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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

3 mai 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 74

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, discussion générale et examen du projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature (n° 3200) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure) et du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire (n° 3204) (M. Jean-Michel Clément et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs).

La réunion commence à 17 heures 05.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission auditionne M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature (n° 3200) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure) et le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire (n° 3204) (M. Jean-Michel Clément et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs).

M. le président Dominique Raimbourg. Nous allons commencer cet après-midi l’examen de deux textes : le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature et le projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire, connu auparavant sous l’appellation « justice du XXIe siècle », ou « J21 ». Notre Commission a désigné trois rapporteurs : Mme Cécile Untermaier pour le projet de loi organique, MM. Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec pour le projet de loi ordinaire. 530 amendements ont été déposés : 130 sur le projet de loi organique, 400 sur le projet de loi ordinaire.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, qui va participer à nos travaux. Je vais lui donner la parole, puis nous entendrons les rapporteurs et ouvrirons une discussion générale.

D’autres réunions sont prévues, ce soir et demain. Afin que nous ne terminions pas nos travaux trop tardivement dans la soirée de demain, je vous invite à être concis et à ramasser vos arguments. Je vous précise, néanmoins, que j’envisage de suspendre nos travaux vers 18 heures, puis de nouveau vers 18 h 45, afin que ceux qui le souhaitent puissent se rendre en séance pour aller voter sur les motions de procédure qui ont été déposées contre la loi réformant le code du Travail, qui est débattue en ce moment.

M. Alain Tourret. Je comprends parfaitement votre préoccupation, monsieur le président. Cependant, je regrette vivement que l’organisation du travail dans notre assemblée soit aussi difficile à saisir : tous nos collègues ne peuvent pas assister à l’audition du garde des Sceaux et à l’examen des amendements sur ce texte qui est, chacun en convient, très important. C’est d’autant plus vrai pour les groupes politiques les moins nombreux, où il est difficile de se répartir le travail.

M. le président Dominique Raimbourg. Dont acte, monsieur Tourret.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Vous connaissez la situation de la justice aussi bien que moi et, surtout, l’approche que nos concitoyens en ont. L’année dernière, dans le cadre des débats préparatoires à ces projets de loi, Mme Christiane Taubira, qui m’a précédé dans mes fonctions, avait présenté, lors d’une réunion qu’elle avait organisée à l’UNESCO, les résultats d’un sondage révélant l’avis des Français sur leur justice : 80 % d’entre eux estimaient que la justice était trop complexe et trop lente, et 60 % la jugeaient inefficace. Il est à craindre que ceux qui franchissent le seuil des palais de justice, souvent par contrainte, en tant que justiciables, ne partagent ce sentiment : certes, ils sont plus satisfaits des décisions de justice que l’ensemble des Français, mais ils trouvent les procédures longues et onéreuses.

À cette organisation complexe et au fonctionnement peu compréhensible pour nos concitoyens s’ajoute un troisième mal : la tension grandissante entre les moyens octroyés à la justice et les besoins nécessaires à la bonne mise en œuvre de ses missions.

Nous partageons, je le sais, ce diagnostic. Il est de la responsabilité du Gouvernement de vous proposer des remèdes. Tel est l’objet de ces projets de loi. Ils ont été adoptés en Conseil des ministres en juillet 2015 et débattus au Sénat au mois de novembre suivant. Il me revient de vous les présenter aujourd’hui et, surtout, de vous dire la philosophie qui m’a conduit à déposer, sur les 530 amendements que vient d’évoquer M. le président, 105 amendements au nom du Gouvernement : 22 sur le projet de loi organique et 83 sur le projet de loi ordinaire.

À travers ces amendements, je poursuis en réalité quatre objectifs.

En premier lieu, ne pas ouvrir de nouveaux chantiers en l’absence du temps et des finances qui seraient nécessaires. Je ne crois pas utile de semer l’illusion de nouvelles réalisations ; je crois, au contraire, que cela apporterait de la souffrance à ceux qui vivent déjà mal la lenteur de la justice.

En deuxième lieu, ne pas allumer non plus de nouveaux brasiers : ces textes se veulent des textes d’apaisement, qui résolvent, qui dénouent, qui répondent à des problèmes et à des besoins.

Troisième ambition : mieux utiliser les moyens de la justice pour la rendre plus efficace, moins complexe, plus lisible. Cela ne m’exonère naturellement pas de chercher à en obtenir de nouveaux. À cet égard, j’espère qu’il y aura des avancées notables dans le projet de loi de finances pour 2017.

Enfin, quatrième mission : recentrer l’intervention de la justice sur ses missions essentielles, à savoir prendre des décisions par l’application du droit aux litiges qui lui sont soumis. Dans cet esprit, l’un des amendements du Gouvernement vise à rebaptiser le texte « projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », afin qu’il retrouve sa filiation avec le projet présenté par Mme Christiane Taubira au Conseil des ministres l’année dernière. Toutes les mesures de ce texte ont vocation à réconcilier les Français avec leur justice.

Il convient de distinguer le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Je salue le travail de la rapporteure du projet de loi organique, Mme Cécile Untermaier, qui a déposé 59 amendements, et, avec le même enthousiasme, celui des rapporteurs du projet de loi ordinaire, MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément, qui en ont déposé 132. Chacun a donc fait œuvre utile pour atteindre les objectifs que j’ai exposés.

Le projet de loi organique s’inscrit dans l’engagement du Président de la République de renforcer l’indépendance de la justice et de mettre en œuvre une République exemplaire. Cela passe par des questions statutaires. À ce titre, il vous est proposé, par amendement, de créer un statut pour le juge des libertés et de la détention (JLD), qui serait nommé comme juge spécialisé. C’est la suite logique de l’accroissement continu des pouvoirs qui lui ont été donnés depuis sa création, tant en matière pénale qu’en matière civile : en tant que juge protecteur des libertés individuelles, il contrôle de façon croissante les actes et les décisions les plus intrusives. Ce faisant, je ne fais d’ailleurs qu’engager un mouvement qui méritera d’être poursuivi, car je crois vraiment que le JLD sera le juge de demain. Toutes les réflexions qui viendraient corroborer ou renforcer cette intuition seront les bienvenues.

Un deuxième amendement important au projet de loi organique vise à créer un collège de déontologie des magistrats. Les magistrats disposeront ainsi d’une structure indépendante, dépourvue de pouvoir disciplinaire, qui sera à même de répondre à toutes les questions d’ordre déontologique auxquelles ils peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs fonctions.

Troisième élément sur lequel je souhaite appeler votre attention dans ce propos liminaire : l’allongement de deux ans de la durée maximale d’exercice des fonctions des magistrats placés afin de pallier la désaffection pour cette fonction.

Le projet de loi organique est aussi porteur d’une ouverture du corps de la magistrature par la facilitation des détachements judiciaires et par l’élargissement des origines professionnelles permettant d’y accéder.

Il comporte évidemment bien d’autres dispositions, mais je ne veux pas me livrer à un inventaire à la Prévert. Ainsi que le disait Voltaire : « le secret d’ennuyer est celui de tout dire » !

Avec le projet de loi ordinaire, nous entendons rendre la justice plus simple, plus accessible, plus lisible, plus efficace. Si « J21 », le nom communément donné à ce texte, était un adjectif, je voudrais qu’il soit l’antonyme de « kafkaïen » ! Les justiciables ont des attentes et nous devons tenter d’y répondre. Les juridictions ont des besoins et nous devons les entendre. Je n’évoque, là encore, que quelques-unes des principales mesures du texte.

Avec le titre II, nous avons souhaité favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges. À cette fin, nous vous proposons d’instaurer un préalable obligatoire de conciliation par un conciliateur de justice pour les litiges portant sur moins de 4 000 euros. Le juge n’aura donc à examiner que les affaires les plus contentieuses. Pour une meilleure conciliation dans les petits litiges, il faut donner à tous le choix d’organiser le recours à un tiers pour les trancher.

Par ailleurs, le texte vise à autoriser le recours à une convention de procédure participative, même si un juge est déjà saisi du litige. Cette convention peut, dès lors, tendre à la mise en état du litige. C’est dans ce cadre qu’est introduite la conclusion possible d’actes contresignés par avocats, préfiguration de l’acte de procédure d’avocats.

Enfin, nous élargissons les possibilités pour les parties, si elles le désirent, de recourir à une clause compromissoire, c’est-à-dire de faire appel à un arbitre.

Les titres II et IV visent à renforcer l’efficacité du fonctionnement de la justice. Nous vous proposons de travailler à droit constant, sans chercher à contraventionnaliser les délits routiers, en forfaitisant les sanctions pour certains de ces délits tout en respectant le droit actuel. Il s’agit d’un travail à droit constant : nous ouvrons une possibilité sans bouleverser l’existant.

Nous donnons à l’action de groupe un socle procédural commun, décliné en matière de discrimination, de discrimination au travail, mais aussi, désormais, de santé, d’environnement et de données numériques. Nous disposerons ainsi d’un vrai bloc cohérent plutôt que de dispositions éparses dans des textes thématiques.

Pour mieux traiter le contentieux social, nous proposons de regrouper l’ensemble du contentieux au sein d’une seule juridiction présente dans chaque département et comprenant des magistrats spécialisés. À cette fin, le texte prévoit des habilitations relatives, notamment, à la fusion des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI). Cette mesure fait suite au rapport conjoint de l’inspection générale des services judiciaires et de l’inspection générale des affaires sociales. Le volume des contentieux concernés est important : 100 000 affaires pour les TASS en 2012, 42 500 pour les TCI en 2013.

Un mot particulier sur la justice des mineurs : j’avais déjà eu l’occasion d’indiquer que le Gouvernement était favorable à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Je donnerai donc un avis favorable aux amendements déposés en ce sens par plusieurs groupes politiques.

Le titre IV tend à recentrer le juge sur ses missions essentielles.

Nous proposons de supprimer la procédure d’homologation des plans de surendettement, 98 % d’entre eux ne faisant l’objet d’aucun litige. Nous avons obtenu l’accord de principe de la Banque de France sur cette disposition.

Nous souhaitons transférer aux officiers d’état civil l’enregistrement des pactes civil de solidarité (PACS), ainsi que la procédure de changement de prénom. En 2013, 168 000 PACS ont été conclus. Les officiers d’état civil sont déjà associés à la procédure. En contrepartie, de nouvelles mesures de simplification en matière d’état civil sont proposées aux communes. J’ai évidemment présenté ces dispositions à M. François Baroin, président de l’Association des maires de France (AMF). J’ai veillé à ce que personne ne soit perdant, ni l’État, ni les collectivités territoriales. J’y reviendrai tout à l’heure.

Enfin, concernant le divorce, nous proposons qu’il ne soit plus nécessaire de passer devant un juge pour le divorce par consentement mutuel. Lorsque les parties sont d’accord pour divorcer, il suffira d’un acte signé par les deux avocats représentant chacune d’elles et enregistré par le notaire. Cela ne pourra se faire naturellement que dans certaines conditions, en présence des deux avocats et dans le respect du droit de chaque enfant à être entendu dans le cadre de la procédure.

L’objectif assigné à ce projet de loi de recentrer l’institution judiciaire sur ses missions essentielles vaut aussi pour les juridictions supérieures, notamment la Cour de Cassation. Celle-ci est en effet submergée par un nombre très important de pourvois et éprouve, de ce fait, des difficultés à assurer sa fonction de régulation de l’application du droit et d’unification de la jurisprudence à l’échelle nationale. À l’instar de ce qui a été fait pour ses homologues dans les pays voisins, je vous propose de mettre en place en son sein un système de filtrage des pourvois. En l’espèce, je souhaite soumettre les différentes possibilités au débat.

La justice du XXIe siècle doit être une justice faite pour l’homme, à la mesure de ses besoins, que ce soit en tant que justiciable ou en tant que professionnel. Mon ambition, je vous l’ai dit en préambule, est modeste : par ce texte, je ne cherche qu’à améliorer le service public rendu au justiciable. Il suffit parfois d’une évolution législative limitée ; nous proposons de nombreux amendements de cette nature. Sur d’autres points, l’évolution doit être plus importante ; dans ce cas, nous ne faisons qu’amorcer, avec ce texte, un mouvement qui sera accentué demain. Vous constaterez que de nombreux amendements traduisent cette envie d’avancer.

Je souhaite que le débat en commission prenne maintenant toute sa place. C’est pourquoi, monsieur le président, j’ai déposé la totalité des amendements du Gouvernement en commission. Mon intention est de n’en déposer aucun en séance publique.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci, monsieur le garde des Sceaux. C’est l’application d’une jurisprudence constante et désormais célèbre…

Mme Cécile Untermaier, rapporteure du projet de loi organique. Je vous remercie, monsieur le garde des Sceaux, pour votre intervention, qui nous indique l’esprit dans lequel nous allons travailler pour améliorer la justice, qui nous tient tant à cœur. Je remercie très sincèrement mes collègues Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs du projet de loi ordinaire, qui ont participé à mon travail, ainsi qu’Yves Goasdoué et Colette Capdevielle. Je remercie enfin les administrateurs du secrétariat de la commission et les membres de votre cabinet, qui ont fait preuve d’une grande disponibilité et d’une grande compétence.

Je poserai quelques questions complémentaires qui permettront d’éclairer le contenu du projet de loi organique.

Vous présentez, monsieur le garde des Sceaux, plusieurs amendements qui prennent acte, dans l’ordonnance statutaire des magistrats, de la fusion des actuelles inspections du ministère de la justice en une seule inspection, dénommée inspection générale de la justice. Je souhaiterais que vous nous donniez des précisions sur les modalités de cette réforme, attendue depuis longtemps, dont la nécessité a été encore rappelée récemment par la Cour des comptes.

En ce qui concerne l’élargissement des voies d’accès à la magistrature et d’ouverture de celle-ci à d’autres professionnels, je note l’effort que vous faites en faveur des doctorants, avec la mise en place de plus de juristes assistants. Je m’interroge, toutefois, sur deux points. D’une part, la formation de deux ans qui leur sera proposée à l’École nationale de la magistrature (ENM) n’est-elle pas trop longue ? Compte tenu de leur cursus prolongé – dix années d’études de droit et trois années de service en tant que juristes assistants –, ils pourraient peut-être bénéficier d’une formation raccourcie d’une année à l’ENM. D’autre part, contrairement à ce que nous souhaitions tous vivement au sein de la majorité, il n’est pas prévu d’élargissement des voies d’accès s’agissant des avocats. Des propositions vous seront sans doute faites à ce sujet, sinon en commission, du moins en séance publique. Pourront-elles prospérer ?

Concernant les magistrats recrutés par le concours complémentaire, quelles sont, au-delà des modifications proposées dans le texte organique, les améliorations que vous entendez apporter à leur mode de recrutement, qui s’avère décourageant pour nombre de candidats ?

J’ai déposé plusieurs amendements visant à rétablir la réforme du statut du JLD qui avait été proposée par le Gouvernement, mais vidée de son sens par le Sénat. Vous avez souligné l’importance de ce rétablissement, et nous vous remercions de cette décision. Au regard de l’accroissement des prérogatives du JLD, il convient, en effet, de lui conférer les garanties à même de lui assurer son indépendance.

Trois ans après les lois sur la transparence de la vie publique, dont vous avez été le rapporteur pour notre commission, je me félicite que la plupart des mesures déontologiques mises en place par ces lois soient aujourd’hui transposées aux magistrats judiciaires. C’est d’autant plus nécessaire que nous venons de renforcer le cadre déontologique applicable aux fonctionnaires et aux membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016.

Je pense malgré tout que le projet de loi organique pourrait aller encore plus loin en matière de déontologie. Il s’agirait, d’abord, de rapprocher ses dispositions de celles de la loi du 20 avril 2016, qui prévoient par exemple des sanctions pénales en cas d’absence de déclaration ou de déclaration incomplète. Je relève également que, en l’état actuel du texte, le premier président et le procureur général près la Cour de cassation ne sont pas tenus de déclarer leurs intérêts.

Il manquait également un organe de conseil en matière de déontologie, le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne pouvant s’étendre aux questions individuelles. Vous avez répondu sur ce point, puisque vous avez pris en considération notre démarche et admis l’idée d’un collège de déontologie, interne à la magistrature judiciaire, sur le modèle des collèges de déontologie de la juridiction administrative et des juridictions financières. Il pourrait notamment recevoir les déclarations des plus hauts magistrats.

Dans le même sens, ne devrait-on pas étendre l’obligation de déclarer leurs intérêts à tous ceux qui exercent la fonction de juger, y compris aux magistrats à titre temporaire et aux magistrats honoraires, ainsi qu’à l’ensemble des membres du CSM ? En outre, que pensez-vous de l’idée d’étendre aux membres du Conseil constitutionnel les obligations déclaratives prévues dans ce projet de loi organique, ainsi que le proposent, par un amendement, Yves Goasdoué et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen ?

Enfin, dans plusieurs affaires récentes et médiatisées, des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été soulevées au tout dernier moment, en début d’audience, parfois dans le seul but d’obtenir un sursis à statuer. Pourtant, certaines de ces QPC auraient pu être déposées pendant l’instruction, laquelle dure souvent de longues années. De telles pratiques désorganisent le calendrier judiciaire et ralentissent encore un peu plus le fonctionnement de la justice. En matière criminelle, ce problème ne se pose pas, puisque, en 2009, le législateur organique a pris le soin d’interdire le dépôt de QPC devant les cours d’assises, ce moyen devant être soulevé pendant l’instruction. N’est-il pas temps de transposer ce système en matière correctionnelle, pour autant, évidemment, qu’il y ait bien une instruction préalable ?

La technicité de ce texte ne doit cacher ni l’importance de ses objectifs ni le caractère salutaire des avancées qu’il prévoit. Vous l’avez dit avec force, monsieur le ministre : la justice, c’est aussi une question de moyens. En plus de cette avancée législative, il nous faut donc poursuivre avec constance, chaque année, l’amélioration de la situation budgétaire de l’autorité judiciaire, en portant une attention particulière aux magistrats et aux personnels œuvrant dans ce domaine.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur du projet de loi ordinaire. Les nombreuses auditions et les visites en juridiction que nous avons réalisées nous ont permis de mesurer l’engagement et la volonté constante de l’institution judiciaire et des auxiliaires de justice d’améliorer l’accès de nos concitoyens à la justice. Je souhaite dire ma reconnaissance à tous ceux qui s’engagent, souvent bénévolement, pour que notre justice au quotidien fonctionne mieux. Je remercie mes collègues Jean-Yves Le Bouillonnec et Cécile Untermaier, qui ont participé à toutes les auditions sur ce vaste chantier, ô combien nécessaire.

Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire soumis à l’examen de notre commission ont pour objet de mettre en œuvre les préconisations issues des travaux menés depuis 2013 pour favoriser la justice du XXIe siècle. Avant toute chose, je veux rendre hommage à la démarche originale engagée par votre prédécesseur, Mme Christiane Taubira : il s’agit de définir ce que signifie l’accès à la justice pour nos concitoyens, de dire ce qu’est le véritable office du juge et de faire société en privilégiant le recours à des modes alternatifs de règlement des conflits, notamment de ceux du quotidien ; il s’agit de réformer en profondeur notre organisation judiciaire, de rapprocher la justice des citoyens, dont elle a été éloignée par une réforme drastique de la carte judiciaire, et d’améliorer l’efficacité des procédures judiciaires, facteur de justice sociale.

Vous avez parfaitement présenté, monsieur le garde des Sceaux, les principaux enjeux de ces deux projets de loi. Je souhaite vous poser quelques questions sur les sujets que j’ai suivis plus particulièrement, afin d’éclairer l’ensemble de nos collègues sur l’ambition de la discussion au sein de notre assemblée. Je précise que Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même avons conduit nos travaux ensemble et que nos analyses convergent sur tous les sujets abordés dans ce projet de loi.

L’un des objectifs de ce texte est de parachever la réforme des TASS, des TCI et des commissions départementales d’aide sociale (CDAS). Les juridictions sociales occupent une place de choix parmi les sujets essentiels abordés dans ce projet de loi. Cette justice des gens a été décrite avec beaucoup d’humanité et de pertinence par Pierre Joxe dans son livre Soif de justice. Une importante réforme de ces juridictions est à l’œuvre. Entre la lecture au Sénat et la présente lecture à l’Assemblée nationale, un rapport essentiel des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales vous a été remis. Vous nous proposez un amendement qui vient modifier substantiellement la réforme adoptée à l’initiative du Sénat. Pourriez-vous nous en préciser les grandes lignes ? Les inquiétudes sont en effet nombreuses, notamment parmi les agents des tribunaux spécialisés concernés, mais également parmi les justiciables en situation de précarité ou malades.

J’en viens à l’action de groupe. L’accès à la justice doit être facilité pour chacun de nos concitoyens, pris individuellement, mais aussi collectivement, tant les sujets susceptibles de les concerner ensemble sont nombreux. La « loi Hamon » a ouvert la possibilité d’une class action à la française dans le champ de la consommation. Mais, au-delà, c’est une définition claire, encadrée, précisant les droits et les protections de chacun qu’il nous fallait écrire. C’est chose faite avec ce texte, et nous saluons la définition des règles générales qui trouveront à s’appliquer à l’ensemble des actions de groupe. Toutefois, pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’action de groupe en matière commerciale sera la seule à ne pas s’inscrire dans le cadre général ? D’autre part, pouvez-vous nous détailler les modalités des nouvelles actions de groupe spécifiques que vous proposez d’introduire dans le texte, notamment pour ce qui touche à l’environnement et à la protection des données personnelles ?

Concernant plus particulièrement l’action de groupe en matière de discrimination, il nous semble important, à l’issue de nos auditions, de prévoir dans ce texte, sans attendre l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », l’élargissement de la liste des motifs de discrimination fixée par la loi de 2008 à ceux qui sont aujourd’hui prévus par l’article 225-1 du code pénal. Il est en effet essentiel que l’état de santé soit retenu comme un motif sur le fondement duquel les discriminations sont prohibées. Nous suivrez-vous dans cette voie, monsieur le garde des Sceaux ?

S’agissant des actions de groupe qui pourront être engagées à la suite de discriminations pratiquées par un employeur, pouvez-vous expliciter le raisonnement sur lequel repose votre définition des personnes auxquelles la qualité à agir pourrait être reconnue ? Qu’en sera-t-il pour les syndicats et les associations ? Pour ces dernières, quels seront les critères retenus (agrément national ou régional, ancienneté) ? Par ailleurs, il nous semble essentiel que la réparation des préjudices, y compris moraux, soit envisagée comme objet de l’action de groupe en matière de discrimination, de manière générale et au travail en particulier. Partagez-vous notre opinion, monsieur le garde des Sceaux ?

Enfin, pourquoi limiter les déclinaisons de l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations avec un employeur aux seuls préjudices qui trouvent leur origine dans un fait générateur ou un manquement postérieur à l’entrée en vigueur du présent projet de loi ? Cette disposition, souvent présentée comme destinée à limiter l’insécurité juridique pour les défendeurs, revient à priver d’action de groupe toutes les victimes identifiées à ce jour. Qui plus est, elle apparaît surprenante au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : ce dernier a considéré, dans ses décisions sur la loi relative à la consommation et sur la loi de modernisation de notre système de santé – qui ne prévoyaient, ni l’une ni l’autre, une telle disposition –, que les règles relatives à l’action de groupe, qui sont de nature procédurale, « ne modifient pas les règles de fond qui régissent les conditions de [la] responsabilité [du défendeur] ; que, par suite, l’application immédiate de ces dispositions ne leur confère pas un caractère rétroactif ». Elles peuvent, par conséquent, s’appliquer immédiatement aux préjudices déjà constitués. Pourquoi laisser en l’état l’article 46, ce qui limiterait singulièrement la portée des nouvelles actions de groupe en matière de discrimination ?

En matière de justice commerciale, plusieurs évolutions importantes ont été adoptées par le Sénat. Il nous revient de les compléter. J’ai participé aux travaux de la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, aux côtés de mes collègues Cécile Untermaier et Marcel Bonnot. Certaines propositions ont déjà été prises en compte dans le cadre de la « loi Macron », mais il reste encore du chemin à parcourir : comme vous le savez, d’autres améliorations sont attendues.

En premier lieu, les artisans deviennent éligibles aux fonctions de délégués et de juges consulaires. Cette avancée, qui a fait l’objet de nombreux travaux au cours des précédentes années et qui avait notamment été recommandée par le rapport d’information précité, s’accompagne d’une extension des compétences de ces tribunaux aux litiges entre artisans. Sur ce point, nous vous proposons deux évolutions législatives : la première vise à étendre la compétence des tribunaux de commerce à tous les litiges relatifs à une activité artisanale, et non plus seulement à ceux qui sont constatés entre artisans ; la seconde, à revoir la définition des collèges électoraux.

En effet, les circonscriptions des chambres de commerce et d’industrie (CCI), qui ont actuellement la charge d’organiser les élections consulaires, ne sont compatibles ni avec celles des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) – lesquelles seront chargées, pour l’avenir, d’organiser ces élections pour les artisans –, ni véritablement avec le ressort des tribunaux de commerce. Il convient d’aller au bout de cette réforme en fixant le collège des électeurs en fonction du ressort des tribunaux de commerce, avec le soutien des chambres consulaires. D’ici à la séance publique, nous pourrons affiner, si besoin, le dispositif que nous proposons, notamment pour traiter la situation particulière des petits tribunaux.

Par ailleurs, nous avons déposé, de même que certains collègues, plusieurs amendements visant à renforcer encore la prévention des conflits d’intérêts, ainsi qu’un amendement de compromis tendant à limiter le cumul des mandats dans le temps et à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de juge consulaire.

Il nous semble que cette réforme, qui s’inspire de précédents travaux parlementaires, devrait ainsi être bénéfique à la justice commerciale et aux justiciables.

Enfin, au-delà de différentes mesures de simplification, par exemple en matière de surendettement ou de publicité foncière, le présent texte contient des dispositions importantes en faveur des entreprises en difficulté – sujet auquel je suis particulièrement attaché. Il conviendra toutefois de rétablir des dispositions supprimées ou modifiées par le Sénat, car le maintien du texte en l’état aurait pour effet, selon nous, de fragiliser certaines procédures collectives, à l’instar de la procédure de sauvegarde. En outre, je déposerai plusieurs amendements concernant le secteur agricole, lequel connaît en ce moment des difficultés particulières. Les périodes de crise mettent en évidence que les exploitants agricoles manquent cruellement de protections. Il faudra les rassurer sur ce point.

Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous apporterez sur ces différents points.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur du projet de loi ordinaire. Ce texte vise à réformer en profondeur notre organisation judiciaire, à rapprocher la justice des citoyens et à améliorer l’efficacité des procédures juridictionnelles. De même que mon collègue Jean-Michel Clément, je souhaite appeler votre attention et vous interroger sur un certain nombre de points particuliers, monsieur le garde des Sceaux. Je précise que Jean-Michel Clément et moi-même partageons la même vision de ce texte et que nos analyses n’ont jamais divergé sur la manière dont nous pouvons l’améliorer encore.

Concernant le renforcement de la politique d’accès au droit et la facilitation de l’accès à la justice, nous avons procédé à de nombreuses auditions et nous sommes rendus dans plusieurs palais de justice, ainsi qu’à la maison de justice et du droit (MJD) de Pontivy. Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement envisage de développer un service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) dans d’autres MJD et si, par la même occasion, il serait d’accord pour favoriser la tenue d’audiences foraines dans ces MJD, lesquelles représentent, du fait de leur proximité avec les citoyens, une très bonne solution alternative à la récente réforme de la carte judiciaire. D’autre part, pouvez-vous nous assurer que les moyens humains et techniques, notamment les dispositifs informatiques Portalis et Cassiopée, seront bien au rendez-vous pour garantir le succès des SAUJ ?

S’agissant de la conciliation et de la médiation, qui constituent un enjeu important, nous avons découvert le rôle primordial des conciliateurs de justice, qui interviennent à titre bénévole pour aider nos concitoyens à résoudre leurs litiges du quotidien – pour souligner leur engagement, on peut parler de « mécénat », au vrai sens du terme. Nous soutenons activement la réforme proposée par le Gouvernement, qui consiste à rendre la conciliation obligatoire pour les litiges dont l’enjeu est inférieur à 4 000 euros, sous peine d’irrecevabilité. Néanmoins, l’efficacité du dispositif repose sur les réponses que vous apporterez aux questions suivantes : comment réussir à attirer de nouveaux candidats à la fonction de conciliateur, sachant que leur activité pourrait augmenter de plus de 30 % avec ce nouveau dispositif ? De quelle manière envisagez-vous de revaloriser leurs défraiements, trop symboliques pour ne pas être ridicules ? Pourquoi ne pas avoir prévu, à ce stade, une formation initiale obligatoire à destination des conciliateurs ?

S’agissant de la médiation, nous comprenons que le Gouvernement choisisse de distinguer cette procédure de celle de la conciliation. Cependant, ne faudrait-il pas faire établir une liste des médiateurs pour chaque cour d’appel pour éviter le risque de recours à des personnes peu recommandables, voire à des charlatans, largement dénoncé lors des auditions auxquelles nous avons procédé ? En matière familiale, lorsqu’il s’agit de modifier une décision de justice relative à l’exercice de l’autorité parentale ou à la contribution à l’entretien des enfants, ne conviendrait-il pas de généraliser la tentative de médiation obligatoire expérimentée entre 2012 et 2014 dans plusieurs ressorts, et qui s’est alors révélée très intéressante ?

Enfin, si nous saluons la suppression de la juridiction de proximité, il nous paraît nécessaire de prendre certaines précautions vis-à-vis des nombreux juges de proximité – ils sont encore près de 500 – qui ont rendu d’éminents services au fonctionnement de nos juridictions.

Nous soutenons également la démarche que reflètent les nombreux amendements du Gouvernement tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières. Nous vous proposerons pour notre part de forfaitiser certains délits routiers afin d’en faciliter le traitement et le recouvrement. Pouvez-vous nous présenter rapidement l’économie globale de la réforme que vous envisagez dans le domaine des infractions routières ?

Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements destinés à améliorer l’organisation et le fonctionnement de la justice des mineurs. Or des amendements socialistes, écologistes ou radicaux proposent la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Là encore, comment la réforme qui en découlerait s’articulerait-elle avec vos amendements ?

En ce qui concerne les mesures de recentrage des juridictions sur leurs missions essentielles, nous sommes bien entendu très favorables au transfert de l’enregistrement du PACS des greffes des tribunaux de grande instance (TGI) aux officiers de l’état civil, et proposons un amendement destiné à rétablir cette mesure supprimée par le Sénat. Le risque de confusion entre PACS et mariage, avancé en 1999 pour justifier l’enregistrement au greffe du tribunal, est aujourd’hui entièrement écarté : le PACS est bien connu de nos concitoyens, qui ne le confondent aucunement avec le mariage. Par ailleurs, la loi du 17 mai 2013 a consacré le mariage des personnes de même sexe. Les obstacles symboliques allégués à l’époque ont donc totalement disparu. Il convient, en outre, de mieux affirmer le rôle d’officier de l’état civil dévolu au maire, auquel vos deux rapporteurs sont très attachés.

Vous proposez, monsieur le ministre, d’autres transferts de compétence des tribunaux vers d’autres professions, comme celle d’avocat, avec la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel. Quel en seront l’intérêt et le coût pour nos concitoyens ? Certains de nos collègues proposent également de transférer aux avocats la déclaration de procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur, ou aux médecins le recueil du consentement en vue d’un don de moelle osseuse. Nous sommes quelque peu réservés à cet égard, mais nous estimons nécessaire de progresser dans la déjudiciarisation de ces formules de consentement ; nous formulerons nos propres propositions en ce sens.

Nous sommes très favorables à l’allégement des formalités attachées à la tenue des actes de l’état civil par les mairies. Il convient toutefois à nos yeux de ne pas altérer la place privilégiée qu’occupe l’espace communal dans le quotidien des habitants. La connaissance d’événements aussi essentiels que les naissances, les mariages et les décès participe de la vie collective et marque la place que chacun peut y prendre. Il apparaît donc nécessaire de maintenir la transcription des actes sur les registres de la commune à laquelle les personnes concernées sont rattachées par leur domiciliation. Cette transcription permet une information publique essentielle et constitue, pour les communes et leurs habitants, un vecteur essentiel de relations et un grand sujet d’attention. Nous sommes donc défavorables à votre proposition de supprimer la transcription de l’acte de décès à la mairie du domicile du défunt.

En ce qui concerne la Cour de cassation, nous comprenons parfaitement qu’il faille faire évoluer les procédures pour la préserver en tant que telle. Toutefois – le président de la commission des Lois et les deux rapporteurs, ainsi que la rapporteure du projet de loi organique, le disent avec une certaine solennité –, il ne nous paraît pas possible de faire évoluer cette institution par la technique des règles de procédure. Nous devons veiller avec la plus grande attention à ce que la Cour de cassation conserve la vocation que lui confèrent l’institution et l’organisation judiciaires, à moins d’entrer dans des modifications institutionnelles, dont le support ne saurait être qu’un support législatif dédié tant il a des conséquences sur la place de la Cour de cassation au sein de nos institutions. Mais nous aurons certainement à ce sujet un beau débat, monsieur le garde des Sceaux, car nous connaissons vos réflexions fort pertinentes en la matière.

Enfin, pourriez-vous nous présenter vos nombreux amendements relatifs à des demandes d’habilitation et justifier ce recours à des ordonnances plutôt qu’à des dispositifs législatifs, à la lumière d’observations récurrentes de grands présidents de la commission des Lois (Sourires), dont notre président actuel ?

M. Yves Goasdoué. Aux yeux du groupe Socialiste, républicain et citoyen, la grande technicité de ce projet de loi organique ne doit pas masquer son importance. Ce texte modernise considérablement le statut des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature ; dans une période qui n’est pas facile pour les magistrats, il pourvoit à l’attractivité de ce corps auquel nous sommes tous attachés et organise son ouverture au monde et à d’autres professions. Il crée – vous l’avez dit d’emblée, monsieur le garde des Sceaux – un véritable statut pour le juge des libertés et de la détention. Enfin – car les droits y ont pour pendant les devoirs –, il veille à la prévention des conflits d’intérêts et à la transparence de ces personnages importants dans notre société que sont celles et ceux qui rendent la justice.

La diversification des recrutements ne saurait toutefois s’affranchir des exigences de la formation et de l’excellence. Pour le dire autrement, la diversification ne saurait passer par la banalisation ou par la perte de compétences des magistrats. Mme la rapporteure a parfaitement rappelé les limites de l’exercice.

Nous avons découvert l’existence, au côté des magistrats « de droit commun », si j’ose dire, des magistrats à titre temporaire, des juges de proximité, des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles réelles, avec tous une mission bien définie s’exerçant sur une période déterminée. Le texte clarifie leur situation ; leurs engagements sont davantage limités dans le temps, mais deviennent le cas échéant renouvelables.

Quant à l’extension de la mission de formation de l’École nationale de la magistrature, elle est essentielle : si on veut rendre la profession plus attractive et l’ouvrir davantage, il faut aussi former.

Le juge des libertés et de la détention doit devenir un juge spécialisé, nommé par le Président de la République sur votre proposition, monsieur le garde des Sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et dont l’exercice des fonctions dans une même juridiction est limité à dix ans. Pourquoi ? Parce qu’il sera certainement le juge de l’habeas corpus de demain, pour reprendre votre formule. Il n’est qu’à voir les attributions que nous lui avons données dans le cadre du droit des étrangers comme du projet de loi, encore en discussion, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Une fonction particulière est sur le point de naître : la protection de la liberté et le contrôle du juge par le juge. C’est ce qui rend ce statut nécessaire.

En ce qui concerne les potentiels conflits d’intérêts des magistrats, nous proposerons d’aller plus loin que les sénateurs en instituant un collège de déontologie analogue à ceux qui ont été créés pour les membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016. Nous vous ferons la même proposition pour le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et pour le Conseil constitutionnel. Les magistrats seront naturellement protégés par la confidentialité de leurs déclarations.

En ce qui concerne la déclaration de situation patrimoniale, le Sénat avait également durci le texte en étendant cette obligation aux présidents des tribunaux de première instance et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance et en prévoyant son envoi à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), à la différence du texte gouvernemental. Nous en sommes d’accord, et jugeons utile de soumettre aussi à cette obligation le CSM et le Conseil constitutionnel.

En contrepartie de ces obligations nouvelles, la loi organique reconnaît le droit syndical des magistrats, encadre par de nouvelles dispositions, y compris dans le temps, les poursuites disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet et précise la protection fonctionnelle que l’État leur doit lorsqu’ils rencontrent des difficultés. C’est donc un texte équilibré que notre groupe soutiendra.

M. Alain Tourret. Je m’exprimerai au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Qu’est-ce que le juge ? C’est le juge du conflit : en cas de conflit, il doit trancher. Or, actuellement, le juge est là pour authentifier, pour certifier, pour donner acte. Tout cela doit être éliminé de sa fonction ; ainsi récupérera-t-on la moitié de son temps.

Ensuite, le juge doit motiver : c’est la contrepartie de son pouvoir de décision. L’importance de la motivation doit être à la mesure de celle que l’on accorde à la décision. Or la Cour de cassation ne motive plus ses décisions, même si l’on peut en percevoir les raisons dans les rapports. C’est toute notre construction judiciaire pyramidale qui s’effondre ! Je suis scandalisé que la Cour de cassation ne trouve pas nécessaire, n’ait pas l’obligation de dire à celui qui est allé jusque devant elle pourquoi il a raison ou tort. C’est un véritable déni de justice, organisé par notre plus haute juridiction !

Dans le domaine du divorce, il faut à l’évidence éliminer le rôle du juge lorsque les deux parties sont d’accord. Faut-il alors deux avocats ou un seul ? Ce point nous avait divisés. Vous avez opté pour deux avocats ; très bien. Les avocats vous en seront reconnaissants ; les bureaux d’aide juridictionnelle, peut-être un peu moins…

Par ailleurs, l’intervention du notaire sera-t-elle obligatoire pour enregistrer l’acte ? Il avait été prévu qu’elle le soit en présence d’un bien immobilier. Mais on a très longtemps estimé qu’elle était inutile dès lors que l’un des deux avocats pouvait s’en charger.

En ce qui concerne les délits routiers, l’affaire s’était terminée de manière délicate pour Mme Taubira. Les associations de victimes de la route sont extraordinairement puissantes – je le sais, ayant eu très souvent l’occasion de plaider pour elles. Elles sont persuadées que l’on fait d’autant plus diminuer le nombre d’accidents que l’on saisit la justice et que l’on plaide. J’appelle votre attention sur ce point.

Pourquoi perd-on automatiquement son permis de conduire lorsque celui-ci n’a plus de points ? Cette question nous ramène à l’obligation de motiver sa décision. Les décisions automatiques sont insupportables ; une motivation spécifique est toujours nécessaire. Il fut un temps où l’on parlait de permis blanc et où l’on envisageait que, dans des circonstances objectivement identiques, la situation subjective de l’individu puisse motiver des décisions différentes.

S’agissant des magistrats, vous avez formulé des propositions intéressantes. Je vous ai soumis l’idée – sans malheureusement avoir le temps de préparer des amendements en ce sens – selon laquelle les professeurs de droit devraient être obligatoirement intégrés à la magistrature, comme les professeurs des centres hospitaliers régionaux universitaires le sont à l’université depuis la grande réforme du professeur Robert Debré, qui a sauvé la médecine. D’un côté, ces médecins sont professeurs ; de l’autre, ils sont soignants. Ils sont alors « bi-appartenants » et peuvent toucher une retraite en conséquence. En contrepartie, l’interdiction serait faite aux professeurs de droit d’être avocats ou consultants. En effet, comment peuvent-ils plaider pour des clients devant des juridictions alors qu’ils sont chargés, en tant qu’enseignants, d’une mission de service public ? Il en va de même de tous les professeurs de droit fiscal qui passent leur temps à dispenser des consultations contre l’État dont ils sont des agents ! Mieux vaudrait qu’ils soient des magistrats et participent, ce faisant, à la notion de fonction publique.

En ce qui concerne l’action de groupe, je suis très sceptique. Les actions de groupe peuvent faire vaciller la République. Un exemple : le groupe de pression formé par les femmes fonctionnaires – je suis rapporteur pour avis du budget de la fonction publique – a démontré que leur rémunération était inférieure de 18 % à celle de leurs collègues hommes, à profession et statut équivalent. Il s’agit à l’évidence d’une discrimination. Imaginez qu’elles intentent une action de groupe sur ce fondement, avec succès : vous devrez verser 18 % de rémunération à chacune d’entre elles, sans compter des dommages-intérêts subséquents !

En réalité, le collectif ne peut pas toujours l’emporter sur l’individuel. Abandonner l’individuel face au collectif, c’est abandonner la notion même de responsabilité. Or le droit, c’est le droit de la responsabilité : le fondement du droit, c’est l’article 1382 du code civil, non l’article 1384.

Je suis également très sceptique vis-à-vis des conciliations obligatoires. Devant les conseils de prud’hommes, la conciliation aboutit rarement – dans moins de 10 % des affaires. En rendant la conciliation obligatoire, vous empêcherez que l’affaire soit plaidée immédiatement, vous provoquerez une saisine complémentaire de la justice, vous ferez durer les procédures – le tout avec la meilleure volonté du monde. Que veulent nos concitoyens sinon, à juste titre, des décisions rapides ? Or vous irez contre cette nécessité, et en parfaite bonne foi.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, au nom du groupe Les Républicains, je salue votre ambition mesurée. Vous n’avez pas l’intention, dites-vous, d’ouvrir de nouveaux chantiers – mais que contient alors le texte ? N’en entrouvrez-vous pas tout de même quelques-uns ? – ni d’allumer de nouveaux brasiers. Intention louable, mais qui suggère que, depuis quelques années, c’est la tendance inverse qui prévalait en matière de justice… Je ne peux que noter le grand écart entre cette fameuse « justice du XXIe siècle » dont nous parlait Mme Taubira en nous présentant le projet, le 10 septembre 2014, et ce qu’il en reste aujourd’hui et qui, sans être négligeable, n’a plus rien à voir avec la grande ambition initiale. Nous ne comprenons donc pas que vous souhaitiez revenir rétablir le titre original, que nos collègues sénateurs avaient ramené à des proportions bien plus conformes à la réalité du texte.

Le projet de loi organique a pour objectif de modifier partiellement, mais sur des sujets importants, l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Je souligne l’intérêt de ses dispositions sur la gestion du corps judiciaire et sur l’ouverture aux magistrats de nouvelles perspectives de carrière – de telles possibilités ne doivent jamais être négligées –, sur l’élargissement du recrutement judiciaire, sur le nouveau cadre déontologique – en espérant que la déontologie ne deviendra pas le sujet unique de discussion des parlementaires, si nous ne voulons pas nous perdre dans la déontologie de la déontologie ! – et sur le statut spécifique du juge des libertés et de la détention.

À ce propos, les plus petites juridictions n’auront-elles pas quelque difficulté à disposer en permanence d’un juge des libertés et de la détention, à la place d’un juge appelé à trois heures du matin pour une personne qui vient d’être déférée devant un juge d’instruction ?

Plus généralement, comment ne pas vous interroger sur le lien entre ce projet de loi organique et la réforme constitutionnelle en cours ? Celle-ci l’est-elle encore, d’ailleurs ? Certes notre Assemblée a voté le projet de loi constitutionnelle, manquant d’une ou deux voix les trois cinquièmes des suffrages. Nous avons cru comprendre que la majorité sénatoriale n’était pas très « chaude » pour aller au Congrès dans l’état actuel du texte. Or il paraît quelque peu ambigu de parler de la magistrature, de son indépendance et de son impartialité sans savoir ce qu’il va advenir de l’hypothèse d’une réunion du Parlement en Congrès à propos de la réforme constitutionnelle.

Quant au texte relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire, il ne contient qu’un ensemble, qui n’a en soi rien de méprisable, mais rien de bien révolutionnaire, de mesures de portée somme toute limitée, sans lien évident entre elles. Bref, on a l’impression d’examiner en fin de quinquennat une sorte de loi portant diverses dispositions relatives à la justice, plutôt que des mesures fortes et structurantes organisant la justice du XXIsiècle.

J’aimerais vous poser trois questions.

En ce qui concerne en premier lieu la justice des mineurs, vous avez manifesté votre soutien, comme dans vos fonctions antérieures, à la suppression des tribunaux correctionnels mis en place pendant la précédente législature. Cela pose un problème évident : comment accepter qu’il existât des cours d’assises pour mineurs tout en étant à ce point hostile à l’idée de prévoir, dans la chaîne du traitement des mineurs, le maillon correspondant aux délits que ces derniers peuvent commettre ? À cette question, je n’ai obtenu pour l’heure aucune réponse recevable.

Ensuite, je rejoins mon collègue à propos de la Cour de cassation. Pourquoi avoir pris l’initiative de déposer des amendements tendant à faire évoluer son statut et la portée de son travail, alors même que le premier président a lancé une concertation sur la Cour, sa situation actuelle et ce qu’elle devrait peut-être devenir, et annoncé qu’il rendrait un rapport en juin afin de bâtir une réforme dans un esprit « participatif » ? La question mérite probablement une approche propre au sein d’un projet de loi traitant de l’ensemble du sujet, car bien des aspects en seraient éludés si l’on se contentait d’adopter vos amendements.

Au Sénat, à propos de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle, vous vous êtes opposé à un amendement présenté par le président Mézard et qui a cependant été adopté. Il semble que vous ayez depuis changé d’avis. Est-ce bien le cas, ou avons-nous mal interprété votre position ? Pouvez-vous nous rassurer eu égard à ce qui peut apparaître comme une forme de fébrilité à ce sujet ?

Troisièmement, en ce qui concerne l’extension de l’action de groupe, je ne reprends pas entièrement à mon compte les propos de M. Tourret. Je note toutefois que l’amendement CL203 va plus loin que le texte d’origine en intégrant les préjudices moraux au champ de la réparation en matière de discrimination, et que les amendements CL196 et CL202 donnent qualité pour agir aux associations agréées ayant cinq ans d’ancienneté, mais suppriment en parallèle l’exigence d’un agrément national. L’action de groupe est ainsi étendue – pourquoi pas ? –, mais peut-être aussi fragilisée. J’aimerais que le Gouvernement prenne clairement position sur ce point.

L’ambition affichée au départ était grandiose : nous allions mettre en place la justice du XXIsiècle. Vous revenez plus lucidement, sans pour autant remettre en cause l’intitulé de ce texte, à des proportions plus raisonnables ; en attendant, à défaut d’avoir l’occasion de soutenir vigoureusement un tel texte, notre groupe, selon le sort réservé aux amendements, notamment sur les questions sensibles comme celle des tribunaux correctionnels pour mineurs, s’orientera vers l’abstention, à regret, ou vers une franche opposition. Car il suscite toujours de notre part une série d’interrogations qui n’ont rien de mineur.

La réunion, suspendue à 18 heures 15, est reprise à 18 heures 35.

M. le président Dominique Raimbourg. Mes chers collègues, je vous invite à reprendre nos travaux après cette suspension qui a permis à chacun d’aller voter dans l’hémicycle, mais en regrettant, comme M. Tourret tout à l’heure, de devoir travailler dans de telles conditions.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le garde des Sceaux, je voudrais aborder la question du transfert de l’enregistrement des PACS des tribunaux d’instance vers les officiers d’état-civil. Quelques-uns d’entre nous cumulent encore un mandat de député avec un mandat de maire, et s’intéressent donc de près à la situation financière des collectivités locales.

Vous avez évoqué des mesures de compensation, sous forme de mesures de simplification, notamment, qui pourraient engendrer des économies. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Vos assurances nous permettront de soutenir cette mesure avec enthousiasme. Ce ne serait en effet que justice : la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage à tous les couples ; il serait normal que cet autre type d’union qu’est le PACS puisse être enregistré en mairie, au plus près des habitants.

Je souhaite également m’assurer que l’ensemble des officiers d’état-civil seront concernés par cette mesure, autrement dit que les PACS pourront être enregistrés dans toutes les communes. En effet, lorsque les passeports biométriques ont été introduits, il y a de cela quelques années, les communes qui supportaient des charges de centralité ont dû accueillir des bornes destinées à l’établissement de ces passeports. L’installation de ces équipements s’est accompagnée d’une subvention de l’État, mais celle-ci a disparu au bout de quatre ou cinq ans. Aujourd’hui, seules les communes supportant des charges de centralité établissent ces passeports, ce qui les amène à mobiliser des agents durant un nombre d’heures souvent important ; elles se retrouvent à remplir cette mission pour tout leur bassin, sans aucune compensation ni des autres communes, ni de l’État. Il ne faudrait pas que cette situation se reproduise dans le cas des PACS.

M. Patrick Verchère. J’ai pu constater que la voie de la résolution amiable est une très bonne chose pour les litiges du quotidien : comme beaucoup d’élus, je renvoie souvent des gens vers le conciliateur. Je suis donc favorable à l’élargissement de la conciliation.

Néanmoins, les conciliateurs m’ont fait savoir qu’ils disposaient de moyens très limités. L’an dernier, ma commune a versé une subvention à l’association départementale des conciliateurs de justice, afin qu’ils puissent acheter ne serait-ce que du papier, des gommes et des stylos. Ils sont déjà quasiment bénévoles ! Or leur charge de travail va s’accroître. Quels moyens prévoyez-vous de leur apporter afin qu’ils puissent remplir leur mission dans des conditions correctes ?

Vous venez d’arriver au ministère et vous-même n’êtes donc pas en cause, mais vous avez récemment indiqué être à la tête d’un ministère « en faillite ». Vous comprendrez donc mes inquiétudes…

M. Joaquim Pueyo. Je ne reviens pas ici de façon générale sur les clarifications et simplifications apportées par ces deux textes, mais seulement sur quelques points.

L’introduction, après l’article 28-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, du juge des libertés et de la détention, à l’instar des autres juges spécialisés du siège, me paraît une bonne chose. Le Sénat, vous l’avez signalé, a modifié le texte du Gouvernement sur ce point.

J’ai moi-même bien connu la situation à laquelle on peut être confronté lorsqu’il est difficile de trouver un JLD disponible… Il faudra, je crois, des postes supplémentaires pour assurer, dans les tribunaux importants, une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans le cas des petits tribunaux, il y aura sans doute un poste, mais ce ne sera pas suffisant pour que la fonction soit assurée de façon permanente : des suppléants pourraient être pris parmi les juges du siège, mais quel sera leur statut ?

L’unification des différentes inspections du ministère me paraît une bonne chose. Comment, concrètement, cette unification va-t-elle s’organiser ? Ces magistrats seront indépendants, ce qui est bien, mais le ministre pourra-t-il encore, comme c’est le cas aujourd’hui, saisir l’inspection générale ?

Enfin, vous proposez de prolonger les efforts déjà consentis pour élargir le recrutement des magistrats. Il faut toutefois, à mon sens, continuer de préférer – en nombre de postes ouverts – les recrutements par concours, interne et externe. On pourrait en effet imaginer, à l’avenir, un garde des Sceaux qui privilégierait les accès directs… Votre idée est très juste ; mais prenons garde à ne pas mettre en danger les concours, qui demeurent la voie d’accès la plus égalitaire à la magistrature.

M. Lionel Tardy. Le rapport de M. Pierre Delmas-Goyon intitulé « Le juge du XXIsiècle. Un citoyen acteur, une équipe de justice » a été remis en décembre 2013. Il contenait de nombreuses propositions : création au sein du ministère de la justice d’un centre de veille et de recherche sur les nouvelles technologies, gestion électronique des audiences, possibilité de recevoir les avis et notifications procéduraux par voie électronique, création d’audiences virtuelles dans les contentieux de masse, création d’une plateforme en ligne de règlement des litiges, etc. Toutes ces propositions ne sont pas d’ordre législatif ; et pour celles qui le sont, une concertation avec les acteurs concernés s’impose.

Quelles suites entendez-vous donner à ce rapport ? Mes questions écrites, posées il y a plus de deux ans, n’ont toujours pas reçu de réponse. Ce rapport est-il, comme j’en ai le sentiment, resté au fond d’un tiroir ? Cela me porte à croire que le projet de loi initialement appelé « justice du XXIsiècle » ne comprend que peu de dispositions de modernisation de l’institution judiciaire qui feraient appel aux nouvelles technologies. C’est sans doute pour cette raison que le Sénat a retenu un titre plus réaliste.

M. Patrick Mennucci. Ce projet de loi modernise la justice de façon importante, notamment en accroissant la transparence pour les magistrats. C’est une garantie pour les justiciables – vous remarquerez que c’est de ce lobby-là que je fais partie, et pas de celui des avocats.

M. Alain Tourret. Si c’est une attaque contre moi, elle est basse ! (Sourires.)

M. Patrick Mennucci. Pas du tout ! Mais méfiez-vous : à Marseille, comme en Normandie, on dit que la première poule qui chante, c’est celle qui a pondu l’œuf ! (Rires.)

Vous prévoyez, monsieur le garde des Sceaux, de moderniser l’ENM et d’améliorer en particulier la formation continue. Comment ces dispositions seront-elles mises en œuvre ? Vous en connaissez toute la difficulté, puisque c’est à Bordeaux que vous avez effectué votre premier déplacement après votre nomination à la chancellerie. De quels moyens nouveaux pourra-t-elle bénéficier, d’autant qu’elle doit aussi former les nouveaux magistrats dont le recrutement était indispensable pour réparer les dommages de la politique du président Sarkozy ? Comment pensez-vous assurer la formation permanente dans ce cadre ?

M. le garde des Sceaux. De nombreux sujets, très différents, viennent d’être abordés – tous traités par les deux textes que nous discutons. Tous les points soulevés font l’objet d’amendements et seront donc examinés de façon précise au fur et à mesure de nos débats : je m’en tiendrai, pour cette réponse liminaire, aux plus grandes lignes.

Je ne suis pas en désaccord avec la présentation générale de Guy Geoffroy. Non, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers : ceux qui sont ouverts sont déjà bien trop nombreux ! Je n’ai pas besoin de me forcer beaucoup pour parler de sujets très divers, puisque tout est sur la table depuis très longtemps. Je veux plutôt clarifier et apporter des réponses.

Ainsi, la question de la collégialité de l’instruction est posée depuis l’affaire d’Outreau. Plusieurs fois, on a repoussé la décision, et aujourd’hui, nous sommes face à un mur. Je ne veux pas me contenter d’un énième moratoire : je crois de ma responsabilité d’apporter une réponse qui permette une clarification de l’action des magistrats. L’instabilité actuelle est néfaste pour tout le monde : pour les magistrats qui ne savent pas ce qu’ils vont devenir, pour les juridictions qui se demandent si elles vont perdre leurs juges d’instruction, pour les justiciables qui s’interrogent… J’ai essayé de peigner l’ensemble des sujets pour, à chaque fois, apporter une réponse.

Je ne veux pas allumer de nouveaux brasiers : l’institution judiciaire, que je découvre au quotidien depuis maintenant cent jours, a besoin de sérénité. Les personnels sont traumatisés. Quant aux juridictions, j’ai déjà beaucoup qualifié leur état : je n’ajouterai pas cet après-midi de nouveau terme.

Enfin, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers parce que je ne veux pas nourrir d’illusions : l’essentiel de mon activité à la chancellerie consiste à essayer de simplifier, mais aussi à rechercher des moyens supplémentaires.

J’espère finir par convaincre, comme je l’ai dit au président de votre Commission ainsi qu’à celui de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Bas : le Parlement a un rôle majeur à jouer pour que la société comprenne quel effort nous devons faire afin de donner aux juridictions les moyens de fonctionner. Il ne s’agit pas de faire plaisir à tel ou tel. C’est simplement l’intérêt général : les citoyens devraient être rassurés lorsqu’ils pénètrent dans un palais de justice ; or, aujourd’hui, ils se sentent plutôt inquiets ! Le simple état des bâtiments dit beaucoup des conditions dans lesquelles travaillent les personnels. Les justiciables peuvent légitimement s’interroger sur la sérénité dans laquelle les décisions judiciaires sont rendues.

Voilà pourquoi ce texte est volontairement modeste. Il est pourtant aussi, sur bien des aspects, assez audacieux, comme l’a dit Yves Goasdoué. S’il n’invente pas la justice du XXIsiècle, il pose quelques jalons que je crois féconds.

C’est le cas notamment de ce qui touche au juge des libertés et de la détention. Ce qui a été dit est juste : cette fonction doit être attractive pour des magistrats confirmés ; ils doivent jouir de larges pouvoirs. D’autres réformes, statutaires et procédurales, seront d’ailleurs nécessaires.

Ce juge devra, comme l’a dit Joaquim Pueyo, être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; il devra statuer en temps réel. Mais il faut commencer par lui donner un statut. Les présidents des tribunaux de grande instance se sont interrogés, tout comme vous, monsieur Pueyo, sur la place de ce nouveau juge spécialisé. Les juges spécialisés existent déjà dans les petites juridictions, et elles arrivent à trouver les moyens de fonctionner. Vous me rétorquerez que leur multiplication va compliquer ce fonctionnement… Je ne nie pas la difficulté, bien au contraire.

En tout cas, parmi les efforts que nous n’avons plus à faire, il y a les créations de postes. Pour la première fois cette année, il y aura plus de magistrats qui arrivent que de magistrats qui partent : l’étau se desserre. C’est une question d’années. Mais nous posons un jalon.

L’action de groupe est un sujet essentiel. Cette législature l’a créée dans le domaine de la consommation, et parce qu’elle commence à bien fonctionner, on en sent une appétence dans tous les domaines. Le Gouvernement pouvait choisir de créer des actions de groupe dans différentes lois – à peu près toutes – ou bien d’établir un socle commun. C’est ce second choix que nous faisons.

Je ne suivrai pas sur ce sujet toutes les propositions des rapporteurs. Il faut d’abord, je crois, installer des procédés, quitte à élargir leur usage par la suite. Avec ce texte, la marche est déjà très haute. Je serai bien sûr favorable à certaines modifications : ainsi, je suis favorable à la possibilité pour les associations – sous certaines conditions d’agrément, d’ancienneté – d’engager une action de groupe. Elles auront évidemment leur mot à dire : on ne peut pas se contenter de donner aux seules organisations syndicales les moyens d’agir.

Un mot sur les collectivités locales, en réponse à Olivier Dussopt et, à travers lui, à tous les élus attentifs à cette question. Nous proposerons, par exemple, par amendement, la suppression du double original de l’état civil, ou encore la généralisation du dispositif COMEDEC (Communication électronique des données de l’état-civil), avec une aide pour les collectivités qui n’y adhèrent pas encore. Les notaires seront invités à le rejoindre rapidement. Ce système permet des économies substantielles lors de l’établissement d’actes de mariages ou de décès.

Je n’ai pas voulu sombrer dans la facilité en reportant sur les collectivités locales des charges que l’État n’a pas les moyens d’assumer. Nous avons calculé que le transfert des PACS vers l’état-civil représente 79 emplois équivalent temps plein pour nos quelque 36 000 communes : c’est quelque chose que nous devrions arriver à gérer.

Peut-être souhaitez-vous suspendre la séance, monsieur le président : je crois deviner chez vous une certaine impatience…

M. le président Dominique Raimbourg. Je vous remercie de votre compréhension, monsieur le garde des Sceaux : nous allons devoir effectivement retourner en séance. (Sourires.)

La réunion, suspendue à 18 heures 55, est reprise à 19 heures 10.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats, ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (n° 3200) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure).

TITRE PREMIER
DISPOSITIONS RELATIVES AU STATUT DE LA MAGISTRATURE

Chapitre Ier
Dispositions relatives à la composition du corps judiciaire

Article 1er (art. 1er de l’ordonnance n° 58 – 1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Appartenance au corps judiciaire des magistrats exerçant des fonctions d’inspection des services judiciaires

La Commission examine l’amendement CL38 du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Il s’agit d’achever, Joaquim Pueyo en parlait tout à l’heure, l’unification des différentes inspections du ministère – nous sommes le dernier à compter encore trois inspections différentes, l’inspection des services judiciaires, l’inspection des services pénitentiaires et l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse. Nous prenons ainsi en compte dans la loi la création, par décret, d’un service unique de l’inspection générale de la justice.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Avis très favorable. Je remercie le Gouvernement de cette simplification.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 3 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Création de nouvelles fonctions « hors hiérarchie »

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL39 du Gouvernement, de cohérence avec le précédent.

Puis elle examine deux amendements identiques, CL79 de la rapporteure et CL8 de M. Sergio Coronado.

Mme la rapporteure. L’amendement CL79, comme le CL8, est un amendement de cohérence avec le rétablissement du statut du juge des libertés et de la détention que je vous proposerai à l’article 14.

M. Sergio Coronado. Mme la rapporteure a excellemment défendu mon amendement CL8.

La Commission adopte les amendements identiques.

Elle adopte alors l’article 2 modifié.

Chapitre II
Dispositions relatives au recrutement et à la formation professionnelle

Article 3 (art. 14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Extension du champ des missions de formation de l’École nationale de la magistrature

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 (art. 16 et 17 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Assouplissement des exigences de diplôme et de condition physique pour l’accès à l’École nationale de la magistrature

La Commission adopte d’abord l’amendement rédactionnel CL80 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL34 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Il s’agit de fixer la date à laquelle les candidats au concours d’auditeur de justice doivent remplir les conditions nécessaires. Nous proposons un retour au texte initial du Gouvernement.

Mme la rapporteure. Avis favorable. C’est une mesure de bon sens : c’est à la date du début des épreuves que l’on doit remplir les conditions pour concourir.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Article 5 (art. 18-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Assouplissement des exigences d’activité ou de diplôme pour les candidats docteurs en droit ou ceux ayant exercé une activité professionnelle en lien avec les fonctions judiciaires

La Commission examine l’amendement CL71 de M. Yves Goasdoué.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Cet amendement vise à élargir les conditions de recrutement des auditeurs de justice sur titre et ainsi à favoriser l’ouverture de la magistrature.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

Mme la rapporteure. Avis favorable, à condition tout de même que les candidats disposent d’une formation juridique.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL35 rectifié du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Cet amendement est lié à la nécessité de renforcer les juridictions. Beaucoup de parlementaires m’écrivent pour me demander de désigner un magistrat dans telle ou telle juridiction. Mais il existe aujourd’hui 450 emplois de magistrats vacants ! Or chacun sait qu’il faut trente et un mois pour former un magistrat.

Nous avons donc prévu l’embauche de juristes assistants, qui seront des docteurs en droit, ceux-ci n’étant pas contraints de justifier d’une expérience professionnelle, ou des personnes justifiant d’une expérience professionnelle de deux ans et d’un diplôme sanctionnant au moins cinq années d’études supérieures dans un domaine juridique.

L’amendement CL35 rectifié a pour objet de permettre à ces juristes assistants, dès lors qu’ils justifieront d’une durée de trois années d’exercice dans ces fonctions, de bénéficier d’une passerelle pour être nommés directement auditeurs de justice, c’est-à-dire futurs magistrats.

Mme la rapporteure. Avis très favorable. Je remercie le Gouvernement de cette avancée tout à fait novatrice, que nous devrons faire connaître dans les universités, où l’on aspirera plus souvent à être magistrat.

Nous discuterons peut-être plus tard, en séance, de la durée de la formation à l’ENM des juristes assistants devenus auditeurs de justice : après dix ans d’études et trois ans d’exercice, faut-il encore leur imposer trente et un mois de formation – d’autant que cette formation est coûteuse pour l’État ? On pourrait imaginer une formation plus courte, comme je l’avais signalé dans mon exposé introductif.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 5 modifié.

Article 6 (art. 19 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Aménagement du stage des auditeurs de justice auprès d’un barreau ou d’un avocat

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL81 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Après l’article 6

La Commission examine l’amendement CL13 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Pour les magistrats recrutés par le concours complémentaire, ou par intégration directe, la brièveté de la formation et du stage en juridiction peut conduire à des refus d’intégration. L’amendement CL13 vise à donner au jury la possibilité d’imposer le renouvellement du stage avant de se prononcer définitivement.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Les concours complémentaires sont ouverts au coup par coup, selon les besoins de recrutement ; ainsi, aucun n’a été ouvert entre 2002 et 2010. Prévoir la possibilité d’un second stage impliquerait que l’on ait la certitude d’ouvrir un concours complémentaire chaque année, ce qui semble difficile.

Mme la rapporteure. Avis défavorable également. Toutefois, le dispositif actuel a été dénoncé comme trop brutal : il faudrait, si un problème survient au cours du stage, prévoir à tout le moins une obligation d’en aviser le stagiaire – au besoin par voie de circulaire –, afin de ne pas mettre certains candidats soudainement en difficulté.

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre III
Dispositions relatives aux conditions de nomination

Article 7 (art. 1er de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État) : Nomination des procureurs généraux

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Article 8 (art. 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Assouplissement des obligations de mobilité pour la nomination au premier grade

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

TITRE III
DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’ORGANISATION ET DU FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

Chapitre Ier
Dispositions relatives à la compétence matérielle du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance

Article 9 (art. L. 221-4 du code de l’organisation judiciaire) : Transfert de la réparation des dommages corporels aux tribunaux de grande instance

La Commission examine deux amendements identiques CL82 de la rapporteure et CL9 de M. Sergio Coronado.

Mme la rapporteure. Il s’agira d’un amendement de cohérence avec les amendements déjà examinés à l’article 14.

M. Sergio Coronado. Tout à fait.

La Commission adopte les amendements identiques.

Elle examine ensuite l’amendement CL36 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. J’ai évoqué cet amendement dans mon propos liminaire : il s’agit de répondre aux souhaits de certains magistrats et d’enrayer la désaffection pour la fonction de magistrat placé.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis la Commission adopte l’article 9 modifié.

Article 9 bis (nouveau) (art. 6 et 20 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Suppression de l’adverbe « religieusement » dans la prestation de serment des magistrats de l’ordre judiciaire et des auditeurs de justice

La Commission adopte l’article 9 bis sans modification.

Article 9 ter (nouveau) (art. 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Lieu de prestation de serment d’un magistrat intégré et nommé dans une juridiction d’outre-mer

La Commission adopte l’article 9 ter sans modification.

Article additionnel après l’article 9 ter

La Commission examine l’amendement CL21 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à actualiser les dispositions de l’ordonnance n° 58-1270 de 1958 afin de prendre en considération le changement d’appellation du conseil général en conseil départemental, la disparition de la collectivité unique de Mayotte et la création de la métropole de Lyon.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement supprime toute référence au conseil général de Mayotte, alors qu’il existe toujours.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement pense que cette référence n’a plus lieu d’être, dans la mesure où Mayotte est désormais un département d’outre-mer.

La Commission adopte l’amendement. L’article 9 quater est ainsi rédigé.

Article 10 (art. 12-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Évaluation des magistrats

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL83 de la rapporteure et CL78 de M. Alain Tourret.

Mme la rapporteure. Cet amendement a pour objet de prendre en compte la suppression de la juridiction de proximité qui doit intervenir à compter du 1er janvier 2017, conformément à la loi du 29 décembre 2014 relative aux juridictions de proximité, ainsi que l’intégration des juges de proximité dans le statut des magistrats à titre temporaire proposée par le Gouvernement.

Il supprime les mentions relatives au juge de proximité qui figurent à l’article 10, pour ne plus faire référence qu’aux magistrats à titre temporaire.

M. Alain Tourret. Mon amendement CL78 poursuit le même objet.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL83.

En conséquence, l’amendement CL78 tombe.

La Commission adopte alors l’article 10 modifié.

Article 11 (art. 13 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Assouplissement de l’obligation de résidence des magistrats

La Commission se saisit de l’amendement CL14 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à rétablir une disposition figurant dans le texte initial, et supprimée par la commission des Lois du Sénat.

Il prévoit d’établir la possibilité, pour le garde des Sceaux, d’accorder une dérogation à l’obligation de résidence, après avis simple des chefs de cour. Ce rétablissement permettrait une harmonisation au niveau national des règles applicables aux dérogations, tout en conservant un avis permettant de prendre en compte les situations locales.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement ne peut qu’être sensible à votre volonté de revenir au texte qu’il avait proposé.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte alors l’article 11 modifié.

Article 11 bis (nouveau) (art. 27 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Coordination liée à la modification des procédures suivies devant la commission d’avancement

La Commission adopte l’article 11 bis sans modification.

Article 12 (art. 27-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Extension du principe de diffusion des projets de nomination aux fonctions de substitut chargé du secrétariat général d’une juridiction

La Commission examine l’amendement CL42 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Cet amendement procède, comme plusieurs autres à venir, aux coordinations nécessaires du fait de la création de l’inspection générale de la justice.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

Article 13 (art. 28 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Modalités de nomination des magistrats du second et du premier grade pour exercer les fonctions d’inspecteur des services judiciaires

La Commission est saisie de l’amendement CL43 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Même coordination que précédemment.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

Article 14 (art. 28-4 (nouveau) de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Nomination aux fonctions de juge des libertés et de la détention

La Commission en vient aux amendements identiques CL84 de la rapporteure, CL10 de M. Sergio Coronado et CL72 rectifié de M. Yves Goasdoué.

Mme la rapporteure. L’amendement CL84 a pour objet de rétablir la rédaction initiale de l’article 14, afin d’inscrire la fonction de juge des libertés et de la détention (JLD) parmi les fonctions spécialisées.

Afin d’apporter au JLD les garanties nécessaires à l’exercice de ses responsabilités, qui sont croissantes, et de revaloriser cette fonction souvent considérée comme peu attractive, il est en effet proposé de lui conférer le statut de juge spécialisé, ce qui emporte les conséquences suivantes. Tout d’abord, une nomination par décret du Président de la République, pris sur proposition du garde des Sceaux, après avis conforme de la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature. Cette procédure présente l’avantage, d’une part, de prévenir tout changement d’affectation arbitraire et toute tentative d’intervention et, d’autre part, de transformer cette fonction souvent subie en une fonction choisie, puisque seuls les magistrats ayant postulé pourraient se la voir attribuer.

Ensuite, une limitation de l’exercice de cette fonction dans une même juridiction à dix ans est prévue.

Enfin, la troisième et dernière conséquence est l’attribution de la prime forfaitaire pour les fonctions spécialisées dans un tribunal de grande instance, ce qui devrait renforcer l’attractivité de la fonction de JLD.

Le coût total de cette réforme est estimé, par le ministère de la justice, à 167 000 euros en année pleine.

M. Sergio Coronado. L’amendement CL10 est défendu.

M. Yves Goasdoué. L’amendement CL72 rectifié est défendu.

M. Alain Tourret. Une ancienneté est-elle requise pour être nommé à ce poste ?

Mme la rapporteure. Le critère d’ancienneté est bien pris en compte dans le cadre des dispositions relatives au remplacement du JLD.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable. Depuis la création du juge de liberté et de la détention il y a seize ans, on ne cesse de lui attribuer des compétences, encore très récemment dans le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.

Je précise à l’intention de M. Tourret que le projet de loi ordinaire prévoit des dispositions de coordination pour s’assurer que les nominations concernent des magistrats expérimentés, de premier grade.

La Commission adopte ces amendements et l’article 14 est ainsi rédigé.

Article additionnel après l’article 14

La Commission examine l’amendement CL30 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Cet amendement a pour objet de procéder à des adaptations des règles d’affectation des magistrats en cas de suppression d’une fonction dans une juridiction.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 bis est ainsi rédigé.

Article 15 (art. 34 et 36 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Allègement des procédures suivies devant la commission d’avancement

La Commission adopte l’article 15 sans modification.

Article 16 (art. 37 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Obligation de rapport d’installation et de bilan d’activité pour les premiers présidents de cour d’appel

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL85 de la rapporteure.

Elle passe ensuite à l’amendement CL86 du même auteur.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à supprimer la référence à l’enquête réalisée par l’inspection générale des services judiciaires sur le fonctionnement de la cour d’appel.

Cette disposition introduite par le Sénat est en effet malvenue. Confier à ce service rattaché au ministre de la justice qui, en l’état actuel, n’est pas composé de chefs de cour d’appel, exception faite de l’inspecteur général, la mission de procéder à des enquêtes tenant lieu d’évaluation des chefs de cour d’appel, en particulier des premiers présidents, paraît contraire au principe d’indépendance.

En outre, cet ajout apparaît inutile, les dispositions prévoyant déjà que le premier président définit ses objectifs notamment au regard des rapports sur l’état de fonctionnement de sa cour qui ont pu être établis par l’inspection.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 16 modifié.

Article 17 (art. 37-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Extension du principe de diffusion des projets de nomination à l’ensemble des fonctions hors hiérarchie

La Commission est saisie de l’amendement CL44 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à rétablir le texte initial, en tenant compte néanmoins de la création de l’inspection générale de la justice. Il convient de ne pas soumettre statutairement la nomination aux fonctions d’inspecteur général, chef de l’inspection générale, à la procédure de transparence. Cette exception est justifiée par le fait que ce dernier n’est pas un magistrat en position de jugement : il exerce une fonction auprès du garde des Sceaux.

Mme la rapporteure. Dans un premier temps, j’envisageais de m’en remettre à la sagesse de la commission. Je ne saisissais pas ce qui pouvait justifier de soumettre la nomination de l’inspecteur général adjoint à la procédure de transparence et d’en dispenser l’inspecteur général. En outre, cette procédure ne me semblait pas faire obstacle à un travail en confiance avec le ministre de la justice. Au contraire, elle me paraissait intéressante pour l’ensemble de l’inspection générale. Cela étant, au bénéfice de vos explications, monsieur le garde des Sceaux, j’émets un avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 17 modifié.

Article 18 (art. 38 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Modalités de nomination des magistrats placés hors hiérarchie pour exercer les fonctions d’inspecteur général et d’inspecteur général adjoint des services judiciaires

La Commission examine l’amendement CL45 du Gouvernement.

M. le garde des Sceaux. Il s’agit d’une coordination liée à la création de l’inspection générale de la justice.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 18 modifié.

Article 19 (art. 38-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Obligation de rapport d’installation et de bilan d’activité pour les procureurs généraux près la cour d’appel

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 87 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement CL88 du même auteur.

Mme la rapporteure. Cet amendement est le miroir pour le parquet général de celui que nous avons adopté pour les chefs de cour d’appel.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 19 modifié.

Article 20 (art. 72, 72-1 (nouveau), 72-2 (nouveau) et 72-3 (nouveau) de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Procédure de réintégration des magistrats en détachement ou en congé parental

La Commission adopte l’article 20 sans modification.

Chapitre IV
Dispositions relatives aux droits et obligations des magistrats

Avant l’article 21

La Commission est saisie de l’amendement CL15 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement propose de préciser à l’article 5 de l’ordonnance que les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques, et non plus « sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la justice ».

L’indépendance du parquet est nécessaire, non seulement pour nous conformer aux obligations européennes, mais également pour renforcer la confiance, l’efficacité et la sérénité de la justice – autant d’objectifs de ce texte comme l’a rappelé le ministre dans son propos liminaire.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En supprimant l’autorité du garde des Sceaux sur les magistrats du parquet, nous ne pourrions plus donner corps à l’article 20 de la Constitution. La révision constitutionnelle, en cours de discussion, ne prévoit pas de remettre en cause l’autorité du garde des Sceaux. J’aurais l’occasion de le rappeler prochainement dans la circulaire de politique pénale que je vais adresser à l’ensemble des parquets : je suis extrêmement attentif aux rapports que les parquets généraux doivent transmettre au garde des Sceaux puisqu’ils sont le seul moyen d’éclairer la politique pénale que j’entends conduire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes motifs. La définition de la politique pénale reste la première prérogative d’un ministre de la justice. Cet amendement, qui anticipe sur la révision constitutionnelle, l’en priverait.

M. Sergio Coronado. Je retire l’amendement CL15 ainsi que mon amendement de repli CL16.

Les amendements CL15 et CL16 sont retirés.

Article 21 (art. 7-1 à 7-4 [nouveaux] et 9-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) : Conflits d’intérêts et obligations déclaratives des magistrats

La Commission en vient à l’amendement CL17 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que les activités ou opinions politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques ne sont pas susceptibles de constituer des conflits d’intérêts permettant la récusation du magistrat.

Il est à noter que la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a spécifiquement exclu la mention des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques dans les déclarations d’intérêts des fonctionnaires.

M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. Le statut des magistrats, à l’instar de ce qui a déjà été adopté pour les magistrats administratifs et financiers, doit prévoir que les déclarations d’intérêts ne mentionnent pas les activités ou les opinions politiques syndicales, religieuses et philosophiques des magistrats. En revanche, le Gouvernement considère que la mise en œuvre des règles de récusation relève de l’interprétation par les juridictions de chaque situation individuelle. Or, l’amendement conduirait à interdire par principe la récusation d’un magistrat en raison d’un conflit d’intérêts. Cela réduirait à néant la garantie apportée par le dispositif de prévention des conflits d’intérêts. Nous aurons l’occasion d’ajouter dans le projet de loi ordinaire les conflits d’intérêts aux autres causes de récusation dans le code de l’organisation judiciaire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cette mention n’est pas utile. Tous les rapports parlementaires sur les conflits d’intérêts précisent que ceux-ci doivent être appréciés au cas par cas.

Mais surtout, monsieur Coronado, vous aurez partiellement satisfaction au travers de deux amendements que j’ai déposés à l’article 21 : le premier précisera que la déclaration d’intérêts porte sur les intérêts matériels – patrimoniaux, financiers, professionnels ou commerciaux – et non moraux – de nature intellectuelle, philosophique, politique, syndicale, idéologique ou religieuse – ; le second disposera qu’elle ne doit comporter aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé.

M. Alain Tourret. Simple observation d’historien : j’ai eu l’occasion de faire des études sur les activités des magistrats entre 1900 et 1910, notamment dans le ressort de la cour d’appel de Caen. Il était indiqué que les femmes des magistrats devaient participer aux cocktails, ou plutôt aux thés, organisés une fois par semaine par le chef de cour ; tout manquement était sévèrement noté. Il était par ailleurs demandé de préciser si les personnes allaient à la messe, et l’endroit où elles s’asseyaient dans l’église, et ce pour chacun des magistrats. Nous avons bien évolué depuis cette époque… C’était du temps de l’affaire des fiches.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe ensuite à l’amendement CL89 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement transpose aux magistrats de l’ordre judiciaire les dispositions adoptées par le législateur pour les membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires en précisant que la déclaration d’intérêts doit être « exhaustive, exacte et sincère ».

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis la Commission examine les amendements identiques CL90 de la rapporteure et CL59 de M. Yves Goasdoué.

Mme la rapporteure. Le Sénat n’impose aucune obligation de déclaration d’intérêts au premier président de la Cour de cassation ni au procureur général près cette Cour, faute d’autorité à qui remettre leur déclaration. Je vous propose d’y remédier en instituant, dans un amendement à venir, un collège de déontologie interne à la magistrature judiciaire, ayant pour fonction de prévenir les conflits d’intérêts, sur le modèle de ceux que nous avons créés pour les juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016. L’amendement CL90 prévoit que le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette Cour lui remettront une déclaration d’intérêts ; tous les magistrats exerçant des fonctions juridictionnelles seront ainsi tenus de déclarer leurs intérêts. Dans un autre amendement après l’article 32, je vous proposerai de généraliser les déclarations d’intérêts à l’ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature, selon le même principe.

M. Yves Goasdoué. L’amendement CL59 a le même objet. La création du collège de déontologie constitue un apport essentiel.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est favorable à tout ce qui permet de parfaire les outils destinés à prévenir les conflits d’intérêts, dans la magistrature et ailleurs.

La Commission adopte ces amendements.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements identiques CL91 de la rapporteure et CL60 de M. Yves Goasdoué et l’amendement CL18 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je retire mon amendement CL18 au profit de celui de la rapporteure.

L’amendement CL18 est retiré.

Mme la rapporteure. Dans un souci de transposition aux magistrats de l’ordre judiciaire des dispositions adoptées pour les membres des juridictions administratives et financières en vertu de la loi d’avril 2016 précitée, l’amendement CL91 définit le contenu de la déclaration d’intérêts en reprenant les termes exacts de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

M. Yves Goasdoué. L’amendement CL60 est défendu.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement avait été séduit par la qualité du rapport sur la loi relative à la déontologie des fonctionnaires. Il est donc favorable à l’extension du dispositif.

La Commission adopte ces amendements.

Elle passe ensuite à l’amendement CL 92 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Là encore, il s’agit de transposer aux magistrats de l’ordre judiciaire des dispositions de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL 93 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement a le même objet que l’amendement précédent.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement ainsi que l’amendement rédactionnel CL94 du même auteur.

Puis elle examine l’amendement CL 95 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Même objet que l’amendement précédent.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle passe ensuite à l’amendement CL 96 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Même objet que l’amendement précédent.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL 97 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement permet la transmission de la déclaration d’intérêts à l’inspection générale de la justice, uniquement dans le cadre d’une enquête disciplinaire.

M. le garde des Sceaux. Et lorsqu’elle est saisie par le garde des Sceaux... Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL 98 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement reprend les termes de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL99 de la rapporteure et CL61 de M. Yves Goasdoué.

Mme la rapporteure. Là encore, cet amendement transpose le dispositif pénal prévu par la loi précitée en cas de non-déclaration d’intérêts.

M. Yves Goasdoué. L’amendement CL61 est défendu.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable. Ce débat a été lancé au Sénat qui a fait le choix de procéder à un renvoi aux dispositions de la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Le rapporteur avait toutefois pris soin de souligner les inconvénients de cette solution, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la « cristallisation ». Il est plus logique de prévoir les sanctions pénales dans la loi organique. Avis favorable.

La Commission adopte ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL19 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à faire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la destinataire d’une copie de la déclaration d’intérêts. Il s’agit de compléter l’information de cette dernière qui reçoit les déclarations de situation patrimoniale par la connaissance d’un conflit d’intérêts potentiel ou possible, sans en faire pour autant une autorité de contrôle.

M. le garde des Sceaux. Soucieux du parallélisme des formes avec les magistrats administratifs et financiers, le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement. Il paraît logique que le destinataire de la déclaration d’intérêts soit le supérieur hiérarchique direct. On ne comprend pas ce que l’information de la Haute Autorité apporterait, le but étant de mettre fin à la situation de conflit d’intérêts.

Mme la rapporteure. Même avis, d’autant plus que cela poserait un problème d’indépendance de la justice par rapport à la Haute Autorité. Votre souhait sera en partie satisfait, dans la mesure où nous proposerons dans un autre amendement de créer un collège de déontologie des magistrats judiciaires, qui pourra avoir connaissance des déclarations d’intérêts.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL100 de la rapporteure et CL62 de M. Yves Goasdoué.

Mme la rapporteure. Cet amendement définit dans la loi organique le contenu des déclarations de situation patrimoniale, reprenant strictement les termes de la loi relative à la transparence de la vie publique.

M. Yves Goasdoué. L’amendement est défendu.

M. le garde des Sceaux. En tant que rapporteur de cette loi dans une vie antérieure, je ne vois pas comment je pourrais m’opposer à son extension à d’autres personnes…

La Commission adopte ces amendements.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL101 de la rapporteure.

La Commission passe à l’amendement CL102 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement substitue à l’avis de la CNIL sur le décret en Conseil d’État relatif aux déclarations de situation patrimoniale celui de la Haute Autorité.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques CL103 de la rapporteure et CL63 rectifié de M. Yves Goasdoué.

Mme la rapporteure. L’amendement CL103 définit les pouvoirs de contrôle de la Haute Autorité en matière de déclarations de situation patrimoniale, ainsi que les sanctions pénales applicables, reprenant les dispositions de la loi relative à la transparence de la vie publique.

M. Yves Goasdoué. L’amendement CL63 est défendu.

M. le garde des Sceaux. Avis favorable.

La Commission adopte ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL20 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que l’obligation de déclaration d’intérêts s’applique aux juges de proximité, qui peuvent être concernés, autant que les autres magistrats, par les problèmes de conflit d’intérêts.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement n’a pas d’avis… Sinon un avis de sagesse. Je ne crois pas nécessaire d’apporter cette précision dans la loi organique d’autant que les juges de proximité vont être intégrés parmi les magistrats exerçant à titre temporaire. Je ne suis pas contre cet amendement, mais je n’en vois pas l’intérêt.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Dans la loi ordinaire, nous essayons de mettre un terme au processus de prorogation de la juridiction de proximité. Nous cherchons également à préserver une certaine cohérence face à la multiplicité des statuts de magistrat. Il faut nous en tenir à cette ligne et ne pas distinguer les juges de proximité de l’ensemble des juges.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement qui sera satisfait puisque les magistrats exerçant à titre temporaire, dont les juges de proximité feront partie, seront soumis à l’obligation de déclarer leurs intérêts.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 21 modifié.

Après l’article 21

La Commission passe à l’amendement CL12 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il s’agit par cet amendement de mettre fin à la remise de décorations publiques – Légion d’honneur et ordre national du Mérite – aux magistrats.

Une affaire portant sur l’échange de services autour d’une décoration par un ancien Président de la République a beaucoup agité les médias. L’indépendance de la magistrature n’est pas compatible avec la délivrance de médailles et décorations par le pouvoir exécutif. C’est aussi pour cette raison que les parlementaires ne peuvent recevoir de telles médailles. Dans la précédente législature, René Dosière avait défendu un amendement très similaire.

Le groupe d’États contre la corruption (GRECO), émanation du Conseil de l’Europe, a publié un rapport sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs en France, dans lequel il s’interroge notamment sur la remise aux juges par le pouvoir exécutif de « décorations symboliques ».

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement a une position constante sur ce sujet : il est défavorable à cet amendement, considérant que son adoption serait une marque de défiance à l’égard de professionnels qui servent quotidiennement le service public de la justice.

Mme la rapporteure. La question est légitime, mais elle mérite concertation et réflexion. Elle est loin d’être nouvelle. En introduisant cette disposition dans le texte, vous créez une discrimination au détriment des magistrats judiciaires puisque ce dispositif n’est pas prévu pour d’autres fonctionnaires ou pour d’autres magistrats.

M. Alain Tourret. Il est évident que cette disposition est discriminante. Elle ne peut donc pas être acceptée.

La seule solution valable consisterait à réserver la Légion d’honneur aux forces armées qui se battent pour défendre la France. Je suis le descendant de neuf générations de légionnaires qui sont tous partis se battre pour la France – et en sont morts le plus souvent.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL23 de M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Le droit de grève étant un droit constitutionnel, toute restriction doit être strictement encadrée et justifiée. Cet amendement vise à limiter l’interdiction de la grève pour les magistrats aux seuls mouvements qui porteraient atteinte aux libertés individuelles.

M. le garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme la rapporteure. L’article 10 de l’ordonnance statutaire de 1958 interdit toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions, ce qui en pratique prohibe toute grève.

Votre amendement introduit une limitation à ce principe, en n’interdisant la grève que pour autant qu’elle porterait atteinte aux libertés individuelles. Sur le plan juridique, je vois mal quelles situations seraient concrètement visées. Il ne me paraît pas opportun de modifier l’équilibre actuel, alors que certains collègues de l’opposition veulent au contraire limiter le droit syndical des magistrats que le projet de loi organique vient consacrer et renforcer. Je vous propose d’en rester là et de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL5, CL7 et CL6, tous trois de Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Ces trois amendements traitent du « pantouflage » des magistrats judiciaires, c’est-à-dire de leur départ vers le secteur privé.

Le système actuel de contrôle des départs vers le privé pour les magistrats judiciaires repose sur un décret du Président de la République, sur proposition du ministre de la justice et après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci avait considéré, dans sa contribution à la réflexion sur la déontologie des magistrats du 2 octobre 2003, que cette procédure n’était pas satisfaisante.

Mon amendement CL5 propose de soumettre la demande de départ à la commission de déontologie de la fonction publique. On peut m’opposer l’indépendance de la justice, mais cette commission est compétente pour le pantouflage des magistrats administratifs et financiers. En outre, le collège de déontologie qui est institué dans le projet de loi organique traite des conflits d’intérêts et non du pantouflage.

Dans l’amendement CL6, la demande est examinée par le Conseil supérieur de la magistrature, après avis de la commission de déontologie, qui possède une certaine expertise sur le sujet.

Enfin, l’amendement CL7 prévoit que la demande est soumise à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable aux trois amendements. Les magistrats ont un statut autonome – ce ne sont pas des fonctionnaires comme les autres : les dispositions de la loi de 1983 ne leur sont pas applicables.

L’avis d’une autre structure que le CSM, sur ces sujets ne nous paraît pas pertinent. Le Gouvernement ne voit pas de raisons de modifier le fonctionnement actuel, qui lui convient.

Nous connaissons la position du CSM, qui remonte à son avis de 2003. Mais, depuis, sa composition a évolué. Il serait de bon ton de demander l’avis de l’actuel CSM sur cette question. En l’état, le Gouvernement est vraiment hostile à ces trois amendements.

Mme la rapporteure. La préoccupation est légitime, d’autant que nous avons beaucoup travaillé en miroir de la loi de 2016 sur la déontologie des fonctionnaires. Cela étant, depuis 2003, une loi organique de 2007 a donné la possibilité au CSM d’émettre un avis consultatif sur les départs vers le secteur privé. Autrement dit, le CSM se préoccupe déjà de cette question.

Ces amendements pourraient avoir pour conséquence de supprimer l’avis du CSM pour lui substituer celui de la commission de déontologie de la fonction publique, alors que les magistrats ne sont pas régis par le statut de la fonction publique.

On pourra à l’avenir s’interroger sur le rôle du collège de déontologie que nous créons sur ce point, aux côtés du CSM. Mais pour l’heure, j’émets un avis défavorable.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Mon intention était d’inciter à la réflexion sur cette question. Je sais que la position du CSM date de 2003. Par ailleurs, dans l’amendement CL6, je ne supprimais pas le rôle du CSM, mais je lui adjoignais l’avis de la commission de déontologie, plus experte que lui en cette matière.

Je retire les trois amendements.

M. le garde des Sceaux. Je précise que l’avis du CSM portait sur la convenance personnelle. Or un détachement n’est pas forcément pour convenance personnelle : il peut avoir d’autres motivations.

Les amendements sont retirés.

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La réunion s’achève à 20 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Patrice Verchère

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy