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Commission des affaires économiques

Mardi 12 mai 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 57

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace

La commission a auditionné M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace.

L’audition commence à seize heures vingt-cinq.

M. le président François Brottes. Notre commission mène une série d’auditions consacrées aux questions spatiales : nous avons reçu récemment le Centre national d’études spatiales (CNES) et le groupe Airbus, nous entendrons prochainement Airbus Safran Launchers et nous accueillons aujourd’hui M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace. Il est d’ailleurs parfois difficile de comprendre « qui fait quoi » ! Pour sa part, Arianespace est chargée de la commercialisation et de l’exploitation des systèmes de lancement spatiaux. L’entreprise a beaucoup de fournisseurs, un certain nombre de clients – il lui en faut de plus en plus – et pas moins de vingt et un actionnaires.

Monsieur le président-directeur général, nous souhaitons notamment vous interroger sur trois enjeux. En matière de gouvernance, tout d’abord, il existe un débat sur la place du CNES, qui pourrait vendre ses participations dans Arianespace.

S’agissant, ensuite, de la technologie, Ariane 6 sera-t-elle un lanceur et une fusée à bas coûts – low cost ? Qu’en est-il de la réutilisation des lanceurs ? Cette possibilité s’inscrit-elle dans la durée ? Comment faire face à la concurrence américaine et russe dans des conditions satisfaisantes ? Notons le remarquable succès d’Arianespace sur le plan technique : elle a enchaîné soixante-quatre lancements sans faille.

Enfin, se pose la question du marché : il ne suffit pas de faire évoluer la technologie, encore faut-il s’assurer que l’on trouvera des clients.

M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace. Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, de m’avoir invité. Il est très important pour Arianespace de pouvoir s’exprimer devant la représentation nationale et d’avoir un dialogue constant avec elle, car les systèmes de lancement que l’entreprise exploite, en particulier Ariane, n’existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre.

Nous vivons actuellement une période de changement très fort. Premièrement, la technologie des satellites évolue : une partie d’entre eux est désormais à propulsion non plus chimique, mais électrique. À l’avenir, certains satellites seront donc plus légers qu’ils ne le sont actuellement. Deuxièmement, après avoir affronté une concurrence russe dans les années 2000, Arianespace doit aujourd’hui faire face à une concurrence américaine, celle de la société privée SpaceX, dirigée par Elon Musk. Troisièmement, nous assistons à une nouvelle conquête de l’espace, qui est le fait non plus des grandes puissances, mais d’acteurs privés tels que SpaceX, qui sont prêts à investir des sommes considérables dans ce domaine. Néanmoins, ce qui est vrai aux États-Unis ne l’est pas en Europe, où les investissements restent avant tout publics ou industriels.

Le quatrième changement est spécifique à Arianespace. Celle-ci a longtemps été une société « monoproduit » : depuis le 24 décembre 1979, elle disposait d’une fusée unique, Ariane. Or, depuis 2012, elle exploite trois systèmes de lancement au Centre spatial guyanais : Ariane, Vega et Soyouz. Grâce à ces trois lanceurs, nous avons doublé nos cadences de lancement : nous faisons désormais dix à douze lancements par an, contre six à sept auparavant. Nous nous exposons ainsi à davantage de risques, le succès d’un lancement n’étant jamais acquis.

Dans ce monde en mutation, les Européens, Arianespace et l’ensemble des acteurs publics et privés de la filière sont déterminés à rester leader. Pour continuer à faire la course en tête, nous avons pris des décisions importantes : la mise au point d’un nouveau lanceur, Ariane 6, qui sera disponible à partir de 2020 ; une réforme de la gouvernance ; la nécessité de réaliser des économies à très court terme, avant même l’arrivée d’Ariane 6, car nous avons dû ajuster nos prix pour affronter la concurrence.

J’ai eu la chance d’arriver à la tête d’Arianespace dans ce contexte. Quand le changement s’impose à vous, vous n’avez pas le choix : vous devez non seulement l’épouser, mais aussi le précéder. Je suis déterminé à faire en sorte qu’Arianespace participe à cette refondation réussie de la filière.

Monsieur le président, vous avez demandé à juste titre « qui fait quoi ». Arianespace a trois missions fondamentales. Tout d’abord, nous achetons des lanceurs par lots aux industriels – à Airbus Safran Launchers s’agissant d’Ariane, aux sociétés italiennes Avio et European Launch Vehicle (ELV) s’agissant de Vega, à l’agence russe Roskosmos s’agissant de Soyouz – et nous les revendons ensuite sur le marché. Nous assumons donc le risque commercial. Les industries d’amont concentrant une grande part des salariés de la filière, Arianespace n’emploie qu’un effectif limité : environ 330 personnes.

Notre deuxième mission consiste à réaliser les opérations de lancement en Guyane, à savoir les dernières opérations qui mènent au lancement et le lancement lui-même. Nous sommes ainsi comptables du dernier mois de vie du lanceur. S’agissant de la fusée Ariane, nous en prenons la propriété formelle lors de son assemblage final, c’est-à-dire au moment où l’on opère la jonction entre le lanceur et le satellite. À cette fin, nous disposons d’un établissement en Guyane, qui emploie une soixantaine de personnes et fait travailler directement plus de 500 sous-traitants, que nous appelons les « industriels sol ».

Troisième mission : nous sommes aussi comptables de l’autorisation du lancement. Nous présidons, avec nos partenaires – le CNES et les industriels –, à toutes les revues qui nous permettent de conclure que nous pouvons procéder au lancement. En outre, nous préparons les analyses de mission, qui visent notamment à s’assurer que le lanceur est adapté au satellite qu’il devra mettre en orbite.

En résumé, Arianespace a une activité commerciale, une activité industrielle en Guyane et une activité d’expertise sur ses différents systèmes de lancement.

Les comptes d’Arianespace pour 2014 seront arrêtés par l’assemblée générale des actionnaires qui se tiendra dans quelques jours. Notre chiffre d’affaires a atteint environ 1,4 milliard d’euros. Notre résultat devrait être équilibré. Chaque année, nous recevons un soutien d’environ 100 millions d’euros de la part de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui nous permet d’équilibrer l’exploitation d’Ariane 5. Outre notre siège à Évry et notre établissement en Guyane, nous disposons de trois bureaux à l’étranger : à Washington, à Tokyo et à Singapour.

Nos clients sont, pour les deux tiers de notre carnet de commandes, des opérateurs privés tels que le français Eutelsat ou le luxembourgeois SES et, pour le tiers restant, des gouvernements européens et la Commission européenne, laquelle est fortement montée en puissance ces dernières années, puisque nous assurons le lancement des satellites des constellations Galileo et Copernicus.

Nous sommes leader sur le marché ouvert à la concurrence, c’est-à-dire essentiellement celui du lancement des satellites de télécommunications. Sur les quelque vingt-cinq satellites de cette nature à lancer chaque année, nous en captons environ 50 %. Dans ce domaine, après avoir longtemps dû contrer la concurrence russe, nous sommes désormais exposés à celle de l’américain SpaceX.

L’année 2014 a été très importante pour Arianespace à plusieurs titres. Nous avons réalisé au cours de l’année onze lancements depuis le Centre spatial guyanais : six de fusées Ariane, quatre de Soyouz et un de Vega. C’est un record. Ces lancements ont tous été réussis, à l’exception de celui d’une fusée Soyouz le 22 août dernier, qui a placé deux satellites de la constellation Galileo sur une mauvaise orbite. Néanmoins, l’ESA est parvenue, avec l’aide du CNES, à les remettre sur une orbite où ils pourront rendre des services utiles à la constellation Galileo, ce qui est très satisfaisant.

En 2014, nous avons aussi rééquilibré notre carnet des commandes entre les gros et les petits satellites, ce qui est vital car, dans une fusée Ariane, nous plaçons un gros satellite en position haute et un petit en position basse. Compte tenu des déboires de notre concurrent Proton et des succès d’Ariane qui ont démontré sa fiabilité, nous avions engrangé d’importantes commandes sur le segment des gros satellites, mais nous avions du mal à trouver des petits satellites à lancer du fait de la concurrence de SpaceX. Nous avons dû « aller les chercher avec les dents », si je puis dire : nous avons remporté huit contrats de lancement de petits satellites en 2014.

En 2014 enfin, l’Europe spatiale, unie, a pris la décision très importante de mettre au point un nouveau lanceur, Ariane 6, qui sera disponible dès 2020. Cette convergence ne s’est pas faite sans difficulté, ce qui est bien normal : les choix de cette nature engagent pour vingt ou trente ans, et personne ne détient de vérité absolue en la matière, tout lanceur étant un pari.

De nombreuses discussions ont eu lieu au préalable entre les agences, les industriels et Arianespace. Dans ce cadre, notre compétence était non pas d’arrêter un choix technologique pour le lanceur – c’est davantage la responsabilité des agences et des industriels –, mais d’indiquer vers quoi le marché se dirigeait selon nous et d’en tirer les conséquences. Ainsi, tout au long de l’année 2014, nous avons dialogué très étroitement avec nos clients – qui sont regroupés au sein de l’Association européenne des opérateurs de satellites (ESOA), présidée par Michel de Rosen, président-directeur général d’Eutelsat – afin de comprendre leurs attentes et de les impliquer dans le choix du lanceur.

Au terme de ce dialogue, nous avons communiqué nos recommandations aux agences et aux industriels : le prochain lanceur devait être modulaire, et nous pouvions conserver le lancement double – marque de fabrique d’Arianespace –, car c’est un moyen de gagner en compétitivité, même si c’est parfois une contrainte, car il faut trouver deux satellites à lancer en même temps. De plus, il fallait que le lanceur soit adapté à l’évolution du marché que nous anticipions, à savoir une augmentation de la part des petits satellites compte tenu de l’arrivée de la propulsion électrique. Nous avons donc plaidé pour une Ariane 6 compétitive en lancement double, non pas avec un gros et un petit satellite comme aujourd’hui, mais avec deux petits satellites.

Les agences et les industriels ont tenu compte de ces recommandations. Au terme d’un travail commun, l’ESA et la coentreprise Airbus Safran Launchers ont proposé aux États membres de l’ESA un nouveau concept pour Ariane 6, avec une version institutionnelle dite « Ariane 62 » et une version commerciale dite « Ariane 64 ». Nous nous retrouvons pleinement dans ce choix et pensons qu’il n’y a pas de temps à perdre : nous avons besoin de ce nouveau lanceur moins cher le plus vite possible, car SpaceX qui nous concurrençait jusqu’à présent sur le segment des petits satellites commence aussi à le faire sur celui des gros.

Il est assez probable que SpaceX parvienne à maîtriser la technologie du lanceur réutilisable cette année, peut-être même dès le mois de juin prochain, mais cela ne remet nullement en cause le choix d’Ariane 6. Ainsi que le dit souvent Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’ESA, Ariane 6 est le meilleur lanceur possible à l’horizon 2020. Notre stratégie doit donc consister à mettre en œuvre résolument et rapidement ce programme, tout en continuant, voire en accélérant la maturation technologique qui nous permettrait, le moment venu, de mettre au point un lanceur réutilisable, si les Européens acquéraient la conviction que celui-ci présente un réel intérêt pour eux.

Nous avons validé à nouveau la pertinence du concept retenu pour Ariane 6 auprès de nos clients Eutelsat et SES. Ils nous ont répondu très clairement qu’il n’y avait aucune hésitation à avoir : Arianespace doit se doter de ce nouveau lanceur au plus vite, quelles que soient les technologies développées par la concurrence, car il représente un progrès évident par rapport à la situation actuelle.

Nos priorités pour 2015 sont presque identiques à celles de 2014. Nous nous préparons à réaliser à nouveau onze lancements. Néanmoins, cela dépendra de nombreux paramètres. En outre, nous devons engranger un maximum de commandes sur le marché commercial.

À cet égard, l’appréciation du dollar est une aubaine. J’y insiste : la baisse de l’euro est un facteur de compétitivité majeur pour nous. Un euro à 1,35 dollar nous pose des difficultés massives, alors qu’un euro à 1,10 dollar nous permet de combler une très grande partie de notre écart de compétitivité avec SpaceX. Ariane est un lanceur européen et notre premier client est la Commission européenne, avec les programmes Galileo et Copernicus. Nous avons aussi besoin d’une monnaie européenne qui nous aide à rester leader durablement. Nous saluons et encourageons la nouvelle politique monétaire menée par Mario Draghi, car elle se traduit par la préservation d’un certain nombre d’emplois en Europe.

M. le président François Brottes. Faisons l’hypothèse qu’Arianespace signe aujourd’hui un contrat qui sera exécuté dans deux ou trois ans. Que se passera-t-il si l’euro augmente au cours de cette période ? Vos contrats contiennent-ils des clauses de révision ?

M. Stéphane Israël. À la différence de très grandes sociétés telles qu’Airbus et Safran, qui ont des politiques de change plus complexes, nous nous couvrons pour l’essentiel contre le risque de change au moment où nous signons le contrat. Le taux de change appliqué lors de l’exécution du contrat est donc celui qui existait au moment de la signature. Actuellement, la plupart des contrats que nous signons tiennent compte de la nouvelle parité euro-dollar.

D’une manière générale, les variations du taux de change ont un effet quasi immédiat pour nous. Dans la mesure où nos coûts sont en euros et nos revenus en dollars, nous y sommes très sensibles. Même si nous n’ajustons pas en permanence nos prix, la baisse de l’euro nous a donné une certaine souplesse. Cela suscite d’ailleurs un dialogue avec nos clients, qui souhaitent récupérer l’intégralité de la marge. À l’inverse, lorsque l’euro monte, ils n’ont pas envie de payer davantage. Un lissage s’opère donc dans le temps, mais le niveau de l’euro reste un paramètre tout à fait déterminant.

J’en viens au marché. Certains de ses éléments sont stables, d’autres évolutifs. Ce qui est relativement stable, c’est le marché ouvert à la concurrence, celui du lancement des satellites de télécommunications. Le nombre d’acteurs réellement compétitifs sur ce marché est limité : deux à trois lanceurs se disputent les vingt-trois à vingt-cinq satellites à lancer chaque année. Au cours de la décennie précédente, c’étaient essentiellement Ariane et Proton. Désormais, c’est un duopole entre Ariane et le Falcon de SpaceX, même si d’autres acteurs peuvent jouer un rôle : les Japonais et, demain peut-être, les Indiens. Ainsi que je l’ai indiqué, Arianespace capte environ 50 % de ce marché.

En revanche, ce qui change, c’est la masse des satellites, avec l’arrivée de la propulsion électrique. Il y aura moins de gros satellites et davantage de satellites petits et moyens à lancer. Ainsi que je l’ai expliqué, nous avons adapté la conception d’Ariane 6 à cette évolution du marché.

Autre élément de changement : les projets de méga-constellations de satellites qui visent à apporter un accès universel à internet. Nous ignorons s’ils seront menés à leur terme, mais certains d’entre eux sont déjà très avancés. Ils pourraient donner lieu au lancement d’un très grand nombre de satellites légers et de petite taille. C’est une chance à saisir pour nos lanceurs. À ce stade, aucun contrat n’a été signé dans ce domaine. Il s’agit d’une priorité commerciale pour nous en 2015, et nous avons des contacts étroits avec les acteurs de l’internet aux États-Unis à ce sujet.

D’autre part, le marché du lancement des satellites d’observation de la Terre est assez dynamique. Avec Vega, Arianespace dispose d’un lanceur parfaitement adapté à ces satellites. Sur les dix Vega que nous avons commandés aux industriels en 2014, nous en avons déjà vendu neuf. Nous vendons généralement Vega à des gouvernements. Ainsi, nous allons lancer un satellite d’observation pour le Pérou et deux pour les Émirats arabes unis. Mais nous avons aussi obtenu un premier succès commercial pour Vega auprès d’un opérateur privé : la start-up américaine Skybox, qui a été rachetée par Google, nous a confié le lancement de quelques satellites l’année prochaine.

S’agissant des lancements institutionnels, la Commission européenne est un client massif, à travers l’ESA, avec les programmes Galileo et Copernicus. Ses commandes représentent 1 milliard d’euros sur un carnet total de 4,4 milliards. Pour la constellation Galileo, il nous reste six tirs à effectuer, trois de fusées Soyouz et trois de fusées Ariane, Soyouz emportant deux satellites et Ariane quatre.

En matière de gouvernance, des orientations ont été prises lors de la dernière conférence ministérielle de l’ESA à Luxembourg en décembre 2014 : il a été dit très clairement qu’à l’avenir, avec Ariane 6, les industriels assumeraient davantage de risques et de responsabilités. Ils ont ainsi vocation à récupérer, en amont, la compétence en matière de conception du lanceur, qui est actuellement exercée en grande partie par la direction des lanceurs du CNES. En aval, ils prendraient le contrôle de la commercialisation du lanceur, selon des modalités qui restent à préciser, ce qui aurait bien évidemment des conséquences sur Arianespace. Il a été précisé que cette réforme assez profonde de la gouvernance ne devait pas attendre Ariane 6 : dans la mesure du possible, elle doit être mise en œuvre pour Ariane 5, car elle permettra de réaliser les économies nécessaires pour faire face à une concurrence accrue.

Quelles peuvent être les évolutions concernant Arianespace ? Il peut y avoir, tout d’abord, des évolutions dans son actionnariat. L’une d’entre elles est déjà entrée en vigueur : deux actionnaires industriels, Airbus et Safran, ont regroupé leurs forces dans une coentreprise, Airbus Safran Launchers, qui est devenue le premier actionnaire d’Arianespace, avec 39 % du capital. Actuellement, des discussions ont lieu entre cette coentreprise, le CNES et l’Agence des participations de l’État à propos d’une éventuelle cession des participations du CNES à la coentreprise. Le management d’Arianespace n’a pas à interférer dans ces discussions entre actionnaires. Nous en attendons donc le résultat.

Qui qu’il en soit, un certain nombre d’ajustements interviendront ensuite entre Arianespace et la coentreprise : nous devrons définir le meilleur champ des responsabilités pour chacun afin de rendre le système plus compétitif. À cet égard, Arianespace doit conserver un certain nombre de facteurs clés de succès pour continuer à contribuer au dynamisme de la filière européenne. Dans un marché très évolutif, elle doit d’abord garder sa souplesse, sa réactivité, sa capacité de décision forte et rapide, qui sont probablement liées à sa taille – celle d’une PME, même si son chiffre d’affaires n’est pas du tout celui d’une PME.

Deuxième facteur clé de succès, sur lequel tout le monde s’accorde : dans l’intérêt de nos affaires, nous devons maintenir une neutralité absolue vis-à-vis de tous les constructeurs de satellites, qu’il s’agisse d’Airbus Defence and Space, de Thales ou des sociétés américaines du secteur. Au terme de l’évolution actionnariale envisagée actuellement, Airbus Safran Launchers exercera probablement des responsabilités plus importantes dans Arianespace. Mais cela ne doit pas nous conduire à établir un lien privilégié avec Airbus Defence and Space, ni compliquer nos relations avec les autres constructeurs. Telle n’est d’ailleurs pas l’intention de la coentreprise, qui souhaite avant tout le succès de ses lanceurs sur le marché. Je suis donc convaincu que la neutralité sera préservée, quel que soit le futur schéma.

Troisième facteur clé de succès : la crédibilité vis-à-vis du client. Arianespace l’a acquise parce qu’elle connaît très bien les lanceurs qu’elle vend. Cela tient notamment au fait qu’elle est garante de leur fiabilité ultime, dans la mesure où elle procède elle-même aux opérations de lancement et préside à toutes les revues préalables. Dès lors qu’Arianespace reste l’interlocuteur unique du client, elle doit absolument garder cette crédibilité – ce qui ne signifie pas que nous nous interdisons de réfléchir à des aménagements de périmètre entre Arianespace et la coentreprise.

Pour contrer la concurrence de SpaceX, nous avons dû ajuster nos prix sur une partie de notre offre, ce qui implique désormais d’ajuster nos coûts. Avec l’ensemble des acteurs de la filière, notamment avec les agences et les industriels, nous devons trouver une gouvernance qui nous permette de réaliser des économies à hauteur de 5 % à 6 % de notre base de coûts. Cet objectif est à notre portée, d’autant plus que près de 4 milliards d’euros vont être investis dans la filière des lanceurs dans la perspective d’Ariane 6, et que nous avons beaucoup de lancements à faire. C’est donc le moment d’« aller chercher » ces gains de compétitivité, afin d’assurer un équilibre économique durable à Arianespace et de continuer à faire la course en tête.

En conclusion, j’y insiste, le dialogue avec la représentation nationale est essentiel, car nos systèmes de lancements, en particulier Ariane, ne peuvent pas vivre sans l’intérêt public et la volonté politique que vous représentez. Avec Ariane, la France et l’Europe sont plus grandes qu’elles-mêmes. Elles disposent d’une vitrine technologique majeure, notamment lorsqu’Arianespace lance des satellites pour d’autres pays. Un euro investi dans cette filière est un euro utile pour l’emploi et, plus largement, pour le rayonnement de la France et de l’Europe.

M. le président François Brottes. Je tiens à rendre hommage au travail accompli par Geneviève Fioraso sur les questions spatiales lorsqu’elle était au Gouvernement. Elle a contribué à la réactivation d’un certain nombre de dispositifs à l’échelle européenne.

M. Stéphane Israël. Je me joins à cet hommage. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est engagé très fortement en faveur des choix importants qui ont été faits l’an dernier.

M. Hervé Pellois. Le secteur public européen a recours au lancement de satellites dans plusieurs domaines clés tels que la météorologie et la défense. Or l’Allemagne et l’Italie ont préféré à plusieurs reprises faire appel à des entreprises russes ou américaines plutôt qu’à Arianespace. Vous avez indiqué que les Européens intensifiaient aujourd’hui leur effort dans le cadre de l’ESA. Cela signifie-t-il que l’on privilégiera désormais une offre européenne par rapport à une offre extérieure ?

Le président-directeur général de la société OneWeb doit sélectionner un opérateur pour le lancement de 648 satellites en orbite basse. Au début de l’année, vous avez annoncé que des discussions étaient en cours avec cette société et que vous espériez qu’Arianespace serait retenue. Ces négociations sont-elles toujours d’actualité ?

M. Daniel Fasquelle. « Salut à tous. Je m’appelle Elon Musk. Je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts. » Cette phrase, prononcée en 2006, avait frappé tout le monde. Arianespace n’est pas morte, mais SpaceX a complètement bouleversé le paysage, et d’autres concurrents pourraient surgir tout aussi rapidement à l’avenir. Ariane 6 constituera-t-elle une réponse suffisante ? Elle ne sera mise au point qu’en 2020, et nos concurrents auront peut-être encore plus progressé que nous à cette date. Je crains que nous n’ayons en permanence une guerre de retard ! En attendant 2020, il faut repenser Ariane 5 et son modèle économique. Mais cela suffira-t-il pour faire face à cette concurrence nouvelle ? Les inquiétudes sont réelles. Que pouvez-vous nous dire pour nous rassurer ?

Nous pourrions espérer une solidarité plus forte entre Européens. Ainsi, l’organisme allemand de météorologie a choisi SpaceX plutôt qu’Arianespace. Quel message adresser aux entreprises européennes pour qu’elles privilégient Arianespace ? Pouvez-vous préciser la nature des engagements pris par les gouvernements européens ? Au-delà de ces engagements, pourrait-on obtenir une solidarité accrue ? Le patriotisme économique existe en Allemagne et aux États-Unis, mais pas suffisamment à l’échelle européenne.

Vous avez indiqué que l’effectif d’Arianespace était celui d’une PME. Arianespace ne court-elle pas un danger en restant seule ? Certains fleurons de l’industrie française se sont fait racheter, notamment le pôle énergie d’Alstom, qui sera absorbé en totalité par General Electric. Des incertitudes demeurent quant au projet de vente des participations du CNES à Airbus Safran Launchers. Ce rachat se fera-t-il ou non ? Est-ce la solution ? Qu’allez-vous faire pour réduire votre fragilité et le risque d’être racheté ?

Lorsque l’on fait une recherche concernant Airbus sur internet, on obtient des réponses en anglais, ce qui est un peu dommage. Quid de la place du français ?

M. Joël Giraud. D’après ce que vous nous avez indiqué, Arianespace a un carnet de commandes et un programme de lancements bien remplis jusqu’en 2017. Cependant, la concurrence de SpaceX devient de plus en plus rude et va désormais concerner votre cœur de métier : avec Falcon Heavy, elle sera capable de lancer des satellites de 5 à 6 tonnes. Vous avez rappelé que vous étiez en mesure d’ajuster les prix et les coûts dans l’attente d’Ariane 6. Mais cet ajustement peut-il être la seule réponse face à un concurrent aussi agressif que SpaceX, tant sur le marché que sur le plan verbal ?

Hervé Pellois vous a interrogé à propos du partenariat que vous envisagez avec OneWeb. Je crois savoir que vous avez aussi rencontré le patron de Virgin pour évoquer un certain nombre de projets. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Vous avez déclaré : « Pour devenir un lanceur ultra-compétitif, Ariane 6 doit tenir son objectif de réduction des coûts de 150 à 90 millions d’euros. » Quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre pour atteindre cet objectif très ambitieux ? Quelle est votre marge de manœuvre en la matière ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Le 2 décembre dernier, les ministres chargés de l’espace des vingt États membres de l’ESA se sont réunis à Luxembourg afin d’adopter la feuille de route visant à contrer la concurrence d’autres acteurs tels que SpaceX. Il a notamment été annoncé que, d’ici au premier tir d’Ariane 6 en 2020, les coûts seraient mieux maîtrisés et les prix atteindraient le niveau de ceux qui sont proposés par SpaceX. Or les technologies des lanceurs Ariane 5 et 6 sont bien plus complexes que celles qui sont utilisées par SpaceX. En outre, SpaceX a regroupé l’ensemble de sa production, alors que la filière industrielle européenne demeure disséminée sur plusieurs sites. Ces deux caractéristiques désavantagent les Européens. À propos de la réalisation d’Ariane 6, vous avez déclaré qu’il faudrait « accroître la cadence, réorganiser la filière et utiliser de nouvelles méthodes de design et de production ». Pourriez-vous nous en dire plus à cet égard ? Les salariés ont-ils été consultés sur ce projet ?

M. Antoine Herth. Selon un proverbe chinois, « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. » J’ai le sentiment d’être dans la position de l’idiot, fasciné par la technologie de la prochaine fusée qui va remplacer l’actuelle, alors que nous avons en réalité un train de retard par rapport à SpaceX : il faut désormais raisonner moins en termes d’objets – il existe d’autres moyens de s’élever que les fusées, notamment les drones et les ballons géostationnaires – qu’en termes de services rendus. L’enjeu, c’est d’ouvrir de nouveaux marchés. Par exemple, comment faire pour que les Africains puissent utiliser partout le téléphone portable ?

L’État souhaite sortir du capital d’Arianespace en vendant les 34,68 % détenus par le CNES. Est-ce une forme de privatisation ? Combien cela rapportera-t-il au budget de l’État ?

Par ailleurs, Arianespace touche chaque année une subvention d’équilibre de 100 millions d’euros de la part de la Commission européenne, mais reverse 50 millions pour l’utilisation du Centre spatial guyanais. À l’avenir, selon certains de vos clients et actionnaires, celui-ci devrait vous être mis à disposition gratuitement. Donc l’État encaissera, d’un côté, le produit de la vente de ses participations dans Arianespace, mais il s’engage à financer, de l’autre, un poste de dépense récurrent. Pouvez-vous nous éclairer sur ces questions ?

Mme Frédérique Massat. La France est fière de sa filière spatiale, mais le grand public ne la connaît pas nécessairement très bien.

Quel est le chiffre d’affaires d’Arianespace ? Comment a-t-il évolué au cours des dernières années ? Va-t-il augmenter à l’avenir, comme on peut le supposer ?

Combien de personnes Arianespace emploie-t-elle en France et à l’étranger ? Êtes-vous en mesure de développer l’emploi ?

Combien de clients avez-vous actuellement ? Quelles sont les perspectives en la matière ? Votre tâche est très certainement de conquérir de nouveaux marchés.

Avez-vous des suggestions à faire à la représentation nationale concernant la politique spatiale et les moyens que l’État y consacre ?

Mme Laure de La Raudière. Arianespace a conquis sa position de leader sur le marché du lancement des satellites grâce à son excellence technologique. Mais le duopole bien établi entre Ariane et Soyouz a été troublé par l’arrivée de SpaceX. Comment expliquez-vous qu’Elon Musk ait réussi à s’inviter sur ce marché extrêmement fermé, alors même qu’il vient du e-commerce et qu’il ne connaissait rien à l’espace auparavant ? SpaceX représente aujourd’hui un défi très lourd pour Arianespace, au point d’influer sur sa stratégie : les orientations que vous avez développées dans votre exposé visent toute à répondre à cette attaque concurrentielle très forte. Malgré l’avance dont vous disposiez, ne risquez-vous pas de devoir toujours courir après de nouveaux concurrents que vous ne connaissez pas encore, dans la mesure où ils viendront d’autres univers économiques ?

M. Stéphane Israël. La solidarité européenne progresse, et le programme Ariane 6, qui a fait l’objet d’un consensus, vise à l’ancrer, si ce n’est à la graver dans le marbre. Les grandes nations impliquées dans ce programme, non seulement la France, mais aussi l’Allemagne et l’Italie, ont pris des engagements financiers très importants : les investissements nécessaires s’élèvent à près de 4 milliards d’euros si l’on inclut le pas de tir.

En outre, ces mêmes États ont validé un mécanisme d’achat garanti. L’une de nos difficultés actuelles est que nous ne disposons pas de client institutionnel garanti, même si la Commission européenne est un très bon client, ainsi que je l’ai souligné. Avec Ariane 6, nous inaugurerons un nouvel équilibre : le lanceur institutionnel, Ariane 62, sera assuré d’un nombre minimal de lancements – environ cinq par an – pour ses clients institutionnels européens, ce qui permettra au lanceur commercial, Ariane 64, de prendre davantage de risques sur le marché. C’est donc une sorte de « Buy European Act », sachant que notre concurrent américain bénéficie déjà, quant à lui, d’un marché garanti aux États-Unis : la législation américaine impose que les charges utiles américaines soient mises en orbite par un lanceur construit majoritairement aux États-Unis.

Par ailleurs, l’engagement de l’Italie en faveur des lanceurs européens se confirme. D’une part, elle produit le lanceur Vega. D’autre part, elle a fait le choix d’Ariane pour le lancement de deux satellites franco-italiens, Athéna-Fidus et Sicral 2, que nous avons mis en orbite respectivement en 2014 et en 2015.

Quant à l’Allemagne, elle a en effet choisi SpaceX pour le lancement des satellites SARah, mais il n’existait pas d’offre européenne adaptée : le lanceur Ariane n’était pas dimensionné pour ces satellites, Vega était trop petit et Soyouz n’était pas assez compétitif. Arianespace n’a donc pas participé aux polémiques que ce choix a suscitées.

S’agissant d’Ariane 6, il a été question à un moment donné d’un projet qui n’avait pas le soutien de l’Allemagne. Or la France tenait beaucoup à Ariane 6, et tout le travail de Geneviève Fioraso a consisté à écouter les Allemands et à faire converger l’ensemble des acteurs vers un projet commun pour Ariane 6. Aujourd’hui, les conditions d’une véritable solidarité européenne sont réunies.

La société OneWeb a un projet très ambitieux, qui nécessite des investissements importants. Si ce projet va jusqu’à son terme, j’ai la conviction qu’Arianespace sera bien placée. En tout cas, nos discussions avec OneWeb continuent. Il se trouve que nous connaissons très bien son fondateur, Greg Wyler, car il avait conçu auparavant la constellation O3b, dont nous avons mis plusieurs satellites en orbite avec succès, en trois lancements. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle nous allons rester leader : nous avons construit une relation de confiance avec nos clients depuis trente-cinq ans, ce qui n’est pas le cas de SpaceX. Arianespace a un avantage : elle a mis en orbite plus de 500 satellites au cours de son histoire. Bien sûr, nous ne devons surtout pas nous endormir sur nos lauriers.

S’agissant de SpaceX, il faut savoir raison garder. Il ne faudrait pas la surestimer après l’avoir sous-estimée, penser tout d’un coup que le ciel va nous tomber sur la tête après avoir pensé que nous étions les meilleurs et seuls au monde, bref, faire preuve d’un excès de pessimisme après avoir fait preuve d’un excès d’arrogance, pour faire ainsi référence aux travers que l’on prête souvent aux Français.

Le marché des lanceurs évolue rapidement. Pendant de longues années, nous avons dû affronter la concurrence sérieuse du lanceur Proton. Puis, celui-ci a connu de nombreux échecs. Pendant ce temps, au fil des années, SpaceX s’est construit une légitimité. Mais, si elle y est parvenue, c’est parce que la NASA – National Aeronautics and Space Administration – lui a confié un premier contrat très bien payé de 1,6 milliard de dollars, qui lui a assuré un flux de trésorerie confortable, puis un deuxième l’an dernier de 2,6 milliards. Au total, SpaceX aura reçu 4,2 milliards de dollars de la NASA, soit l’équivalent de notre carnet de commandes dans son intégralité. Demain, elle bénéficiera aussi des commandes de l’US Air Force. SpaceX, c’est la rencontre entre un entrepreneur, qui a décidé de construire un lanceur en reprenant des technologies simples et éprouvées sur étagère, et la NASA, qui lui a accordé un soutien très fort.

Il était difficile d’évaluer si SpaceX allait devenir ou non un concurrent sérieux, car son patron faisait un certain nombre de déclarations baroques, notamment à propos de voyages sur Mars, ce qui a sans doute brouillé les cartes. Pour ma part, je n’ai pas assisté à l’affirmation progressive de SpaceX : celui-ci a tout de suite fait partie de mon environnement. Lorsque je suis arrivé à la tête d’Arianespace en 2013, il était déjà très actif sur le marché depuis deux ou trois ans. Quelques mois plus tard, il a réussi son premier lancement commercial. Mais je ne suis pas du tout défaitiste et je reste persuadé qu’Arianespace peut continuer à faire la course en tête. En 2014, nous avons conservé 50 % de parts de marché et l’avons emporté dans la plupart des cas où nous avons été en concurrence frontale avec SpaceX.

À court terme, dans la mesure où nous avons dû ajuster nos prix sur le segment des petits satellites, nous devons réaliser des économies à hauteur de 5 % à 6% de nos coûts. C’est faisable : toute industrie doit rechercher des gains de productivité de cet ordre. Néanmoins, c’est plus compliqué dans le secteur spatial, car nous devons faire avec le lanceur existant et avec une carte industrielle relativement figée. Quoi qu’il en soit, nous devons diminuer les coûts de production du lanceur avec nos partenaires. Quant à Arianespace, elle doit réduire ses propres coûts. Nous nous sommes fixé un objectif ambitieux en la matière. Nous en avons beaucoup discuté avec les salariés, et chacun a bien compris les raisons pour lesquelles nous faisons ces efforts.

Arianespace ne communique pas sur sa politique de prix. Je peux néanmoins vous indiquer que, lorsque je suis arrivé à sa tête, le prix du lancement d’un petit satellite en position basse sur Ariane dépassait assez sensiblement 80 millions d’euros, alors qu’il était de 60 millions d’euros avec le Falcon de SpaceX. Même si l’écart de prix n’allait pas du simple au double comme on l’entend parfois, il était néanmoins important, et nous avons travaillé à le réduire. Nous y sommes parvenus, d’où la nécessité de réduire désormais nos coûts.

Les Européens doivent garder confiance en eux. Nous avons un acquis vis-à-vis de nos clients, car nous sommes dans le paysage depuis plus de trente-cinq ans. Il faudrait vraiment que nous commettions beaucoup de fautes pour perdre notre leadership ! Mais il était en effet urgent de réagir, en nous dotant d’un lanceur plus compétitif.

Nous allons rester leader car nous disposons, avec Ariane 5, d’un excellent lanceur. Certes, nous aimerions tous qu’il coûte moins cher, ainsi que nos clients nous le demandent, mais c’est aussi le seul lanceur sur le marché qui ait enregistré soixante-quatre succès d’affilée. Pour sa part, SpaceX en affiche une dizaine.

Nous allons aussi rester leader car nous sommes la seule société qui ait un besoin vital de ses clients commerciaux. SpaceX continue à dire qu’il veut aller sur Mars, ce qui peut susciter des interrogations chez ses clients. En outre, il a annoncé qu’il allait construire lui-même 4 000 satellites et les envoyer en orbite. SpaceX va donc devenir un opérateur de satellites, c’est-à-dire un concurrent de certains de ses clients. Pour notre part, nous ne voulons pas aller sur Mars ni construire 4 000 satellites. Notre seule vocation est de mettre des satellites en orbite pour nos clients commerciaux, en plus des lancements institutionnels que nous effectuons pour les Européens.

De plus, nos clients craignent la formation d’un monopole : ils souhaitent avoir le choix entre deux ou trois lanceurs. Dans ce contexte, les Européens ont toutes leurs chances. D’où le travail très approfondi que nous avons réalisé avec nos clients pour voir comment continuer à répondre à leurs attentes.

Certes, l’offre proposée par SpaceX intéresse nos clients, mais ne dénigrons surtout pas la nôtre : elle n’est pas du tout caduque ! Encore une fois, Ariane 5 est un excellent lanceur. Et nous avons fait des efforts avec l’ensemble de la filière pour accroître les cadences de lancement, afin de le rendre aussi fiable et disponible que possible. Cette année, la Corée du Sud a confié trois satellites à lancer à Arianespace, contre un seul à SpaceX. SES continue à travailler avec SpaceX, mais vient de nous passer commande pour le lancement de deux satellites, alors que tout le monde pensait qu’il serait très compliqué pour Arianespace de renouer avec cet opérateur. Non seulement nous ne perdons pas de terrain, mais nous prenons pied dans certains pays. Il ne faut pas être pessimiste sur l’évolution de la filière spatiale.

Comment Ariane 6 peut-elle être moins chère ? Arianespace n’ayant pas la main sur la production du lanceur, vous pourrez aborder ce sujet plus longuement avec Alain Charmeau, président exécutif d’Airbus Safran Launchers. Il existe quatre pistes. La première consiste à augmenter la cadence des lancements. Demain, avec Ariane 62 et Ariane 64, nous pourrons procéder à onze tirs chaque année, contre environ six aujourd’hui avec Ariane 5. En outre, nous allons produire plus de trente propulseurs – boosters – identiques par an, contre une douzaine actuellement. En principe, les coûts unitaires d’un certain nombre d’éléments clés des fusées devraient donc baisser.

Deuxième piste : nous allons utiliser des méthodes de conception et de production moins chères, soit en reprenant des technologies éprouvées, soit en recourant à des technologies nouvelles, notamment numériques, par exemple aux imprimantes 3D.

La simplification de la gouvernance constitue la troisième piste. Les acteurs qui participent au succès d’Ariane sont aujourd’hui très nombreux. Cela contribue certes à sa fiabilité globale, mais le choix a été fait de réduire un peu ce nombre. Les industriels auront ainsi davantage de liberté pour s’organiser en continu dans leur travail.

Enfin, peut-être y aura-t-il une réflexion à mener, le moment venu, sur une évolution de la carte industrielle. Les États européens sont très attachés au principe du « retour industriel » : lorsqu’ils investissent dans le programme Ariane, ils s’attendent à ce qu’un certain nombre d’emplois soient localisés sur leur territoire. Cette règle possède beaucoup de vertus. Toutefois, elle pourrait être assouplie dans la durée, au fur et à mesure de la mise en œuvre du programme Ariane 6, afin de concentrer davantage les sites industriels. Je mentionne cette quatrième piste avec prudence, car les décisions en la matière ne sont pas de la responsabilité d’Arianespace : elles relèvent de discussions entre les industriels et l’ESA.

Diviser par deux les coûts du lanceur est un objectif très ambitieux. Cela demandera beaucoup d’énergie et d’efforts. Et il ne faudra pas reculer à la première difficulté ! En tout cas, le moment est propice : avec Ariane 6, près de 4 milliards d’euros vont être investis dans la filière et de nouvelles possibilités d’emploi seront offertes.

Il ne revient pas au management d’Arianespace de porter des jugements sur les évolutions de l’actionnariat. La question de la cession des participations du CNES à la coentreprise Airbus Safran Lauchers – je veille à ne pas employer le terme joint venture – est examinée depuis plusieurs mois. Il appartient à nos actionnaires de trouver un accord. À cet égard, lors de la ministérielle de l’ESA à Luxembourg, il a été décidé non seulement de lancer le programme Ariane 6, mais aussi d’instaurer une nouvelle gouvernance, et ces orientations forment un « paquet » ou un « bloc », comme disait Clemenceau à propos de la Révolution française.

Quelle que soit l’issue de ces discussions, il ne s’agit en aucun cas d’une privatisation. Premièrement, on ne peut privatiser qu’une entité publique ; or Arianespace est déjà une entreprise privée. Deuxièmement, cette éventuelle évolution de l’actionnariat intervient à un moment où les États investissent massivement dans la filière, avec le programme Ariane 6. Troisièmement, les agences conserveront de toute façon un rôle. Actuellement, l’ESA est censeur au conseil d’administration d’Arianespace. Quant au CNES, il est et demeurera un partenaire très important pour Arianespace, ne serait-ce que parce qu’il est opérateur de la base spatiale en Guyane.

En 2014, notre chiffre d’affaires s’est élevé à 1,4 milliard d’euros, dont 75 à 80 % résultent de l’activité du lanceur Ariane. Notre carnet de commandes atteint 4,4 milliards d’euros, ce qui nous garantit plus de trois ans d’activité. Même s’il est difficile d’avoir une vision très précise en la matière, les lanceurs Ariane et Vega représentent autour de 15 000 emplois en Europe, dont plus de la moitié en France, et 1 700 emplois permanents en Guyane. Le secteur spatial est donc un poumon économique pour la Guyane.

Arianespace a trente-trois clients. En valeur, deux tiers de nos commandes viennent de nos clients commerciaux et un tiers de nos clients institutionnels. Notre premier client commercial est Intelsat, opérateur américain, suivi par Eutelsat, opérateur européen. Nous travaillons aussi avec l’agence spatiale coréenne, l’opérateur des Émirats arabes unis – Yahsat – ou encore avec un opérateur australien, pour qui nous allons réaliser deux lancements. Notre clientèle est donc mondiale.

S’agissant des nouveaux services rendus par les satellites, l’Europe a l’occasion, avec le plan Juncker et, peut-être, avec la suite du Programme d’investissements d’avenir, de devenir un acteur important de l’amélioration de l’accès à internet, notamment en Afrique. Il existe déjà des satellites qui rendent un service de cette nature : la constellation O3b ou le satellite KA-SAT d’Eutelsat. Nous avons aussi évoqué le projet de OneWeb. Mais il serait bon que l’Europe investisse, elle aussi, dans des flottilles de satellites qui fournissent de la connectivité à internet. Des projets vont être soumis à la Commission européenne en la matière. Ils méritent, selon nous, d’être soutenus par les gouvernements européens. Arianespace milite en faveur d’un « espace utile » aux citoyens et souhaite, à l’évidence, être présente sur ce marché.

Je reviens à SpaceX. En plus du Falcon 9, elle exploitera bientôt un deuxième lanceur : le Falcon Heavy. Les efforts que nous avons consentis visaient à répondre à la concurrence du Falcon 9 sur le segment des petits satellites que nous envoyons en position basse sur Ariane. Nous allons devoir affronter désormais la concurrence du Falcon Heavy sur le segment des gros satellites. Le rééquilibrage entre l’euro et le dollar nous y aide. Mais, pour ce faire, nous avons surtout besoin d’Ariane 6 en 2020 : si elle tient toutes ses promesses, avec un coût ramené à 90 ou 100 millions d’euros par tir, nous serons compétitifs tant vis-à-vis du Falcon Heavy que du Falcon 9.

S’agissant du lanceur réutilisable, nous verrons si SpaceX parviendra à en faire une arme économique.

M. le président François Brottes. Un lanceur qui a déjà servi, cela peut faire peur…

M. Stéphane Israël. Ce n’est pas une technologie simple à maîtriser. D’abord, une partie de la performance doit être utilisée non plus pour faire décoller la fusée et mettre les satellites en orbite, mais pour ramener la fusée sur Terre. Ensuite, la remise en état de la fusée a un coût. Enfin, ainsi que vous venez de le relever, monsieur le président, il faut convaincre les clients d’utiliser un lanceur qui a déjà servi. Nous devons être très attentifs à l’évolution de cette technologie – je sais que l’Europe spatiale l’est –, mais je reste convaincu qu’Ariane 6 reste la meilleure réponse possible à l’horizon 2020.

À cet égard, certains disent que 2020 est encore loin. Aujourd’hui, nous avons trois ans d’activité garantis, ce qui nous mènera jusqu’en 2018. D’autre part, nous continuons à enregistrer des succès commerciaux : cette année, nous avons déjà décroché des contrats pour le lancement de six satellites avec Ariane 5, ce qui est beaucoup plus qu’il y a un an à la même époque. Nous nous orientons, selon moi, vers une transition réussie avec Ariane 6. Vis-à-vis de SpaceX, nous devons être lucides, actifs et réactifs, mais ne faisons surtout pas preuve de défaitisme : rien ne le justifie.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le président-directeur général, de nous avoir fourni ces informations très précises. La filière spatiale est en effet assez mal connue par les élus et par nos concitoyens. Nous plaçons beaucoup d’espoirs en elle. Il s’agit d’un secteur industriel exemplaire en termes de réussite technologique et d’innovation, et pourvoyeur d’emplois dans de nombreuses régions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 12 mai 2015 à 16 h 15

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais

Excusés. – M. Christophe Borgel, Mme Jeanine Dubié, Mme Anne Grommerch, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Kléber Mesquida, M. Dominique Potier

Assistait également à la réunion. – Mme Virginie Duby-Muller