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Mission d’information sur la simplification législative

Mercredi 9 juillet 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de Mme Laure de la Raudière, présidente.

La mission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation.

Comme vous le savez, notre mission d’information sur la simplification législative, voulue par le Président de l’Assemblée nationale et qui arrive désormais au terme de ses travaux, s’intéresse davantage au « flux » normatif qu’au « stock » des normes législatives et réglementaires, auquel le Gouvernement s’attelle en étroite collaboration avec le Conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative », en nous inspirant notamment des exemples étrangers que nous avons pu étudier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Nos travaux nous ont conduits à explorer plusieurs pistes qui nous semblent susceptibles de contribuer à améliorer la fabrique de la loi et au sujet desquelles nous souhaiterions recueillir le point de vue du Gouvernement.

Quel regard portez-vous, tout d’abord, sur la mise en place d’un dispositif de contrexpertise des études d’impact accompagnant les projets de loi ?

Bon nombre des personnes que nous avons entendues et des pratiques que nous avons pu observer chez nos voisins ont montré l’utilité qu’il y aurait à confier l’évaluation de la qualité des études d’impact à un organisme indépendant, composé de représentants de la société civile et chargé, en s’appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux, de rendre un avis public prenant notamment en compte l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée, l’avis sur les études d’impact qui accompagne les projets de loi étant rendu public lors de la présentation de ces derniers en conseil des ministres. Cette mesure serait de nature à produire un changement de l’attitude des administrations envers les études d’impact, une amélioration de la qualité de ces dernières en amont de cette évaluation et un éclairage supplémentaire pour les parlementaires.

Quel pourrait être cet organisme de contrexpertise ? Faut-il désigner plusieurs organismes de contrexpertise en fonction de leur champ de compétence ? Faut-il au contraire fusionner plusieurs organismes existants et créer une unique autorité administrative indépendante, chargée de la simplification, notamment de l’évaluation de la qualité de l’étude d’impact accompagnant tout texte législatif ou réglementaire, qu’il concerne ou non les entreprises ? Je précise que nous ne souhaitons pas créer une nouvelle structure, mais plutôt rationaliser l’existant ou utiliser les forces déjà présentes dans l’administration.

Quels inconvénients verriez-vous à ce que l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi soit publié, sinon intégralement, du moins pour sa partie qui porte sur les études d’impact jointes aux projets de loi ?

Auriez-vous des objections à ce qu’un délai de dépôt soit applicable aux amendements du Gouvernement ? Même si ce délai était plus court que celui qui s’applique aux parlementaires, il permettrait au moins de mieux respecter le travail de ces derniers sur les amendements du Gouvernement et de mieux en analyser les conséquences.

Si la procédure accélérée devait être réformée, quelle évolution vous paraîtrait-elle envisageable ?

D’une façon plus générale, quels aspects de la procédure législative vous sembleraient-ils pouvoir être modifiés ?

Nous sommes certains qu’en votre qualité d’ancien parlementaire très expérimenté, vous comprendrez parfaitement toutes ces interrogations, qui pour certaines ont dû être les vôtres lorsque vous siégiez parmi nous.

Je rappelle que les auditions font l’objet d’un compte rendu et d’une retransmission en direct sur le canal interne et sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre. Bien qu’elle ne soit peut-être pas être très accessible au grand public, l’interrogation que vous soulevez, madame la présidente, est très utile, car la question de l’intelligibilité des lois et du travail parlementaire peut être l’une des raisons pour lesquelles nos concitoyens doutent de l’action politique en général, et de celle des parlementaires en particulier – il faudrait, à cet égard, dresser la liste de tout ce qui peut poser question. De fait, nos concitoyens s’interrogent sur la rapidité, l’intelligibilité et l’efficacité du travail parlementaire – mais je m’abstiendrai de poursuivre cette interrogation sur le terrain des considérations proprement politiques

La réflexion sur l’activité parlementaire est marquée par l’histoire glorieuse nos prédécesseurs de l’époque épique de la IIIe République, qui ont écrit des lois fondatrices, intelligibles et d’application simple qui n’ont presque jamais été touchées depuis lors. Tout en vivant avec ce mythe, nous constatons que les réflexes parlementaires de cette époque ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Les lois dont nous avons aujourd’hui à traiter ne portent plus seulement sur le fonctionnement de la République, les droits et les libertés – même si ces éléments fondamentaux sont toujours améliorables –, mais elles répondent à la complexité des États du XXIe siècle, où prévalent l’État providence et une forte intervention économique de l’État. L’action législative devient donc beaucoup plus complexe et la lecture des principes républicains de l’époque mythique que je viens d’évoquer n’est peut-être pas pleinement adaptée : il nous faut nous projeter dans l’avenir et dans une comparaison internationale qui nous paraît parfois très dérangeante, car nous y rencontrons des pratiques du droit plus pragmatiques et moins principielles que celles de la tradition juridique française.

La simplification est un élément décisif pour gagner en clarté, en lisibilité, en efficacité et en rapidité. La problématique du « choc de simplification » est une vision transversale de l’action publique, qui ne touche pas seulement à l’action législative. Il est donc tout à fait bien venu d’ajouter ce volet à l’action engagée notamment par votre ancien rapporteur, M. Thierry Mandon, qui était spécialiste de cette problématique et poursuivra son action au niveau du Gouvernement.

Ce n’est du reste pas la première fois qu’on parle de la simplification législative, qui est une sorte de « serpent de mer » : depuis 1991, date du premier rapport du Conseil d’État dénonçant la mauvaise qualité de nos lois, nous ne sommes pas parvenus à progresser en ce sens, malgré des discours tenus en toute bonne foi.

Je précise à ce propos que nous ne devons en aucun cas, et malgré des polémiques récentes, assimiler la simplification du droit à la dérégulation. Évitons cet amalgame.

Si nous avons eu longtemps une approche quantitative de la simplification, consistant à abroger des dispositions anciennes, à codifier et à raboter, il nous faut aujourd’hui nous acheminer vers une approche plus qualitative. Mieux légiférer, ce n’est pas – ou, du moins, pas seulement – moins légiférer. Mieux légiférer, c’est adapter le contenu des lois aux attentes de nos compatriotes, aux nécessités et aux contraintes des acteurs de terrain.

L’écriture de la loi restera toujours quelque chose de compliqué, car nous ne pouvons pas avoir des lois trop simplistes, même si une demande s’exprime parfois pour des lois relevant davantage de la simple proclamation que de l’action sur le droit et sur le fonctionnement de la société.

Écrire la loi est par ailleurs, et doit rester, une œuvre éminemment politique. L’intelligibilité et l’accessibilité des lois sont des exigences fondamentales, dont le respect est contrôlé par le Conseil constitutionnel, mais la mission la plus essentielle du législateur est d’exprimer la volonté générale. C’est pourquoi je suis opposé à la mise en place de toute autorité qui pourrait avoir un droit de veto réduisant l’initiative du Parlement ou du Gouvernement sous prétexte de simplification : ce serait la porte ouverte à la technocratie.

On sent bien cependant qu’une grande partie des difficultés se concentrent sur un certain nombre de lois – on dit souvent que 80 % des difficultés sont générées par 20 % des lois : exacte ou non, cette affirmation me semble assez juste.

Pour en venir à des aspects plus concrets, je tiens d’abord à souligner que nous devons rendre à la loi son véritable périmètre. Nous devons revenir à l’esprit de l’article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi doit fixer des règles générales et déterminer des principes et des objectifs. Elle n’est pas là pour tout prévoir, pour se substituer aux décrets et aux circulaires. Elle ne doit pas être non plus un recueil de déclarations de bonnes intentions ou de souhaits politiques, comme c’est le cas pour certaines parties, voire pour la totalité, de certaines lois déclamatives.

Nos lois sont trop bavardes : tantôt elles se perdent en précisions, tantôt elles ne sont pas assez normatives. Pour illustrer ce constat, rappelons que, sur la treizième législature, 400 dispositions ont été insérées dans diverses lois pour demander au Gouvernement la remise d’un rapport au Parlement. Les responsabilités sont, du reste, partagées à cet égard et je pourrais citer de nombreux articles de projets de loi dont le caractère normatif est contestable. Nous devons donc avoir une action conjointe pour mieux protéger le domaine de la loi. Pourquoi ne pas utiliser davantage à cette fin l’article 41 de la Constitution, qui permet au Gouvernement ou au président d’une assemblée de contester la nature législative d’une disposition ? Une telle démarche, qui est à notre portée, serait tout à fait souhaitable de la part du Gouvernement et pourrait être une action résolue de la part de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Dans le même esprit, pourquoi ne pas envisager des missions parlementaires consacrées à certains de nos codes devenus parfois très volumineux. L’Assemblée nationale pourrait, plus encore que le Gouvernement, missionner des équipes de parlementaires de sensibilités différentes pour travailler sans hâte, sur deux ou trois ans, à repérer les articles qui ne sont pas de nature législative. Ce travail d’épuration de notre codification nous permettrait d’identifier les dispositions qui doivent être basculées dans le domaine réglementaire, voire abrogées. C’est là un élément très important de la simplification de la loi. Au-delà des aspects polémiques, une telle simplification permettrait par exemple de rendre le code du travail plus maniable.

De même, dans le domaine de la santé publique et de la sécurité sociale, sont entrées au fil des ans dans la loi et dans les codes des dispositions technico-corporatistes ou purement techniques qui ont permis de consolider l’existence d’une profession ou de défendre une activité. Ce phénomène, nocif pour la lisibilité et pour l’action législative, est source de blocage pour l’évolution de notre société. Ainsi, le fait que l’affectation de certains actes médicaux ou paramédicaux à certaines professions soit inscrite dans le code de la santé publique n’apporte pas plus de protection que des dispositions prises par décret – sans parler des règles ordinales qui régissent ce secteur. On pourrait donc alléger le code et donner en même temps une plus grande fluidité aux organisations professionnelles. Sans doute pourrait-on appliquer la même démarche, par exemple, au code rural et de la pêche maritime ou au code général des impôts, car on a peu à peu fait entrer dans l’ensemble des codes des dispositions de défiance, de blocage et de fossilisation de la réalité.

Nous devons tenir compte aussi de l’évolution qu’induira pour le Parlement l’application de la loi sur le non-cumul des mandats. Peut-être les parlementaires seront-ils désormais plus actifs et animés d’une plus grande envie de se distinguer et de s’affirmer dans un travail parlementaire qu’ils voudront moins collectif, marquant davantage l’action législative de leur personnalité propre. Cette énergie positive serait détournée de manière négative si chacun voulait inscrire dans la loi un amendement pour faire reconnaître son rôle. En revanche, il serait très souhaitable qu’elle s’exprime par un plus grand investissement dans l’évaluation ex post des lois, qui est un chantier crucial pour la qualité de la loi et l’action de l’État. Ce travail d’évaluation est un champ considérable de l’action parlementaire.

Mon expérience parlementaire me conduit à penser qu’il s’agit là d’un retournement car, même si l’évaluation fonctionne déjà depuis plusieurs années, avec notamment la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) et la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), l’action du parlementaire reste pour l’essentiel tournée vers le vote de la loi. Ce passage d’une démarche de production législative à une démarche d’évaluation serait beaucoup plus productif et, loin de limiter l’innovation, il ne pourrait que favoriser le changement du cadre juridique, économique et social. La lisibilité de la loi et de l’action publique en serait renforcée, car les déclarations d’intention, fréquentes même lorsque la loi est normative, cèderaient le pas à l’évaluation et à l’affichage de l’action législative, bien plus lisibles pour nos concitoyens – on indiquerait alors, par exemple, quels sont les objectifs fixés à une politique d’aide aux entreprises, les critères appliqués et les raisons du succès ou de l’échec.

Les grilles d’évaluation pourraient en outre faire l’objet d’une harmonisation qui, tout en évitant la dispersion d’actions individuelles, serait de nature politique, et non pas technocratique. La majorité actuelle pourrait indiquer, par exemple, que les priorités qu’elle souhaite donner à l’action publique sont la compétitivité, la solidarité et l’emploi, tandis qu’une autre majorité pourrait privilégier l’allégement de la fiscalité. Fondée sur des critères plus collectifs, la politique d’évaluation prendrait ainsi un caractère très politique.

En matière de politique de santé, par exemple, l’objectif peut être pour certains le progrès scientifique, et pour d’autres à la lutte contre les inégalités de santé. Ordonner et définir collectivement ces critères permettrait d’obtenir des évaluations qui ne seraient pas poussées individuellement par un député, mais s’inscriraient dans une grille de lecture politique limitant la dispersion. En effet, on évalue toujours sur la base de critères, jamais dans l’absolu.

J’en viens aux études d’impact, qui apparaissent aujourd’hui comme un exercice imposé et prennent parfois la forme d’un « exposé des motifs bis », alors qu’elles devraient permettre au Gouvernement de s’assurer que la réforme qu’il veut mettre en œuvre est opportune et au Parlement d’être correctement informé sur la portée sociale, économique, budgétaire ou environnementale des textes qu’on lui demande d’adopter.

L’une des causes de cette défaillance est que le ministère porteur d’un texte est aussi celui qui rédige l’étude d’impact. D’un point de vue scientifique, il est problématique de demander à quelqu’un de juger de l’opportunité de l’action qu’il veut mener. Circonstance aggravante, cette étude est parfois établie, non pas avant l’engagement de la réforme, mais alors que des annonces ont déjà été faites et que des concertations ont déjà été menées.

Quel que soit le domaine, si l’on interroge un ministère sur la pertinence d’une loi alors qu’il a déjà donné suite à la demande du ministre de faire cette loi, il est vraisemblable que l’administration confirmera à son ministre qu’après mûre réflexion, elle juge cette loi très opportune ! En termes de fonctionnement des organisations et de sociologie des administrations, il y a là un véritable conflit d’intérêts. Il est en effet peu probable qu’un ministère se déjuge en décidant, après un travail intense, qu’il n’y a finalement pas lieu de légiférer. Les études d’impact sont donc, dans certains cas, détournées de leur but premier : au lieu d’être une aide à la décision, elles sont un outil d’autojustification.

Le Gouvernement a déjà donné des directives pour rappeler que l’étude d’impact devait être la première étape de toute réforme et qu’elle n’était pas une formalité à laquelle on se plie de bonne ou de mauvaise grâce. Il serait désormais souhaitable que les arbitrages interministériels soient faits sur la base non pas d’un projet de texte déjà « ficelé », mais d’une étude d’impact objective, chiffrée et précise. Cette méthode est d’ailleurs celle qui a été retenue pour la préparation du projet de loi de finances pour 2015.

Faut-il aller plus loin en demandant, comme il me semble que votre mission l’envisage, à un organe indépendant de valider les études d’impact avant qu’elles ne soient soumises au Parlement ?

De nombreux pays d’Europe disposent d’instances spécialement chargées d’évaluer la qualité des études d’impact. Il s’agit, en règle générale, de structures légères, composées d’une dizaine de membres et placées auprès du Premier ministre, comme vous l’avez constaté, je crois, dans d’autres pays.

Nous venons de faire un premier pas dans cette direction en créant deux organes chargés d’évaluer l’impact des normes nouvelles dans les secteurs où la simplification est particulièrement nécessaire : il s’agit du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités locales et du Conseil de la simplification pour les entreprises. Au demeurant, ces organismes sont compétents pour les normes techniques ou économiques, alors que celles dont il est question à propos des études d’impact sont essentiellement des normes juridiques ou administratives.

Nous pourrions, à terme, réfléchir à une structure unique chargée de valider toutes les études d’impact et qui, à l’instar d’une revue scientifique, validerait moins le contenu de l’étude d’impact que sa méthodologie. De fait, créer un organisme qui referait le travail du ministère concerné contribuerait à une prolifération bureaucratique rapide.

Cette structure pourrait être rattachée aux deux assemblées ou être placée à la fois auprès du Gouvernement et du Parlement, car la qualité des études d’impact est pour nous tous un enjeu collectif. Cela pourrait se faire avec assez peu de moyens, au titre d’un redéploiement, et cet investissement limité serait très largement compensé par ce que l’on gagnerait en simplification de la procédure.

Vous m’avez également interrogé sur la possibilité de mieux évaluer l’impact des propositions de loi. Nous sommes bien évidemment prêts à dialoguer avec vous sur ce point et il serait à tout le moins utile que le président de l’Assemblée nationale puisse saisir le Conseil d’État sur toutes les propositions de loi inscrites à votre ordre du jour.

Enfin, je sais que vous avez auditionné en avril dernier M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, et qu’il a évoqué devant vous la procédure budgétaire. J’ai eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec lui lorsque je l’ai rencontré pour préparer la présentation que je dois faire de son budget devant l’Assemblée nationale et je souscris pleinement aux propos qu’il a tenus devant votre mission : nous passons des mois à débattre du budget initial et à peine quelques jours pour examiner l’exécution du budget, qui retrace pourtant une réalité concrète. Si le Parlement passait davantage de temps sur la loi de règlement, il serait mieux armé pour garantir l’efficacité de l’action publique et contrôler le Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La loi de règlement est débattue en deux heures par cinq députés …

M le secrétaire d’État. Toute notre culture est ainsi faite et il faut faire notre autocritique – c’est l’ancien parlementaire qui parle. Il est beaucoup plus facile pour nous de faire de grandes théories générales après avoir survolé un sujet que de contester une réalité concrète. Cependant, tout est perfectible et le temps parlementaire qui sera libéré par la fin du cumul devrait nous permettre d’engager ce travail d’une façon très positive. Cette décision relève toutefois de l’organisation des assemblées et elle doit être expliquée aux médias pour valoriser le travail réalisé. Aujourd’hui, en effet, on valorise plus volontiers dans le travail parlementaire les théories générales et les discours qui seront encore valables dans six mois ou un an et qui n’ont pas de lien direct avec la réalité concrète. On ignore le parlementaire qui travaille sur un projet de budget, tandis qu’on se représente comme particulièrement actif celui qui répète la même idée dans la salle des Quatre Colonnes au fil des années de son mandat – c’est là du reste une critique que je reprends largement à mon compte. Un effort considérable est nécessaire de la part de tous pour trouver un autre mode de fonctionnement.

Quant au dépôt tardif des amendements Gouvernement, contre lequel j’ai souvent eu l’occasion de protester dans l’hémicycle, il s’explique soit par le fait que le Gouvernement a mal fait son travail, soit par les nécessités de l’urgence. Au-delà de la complexité, du caractère proliférant et peu lisible de notre législation, la lenteur du travail est un problème majeur dans une société moderne. Il n’est pas possible que des engagements précis pris par le Président de la République le 14 janvier ne soient effectifs que huit mois plus tard. La vie économique a besoin de beaucoup plus de réactivité.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le délai de dépôt des amendements est ordinairement fixé pour les parlementaires au quatrième jour précédant la discussion du texte. Ne pourrait-on envisager que les amendements du Gouvernement soient déposés deux jours avant cette discussion pour permettre aux parlementaires de les examiner ?

M le secrétaire d’État. Je comprends votre demande mais, compte tenu des vives protestations qui s’élèvent lorsque le Gouvernement dépose tardivement ses amendements, on peut penser qu’il a des raisons de le faire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce phénomène n’est pas récent.

M le secrétaire d’État. Il n’est pas mauvais qu’il y ait cette sanction. Cependant, bien que je comprenne votre proposition, j’y suis assez réticent.

La notion d’urgence des textes de loi a complètement vieilli. Si une écriture subtile et bien dosée peut se justifier pour certains textes touchant au code civil ou aux libertés individuelles, certaines questions, comme le terrorisme, vont nous contraindre à légiférer le plus rapidement possible. Ainsi, comme nous l’avons évoqué ce matin en conseil des ministres, il n’est pas impossible qu’un texte sur le terrorisme qui serait déposé rapidement et qui serait examiné au mois d’octobre doive être réécrit dans quelques mois au vu des évolutions de la situation. Notre société, comme les virus, mute sans arrêt. Je ne pense d’ailleurs pas que quiconque propose qu’un texte portant sur le terrorisme soit soumis à deux lectures dans le cadre d’une navette parlementaire.

Une grande réactivité s’impose aussi dans le domaine économique et social. Le traitement des questions internationales, notamment de la transposition de textes européens, devrait lui aussi être plus rapide. Une réflexion globale – qui, sans être tout à fait dans l’objet de votre mission, est néanmoins collatérale – me semble donc s’imposer sur la rapidité de l’action parlementaire - mais cela ne justifie pas nécessairement le dépôt tardif des amendements du Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Êtes-vous favorable à la publication de tout ou partie de l’avis du Conseil d’État ?

M le secrétaire d’État. J’y suis assez réticent, car cette mesure aurait de nombreuses conséquences, comme celle de faire évoluer le rôle du Conseil d’État dans un sens qui l’apparenterait à celui du Conseil constitutionnel, alors que sa fonction reste de conseiller le Gouvernement. Je ne suis pas convaincu que ce serait très utile.

Du reste, il n’y a pas de secret et le travail du Conseil d’État est publié dans son rapport annuel. Cependant, le rôle de cette institution n’est pas de censurer le Gouvernement et de fournir des armes à certains parlementaires. Je suis donc, je le répète, réticent à la publication que vous proposez.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Y compris pour la partie de l’avis portant sur les études d’impact ?

M le secrétaire d’État. Le problème est le même. Le Conseil d’État pourrait critiquer l’étude d’impact, par exemple dans le cas où nous ne créerions pas l’organisme que nous avons évoqué tout à l’heure. Cela pourrait aussi remettre en cause une disposition, comme on l’a vu voilà une semaine : le Conseil constitutionnel vient de montrer qu’il pouvait statuer rapidement à la demande du Bureau du Sénat mais, compte tenu du calendrier parlementaire, si une assemblée soulevait tous les problèmes liés aux études d’impact, aucune loi ne verrait plus le jour.

M. Régis Juanico, rapporteur. Un volet de nos propositions porte sur l’enrichissement de l’étude d’impact. Nous convenons tous en effet que ces études d’impact sont parfois assez pauvres et apportent peu d’informations au législateur en amont de la procédure législative. Nous proposons que l’étude d’impact soit toujours instruite par le ministère compétent, qui est le mieux placé pour cela, mais qu’elle soit enrichie par exemple de tests sur les conséquences de la loi pour les petites et moyennes entreprises (PME), pour les collectivités locales et pour nos concitoyens, ainsi que d’indicateurs permettant d’en évaluer les coûts et bénéfices économiques et les conséquences sociétales.

Il importe de bien évaluer à l’avance les conséquences des mesures transitoires inscrites dans la loi, notamment des dates d’entrée en vigueur. Ainsi, alors que le compte pénibilité qui figure dans la loi que nous avons votée récemment sur les retraites devait entrer en vigueur au 1er janvier 2015, nous ne disposions pas d’une étude d’impact précise et complète permettant d’évaluer le travail nécessaire pour élaborer un tel compte qui soit simple d’utilisation pour les salariés comme pour les entreprises. Nous devons donc enrichir l’étude d’impact et disposer dès le stade de cette étude d’indicateurs permettant de savoir comment et sur quels critères la loi sera évaluée ex post. Une contrexpertise, portant sur la qualité de l’étude d’impact, doit également être réalisée par un organisme indépendant.

Nous devons encore réfléchir quelques semaines à la configuration de cette autorité, pour laquelle nous pensons plutôt à réunir des entités existantes autour du Conseil de la simplification des entreprises – M. Thierry Mandon a du reste fait récemment des propositions en ce sens.

Il faut par ailleurs préciser quel sera le contrôle du Parlement sur la qualité des études d’impact. Faut-il élargir à un nombre minimal de parlementaires – qu’il s’agisse de la majorité absolue des députés ou des sénateurs ou d’une majorité qualifiée des groupes parlementaires – la possibilité offerte à la Conférence des présidents des chambres de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un texte de loi si la qualité de l’étude d’impact est insuffisante ?

En outre, si une étude d’impact doit être réalisée pour toutes les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour, peut-on vraiment concilier les délais fixés à cette fin par le Conseil d’État et l’ordre du jour du Parlement, fixé au moins un mois à l’avance ? Peut-on disposer d’un critère pour définir que seules certaines propositions de loi feront l’objet d’une étude d’impact, notamment celles dont il est presque certain qu’elles auront une suite législative ?

Pour ce qui est de la procédure budgétaire, je souscris pleinement à votre opinion : on consacre beaucoup trop de temps à la loi de finances initiale alors que la commission des finances disposerait de tout le temps nécessaire, entre avril et juin, pour examiner précisément la loi de règlement et pour réaliser, sous un format bipartisan associant majorité et opposition et sur trois ou quatre thèmes sélectionnés, un travail précis d’évaluation de l’exécution budgétaire de l’année antérieure, en lien avec la modernisation de l’action publique menée par le Gouvernement.

Nous formulons en outre des propositions visant à rendre l’évaluation ex post plus systématique, avec des rendez-vous tous les trois ans après l’entrée en vigueur des textes de loi, dans une configuration associant la majorité et l’opposition et appliquant des indicateurs précis permettant d’améliorer ou de modifier la loi en cours de route.

M le secrétaire d’État. On ne peut pas totalement exclure de la vie parlementaire la volonté de l’opposition, quelle qu’elle soit, de s’opposer formellement au vote de la loi. Si donc on ouvre des droits très larges, ces droits deviendront de plus en plus systématiquement utilisés et, partant, deviendront des barrières à l’action – on sait par exemple que les motions de procédure défendues à l’Assemblée nationale, comme les questions préalables ou les motions de renvoi en commission, sont rarement à prendre au pied de la lettre et n’ont parfois guère de rapport avec leur intitulé.

Il faut aussi faire le distinguo entre des lois très structurantes et lourdes, qui appellent de toute évidence des études d’impact fortes, et des lois de réaction, de réorientation d’une politique ou de complément. Une solution intermédiaire pourrait être que les présidents des assemblées puissent, pour certaines lois, demander des études d’impact renforcées. Ce pourrait être le cas par exemple pour la loi de santé publique annoncée depuis un an ou un an et demi par le Gouvernement, dont on voit déjà circuler certains éléments et pour laquelle le calendrier parlementaire se dessine, avec une présentation en conseil des ministres en septembre et un examen par votre assemblée en janvier. En revanche, on ne demandera peut-être pas les mêmes études d’impact à la loi sur le terrorisme qui a été présentée en conseil des ministres ce matin et sera examinée en commission à la fin du mois de juillet par votre assemblée.

Par ailleurs, une loi peut-elle tout prévoir ? Ainsi, s’il est légitime, pour des raisons politiques, d’avoir fait un test pour les PME, qui envoie un message, pourquoi ne pas choisir plutôt de faire porter ce test sur les salariés ?

M. le rapporteur. Les salariés travaillent dans les PME !

M le secrétaire d’État. Si demain une loi propose d’inscrire en priorité absolue des contraintes nouvelles sur la santé au travail, il n’est pas certain que le test PME passera très facilement. Le législateur doit-il pour autant renoncer au texte sous prétexte que le test PME serait négatif ?

Pour en revenir à la pénibilité, la difficulté à laquelle a été confronté le Gouvernement a été de savoir comment, dans certains secteurs, les circulaires devraient être appliquées concrètement. Était-il possible de présenter ces analyses avant la loi ? Même si la rédaction appropriée des circulaires n’a pas encore été trouvée, le texte existe. Quel aurait été l’apport de l’étude d’impact ?

M. le rapporteur. Quand on peut s’en dispenser, mieux vaut éviter d’inscrire dans le marbre de la loi des dates d’entrée en vigueur, dont certaines peuvent susciter de grandes espérances qui ne seront pas suivies d’effet – on pourrait citer aussi à cet égard la loi de 2005 prévoyant l’accessibilité des bâtiments publics aux personnes handicapées. Par ailleurs, les études d’impact peuvent être réactualisées au fil des débats, lors de la navette parlementaire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Pour la pénibilité, la question était aussi de savoir comment appliquer cette notion dans certains métiers. De fait, l’application du texte tel quel conduirait à classer au titre des métiers pénibles les personnes exerçant plusieurs métiers dans la même journée et dont une partie seulement de l’activité relève de cette catégorie, alors que le coût de cette situation pour l’entreprise aura été mal évalué dans l’étude d’impact initiale. Le test PME nous aurait donc permis de décider à partir d’une connaissance de l’impact réel des mesures adoptées et d’assumer pleinement nos votes.

M le secrétaire d’État. Ont été inscrites dans la loi des choses qui n’auraient jamais dû l’être, tant pour leur calendrier que par la manière dont les informations seraient recueillies. Sans doute fallait-il adopter une écriture moins rigide et renvoyer certaines questions au décret ou à l’arrêté. La notion de pénibilité n’existant nulle part ailleurs que dans notre pays, nous essuyons les plâtres.

M. le rapporteur. Après la promulgation de la loi, une mission a été confiée à M. Michel de Virville qui a travaillé, en lien avec les partenaires sociaux, à assurer l’applicabilité et la mise en œuvre la plus simple possible du dispositif. Peut-être cette mission aurait-elle pu être déclenchée lors du vote du texte et intégrée aux études d’impact qui l’accompagnaient. Sans doute aurait-il fallu pour cela un contrôle du Parlement sur des dispositions difficiles à mettre en œuvre.

M le secrétaire d’État. On observe souvent que, face à la diversité des situations, des lois bonnes à 80 % provoquent un frottement, une irritation.

Par ailleurs, nous n’avons pas évoqué les « sunset clauses », qui méritent plus ample réflexion.

M. le rapporteur. Nous étudions une proposition prévoyant, dans le cadre d’une évaluation ex post plus méthodique, ces clauses de révision. Il est également prévu que la création d’un texte s’accompagne de la suppression d’un autre, selon le principe du « one in, one out ».

Pour la transposition de directives européennes, le recours à l’ordonnance est toujours possible, mais l’ordonnance devrait s’accompagner d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État qui serait transmis au Parlement lorsque celui-ci est amené à la ratifier.

M le secrétaire d’État. Tout à fait.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Des amendements « substantiels » des parlementaires ou du Gouvernement viennent parfois modifier l’équilibre d’un projet de loi et de son étude d’impact. Il serait alors logique que de tels amendements s’accompagnent d’un exposé des motifs beaucoup plus détaillé qu’actuellement.

M le secrétaire d’État. C’est certes légitime, mais il faut veiller à ce que les parlementaires aient la capacité de structurer leur travail.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Si l’on ne remédie pas à la situation que je viens d’évoquer, on continuera comme par le passé.

M le secrétaire d’État. Vous avez raison et je retire mes remarques. Il faut sans doute être beaucoup plus procédural que nous ne le fûmes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le ministre, je vous remercie.

La séance est levée à 18 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière.

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philippe Gosselin.