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Mercredi 25 mars 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde sur les conséquences des changements climatiques outremer, avec la participation de Mme Virginie Duvat, chercheuse en géographie des littoraux tropicaux, membre du GIEC, co-auteur du rapport de l’ONERC sur les « outremer face aux défis du changement climatique » ; M. Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature à Bruxelles et M. Alby Schmitt, directeur adjoint de l’eau et de la biodiversité au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les conséquences des changements climatiques outremer, avec la participation de Mme Virginie Duvat, chercheuse en géographie des littoraux tropicaux, membre du GIEC, co-auteur du rapport de l’ONERC sur les « outremer face aux défis du changement climatique », M. Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature à Bruxelles et M. Alby Schmitt, directeur adjoint de l’eau et de la biodiversité au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La Commission du développement durable a décidé, il y a quelques mois, la création d’une mission d’information sur les conséquences géographiques, économiques et sociales des changements climatiques en France. Dans ce cadre, nous avons organisé plusieurs tables rondes : le 27 novembre 2013, sur le cinquième rapport du groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; le 12 février 2014, sur l’impact des changements climatiques en France ; le 16 avril 2014, sur les « plans d’adaptation au changement climatique » ; enfin le 16 juillet 2014, sur le changement climatique, à la suite du rapport du GIEC, en collaboration avec les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes.

La table ronde organisée aujourd’hui est davantage centrée sur les outremer.

Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Virginie Duvat, chercheuse en géographie des littoraux tropicaux à l’Université de La Rochelle, membre du GIEC, coauteur du rapport de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), intitulé Les outremer face au défi du changement climatique, qui présentera les manifestations du changement climatique dans les outremer, leurs impacts sur les écosystèmes et les secteurs d’activité, ainsi que les voies d’adaptation possibles.

M. Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) à Bruxelles, qui a animé l’atelier « Encourager l’adaptation au changement climatique, accroître la résilience et diminuer la vulnérabilité et les modèles énergétiques » de la Conférence internationale de la Guadeloupe sur la biodiversité et le changement climatique, fera un point sur la prise en compte des problématiques affectant les « petites îles », en insistant plus particulièrement sur les enseignements de cette Conférence internationale, et présentera des projets, soutenus par l’UICN, qui ont une incidence sur ces territoires.

Enfin, M. Alby Schmitt, directeur adjoint de l’eau et de la biodiversité au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, fera un point sur les forces et les faiblesses des acteurs de certains territoires où l’atténuation du réchauffement climatique rejoint la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau.

Mme Virginie Duvat, chercheuse en géographie des littoraux tropicaux à l’Université de La Rochelle, membre du GIEC. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’avoir invitée pour vous présenter l’état des connaissances scientifiques sur les impacts du changement climatique dans les outremer français et les voies d’adaptation identifiées à ce jour.

Le changement climatique se traduit par des modifications des paramètres climatiques et océaniques qui engendrent des changements environnementaux rapides, durables et irréversibles à l’échelle du siècle prochain, changements qui fondent la double urgence, d’une part, des mesures de mitigation visant à réduire leur ampleur, d’autre part, des politiques d’adaptation consistant à réduire leurs impacts.

Face à ces enjeux, les outremer constituent des territoires spécifiques, au moins pour deux raisons : premièrement, parce que des écosystèmes très sensibles à ces modifications environnementales jouent un rôle déterminant dans leur fonctionnement ; deuxièmement, parce que les pressions anthropiques fortes et en augmentation, qui existent sur ces territoires, en se combinant aux pressions climatiques, ont pour effet de démultiplier leurs impacts. Cela rend d’autant plus cruciale notre capacité à contrôler ces impacts.

Or ces territoires possèdent des possibilités de redéploiement spatiales et économiques limitées, en raison de leur configuration physique. Autant de spécificités qui font des outremer des laboratoires absolument majeurs en France pour mettre en œuvre des mesures d’adaptation très concrètes, dans l’esprit de l’« agenda positif » voulu par la France dans le cadre de la 21e Conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21).

Quelles sont les principales manifestations du changement climatique dans les outremer ?

On prévoit une accélération de la hausse des températures atmosphériques, qui devrait s’établir entre + 1 et + 3 °C d’ici à 2100, hausse rapide aux Antilles, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. On prévoit parallèlement une hausse des températures océaniques de surface, plus rapide dans la Caraïbe que dans le Pacifique, et une évolution des précipitations contrastée entre les différents bassins océaniques : les précipitations pourraient en effet baisser dans l’océan Indien et en Nouvelle-Calédonie, mais augmenter dans le Pacifique Sud.

Cette baisse des précipitations aura pour effet d’aggraver la pression qui s’exerce déjà sur les ressources en eau, par exemple à la Réunion, où une baisse des précipitations dans l’Ouest peuplé et dynamique économiquement, couplé à la hausse des températures et de la pression démographique, va aggraver la pression qui s’exerce sur les ressources en eau.

Concernant l’élévation du niveau de la mer, nous allons assister à une poursuite de son accélération, déjà enregistrée depuis le début des années 1990, et arriver à une élévation comprise entre soixante centimètres et un mètre d’ici à 2100. Il est à noter que cette hausse est particulièrement rapide dans certains outremer, comme en Polynésie française qui connaît une vitesse d’élévation près de deux fois plus élevée que dans les territoires de la Caraïbe.

À cela il faut ajouter l’acidification des océans, qui accroît la pression s’exerçant sur les écosystèmes et les ressources halieutiques.

Enfin, en ce qui concerne l’évolution des événements extrêmes, on attend une hausse de la fréquence des sécheresses – ce qui va accroître le risque de feux de forêt à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie – et de l’intensité des cyclones les plus puissants, qui va toucher les territoires les plus affectés par ces phénomènes atmosphériques que sont les Antilles et La Réunion.

Ces modifications du climat et des paramètres océaniques vont accroître des pressions qui s’exercent, premièrement, sur les ressources vitales – eau et sols ; deuxièmement, sur les écosystèmes, ce qui va affecter la biodiversité et les fonctions que remplissent ces écosystèmes ; troisièmement, sur les secteurs d’activité économique qui, outremer, dépendent fortement des conditions environnementales et climatiques, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la pêche, du tourisme ou de l’aquaculture.

Je vais examiner les impacts par composante, en commençant par ceux qui concernent les écosystèmes et les services qu’ils rendent.

Les pressions climatiques vont entraîner, sur les îles sur lesquelles les forêts primaires couvrent encore 20 à 40 % du territoire – comme c’est le cas à La Réunion, à la Martinique, en Nouvelle-Calédonie –, la disparition des forêts de basse altitude et une remontée progressive des étages forestiers en altitude, qui se traduira nécessairement par une perte de biodiversité, ce qui donne toute leur pertinence aux politiques de protection déjà mises en place.

Par ailleurs, en Guyane, elles vont engendrer un changement progressif de composition de la forêt, avec le remplacement de certaines espèces d’arbres par de la savane, ce qui va se traduire également par une perte de biodiversité et une augmentation du risque de feux de forêt.

Les mangroves, très développées en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, vont se contracter, voire disparaître dans les territoires dans lesquels elles ne pourront pas, du fait des pressions anthropiques, migrer vers la côte pour se maintenir, comme on le redoute aux Antilles ou à Mayotte.

Parallèlement, l’accroissement des pressions qui s’exercent sur les récifs coralliens engendrera une dégradation progressive de leur état de santé, qui pourrait mener à leur disparition dans certains archipels à partir de 2050 : on a de fortes inquiétudes au sujet des îles de la Société, en Polynésie française. Cela aurait des répercussions majeures sur l’alimentation des populations dépendantes des ressources récifales et sur les niveaux de risques côtiers, puisque la mort des récifs coralliens renforcerait les impacts dévastateurs des tempêtes intenses.

En ce qui concerne l’agriculture et l’élevage, la hausse des pressions climatiques va affecter la qualité des sols et exercer des pressions accrues sur les principales cultures commerciales : la banane, qui joue un rôle central à la Martinique, la canne à sucre, pour laquelle on attend une chute de productivité marquée, et le maraîchage. L’agriculture de subsistance sera également affectée, en particulier à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, où elle souffrira de la dégradation des sols, de la sécheresse et des feux de brousse.

En ce qui concerne la pêche – et l’aquaculture –, on prévoit une diminution globale des ressources halieutiques, qui sera aggravée par la surexploitation là où la pêche persistera. Elle sera compensée dans les outremer par une hausse fortement probable de certaines populations de thonidés, sous l’effet de leur redistribution en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

On doit s’attendre par ailleurs à une modification qualitative des stocks, qui va exiger une évolution des techniques de pêche ; à une hausse de la variabilité interannuelle des captures, qui va rendre plus aléatoire la production de certaines filières, comme celle de la crevette dans la Caraïbe ; à une baisse des stocks côtiers, qui va toucher les pêches côtières et vivrières de la Caraïbe, de Mayotte dans l’océan Indien, des îles de la Société dans le Pacifique, et aggraver les tensions alimentaires et économiques.

En ce qui concerne le tourisme, bien que de fortes incertitudes demeurent, on retiendra les impacts négatifs de quatre facteurs : la dégradation des écosystèmes, sur lesquels s’appuient certaines formes de tourisme – plongée en Polynésie française, éco-tourisme basé sur la découverte de la mangrove à Mayotte –, l’augmentation des risques sanitaires liés au développement des maladies et épidémies tropicales dû au pullulement des moustiques – c’est l’exemple de la crise du chikungunya à La Réunion en 2005-2006 ; la pression sur les ressources en eau, qui pourrait poser problème assez rapidement aux Antilles et à Mayotte ; enfin, les extrêmes climatiques, qui ont un impact négatif sur la fréquentation touristique de certains territoires, comme les îles de la Caraïbe, dans lesquelles les cyclones de 1995 et 1999 ont fait chuter pendant plusieurs années la fréquentation en provenance des États-Unis, qui constitue une part majeure de la clientèle.

Enfin, de manière plus globale, les aménagements et les systèmes de production côtiers, quels qu’ils soient, vont être beaucoup plus exposés, à l’avenir, aux risques de submersion marine et d’érosion côtière, ce qui signifie que le changement climatique renforce l’impératif de mise en sécurité de l’ensemble des activités humaines exposées.

Face à ces projections, quelles stratégies d’adaptation promouvoir ? Dans quelle mesure peuvent-elles s’appuyer sur des expériences acquises ? Ce qui pose la question de la part de l’innovation et de celle des savoir-faire et des acquis – j’aborderai également la question des solutions par secteurs.

Dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage, l’adaptation passera par la mise en œuvre de trois types de mesures.

Le premier visera au maintien des conditions de production, c’est-à-dire la protection des sols et le maintien à un niveau suffisant de la ressource en eau. Pour ce qui est de l’eau, enjeu majeur, je retiens trois points : premièrement, des actions à entreprendre d’urgence dans certains territoires comme la Martinique, où 93 % de la ressource dépendent de captages fortement exposés aux mouvements de terrain ; deuxièmement, l’expérience acquise dans le domaine du transfert de l’eau, par La Réunion ou par la Guadeloupe, devrait aider à gérer l’aggravation des distorsions spatiales entre disponibilité de la ressource et besoins humains. Troisièmement, la maîtrise de l’irrigation, et notamment la lutte contre l’excès d’eau, doit être à l’avenir une priorité, en Guadeloupe par exemple, afin de mieux gérer la ressource et limiter le développement des parasites.

Le deuxième type de mesures concerne l’adaptation du système agronomique à travers la sélection de cultures et d’espèces adaptées aux nouvelles conditions climatiques, la relocalisation en altitude de certaines cultures, comme la banane, le renforcement de la résilience du secteur agricole par l’introduction de plantes de service qui aident à fixer les sols et à limiter la propagation des parasites, la réintroduction de la rotation des cultures et le développement de la pluriactivité, autant de mesures qui permettront tout à la fois d’améliorer la productivité et la biodiversité agricole et de réduire les risques. Pour les mettre en œuvre, nous disposons d’une intéressante expérience antillaise, qui peut être valorisée.

Le troisième type de mesures visera à soutenir et à intégrer l’innovation à travers notamment une gestion plus participative de ce secteur d’activité, et à mettre en œuvre une politique volontariste de transformation en profondeur de ce secteur qui souffre souvent d’archaïsme, d’une faible productivité et d’une faible rentabilité.

En ce qui concerne l’adaptation dans le secteur de la pêche, la politique nationale de protection des ressources halieutiques menée dans les îles subantarctiques et les eaux polynésiennes constitue un atout pour l’exploitation durable des ressources. Ce type de politique est à promouvoir dans le contexte actuel d’augmentation des pressions qui s’exercent sur les ressources halieutiques. Une telle politique peut par ailleurs constituer une véritable force pour la France pour renforcer les politiques régionales d’évaluation et de gestion collaborative des stocks, qui constituent un enjeu majeur à l’échelle des prochaines décennies.

En parallèle, certains principes d’adaptation qui s’appliquent au secteur agricole sont également très porteurs pour le secteur de la pêche. Ils consistent à adapter les techniques de pêche à l’évolution des captures, à soutenir la diversification de la production par des efforts dans le domaine de l’innovation technologique et de la commercialisation, en s’appuyant notamment sur le rôle majeur que peuvent jouer les dispositifs de concentration de poissons (DCP) en appui à la pêche côtière, dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique, tout en encourageant également dans ce secteur la pluriactivité – pêche, agriculture, tourisme. Ces efforts sont d’autant plus stratégiques dans le Pacifique que la variabilité du climat y est forte et engendre une forte variabilité des captures, que la pêche récifale devrait sérieusement reculer et que les ressources halieutiques devraient au moins se maintenir, voire augmenter. En fait, il s’agit tout autant de limiter les risques que de saisir des opportunités.

Enfin, pour réduire les risques côtiers, trois voies d’adaptation majeures se dégagent.

La première consiste à réduire l’exposition des enjeux actuellement menacés en les protégeant mieux ou en les relocalisant suivant les cas et à contrôler les développements futurs afin d’éviter que le nombre des personnes et des biens menacés continue à augmenter, dans un contexte qui est souvent celui d’une forte croissance démographique, favorable à l’augmentation des risques.

À ce titre, les grands projets de développement des infrastructures constituent des leviers intéressants pour soutenir les politiques de rééquilibrage démographique et économique en faveur des mi-pentes – ainsi l’ouverture de la route des Tamarins à La Réunion. Ces enjeux de réduction de l’exposition des biens et de contrôle des développements futurs s’appliquent au secteur touristique, qui va devoir évoluer et valoriser des facteurs d’attractivité plus indépendants du climat.

Enfin, il va falloir mettre en place des politiques d’anticipation des risques, globales et intégrées, c’est-à-dire trans-risques, impliquant des acteurs publics et privés et incluant en particulier une amélioration des dispositifs de prévention – qui peut passer, sur certains territoires, par la construction de refuges anticyclones, par exemple –, et de gestion de crise.

En conclusion, un certain nombre de voies d’adaptation majeures identifiées à ce jour, telles que la protection des écosystèmes, la gestion durable des stocks halieutiques ou encore la mise en œuvre de l’agriculture dite « intelligente » ou durable, constituent des solutions très concrètes relevant des logiques mêmes de l’agenda positif promu par la France dans le cadre de la COP21. Il s’agit à ce jour de valoriser des initiatives existantes au nom des bénéfices multiples qu’elles peuvent produire et de voir, tant en outremer que dans d’autres territoires, le changement climatique comme une véritable opportunité de régler les problèmes environnementaux et socio-économiques existants, en repensant nos modes de développement et d’aménagement du territoire.

M. Luc Bas, directeur du Bureau européen de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) à Bruxelles. Les outremer sont clairement les premières victimes des changements climatiques, mais ils peuvent aussi être des espaces pilotes d’innovation, d’actions exemplaires et de mobilisation régionale et internationale, car il s’agit d’une problématique, non pas géographique, mais universelle.

L’UICN souligne à cet égard, depuis de nombreuses années, l’importance qui doit être justement apportée aux outremer, au travers de ses travaux, de ses analyses, mais aussi de ses actions de mobilisation, et ce grâce à un programme dédié aux outremer européens.

Très largement insulaires, les outremer, présents dans tous les océans du monde, sont les sentinelles du changement climatique. Ses impacts ne sont pas qu’environnementaux, ils sont aussi humains et économiques. Le rapport rendu l’an dernier à la Commission européenne souligne cette réalité. À titre d’exemple, le rapport indique que, pour les régions ultrapériphériques (RUP), la biodiversité est le système environnemental où la mise en place de mesures d’adaptation est la plus urgente, étant donné qu’elle est à risque et qu’elle a une grande valeur pour ces territoires.

Malheureusement, si la Guadeloupe a accueilli une grande conférence sur la biodiversité et le lien avec le changement climatique, la déclaration adoptée par les RUP sous sa présidence ne fait aucune mention de l’importance de cette biodiversité. Cela plaide pour une nouvelle analyse des projets de territoires, mais aussi et surtout pour des soutiens financiers tant nationaux qu’européens pour appuyer les projets de territoires locaux. Il s’agit bien d’envisager différemment le développement et l’aménagement afin de mieux tirer parti des services écologiques que peuvent pourvoir des écosystèmes en bonne santé. C’est ce que l’UICN appelle les solutions basées sur une nature plus respectée.

Vous m’avez demandé une brève rétrospective des dernières réunions importantes et de vous faire part des attentes de l’UICN pour la COP21.

L’île de La Réunion, qui avait accueilli en 2008, avec l’appui de l’UICN, la première conférence dédiée aux questions de perte de biodiversité et de changement climatique dans les outremer, a accueilli en juin 2014 une conférence internationale sur les îles et le changement climatique. Une déclaration y a été adoptée.

La volonté de La Réunion est que cette déclaration des îles montre les initiatives exemplaires des territoires insulaires et les idées à développer entre les outremer européens et les petits pays insulaires.

La déclaration souligne les enjeux de renforcement des capacités, des partenariats, de la coopération, mais aussi de la solidarité internationale et régionale, afin d’appuyer une économie verte et bleue.

Les outremer européens sont mobilisés sur le sujet et nous nous en félicitons. Pour autant, notre vigilance porte sur une approche plus intégrée. La transition énergétique est très importante. Mais les enjeux de résilience ne peuvent être totalement appréhendés sans une meilleure gestion des écosystèmes, car ce sont leurs services écologiques et leur dynamique qui supportent in fine les capacités de résilience des populations insulaires. Mieux vaut préserver ce qui nous est donné gratuitement que tenter de restaurer très difficilement ce qui est détruit ou très endommagé.

Je rappelle quelques chiffres.

Les récifs coralliens et les mangroves jouent un rôle tout particulier dans le service de protection des côtes et des populations outremer. Les récifs et leurs écosystèmes associés atténuent 70 à 90 % de l’énergie des vagues.

En Nouvelle-Calédonie, ce service d’atténuation de l’ampleur des dégâts causés par les phénomènes naturels permet une économie évaluée entre 115 et 219 millions d’euros chaque année.

Une récente analyse a estimé à près de 250 millions de dollars et à quatre cents ans la durée nécessaire pour restaurer les récifs au sud de la Floride et en région Caraïbe.

À ce titre, le rapport de l’UICN sur l’état des récifs dans la Caraïbe démontre que la résilience peut être favorisée avec une meilleure conception intégrée du développement et de l’aménagement de ces îles.

Au regard des conclusions du GIEC, les choix et la durabilité de certains aménagements dans les outremer est largement à reconsidérer. À ce titre, l’allocution du Président des Kiribati, lors de la troisième conférence sur la réduction des risques, a conclu que la résilience ne pouvait être une question isolée et devait être intégrée lors de la COP21.

Le « Scénario de Samoa » et la cérémonie de clôture de l’année internationale des Petits États insulaires en développement, auquel l’UICN a fortement contribué grâce au partenariat global des îles GLISPA (Global Island Partnership), souligne également le lien intrinsèque entre le changement climatique et le développement. Il s’agit à nouveau d’avoir une approche intégrée et de veiller à ce que le débat sur l’agenda post-2015 intègre les questions de changement climatique et de résilience.

L’UICN travaille tout particulièrement à ce que les nouveaux objectifs de développement abordent la biodiversité comme un pilier fondamental, notamment avec des objectifs tangibles pour les océans, sur lesquels je reviendrai plus loin.

En octobre dernier, la Conférence internationale de la Guadeloupe sur la biodiversité et le changement climatique a de nouveau souligné l’importance des outremer. J’ai eu le plaisir d’animer un des ateliers dédiés à la résilience dans le domaine du changement climatique, mais aussi dans le domaine énergétique, car il est très important pour les îles de parvenir à l’indépendance énergétique – j’ai été étonné en découvrant la part d’énergie fossile encore importée dans ces îles. Des propositions concrètes sont sorties de cette conférence et pourvoient à une feuille de route très utile pour engager des actions concrètes dans les cinq prochaines années.

Pour résumer, deux priorités ont été retenues concernant la transition énergétique. Des mesures « sans regret » ont également été adoptées, visant notamment à améliorer l’efficacité énergétique, à promouvoir les transports publics, à protéger et restaurer les écosystèmes, quelles que soient les incertitudes qui subsistent sur les impacts spécifiques et locaux du changement climatique.

En termes d’actions concrètes, la construction d’un cadre de collaboration permettra à chaque RUP outremer de se fixer des objectifs propres en matière de réduction d’émissions et d’énergies renouvelables, et de définir les voies et moyens de les atteindre, contribuant ainsi à l’objectif européen adopté par le Conseil européen en octobre 2014 : même si l’on peut relativiser le niveau d’ambition, force est de reconnaître qu’en proposant de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, l’Europe montre le chemin.

S’agissant encore d’actions concrètes, une initiative « îles pour l’adaptation et l’atténuation au changement climatique » comprend des solutions basées sur la nature. Elle capitalise et renforce davantage les initiatives existantes telles que le Pacte des Îles ou BEST (Voluntary scheme for Biodiversity and Ecosystem Services in Territories of European Overseas – régime volontaire pour la biodiversité et les services écosystémiques dans les territoires d’outremer européens).

BEST a déjà financé des projets touchant au changement climatique. L’UICN travaille, pour la Commission européenne, à la pérennisation de cette initiative exemplaire pour financer de nouveaux projets de terrain – nous sommes en train de réfléchir à la création d’un outil de financement, sous la forme d’un trust fund. À ce titre, si le Fonds Vert pour le Climat, qui doit être débattu à la COP21, ne financera pas des actions pour les outremer, BEST, qui a fait ses preuves, constitue un mécanisme de financement adapté pour ces territoires. Je pourrais vous donner des précisions sur BEST dans la deuxième partie de cette table ronde, en réponse à vos questions.

L’UICN a notamment publié un rapport important sur le rôle fondamental des océans en matière d’absorption et de stockage de carbone. Vous n’ignorez pas l’importance du domaine marin que représentent les outremer : c’est le premier domaine maritime au monde. La COP21 doit refléter cette importance des océans. L’UICN fait partie d’une plate-forme Océan et Climat et va participer à un événement important le 8 juin prochain à l’Unesco pour souligner cette conviction.

Ironie de l’histoire, me direz-vous, si la Guadeloupe a accueilli en octobre 2014 la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique, les débats de la conférence des RUP, qui s’est tenue à peine quelques mois plus tard, sur la même île, ne font pas mention des enjeux liés à la biodiversité, alors qu’ils sont fondamentaux en matière de développement économique. La déclaration de cette conférence des RUP, très centrée sur les questions de chômage, demande néanmoins à la Commission européenne de « développer l’axe horizontal de lutte contre le changement climatique » et d’« envisager la meilleure façon de déployer le financement en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique et de mettre en place et de renforcer les politiques publiques permettant une transition écologique et énergétique tenant compte des spécificités des RUP ».

Une fois de plus, il devrait s’agir d’aborder les enjeux de développement de manière plus intégrée. Que seraient les économies locales et l’avenir des populations locales, l’agriculture, la pêche, le secteur touristique, sans les services écologiques gratuits auxquels pourvoient leurs écosystèmes ?

L’UICN avait mené de façon pionnière une analyse des fonds publics alloués aux outremer français. Le constat était sans appel sur la trop faible partie accordée à la biodiversité et sur les effets pervers de certains financements. Quelques années après, le rapport de la cour d’audit européenne a souligné le difficile financement d’actions en faveur de la biodiversité par les fonds structurels.

Les conclusions du 13e Forum des Pays et territoires d’outremer (PTOM) encouragent les outremer à mettre en œuvre les conclusions de la Conférence de la Guadeloupe et rappellent l’importance de l’utilisation durable des ressources naturelles. Référence est faite à la COP21 et à la volonté de contribuer au succès de la Conférence, et la Commission européenne accueille favorablement les propositions des PTOM en matière d’adaptation et de protection de la biodiversité.

À ce titre, l’UICN va travailler à un événement « Outremer et Petits pays insulaires » lors de la COP21 de Paris pour souligner le rôle de ces entités politiques pour le succès de tous.

M. Alby Schmitt, directeur adjoint de l’eau et de la biodiversité au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je vous remercie de m’avoir invité à cette réunion pour débattre de ce sujet d’actualité. Ma compétence ne se limite pas aux deux seuls sujets de l’eau et de la biodiversité : elle s’étend aussi au domaine marin. Le changement climatique n’est qu’un des aspects des questions de l’eau, de la biodiversité et du marin.

Mon intervention portera, pour l’essentiel, sur la situation de l’action publique dans les secteurs de l’eau, de la biodiversité et du marin dans les outremer. Je commencerai par l’analyse des forces et des faiblesses des acteurs et des politiques menées, que je mettrai en perspective avec les enjeux du changement climatique.

On parle toujours « des » outremer, car aucun outremer ne ressemble à un autre, que ce soit du point de vue géographique, du point de vue du statut ou du point de vue de la réglementation applicable. Cela vaut aussi pour la biodiversité : il y a plus d’espèces végétales sur un kilomètre carré de forêt en Guyane que dans l’Europe tout entière, tandis que certains outremer souffrent d’une relative pauvreté en matière de biodiversité.

Il en est de même pour les pressions exercées sur l’eau et la biodiversité. Ce ne sont pas les mêmes dans des régions où la démographie explose, comme la Guyane ou Mayotte, dans les régions plutôt stables dans ce domaine, comme les Antilles, ou encore dans des régions à très faible densité : je pense en particulier au Pacifique, au regard de régions comme Mayotte, laquelle atteint facilement 1 000 habitants au kilomètre carré.

S’agissant du statut et du contexte réglementaire, on pourrait faire un cours d’université pour présenter toute la réglementation en matière d’environnement dans les outremer. Globalement, le code de l’environnement s’applique aux départements d’outremer, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et aux terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ailleurs, comme dans les provinces de Nouvelle-Calédonie, chaque collectivité d’outremer définit sa législation en matière d’environnement.

L’Union européenne distingue dans les outremer les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d’outremer (PTOM).

Dans les RUP, le droit européen s’applique, moyennant quelques adaptations. Dans les outremer français, les régions ultrapériphériques appliquent, en matière d’environnement, essentiellement les directives traitant de l’eau, mais elles n’ont pas à appliquer à ce jour les directives « nature », comme la directive Oiseaux ou la directive Habitats, plus connues sous le nom de « réseau Natura 2000 ».

Les RUP, soumises au droit européen, bénéficient en contrepartie d’avantages financiers importants. Globalement, entre 2007 et 2013, plus 7 milliards d’euros ont été consacrés aux RUP, au titre des fonds structurels, du Fonds européen de développement régional (FEDER) ou du Fonds européen pour la pêche (FEP). Si l’on veut mettre en perspective les fonds affectés à la biodiversité, je ne dispose pas du chiffre exact, mais on peut supprimer trois ou quatre zéros du chiffre indiqué précédemment… En ce qui concerne l’eau en revanche, les montants sont loin d’être négligeables. Pour les années à venir, 30 millions d’euros en provenance du FEDER iront au secteur de l’eau en Guadeloupe. Le secteur de la biodiversité est le parent pauvre pour ce qui est des financements européens, contrairement au secteur de l’eau, qui tire bien son épingle du jeu.

Les PTOM sont tous les outremer qui ne sont pas des RUP. La réglementation est locale et ne relève pas du droit européen. Cela étant, les PTOM bénéficient d’un certain nombre de crédits, comme les crédits BEST, à destination de la biodiversité. Nous avons appris récemment que la Commission européenne ne voulait pas accorder de crédits LIFE, y compris pour des appels d’offres pourtant ouverts à des PTOM. Les TAAF se sont vues ainsi refuser 3,1 millions d’euros alors qu’elles étaient lauréates de l’appel d’offres.

La Commission européenne s’intéresse beaucoup aux outremer français, car la France est le seul pays dont les outremer sont situés sur quatre océans et couvrent à la fois des zones tropicales et des zones subarctiques et antarctiques, ce qui permet d’avoir une vision très générale de la problématique. Qui plus est, c’est le seul État membre qui compte des RUP et des PTOM.

Concernant les structures en place dans les outremer, il n’y a aujourd’hui, nulle part ailleurs, une telle densité d’organismes traitant de la biodiversité. Plus de dix-sept organismes qui interviennent sur la biodiversité dans les DOM, sans compter les universités ! Résultat : de faibles masses critiques, du fait d’équipes réduites et souvent très dispersées, très faibles, des recouvrements de compétences, parfois même des compétitions : on cite souvent le cas des espaces forestiers qui peuvent être couverts à la fois par des parcs nationaux et par l’Office national des forêts (ONF), alors que certains domaines sont encore délaissés. Un effort de rationalisation s’impose.

Nulle part en France il n’y a davantage d’espaces naturels protégés. Pour les parties soumises au code de l’environnement, près de 30 % de la surface des outremer est classée en espace fortement protégé : cœurs de parcs, réserves nationales, réserves biologiques, etc. En métropole, cela représente moins de 2 %, un chiffre qui reste l’objectif à atteindre.

Ce sont des bases sur lesquelles nous pouvons travailler, car les notions de parc ou de réserve ne signifient en rien une simple gestion « sous cloche » : derrière ces parcs, il y a des comités de gestion, des plans de gestion, qui permettent de prendre en compte l’ensemble des pressions qu’il peut y avoir et de trouver les solutions, notamment aux problèmes liés au réchauffement climatique. Ces espaces protégés et ces organismes sont de réels atouts.

La gouvernance en matière d’eau et de biodiversité a été plutôt faible jusqu’à présent. Concernant les financements et les moyens humains, la multitude des organismes ne veut pas dire qu’il y a énormément d’agents. Aujourd’hui, dans l’ensemble des DOM, 1 128 équivalents temps plein (ETP) travaillent dans les dix-sept organismes dont j’ai parlé précédemment. On dit que 80 % des enjeux de biodiversité sont dans les outremer ; je ne suis pas sûr que 80 % des moyens humains et financiers y soient consacrés… Cela étant, des investissements considérables ont été consentis dans les outremer : les montants investis dans le basculement des eaux à La Réunion et en Guadeloupe atteignent des centaines de millions d’euros.

Il y a également des engagements forts de la France vis-à-vis des outremer. Les dernières conférences et tables rondes ont toujours abouti, dans les feuilles de route, à des mesures spécifiques en faveur de de l’eau et de la biodiversité, dans le cadre du changement climatique.

La ministre de l’écologie s’est fortement engagée en octobre dernier, lors de la Conférence internationale de la Guadeloupe portant sur les outremer européens. Le tableau de suivi de ces engagements, régulièrement actualisé, montre l’importance des sujets eau, biodiversité et changement climatique pour le ministère de l’écologie.

Vous avez débattu, la semaine dernière, du projet de loi relatif à la biodiversité. Des engagements en matière de biodiversité outremer ont été introduits dans le texte, avec des impacts possibles en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique ou de l’adaptation aux changements climatique, et un programme de protection de 55 000 hectares de mangrove et de 75 % des récifs coralliens.

La première piste à explorer sans attendre consiste en des solutions très simples à mettre en œuvre, que M. Luc Bas a appelées, selon une terminologie européenne, des mesures « sans regret ». Que l’on ait ou non des certitudes sur l’ampleur du réchauffement climatique et de son impact sur l’eau, le problème aujourd’hui, au moins dans les DOM, n’est pas celui de la ressource, mais celui de la gestion et de l’exploitation des réseaux. La Guadeloupe apparaît comme un cas totalement caricatural, puisque plus de 50 %, voire 60 % d’eau, se perdent dans les réseaux. Vous en conviendrez, la meilleure ressource est celle que l’on ne perd pas…

En ce qui concerne l’eau, une première mesure à prendre, la plus simple, consisterait à réduire les fuites et à investir dans l’entretien et le renouvellement du réseau. Ensuite, il vaudrait mieux traiter les eaux usées et les déchets, qui vont dans les lagons, détruisant au passage la biodiversité du littoral. C’est une des principales causes du mauvais état des lagons et des récifs coralliens. Du côté de la gestion des eaux pluviales également, il y aurait certainement des choses à faire.

Autrement dit, des mesures simples, efficaces et valables quelle que soit l’évolution climatique. En outre, le bénéfice est multiple, puisqu’elles se répercutent également dans le domaine de l’hygiène et de l’économie, et il n’y a pas d’économie sans eau potable ni assainissement qui fonctionne bien, sans oublier l’aspect social, car derrière cela, il y a des travaux et des emplois réellement durables.

Deuxième piste : la planification, la stratégie, la gouvernance, qui concernent aussi bien l’eau que la biodiversité, le marin et les risques naturels.

Toute une série de dispositifs de planification sont actuellement mis en avant, et parfaitement applicables dans les outremer, à commencer par les schémas d’aménagement régionaux (SAR). Ils ont l’avantage d’être à la bonne échelle pour les outremer, ils sont inclusifs, c’est-à-dire qu’ils prennent en compte à la fois les sujets d’urbanisation et les problèmes de continuité écologique puisque la trame verte et bleue doit faire l’objet d’un volet dans les SAR ; ils permettent enfin de jouer sur la perspective : quand on travaille sur le changement climatique, il faut avoir une vision des évolutions que l’on envisage sur un territoire. Peut-être faudrait-il même revisiter les SAR pour les rendre encore plus inclusifs : des sujets comme l’assainissement, l’eau potable, qui pourraient tout à fait trouver leur place dans les SAR. Le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), qui est un document parallèle, devrait normalement, comme le prévoient les instructions, inclure une vision prospective concernant les évolutions climatiques.

La gouvernance en matière d’eau et de biodiversité a fait l’objet d’un rafraîchissement dans le cadre de la loi sur la biodiversité, en cours d’examen par le Parlement : ce sera une gouvernance adaptée, locale, au niveau régional des territoires outremer.

Troisième piste : les expérimentations et l’innovation administrative.

Premier cas de figure issu de la stratégie nationale de la gestion du trait de côte : il concerne la commune de Petit-Bourg, en Guadeloupe, où des expérimentations, qui ont fait l’objet d’un appel à projets, sont en cours sur la relocalisation des activités et des biens. C’est un cas exceptionnel, qui concentre les problèmes de réchauffement climatique, de remontée des eaux, de submersion marine, de risques volcaniques, sans oublier les risques de tremblement de terre et d’inondation.

Autre excellent exemple, que j’ai pu apprécier en tant que membre de la Commission mixte inondation qui évalue les Programmes d’actions et de prévention des inondations (PAPI) : le premier projet émanant des outremer, qui concernent Grande-Terre. La commune des Abymes, pilote en la matière, l’ensemble des communes, l’Office de l’eau et la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) ont présenté un projet quasiment expérimental, très inclusif puisqu’il intègre tous les services écosystémiques impliqués dans la prévention des inondations, la rétention des crues et la protection du littoral, puisque c’est là qu’est située la plus grande barrière corallienne des Petites Antilles.

Planification, stratégie, expérimentation me semblent être, dans ces domaines, trois voies de progrès pour les outremer.

M. Jean-Yves Caullet. Je remercie les trois intervenants pour le caractère complet de leurs interventions sur un sujet par nature très divers et très prégnant. Qu’il s’agisse de transition énergétique, de biodiversité, de changement climatique, d’actions à mener ou de conséquences supposées, les outremer français sont aux premières loges. Nous l’avons du reste constaté lors de l’examen du texte relatif à la biodiversité : les élus de ces territoires sont très mobilisés et ils ressentent parfaitement les urgences et les enjeux.

Ma première question portera sur le caractère plus ou moins intégré des acteurs, qu’il s’agisse des acteurs en réparation, en recherche ou en innovation. Dans ces territoires à la fois à très forts enjeux, de petite taille – à l’exception de la Guyane – et extrêmement spécifiques, il me semble que l’intégration des acteurs n’est pas suffisante pour avoir une action coordonnée marquée. L’exemple, qui me va droit au cœur, des parcs et de l’ONF en est une parfaite illustration : à cause d’une organisation pratiquement calquée sur celle de la France métropolitaine, on perd énormément d’énergie au niveau local à coordonner des services qui devraient, à mon avis, être bien plus intégrés. J’aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet.

La deuxième a trait à la coopération régionale. Ces territoires français ne sont pas isolés. Ils sont dans un environnement régional, lui aussi soumis à des enjeux analogues, mais pas toujours identiques – les niveaux de développement ne sont pas les mêmes. Comment faire en sorte que notre pays, par sa présence sur ces territoires et dans ces zones géographiques, soit un acteur important, majeur, reconnu, en termes d’observation, de recherche, d’innovation, d’investissement et de réparation ?

La troisième portera sur les financements, ce qui renvoie à celle de l’organisation et de l’intégration. Dès lors que les collectivités, les organismes publics, les organismes de recherche, les acteurs économiques ne sont pas intégrés, chacun dispose de moyens de financement qui lui sont propres et est confronté à des arbitrages qui lui sont également propres. Tout cela ne garantit pas une optimisation des moyens mis en œuvre.

Je citerai l’exemple de l’ONF, dont la présence outremer est considérée de la même façon qu’en Franche-Comté. Il y a des directions, des missions d’intérêt général (MIG) qui sont financées, un produit bois qu’on est censé vendre, la différence entre les deux faisant apparaître un déficit annuel. Ce modèle, qui peut se comprendre, en termes de péréquation, sur un territoire forestier tempéré et de grandes dimensions, n’a plus aucune signification à l’échelle de La Réunion, de la Guadeloupe ou de la Martinique. Pourtant, ce sont sous ces auspices que l’on gère les moyens éventuellement disponibles. On pourrait même en conclure qu’il faut réduire ces fameux déficits, et donc supprimer des moyens, alors qu’il faut au contraire intensifier la politique de restauration des terrains en montagne (RTM), la forêt, la biodiversité, le génie écologique ou la protection contre l’érosion. Organisation et financement me semblent liés. Quelles solutions pouvez-vous proposer ?

N’oublions pas enfin la nécessité de ne pas nuire, comme disaient les vieux médecins. Autrement dit, dans toutes les actions entreprises aujourd’hui, il faut garder à l’esprit le souci de ne pas aggraver la situation. Pour ce qui est de l’eau, cela me rappelle un souvenir : j’ai commencé mes études sur la gestion de l’eau à Saint-Louis-Baillif, sur la Côte-sous-le-Vent. Je constate que je n’ai pas réussi puisque la situation en Guadeloupe est toujours aussi difficile… Ne faut-il pas s’interroger sur la pertinence de l’organisation des réseaux d’eau avec des myriades de sociétés distinctes qui gèrent en affermage ou en concession sur un territoire extrêmement restreint ? Ne faudrait-il pas réfléchir à une organisation administrativo-technique plus adaptée et plus efficace ?

M. Martial Saddier. C’est la première fois que notre commission, qui a, entre autres, les transports aériens, dans son domaine de compétence, se réunit depuis le terrible accident d’avion survenu hier dans les Alpes du Sud. Je tenais à exprimer notre compassion à l’endroit des victimes et notre solidarité envers les familles, ainsi que nos remerciements à l’ensemble des services de secours qui, encore en ce moment, travaillent en haute montagne, dans des conditions particulièrement difficiles et dangereuses.

Le parlementaire UMP, au nom desquels j’interviens, souhaitent rappeler que les outremer sont des territoires à part entière de notre République. Comme d’autres territoires où la densité de population est faible, ils sont parfois oubliés ou peuvent en avoir le sentiment. Pourtant, les outremer sont une des grandes richesses de notre nation. Ils représentent, par exemple, 80 % de la biodiversité de notre territoire et c’est une des grandes destinations touristiques au monde, ce qui fait que la France reste, à l’instant où nous parlons, au premier rang dans ce domaine.

La semaine dernière, et notamment dans la nuit de mardi à mercredi, les parlementaires UMP ont mené un combat qu’ils ont gagné, avec les parlementaires ultramarins de toutes sensibilités. Nous avons inversé le cours des choses, en modifiant la composition du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité. (Murmures sur les bancs SRC)

Après plusieurs heures de combat acharné, nous avons obtenu que cinq représentants permanents au conseil d’administration de cette future agence soient issus des territoires ultramarins. Telle n’était pas la proposition initiale du Gouvernement et de la majorité. Grâce au concours unanime des parlementaires UMP et de l’ensemble des députés ultramarins, le texte adopté en première lecture reconnaît, et c’est pour nous un sujet de fierté, la richesse de la biodiversité des territoires ultramarins.

Mme Geneviève Gaillard. À ceci près que groupe UMP n’a pas voté le projet de loi !

M. Martial Saddier. S’agissant de l’élévation de la température, le constat est sans appel : ce sont les territoires qui contribuent le moins à ce phénomène qui demain en subiront le plus les conséquences. Cela vaut pour les territoires d’outremer, mais également pour les zones de montagne ou du continent africain qui contribuent peu à l’élévation de la température, mais qui, demain, seront fortement impactées.

Mes collègues reviendront dans le détail sur des questions plus précises, comme l’élévation du niveau des océans ou la prolifération des algues marines, qui est d’ores et déjà un vrai problème, l’intensité et la fréquence des catastrophes climatiques. Mais d’ores et déjà, au nom de l’ensemble des parlementaires du groupe UMP, je souhaitais exprimer notre reconnaissance et notre fierté de compter dans notre belle République les territoires d’outremer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Comme d’autres parlementaires, j’étais présent dans l’hémicycle lors de l’examen du texte sur la biodiversité. En ce qui concerne la composition du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité, je rappelle la proposition très concrète présentée par notre rapporteure Geneviève Gaillard, qui a permis d’arriver à une meilleure prise en compte des territoires d’outremer au sein du conseil d’administration. Cela étant, la reconnaissance de la dimension outremer dans le projet de loi sur la biodiversité, qui est particulièrement présente, résulte de l’action de notre rapporteure, mais aussi celle de Serge Letchimy et d’autres parlementaires d’outremer et pas uniquement de l’action du groupe UMP. Il est de ma responsabilité de donner de temps en temps des précisions afin que ceux qui n’étaient pas là puissent comprendre de quoi il est question. (Approbation sur de nombreux bancs)

Mme Maina Sage. Je ne reviendrai pas sur l’amendement du groupe UDI, que nous avons adopté à l’unanimité. Ce sujet a su réunir l’ensemble des parlementaires et a fait l’objet d’un travail commun avec la majorité. Je suis ravie que l’UMP, qui est dans l’opposition, se soit jointe à cette proposition que nous avons tous votée.

M. Martial Saddier. L’UDI ne serait-elle pas dans l’opposition ?

Mme Maina Sage. Bien sûr que si. (Sourires)

Les présentations de nos invités nous ont permis d’appréhender plus en détail l’impact du changement climatique pour les outremer. Il n’y a pas qu’un seul modèle, chaque outremer subira des conséquences qui pourront varier d’un territoire à l’autre.

En Polynésie française, il semble important de se préparer au mieux. J’ai pris note des solutions « sans regret ». J’ai aussi entendu parler, et cela m’a un peu choquée, des « opportunités » liées au changement climatique : pour l’outremer, l’impact ne sera pas seulement d’ordre environnemental ou économique, ce sera avant tout un impact sur nos lieux de vie, sur nos habitats. Nous sommes bel et bien menacés sur nos territoires. Nos populations ne savent pas si elles pourront continuer à y vivre.

La Polynésie française est un territoire grand comme l’Europe, avec cinq archipels très différents les uns des autres. Si certains sont constitués d’îles montagneuses, l’archipel des Tuamotu-Gambier a une caractéristique particulière à laquelle j’aimerais vous sensibiliser : il est constitué d’atolls, des îles plates d’à peine deux ou trois mètres de haut et dont les points culminants ne dépassent pas quatre à cinq mètres – autrement dit, moins haut que le plafond de cette salle. Tous ces atolls risquent demain d’être engloutis.

Je voudrais que vous saisissiez la dureté de ce sujet pour nous. Nous vivons d’ores et déjà les effets du réchauffement climatique. Tous les jours, nous sentons des changements sur nos houles cycloniques et sur nos ressources halieutiques. Et ce n’est pas qu’une activité économique : c’est d’abord un moyen de subsistance.

Nous sommes très soucieux de ces changements parce qu’ils nous touchent tous les jours et qu’ils menacent d’abord notre habitat, mais aussi notre biodiversité. Ils vont entraîner des bouleversements dans nos habitudes de vie et dans nos activités économiques. Les solutions que vous proposez sont-elles suffisantes nous y préparer ?

J’ai deux questions à vous poser, dont la première touche à la fiabilité des études. Je vous ai entendue, madame Duvat, parler des perspectives d’élévation du niveau de la mer à soixante centimètres, voire un mètre, d’ici à 2100. Le souci, c’est que nous avons pléthore d’études : celle du CNRS de septembre 2013 sur l’impact de l’élévation de la mer sur les îles françaises dans le monde parlait une hausse de 1 à 3 mètres. Pour un atoll qui ne fait pas plus de deux ou trois mètres de haut, entre soixante centimètres et trois mètres, cela fait une sacrée différence !

Faut-il perdre notre temps à gérer dans ces territoires le renforcement des littoraux, le changement de gestion des eaux, le traitement des déchets, si c’est pour se retrouver sous l’eau dans vingt ans ? Je parle crûment, mais comprenez que ce sont des questions que nous nous posons au quotidien. Nous avons engagé des programmes pour la construction d’abris de survie en cas de cyclone, qui coûtent extrêmement cher : cela nous prendra quasiment un quart de notre contrat de projet sur les cinq prochaines années. Quel intérêt, si nous sommes certains que l’élévation du niveau de la mer dépassera demain deux ou trois mètres ? Si l’on veut mettre à l’abri des populations, encore faut-il qu’elles soient encore sur place. Concrètement, comment pouvons-nous avoir une garantie sur le niveau d’élévation ?

On parle beaucoup des fameux « deux degrés ». Nous sommes dans le contexte de la COP21 et nous attendons demain la conclusion d’un accord historique. Avec le maintien à deux degrés d’élévation de la température, que sera l’impact sur les outremer ? Ce plafond, qui est en cours de négociation, sera-t-il suffisant pour assurer la protection de nos territoires et particulièrement des atolls ?

Ma deuxième question concerne le financement. Vous avez évoqué le programme BEST. Il y a également le programme Initiative des territoires du Pacifique Sud pour la gestion régionale de l’environnement (INTEGRE). La Polynésie travaille activement, en partenariat avec l’État, pour drainer des financements européens, voire internationaux. Malheureusement, alors que des milliards sont inscrits dans les programmes de l’Union européenne, ce qui arrive dans nos territoires auprès des acteurs locaux ne représente même pas 15 à 20 % du montant prévu. Il y a tellement d’intermédiaires entre le point de départ et le point d’arrivée que je m’interroge sur l’efficacité de ces programmes de soutien, notamment européens.

M. François-Michel Lambert. Votre présentation, chère collègue Maina Sage, fait honneur aux représentants de la République que nous sommes, et relève le niveau du débat après la précédente présentation de certains qui se plaisent à laisser croire qu’ils ont fait avancer le débat, mais qui ont surtout voté contre la loi sur la biodiversité ! (Approbations sur les bancs SRC et exclamations sur les bancs UMP)

Mme Geneviève Gaillard. C’est vrai !

M. François-Michel Lambert. Votre intervention me fait penser à la métaphore de l’omelette au lard : si la poule est concernée, le cochon, lui, est impliqué… Nous, députés de l’Hexagone, nous sommes la poule et nous nous contentons de dire que nous sommes concernés tandis que vous, députée d’outremer, venez d’expliquer qu’il s’agit pour vous d’une question vitale.

C’est à nous, députés hexagonaux, d’appréhender la responsabilité que nous avons envers la nation tout entière, outremer compris, voire envers la planète, dans nos choix, notre capacité à dépasser un certain conformisme, à repousser toute frilosité et à aller de l’avant. Mme Virginie Duvat a expliqué que nous devions voir ces enjeux comme une opportunité, mais pour revoir nos politiques d’aménagement du territoire et de développement, et non pour dégager davantage de marges.

Quand vous dites, madame Maina Sage, que les atolls sont moins hauts que la salle où nous nous trouvons, on perçoit immédiatement ce que peut être la conséquence d’une élévation du niveau de la mer de seulement vingt ou trente centimètres. Nous devons aussi avoir en tête que nous sommes les seuls à profiter de nos modèles de développement égoïstes, comme le tout-voiture, le gaspillage de nos ressources, le gaspillage énergétique, etc., alors que c’est vous qui en subissez les conséquences.

Il est temps de passer d’une action défensive à une action offensive en termes de développement. Nous devons valoriser les initiatives existantes. Certes, mais comment passer des paroles aux actes ? Comment parvenir à coordonner toutes les initiatives existantes ? Il en est une qui est mise en avant dans plusieurs régions d’outremer : l’économie circulaire. Les présidents des régions Martinique et Guadeloupe ont décidé d’en faire un élément central de développement de leurs territoires et de privilégier une autre approche : n’oublions pas qu’ils dépendent pour l’essentiel de leurs besoins, du cordon ombilical qui les relie à l’Hexagone. Autrement dit, ils en sont totalement dépendants et en subissent les impacts ! En passant à un modèle d’économie circulaire plus inclusif, il doit être possible de changer les choses.

Que pensez-vous des différents projets pharaoniques en outremer, comme la nouvelle route du littoral à La Réunion ? Il faut, selon moi, arrêter ces projets extrêmement consommateurs de moyens financiers, moyens qui viennent à manquer par ailleurs. Mme Maina Sage a également évoqué ces projets particulièrement coûteux d’abris en cas de cyclone, au détriment de tout ce qui privilégierait la résilience positive et une réappropriation par les citoyens.

Comment mettre en avant la question de ces territoires lors de la COP21 ? Quelle réponse la France doit-elle apporter ? Un rendez-vous est prévu au mois de mai prochain lors du passage du Président de la République aux Antilles. Une politique plus globale, qui ne serait pas centrée sur nos seuls départements, me semblerait judicieuse.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En général, ce sont les nouveaux venus qui ont un droit de tirage, mon cher collègue… Je vous invite à respecter votre temps de parole, c’est-à-dire une minute et demie maximum. La prochaine fois, je ferai l’inverse : je contraindrai les représentants des groupes à un temps bien inférieur à celui des autres parlementaires. (Rires)

M. Philippe Plisson. L’intitulé de la table ronde ne fait qu’acter notre aveu d’impuissance. Il faut s’adapter à ce que l’on a renoncé à empêcher. Je regrette d’ailleurs les petites manœuvres politiciennes de l’UMP qui, étant le parti du productivisme, n’a pas de leçons à donner. (Exclamations sur les bancs UMP)

Je préfère l’intervention de Mme Maina Sage, membre du groupe UDI : sur un tel sujet, il est nécessaire d’unir nos efforts plutôt que de chercher nos différences.

Le constat des experts est unanime, la situation est grave. Bien sûr, les principaux émetteurs ne sont pas épargnés et les alertes de plus en plus fréquentes à la pollution de l’air, encore avant-hier à Paris, témoignent de cette évidence.

Pour ce qui concerne les outremer, c’est la double peine : ils subissent des aléas décuplés, sans avoir, la plupart du temps, bénéficié des avantages économiques afférents.

Vous nous parlez d’un changement de modèle culturel et économique, mais toujours sur le mode de l’incantation. Est-il encore temps d’inverser le processus ? Peut-on au moins espérer, dans un souci de justice, que des moyens inversement proportionnels soient accordés aux outremer dans cet agenda dit « positif » de la COP21, pour amortir les catastrophes que vous annoncez ?

M. Guillaume Chevrollier. On ne parle pas assez de la richesse de l’outremer en termes de biodiversité ni des menaces que le changement climatique fait peser sur ces régions. Ces menaces sont réelles : accélération des sécheresses et des intempéries destructrices, réchauffement de l’eau et montée du niveau des mers.

Ces régions doivent déjà faire face à des dégâts importants du fait de l’arrivée d’espèces dévastatrices : ainsi l’invasion du poisson-lion, arrivé sur les côtes de Floride à la fin des années quatre-vingt-dix, qui a, depuis, achevé de coloniser toute la Caraïbe. On dénombre jusqu’à 1 000 individus à l’hectare au lieu de cinquante dans l’environnement initial. Il représente un préjudice certain pour quantité d’espèces.

Quel est le lien entre le développement de ces espèces invasives et le changement climatique ?

M. Stéphane Demilly. Les outremer sont particulièrement riches sur le plan de la biodiversité : M. Schmitt a rappelé qu’un kilomètre carré en Guyane était plus riche en biodiversité que toute l’Europe métropolitaine.

Cependant, s’il est particulièrement riche, le patrimoine naturel des outremer est aussi le premier à être frappé par les effets du changement climatique, car le réchauffement de l’eau et de l’atmosphère déstabilise des écosystèmes particulièrement vulnérables.

M. Luc Bas a repris les conclusions de la Conférence internationale qui s’est tenue en Guadeloupe. Les îles sont particulièrement exposées à l’accélération des sécheresses et des intempéries destructrices, comme le cyclone Gonzalo, qui a frappé Saint-Barthélemy à l’automne dernier, ou encore, il y a seulement deux semaines, le cyclone Pam, qui a dévasté l’archipel de Vanuatu en Polynésie, avec des rafales de vent à plus de 320 kilomètres-heure.

Dans ce contexte, les défis sont multiples. C’est à une véritable mutation écologique et énergétique qu’il faut s’atteler. Je voudrais, pour ma part, évoquer rapidement trois enjeux qui me paraissent particulièrement importants.

Le premier, évoqué par Mme Virginie Duvat, est celui de la préservation et de la restauration des mangroves et des forêts tropicales dont le rôle est essentiel pour filtrer et dépolluer, capter le carbone et protéger des tsunamis et de la houle cyclonique.

Le deuxième enjeu est celui de la lutte contre la prolifération des espèces invasives aux effets dévastateurs pour les écosystèmes locaux. Citons le cas du poisson-lion dans les Caraïbes, de la petite fourmi de feu à Tahiti ou encore des algues sargasses en Martinique.

Le troisième enjeu est celui des impacts du changement climatique sur la santé outremer, avec la propagation de maladies comme le chikungunya, la fièvre jaune, la dengue ou encore le virus du Nil occidental.

J’aimerais avoir quelques éléments d’information complémentaires concernant ces trois enjeux.

Mme Brigitte Allain. Madame, messieurs, vous avez beaucoup parlé de résilience. La résilience, pour moi, c’est la capacité de reconstruire en résistant. Le témoignage de Mme Maina Sage nous interpelle sur la responsabilité collective que nous avons à lutter contre le réchauffement climatique et pour un vrai développement écologique, qui doit être la base, le socle de nos politiques économiques et sociales, tous partis confondus.

La résilience sur les territoires d’outremer, ce devrait être dès aujourd’hui l’organisation de stratégies de territoires pour une capacité d’autonomie vitale, en valorisant les richesses naturelles pour encourager à la relocalisation alimentaire et énergétique, ainsi qu’au traitement des déchets.

Quelles actions concrètes sont-elles mises en œuvre pour favoriser cette résilience ?

M. Stéphane Claireaux. Par sa situation géographique, Saint-Pierre-et-Miquelon est très exposé aux risques littoraux en ce qui concerne, notamment, l’érosion et la submersion.

L’archipel est composé de petites îles basses sur l’eau. Le village de Miquelon, par exemple, est installé sur un cordon littoral dont l’altitude maximum est de trois mètres. Les risques liés à la montée des eaux sont donc grands. Ce sujet a d’ailleurs été abordé lors de la visite du Président de la République, en décembre dernier, à Saint-Pierre.

Nous avons déjà noté des phases d’érosion plus actives, un recul généralisé du trait de côte et une fragilisation des cordons littoraux. Nous avons aussi de fortes inquiétudes concernant la biodiversité et les écosystèmes. Nous avons déjà noté des impacts du réchauffement climatique sur notre forêt boréale, unique sur le territoire français, avec l’apparition de parasites. Des parasites sont également apparus sur l’omble de fontaine, du fait du réchauffement des cours d’eau. Nous avons aussi noté un déséquilibre dans le Grand-Barachois, avec une prolifération d’algues inhabituelle. Nous nous inquiétons de l’impact économique du réchauffement climatique sur l’activité d’aquaculture de coquilles à Miquelon ou encore sur les stocks de poisson en Atlantique nord.

Si un travail d’étroite collaboration scientifique s’est engagé avec nos voisins canadiens, il n’en reste pas moins que, localement, nous restons relativement démunis en ressources humaines : nous nous reposons actuellement sur le seul organisme public présent dans l’archipel, l’Institut de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), qui ne compte qu’un seul salarié.

Il serait souhaitable de renforcer localement les acteurs scientifiques en développant, par exemple, des partenariats avec des universités nord-américaines ou métropolitaines. Nous avons réclamé la création d’un délégué régional à la recherche et à la technologie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Malheureusement, cette demande n’a pas eu de suite.

Ainsi que l’a souligné M. Schmitt, les outremer sont pluriels. Vous avez toutes et tous beaucoup parlé des problématiques dans les Caraïbes, l’océan Indien et l’océan Pacifique. Malheureusement, vous n’avez fait quasiment aucune allusion à l’Atlantique nord. Pourtant, nous sommes aussi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, très concernés par les conséquences du réchauffement climatique, qu’elles soient écologiques, environnementales ou économiques.

Je souhaiterais savoir quelles sont, concrètement, les intentions de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mme Geneviève Gaillard. Je remercie le président Jean-Paul Chanteguet et François-Michel Lambert pour les propos qu’ils ont tenus en réponse à ceux de M. Martial Saddier, qui étaient, de mon point de vue, dérisoires et sans intérêt au regard des enjeux dont nous débattons aujourd’hui.

Mme Maina Sage, quant à elle, a posé de vraies questions, d’une gravité extrême, qui nous mettent face à nos responsabilités concernant un problème dont nous parlons depuis longtemps.

Mme Virginie Duvat a dit, dans sa conclusion, que nous avions peut-être aujourd’hui l’opportunité de régler des problèmes environnementaux et sociaux. Certes, mais j’estime que nous avons perdu beaucoup de temps à tergiverser. Nous aurions pu le faire depuis très longtemps, et c’est précisément parce que nous n’avons pas su régler ces problèmes que les territoires d’outremer sont aujourd’hui dans une situation dramatique.

Je tiens à ce propos à excuser l’absence des députés ultramarins du groupe SRC, dont l’absence pourrait surprendre. Ils ont passé beaucoup de temps à débattre du texte sur la biodiversité et ont dû retourner chez eux.

J’en reviens à la question que je souhaite poser à Mme Virginie Duvat.

Il est très difficile de changer nos habitudes. Les populations commencent-elles, dans les territoires ultramarins, à admettre qu’il va falloir changer certaines de leurs pratiques ? Elles ont besoin de manger, de vivre. Sont-elles aujourd’hui en capacité de changer leurs habitudes ? Si oui, avec quels moyens, quel financement peut-on agir ?

Monsieur Luc Bas, vous avez parlé des effets pervers de certains financements sur la biodiversité. Nous en sommes convaincus. J’aimerais que vous nous indiquiez ceux qui sont véritablement défavorables à la biodiversité, dans un contexte où le changement climatique est important.

M. Alby Schmitt a précisé que 80 % de la biodiversité se trouvait dans les territoires ultramarins, mais que les financements n’étaient pas toujours à la hauteur. Il a souligné les actions menées par le ministère en faveur de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique. J’aimerais savoir s’il y a des perspectives d’évolution dans le contexte économique et financier que nous connaissons.

M. Christophe Priou. J’hésite à intervenir au nom des forces réactionnaires, qui n’ont pas forcément voté la loi sur la biodiversité… (Murmures divers)

M. Philippe Plisson. C’est un aveu !

M. Christophe Priou. Notre collègue Philippe Plisson lui-même était un peu gêné par certains amendements : sur l’ONF et la chasse notamment, il a parfois une position très radicale-socialiste ! (Sourires)

M. Alby Schmitt a parlé de décisions importantes, comme la protection de 55 000 hectares de mangrove et de 75 % des récifs coralliens. La protection des mangroves relève de la politique du Conservatoire du littoral et celle des récifs coralliens du futur plan d’action quinquennal de l’initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR). Ces actions vous semblent-elles suffisantes ? Entre action et décision, ne craignez-vous pas des pertes de charge qui semblent fréquentes, au-delà de la collecte d’eau ?

Un rapport sur le climat de la France au XXIsiècle, consacré à l’étude du niveau de la mer, livre des projections climatiques dans les régions d’outremer. Quelles leçons peuvent être tirées de ces données, notamment en ce qui concerne l’augmentation de l’intensité des cyclones tropicaux ?

M. Yannick Favennec. J’ai trois questions à poser aux intervenants, que je remercie pour leurs exposés.

Quelles sont précisément les conséquences du changement climatique sur les populations humaines et sur les économies des départements et territoires d’outremer ?

Comment, selon vous, réduire la vulnérabilité des cultures et des activités humaines ?

Enfin, comment la COP21 pourrait-elle apporter des réponses concrètes concernant ces territoires ?

Mme Sophie Errante. Le climat est, à plus d’un titre, l’un des grands déterminants en outremer. Les outremer sont aussi des laboratoires majeurs de mise en œuvre de solutions d’adaptation, notamment pour la survie de leur population. Pour avoir vécu en Polynésie et dans l’océan Indien, je comprends très bien et je partage l’intervention de Mme Maina Sage.

Quelle place, selon vous, devrait être consacrée aux expérimentations et aux réussites, qui pourraient être valorisées lors de la COP21, afin de les partager avec d’autres territoires, sachant que nous allons accueillir le monde entier ?

Ma seconde question touche à la santé environnementale. Vous avez évoqué les épidémies dues à des espèces invasives et redoutables, telles que le chikungunya, pour l’homme, mais aussi pour l’agriculture, et donc, les productions vivrières. On se sent également perdu devant la multiplicité des actions. Ne devrait-on pas chercher à hiérarchiser les urgences, afin de flécher au mieux les moyens du Fonds vert pour le climat et les autres outils financiers ? Que proposez-vous dans ce sens ?

M. Jean-Pierre Vigier. La lutte contre le changement climatique est aujourd’hui un enjeu majeur. La France se positionne au cœur de cette problématique avec l’organisation de la COP21.

Les territoires d’outremer ont une diversité unique en matière d’espèces et d’écosystèmes et – j’irai encore plus loin – d’une importance cruciale pour la biodiversité mondiale. Or celle-ci est clairement en danger.

Comment voyez-vous l’avenir de la biodiversité dans les territoires ultramarins à court terme ?

Comment voyez-vous, toujours à court terme, l’évolution du changement climatique sur ces zones ?

Avez-vous pu identifier des instruments ou des plans d’action afin de lutter plus efficacement contre les effets du changement climatique outremer ?

M. Jacques Kossowski. L’Union européenne compte neuf RUP, qui font partie intégrante de son territoire, et vingt-cinq territoires d’outremer qui lui sont associés. Les RUP et les PTOM abritent une biodiversité d’une richesse et d’une variété extraordinaires.

L’ensemble de ces zones est particulièrement menacé par le changement climatique. J’aimerais savoir comment les RUP et les PTOM peuvent agir conjointement en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Est-il normal de laisser nos populations dans l’expectative, en leur disant qu’on ignore s’ils seront encore là en 2100 ?

Enfin, qui contrôle les financements, afin d’être sûr qu’ils aillent où il faut ?

M. Jean-Marie Sermier. En tant qu’orateur du groupe UMP sur la loi biodiversité, je me dois de rappeler qu’on ne confond pas une loi sur la préservation de la biodiversité et une loi pour la chasse aux voix, chez les écologistes, pour un scrutin local ! (Exclamations diverses)

Dans les années soixante-dix, un météorologue disait que le simple battement d’aile d’un papillon déclenchait une tornade de l’autre côté du monde. Cette phrase est aujourd’hui devenue une réalité. Le dérèglement climatique est partout, et s’il est très présent dans les îles, c’est qu’il y a eu un accroissement important des émissions de gaz à effet de serre. La capacité maximale sera de 2 900 gigatonnes pour rester en dessous des deux degrés de stockage. Nous en sommes à 2 040 ou 2 100 tonnes. Il nous reste donc peu de temps pour réagir. La non-réaction des pays développés ou des pays en voie de développement engendre des problèmes dans des pays lointains.

Il ne suffit pas de s’inquiéter, il faut aussi réagir. L’une des réactions les plus évidentes et les plus efficaces consiste à éviter de rejeter du CO2 dans l’atmosphère. Pour cela, il convient de trouver des moyens en matière de développement économique et des solutions respectueuses en matière d’environnement. La filière nucléaire française fait partie de ces moyens. Il est important, aujourd’hui, de reprendre les choses en main pour qu’elle devienne leader au niveau mondial.

M. Jacques-Alain Bénisti. Je repense à la catastrophe d’hier. Que ce serait-il passé hier si l’avion s’était crashé sur les zones très urbanisées aux alentours de Paris ?

M. François-Michel Lambert. Sur une centrale nucléaire, par exemple… (Murmures)

M. Jacques-Alain Bénisti. Cette question pourrait faire l’objet d’un débat au sein de notre Commission.

J’en reviens à la Guyane française, et plus globalement à toute la zone amazonienne, en raison de sa situation géographique et de ses spécificités environnementales, économiques et sociales.

Nous savons tous que ce territoire est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Je citerai les ressources, l’eau, l’énergie, les risques naturels, l’érosion, la submersion marine, les inondations, les mouvements de terrain, les cyclones, l’élévation du niveau de la mer, la biodiversité terrestre et marine, avec le blanchiment des coraux, l’émergence d’espèces envahissantes nouvelles et de maladies potentielles, l’agriculture, la pêche, l’urbanisme ou encore la santé.

Il est donc essentiel de connaître les impacts et de les anticiper en planifiant des mesures d’adaptation, afin de réduire la vulnérabilité du territoire et surtout les effets des activités humaines dans une région marquée par une forte croissance démographique.

Fort heureusement, les études sont unanimes sur le diagnostic. Les systèmes naturels seront affectés avec des conséquences plus ou moins marquées pour la gestion et l’aménagement du territoire guyanais. Nous savons tous maintenant que la température moyenne devrait augmenter de deux à six degré d’ici à 2080 en Guyane, avec une intensification des saisons sèches. Conséquence attendue : des arbres qui poussent moins vite et qui meurent en bien plus grand nombre.

De nombreuses réflexions ont été menées depuis deux décennies. Mais force est de constater que les initiatives d’adaptation face aux effets du changement climatique sont extrêmement restreintes. Quelles sont les mesures concrètes envisagées aujourd’hui ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Alby Schmitt a indiqué qu’il y avait dans les outremer dix-sept organismes œuvrant dans le domaine de la biodiversité. Nous avons longuement débattu à propos de la création de l’Agence française pour la biodiversité et des organismes qui devaient intégrer cette agence. Pourquoi les organismes qui œuvrent dans ce domaine dans les outremer ne sont-ils pas intégrés à l’Agence française pour la biodiversité ?

Mme Virginie Duvat. Les outremer présentent une immense diversité et de très fortes spécificités qui les distinguent les uns des autres, que ce soit entre eux, mais aussi à l’échelle d’un seul et même territoire. Répondre à toutes vos attentes dans un temps court est donc difficile. Cela étant, je comprends que cela puisse être frustrant pour vous de ne pas avoir d’indications précises, vous le signaliez, monsieur Claireaux, à propos de Saint-Pierre-et-Miquelon. Vous pouvez avoir des attentes portant sur un territoire en particulier et vous sentir un peu frustré par ce type d’exposé quand on doit aborder, dans un temps contraint, deux thèmes – impacts et mesures d’adaptation – sur un ensemble de territoires.

Ce doit être d’autant plus frustrant qu’on vous dit que l’adaptation doit être mise en œuvre à l’échelle locale, qui est la seule bonne échelle, l’adaptation devant être spécifique à la configuration des territoires, à leurs forces et faiblesses, ainsi qu’aux impacts du changement climatique, eux-mêmes tout à fait spécifiques en termes qualitatifs et quantitatifs. Sachez en tout cas que les éléments d’information disponibles pour chacun des territoires sont contenus dans le rapport au Premier ministre et au Parlement, que j’ai eu la chance de coordonner fin 2012. Je peux vous en faire parvenir des exemplaires en nombre suffisant.

Vous voulez savoir très précisément quels sont les impacts du changement climatique sur ces territoires. Vous voulez connaître les chiffres et les impacts de ce changement sur les populations et sur les secteurs d’activité économique. À tous ceux qui se posent ces questions, je veux répondre ici : il faut accepter qu’il existe encore un certain nombre d’incertitudes scientifiques sur les valeurs relatives à des projections futures. La science est mobilisée : le changement climatique est l’une des questions qui mobilisent le plus les scientifiques, au point de générer des reconversions chez les chercheurs. Mais veuillez, je vous en prie, accepter les incertitudes sur les chiffres. Parce que c’est ainsi. Les scientifiques doivent être honnêtes et faire part de leurs incertitudes. Nous organisons des colloques et des programmes de recherches spécifiquement consacrés à l’incertitude.

Cela étant, nous connaissons les tendances et nous avons aujourd’hui des faits avérés depuis assez longtemps pour savoir exactement dans quel sens doit aller la décision et dans quel sens doit se faire l’action, publique ou privée, qui de toute façon devra être participative et collaborative.

Je le répète, acceptons l’incertitude sur certaines données chiffrées. Ainsi, la valeur d’élévation du niveau de la mer ne doit aucunement paralyser l’action. Vous l’avez tous dit, il est déjà tard pour agir. Nous sommes acculés à mettre en œuvre, aujourd’hui, des politiques lourdes, ambitieuses et intégrées, parce qu’un certain nombre de choses n’ont pas été faites correctement. C’est en ce sens que je vous disais tout à l’heure que le changement climatique devait être vécu comme une opportunité, une opportunité de bien faire ce que l’on a mal fait jusqu’à présent. De toute façon, nous n’avons plus le choix : il faut agir, car nous sommes dans une situation d’urgence.

Cela étant, la connaissance scientifique progresse à un rythme soutenu. J’ai moi-même beaucoup travaillé sur les Tuamotu. Il faut savoir qu’il y a différentes temporalités à envisager : entre la temporalité de la science et la temporalité de l’action, il y a une jonction toujours plus forte à établir. Ce qui est certain, c’est qu’il faut des solutions adaptées localement, qui visent à renforcer la résilience des écosystèmes et des sociétés, pareillement malmenés par la mondialisation dans leurs fondements propres. C’est ce qui crée aujourd’hui des situations difficiles.

J’en viens à la première question sur le caractère plus ou moins intégré des acteurs, des financements, et sur la coopération régionale. Je suis spécialiste des îles tropicales, dans les outremer français, mais aussi dans les Maldives, Kiribati et ailleurs : en matière de recherche, nous souffrons à l’évidence d’un manque d’intégration des initiatives mises en œuvre, d’un manque d’instrumentalisation de ces territoires qui permettrait de mieux connaître, de mieux enregistrer, de manière plus précise, les changements environnementaux qui les concernent. Ce sont des territoires dans lesquels il y a beaucoup de mouvements : des mouvements de populations, des mouvements financiers, des investissements opportunistes. Il y a souvent une très forte discontinuité, dans le temps, des actions menées, et, globalement, un degré de collaboration, de coopération, lui aussi très discontinu et souvent insuffisant, avec des moyens financiers parfois extrêmement aléatoires.

Ajoutons que ces territoires sont parfois pénalisés par les modalités d’attribution des financements. Je me bats en Polynésie, où j’ai un programme de recherche, pour intégrer dans nos équipes françaises des chercheurs australiens, néo-zélandais ou américains, parce que ces gens-là vivent dans le Pacifique. Il s’agit de pays extrêmement puissants, qui déploient des moyens colossaux en termes de recherche. Pourtant, un certain nombre de financements publics français nous interdisent de faire bénéficier de nos financements des chercheurs étrangers, alors que ce serait nécessaire pour qu’une véritable collaboration puisse exister.

Pour ma part, j’échappe à la plupart de ces difficultés. En tant que membre du GIEC, j’ai la chance d’œuvrer dans le cadre d’une énorme tribune internationale qui, sur le plan scientifique, permet de brasser les idées, d’échanger, de construire. Cela étant, vous avez souligné un point important : il y a une discontinuité, un manque de cohérence des actions ; il y a, dans certains territoires, une rotation des personnels en charge des dossiers, qui fait que l’on ne revoit jamais les mêmes personnes, qui savent dès le départ qu’elles ne vont pas rester longtemps, souvent pas plus de deux ans. De notre côté, nous avons des programmes de recherche sur trois ou quatre ans et nous prévoyons de faire des retours vers les acteurs aux différents échelons de la décision publique, et nous nous apercevons qu’ils ont disparu en cours de route… C’est un problème de fond sur lequel il me semble crucial d’avancer même si, actuellement, je ne vois pas comment faire concrètement.

J’en viens à l’intervention, très riche, de Mme Maina Sage. Je suis moi-même particulièrement attentive à la situation des atolls. En termes de résultats quantitatifs des études produites, aujourd’hui, il faut accepter qu’elles ne puissent pas être optimales. C’est déjà magnifique de pouvoir dire qu’entre 1950 et 2009, l’élévation moyenne du niveau de la mer en Polynésie française, à Tahiti, a été de 3 millimètres par an en moyenne, et comprise entre 2,5 et 2,9 millimètres par an dans certains atolls des Tuamotu-Gambier. Il y a quelques années seulement, on ne connaissait pas ces chiffres.

Au demeurant, ces petites îles concentrent tellement l’attention de la communauté scientifique que, quand on me demande des valeurs chiffrées pour les littoraux français, à Marseille ou à La Rochelle, je ne suis pas capable de répondre aussi précisément que pour la Polynésie française. C’est bon signe : cela montre que les équipes spécialistes de ces questions sont aujourd’hui très fortement mobilisées sur les petites îles, parce qu’on sait que, comme l’Arctique et les déserts, elles font partie des territoires en première ligne face aux impacts du changement climatique, et que ces impacts vont frapper très fortement les populations et leur culture. Cela touche à des questions identitaires, à des questions de survie.

Bref, on fait ce qu’on peut, on essaie d’avancer le plus vite possible. Mais soyez rassurée, madame Sage : ces territoires sont de plus en plus au cœur des programmes de recherche, et ces programmes obtiennent des financements.

Vous me demandez si vos atolls seront sous l’eau dans vingt ans. J’ai écrit un ouvrage intitulé Ces îles qui pourraient disparaître et je serai ravie de vous en envoyer un exemplaire. Il faut être très conscient des menaces qui pèsent sur ces territoires, mais en même temps fortement convaincu que le catastrophisme conduit à des erreurs en termes de décisions. Je pense à ce qu’il s’est passé en Papouasie Nouvelle-Guinée où les populations sont venues à la hâte vers Bougainville, suite à des submersions majeures, et sont, parce qu’elles n’avaient plus de terres, tombées dans une misère effroyable. Nous le savons, il ne faut pas agir trop vite. Les îles composant ces atolls ne vont pas disparaître au cours des prochaines années.

Il n’y a pas qu’une seule suite de l’histoire, il y a des trajectoires insulaires extrêmement diversifiées et il y aura un certain nombre d’histoires futures différentes les unes des autres, notamment pour les atolls. Certains de mes collègues étaient sur le terrain, en Polynésie, sur l’atoll de Mataiva, après le passage récent de la dépression tropicale Niko. Même si cette dépression n’était pas très intense, elle a apporté à Mataiva entre 5 et 30 centimètres d’épaisseur de sable et de débris coralliens sur une partie de l’atoll – par chance celle qui est habitée –, exhaussant par là même le niveau des côtes.

L’an dernier, j’étais à La Réunion, immédiatement après le passage du cyclone Bejisa. Ces événements extrêmes, dont l’intensité va augmenter dans le contexte du changement climatique, nous permettent de décrypter les processus, de procéder à des mesures et de voir concrètement ce qui se passe sur le terrain, le terrain de la nature, mais aussi le terrain des hommes. Qu’ai-je constaté à La Réunion ? Que dans certains secteurs, sur les côtes récifales, le cyclone Bejisa était à l’origine de l’accumulation de quatre-vingts centimètres à un mètre de sable et de débris coralliens. Autrement dit, le problème auquel devaient répondre les résidents, ce n’était pas l’attaque des parcelles, la destruction des ouvrages de défense, etc., mais le remplissage des piscines par des quantités phénoménales de sable et de débris coralliens ! Suite à cela, que peut-on dire aux acteurs ? D’engager des actions concrètes de recul stratégique, de relocalisation de ces quartiers urbains qui n’ont rien à faire dans la bande des cent mètres. Il existe des mécanismes de résilience naturels des côtes : les récifs coralliens, on le sait, nourrissent les côtes. Le plus dramatique lorsque ces événements surviennent, c’est que parfois des ouvrages de défense verticaux ont été construits qui empêchent le sable et les débris coralliens de s’accumuler, tant et si bien que les mécanismes naturels d’ajustement vertical des îles ne peuvent plus fonctionner !

Il faut donc avoir une vision des choses extrêmement nuancées et travailler à l’échelle locale, car les impacts sont très différenciés d’un endroit à un autre du littoral. Ce qui est certain, c’est que là où les pressions anthropiques sont faibles et où il existe une zone tampon naturelle permettant au système naturel de respirer, il y a, de fait, des mécanismes naturels de résilience extrêmement favorables aux sociétés humaines.

Aujourd’hui, il est crucial de parvenir très rapidement à réduire tous les impacts anthropiques qui ne font que démultiplier les impacts du changement climatique. Il est urgent et vital de réduire nos impacts directs sur les milieux naturels. Il y a parfois des configurations extrêmement dramatiques : je travaille sur Avatoru, à Rangiroa, qui fait partie des zones critiques, comme Malé, aux Maldives. Dans certaines zones urbaines, la densité peut atteindre un pic de 13 000 habitants par kilomètre carré, sur des îles qui culminent à quatre mètres. Mais pour l’heure, nous n’en sommes pas encore à devoir envisager la disparition de territoires et la migration de populations. Continuons à travailler et sachons que nous avons du temps devant nous – au moins quelques décennies. Bien entendu, il faut agir dès aujourd’hui, mais il faut agir graduellement, prévoir des ajustements. Il ne faut pas s’affoler et dramatiser trop vite : la précipitation dans l’action a des effets contreproductifs.

S’agissant des abris anticycloniques dans les atolls les plus peuplés des Tuamotu, dans lesquels les hauteurs de vagues connues pour les cyclones les plus intenses sont comprises entre douze et quinze mètres, il me semble très dangereux, pour ne pas dire irresponsable, de ne pas envisager, là où on ne pourra pas évacuer la population, la construction d’abris. L’affaire de la route du littoral à La Réunion est d’une tout autre nature.

Pour répondre à la question très précise de Mme Geneviève Gaillard, oui, les populations sont de plus en plus sensibilisées à la nécessité de changer leurs pratiques. J’ai, sur le terrain, des entretiens avec les populations, qui contribuent à produire les connaissances dont nous disposons car elles en détiennent une partie importante. Elles sont sensibilisées, en particulier à travers deux types d’impacts. Dans certaines zones, elles souffrent d’une érosion côtière forte, qui parfois s’accélère. Elles souffrent aussi de submersions marines qui ont des impacts extrêmement forts. Face à une situation dont elles savent de surcroît qu’elle va s’aggraver sous l’effet du changement climatique, elles réclament une intervention rapide, coordonnée, robuste et durable des pouvoirs publics, que ce soit en Polynésie française ou à La Réunion. Après un cyclone, les particuliers ont un peu l’impression qu’on ne s’occupe pas assez d’eux. Ceux qui ont des moyens font intervenir des entreprises pour se doter d’ouvrages de défense massifs ; ceux qui n’en ont pas se demandent ce qu’ils vont pouvoir faire. Il y a une très forte inégalité dans les réponses et du coup, une incohérence dans les actions, ce qui constitue un facteur aggravant : la situation est devenue à ce point complexe dans certains sites que, le jour où l’on voudra agir correctement, il faudra commencer par nettoyer tout ce qui a été fait auparavant.

Sur les questions de santé publique, les populations sont également sensibilisées lorsqu’elles sont touchées, par exemple, par une crise forte de ciguatera, très probablement influencée dans un sens négatif par le changement climatique, ou quand elles ont du mal à trouver des ressources alimentaires à cause de modifications des températures des eaux océaniques et des courants comme El Niño dans le Pacifique. Il y a des moments où il est difficile de pêcher.

Oui, les populations sont déjà affectées. Mais comme nous, les scientifiques, elles sont incapables de mesurer avec précision la part du changement climatique dans les impacts qu’elles subissent, ceux-ci résultant d’une combinaison de processus : activités humaines, variabilité du climat tout à fait naturelle, qui a toujours existé – il y a toujours eu des cyclones et des épisodes El Niño – et qui n’a rien à voir avec le changement climatique.

M. Luc Bas. Je vais essayer de faire preuve de la même éloquence que Mme Virginie Duvat, en français… mais je n’entrerai pas trop dans les détails scientifiques.

Il est évidemment très important, pour une organisation comme la nôtre qui, par nature, travaille sur la base de faits établis, de toujours chercher à savoir mieux et plus. Mais parfois, la vérité commande de dire que l’on ne sait pas exactement ce qui se va se passer. Dans ce cas, que doit-on faire ? Cela m’amène à reprendre, en l’élargissant, la question de Mme Maina Sage.

Il y a des incertitudes, c’est vrai. Mais il y a une certitude : c’est le changement climatique et il aura des conséquences. Il n’y a que dans l’État de Floride, aux États-Unis, où l’on s’obstine à ne pas comprendre et où il est interdit d’utiliser l’expression « changement climatique » ! Une vidéo sur internet montre une discussion assez incroyable entre un sénateur et un fonctionnaire de l’État de Floride, que je vous invite à visionner : c’est tout à la fois très triste et assez comique.

Lorsque rien n’est certain, il est difficile de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde, et je suis assez étonné qu’il n’y ait pas dans la langue française une expression équivalente à no regret measures…

Mme Virginie Duvat. On peut très bien dire « mesures sans regret ».

M. Luc Bas. Très bien. Mais pour qu’une action soit sans regret, encore faut-il être sûr du bénéfice. Or il existe toute une série d’actions qui, même si le réchauffement climatique ne se produisait pas, auraient des effets bénéfiques immenses pour toute la société et les écosystèmes. Mais on ne les prend pas en compte, et c’est bien le cœur du problème. On en reste à des essais, des démarches ponctuelles.

Pour intégrer cette dimension, il faut un leadership. Votre Président a déjà montré qu’il pouvait y prétendre ; il va falloir accélérer un peu le rythme d’ici à la COP21, mais la France a l’opportunité de prendre ce leadership. En effet, à la différence d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou le Portugal, la France est dans une situation unique en ce qu’elle est présente partout grâce à ses outremer. Du coup, vous avez une responsabilité globale en montrant ce que vous pouvez faire dans vos outremer et diffuser des bonnes pratiques dans les zones alentour.

Malheureusement, certains de vos schémas de développement ne constituent pas à proprement parler des modèles : ainsi, j’ai été surpris en découvrant que la population de La Réunion atteignait presque le million d’habitants, ce qui ne peut que poser de gros problèmes dans une île aussi petite. C’est toute la question de la croissance et de la poursuite de cette croissance.

Pour apprécier les utilisations des écosystèmes, il faut un accounting system, un système comptable qui prenne en compte non seulement les gouvernements, mais également les entreprises : l’UICN travaille actuellement avec le World Business Council for Sustainable Development – Conseil mondial des entreprises pour le développement durable – sur un protocole appelé Natural Capital – « Capital Naturel » – visant à développer une approche intégrée dans la gestion de l’entreprise. Pour l’instant, soyons honnêtes, 99 % des actions relèvent du simple « verdissement » : on fait un petit quelque chose à côté juste pour montrer qu’on est très vert. Mais c’est un essai : nous sommes très contents que le WBCSD soit avec nous et que le message commence à passer.

Autre aspect de l’intégration : quand il est question d’infrastructures « dures », bâtiments, routes, etc., ce n’est jamais vu comme un coût, mais comme un investissement. Mais sitôt qu’il s’agit de mesures en direction de la nature, qu’il faille protéger ou restaurer, c’est toujours considéré comme un coût !

Jean-François Lambert. Tout à fait !

M. Luc Bas. Encore faut-il avoir les bons moyens de mesure pour y voir un investissement, avec les bénéfices qui en découlent, et déterminer ceux qui en profitent.

Autant d’aspects qui sont au cœur de la problématique des outremer, mais également des discussions de la COP21, où nous attendons que les démarches dites nature-based solutions – solutions basées sur la nature – et ecosystem-based adaptations – adaptations basées sur les écosystèmes soient réellement prises en compte. L’atténuation s’inscrit dans ces démarches. Nous ne prétendons pas que ce soient les seules réponses, mais elles doivent faire partie d’une solution hybride. Nous ne sommes pas des utopistes, mais force est de reconnaître qu’en écartant toutes les solutions « naturelles », ce sont autant d’opportunités que l’on néglige.

Un mot sur les subventions préjudiciables. Tout le monde sait où elles sont : les subventions pour le pétrole, dans l’agriculture… On sait que cela a des effets pervers et que cela nuit au combat contre le changement climatique, mais apparemment, certains acteurs ne l’admettent pas, ils refusent de changer et même de commencer à changer. La politique agricole commune a essayé de faire son « verdissement », avec quelques résultats : c’est une étape, mais on voit beaucoup de contorsions pour ne pas montrer que, certes, c’est vert, mais que, au final, toutes ces mesures ne jouent pas réellement en faveur de la biodiversité.

Il faut effectivement contrôler beaucoup plus le financement. Beaucoup de financements n’arrivent pas là où ils devraient arriver, les autorités locales de vos îles le savent bien. C’est un peu comme pour l’eau : beaucoup d’argent se perd dans le réseau ! (Sourires) Cela étant, il ne faut pas se focaliser exagérément sur cette dimension. En fait, ce n’est jamais une question d’absence de moyens : c’est souvent utilisé comme une excuse au niveau européen.

L’Europe va participer à la COP21 avec la première contribution du monde, puisqu’elle s’engage à réduire de 30 % ses émissions d’ici à 2030. C’est un chiffre élevé, mais qui doit être relativisé. Ainsi, nous avons réduit de 19 % exactement nos émissions de gaz à effet de serre depuis 1990 ; on peut en déduire qu’il est possible de préserver la croissance tout en réduisant ses émissions. Mais il faut être honnête : un rapport de l’agence européenne de l’environnement, sorti il y a deux semaines, montre que si l’on prend en compte les émissions de GES liées aux produits que nous consommons, elles ont bel et bien augmenté. Ceux qui pensent qu’il faut changer notre manière de consommer comme les défenseurs des entreprises seront d’accord sur un point : l’industrie s’est délocalisée en Chine et en Inde, et avec elle les emplois et les émissions de carbone. L’argument peut donc être utilisé dans les deux sens… Normalement, qui dit développement dit création d’emplois : or si l’économie en Europe a doublé en volume en vingt ans, les emplois n’ont pas doublé. Cela doit amener à s’interroger sur la nécessité d’une approche intégrée, son financement et la manière de la mener à bien.

Enfin, le leadership doit s’entendre au niveau des collectivités régionales ou autorités infranationales, et non au niveau du ministre de l’environnement ou du Gouvernement national ou fédéral. C’est lorsque l’autorité infranationale est convaincue du bien-fondé de la démarche intégrée que l’on voit apparaître les premiers changements – on l’a vu dans certains pays. Une opportunité, une de plus, à ne pas négliger.

Quoi qu’il en soit, pour les îles, le recours aux solutions naturelles est toujours une bonne chose, que l’élévation du niveau des mers soit de cinq centimètres ou d’un mètre. Les retours sur investissement sont immenses par comparaison avec les coûts, mais on ne mesure pas vraiment les bénéfices que l’on en retire. L’UICN continuera d’agir pour promouvoir l’atténuation et faire la preuve que ces solutions intelligentes ont également un réel intérêt économique.

Un dernier mot à propos d’une grande opportunité – encore une – au niveau européen : des centaines de milliards d’euros seront bientôt mobilisés dans le plan d’investissement du président Juncker, qu’il va falloir utiliser le plus intelligemment possible. Or le premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans a, entre autres responsabilités, celle de la coordination au service du développement durable. Nous travaillons à le convaincre de se comporter en visionnaire et à saisir cette opportunité pour ordonner son action politique.

M. Alby Schmitt. Dans la mesure où il y a autant d’outremer que de territoires, il n’y a pas une solution unique, standard, à appliquer en termes tant d’institutions que de projets ou de réalisations. L’expérimentation adaptée aux conditions locales est une idée qui doit prévaloir dans les outremer.

Il ne faut pas oublier que la biodiversité est également une richesse économique. Un seul exemple : aujourd’hui, 60 % des substances médicamenteuses ont pour origine des plantes terrestres. Les molécules actives de ces médicaments sont à 60 % d’origine terrestre. On ne sait ce qu’il en est pour le domaine marin ; mais l’AZT, qui a permis de soulager de nombreux malades du sida, n’aurait jamais vu le jour s’il n’y avait pas eu, pour produire cette molécule, une petite éponge des Caraïbes, malheureusement très menacée.

Toutes les actions menées dans les outremer doivent répondre à une logique gagnant-gagnant, gagnant pour la métropole, gagnant pour les outremer, car nous avons tous intérêt, métropole et outremer, à avancer dans ce domaine. « Gagnant-gagnant », cela signifie que des efforts doivent aussi être faits du côté des outremer. En ce qui concerne l’eau, par exemple, sujet majeur, je suis inquiet lorsque je vois, sur un contrat de plan État-région (CPER), la répartition des financements : 3 millions d’euros pour les collectivités, 30 millions pour l’Union européenne et 13 millions pour l’État français. Il y a à l’évidence un déséquilibre.

Je suis également inquiet lorsque, dans le cadre de la conférence des RUP, la déclaration finale, à aucun moment, ne fait état de la Conférence de la Guadeloupe et de son message. D’autant que c’est dans ce même outremer que se sont tenues les deux conférences, à quelques semaines d’intervalle.

L’Agence française pour la biodiversité a, certes, été votée ici, à l’Assemblée, mais les discussions parlementaires sont loin d’être terminées. Aussi, m’apprêtant à parler de l’AFB, je vous prie de m’excuser d’anticiper sur la décision finale du Parlement.

Pour ma part, je vois clairement l’outremer comme le porte-étendard de la biodiversité française et l’AFB outremer comme le porte-étendard de l’AFB dans son ensemble. Car la biodiversité outremer parle aux citoyens français, elle fournit des exemples. On y voit concrètement ce qui peut être fait et l’AFB peut jouer un rôle majeur dans ce rééquilibrage entre métropole et outremer.

J’en viens à la rationalisation concernant l’ensemble des organismes qui interviennent outremer.

L’AFB peut être vue comme étant, en particulier dans les outremer, la colonne vertébrale de l’action publique dans le domaine de l’eau et de la biodiversité, ce à partir de quoi on va pouvoir construire, la matrice solide à laquelle on pourra se raccrocher. Parallèlement à cela, le projet de loi en cours de discussion prévoit des outils précisément destinés à aider à construire dans les outremer, autour de cette colonne vertébrale, un ensemble qui donnera plus de cohérence à l’action publique, qui simplifiera le paysage de l’action publique.

Enfin, aucune action ne peut se décider de Paris ; elle doit se faire en pleine intégration, en plein partenariat avec les acteurs locaux, que ce soient les collectivités, les établissements, les organismes qui travaillent déjà sur ces sujets.

S’agissant toujours de l’AFB, la possibilité de créer des délégations territoriales dans les outremer a été ouverte, ainsi que la possibilité de passer par des établissements publics de coopération environnementale (EPCE) regroupant dans le cadre d’une même structure, autour d’une même table du conseil d’administration, l’État, les collectivités d’outremer et leurs établissements. Ce sera un outil intéressant pour mutualiser l’action de l’ensemble des intervenants sur l’outremer.

Au sein même de l’AFB, un certain nombre d’organismes vont être mutualisés, en particulier l’Agence des aires marines protégées (AAMP), l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l’Atelier technique des espaces naturels (ATEN), etc.

La possibilité de rattachement sera un deuxième outil : je pense au rattachement des parcs nationaux à l’AFB, mais ce pourra être le cas d’autres organismes qui existent et coopèrent déjà. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF), par exemple, travaille beaucoup avec l’ONEMA et l’AAMP à créer des brigades de police au niveau local. On peut donc imaginer, sur le plan local, des rattachements de ce type. Mais d’autres outils sont prévus pour faire de l’AFB outremer le fédérateur de l’ensemble des actions publiques dans ces territoires.

Pour ce qui est du financement, la mutualisation obtenue au sein de l’AFB doit permettre de mieux répartir, en fonction des besoins, les ressources propres de l’établissement. Aujourd’hui, nous avons des politiques un peu orphelines ou insuffisamment dotées, particulièrement dans le domaine du marin et de la biodiversité outremer – la politique du marin s’appliquant par nature beaucoup outremer. L’une des missions de l’AFB consistera à réorienter, à rendre des arbitrages internes pour que les moyens humains et financiers aillent là où il y a le plus de besoins.

On peut aussi imaginer des économies d’échelle dès lors qu’on aura rationalisé l’ensemble des structures. Sans oublier d’autres dossiers sont en cours, dont ceux concernant le Programme d’investissements d’avenir (PIA) sur la biodiversité et sur l’eau ; le plan Junker, sur lequel des demandes importantes ont été faites, s’agissant notamment de l’eau en outremer, où les besoins se chiffrent en milliards d’euros ; certaines actions enfin pourront se financer grâce à des prêts, en particulier du côté de la Caisse des dépôts et consignations.

Dernier point, les financements européens, dont on espère qu’ils pourront être aussi progressivement orientés vers la biodiversité, comme ils le sont vers l’eau, ce qui n’est pas toujours le cas pour l’instant, dans la mesure où les fonds ont tendance à se concentrer sur les macro-projets.

L’AFB devra professionnaliser tout ce qui touche aux demandes de financements internationaux ou européens. Il faut savoir que les RUP françaises réussissent moins au niveau de l’Europe que les RUP non françaises. Les PTOM, a contrario, fonctionnent plutôt mieux côté français… Il faut vraisemblablement mutualiser ces expériences dans le domaine du portage de projets et des demandes de financements pour qu’au final, nous soyons tous gagnants et que nous améliorions notre taux de succès auprès de Bruxelles…

Une mission interministérielle a lieu en ce moment, en lien avec le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le conseil général de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAER), sur tous les sujets concernant l’eau dans les DOM et à Saint-Martin. Cette mission aboutira à la publication d’un rapport au début du mois d’avril. Une réflexion profonde doit être menée sur l’organisation des services de l’eau.

Des chiffres seront sans doute avancés sur les besoins de financement des départements d’outremer, non seulement pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne – c’est là où le bât blesse au niveau national –, mais également pour donner aux outremer un niveau de qualité et de services en matière d’eau et d’assainissement qui corresponde à ce que l’on peut attendre d’un État développé comme la France au XXIsiècle.

Des efforts seront sans doute demandés aux outremer. J’ai vécu un certain temps à La Réunion et j’y ai travaillé sur la question de l’eau. Avec cette mission, je découvre que des équipements sur lesquels on a investi il y a vingt ans, sont aujourd’hui dans un état qui n’est pas celui d’un équipement normalement entretenu. Il y a donc des efforts à faire de chaque côté.

On a également évoqué la réalité des actions. Je vous invite à examiner chaque année, au premier jour de la Conférence environnementale, le compte rendu sur l’état d’avancement des feuilles de route précédentes, qui sont fournies régulièrement au Conseil national de la transition écologique (CNTE), et qui font le point sur les engagements pris. Les engagements de la ministre en Guadeloupe font également l’objet d’un suivi et d’un rapport à l’adresse des parties prenantes.

Pour ce qui est de la biodiversité en outremer, nous sommes loin d’être en retard. Aujourd’hui, 30 % de la surface, au niveau terrestre, est sous protection forte. Au niveau maritime, beaucoup d’actions concrètes sont également menées, dans la Mer de Corail, par exemple, et bientôt aux Marquises. Les choses avancent : si l’objectif de 55 000 hectares de mangrove protégés a été inscrit dans la loi, c’est parce que le précédent – 35 000 hectares – a été largement atteint, et dès 2015.

L’aménagement de la route du littoral est clairement une opération d’intérêt public majeur et un impératif de sécurité. Sept milliards d’euros sont financés par l’Union européenne. La première question, dans le cas d’un important financement européen, consiste à savoir comment on va le dépenser le plus rapidement possible. On identifie alors les deux ou trois projets majeurs sur lesquels on va pouvoir investir. Du coup, on privilégie surtout des opérations lourdes alors qu’il existe des projets d’infrastructures environnementales qui, en termes de retour pour le territoire au niveau de l’emploi et du financement, sont tout aussi intéressants, et plus intéressants encore en termes de retours secondaires. Ainsi, à Mayotte, la mise en conformité de l’assainissement représente 700 millions d’euros : pour une île qui fait quelques centaines de kilomètres carrés et compte 200 000 habitants, c’est un investissement énorme. Imaginons que l’on finance ce projet très rapidement : cela représente un emploi par tranche de 100 000 euros par an. Autrement dit, chaque fois qu’on investit 100 000 euros par an dans l’assainissement, c’est un emploi pour les travaux et 0,1 emploi définitif dans les services. Au-delà, je vous garantis que l’impact sur le lagon de Mayotte, qui est un des plus beaux lagons des outremer français, sera nettement positif, avec des retombées sur le tourisme et sur la qualité de vie autrement plus importantes que pour des infrastructures telles qu’on les conçoit habituellement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie nos trois invités d’avoir participé à cette passionnante table ronde et aux échanges fructueux que nous avons eus.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 25 mars 2015 à 9 h 30

Présents. – Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Claireaux, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Napole Polutélé, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. – M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Charles-Ange Ginesy, M. Christian Jacob, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Gilbert Sauvan

Assistaient également à la réunion. – Mme Brigitte Allain, M. Philippe Houillon, M. Philippe Noguès, Mme Maina Sage