette Capdevielle. Ce texte qui pose les fondements d’une République numérique se prête particulièrement à la méthode utilisée ; ce n’est pas le cas de tous, mais il faudra renouveler cette expérience très positive.

Monsieur Gosselin, la procédure d’urgence n’empêche pas le débat ; j’en veux pour preuve celui qui nous occupe aujourd’hui. Nous avons un mois pour continuer de travailler sur le texte et préparer nos amendements. Quant à l’étude d’impact, comme l’a rappelé Mme Chapdelaine, elle fait 147 pages ; j’y ai pour ma part trouvé les réponses aux questions que je me posais.

Ma première question concerne la démocratie participative. Madame la secrétaire d’État, êtes-vous prête à ouvrir le texte à tout ce qui favorise la participation citoyenne, l’exercice actif par les citoyens de leurs droits, l’expression démocratique, notamment le vote, par l’intermédiaire du vote par procuration ou de la diffusion de la propagande électorale ?

En ce qui concerne les publics fragiles, les plus exposés – cela a été dit – sont les mineurs. Or, aujourd’hui, ils savent contourner le contrôle parental ; j’ai récemment été saisie d’un dossier de ce type. D’un côté, il est essentiel que les mineurs aient accès au numérique, à des fins pédagogiques ou pour nourrir leurs échanges ; de l’autre, ils sont particulièrement vulnérables, parce qu’ils ne sont absolument pas protégés par le droit en vigueur. Ainsi, il leur est très facile d’accéder à des sites pornographiques ou pédopornographiques. Il faudra donc bien que le texte s’attelle à la protection des mineurs, qui est une nécessité impérative.

Le projet protège fort opportunément le secret des correspondances, mais il est un autre aspect de la vie privée auquel le numérique peut porter gravement atteinte et qui mérite lui aussi d’être préservé : le droit à l’image.

Enfin, j’aimerais que nous utilisions autant que possible la langue française ; vous y avez veillé en rédigeant le texte, j’espère que nous en ferons autant dans nos amendements. Efforçons-nous d’éviter les anglicismes et les mots anglais, puisque nous avons à notre disposition une langue merveilleuse qui nous fournit tous les mots dont nous pouvons avoir besoin. Vous venez vous-même, madame la secrétaire d’État, d’un pays où cet effort est systématique. Entendons-nous bien : j’adore la langue anglaise ! Mais ce n’est pas parce que nous parlons du numérique qu’il faut systématiquement y recourir.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je salue d’autant plus volontiers le processus d’élaboration de ce texte qu’une association de mon département, les Webs du Gévaudan, y a beaucoup participé ; son fondateur, M. Pierre Ygrié, est un grand spécialiste du numérique.

Madame la secrétaire d’État, vous déclariez récemment dans Le Midi libre que la France, l’Allemagne et l’Espagne ont plaidé pour que l’Union européenne se montre plus souple en matière d’aides d’État, afin de permettre aux régions rurales d’avoir accès à un internet plus rapide. Pourquoi la France ne peut-elle assumer directement la couverture numérique du territoire ? Pourquoi les opérateurs n’ont-ils pas d’obligation d’aménagement du territoire ? Ils pourraient y consacrer l’argent qu’ils gagnent dans ce secteur.

Vous souhaitez renforcer les missions de la CADA et de la CNIL, entre lesquelles vous suggérez même un rapprochement. Pourquoi ne pas aller jusqu’à la fusion entre ces deux autorités administratives indépendantes, sur le modèle de celle qui a donné naissance au Défenseur des droits ?

Votre texte apporte-t-il des réponses concrètes s’agissant des sites « anormaux », notamment pédopornographiques ?

Vous rétablissez la servitude d’élagage dont bénéficiait France Télécom, malgré l’inefficacité notoire du service après-vente d’Orange et de sa sous-traitance – et tant pis si je déplais à M. Stéphane Richard en m’en prenant directement à ses services !

Enfin, auteur de nombreux rapports sur le télétravail, je ne vois dans votre texte aucun dispositif particulier concernant cette pratique qui se heurte à bien des résistances, notamment de la part des centrales syndicales.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Ce projet de loi qui étend les droits des citoyens s’adresse à tous. En témoignent sa méthode d’élaboration comme son contenu, d’autant que le numérique se caractérise par sa transversalité : il touche à des domaines très divers, comme vous l’avez montré, madame la secrétaire d’État, ainsi que M. le rapporteur. Parmi eux, je retiendrai deux thèmes.

La délégation aux droits des femmes de notre Assemblée a adopté hier un rapport d’information sur les femmes et le numérique qui identifie quatre priorités et énumère dix-huit recommandations destinées à accroître l’égalité entre les femmes et les hommes. Comment faire du présent projet de loi un véritable levier de cette égalité – pour une égalité réelle, conformément au titre de la loi du 4 août 2014 ?

La plupart des collectivités territoriales ne bénéficient pas d’une structure qui leur permette de s’emparer facilement des outils du numérique. C’est donc une véritable révolution culturelle que vont devoir opérer bon nombre d’entre elles. En effet, le projet de loi étend l’accès sur internet aux documents administratifs de l’État, des collectivités territoriales et des personnes morales de droit public, ou de droit privé lorsqu’elles sont chargées d’une mission de service public. Selon l’exposé des motifs, «  cette avancée aura pour conséquence de limiter la communication sur demande des documents administratifs, qui seront rendus librement accessibles par internet  ». Beaucoup de collectivités souhaitent s’engager dans cette démarche, mais sont freinées dans leur élan par manque de compétence, ou par crainte des conséquences d’une appréciation erronée de ce qui est communicable et de ce qui ne l’est pas.

Ainsi, dans le cadre d’une délégation de service public, les données commerciales communiquées à la puissance publique par son délégataire sont-elles diffusables ou non ? La question est suffisamment complexe pour que l’article 10 lui soit entièrement consacré. Et si cet article fait obligation au délégataire de fournir les données «  dans un standard ouvert aisément réutilisable  » et de permettre l’exploitation de «  tout ou partie de ces données et bases de données  », il ne précise pas lesquelles, et autorise les collectivités à dispenser le délégataire de cette obligation.

À propos de ces questions difficiles, et d’autres qui pourraient se poser à l’avenir, comment accompagner les collectivités ? L’État a-t-il prévu de les faire bénéficier de son expertise en la matière ?

Les collectivités auraient également intérêt à recourir aux logiciels libres, qu’elles pourraient adapter à leurs besoins. Mais, dans ce cas comme précédemment, la mise en œuvre du principe théorique pose un problème : les collectivités ne disposent pas nécessairement dans leurs services de concepteurs-développeurs et de spécialistes des langages informatiques. Il importe donc de développer la formation en leur sein.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais d’abord faire part d’une préoccupation dont nous avons discuté la semaine dernière dans les couloirs de l’Assemblée.

Je veux parler de la difficulté qu’éprouvent certains territoires, dont les territoires ruraux d’Île-de-France – car, je le répète toujours, il y en a ! –, à trouver les moyens d’assurer une couverture numérique assez rapidement pour satisfaire aux exigences de développement et de préservation de l’emploi comme des services rendus aux citoyens. En effet, les collectivités se heurtent à des blocages innombrables et insupportables – y compris lorsque, comme la mienne, elles sont prêtes à aider à l’investissement, voire à adhérer aux syndicats départementaux. La réticence des grands opérateurs, pour ne pas dire leur résistance, est telle, sans compter les difficultés matérielles auxquelles ils sont peut-être confrontés, que l’on aboutit à des délais proprement inacceptables. Et cela ne vaut évidemment pas de la seule Île-de-France ; la partie urbaine de la Manche, par exemple, est concernée, me dit M. Gosselin.

J’espère qu’à défaut de résoudre le problème quant au fond, ce projet de loi marquera la volonté de l’État de démêler cet entrelacs incompréhensible, à l’image de ce que vous avez fait avec votre collègue Emmanuel Macron s’agissant de la couverture téléphonique. Je me souviens des déclarations de M. Macron après l’adoption de la loi qui porte son nom ; j’aimerais que la détermination soit aujourd’hui la même, de sorte que – disons-le crûment –, s’il faut tordre des bras, on aide les collectivités à le faire. Cela suppose des dispositions législatives ou réglementaires. Sont-elles envisagées ? Quelle est leur nature ? Dans quel délai pourra-t-on les mettre en œuvre ?

Je le répète, les territoires que je connais sont prêts à apporter leur contribution. Certains d’entre eux, dont le mien, ont entrepris de constituer des provisions financières à cette fin. C’est souvent une question de survie : chaque mois, une entreprise renonce à s’installer dans le sud des Yvelines parce que la couverture numérique y est insuffisante en dehors des zones d’activité dédiées. Comment ne pas s’atteler à ce problème à l’heure où l’on parle de pacte pour l’emploi, d’infrastructures, d’investissement ? Je sais que la tâche est difficile et que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) fait son possible pour la mener à bien, malgré la forte représentation de Télécom Paris en son sein, qui ne doit pas favoriser la souplesse.

En second lieu, l’inquiétude que j’exprimais ici même lors de l’examen de la loi sur le renseignement reste entière. L’État a conclu avec une société étrangère – l’entreprise Cisco – un contrat qui confie à celle-ci la sécurisation des données informatiques des collectivités locales. L’accord signé en février comporte deux volets : le premier permet à l’entreprise d’investir 100 millions de dollars pour apporter un financement aux start-up intervenant dans le domaine de la sécurisation ; le second vise à accompagner spécifiquement les collectivités territoriales dans cette démarche de sécurisation.

Monsieur le président de la commission des Lois, qui siégez également au sein de la délégation parlementaire au renseignement, il ne me paraît pas de bonne politique, dans la période actuelle, de laisser des opérateurs étrangers intervenir en ce domaine, sans avoir aucun moyen – du moins je le suppose – de sécuriser les données ainsi disponibles ou collectées et de vérifier qu’elles restent sous l’autorité de l’opérateur français. J’ai toute confiance dans nos amis anglo-saxons, cela va sans dire ; mais la célèbre phrase attribuée à un Premier ministre de la reine Victoria – «  L’Angleterre n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts  » – ne vaut pas que pour ce pays, et peut certainement s’appliquer aux grands opérateurs informatiques.

Il me semble que des sociétés françaises – par exemple Atos – auraient été parfaitement capables de se charger de cette tâche, moyennant peut-être quelques investissements. Je regrette que nous n’ayons pas fait des choix plus compatibles avec nos politiques industrielles et de services.

Sur ce sujet, avez-vous, madame la secrétaire d’État, des informations à nous donner, à l’intérieur ou hors du cadre de ce projet de loi ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Pour construire son texte et son propos, Mme la secrétaire d’État a commencé par interroger la société dans son entier : cette consultation de la population sur internet était une innovation majeure.

Nous retrouvons ici des mots que nous avions perdu l’habitude d’entendre : neutralité, transparence, protection, garanties, loyauté – autant de mots importants qui viennent s’ajouter à nos fondamentaux républicains, ceux que nous avons souvent chantés au cours de cette année dramatique. Je veux saluer cette approche d’un monde que l’on a tendance soit à diaboliser, soit à surinvestir : entre la crainte et l’hyperconfiance, c’est-à-dire l’insouciance, Mme la secrétaire d’État a trouvé une solution élégante et intéressante.

Nous retrouvons aussi de grandes institutions : la CADA, la CNIL, l’ARCEP, auxquelles s’ajoutent les SDTAN au niveau territorial.

Dans ma région, en Languedoc-Roussillon, nous avons lancé il y a cinq ans une grosse opération d’équipement destinée à développer l’accès à internet ; 52 millions d’euros ont été investis. C’était essentiel : la population des villages de campagne le demandait. Il n’en va pas de même en grande banlieue ou dans certains quartiers urbains : du fait de précédentes lois, les collectivités ne pouvaient intervenir dans les secteurs considérés comme concurrentiels. De sorte que nos campagnes sont mieux équipées, ou presque, que certains territoires urbains. Cela devrait nous inciter à repenser la répartition des rôles en matière d’équipement et à réfléchir à la manière dont l’Europe empêche l’intervention publique dans les secteurs prétendument concurrentiels – où, en réalité, la concurrence n’intervient pas non plus lorsque ces secteurs ne sont pas jugés suffisamment rentables. Ne réduisons donc pas au monde rural des questions qui se posent aussi en milieu urbain et dans certaines banlieues. Il existe des régions où les collectivités ont fait le travail ! Cela vaut pour internet plus que pour les mobiles, même si la situation est en train de changer.

Je tiens enfin à saluer la qualité et la finesse du travail qui a été mené vis-à-vis du monde scientifique. En la matière, le projet ouvre des portes, en ferme d’autres ; il joue la carte allemande en matière de protection des données scientifiques, et interroge en filigrane la manière dont celles-ci sont exploitées par les grands éditeurs, en fixant des délais au terme desquels elles peuvent être réutilisées par les chercheurs et les équipes qui les ont produites, ainsi que les résultats, les concepts et perspectives qui en découlent. C’est aussi de l’intérêt européen qu’il s’agit.

Les publications scientifiques sont massivement en anglais. Pourquoi y en a-t-il si peu en français ? N’aurions-nous pas intérêt, nous, Français, francophones, à ce que, au sein d’une communauté scientifique nationale, européenne et internationale, le savoir ne se diffuse pas en une seule langue ? Certes, l’anglais est le latin d’aujourd’hui. Il n’empêche que l’on ne pense pas de la même façon dans une langue et dans une autre – je m’adresse à Mme Lemaire, parfaitement bilingue et pleinement consciente de ces subtilités.

Merci pour la science, merci pour les mots ! Nous allons maintenant travailler à ce qui s’apparente à un big bang théorique.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d’avance de répondre brièvement étant donné les contraintes qui s’imposent à nous. Sur ce texte dont se sont saisies pour avis les commissions des affaires culturelles, des affaires économiques et des affaires sociales, ainsi que la délégation aux droits des femmes, la séance vous laissera certainement tout loisir de répondre aux questions que vous n’auriez pas le temps de traiter aujourd’hui.

Mme la secrétaire d’État. Je partage bien sûr le souci, qu’ont exprimé plusieurs députés, de protéger les mineurs, notamment contre le cyber-harcèlement, mais la législation en vigueur couvre déjà l’immense majorité des situations. Ainsi, depuis la loi du 6 août 2012, l’article 222-33-2 du code pénal punit le cyber-harcèlement de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, et, en vertu d’une disposition adoptée au mois de septembre 2013, les sanctions du cyber-harcèlement sont aggravées lorsque les victimes sont des personnes vulnérables, par exemple des mineurs.

Le projet de loi que je défends aujourd’hui tend pour sa part à introduire des dispositions relatives au droit à l’oubli pour les mineurs, une procédure accélérée devant faciliter le recours à la CNIL. En outre, les fournisseurs de services ont l’obligation légale de mettre en place le contrôle parental. Enfin, le ministère de l’éducation nationale a lancé un programme concernant le harcèlement scolaire, qui comporte un volet relatif au cyber-harcèlement.

Cependant, au-delà de cette réponse formelle, nous savons que les enfants sont bel et bien exposés à de grands risques sur internet. Il y a là, me semble-t-il, une question d’application effective de la loi. Pour qu’une situation de cyber-harcèlement soit reconnue, il faut effectuer, auprès des plateformes de réseaux sociaux ou des autorités policières et judiciaires, des démarches longues et complexes, se plier à des procédures qui sont inaccessibles à nombre de familles. Je suis tout à fait disposée à travailler avec vous sur ces sujets, mais cela concerne moins la loi que sa mise en œuvre. À cet égard, un dialogue beaucoup plus coopératif s’est engagé avec les géants de l’internet, notamment à la suite des attentats, pour faciliter le retrait des contenus illicites, non seulement ceux qui incitent à la haine et au terrorisme, mais aussi ceux qui présentent un caractère pédopornographique. Précisons aussi que l’administration peut désormais interdire des sites pédopornographiques sans intervention du juge judiciaire, de même que des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Qu’en est-il de l’articulation des dispositions proposées et du droit européen ? Ne vous méprenez pas sur la démarche du Gouvernement, Monsieur Gosselin. Nous devons faire preuve d’une grande rigueur juridique : soit les questions évoquées sont hors du champ du règlement évoqué, comme celle de la mort numérique – le règlement renvoie la définition des procédures à la loi nationale –, soit les dispositions proposées respectent le texte européen, soit elles n’en constituent qu’une anticipation, sans y déroger. Le règlement européen ne doit entrer en vigueur qu’au cours du premier semestre de l’année 2016, mais, en réalité, les entreprises ont deux ans pour le mettre en œuvre ; il n’entrera donc dans la vie de nos concitoyens qu’en 2018 au plus tôt.

Le Gouvernement ne s’interdit pas de proposer, au cours des débats parlementaires, d’amender le texte national en fonction de l’évolution du texte européen. De même, la procédure accélérée ne sera peut-être pas utilisée, finalement, si les parlementaires en décident ainsi ; nous pourrons aviser en fonction de l’évolution des débats européens. Prenons un autre exemple : les sanctions infligées par la CNIL. Le règlement européen précise le niveau des sanctions, mais renvoie la définition des procédures à la loi nationale. En ce qui concerne la neutralité du net, un règlement européen a été adopté, mais nous nous contentons d’en intégrer les définitions au droit national, en ajoutant aux compétences de l’ARCEP, régulateur national, le contrôle du respect des dispositions concernées. Rien ne contrevient sur le fond aux textes européens ni n’en contredit l’esprit.

Le Conseil d’État a souligné l’insuffisance des études d’impact dans un avis qui, une fois n’est pas coutume, a été rendu public. Cependant, la partie relative à l’open data comporte des éléments précis et substantiels. Elle en détaille notamment l’impact juridique au regard de la jurisprudence de la CADA et les bénéfices socio-économiques attendus. Elle précise les modalités techniques de publication des documents. Elle présente différents éléments techniques qui permettent d’estimer la charge nouvelle qui en résultera pour les administrations — une charge sans doute limitée.

Le caractère très novateur de bien des principes intégrés dans ce texte rend cependant difficile une étude d’impact économique et financière. De même qu’il n’existe pas de « lobby du futur », nous ne disposons pas de boule de cristal pour prédire l’avenir. Nous l’écrivons pourtant, en édictant les principes de données d’intérêt général, de mission de service public, de loyauté des plateformes, en instaurant la portabilité des données d’usage et de consommation et non pas uniquement des données personnelles. Cela dit, en nombre de pages, cette étude d’impact n’est pas moins substantielle que celle d’autres lois. L’idée d’une étude d’impact insuffisante doit donc être maniée avec prudence.

Mme Chapdelaine a évoqué le financement du maintien de l’accès à la connexion à internet par le recours au fonds de solidarité logement. Le Gouvernement est très conscient de la nécessité d’accompagner les collectivités locales, notamment les départements, dans cette démarche. Nous le ferons en bonne coopération avec les opérateurs de télécommunications, concernés au premier chef. Avec le cabinet de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, nous allons donc identifier des départements pionniers qui permettront d’imaginer des schémas de financement dans lesquels l’État accompagnera l’introduction de ce droit au maintien à la connexion à internet, comme cela a été fait pour le gaz, pour l’eau et pour l’électricité.

Madame Batho, le Gouvernement a choisi de conférer aux données personnelles un caractère d’usage, et non un caractère propriétaire. Soumises au droit de la propriété, les données pourraient faire l’objet d’un commerce, être vendues et exploitées selon les règles du commerce. Le choix du Gouvernement ne remet nullement en cause le fait que toute exploitation des données nécessite un consentement explicite. Sur ce sujet, la législation française n’est pas insuffisamment protectrice ; les entreprises lui reprochent au contraire de l’être trop, comparée à d’autres en Europe, ou à celles des pays anglo-saxons. En réalité, la loi « Informatique et libertés » est la plus protectrice en Europe et dans le monde. Une harmonisation était nécessaire au niveau européen, mais nous avons veillé à ce qu’elle ne se fasse pas « par le bas ».

Mme Batho ne croit pas à l’autorégulation des plateformes, à laquelle est consacré un volet du projet de loi, mais celui-ci édicte également des contraintes nouvelles. Rappelons aussi que les géants de l’internet qui dirigent leurs activités vers le territoire français sont soumis au droit français de la concurrence, de même qu’ils sont soumis au droit français de la consommation, dès lors que les consommateurs ont leur domicile en France. Pour la même raison, ils doivent respecter nos règles de protection des données personnelles. Il faut donc abandonner l’idée selon laquelle il n’est pas possible d’agir en ce domaine.

Néanmoins, c’est très compliqué et très lent au niveau européen. Ce sont des jugements rendus sur le droit à l’oubli, puis sur le Safe harbor, non des décisions politiques qui ont enfin décidé la communauté des États européens à agir. C’est d’autant plus regrettable que le Gouvernement français a toujours demandé des avancées sur ces points. Le temps européen est un temps long, qui ne correspond pas assez à celui du numérique. Ne nous interdisons donc pas de légiférer dans ce domaine, dès lors que les mesures envisagées ne contreviennent pas aux objectifs visés par l’Union européenne.

La desserte des territoires, question évoquée par M. Vannson, est une priorité absolue du Gouvernement et du Président de la République. Chaque fois que je le vois, nous en parlons, et nous analysons les mesures financières, budgétaires, réglementaires qui ont été, qui sont et qui pourront être prises pour accélérer ce déploiement. Ainsi avons-nous doublé le budget consacré au déploiement des réseaux fixes dans les territoires par rapport à la législature précédente et réintroduit la question de la couverture mobile, en friche depuis de très nombreuses années. Dans le département des Vosges, le projet, d’un montant de 60 millions d’euros, dont vous parliez, monsieur Vannson, doit être soutenu à hauteur de 50 % par l’État. C’est là une contribution notoire.

En outre, nous passons actuellement en revue toutes les dispositions qui, en plus de celles proposées dans le projet de loi, permettraient d’aller plus vite et d’éviter de freiner les déploiements. Peut-être certaines donneront-elles lieu à des amendements lors de l’examen du texte.

J’espère avoir répondu à la question de Mme Cécile Untermaier. Cela dit, je demande aux plateformes de prévoir la possibilité de signaler un contenu illicite, par exemple un contenu pédopornograhique, d’un simple clic sur un onglet intégré à la page internet du réseau social concerné. Le signalement parviendrait directement aux forces de police, peut-être via la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS). Voilà qui permettrait une application bien plus efficace de la loi. Nous en discutons actuellement.

Je suis très ouverte, madame Capdevielle, à toute proposition visant à renforcer la démocratie participative, pour peu qu’elle puisse trouver une traduction législative concrète.

Je suis sensible à la question de la langue française. L’usage de la langue reflète un rapport de force économique et culturel, et la délégation aux droits des femmes fait des recommandations très utiles à ce sujet. Elle préconise ainsi de donner des mots aux maux, notamment pour lutter contre le harcèlement des femmes en ligne. J’y suis naturellement très favorable.

Monsieur Morel-A-L’Huissier, vous saluerez de ma part les Webs du Gévaudan. Les aides d’États sont effectivement soumises à un cadre juridique européen contraignant, y compris lorsqu’il s’agit d’assurer une égalité, ou du moins une forme d’équité, entre territoires ruraux et territoires urbains. Le Gouvernement français se bat pour que les règles édictées par la Commission européenne soient assouplies et permettent un ciblage des financements de l’État et des collectivités en faveur des zones qui en ont le plus besoin. Cela étant, les opérateurs doivent respecter des obligations de couverture, notamment lorsque des fréquences leur sont attribuées. Celles-ci appartiennent au domaine public, et, lorsque l’État les leur vend, ils prennent des engagements en termes de couverture du territoire. Ce fut le cas, tout récemment, lors de la vente de la bande des fréquences 700 mégahertz.

En ce qui concerne la fusion de la CADA et de la CNIL, nous prônons, dans un premier temps, un rapprochement, car la question des données personnelles et celle des données publiques se rapprochent, mais ne forçons pas le cours des choses. Une fusion, ce n’est pas anodin, et il ne faudrait pas que les objectifs, d’un côté, d’ouverture et de libre circulation, et, de l’autre, de respect de la vie privée, et donc de l’intimité, entrent en contradiction. Il faut donc avancer progressivement, mais le Gouvernement explore cette piste. Une mission a notamment été lancée, qui pourrait aboutir à des conclusions au cours de l’examen de ce texte.

Les servitudes d’élagage sont l’objet de la proposition de loi de M. André Chassaigne, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Intégrée au texte que je défends, elle renforce les obligations d’entretien du service universel, étant entendu qu’Orange en est le prestataire. Nous parlons là des vieilles lignes fixes, mais cela concerne encore beaucoup de nos concitoyens, en particulier les personnes âgées dans les zones rurales. Nous encourageons et incitons fortement les opérateurs à investir dans l’internet mobile, dans le très haut débit fixe et, demain, dans la 5G, mais il faut aussi penser à ceux qui n’ont pas accès à ces technologies.

Le télétravail, nous y travaillons, avec Mme Myriam El Khomri.

Madame Descamps-Crosnier, nous sommes très soucieux de l’accompagnement des collectivités locales dans la stratégie d’open data. La CADA évoluera en ce sens et jouera, au-delà de son rôle contentieux, un rôle d’accompagnement des acteurs locaux. Elle pourra ainsi rendre des avis.

Le Gouvernement est très favorable à l’utilisation des logiciels libres, qu’il promeut, mais il a décidé de ne pas forcer les administrations à y recourir, car nous sommes confrontés à un problème de ressources humaines : il faut être capable d’utiliser ces logiciels. Nous devons donc renforcer la filière de formation pour permettre un recours plus systématique aux logiciels libres.

Monsieur Poisson, je vous communiquerai par écrit des informations plus précises à propos de la couverture de votre circonscription, dans les Yvelines, mais notez d’ores et déjà que l’État, fait inédit, dresse désormais des constats de carence lorsque les opérateurs de téléphonie ne respectent pas leurs engagements dans les zones AMII (appels à manifestation d’intentions d’investissement), afin que les autorités publiques puissent intervenir à leur place.

Quant à vos préoccupations concernant la cyber-sécurité du territoire, l’entreprise Cisco s’est engagée à investir en France, mais non sous la forme d’un contrat signé avec l’État. Dans le cadre d’une politique d’attractivité économique du territoire, cette entreprise privée américaine très présente dans les écosystèmes d’innovation a pris l’engagement de soutenir des entreprises par des financements directs, notamment des start-up, de les suivre dans leur croissance et, éventuellement, de les acheter. Cet engagement unilatéral d’un investisseur étranger n’écarte en rien l’application du droit français en matière de propriété intellectuelle, de localisation des données, de secret industriel et commercial. Le Gouvernement se soucie de la question. Avec le Premier ministre, nous avons lancé une stratégie nationale en matière de cyber-sécurité, et la question de l’intelligence économique est au cœur de nos priorités. Je pourrai vous fournir plus d’informations si vous le souhaitez.

Vous avez raison, madame Le Dain, à propos des banlieues. Le Gouvernement agit pour la couverture des territoires ruraux, mais aussi pour celle des zones périurbaines définies comme zones AMII. Ainsi a-t-il durci le ton avec ces constats de carence pour permettre l’action de la puissance publique là où celle des opérateurs privés est insuffisante.

Merci beaucoup, madame Pochon, pour votre intervention concernant les personnes handicapées, en particulier les personnes sourdes et malentendantes. Votre témoignage conforte le Gouvernement dans l’idée qu’il est nécessaire d’avancer sur ce sujet. La solution choisie consiste justement en la généralisation du recours à un centre relais téléphonique. Nous n’avons effectivement pas trouvé de technologie alternative qui permette de satisfaire les besoins très concrets des personnes sourdes et malentendantes. Une obligation est donc imposée aux opérateurs, qui en redoutent le coût, mais, si vous considérez que d’autres outils pourraient favoriser l’accès des personnes handicapées aux outils numériques, je suis à votre entière disposition pour continuer ce dialogue.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous aurons davantage de temps pour approfondir ces questions, madame la secrétaire d’État, le 13 janvier prochain, lors de l’examen des articles du projet de loi. Le rapporteur en a déjà préparé une soixantaine, mais, par leurs contributions, les autres membres de la Commission prouveront également que nous ne manquons pas d’imagination.

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La Commission en vient à la communication sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence.

M. le président Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Jean-Frédéric Poisson et moi souhaitions faire un point sur l’état d’urgence, un mois après son instauration, et formuler un certain nombre d’observations sur le travail de contrôle que nous effectuons au nom de l’Assemblée nationale et, plus particulièrement, de sa commission des Lois.

Cette première communication, dont nous étions convenus du principe lorsque vous nous avez confié, chers collègues, ces pouvoirs de contrôle, vise à vous présenter de manière assez exhaustive les outils que nous avons mis en place et, surtout, à tirer des premiers enseignements. Je ne reviens pas sur le cadre juridique de notre intervention ; vous le connaissez pour l’avoir adopté.

Commençons par les outils. L’Assemblée ne s’étant jamais livrée à cet exercice, et le contexte évoluant constamment, nous sommes évidemment partis de rien. À mes yeux, les chiffres ne sont pas l’essentiel, mais, en moyenne, chaque jour depuis la proclamation de l’état d’urgence, le Gouvernement a procédé à quatre-vingt-sept perquisitions et prononcé douze assignations à résidence.

Nos outils ne sauraient être solides qu’à deux conditions. D’une part, il faut obtenir régulièrement le plus grand nombre d’informations des ministères de l’intérieur et de la justice. À cette fin, l’article 4-1 de la loi 3 avril 1955 dispose que le Parlement est informé «  sans délai des mesures prises pendant l’état d’urgence  ». D’autre part, il faut évidemment multiplier les sources afin de croiser les informations, les recouper et les analyser. Voilà qui est plus facile à dire qu’à faire, et de nombreux échanges avec les cabinets du ministre de l’intérieur et de la garde des sceaux ont été nécessaires. Je veux d’ailleurs en souligner la qualité. Si nous avons cru percevoir ici ou là des tentatives de comportements dilatoires, les ministres se sont chargés de rappeler la disponibilité du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir législatif. Nous disposons d’ailleurs de deux lettres, l’une du ministre de l’intérieur, datée du 1er décembre, l’autre de la garde des sceaux, datée du 9, qui expriment de manière formelle et sans ambiguïté cette disponibilité de leurs services.

Quels sont nos moyens d’investigation ? Le premier, ce sont des saisines quotidiennes – j’insiste sur le qualificatif – du ministre de l’intérieur. Commencées dès avant notre réunion du 2 décembre dernier, elles se poursuivent. Elles concernent les mesures administratives, générales ou individuelles prises, pour l’essentiel, par les préfets et par le ministre lui-même, car c’est bien celui-ci qui peut décider les perquisitions administratives et les assignations à résidence.

Ces saisines portent sur des faits relevés dans les différents médias, dont nous avons instauré une veille aussi attentive que possible, ou signalés par courrier, notamment par les parlementaires. Jean-Frédéric Poisson et moi-même vous avions écrit le 8 décembre pour vous dire notre disponibilité. À ce jour, quatre collègues nous ont répondu, en appelant notre attention sur des faits survenus depuis l’instauration de l’état d’urgence dans leur département ou dans leur circonscription. Nous recevons également des communications du Défenseur des droits, que nous avions sollicité, pour qu’il mette en alerte ses délégués territoriaux. Le Défenseur a désigné un interlocuteur unique ; depuis l’établissement de ce lien, onze sujets de vigilance ont été portés à notre connaissance. Nous recevons aussi du courrier d’avocats – le Conseil national des barreaux nous avait indiqué le 1er décembre qu’il était mobilisé sur ce sujet. Enfin, nous sommes sollicités par des collectifs associatifs.

Lorsque des informations sont données, nous ne répondons pas à ceux qui nous les envoient – nous n’en avions pas pris l’engagement —, mais nous nous servons des éléments qui nous paraissent les plus intéressants pour interroger le ministre. Ainsi, entre le 27 novembre et le 15 décembre, nous avons écrit cinquante-huit lettres, qui concernent trente-sept départements. Quarante-deux visent des perquisitions, dix des assignations à résidence, six des mesures générales de police administrative, comme des interdictions de manifester ou des couvre-feux décidés dans telle ou telle commune. Le ministre a répondu à quarante et une de ces lettres, soit un taux de réponse de 77 %, mais il a promis hier qu’il répondrait à toutes, sans aucun délai. Nous n’avons donc pas de raison de nous inquiéter, et nous lui laissons un peu de temps, car nous souhaitons que ses réponses soient extrêmement précises. Lorsqu’elles ne le sont pas suffisamment, nous lui envoyons un courrier complémentaire.

Ce sont ces informations qui nourrissent la page du site internet de l’Assemblée dédiée au contrôle. Nous veillons cependant à respecter la confidentialité qui s’attache, par essence, à ces courriers. Nous sommes également constamment attentifs au fait que notre contrôle porte sur l’usage par le Gouvernement des mesures prévues par la loi de 1955. Il ne saurait être question, pour nous, de porter atteinte à la séparation des pouvoirs.

Notre deuxième outil, ce sont les alertes des associations. Dès le 9 décembre, nous avons sollicité la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) afin que les trente associations, syndicats et ONG qui y siègent puissent nourrir notre réflexion. J’ai confirmé notre disponibilité lors de l’assemblée plénière de la CNCDH qui se tenait dans nos murs, le 10 décembre dernier. La CNCDH m’a indiqué à cette occasion qu’elle rendrait le 15 février prochain un avis sur l’état d’urgence. Nous verrons quelles suites les associations donnent à cet échange. Certaines, comme l’Observatoire international des prisons, ont indiqué leur intention de nous transmettre des éléments.

Les déplacements sur le terrain sont notre troisième outil, en vertu du pouvoir de contrôle sur place et sur pièces dont vous nous avez investis. Le premier déplacement a eu lieu dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 décembre, à la préfecture du Val-de-Marne. Nous avions annoncé notre arrivée, effectivement imminente, au préfet de ce département où ont eu lieu soixante-quatorze perquisitions et où dix personnes sont assignées à résidence. En présence de toutes les autorités de police, y compris, pour Orly, la police de l’air et des frontières et la gendarmerie des transports aériens, et de la procureure de Créteil, nous avons examiné le détail des mesures prises et les conditions de leur préparation, ainsi que les modalités de coordination entre les différents services de l’État, notamment l’éventuelle articulation entre autorités administratives et parquet. D’autres déplacements auront lieu, demain, mais aussi mardi prochain, et peut-être tous les jours au cours de ces vacances parlementaires qui libèrent quelque peu notre agenda. Il y a des perquisitions et des assignations pendant les vacances, il y aura donc aussi des contrôles !

Notre quatrième outil, le recueil de données statistiques auprès du Gouvernement, est évidemment la source d’information la plus massive en volume.

Il y a tout d’abord les données chiffrées dites « de synthèse », dont le Gouvernement dispose depuis le premier jour de l’état d’urgence. Formant la base de l’information qu’il diffuse régulièrement et récapitulant le nombre des mesures et le contentieux administratif auquel elles donnent lieu, elles sont intégralement publiées sur la page internet de l’Assemblée nationale et font l’objet d’une actualisation hebdomadaire, en général le vendredi soir. Ces seules indications n’étaient cependant pas suffisantes. Nous avons donc demandé au ministère de la justice de construire des données relatives au suivi judiciaire de l’état d’urgence, en se fondant sur les informations transmises par les parquets généraux. La Chancellerie a publié ce matin un communiqué dont les informations que nous lui avions demandé de collecter forment la matière. Je me félicite que nous ayons ainsi pu pousser le Gouvernement à améliorer l’information délivrée aux citoyens. Nous examinons actuellement le détail de ces informations, notamment les suites pénales des perquisitions ainsi que les sanctions prononcées en cas de non-respect des mesures administratives.

Il y a ensuite les informations détaillées relatives à chacune des mesures administratives, qui n’étaient pas disponibles au cabinet du ministre de l’intérieur, mais toutes nos exigences en termes d’information sur chacune des mesures prises depuis le 14 novembre dernier ont été satisfaites. Avec plus de 2 700 perquisitions menées depuis un mois, le stock est considérable et le flux constant. Nous sommes convenus, avec le ministre, d’apurer le flux quotidien. Ainsi, nous recevons quotidiennement les informations demandées sur les perquisitions, assignations et autres mesures administratives — pour une seule perquisition, les informations comportent une vingtaine d’items. Quant au stock, le ministre a pris l’engagement qu’il serait repris avant le 20 décembre. Pour l’instant, l’Assemblée nationale dispose d’informations sur 500 perquisitions, sur 2 700, mais toutes ne sont pas aussi documentées que nous le souhaitons. Nous demanderons donc des compléments d’informations.

Nous attendons beaucoup de ces indicateurs que nous avons construits. Ce sont eux qui nous donneront une connaissance fine et détaillée de l’application de l’état d’urgence. Ce sont aussi eux qui nous permettront d’organiser nos déplacements dans les départements. Ce sont eux, enfin, qui permettront une analyse quantitative et qualitative des pouvoirs momentanément accordés aux services de sécurité intérieure.

Le contrôle parlementaire a d’ores et déjà montré son utilité, puisqu’il a poussé le Gouvernement – autant le ministère de l’intérieur que celui de la justice – à structurer sa remontée d’informations, notamment sur certaines mesures insuffisamment observées, comme les restrictions de circulation et les interdictions de manifester. Nos échanges avec le Gouvernement se sont très bien passés et nous ont permis de mesurer les potentialités que nous avions devant nous.

J’en viens aux premiers enseignements.

Je veux d’abord souligner une dynamique vertueuse entre les préfets et les parquets, constatée dans nos contacts. Les mesures administratives étant susceptibles de donner lieu à la découverte d’éléments pouvant caractériser des infractions pénales, leur articulation avec les procédures judiciaires doit être parfaitement assurée. Il est ainsi prévu qu’un officier de police judiciaire territorialement compétent soit présent au cours des perquisitions. Le lien entre les préfets et les procureurs n’est pas seulement réel, mais essentiel, et, à l’évidence, la collaboration née à l’occasion de certaines politiques publiques, dans les zones de sécurité prioritaire, a été un solide point d’appui.

Deuxième enseignement, il ne faut pas se focaliser sur les faits publics. Le recensement des perquisitions évoquées par la presse est une source précieuse d’informations, mais se limiter à ces cas, qui ne peuvent à eux seuls permettre d’appréhender globalement les mesures prises, conduirait à une vision très partielle de l’efficacité de l’état d’urgence. Aussi spectaculaires soient-elles, les perquisitions ne constituent que l’une des treize mesures que le Gouvernement peut prendre en vertu des sept articles que comporte la loi sur l’état d’urgence. Et la comparaison des réponses du ministre aux récits que nous pouvons lire, dans notre courrier ou dans la presse, fait ressortir des différences significatives dans la moitié des cas. Ainsi, les faits souvent spectaculaires relayés publiquement – le non-respect des règles relatives aux sommations, l’investissement brutal de locaux, la prise à partie d’occupants, parfois mineurs – n’apparaissent pas dans les réponses ministérielles, dont les plus précises indiquent seulement qu’aucune indemnisation n’a été demandée, qu’aucun recours n’a été formé.

Qu’en conclure ? Devons-nous aller plus loin dans nos investigations ? Est-ce notre mission ? Le cas échéant, comment faire ?

Cela nous amène à un troisième constat : nous devons définir avec précision le périmètre de notre action. Si les cas individuels sur lesquels nous avons travaillé ne répondent pas à toutes les questions, ils nous ont permis d’aller plus loin dans l’organisation de notre contrôle. Pour éviter toute ambiguïté, il faut circonscrire avec précision le champ de notre action. L’article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 mentionne à la fois « le contrôle et l’évaluation » par le Parlement des mesures prises.

Primo, l’un des buts du contrôle parlementaire est bien de chercher à mesurer l’intérêt de ces mesures exceptionnelles. Le contrôle doit ainsi chercher à mesurer quelle plus-value apporte l’état d’urgence, en termes d’efficacité de la lutte contre le terrorisme, par rapport au droit commun. Secundo, conduire une évaluation, c’est démontrer que l’encadrement démocratique de l’exception fait partie intégrante du processus de protection de l’État et de ses citoyens. Loin d’être une concession à la marge, l’innovation que représente ce contrôle parlementaire est au contraire la source de la légitimité de ce moment d’exception que nous vivons, et les observations formulées doivent permettre d’éviter la routinisation de certaines mesures dérogatoires au droit commun, qui pourrait conduire à une entreprise de rationalisation de l’exception et de ses usages. C’est à cette fin que l’étude de cas particuliers peut se révéler utile, selon la méthode du « carottage »  –un cas particulier servant à approfondir tel ou tel point.

Nous avons ainsi étudié, entre autres, les mesures préventives prises en lien avec la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, dite « COP21 », puisque le Gouvernement a utilisé les prérogatives de l’état d’urgence pour maintenir l’ordre durant ces deux semaines. L’application de ces mesures fut limitée dans le temps et dans l’espace. Ainsi furent décidées par le ministre des interdictions de manifester, des interdictions de séjour et vingt-sept assignations à résidence. Le Conseil d’État a jugé, le 11 décembre, que celles des assignations dont il était saisi « n’étaient manifestement pas illégales », leur conformité à la Constitution faisant l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité dont il a accepté qu’elle soit transmise au Conseil constitutionnel.

L’état d’urgence, c’est, de notre point de vue, l’alliance de la force et du droit, c’est l’articulation entre les principes de nécessité et de proportionnalité qui limitent toute action de police administrative. De ce point de vue, des interrogations manifestes existent sur la justification de certaines mesures individuelles – perquisitions, assignations à résidence — ou générales — interdictions de manifester. Il est en effet encore trop tôt pour mesurer la tension qui pèse sur les forces de l’ordre et qui pouvait justifier ces mesures – ce serait donc la nécessité dont le ministre peut légitimement se réclamer. Cependant, dans le département de la Dordogne, par exemple, les mesures apparaissent manifestement disproportionnées.

Plus généralement, ces mesures préventives interrogent sur la finalité et le périmètre de l’état d’urgence. Celui-ci doit-il viser au maintien de l’ordre public dans son ensemble ou être concentré sur la seule lutte contre le terrorisme ? Elles nécessitent donc de notre part des approfondissements sur la caractérisation d’un certain nombre de faits, voire sur la notion de « comportement » dangereux, dont nous avons débattu lors de l’examen de la loi sur l’état d’urgence. Je rappelle que la loi de 1955 visait les personnes « dont l’activité s’avère dangereuse » ; elle s’applique désormais à toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace ». Alain Tourret avait soulevé cette question, nous devrons l’approfondir.

Enfin, nous souhaitons rappeler les mesures d’accompagnement. L’état d’urgence ne suspend pas l’application des autres lois et ne dispense pas d’un devoir de transparence. Le Gouvernement contribue à celle-ci en informant régulièrement le Parlement – hier encore, les présidents des commissions concernées du Sénat et de l’Assemblée nationale et les présidents de tous les groupes parlementaires étaient réunis autour du Premier ministre –, mais nombre d’entre vous ont souligné, à raison, l’importance de l’information du public. De même, l’information des élus paraît incontournable, mais la situation est très différente d’un département à l’autre : des préfets sont extrêmement proactifs, d’autres beaucoup plus mesurés dans le partage de l’information.

Nous devons veiller aussi à une juste et rapide indemnisation des dommages causés à mauvais escient. De ce point de vue, nos premiers constats laissent apparaître des marges manifestes de progression. Nous allons donc inciter le Gouvernement à réaliser les progrès indispensables.

Telles sont les premières observations que nous voulions porter à votre connaissance. Nous avons également veillé à ce que vous disposiez d’un écrit qui résume nos propos, pour éviter toute mésinterprétation.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Je souscris sans réserve aux propos du président Urvoas. Cette opération de contrôle et d’évaluation est parfaitement novatrice. Évidemment, nous essuyons les plâtres, et nous devons en quelque sorte apprendre en marchant, ce qui peut susciter quelques interrogations et hésitations. Nous n’en avons pas moins réussi à obtenir du Gouvernement des informations précises en mettant en place des indicateurs appropriés et fiables. Cela restera.

Je suis régulièrement sollicité, comme sans doute nombre d’entre vous, chers collègues, par des journalistes qui craignent d’éventuelles dérives ou s’interrogent sur des cas particuliers. Le premier intérêt de ce contrôle parlementaire est de signaler les problèmes, de lever les doutes et de donner les assurances nécessaires. Lorsque les droits fondamentaux des personnes sont en jeu, le fonctionnement de la démocratie ne saurait laisser place à quelque hésitation. Bien sûr, nul système n’est parfait, mais je veux souligner, moi qui ne suis guère soupçonnable de flagornerie à l’égard du Gouvernement, que les ministres et leurs services nous répondent avec soin.

J’insiste aussi sur la nécessité de qualifier précisément les faits qui nous sont rapportés – cela vaut tant pour le Gouvernement que pour les sources évoquées tout à l’heure. Nous devrons peut-être compléter ou modifier la loi. Pour le faire avec la plus grande justesse, nous devrons bien comprendre quels manquements, failles ou exagérations peuvent, en la circonstance, affecter l’action des pouvoirs publics. Nous cherchons ainsi à comprendre comment et pourquoi telle ou telle décision est prise – c’était l’objet de cette visite de deux heures à la préfecture du Val-de-Marne, la semaine dernière. Pourquoi intervient-on ? Pourquoi telle personne est-elle perquisitionnée plutôt que telle autre, que l’on pourrait croire plus radicalisée ? Les services sont soumis à certains impératifs et agissent avec professionnalisme, il ne s’agit pas d’user bêtement des prérogatives de l’état d’urgence. Le travail peut se poursuivre normalement, dans le respect des procédures habituelles, mais, comme nous avons pu le constater dans l’immense majorité des cas portés à notre connaissance, l’état d’urgence présente l’intérêt de permettre des opérations qui ne seraient pas possibles autrement.

Voilà qui pose la question de son éventuelle prolongation. Nos interlocuteurs ont été à peu près d’accord avec nous : passé le premier mois et demi, la courbe d’utilité va probablement décroissant, et, au terme des trois mois, tous ceux qu’on voulait perquisitionner ou assigner à résidence risquent de s’être organisés autrement, et d’être sortis des écrans radars. C’est une question opérationnelle qu’il faudra considérer. Plus généralement, l’évaluation de cette période est essentielle pour vous permettre, le cas échéant, de vous prononcer sur une éventuelle prolongation de l’état d’urgence. J’ai cru comprendre qu’il ne fallait pas exclure que le Parlement soit saisi en ce sens.

J’évoquerai, pour terminer, trois problèmes opérationnels qui ressortent de nos entretiens et des documents que nous recevons.

Le premier, c’est la question de l’information des élus – le président Urvoas en a dit un mot. Le ministre de l’intérieur avait donné aux préfets instruction de réunir les parlementaires et élus de leurs départements respectifs. Diversement suivie jusqu’à présent, la consigne est réitérée, nous a indiqué hier M. le ministre de l’intérieur – j’imagine que toutes les préfectures de France et de Navarre vont recevoir un mot doux invitant à la tenue de cette réunion. Cela concerne l’information institutionnelle, structurée, mensuelle, pour laquelle il est difficile de procéder autrement, mais il y a aussi l’information au jour le jour des élus locaux, sur laquelle nous insistons toujours.

Bien évidemment, si des dispositions sont prises dans leur commune au titre de l’état d’urgence, un tri doit être fait. Tout le monde comprend que le maire ne puisse être prévenu la veille d’une perquisition dans sa commune. Peut-être même ne peut-il pas être prévenu non plus le lendemain, puisqu’une perquisition peut en appeler d’autres. En revanche, les assignations à résidence sur le territoire dont il a la charge sont un autre cas de figure. Il serait tout à fait baroque que les maires, acteurs de la vie publique et qui détiennent de nombreux renseignements, apprennent « par la bande », par la presse ou par leurs conseillers de quartier que des personnes sont assignées à résidence dans leur commune. Un équilibre doit être trouvé, dont les modalités précises ne sont pas définies, mais nous insistons sur cette question – je l’ai encore fait hier à Matignon.

Le deuxième problème est celui de l’utilité des gardes statiques, sur lesquelles nous recueillons aussi quelques impressions. Nos sources nous invitent à préserver leur anonymat, je ne les révélerai donc pas, mais cette interrogation paraît assez largement partagée. Certes, la question n’entre pas dans le champ de la loi, mais la doctrine d’emploi des forces de l’ordre doit être interrogée. On finit par se rendre compte que, dans certains cas, les gardes statiques présentent plus d’inconvénients que d’avantages, à tel point que le ministre de l’intérieur a décidé d’octroyer une semaine de congé, par roulement, entre le 18 décembre et Noël, pour que tout le monde se repose.

Le troisième problème est celui de l’information des citoyens sur les préjudices subis. Le ministre de l’intérieur, comme le préfet du Val-de-Marne à son niveau, font preuve de transparence sur les erreurs commises dans le cadre d’interventions, principalement des perquisitions. Par exemple, deux erreurs d’adresse ont été commises. Nous avons demandé si les forces de l’ordre ou le commissionnaire divisionnaire étaient retournés s’excuser auprès des habitants, qui ont dû être surpris, et prendre des nouvelles ; visiblement, cela a été fait. En revanche, aucune procédure n’est prévue quand l’État est fautif, et il l’est en l’espèce – il le reconnaît lui-même. Un formulaire type, une adresse, un numéro de téléphone ou un quelconque moyen devraient permettre de demander une indemnisation. Lorsqu’un bailleur social est concerné, c’est plus facile : un intermédiaire organisé discute avec la puissance publique. Dans le cas de particuliers dont la résidence ne se situe pas dans un groupement quelconque, il faudrait accélérer ce genre de procédure.

Je confirme donc l’utilité de ce contrôle parlementaire de l’état d’urgence. Certes, de temps en temps, nous pouvons avoir l’impression de bousculer quelques habitudes au sein des cabinets ministériels, mais, après tout, nous ne faisons que notre travail : le rôle de contrôle du Parlement est inscrit dans la Constitution. En l’occurrence, l’utilité du suivi mis en place par la Commission n’est pas à démontrer.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Vous nous avez écrit, monsieur le président, que le Parlement n’était ni une autorité judiciaire ni une voie de recours supplémentaire. Dont acte. Pour ma part, je vous ai écrit, avec Georges Fenech, une lettre assez détaillée, le 9 décembre dernier.

Je me pose plusieurs questions.

Vous voulez évaluer l’efficacité des mesures prises, mais, franchement, de quels moyens disposez-vous pour vérifier que les informations fournies par une administration centrale sont pertinentes ?

Par ailleurs, ces derniers temps, je n’ai nullement entendu parler des GIR, les groupes d’intervention régionaux, qui regroupent les services des douanes et du ministère de l’économie et des finances, la gendarmerie et la police. Sont-ils sollicités dans le contexte actuel ? Sont-ils utiles ?

En ce qui concerne le zèle des préfets, je crains que la presse ne publie un jour quelque carte de l’efficacité des différents préfets. La question a-t-elle été abordée ?

Tout repose, aujourd’hui, sur la qualité du renseignement, mais, si j’en crois leurs propos, certains gendarmes n’ont pas beaucoup apprécié qu’aient été supprimés les FAR, ces fichiers alphabétiques de renseignements dont ils disposaient dans leurs unités territorialisées et qu’ils alimentaient eux-mêmes, pour un usage interne. Ils regrettent également de ne guère accéder à beaucoup d’informations sur les individus qu’ils peuvent côtoyer ou arrêter. La commission se penchera-t-elle sur la question de la qualité du renseignement ? Il n’y a pas de malice dans ma question.

Les perquisitions s’accélèrent depuis le 13 novembre dernier, mais pourquoi n’ont-elles pas eu lieu auparavant ? Je sais bien qu’il s’agit de perquisitions administratives et pas judiciaires, mais tout de même… 2 700 perquisitions, c’est curieux ! Notre système d’information n’était-il pas suffisamment développé ? Et peut-être le rythme des perquisitions ralentira-t-il bientôt, si, comme l’a suggéré Jean-Frédéric Poisson, les circuits se réorganisent.

Je suis très heureux de ce que vous faites, monsieur le président, mais je m’interroge quelque peu sur la nature et l’efficacité de votre action de contrôle.

M. Alain Tourret. Le contrôle auquel vous vous livrez actuellement avec notre collègue Jean-Frédéric Poisson est essentiel, monsieur le président, et renforce l’état de droit. Le mérite vous en revient principalement, je tiens à vous le dire.

Cela dit, peut-on connaître le nombre des gardes à vue et la durée de chacune ? La question se pose de savoir si la durée de la garde à vue peut ou doit être allongée en matière de terrorisme. Actuellement, elle est de six jours au plus.

Dans quelles mesures les perquisitions ont-elles été suivies de saisies ? Le cas échéant, étaient-ce des saisies habituelles ou des saisies informatiques ? Avec Roger-Gérard Schwartzenberg, nous avions beaucoup insisté sur le problème des saisies informatiques. Au regard du code de procédure pénale, c’est totalement nouveau.

Quant aux référés-liberté, qui sont l’autre aspect du contrôle de l’état d’urgence, le contrôle judiciaire, qui s’ajoute à notre contrôle politique, j’ai cru lire dans la presse que tous avaient été rejetés, mais pourriez-vous me renseigner ? Et a-t-on le texte des arrêts rendus par le juge administratif ? Leur motivation devrait nous permettre de déterminer sur quoi doit porter notre propre contrôle.

En ce qui concerne l’exploitation du renseignement, évoquée par notre collègue Pierre Morel-A-L’Huissier, deux types de dossiers peuvent être distingués : les nouveaux dossiers et ceux déjà détenus, soit par la police, soit par la magistrature. Or les informations dont nous disposons à propos de l’attentat du Bataclan me laissent extrêmement songeur – je n’en dirai pas plus, mais nous pourrons peut-être en parler ensemble, monsieur le président. Manifestement, il existe des mines de renseignements qui ne sont pas utilisées ; c’est très grave. En ce qui concerne les dossiers en cours, que peut faire l’autorité judiciaire dans le respect du secret de l’instruction ? Quels documents peuvent être produits ? La principale mine de renseignements, ce ne sont pas les actions menées actuellement, c’est le travail entamé depuis des mois, sinon des années. Quant aux dossiers qui viennent d’être ouverts, le renseignement doit, si possible, être exploité en temps réel. Il faut, monsieur le président, que vous sachiez ce qui a été tiré des renseignements obtenus ; c’est indispensable, et c’est toute la chaîne qu’il faudra étudier. Sinon, ce contrôle sera purement formel.

Le but est d’obtenir des résultats. Les mesures d’exception prises doivent permettre de prévenir, ou, éventuellement, de sanctionner.

M. Dominique Raimbourg. Il faut progresser sur la question de l’indemnisation des dégâts de perquisitions qui se révèlent vaines. Cette indemnisation doit être rapide. Il ne faut pas que la personne perquisitionnée doive avancer trop longtemps le montant de la réparation de sa porte fracturée.

Nous devons d’autre part nous interroger sur la question de la sortie de l’état d’urgence, et, pour cela, pouvoir mesurer son efficacité. Les perquisitions débouchent-elles sur des gardes à vue, puis sur des suites judiciaires ? La question de la prolongation de cette situation va se poser. Nous devons donc pouvoir évaluer dans quelle mesure les dispositions prises permettent d’engager des poursuites. Et, ensuite, il faudra revenir au droit commun, aux règles ordinaires de l’État de droit.

Le Parlement peut se féliciter de ce travail de contrôle auquel vous vous livrez. C’est une initiative nouvelle, originale. Vous innovez, nous innovons tous, collectivement. Il n’en faut pas moins que cela nous permette de déterminer dans quelle mesure prolonger l’état d’urgence serait nécessaire.

M. Erwann Binet. Vous l’avez rappelé, monsieur le président : le périmètre de l’état d’urgence est, par essence, très circonscrit, c’est une évidence, et l’usage par le Gouvernement des outils mis à sa disposition par la loi de 1955 vise un objectif précis : la lutte contre le terrorisme. Cependant, sur le terrain, les perquisitions ont des effets collatéraux. Elles peuvent en effet permettre la découverte d’infractions à d’autres législations qui ne relèvent pas de la lutte contre le terrorisme. Je ne parle pas de la détention d’armes, qui peut, directement ou indirectement, y être liée, mais des infractions à la législation sur le droit au séjour des étrangers ou encore aux règles sanitaires. C’est l’objet d’un article que je vous ai fait parvenir, monsieur le président : en Savoie, des restaurants ont été fermés pour cette raison. Il s’agit donc d’examiner les suites données aux perquisitions à la lumière des motifs pour lesquelles elles ont été menées. De quels moyens disposez-vous pour ce faire ?

Par ailleurs, j’ai cherché à obtenir des informations d’associations qui, sur le terrain, notamment dans la région lyonnaise et le nord de l’Isère, ont entamé assez rapidement un travail de veille et d’accompagnement des familles qui ont fait l’objet de perquisitions. Ce qui me frappe, c’est qu’il est très difficile d’obtenir des éléments objectifs. Sont évoqués le comportement des forces de l’ordre, les interrogations des habitants sur les motifs pour lesquels ils ont été perquisitionnés et les effets des perquisitions sur l’environnement immédiat et le voisinage. Les personnes perquisitionnées ont la terrible impression d’avoir subi une humiliation. Ainsi, dans ma circonscription, une famille a été perquisitionnée pour des raisons auxquelles elle avait très peu à voir. Certes, la perquisition s’est déroulée dans des conditions assez respectueuses, mais, en province, dans un petit quartier, ce n’est évidemment pas discret, et cela laisse des traces, notamment cette impression d’humiliation. Dominique Raimbourg a fort justement parlé des dégâts matériels, notamment ceux infligés aux portes, mais il serait important d’examiner également la question des réparations symboliques.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Les services peuvent-ils déterminer dans quelle mesure les assignations à résidence et perquisitions ont plutôt concerné les zones de sécurité prioritaires ? Leurs habitants craignent d’être plus particulièrement visés, au motif qu’ils seraient potentiellement inquiétants ou dangereux, tandis que les autres seraient forcément de bons citoyens. Je ne demande pas que nous disposions d’une cartographie : préservons le déroulement des enquêtes et reconnaissons le professionnalisme des services placés sous l’autorité des préfets et des services judiciaires. Avons-nous, cependant, connaissance de tels phénomènes ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Madame Le Dain, vous avez raison, il faut sans doute commencer par se demander qui est concerné, comment sont identifiés ceux qui font l’objet d’une perquisition ou d’une assignation à résidence. Jean-Frédéric Poisson et moi nous posons ces questions, et c’est pour cela que notre contrôle n’est pas en chambre : nous nous rendons dans les préfectures, nous y voyons les chefs des services – de tous les services, police judiciaire, renseignement territorial, sécurité intérieure, sécurité publique, gendarmerie… Nous examinons alors des cas précis, sur lesquels nous avons pu être amenés à nous interroger : nous demandons qui est à l’origine de la mesure prise, ce qui s’est concrètement passé.

À l’échelle nationale, le ministre de l’intérieur a créé un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui siège place Beauvau. Présidé par le ministre lui-même, il se réunit de façon extrêmement régulière. C’est là que sont passés au crible les objectifs des perquisitions et des assignations à résidence, sur la base sans doute des informations qui reviennent des départements. À votre question, je réponds donc par l’affirmative. Ce n’est pas tel ou tel préfet qui prend telle ou telle initiative : la réflexion se tient bien dans un cadre national.

Une grande partie des mesures administratives sont d’ailleurs signées, non pas par le préfet, mais par le ministre de l’intérieur lui-même.

Toutes les questions qui viennent d’être soulevées touchent au cœur du problème : nous sommes là pour préparer le jour d’après, c’est-à-dire le 26 février. Si le Gouvernement devait nous demander la prorogation de l’état d’urgence au-delà de cette date, notre devoir serait, à notre sens, de fournir à l’Assemblée nationale une grille de lecture de ce qui s’est passé pendant ces trois mois d’état d’urgence. Quelle est la plus-value de l’état d’urgence par rapport au droit commun, en matière de lutte contre le terrorisme ? Voilà la question que nous nous posons. Une grande partie des questions que vous m’avez adressées, monsieur Morel-A-L’Huissier, avec M. Fenech, touchent d’ailleurs précisément au droit commun – je pense notamment à celles qui portent sur le RAID, la BRI, le GIGN, les GIR... Ce n’est pas aujourd’hui notre sujet.

Vous nous avez interrogés sur les fichiers alphabétiques de renseignements (FAR) de la gendarmerie. À ma connaissance, ils existent toujours. Ils ont été intégrés à la base de données de sécurité publique (BDSP), qui est l’outil de la gendarmerie – et d’ailleurs à mon sens l’un des meilleurs outils de collecte de l’information au plan national. La police ne dispose pas d’équivalent de la BDSP, dont je précise que l’accès est restreint. Le renseignement, qu’évoquait Alain Tourret, est aussi un outil de droit commun, qui fonctionne.

Il y a une plus-value de l’état d’urgence, c’est évident. Mais quelle est son efficacité ? Quel doit être le périmètre de l’état d’urgence ?

Quels moyens avons-nous de vérifier la véracité des informations qui nous sont fournies par le ministre ? Tout d’abord, vous nous avez accordé les pouvoirs d’une commission d’enquête. Nous mentir est une infraction pénale. Nous organiserons donc ici même des auditions soutenues, après prestation de serment, afin de croiser les informations avec celles qui nous auront été délivrées lors de nos visites sur le terrain.

Erwann Binet a raison : dans les éléments matériels dont nous disposons, le sentiment d’humiliation, comme le non-respect de sommations, n’apparaît pas. Un dialogue avec les individus est donc nécessaire. Sur le terrain, nous voyons évidemment les chefs de service, mais nous n’écartons pas l’idée de rencontrer également les commissaires ou les commandants de brigade qui ont procédé aux investigations. Cela implique que nous disposions d’éléments suffisants pour poser des questions précises : nous ne faisons pas cela pour le plaisir de la conversation... C’est pourquoi nous procédons à un carottage : nous n’allons pas étudier les 2 721 perquisitions qui ont eu lieu jusqu’à présent.

Monsieur Tourret, les chiffres qui m’ont été fournis hier soir indiquent qu’il y a eu 273 gardes à vue, à la suite des 2 721 perquisitions, des 419 infractions constatées et de la découverte de 434 armes. Nous n’interrogeons pas le ministère sur la durée de ces gardes à vue, et vous faites bien de nous signaler ce point : nous allons nous y intéresser de plus près.

Les saisies informatiques font partie des vingt-quatre items de notre liste. Nous avons d’ailleurs débattu de cette question avec des chefs opérationnels : pendant le débat parlementaire, la question de savoir s’il fallait prévoir une saisie du matériel informatique, ou si une simple copie était suffisante, s’est posée ; le Parlement a décidé que la copie suffisait, les éléments dont je disposais comme rapporteur me semblant aller dans ce sens. Nous vérifions sur le terrain si c’est bien le cas.

Monsieur Raimbourg, la proportion des perquisitions administratives débouchant sur une procédure judiciaire est aujourd’hui limitée, puisqu’elle est de 20 %. Mais faut-il en conclure à l’inefficacité de la perquisition ? Il faut en effet du temps pour analyser la copie des données informatiques. De plus, une perquisition peut permettre de dissiper une suspicion née de faisceaux d’indices qui paraissaient converger. Si quelqu’un peut nous dire précisément, statistiquement, ce qu’est l’efficacité, nous en serons très heureux ! Pour le moment, nous tâtonnons.

Les informations de la Chancellerie n’ont commencé à nous arriver qu’hier : le processus est naturellement plus long. Dans beaucoup de cas, nous n’en sommes qu’au stade de l’information préliminaire, et les parquets ne sont pas encore saisis. Nous aurons rapidement le détail des détentions provisoires, que nous avons évidemment demandé, ainsi que le détail des incarcérations en exécution de peine. Nous pourrons ainsi mieux lire le chiffre brut des incarcérations.

Le territoire n’est pas concerné de manière uniforme : c’est la raison pour laquelle nous allons diversifier nos déplacements, en nous rendant dans différents départements, y compris certains qui ne viennent pas spontanément à l’esprit quand on pense à ces sujets.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Monsieur Binet, nous interrogeons bien sûr les autorités sur la proportion d’infractions liées au terrorisme par rapport aux infractions de droit commun. Mais il faut bien constater que l’imbrication entre les unes et les autres est étroite. C’est une difficulté.

Madame Le Dain, vous nous interrogez sur la concentration des actions sur certains territoires. J’ai en tête l’exemple du Val-de-Marne : c’est un département à forte concentration urbaine, où vit l’une des plus grandes communautés juives de France – à Créteil et à Saint-Maur –, où se trouvent deux stations d’alimentation en eau potable de la Ville de Paris, mais aussi Rungis et Orly, notamment. On y trouve encore l’un des foyers de radicalisme les plus importants de l’Île-de-France, à Champigny-sur-Marne. On nous y explique comment traiter la question des personnes dangereuses, fichées, qui travaillent pour des sous-traitants d’Aéroports de Paris. Il est donc probable que la concentration des mesures prises dans ce département est forte ! De mémoire, la semaine dernière, il y avait déjà eu quatre-vingts perquisitions, c’est-à-dire un trentième de l’ensemble des perquisitions. C’est sans doute plus que presque partout ailleurs.

Il est probable que nous constaterons mécaniquement une concentration des mesures liées à l’état d’urgence dans ou autour des ZSP, et cela sans avoir besoin de soupçonner un « délit de faciès ». Pour autant, cela ne signifie pas que les services ne sont pas actifs ailleurs. Le fait est que nous sommes régulièrement saisis, par voie de presse ou par des collègues, de faits qui se déroulent dans la France entière.

Dans la question de M. Raimbourg, enfin, il y a deux façons d’entendre la sortie de l’état d’urgence : pense-t-il à sa cessation simple, ou bien à ses suites après le 26 février, notamment à la continuation des poursuites engagées dans le cadre de l’état d’urgence ? Tout cela est réglé par le droit, avec l’hypothèque, peut-être, d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité.

En ce qui nous concerne, il me semble que notre rôle s’arrêtera — à part peut-être pour réaliser des compléments d’information ultérieurs, plus détaillés — au 26 février. Mais c’est une situation nouvelle pour tous : nous verrons bien. Il me semble qu’un rapport de qualité doit permettre à la commission des Lois, et à l’ensemble de l’Assemblée nationale, de statuer sur une éventuelle prorogation de l’état d’urgence, ce qui suppose qu’il soit rendu avant la fin de l’état d’urgence. Nous serons certainement amenés – mais cette décision appartient au président de la Commission – à vous rendre ce rapport assez tôt pour qu’il puisse être examiné à tête reposée, mais aussi assez tard pour englober une période aussi large que possible.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je vous fais confiance à tous deux pour analyser la plus-value réelle de l’état d’urgence. Les perquisitions judiciaires sont-elles aujourd’hui asséchées par rapport aux perquisitions administratives ?

Vous prévoyez d’interroger des autorités locales tant de police que de gendarmerie : je ne peux que vous y encourager fortement. La « grande muette » n’est pas un mythe : il n’est pas du tout certain que les autorités centrales aient la même vision que les autorités territoriales.

M. le président Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Je ne peux pas répondre à votre première question : les informations sont encore en cours de traitement.

Sur le second point, nous essaierons de créer les conditions pour que notre information soit aussi complète que possible. Vous pouvez nous faire confiance.

La séance est levée à 13 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, MmeMarie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Jean-Pierre Decool, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Daniel Gibbes, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, M. Paul Molac