SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
Débat sur le cumul des mandats
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation
M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
2. Projet de loi de finances pour 2014
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Laurence Dumont
3. Application de l’article 11 de la Constitution
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
M. Roger-Gérard Schwartzenberg
Texte de la commission mixte paritaire ( Projet de loi organique )
Amendement no 1
M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président des commissions mixtes paritaires
Vote sur l’ensemble (projet de loi organique)
Vote sur l’ensemble (projet de loi)
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. En saluant son retour parmi nous, je donne la parole à M. Bernard Reynès, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Mmes et MM. les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
M. Bernard Reynès. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse au Premier ministre.
Un défilé du 11 novembre, une écharpe tricolore déchirée dans une mare de sang et, très vite, des questions qui vous envahissent, ce besoin irrépressible de comprendre. Qu’arrive-t-il à mon pays ? Une digue, quelque part, est-elle en train de rompre ? Me suis-je engagé dans la vie publique pour cela ? Mes chers collègues, notre rôle n’est-il pas d’essayer, en toutes circonstances, de tirer des leçons pour nos concitoyens et pour nous-mêmes ?
Notre pays souffre, après le doute vient l’angoisse et, maintenant, l’exaspération et la colère. Nous tous, qui avons un mandat du peuple ou qui le briguons, avons la responsabilité d’endiguer la haine qui, maintenant, semble monter…
Monsieur le Premier ministre, j’ai le sentiment sincère que vous vous trompez mais je vous respecte, comme M. le Président de la République dont je vois la fonction et la personne traînées dans la boue, comme cela avait commencé avec Nicolas Sarkozy.
Soyons conscients que, comme un lent poison, cette haine s’instille par les réseaux sociaux, par les excès de langage, par la banalisation d’insultes dans toutes les couches de notre société, que cette haine monte les Français contre les Français et que nos propos peuvent être comme une allumette jetée dans une poudrière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Il faut être exigeant avec les élus du peuple mais ils ne doivent pas devenir des victimes expiatoires en cristallisant les haines. Ils constituent un pilier de notre démocratie et de la République !
Les 36 000 maires de France et l’ensemble des représentants du peuple rendent des comptes mais ils veulent rester fiers de s’engager, quelles que soient leurs idées, au service de ce qu’ils pensent être l’intérêt général.
Nous nous trompons parfois mais nous, au moins, nous essayons, nous essayons chacun à notre place, de rendre le monde un peu meilleur ou moins pire. C’est le message que je voudrais transmettre à notre jeunesse pour qu’elle ait aussi envie de s’engager.
Merci à vous tous et à tous ceux qui m’ont témoigné soutien et affection ! (Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent.)
M. le président. Merci, monsieur Reynès, merci.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Bernard Reynès, je suis heureux de vous voir ici, dans cet hémicycle. Lorsque nous avons parlé ensemble, vous m’avez dit que vous n’aviez pas l’intention de renoncer et que, dans quelques jours, vous seriez de retour. Je salue donc ce retour, je salue votre sang-froid, votre courage et votre dignité ! (Applaudissements prolongés sur tous les bancs).
Lorsque nous avons parlé ensemble, vous m’avez dit – vous l’avez répété il y a quelques instants – que vous étiez inquiet de ce climat de haine qui prospère et pourrait prospérer si nous n’y prenons pas garde et si, par notre exigence républicaine, nous ne faisions pas encore plus preuve de vigilance. J’ai partagé cette inquiétude, monsieur Bernard Reynès, au-delà de ce que sont nos sensibilités politiques.
Vous avez d’ailleurs eu la courtoisie de dire que nous étions, dirons-nous, des concurrents politiques – je ne dirais même pas des adversaires. Dans une démocratie et une République, il est important de le rappeler.
J’imagine ce que vous avez ressenti ce jour-là, de même que ceux qui étaient à vos côtés, vos concitoyens. Un maire qui, dans l’exercice de ses fonctions, se recueille devant le monument en hommage à ceux qui ont donné leur vie pour le pays participe à un moment de ferveur et de rassemblement national. Et c’est à cet instant-là que vous êtes atteint par un coup de couteau ! C’est donc un symbole qui a été attaqué.
Je ne sais pas si celui qui a commis cet acte était ou non un militant politique mais il pouvait être inspiré par un climat de haine. Il relève de la responsabilité de chacun et de chacune d’entre nous de tout faire faire pour que cette spirale prenne fin.
Heureusement, l’immense majorité de nos concitoyens ne partage pas un tel état d’esprit. Vous qui êtes un maire – et il y en a d’autres dans cet hémicycle, et il y en aura encore plus tout à l’heure au Congrès des maires de France…
Un député du groupe UMP. Le cumul !
Un député du groupe SRC. Cette interruption est indécente !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ne débattons pas du cumul ! C’est une autre histoire ! Allons à l’essentiel comme vous l’avez fait, monsieur Reynès, ce dont je vous remercie !
M. le président. Conservons ce ton-là, s’il vous plaît !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. L’essentiel, c’est qu’il y a des circonstances et des fonctions qui rassemblent au-delà des sensibilités politiques (Applaudissements sur tous les bancs) et, s’il y a une fonction qui rassemble, c’est bien celle de maire, la plus ancienne de notre démocratie, lorsque le suffrage universel a permis une telle élection. Ils sont aujourd’hui plus de 36 000 et, à travers vous, je voudrais les saluer et leur rendre hommage !
Au-delà de toutes les confrontations et de toutes les circonstances, lorsqu’une souffrance ou un malheur surviennent, qu’ils soient individuels ou collectifs comme en situation de crise, vers qui se tourne-t-on ? D’abord vers le maire de son village, de sa commune, de sa ville ! C’est là une noble fonction et c’est elle, ce jour-là, qui a été attaquée, au-delà de votre personne.
Je vous exprime donc ma solidarité personnelle, monsieur Bernard Reynès, mais aussi celle du Gouvernement tout entier (Applaudissements sur tous les bancs.). J’exprime également à tous les maires de France ma totale solidarité. J’ai moi-même été maire et je sais ce que cela représente.
La France a besoin de repères, la France a besoin de convictions et de certitudes. Ces convictions et ces certitudes sont au plus profond de notre bien collectif, de la Nation. Elles sont nos valeurs, celles de la République, et jamais, jamais nous ne devons renoncer ! Votre témoignage nous l’a rappelé et il interpelle chacun et chacune d’entre nous, les élus de la représentation nationale, tous les élus de la République et au-delà, vous avez raison, chaque citoyenne et chaque citoyen de France. Merci d’être revenu dans cet hémicycle, merci pour votre courage !
Salut à tous les maires de France ! Salut aux citoyens qui aiment la République et qui, par-dessus tout, s’engagent pour la faire vivre ! (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Christian Eckert. Monsieur le Premier ministre, le débat fiscal est aujourd’hui au centre du débat politique, et c’est tant mieux. Devant la passion, les caricatures, les exagérations et les corporatismes, deux attitudes sont possibles : ou bien tendre le dos en attendant la prochaine loi de finances, ou bien affronter le débat. C’est à cette seconde option que vous nous invitez.
L’urgence, à notre arrivée, c’était de combler les déficits, de retrouver notre souveraineté par rapport aux marchés financiers et à nos partenaires européens, mais aussi de redresser les comptes publics et de redonner de la compétitivité à notre appareil productif. Ce fut le sens des dix-huit mois qui viennent de s’écouler : nous avons demandé un effort aux Français, que nous avons voulu le plus juste possible, mais qui trouve aujourd’hui ses limites, et nous avons aussi – ce qui n’a pas été suffisamment dit – réalisé des économies budgétaires jusque-là inégalées.
M. Alain Marty. N’importe quoi !
M. Christian Eckert. Le déficit public s’est ainsi réduit de 30 % en deux ans : c’est une étape, mais elle ne saurait suffire.
Vous avez donc annoncé une seconde étape, qui passe par une remise à plat de notre fiscalité, laquelle est mal comprise, complexe et peu lisible. Il ne faut pas saucissonner le sujet…
M. Philippe Meunier. C’est ce que vous faites depuis dix-huit mois !
M. Christian Eckert. …en traitant un jour des entreprises, un jour des ménages, un jour de l’immobilier et un jour de la TVA. Ce débat doit associer tous les acteurs : actifs, retraités, entrepreneurs, ménages, organisations syndicales. Nous devons aller vers la convergence et la progressivité de l’impôt. Cela pourrait passer par la mise en place de la retenue à la source : c’est à ce grand mouvement que vous nous invitez.
Au fond, quel impôt, fondement républicain, voulons-nous, au service de quel modèle de société ? Pour nos services publics, la protection sociale, la redistribution et la péréquation ?
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous préciser le calendrier, le périmètre et la méthode de votre réforme, même si nous avons compris qu’il y aura concertation et association du Parlement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, votre question soulève un problème de fond. Dans une démocratie, dans un État républicain comme le nôtre, la question de l’impôt n’est pas une question secondaire, ni une affaire individuelle. C’est la contribution de chacun à un effort et à un projet collectifs. Cette contribution doit donc être comprise, claire, efficace et juste.
M. Philippe Gosselin. C’est bien le problème !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le moment est donc venu, mesdames et messieurs les députés, après les efforts légitimes qui ont été demandés aux Français pour redresser nos comptes publics et remettre en marche notre appareil productif, de remettre à plat un système devenu, au fil des décennies, complexe, voire illisible, au point que nos concitoyens ont parfois le sentiment qu’il n’est pas toujours efficace, et même souvent injuste.
C’est cette question que je veux aborder, et dont je veux faire une nouvelle étape. C’est à ce travail que je convie tous ceux qui sont concernés, en particulier l’Assemblée nationale et le Sénat, que j’appelle à se mobiliser pour trouver la bonne réponse. La bonne réponse, c’est un impôt plus progressif, un impôt plus simple, un impôt auquel on adhérera plus volontairement, parce qu’on en comprendra le sens, un impôt par lequel on se mobilisera pour le redressement et la réussite de la nation. Voilà l’enjeu, voilà le défi !
M. Alain Marty. Toujours plus d’impôts !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est une œuvre difficile, mais nous ne partons pas de rien. Depuis sa prise de fonction, notre gouvernement a engagé plusieurs réformes pour introduire plus de justice fiscale. Je pense à la tranche d’impôt à 45 % sur les revenus supérieurs à 150 000 euros,…
M. Régis Juanico. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …je pense au rétablissement de l’ISF et à la fin du bouclier fiscal,…
M. Régis Juanico. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …je pense aussi aux mesures qui mettent sur le même plan la fiscalité du travail et la fiscalité du capital,…
M. Philippe Meunier. Nous sommes sauvés !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …je pense, enfin, aux débuts d’une fiscalité écologique.
Mais ce qu’il nous reste à faire va mobiliser tous les groupes parlementaires…
M. Philippe Meunier et Plusieurs députés du groupe UMP. Assez !
M. le président. S’il vous plaît !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …de gauche, comme de droite. Tous devront dire clairement quel est le niveau de dépenses publiques qu’ils souhaitent. Tous devront dire quel est le niveau de services publics qu’ils souhaitent, et en face, le niveau de contribution le plus juste et le plus efficace qu’ils souhaitent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste et RRDP.) C’est donc à ce débat de clarification que j’appelle le Parlement.
M. Philippe Meunier. Avec Ayrault, c’est l’impôt !
M. Dominique Tian. Et les autres questions ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Des chantiers ont déjà été engagés, et il en va du financement de nos services publics, du financement de l’État, de celui de la sécurité sociale et des collectivités locales. Mais au-delà de la question de la fiscalité, se pose également la question de la contribution, à travers les cotisations pour l’assurance-maladie et pour la retraite.
M. Philippe Meunier. Arrêtez-le !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, j’ai bien l’intention d’en discuter avec chacune et chacun d’entre vous. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’exposerai ma méthode dans quelques jours et m’adresserai à la fois aux institutions parlementaires – je vous consulterai, monsieur le président de l’Assemblée nationale –, aux présidents des commissions, mais aussi aux groupes parlementaires, que j’inviterai, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche, à me dire comment ils voient l’avenir et quel sens ils donnent au prélèvement fiscal et social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP –Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Philippe Meunier. Un Français sur dix, on s’en souvent encore ! Vous n’êtes plus crédible !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Chacun devra faire face à ses responsabilités, car il s’agit là d’une question profondément politique, d’une question démocratique, qui engage, comme je l’ai dit à l’instant, la cohésion nationale et républicaine. Avant d’entamer la consultation du Parlement, je vais recevoir dans les prochains jours les partenaires sociaux… (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Meunier. Assez !
M. le président. On se calme !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …le patronat, les grandes, les moyennes et les petites entreprises, mais aussi les salariés et les représentants des syndicats, parce que le défi, c’est l’efficacité économique, la progressivité de l’impôt, la juste répartition de l’effort, l’investissement, les services publics, la justice fiscale et sociale.
M. Jean-François Lamour. C’est tout le contraire !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Tel est l’enjeu de cette nouvelle étape, et je vous invite tous à y participer, car c’est l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.
M. François de Rugy. Monsieur le Premier ministre, en annonçant une remise à plat de notre fiscalité, vous avez ouvert ce matin un chantier tout à la fois indispensable, immense et audacieux. Ce chantier est indispensable, car notre système fiscal est désormais à bout de souffle, et c’est pour cela que les Français ont élu, il y a dix-huit mois, le président qui s’engageait sur une réforme fiscale d’ampleur.
M. Philippe Armand Martin. Ils se sont trompés et ils sont déçus !
M. François de Rugy. Ils ont souhaité mettre fin à une période au cours de laquelle les seules réformes fiscales ont consisté à créer le bouclier fiscal et à diviser par deux l’impôt sur la fortune.
Depuis dix-huit mois, il a fallu prendre des décisions difficiles pour résoudre le problème de la dette. Nous voyons par conséquent se développer un phénomène d’allergie aux taxes. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) Pour y répondre, il faut redonner de la lisibilité, de l’efficacité et de la justice à l’impôt.
De la lisibilité, d’abord, car le citoyen se perd entre l’ensemble des taxes, contributions et redevances. Les dérogations et autres niches font monter le sentiment d’injustice.
De l’efficacité, ensuite, parce que la politique fiscale doit être au service d’une politique économique. Elle doit accompagner et faciliter la conversion écologique de notre économie, et aider les Français à financer les changements de modes de vie et de consommation indispensables à la sortie de crise.
De la justice, enfin, en redonnant de la progressivité à l’impôt et en instaurant le prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu.
Ces chantiers sont nécessaires, et leur réussite est possible. Nous vous avions indiqué, en réponse à votre déclaration de politique générale, que les écologistes soutiendraient votre action, dès lors qu’elle serait audacieuse. Vous y êtes, et nous serons au rendez-vous.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous préciser le calendrier et la méthode que vous entendez mettre en œuvre pour mener à bien et réussir cette réforme fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
S’il vous plaît, on retrouve son calme et on écoute la réponse du Premier ministre !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président de Rugy, je vous remercie d’avoir rappelé les engagements qui ont été pris pendant la campagne présidentielle par le Président de la République. C’est effectivement dans cette cohérence que j’inscris l’action du Gouvernement.
M. Philippe Meunier. Ça promet !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je rappelle aussi que l’exercice qui nous attend demande un grand effort de dialogue et d’imagination. (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Meunier. Demandez à Cahuzac !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Que les choses soient claires : cette réforme profonde, dans le sens de la justice, de la clarté et de l’efficacité, ne peut se faire qu’à prélèvements obligatoires constants – je tiens à le rappeler. Elle doit aussi s’inscrire, comme le budget pour 2014, dans une volonté de maîtrise des dépenses publiques jusqu’à la fin du quinquennat. Nous devrons donc faire des efforts d’économie, mais aussi construire une contribution nouvelle, qui prendra également en compte les aspects environnements, auxquels je vous sais particulièrement attaché.
La première étape, ce sera la rencontre avec les partenaires sociaux. La deuxième, dont j’ai parlé et que nous allons mettre au point, ce sera la rencontre avec le Parlement, mais aussi avec les collectivités territoriales et leurs représentants, car la fiscalité locale est évidemment concernée. Lorsque ce processus aura suffisamment avancé, comme pour la réforme des retraites, le Gouvernement fera ses propositions.
Une première étape sera franchie avant l’été et nous l’inscrirons dans la loi de finances pour 2015, qui tracera les perspectives de cette réforme ambitieuse, de ce renouveau politique qui ira au-delà du redressement du pays, pour construire avec vous un nouveau modèle économique et social français, fondé sur les valeurs et les principes de l’égalité, de la justice, et du progrès. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Vigier. Tout d’abord, au nom du groupe UDI, je voudrais dire à Bernard Reynès notre joie de le retrouver. Il fait honneur au Parlement et il nous a donné à tous une leçon de courage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
Monsieur le Premier ministre, la France est éreintée par l’impôt et la révolte qui gagne le pays démontre le malaise grandissant face à cette overdose fiscale. Vous venez d’annoncer une réforme fiscale pour plus de justice et d’efficacité. Or, le 1er janvier prochain, le taux intermédiaire de TVA passera de 7 % à 10 %. Cette décision n’est pas celle de la majorité précédente, c’est la vôtre.
Augmenter la TVA dans le bâtiment ou les services à la personne, c’est décider du plus grand plan social jamais mis en œuvre en sacrifiant des milliers d’emplois non délocalisables et en encourageant le travail au noir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
Augmenter la TVA dans les transports, c’est augmenter le ticket de métro ou le billet de train, les dépenses quotidiennes : vous aller toucher le pouvoir d’achat des ménages et des travailleurs.
Vous ne pouvez pas entamer ce débat sur la fiscalité alors même que la hausse du taux de TVA au 1er janvier prochain sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Entendez ce message qui vient des entrailles de la France !
Pour donner du sens à ce débat sur la fiscalité, il vous appartient de restaurer les conditions de la confiance en annulant la hausse de la TVA prévue au 1er janvier prochain. Ma question est simple : allez-vous revenir sur cette hausse de la TVA pour que ce débat, que le groupe UDI appelle de ses vœux, permette de réhabiliter l’impôt qui est aujourd’hui devenu le symbole de la défiance à l’égard du Gouvernement et de votre majorité ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Daniel Fasquelle. Et du matraquage fiscal !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur Philippe Vigier, merci pour votre question à laquelle je veux répondre sans tarder. Vous nous interrogez sur le fait de savoir si nous avons l’intention de revenir sur les décisions qui ont été prises en matière de TVA au cours des derniers mois : nous l’avons fait, en renonçant à porter la TVA à 21,2 %, décision que vous aviez prise et qui aurait eu pour effet de prélever 13 milliards d’euros sur le pouvoir d’achat des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La TVA ne passera pas de 20 % à 21,2 %, mais de 19,6 % à 20 %, et les produits de première nécessité resteront au taux réduit de TVA.
Rappelons les raisons pour lesquelles nous avons pris cette mesure : dans le souci de restaurer la compétitivité des entreprises, nous avons décidé de nous engager dans la diminution du coût du travail à hauteur de 20 milliards d’euros. Il s’agit d’un allégement net de charges, contrairement à la TVA sociale qui était pour partie récupérée par une augmentation de l’impôt sur les sociétés. À l’inverse de ce qui était prévu dans le projet précédent, cet effort en faveur de la compétitivité des entreprises n’est pas intégralement reporté sur le consommateur puisque nous réalisons 10 milliards d’économies en dépenses. Nous faisons en sorte que la fiscalité écologique vienne compenser les efforts de diminution du coût du travail que nous faisons, et il reste effectivement 6 milliards d’euros d’augmentation de la TVA.
M. le président. Merci monsieur le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Dans le même temps, nous avons pris, dans le projet de loi de finances pour 2014, des mesures très concrètes à destination d’un certain nombre de secteurs très créateurs d’activité et d’emplois : taux réduit de TVA pour le logement social et les petites réparations, taux réduit de TVA pour la rénovation thermique. En outre, avec Sylvia Pinel, nous avons reçu ce matin les artisans pour leur annoncer que nous allons étendre cette mesure aux travaux induits. Suite à un dialogue de très grande qualité avec les artisans, nous avons également décidé un certain nombre de dispositions pour accompagner le secteur de l’artisanat, qui est en difficulté. Elles seront annoncées tout à l’heure.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Laurence Dumont. Monsieur le ministre de l’intérieur, les Français attendent de la classe politique qu’elle évolue, qu’elle donne une autre image d’elle-même, conforme aux attentes exprimées depuis longtemps par nos concitoyens. Parmi ces attentes fortes, il y a le non-cumul des mandats.
Hier soir, lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, l’opposition a déserté ces bancs.
M. Matthias Fekl et M. Thomas Thévenoud. Ils étaient deux !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Parce que vous n’écoutez rien !
Mme Laurence Dumont. Aucun député UDI, aucun député Front national, et seulement deux députés UMP ! Pour une formation politique qui se dit être à l’écoute des Français, il y a là un véritable décalage entre le verbe et l’action.
Enfermée dans ses certitudes partisanes, l’opposition ne se rend pas compte que nous sommes entrés dans une nouvelle époque. Il s’agit, avec ce texte, de donner une nouvelle dynamique à notre démocratie, dynamique dont elle a tellement besoin.
Pourtant, il pourrait – il devrait – y avoir comme une fierté commune à donner un nouvel élan à nos institutions. Renforcer le pouvoir des parlementaires dans leur rôle de législateur, mais aussi dans leur rôle de contrôle et d’évaluation, impose que chaque député et chaque sénateur se concentre sur sa seule fonction d’élu de la nation.
M. Marc Dolez. Très bien !
Mme Laurence Dumont. Mes chers collègues, face à la lourdeur des tâches des élus locaux, en particulier des maires, nombre d’entre nous ont, au fil des débats, perçu la nécessité de ce texte.
Certes, c’est une petite révolution dans la vie politique française. Mais ce n’est qu’une étape. Monsieur le ministre il y a, à gauche une vraie fierté à voter cette loi. Et une fois de plus, c’est la gauche, et malheureusement elle seule, qui aura su contribuer au renforcement et à la modernisation de la vie politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la députée, hier, ce débat s’est tenu dans une atmosphère un peu particulière, puisque nous étions choqués par ce qui s’était passé dans les locaux du journal Libération le matin même – nous serons inquiets tant que l’auteur de ces faits n’aura pas été interpellé. Pourtant, nous avons tenu ce débat qui fait honneur à l’Assemblée nationale et à la majorité.
Vous avez parlé de petite révolution. Je vous reprends : c’est une grande révolution, parce qu’elle va changer en profondeur les pratiques politiques de notre pays.
M. Jean-François Copé. Oh non, vraiment pas !
M. Manuel Valls, ministre. C’est ainsi. Après avoir changé le mode de scrutin pour les élections intercommunales, après avoir modifié le scrutin cantonal pour mieux rééquilibrer les territoires et instaurer la parité dans tous les départements,…
Plusieurs députés UMP. Charcutage électoral !
M. Manuel Valls, ministre. …cette majorité est en train de mettre fin à la spécificité française du cumul des mandats.
C’est la majorité qui, en première lecture, avait déjà voté par trois cents voix en faveur du non-cumul des mandats, qui va accomplir une nouvelle étape demain.
Je salue la majorité et tous ceux qui, hier soir, ont défendu cet engagement du Président de la République attendu par les Français. Il va permettre aux parlementaires de s’impliquer pleinement à l’Assemblée nationale et aux maires qui cumulaient de s’impliquer pleinement dans leur fonction. C’est la majorité qui l’a voulu, c’est vous qui l’avez voulu, c’est un changement. Vous honorez cet engagement de François Hollande et, une nouvelle fois, c’est la gauche qui change en profondeur notre démocratie pour la renouveler et pour l’approfondir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Braillard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Thierry Braillard. Monsieur le ministre du budget, nous vivons des temps sans mémoire. De temps à autre, il faut donc rafraîchir celle-ci, surtout en matière de matraquage fiscal, dont l’UMP s’est fait le parangon. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RRDP et SRC.)
En effet, sous le précédent quinquennat, ce ne sont pas moins de quarante et un impôts nouveaux qui ont été créés, comme l’imposition forfaitaire sur les installations électriques, la taxe sur les certificats d’immatriculation des véhicules…
Mme Laure de La Raudière. Vous aviez supprimé la vignette automobile !
M. Thierry Braillard. …ou encore la fameuse écotaxe. Sous le précédent quinquennat, il y a également eu de très nombreuses hausses d’impositions,…
M. Arnaud Robinet. Et vous, vous avez augmenté les impôts locaux !
M. Thierry Braillard. …dont celle du forfait social, celle du forfait hospitalier ou encore celle des véhicules de société. Et puis, juste avant l’élection présidentielle, la majorité UMP a voté, dans le cadre d’une loi de finances rectificative, la hausse de la TVA – rebaptisée TVA anti-délocalisation – de 19,6 % à 21,2 %.
M. Alexis Bachelay. Eh oui !
M. Thierry Braillard. Cette hausse devait intervenir le 1er octobre 2012. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Arnaud Robinet. Vous préférez augmenter les cotisations sociales !
M. Thierry Braillard. Alors, quand j’entends ces derniers jours le président du groupe UMP dire que la prochaine hausse de la TVA, qui financera en partie le crédit d’impôt compétitivité emploi, est irresponsable,…
M. Bernard Roman. C’est scandaleux !
M. Thierry Braillard. …je me demande de qui on se moque. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est le credo de l’UMP : « Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! »
Ah si ! J’oubliais une baisse significative sous l’ancien quinquennat : celle de l’impôt de solidarité sur la fortune.
M. Philippe Meunier. Taisez-vous, Braillard !
M. Thierry Braillard. Notre politique n’est pas la même.
Monsieur le ministre, alors que nous allons voter cet après-midi le budget 2014, pouvez-vous nous indiquer les mesures de baisses qui vont profiter à l’emploi, à la croissance, au logement et surtout au pouvoir d’achat des Français ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Christophe Guilloteau. Il est nul !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. En réponse à votre question, monsieur le député, j’insisterai essentiellement sur trois points. Ce qui compte, quelques minutes avant l’adoption d’un projet de loi de finances, c’est de rappeler les objectifs qu’il prétend poursuivre en matière de déficit,…
Un député du groupe UMP. Il y a du boulot !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …d’économies et de fiscalité.
S’agissant des déficits, nous nous situons maintenant, depuis dix-huit mois, dans une séquence continue de diminution des déficits publics et sociaux. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Je veux simplement rappeler les chiffres, en dehors de toute considération polémique, car seuls les chiffres comptent. Lorsque nous sommes arrivés en situation de responsabilité, le déficit nominal était de 5,3 %. En 2012, il était de 4,8 %. À la fin de l’année 2013, il sera de 4,1 %.
M. Alain Gest et M. Alain Marty. Il devait être à 3 % cette année !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le budget que nous proposons pour 2014 ramènera le déficit à 3,6 %. Nous sommes donc bien dans une séquence continue : la Commission européenne et le Haut Conseil des finances publiques ont d’ailleurs reconnu l’importance de l’effort structurel réalisé par notre pays.
M. Alain Marty. Le déficit public ne devait pas dépasser 3 % en 2013. C’était une promesse de François Hollande ! Vous êtes des menteurs !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Deuxième point : cela n’est possible que parce que nous réalisons des économies en dépenses, à un niveau jusqu’à présent inégalé. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je veux rappeler que le précédent gouvernement se réjouissait, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, d’une économie de 10 milliards d’euros par rapport à la tendance d’augmentation de la dépense sur trois ans, entre 2010 et 2013. Or le budget que vous allez voter dans quelques minutes prévoit 15 milliards d’euros d’économies pour la seule année 2014,…
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …dont 9 milliards sur le budget de l’État – et une diminution de la dépense de 1,5 milliard en valeur – et 6 milliards sur le budget de la protection sociale.
M. Bernard Roman. Voilà les chiffres !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Voilà la réalité des chiffres !
Dernier point : en matière de fiscalité, ce budget est un budget de justice.
M. Philippe Meunier. Menteur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il rétablit l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu ; il met en place une décote, le revenu fiscal de référence et des taux réduits de TVA pour des secteurs stratégiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Sylvain Berrios. C’est fini ! Au revoir !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Diminution des déficits, maîtrise de la dépense et justice fiscale : voilà les trois axes du budget pour 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Marie-Christine Dalloz. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre mais, auparavant, je veux dire à Laurence Dumont que nous constatons régulièrement des paradoxes au sein du parti socialiste. Chers collègues du groupe SRC, vous vous targuez de voter une loi contre le cumul des mandats, mais je m’étonne du nombre de députés et sénateurs socialistes candidats aux prochaines élections municipales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, le consentement à l’impôt est l’élément central du budget de l’État. Je pourrais vous parler de l’élasticité de l’impôt mais, pour les Françaises et les Français confrontés quotidiennement à votre matraquage, cette notion se traduit surtout dans le différentiel entre les recettes attendues et les recettes réalisées fin 2013. Selon M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, ce différentiel devrait atteindre 10,8 milliards d’euros en 2013. Pour le ministre en charge du budget, qui a longtemps nié cette réalité, cette différence serait de 5 milliards. Quels chiffres pouvez-vous nous annoncer concernant la baisse des produits de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu ou de la TVA ?
Ces dernières hausses d’impôts ont déclenché une crise de défiance généralisée. François Hollande a beau promettre une pause fiscale et l’inversion de la courbe du chômage, les Français n’y croient plus ! Après une baisse historique de leur pouvoir d’achat en 2012 et une incompréhension croissante relative à l’absence de réforme de structure, les sondages se font l’écho du refus de l’impôt. Deux Français sur trois affirment être prêts à se mobiliser en manifestant dans la rue pour protester contre le niveau des impôts et défendre l’emploi.
Après un matraquage fiscal sans précédent, parler aujourd’hui de refonte fiscale à l’horizon 2015 est un comportement de pompier pyromane.
M. Alain Marty. C’est vrai !
Mme Marie-Christine Dalloz. M. Cazeneuve cite Baudelaire. Vous, monsieur le Premier ministre, vous allez consulter les partenaires sociaux. Mais quel est le cap de la France ? Est-ce le navire ivre de Rimbaud ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. C’est le « bateau ivre », pas le « navire ivre » ! Inculte !
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues...
La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Madame la députée, je n’ai pas très bien compris l’objet de votre question, mais j’essaierai d’y répondre tout de même. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la députée, vous êtes très assidue à la commission des finances de l’Assemblée nationale : par conséquent, vous savez le prix que nous attachons à donner à cette commission toutes les informations relatives à l’évolution des recettes fiscales.
Les chiffres que vous indiquez ne sont pas ceux que j’ai donnés. Lors de la présentation du projet de loi de finances initiale pour 2014 et de la présentation du programme de stabilité, j’ai donné des chiffres à la commission. Vous savez très bien qu’entre la loi de finances initiale pour 2013 et la loi de finances initiale pour 2014, les recettes fiscales ont évolué de 10 milliards d’euros : cela tient tout simplement au fait qu’au moment de la présentation du projet de loi de finances pour 2013, l’hypothèse de croissance était de 0,8 %, alors qu’elle est finalement de 0,1 %. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mécaniquement, comme c’est le cas depuis très longtemps, lorsque le niveau de croissance n’est pas celui qui est attendu (Mêmes mouvements),…
M. le président. Calmez-vous, mes chers collègues !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …on observe, comme vous l’avez dit, une élasticité de la recette fiscale encaissée au niveau de croissance. Cela explique le décalage que vous avez souligné.
Vous utilisez ce chiffre pour faire peur, pour dénigrer, pour lancer des polémiques.
M. Julien Aubert. Menteur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous faites des mayonnaises alors que vous n’avez pas d’œufs dans votre panier. Voilà la réalité de votre comportement depuis des mois sur la situation de la fiscalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, vous parlez de pouvoir d’achat, madame Dalloz. Mais qui a décidé, si ce n’est la majorité, la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu ? Qui a décidé, si ce n’est la majorité, la mise en place d’une décote ? Qui a décidé l’augmentation du revenu fiscal de référence ? Qui a décidé la mise en place de taux réduits de TVA pour encourager le commerce et l’artisanat ?
Plusieurs députés du groupe SRC. C’est nous !
M. Philippe Meunier. Arrêtez-le !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Qui a décidé, à travers le revenu fiscal de référence, de revenir sur les mauvaises manières que vous aviez faites aux veuves en supprimant leur demi-part fiscale ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Nous mettons en place un budget de justice, alors que vous étiez dans l’injustice. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Sauvan, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Gilbert Sauvan. Ma question à laquelle j’associe mon collègue Christophe Castaner s’adresse à M. le Premier ministre.
La libération de Francis Collomp est une excellente nouvelle pour la France, c’est une joie immense que nous éprouvons tous dans cet hémicycle, alors que notre compatriote était détenu depuis le 19 décembre 2012 par le groupe terroriste Ansaru.
C’est évidemment un grand soulagement pour les personnes qui se sont mobilisées pour soutenir Francis Collomp dans cette terrible épreuve. Je pense à sa famille proche, à son comité de soutien, aux deux cents communes des Alpes-de-Haute-Provence qui ont mis son portrait au fronton de leur mairie et aux autres villes qui ont manifesté leur soutien. Mais je pense aussi aux territoires qui se mobilisent encore pour les sept ressortissants français qui restent en captivité. La France ne les oublie pas et, face à ces drames qui se nouent, l’unité nationale doit prévaloir, au-delà de toutes polémiques, pour soutenir les otages qui souffrent de privations et de conditions de vie très difficiles.
La libération de Francis Collomp est le fruit de l’incroyable courage et de la lucidité exceptionnelle dont il a fait preuve durant sa captivité. Comme l’a dit le Chef de l’État, «il y a des Français qui font honneur aux Français ».
Il faut aussi souligner le travail des services de l’État dans le suivi de cette captivité et leurs capacités de réaction. Depuis le premier jour de l’enlèvement, la famille de Francis Collomp est restée en contact régulier avec le ministère des affaires étrangères. Par ailleurs, ce travail discret et efficace est essentiel pour aboutir à la libération des otages et, à ce titre, il faut rappeler l’efficacité et le dévouement de nos services extérieurs.
Comme vous l’avez dit à plusieurs reprises avec fermeté, la France n’abandonne pas ses ressortissants. Ainsi, monsieur le Premier ministre, comment la France poursuit-elle ses actions pour la libération des otages français qui restent encore entre les mains de terroristes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, hier matin, j’étais à l’aéroport de Villacoublay avec Laurent Fabius pour accueillir, aux côtés de sa famille, Francis Collomp. Ce fut, vous l’imaginez, un moment d’intense émotion, d’une grande sobriété. Nous n’avons pas fait de déclaration publique, mais j’ai eu l’occasion de m’entretenir longuement avec le ministre des affaires étrangères, Francis Collomp et les membres de sa famille.
Onze mois de captivité, c’est une épreuve terrible qu’il a subie. Il aurait pu y laisser sa vie. Il a fait preuve d’un courage exceptionnel et d’une détermination formidable à se libérer. Par rapport à tout ce que l’on peut lire ou entendre, c’est sa force de caractère, sa détermination qui lui ont permis de fuir ses ravisseurs. Je voudrais, devant l’Assemblée nationale, saluer ce courage, cette dignité, cette volonté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR, RRDPUDI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Le groupe Ansaru qui le détenait dans le nord du Nigeria est un groupe particulièrement dangereux. Son retour est un immense soulagement pour lui, sa famille et pour les Français. Mais vous avez raison de rappeler qu’il y a d’autres otages, d’autres ressortissants français qui sont détenus. À chaque fois, le Gouvernement agit dans la discrétion avec les autorités des pays concernés. En l’occurrence, je tiens à remercier et à saluer la détermination des autorités nigérianes qui nous ont aidés pour faciliter la libération de Francis Collomp.
Pour les autres, le combat continue. On compte un otage supplémentaire, le père Vandenbeusch qui a été pris par la secte Boko Haram dans le nord du Cameroun, région particulièrement exposée. Je veux vous dire ici que la France, avec les autorités camerounaises et celles du Nigeria, continuera de tout faire, comme nous l’avons fait pour d’autres, pour obtenir sa libération. Nous agissons de même pour nos otages en Syrie. C’est un travail très difficile qui demande, je le répète, beaucoup de discrétion, mais surtout une grande détermination. Nous avons obtenu la libération des quatre otages du Mali. Nous nous battons pour obtenir la libération de tous nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Moudenc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jean-Luc Moudenc. Monsieur le Premier ministre, vous nous annoncez ce matin une grande remise à plat fiscale ! Comment pouvez-vous faire une telle annonce le jour même où vous faites voter ici même par votre majorité un budget particulièrement lourd sur le plan fiscal ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Avouez que ce n’est pas logique. Vous auriez dû lancer cette réflexion bien avant le vote du budget !
M. Damien Abad. Eh oui. Il a raison.
M. Guy Geoffroy. C’est le sapeur Camember !
M. Jean-Luc Moudenc. Comment pouvez-vous, dans cette même interview, tout à la fois annoncer une réflexion générale en vue de cette éventuelle remise à plat et une mission particulière sur l’avenir de l’écotaxe ?
Comment les Français pourraient-ils croire à votre remise à plat fiscale alors qu’il y a trois mois, votre ministre de l’économie et des finances parlait de ras-le-bol fiscal, et qu’immédiatement après, vous faisiez voter des milliards d’impôts en plus ?
Comment les Français pourraient-ils croire à une telle annonce après que le Président de la République annonçait, il y a trois mois à peine, une pause fiscale, démentie par vos décisions ?
En vérité, monsieur le Premier ministre, votre remise à plat, c’est plutôt la reconnaissance que votre Gouvernement est, lui, à plat (Applaudissements et sourires sur les bancs du groupe UMP), sans souffle, à moins que cela ne soit qu’une annonce de plus et que vous nous prépariez de nouvelles hausses d’impôts !
M. Philippe Vitel. Eh oui.
M. Jean-Luc Moudenc. La meilleure remise à plat, celle attendue par les Français et les entreprises, monsieur le Premier ministre…
Un député du groupe UMP. C’est votre démission !
M. Jean-Luc Moudenc. …c’est l’annulation des dizaines de milliards d’impôt que vous avez créés depuis dix-huit mois. C’est également la maîtrise de la dépense publique et la baisse des dépenses de fonctionnement !
En avez-vous seulement la volonté, monsieur le Premier ministre ?
M. Philippe Vitel. Non !
M. Jean-Luc Moudenc. Nous, nous en doutons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, merci pour cette question qui n’est absolument pas sectaire (Rires sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP), qui est dépourvue d’outrance, nuancée et qui donne une photographie très exacte de la manière dont vous abordez les questions budgétaires et fiscales. (Mêmes mouvements.)
Vous demandez, monsieur le député, quand nous allons baisser les charges qui pèsent sur les entreprises et vous posez la question de savoir si nous le faisons dès ce budget. Oui, nous le faisons dès ce budget ! (Vives protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) C’est cette majorité qui a baissé de 20 milliards d’euros les charges sur les entreprises avec le crédit d’impôt compétitivité emploi, ce que vous n’avez pas été capables de faire en dix ans (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et que nous, nous faisons, non pas en reportant la totalité de la charge sur les Français à travers une augmentation massive de la TVA que d’ailleurs vous voulez poursuivre, mais par des économies en dépenses.
Mme Anne Grommerch. C’est faux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les économies en dépenses, c’est nous qui les faisons pour réduire les déficits…
M. Yves Censi. Vous détenez le record mondial de la dépense !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …alors que vous les avez constamment augmentées. Nous le faisons aussi, c’est vrai, par l’augmentation de la fiscalité écologique qui est une fiscalité juste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) que vous n’avez pas été capables de mettre en œuvre. Nous le faisons également par une augmentation de la TVA de 6 milliards, là où vous proposiez une augmentation de 13 milliards et alors que M. Copé propose, par ordonnance, une augmentation supplémentaire de la TVA de 20 milliards, ce qui correspondrait à quatre points d’augmentation de la TVA pour les Français. Voilà ce que nous faisons, voilà ce que vous proposez. Et au moment, où nous nous apprêtons à voter le budget pour 2014, les Français qui nous entendent sauront faire la différence.
M. Claude Goasguen. Vous représentez 20 % !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce n’est pas dans l’outrance, ce n’est pas dans le mensonge des chiffres, ce n’est pas dans la caricature, la manipulation, les mensonges que l’on retrouvera l’espoir,…
M. Claude Goasguen. Vous n’êtes pas audibles !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …mais dans la volonté qui est la nôtre de rétablir les comptes à travers une fiscalité juste et en rétablissant nos comptes par les économies en dépenses. C’est ce que nous faisons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, et RRDP. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Yves Blein, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Yves Blein. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.
Cet hémicycle résonne souvent de noms de telle ou telle de nos entreprises, parfois pour saluer leur réussite, d’autres fois pour nous mobiliser autour de leurs difficultés. L’économie sociale et solidaire, qui constitue pour l’économie française un secteur essentiel, y est pourtant peu évoquée alors qu’elle compte quelque 22 000 entreprises, que ses coopératives emploient plus de 300 000 personnes, ses associations 1,8 million de salariés, et que ses mutuelles protègent 38 millions de sociétaires.
Nous aurions pu nous réjouir, par exemple, que la SCOP Chèque Déjeuner, devenue numéro trois mondial des titres-restaurant, soit parvenue à s’implanter en Amérique latine en rachetant le numéro un mexicain du secteur. Toutes ces entreprises démontrent la vitalité d’une économie fondée sur les personnes et non sur les capitaux. Un journaliste disait récemment des entreprises de l’économie sociale qu’elles ont en commun de civiliser l’économie, de la démocratiser et de montrer que l’enrichissement personnel n’est pas le seul motif qui puisse donner envie d’entreprendre.
La promesse que porte l’économie sociale, celle de développer un modèle qui, bien sûr, répond à un marché, mais qui privilégie la personne plutôt que le profit financier, reçoit aujourd’hui un accueil très favorable des Français. Les entreprises de ce secteur ont pourtant besoin d’être soutenues :…
M. Marc Le Fur. Qu’en est-il de l’ouverture du CICE aux coopératives ?
M. Yves Blein. … besoin d’investir pour se développer, besoin d’innover au plus près des territoires, besoin de chercher pour mieux exploiter les champs nouveaux, besoin aussi parfois de se mobiliser pour assumer des défaillances d’entreprises et permettre à des salariés de relever le pari stimulant d’entreprendre ensemble.
La création d’un ministère délégué à l’économie sociale et solidaire au sein du ministère de l’économie a suscité dans notre pays, monsieur le ministre, un réel espoir pour qu’enfin l’économie sociale et solidaire dispose, comme l’ensemble de l’économie, d’outils appropriés à son développement.
Monsieur le ministre, le Sénat vient d’adopter votre projet de loi en première lecture. Pouvez-vous nous faire un point d’étape sur les principaux chantiers que vous avez ouverts à travers ce texte ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.
M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur Blein, au milieu du tumulte du débat fiscal et budgétaire, je veux vous remercier de votre question, car elle me donne l’occasion de parler d’une économie qui va plutôt bien et à laquelle le Gouvernement a décidé de permettre de changer d’échelle.
Nous parlons des acteurs historiques de l’économie sociale et solidaire : coopératives, associations, mutuelles, fondations, pour lesquelles nous avions besoin de nouveaux instruments de développement et de financement, afin de permettre une sorte d’alignement des planètes qui n’existait pas jusqu’à présent, ce secteur étant essentiellement soutenu par les territoires et les collectivités locales.
Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire a été voté par le Sénat, grâce à toutes les formations de gauche, et soutenu par les cinq confédérations syndicales salariées.
M. Éric Straumann. Et le CICE pour les coopératives ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il vise à sécuriser la subvention inscrite dans la loi, qui permettra demain aux collectivités de continuer à financer les projets associatifs plutôt que de recourir à la mise en concurrence.
M. Franck Gilard. Qui contrôlera les subventions aux associations ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il propose la création de certificats mutualistes, instruments de fonds propres qui permettront aux mutuelles de développer leurs projets d’investissement.
Il permettra à l’ensemble du monde coopératif, en particulier les sociétés coopératives et participatives, les SCOP, de se développer grâce à la création d’un nouveau droit pour tous les salariés dans les entreprises de moins de 250 salariés : le droit d’information préalable en cas de vente de l’entreprise. Ainsi, ils sauront ce qui va advenir et seront en mesure de formuler une offre.
Au-delà, le Gouvernement a fait le choix de ne pas enfermer le périmètre de l’économie sociale et solidaire à l’intérieur de fils barbelés. Il a voulu polliniser l’économie classique à partir de ceux de ses principes qui ont montré leur résilience en période de crise, afin de faire bénéficier les grands mouvements d’entrepreneurs sociaux de la reconnaissance qui leur manquait jusqu’à maintenant. Ainsi, grâce à vous, des sociétés commerciales pourront désormais faire partie de l’économie sociale et solidaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Durant cinq ans, vous n’avez eu de cesse, en tant que président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, de dénoncer la politique de l’ancienne majorité vis-à-vis des territoires ruraux. Mais où sont aujourd’hui les réouvertures de tribunaux ? Où sont les réouvertures de perceptions ? Où est le changement ? Où est le rêve socialiste ? Qu’avez-vous fait depuis dix-huit mois ? Rien, sauf des colloques, des forums, des rapports et des commissions !
Pire, vous avez démoli ! Qui a programmé la baisse des dotations aux collectivités locales ? C’est vous ! (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Qui a décidé de supprimer l’aide technique de l’État aux petites communes ? C’est vous ! (Même mouvement.) Qui a décidé la modification des rythmes scolaires qui affectent les communes rurales ? C’est vous ! (Même mouvement.) Qui remet en cause l’exonération des charges sociales en zone de revitalisation rurale ? C’est encore vous ! (Même mouvement.)
Je parle au nom de ces 11 millions d’habitants qui représentent 80 % du territoire et que vous maltraitez ! Je parle au nom de ces 20 000 maires ruraux, aujourd’hui réunis en congrès, qui ne ménagent ni leur temps ni leur peine, pour moins de 500 euros par mois. Ces maires qui crient aujourd’hui leur exaspération face aux normes sur lesquelles vous ne faites rien et face au redécoupage cantonal, véritable charcutage électoral qui détruit la ruralité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)
Nous, élus UMP, ne vous laisserons pas faire et nous saisirons le Conseil d’État de plus de mille recours ! Nous ferons capoter votre réforme pour sauver l’avenir de la ruralité ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui totalement hors sol : vous n’entendez plus les citoyens ni les territoires, pas même vos préfets qui vous communiquent pourtant des notes confidentielles. Vous n’avez apprécié ni les « bonnets rouges » ni les « bonnets bleus ». Par votre politique vous conduisez à des blocages et allez jusqu’à susciter des réactions désespérées !
Ressaisissez-vous ! Arrêtez de stigmatiser les territoires ruraux et d’en faire les parias de la société ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, jeudi soir, dans cet hémicycle, nous avons longuement abordé ces sujets – mais vous ne pouviez pas tous assister à nos débats, je le sais. En dehors de tout ce que nous avons pu assurer aux villes de France, nous avons tenu à rappeler, au cours de cette séance, que la dotation de solidarité rurale augmente de 4 %, et qu’avec l’accord du Premier ministre plusieurs millions d’euros pris sur les crédits de mon ministère ont été transférés vers le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT, en faveur d’une dotation spécifique pour les bourgs ruraux.
Mais de tout cela vous êtes sans doute parfaitement informé, puisque Mme Duflot vous a confié une mission sur ces sujets. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.) Vous venez il y a quelques semaines de lui rendre un rapport, et je m’étonne que vous ne soyez pas venu à la séance de jeudi dernier pour nous aider à travailler sur la péréquation entre communes et intercommunalités, questions qui ont été au cœur de nos débats.
Ensuite, monsieur le député, dois-je vous rappeler que vous étiez engagés aux côtés d’une majorité qui souhaitait baisser de plusieurs milliards d’euros les dotations des collectivités ? Nous nous sommes arrêtés à zéro en 2012, puis à 1,5 milliard en 2014.
Enfin, je remercie tous les membres de la majorité et les quelques membres de l’opposition qui ont tenté, jeudi dernier, d’affiner nos critères de répartition afin que jamais les maires ruraux ne se sentent abandonnés !
M. Éric Straumann. Et l’application de la réforme des rythmes scolaires !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’espère que, lors des prochaines séances où il sera question du FNADT, de la dotation de solidarité rurale, de la péréquation, vous serez avec nous aux côtés des maires ruraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Louis Touraine. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du développement. Monsieur le ministre, le 1er décembre sera, comme chaque année, la Journée mondiale de lutte contre le sida. Peu après se tiendra, à Washington, la Conférence des pays donateurs du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Depuis la découverte du virus VIH par l’équipe de l’Institut Pasteur, notre pays n’a cessé de se mobiliser contre cette maladie et d’apporter des thérapeutiques toujours plus efficaces à l’ensemble des patients.
La France s’honore d’être l’un des pays fondateurs du Fonds mondial. Depuis sa création, elle a toujours été le deuxième donateur après les États-Unis. Ramené au nombre d’habitants, ce chiffre place la France, de loin, au premier rang des contributeurs au Fonds mondial.
À l’occasion de la Conférence internationale de juillet 2012, le nouveau Président de la République, François Hollande, affirmait : « Arrêter l’épidémie de sida dans le monde, c’est possible. » En novembre 2012, aux États généraux des élus locaux contre le sida, il précisait : « La France veut la fin du sida, et elle s’en donnera tous les moyens. C’est une des priorités [de] la politique de la France : contribuer à un accès universel aux traitements. » De fait, si toutes les personnes séropositives dans le monde étaient traitées avec efficacité, la transmission du virus serait très réduite et il n’y aurait presque plus de nouvelles contaminations.
La participation de la France à cet effort international contribue au rayonnement de notre pays, grâce au financement du Fonds mondial, d’UNITAID, du programme ESTHER, et grâce à l’« Initiative 5 % », par laquelle la France mobilise de grands organismes comme l’ANRS ou les Instituts Pasteur pour une aide directe dans certains pays d’Afrique ou d’Asie. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si, malgré les contraintes budgétaires, la France continuera à porter cette grande ambition pour la santé dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du développement.
Quelques députés du groupe UMP. Qui est-ce ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. Monsieur le député Touraine, je vous remercie de poser une question sur un sujet qui peut nous réunir bien au-delà de nos différences politiques. Le Fonds mondial est effectivement en partie une création française, qui remonte à dix ans. Je veux rendre hommage à l’engagement du président Chirac qui, à l’époque, a tout fait pour que ce Fonds existe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Reitzer. Vous l’avez reçu en héritage !
M. Pascal Canfin, ministre délégué. Je voulais également rendre hommage à l’engagement du président Sarkozy, qui a largement contribué au fait que la France soit le deuxième contributeur au monde à ce fonds. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !
M. Jean-Louis Costes. Canfin, Premier ministre ! (Sourires.)
M. Pascal Canfin, ministre délégué. C’est la raison pour laquelle nous pouvons nous retrouver sur cette question. Je voulais vous dire, pour répondre précisément, que la France continuera évidemment d’être au rendez-vous de cet extraordinaire défi : un monde sans sida !
Un monde sans sida, c’est possible : 34 millions de personnes vivent encore avec le virus mais, grâce aux progrès de la science, nous savons qu’imaginer un monde sans sida n’est plus une utopie.
M. Jean-Luc Reitzer. Voilà qui n’est pas sectaire : c’est appréciable !
M. Pascal Canfin, ministre délégué. C’est précisément parce que cela est possible que nous avons décidé de maintenir à hauteur de 1,08 milliard d’euros notre contribution budgétaire pour les trois ans qui viennent au Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. C’est un engagement très fort, dont nous pouvons être fiers sur le fond ; mais nous pouvons aussi en être fiers parce qu’il est financé notamment par la taxe française sur les transactions financières.
Le fait d’être le premier pays au monde, la première majorité politique au monde qui prend de l’argent sur les marchés financiers pour l’affecter à la lutte contre le sida, c’est quelque chose dont, collectivement, nous pouvons et nous devons être fiers ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste ainsi que sur quelques bancs des groupes UMP et UDI.).)
M. le président. La parole est à M. Arnaud Robinet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Arnaud Robinet. Monsieur le Premier ministre, une fois de plus, votre gouvernement a réussi à faire l’unanimité contre lui ! (« Eh oui ! » sur divers bancs du groupe UMP.) Maires, enseignants, parents d’élèves : la fronde contre votre passage en force sur la mise en place des nouveaux rythmes scolaires prend chaque jour un peu plus d’ampleur. Mais vous serez bien vite confronté à cette réalité que vous refusez de voir, et pas plus tard qu’aujourd’hui, à l’occasion de l’ouverture du Congrès des maires, lorsque les élus locaux vous témoigneront de ce fossé abyssal que vous creusez chaque jour un peu plus entre vous et les Français. Le Président de la République ne s’y est pas trompé, en refusant de s’y rendre par peur d’essuyer une bronca ! (« Ouh ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)
Sur ce sujet, quelle est la réalité du terrain ? Animateurs non formés, familles et enfants déboussolés,…
M. Jean-Paul Bacquet. C’est vous qui êtes déboussolé !
M. Arnaud Robinet. …locaux insuffisants, et un manque de moyens financiers que vous refusez de voir. L’État contribue à hauteur de 50 euros par élève, alors qu’au moins 150 euros seraient nécessaires. En tout, 500 millions d’euros manquent à votre financement.
Résultats : vous allez créer des inégalités profondes entre villes riches et villes pauvres, entre communes rurales et grandes agglomérations ; vous humiliez les enseignants, les parents, les enfants ; vous mettez en péril le budget de nos communes. Aujourd’hui, pour les maires et les contribuables, la réforme Peillon s’écrit « payons » ! (Sourires sur divers bancs.)
Cette réforme n’est pas mûre. Monsieur le Premier ministre, la politique idéologique doit être remise au placard. Alors écoutez et ouvrez les yeux. Aujourd’hui 69 % des Français sont pour l’annulation ou le report de votre réforme.
Laissez aux communes le choix d’appliquer ou non votre réforme, c’est tout le sens de la proposition de loi déposée par Xavier Bertrand et certains de nos collègues sur les bancs de l’opposition.
Ma question est simple. Sur ce sujet comme sur d’autres, vous naviguez à vue : allez-vous, oui ou non, entendre ce que les élus de France, le corps enseignant et les familles vous disent, et revenir sur cette réforme que vous voulez imposer à tout prix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ils n’entendent rien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député Robinet, je pense que vous partagez sans difficulté avec nous l’idée qu’il est important aujourd’hui de permettre à tous nos enfants la réussite.
M. Éric Straumann. Ce n’est pas comme cela qu’on va y arriver !
M. Vincent Peillon, ministre. Pour ce faire, nous devons prendre un certain nombre de mesures, parfois courageuses.
M. Éric Straumann. C’est une catastrophe !
M. Vincent Peillon, ministre. Il faut d’abord créer des postes. Je regarde avec intérêt la situation de votre académie : 350 postes supprimés dans l’académie de Reims en 2011, 330 postes supprimés en 2012, et cette année : 10 postes créés ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il faut ensuite être capable de former ces enseignants, il faut être capable de revoir les programmes,…
M. Arnaud Robinet. Ce n’est pas la question !
M. Vincent Peillon, ministre. …et il faut être capable de donner aux élèves un temps scolaire utile et efficace, c’est-à-dire cinq demi-journées de classe par an : c’est ce que vous aviez eu quand vous étiez élève, et ce que les enfants de France – les seuls au monde ! – n’ont plus depuis quatre ans !
M. Philippe Meunier. On attend toujours la réponse à la question !
M. Vincent Peillon, ministre. Apprenez qu’un certain nombre de collectivités territoriales, souvent rurales – 80 % dans le Gers, 80 % dans la Haute-Vienne –,…
M. Christian Jacob. Et à Strasbourg ?
M. Vincent Peillon, ministre. …parfois même dirigées par des personnalités de l’opposition, ont réussi ce passage. Je vous encourage donc à prendre contact avec elles pour leur demander comment elles ont réussi à le faire,…
M. Yves Censi. Elles paient !
M. Vincent Peillon, ministre. …les bonnes volontés qu’il a fallu mobiliser, les priorités, le travail avec les équipes enseignantes et avec les associations. Je serai jeudi au Congrès des maires ; ce sera l’occasion d’écouter les uns et les autres, ceux qui veulent vous faire profiter de leur expérience et de leur volonté d’arranger la situation des élèves de France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Le Ray, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Philippe Le Ray. Monsieur le Premier ministre, vous le savez ce sont les entreprises qui créent l’emploi, qui créent la richesse. Cela passe évidemment par la compétitivité et l’innovation, mais aussi par des choix politiques forts, des choix courageux. Malheureusement, votre Gouvernement est embourbé dans ses contradictions, son overdose fiscale et son improvisation.
Vous n’avez toujours pas pris la mesure des difficultés rencontrées dans le pays, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de l’ostréiculture et de l’agroalimentaire. Nous assistons dans nos régions à la régression de ces secteurs, asphyxiés par les charges et les contraintes.
Vous suspendez l’écotaxe, mais pour combien de temps ? En parallèle, vous avez fait voter discrètement plus de 4 milliards d’euros de taxe carbone et de contribution climat énergie sur le fuel et le gaz, c’est-à-dire sur le dos de ces mêmes contribuables.
Monsieur le Premier ministre, plutôt que de faire diversion avec des « plans d’avenir » ou avec une réforme de la fiscalité, cette fois prévue pour 2015, pourriez-vous déjà assumer le présent en respectant vos engagements ?
II y a plus d’un an, vous nous promettiez une simplification administrative et une harmonisation des règles sur les installations classées : promesse non tenue.
M. Charles de La Verpillière. S’il n’y avait que celle-là !
M. Philippe Le Ray. Il y a quelques mois, vous nous promettiez une pause dans l’étranglement fiscal : promesse non tenue. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous tenir vos engagements ? Il y a urgence. Arrêtez de gagner du temps, sinon plus personne ne vous croira et malheureusement, les mouvements de protestation continueront à se développer. Après les pigeons, les bonnets rouges, hier les bonnets blancs, vous aurez demain les sacrifiés, les asphyxiés et – pourquoi pas ? – les étranglés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, je voudrais, en quelques mots, rappeler l’ensemble des mesures qui ont été prises en faveur des entreprises au cours des derniers mois, et dont la très grande partie figure dans le projet de loi de finances que vous allez être amenés à voter dans quelques minutes.
La première mesure est l’allégement net de charges qui a été décidé par le Gouvernement à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi. Comme nous en avons beaucoup parlé lors de cette séance, je n’y reviendrai pas. Il s’agit d’un allégement net de charges puisque ce qui est fait par le Gouvernement n’a pas vocation, contrairement à la TVA sociale, à être récupéré par le biais de l’impôt sur les sociétés.
La deuxième mesure est la diminution des prélèvements obligatoires sur les entreprises, puisque nous n’avons pas renouvelé la totalité de ces prélèvements l’an dernier : ce sont près de 2 milliards d’euros de moins qui sont prélevés sur les entreprises cette année par rapport au budget de l’an dernier. Il y a donc, les organisations patronales le reconnaissent, une diminution, tant des charges que des prélèvements obligatoires sur les entreprises à la faveur de ce budget pour 2014.
Ensuite, nous prenons des mesures nouvelles, qui ont fait l’objet d’une large concertation avec le monde des entreprises. Je pense à la réforme des plus-values sur les valeurs mobilières, qui met en place un régime fiscal très incitatif pour ceux qui ont investi durablement dans les PME-PMI innovantes. Je pense à la réforme des jeunes entreprises innovantes, qui revient sur la disposition relative à la dégressivité des cotisations sociales, mauvaise manière qui avait été faite à ces entreprises en 2011. Je pense à la réforme des amortissements pour les investisseurs qui font des efforts de robotisation. Je pense à la grande réforme de l’assurance-vie qui a fait l’objet d’un compromis, d’un consensus, d’un travail non seulement avec les associations d’épargnants, mais aussi avec les assureurs, et qui est destinée à orienter davantage les fonds vers le financement des PME, PMI et ETI. Je pense à ce que nous avons décidé de faire à travers le plan d’investissement d’avenir, qui permettra aux entreprises de reconstituer leurs fonds propres.
Telles sont toutes les dispositions du projet de budget pour 2014 en faveur des entreprises. Compte tenu de vos inquiétudes, vous allez le voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Gaby Charroux. Monsieur le Premier ministre, vous êtes venu à Marseille le vendredi 8 novembre. Votre visite était attendue et vous y avez fait des annonces qui l’étaient tout autant. Nous demandions d’ailleurs, depuis des mois et des années, la solidarité nationale envers cette ville qui souffre de retards importants.
Vous avez également fait des annonces relatives à la métropole Aix-Marseille-Provence. Deux ont particulièrement retenu notre attention. Vous avez dit : « Rien ne pourra se faire sans les maires concernés » et : « La métropole n’a pas vocation à s’occuper de tout, mais de ce qui n’est pas bien fait aujourd’hui : les transports, l’économie et l’environnement ». Vous avez même ajouté : « Elle doit se limiter à des compétences stratégiques globales ».
Je vous en remercie car, depuis deux ans, de nombreux maires du département ne disent rien d’autre que cela. Malheureusement, ces propos ne sont pas en cohérence avec le projet de loi qui a été débattu ici même au mois de juillet dernier, notamment avec son article 30 bloquant toute restitution aux communes ou aux conseils de territoire les compétences de proximité majeures que sont, par exemple, le foncier, la gestion des déchets, l’habitat ou l’eau.
La veille de votre venue, face à un habitant de ma commune, vous avez cependant pris l’exemple de la gestion de l’eau et de l’assainissement à Nantes pour expliquer que cette compétence devait rester dans la proximité, et Mme la ministre de la décentralisation s’est dite disposée à revoir cette question dans les meilleurs délais.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre de la décentralisation, une deuxième lecture du projet est prévue dans les premiers jours du mois de décembre. Quelles dispositions comptez-vous prendre afin de déverrouiller ce texte et de le rendre compatible avec les intentions affichées en ce début de mois à Marseille ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, cela fait plusieurs mois que vous suivez avec attention le dossier, et votre apport est important. Vous nous avez notamment montré que la protection du foncier est déjà parfaitement organisée dans certaines parties du territoire.
Le Premier ministre s’était engagé à ce que la création de la métropole Aix-Marseille-Provence s’accompagne d’avancées concernant le port, les grands chantiers ferroviaires et routiers, les transports interurbains et un certain nombre de dossiers industriels. Il est venu dire que ces engagements seraient tenus, ainsi que sur les dotations des communes.
Votre question porte sur la gestion de proximité assurée par les maires. Il nous a semblé dès le départ – et cela a fait l’objet de longs débats avec ceux des communes de la future métropole – que, plutôt que de faire un troisième étage, mieux valait en faire deux, c’est-à-dire avoir un seul EPCI qui rassemble tous les maires, afin qu’ils ne soient pas représentés par d’autres. De ce fait, seules quelques grandes compétences seront transférées à la métropole, et je vous accorde – c’est vous qui avez mis le doigt sur cette difficulté – que faire prendre en charge par la métropole des dossiers tels que celui des inondations, de la gestion des eaux pluviales, nous entraînerait trop loin, et nous devons trouver une réponse juridique à votre question. Le Premier ministre m’a demandé de le faire au cours des deux années de préfiguration, et si possible d’ici le projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2014 (nos 1428 à 1435 ).
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. La Commission européenne a validé vendredi le projet de budget de la France pour 2014, estimant qu’il était en ligne avec les exigences du pacte de stabilité et avec la recommandation adressée à notre pays.
Si la Commission européenne est satisfaite, les peuples d’Europe font quant à eux l’amère expérience de l’inefficacité des politiques d’austérité, qui étouffent toute ambition de progrès et de développement. La doctrine en vogue est que souffrance et privation jalonnent un chemin de croix nécessaire pour lutter contre la crise économique.
On nous assène que les déficits budgétaires aboutissent à l’escalade des taux d’intérêt et que la rigueur favoriserait l’emploi. C’est pourtant le contraire que les Français observent : le chômage croît et les restrictions budgétaires plombent notre économie. Le PIB a ainsi reculé de 0,1 % ce dernier trimestre et les perspectives de croissance restent pour le moins modestes.
M. Jean-Luc Laurent. Ça, c’est vrai !
M. André Chassaigne. Devant ce constat, le Gouvernement a décidé que l’unique planche de salut consistait à accroître la concurrence en baissant le coût du travail et en augmentant le volume des aides aux entreprises.
Bien que les entreprises disposent déjà de six mille aides, qui représentent un coût de 110 milliards d’euros par an, vous avez fait le choix de leur accorder 20 milliards d’euros supplémentaires, avec le crédit d’impôt compétitivité-emploi : une aide sans contreparties financières, une aide sans contreparties industrielles, financée par une hausse de la TVA, par de nouvelles hausses d’impôts et par des coupes claires dans les budgets.
Ces choix ne créent pas seulement le trouble parmi toutes celles et tous ceux qui ont placé leurs espoirs dans le changement politique en mai 2012, ils exacerbent le sentiment d’injustice chez nos concitoyens. Après dix années d’une politique de droite désastreuse, les Françaises et les Français attendaient de l’élection de François Hollande l’apaisement des tensions sociales et le rétablissement de la justice fiscale et sociale. Ils ont aujourd’hui le sentiment que rien ne change, que les gouvernements se succèdent et poursuivent le même ordre du jour. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
L’ordre du jour fixé par Bruxelles et les marchés financiers, sans égard pour leurs difficultés et leurs attentes !
M. Jean-Luc Laurent. Très bien !
M. André Chassaigne. Nous voyons bien comment la droite, le Medef, l’extrême droite instrumentalisent le mécontentement populaire, pour mieux briser les fondements de la solidarité et propager une révolte antifiscale.
Disons-le : les forces de gauche sont aujourd’hui face à une responsabilité historique, celle de redonner espoir à nos concitoyens, en se fixant pour priorités le combat contre les inégalités, le combat contre la destruction de l’emploi, le combat pour le progrès social. Cela ne peut se faire sans un profond changement de cap.
En matière budgétaire, la priorité est d’engager une grande réforme fiscale, mais pour rendre l’impôt sur le revenu réellement progressif, de façon, comme disait Jaurès, à « doter vraiment et substantiellement les grandes œuvres de solidarité sociale ». Taxer le capital et les transactions financières, cesser d’épargner les plus hauts revenus, lutter contre l’évasion fiscale, remettre à plat toutes les exonérations fiscales et sociales.
Certes, nous notons avec satisfaction les progrès réalisés en matière de lutte contre les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale. Nous n’ignorons pas non plus les difficultés léguées par la majorité précédente. Ce que nous contestons, en revanche, c’est votre obsession de la réduction des déficits et de la compétitivité à tout prix.
M. Jean-Paul Bacquet. Il est vrai que l’ex-URSS a donné l’exemple, en matière de déficit !
M. André Chassaigne. Cette logique vous conduit à signer des chèques en blanc aux entreprises, y compris celles qui sacrifient l’emploi, et à ne rien entreprendre pour relever les salaires et soutenir la demande.
Pierre Mendès France affirmait qu’en période de sous-emploi, « il ne faut surtout pas courir après l’équilibre budgétaire ».
M. Jean-Paul Bacquet. Oh ! là là ! Vous, vous citez Mendès ?
M. André Chassaigne. Pierre Mendès France citait l’exemple désastreux du chancelier allemand Brüning qui, en 1930, théorisa l’idée qu’il ne fallait pas s’occuper du chômage tant qu’on n’avait pas résorbé les déficits. C’était le « pain noir » : le « pain blanc » devait venir après. On sait ce qu’il en fut…
M. Jean-Paul Bacquet. Ce sont des amalgames !
M. André Chassaigne. Vous croyez que le redressement de la France viendra de la fuite en avant dans la concurrence internationale. Nous avons, au contraire, la conviction que ce redressement viendra d’une meilleure répartition des richesses, en mettant fin au pillage des richesses orchestré par la sphère financière. Redonnons pour cela toute leur force aux principes d’égalité, de justice et de solidarité, ces principes qui forment le ciment du pacte républicain. C’est par fidélité à cette exigence que les députés du Front de gauche voteront contre le présent projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Dominique Lefebvre. Le vote du budget est, nous le savons tous, un moment de vérité, un moment qui donne sens.
Après un premier vote, le 22 octobre dernier, sur le volet des recettes et l’article d’équilibre, nous adopterons dans quelques instants les crédits des missions et programmes budgétaires, ainsi que diverses dispositions fiscales de portée générale, et nous en aurons donc terminé avec la première lecture de ce projet de loi de finances pour 2014.
C’est d’abord un moment de vérité sur la situation et sur les perspectives de nos finances publiques. La vérité, c’est que nous avons dû faire face, au printemps 2012, à une situation extrêmement dégradée de nos comptes publics, non seulement en raison de la crise financière de 2008-2009, mais aussi et surtout des errements répétés de la gestion des gouvernements de droite depuis 2002. Deux chiffres illustrent parfaitement cette gestion : celui de la dette publique, qui aura augmenté de 900 milliards en dix ans et de pas moins de 600 milliards sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et celui du déficit structurel, qui s’est dégradé à partir de 2006, pour dépasser les cinq points de PIB en 2011.
La vérité, c’est que grâce aux efforts réalisés par nos concitoyens et par nos entreprises, nous avons depuis redressé la situation, puisque le déficit nominal qui était de 5,3 % en 2011, a été de 4,8 % en 2012, sera de 4,1 % en 2013 et devrait être de 3,6 % en 2014.
M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Eh oui ! Il a raison.
M. Dominique Lefebvre. La vérité, c’est aussi et surtout que nous avons fait en 2012 et 2013 un effort structurel très important, de plus de trois points de PIB, effort qui se poursuivra en 2014 à hauteur de 0,9 point, soient quatre points d’effort structurel, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’à présent.
La vérité, c’est d’assumer que cet effort structurel a d’abord porté sur les recettes, ce qu’avaient fait nos prédécesseurs à hauteur de 30 milliards en 2011 et 2012, ce que nous avons fait également, à la même hauteur mais dans un souci de justice fiscale et d’efficacité économique.
La vérité est surtout de dire que le budget pour 2014 marque une rupture avec le passé, puisque cet effort structurel portera essentiellement sur la maîtrise de la dépense publique, à hauteur de 15 milliards, les prélèvements fiscaux supplémentaires se limitant à 1 milliard, soit une quasi stabilité des prélèvements obligatoires.
Nous tenons donc les objectifs de redressement de nos comptes publics dans la justice et le sérieux budgétaire, un sérieux budgétaire qu’il ne faut pas confondre, mes chers collègues, avec l’austérité. Nous tenons ces objectifs, non parce qu’ils s’imposeraient en soi, mais parce qu’ils ont un sens. Ce sens, c’est celui du retour de la croissance et de la préservation du modèle social français que la persistance des déficits publics remettrait en cause.
Le vote du budget est aussi un moment de vérité sur la situation de notre économie et de l’emploi, et sur leurs perspectives. Là encore, la vérité oblige à rappeler qu’en moyenne, sur les cinq dernières années, la croissance a été nulle en France, avec ses conséquences sur l’augmentation continue du chômage, mais aussi sur la dégradation de nos finances publiques.
La vérité conduit à constater que, là aussi, la situation est en voie de redressement, ce qui justifie les choix économiques et budgétaires de notre majorité parlementaire depuis dix-huit mois.
La croissance devrait être de 0,1 et probablement de 0,2 % en 2013, de 1 % en 2014 et de 1,7 % en 2015. Cette reprise est fragile, elle est insuffisante : elle est là et nous devons tout faire pour l’accompagner. C’est ce que nous faisons avec ce budget.
Quant au chômage, son rythme de progression a été divisé par deux ces derniers mois, étape obligée vers l’inversion de la courbe du chômage qui arrivera bientôt.
Il nous faut donc poursuivre sans faiblesse, et au-delà des difficultés conjoncturelles, cette politique économique et budgétaire que les résultats à venir justifieront et légitimeront.
Le vote du budget est aussi un moment de vérité dans l’affirmation de nos priorités. Le cap fixé par le Gouvernement pour 2014, c’est celui de la croissance, de l’emploi et de la transition énergétique. C’est aussi la réaffirmation des priorités pour l’éducation, la sécurité et la justice. Tel est le sens de ce budget.
Ce cap et ces priorités, monsieur le ministre, nous nous étions engagés au début de la discussion parlementaire à les tenir. Nous les avons tenus et nous les avons même renforcés, dans un dialogue riche et fructueux entre notre majorité parlementaire et vous-même : je tiens, monsieur le ministre, à vous remercier de votre disponibilité, de votre écoute et de votre compétence.
Je veux parler, sans les détailler davantage, des mesures de pouvoir d’achat, des mesures confirmées et renforcées pour la compétitivité de nos entreprises, des mesures relatives à la lutte contre la fraude fiscale et à l’optimisation fiscale qui montrent la direction et sur lesquelles nous reviendrons, des mesures sur la transition énergétique.
Le vote du budget est, enfin et surtout, un moment de vérité pour chacun des groupes politiques qui composent notre Assemblée. De ce point de vue, je constate et je regrette comme vous que ce soit une nouvelle fois une occasion manquée par l’opposition d’être en vérité avec elle-même. La vérité m’oblige à dire que non seulement l’opposition n’a toujours pas commencé son devoir d’inventaire, mais qu’elle s’est complu dans une posture d’irresponsabilité totale et d’incohérence poussée à l’extrême, allant même jusqu’à dénoncer ce qu’elle avait voté hier. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pour notre majorité parlementaire, c’est aussi un moment de vérité : celui de l’expression, au-delà de nos sensibilités et des débats légitimes qui nous animent, de la cohérence de nos choix politiques et de la cohésion. Cette cohérence et cette cohésion, déjà exprimées une première fois le 22 octobre dernier, nous allons les exprimer à nouveau aujourd’hui, comme nous les exprimerons à l’avenir dans le débat ouvert par le Premier ministre pour redonner sens à nos politiques publiques et à nos politiques fiscales. Nul ne pourra se dérober à ce débat : chacun sera face à ses responsabilités. C’est pourquoi le groupe SRC votera ce projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Hervé Mariton. Le budget pour 2014, monsieur le ministre, veuillez m’excuser de vous le dire, mais c’est à la fois désastre et mystification.
M. Christian Eckert, rapporteur général. C’est un connaisseur !
M. Hervé Mariton. L’exécution de 2013 dérape de 61 à 72 milliards de déficit, sans que vous ayez l’excuse d’une conjoncture exceptionnelle.
Les recettes s’affaiblissent de plus de 11 milliards d’euros, tant les Français se rebellent contre l’impôt !
Le budget pour 2014, nous l’avons dit et le répétons, est un budget injuste qui s’attaque aux familles : un million et demi d’entre elles paieront davantage du fait de la diminution du quotient familial, près de quatre millions de familles paieront davantage du fait de la remise en cause des droits familiaux en termes de retraite, sans que cela bénéficie au financement des retraites.
Ce budget est inefficace, nous l’avons dit et le redisons. Pour les entreprises, vos allers-retours sont si nombreux qu’elles ne peuvent pas vous faire confiance. Je pense aux « pigeons » que vous avez rassurés pour un temps, après les avoir inquiétés douloureusement, mais aussi au scénario invraisemblable de l’impôt sur l’excédent brut d’exploitation et, plus récemment encore, au vote par votre majorité d’une définition périlleuse de l’optimisation fiscale.
Ce budget est irresponsable. Le recours immodéré à la débudgétisation masque le dérapage des dépenses : 900 millions sur la formation professionnelle, 1,5 milliard d’investissement d’avenir sur la défense, expédient budgétaire, monsieur le ministre, pour financer quoi ? Rien de moins que la dissuasion !
Les évaluations de charges, cela se confirme, sont mal faites et le financement de l’Union européenne a été sous-estimé.
Et nous l’avons dit, mais nous ne sommes plus les seuls à le dire : pas de vraies économies. Vous nous dites que 80 % de l’ajustement budgétaire sont financés par les économies. La Commission européenne elle-même nous dit, le 15 novembre dernier, que c’est assurément moins de la moitié.
Dois-je vous rappeler, monsieur le ministre, ce que vous dit la Commission, de manière diplomatique mais cruelle ? « L’examen en cours des dépenses publiques n’a donné que peu de résultats pour le moment et on ne sait pas encore dans quelle mesure il se traduira par d’importantes économies. On ignore si la réforme annoncée de la décentralisation permettra d’améliorer la situation. Le programme de partenariat économique fournit peu d’informations sur les mesures destinées à faire face à l’accroissement des dépenses publiques de santé. »
D’autres citations pourraient être faites. Quand nous avons contesté vos 15 milliards d’économies, nous avons dit la vérité et, en termes diplomatiques mais sévères et cruels, la Commission vous le démontre.
Et puis, monsieur le ministre, qu’en sera-t-il bientôt, en 2015 ? Les mauvaises nouvelles sont écrites. S’agissant de la contribution climat-énergie, s’annonce une majoration de près de 3 milliards d’euros, puis de 4 milliards en 2016. Un effort structurel, le Haut Conseil des finances publiques l’a démontré, devra être consenti, à hauteur de près de 20 milliards en 2015 et, de nouveau, de 20 milliards en 2016.
Dans ce contexte, le Premier ministre annonce la fuite en avant de la réforme fiscale. Faut-il, dans notre architecture fiscale, changer quelque chose ? Peut-on, doit-on, même, réformer ? Oui, et nous sommes de ceux qui considèrent que la TVA peut être, parfois, une bonne alternative aux charges sociales, mais, aujourd’hui, monsieur le ministre, dans le contexte que nous connaissons, ce débat est malheureusement irrecevable, car les Français n’accepteront d’entendre parler de réforme fiscale que lorsque vous commencerez par vous engager à baisser les impôts et donc, en cohérence, à baisser réellement les dépenses.
Le Premier ministre, tout à l’heure, a fait une proposition aux différents groupes de cette assemblée. Nous ne pourrons participer à un débat sur la réforme fiscale que s’il est précédé, et seulement s’il l’est, d’un engagement clair de baisse des impôts. Les Français ne veulent pas entendre parler d’un changement esthétique de l’architecture fiscale. Les Français veulent, les Français exigent une baisse des impôts !
Alors, vous voulez fusionner l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée. Vous voulez, le rapporteur général en a parlé, introduire la retenue à la source. Qu’en est-il en réalité ? Vous vous êtes rendu compte que l’impôt est devenu douloureux, insupportable pour les citoyens,…
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Hervé Mariton. …et, comme l’impôt est insupportable, vous vous proposez de continuer d’aggraver son prélèvement, mais sous l’effet de l’anesthésie de la retenue à la source. Méfiez-vous, chers collègues ! Méfiez-vous, chers concitoyens ! Cette réforme, c’est d’abord non pas la volonté de diminuer l’impôt – le Gouvernement ne le dit même pas –, non pas la volonté de le rendre plus juste – il ne le ferait pas –, mais celle de faire en sorte que, lorsque vous payez l’impôt, vous vous en rendiez moins compte. Eh bien, cela, nous ne l’acceptons pas !
Le Gouvernement n’a plus la confiance des Français. Il pratique la fuite en avant du grand soir fiscal, et, pour 2014, il nous propose un budget que nous récusons, un budget qui pénalise les Français, un budget qui manque au devoir de redressement de la France. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce deuxième budget du quinquennat de François Hollande est le budget des illusions perdues. Il est socialement injuste et économiquement inadapté, et il ne réduit pas la dépense publique car il manque cruellement des grandes réformes structurelles dont a besoin notre pays.
Tout d’abord, en 2013 tout comme en 2014, il n’y a pas de pause fiscale pour les ménages. L’an dernier, monsieur le ministre, votre prédécesseur a menti…
Un député du groupe UMP. C’était qui ?
M. Charles de Courson. …en prétendant que seuls les riches paieraient ; que, comme l’affirmait le Premier ministre, neuf contribuables sur dix ne seraient pas concernés par les augmentations d’impôts. Les Français ont compris que ce sont les classes moyennes qui auront payé, en 2013, l’essentiel des 14 milliards d’euros d’impôts nouveaux sur les ménages : près de 60 % des ménages ont connu une hausse significative de leurs impôts. Pour 2014, la pause fiscale promise par le Président de la République n’est qu’un mirage : ce sont 12 milliards d’euros d’impôts supplémentaires que les ménages français devront payer. Ainsi, 73 % des Français, 49 % de votre propre électorat socialiste, pensent que votre politique fiscale demande surtout des efforts aux classes moyennes !
Un député du groupe UMP. Très bien !
M. Charles de Courson. Votre politique a d’ailleurs gravement amputé le pouvoir d’achat des ménages, notamment modestes, qui baisse de 1,9 %, en moyenne, cette année. Vous nourrissez le ras-le-bol fiscal qui nourrit lui-même l’extrémisme dans notre pays. Le taux de prélèvements obligatoires ne cessera pas d’augmenter en 2014 ; vous êtes médaille d’argent des pays de l’OCDE, et vous ne tarderez pas à devenir médaille d’or si vous continuez comme cela !
Deuxième point, le matraquage fiscal n’aura pas non plus épargné les entreprises, et ce budget est totalement inadapté à la situation économique du pays. En 2013, les entreprises ont déjà dû faire face à près de 14 milliards d’euros d’impôts de supplémentaires, auxquels s’ajoutent vos mauvaises décisions, notamment relatives à la suppression de la TVA sociale. En 2014, vous avez réussi l’exploit d’instaurer en France le taux d’impôt sur les sociétés le plus élevé de toute l’Europe : 38 % ! Comment voulez-vous redonner confiance aux entreprises avec de telles mesures ? Votre politique est en totale contradiction avec les évolutions européennes ; vous faites de la France une anomalie.
Enfin, en 2014 comme en 2013, les économies que vous prétendez faire seront, pour une large part, factices. Pour 2013, vous aviez annoncé 10 milliards d’euros d’économies ; la Cour des comptes n’en a trouvé qu’un peu plus de 6 milliards, et la part des dépenses publiques dans la richesse nationale va bientôt atteindre 57,1 %, un record historique ! La France a décroché la médaille d’argent des grands pays développés. En 2014, vous renouvelez les fausses économies. Sur ce que vous présentez comme 13 milliards d’euros d’économies, 9 milliards à peine sont des économies réelles. Plus généralement, vous poursuivez la réduction des dépenses d’investissement au lieu de réduire celles de fonctionnement. En conséquence, votre gouvernement va bientôt être gratifié d’une seconde médaille d’or européenne, celle des dépenses publiques.
Monsieur le ministre, votre véritable problème, c’est votre refus de vous atteler aux grandes réformes structurelles dont notre pays a pourtant cruellement besoin : au niveau territorial, en réorganisant notre administration ; au niveau de la fonction publique en reprenant la baisse des effectifs ; au niveau des comptes de la Sécurité sociale, en créant un grand régime unique de retraite sur la base du régime général, avec mise en extinction de tous les régimes spéciaux, et aussi en créant des mécanismes de vraie régulation des dépenses de santé.
Mes chers collègues, tous les voyants sont au rouge. La crise globale de 2008, qui avait eu un impact sur tous les budgets européens, n’est plus en cause, mais le déficit du budget de l’État augmentera de 10 milliards d’euros en 2014, pour atteindre 82 milliards d’euros, et la dette explosera, pour atteindre le niveau record de 95,1 % du PIB, soit 1 950 milliards d’euros, ce qui représente une facture de plus de 30 000 euros par Français. Les zigzags incessants du Gouvernement plongent le pays dans un climat d’insécurité qui tue la compétitivité des entreprises et le moral des Français.
Monsieur le ministre, il est grand temps de prendre les mesures qui s’imposent pour redresser les finances publiques. Nous dénonçons l’aberration que représente le projet de budget pour 2014, et le groupe UDI votera résolument contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, chers collègues, le budget que nous nous apprêtons à voter est l’illustration poussée à l’extrême de la nécessité de la remise à plat de notre fiscalité, annoncée ce matin par le Premier ministre. Chacun perçoit désormais clairement à quel point notre modèle fiscal, vieux de quarante ans, est arrivé à bout de souffle : un impôt sur le revenu mité par les niches, même s’il y a eu des aménagements bienvenus, mais qui restent à la marge ; un empilement de taxes parfois incohérentes, en tout cas illisibles pour nos concitoyens ; un effritement du consentement à l’impôt, exploité par une opposition qui n’est taxophobe que lorsqu’elle n’est pas au pouvoir mais qui ne doit pas être occulté, tant il s’exprime dans le pays.
Ce budget doit donc marquer la fin d’un cycle. La majorité doit maintenant travailler à rendre l’impôt compréhensible, plus juste, plus cohérent et plus efficace. Soyez-en assurés, les écologistes seront au rendez-vous. L’équilibre général du budget qui nous est soumis traduit une aspiration profonde, une obsession du Gouvernement et de la majorité parlementaire, qui rejoint celle des Français : offrir à des centaines de milliers de Français un emploi, un revenu et une vie normale. Cela nous impose de relever trois défis : réduire la dette pour retrouver des marges de décision sans dissoudre l’action publique dans l’austérité ; dynamiser l’économie, notamment l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, l’économie sociale et solidaire, l’innovation, les systèmes intelligents et sobres ; substituer le dialogue au conflit pour retrouver la confiance.
Sur ces bases, nous pouvons analyser le budget 2014 au regard, d’abord, des grands équilibres financiers. La baisse des dépenses est moins importante que prévue : 15 milliards d’euros au lieu de 20. C’est cependant un effort sans précédent, et nous devons saluer le fait que le Gouvernement a pris la décision de ne pas brutaliser notre pays et a convaincu une Commission européenne un peu moins sûre d’elle-même qu’il fallait prendre un peu plus de temps pour réduire les déficits. L’impôt nouveau est limité à deux milliards, au lieu de six ; c’étaient vingt milliards d’euros les deux années précédentes. Enfin, les mesures de lutte contre la fraude et la restauration de l’assiette fiscale doivent engendrer deux milliards de recettes nouvelles et autant d’impôt en moins. La réduction des déficits passe aussi par là. Il n’est pas admissible que nos concitoyens doivent subir des augmentations d’impôts et des reculs du service public parce que certains échappent à leur obligation fiscale et refusent de contribuer au pot commun.
Concrètement, la loi de finances 2014 s’attaque aux transferts de bénéfices à travers lesquels des multinationales réduisent anormalement leur impôt grâce aux filiales implantées dans les paradis fiscaux. Ces nouveaux dispositifs fiscaux rendent illégal ce qui n’était jusqu’à présent qu’immoral. La France doit agir pour engager la Commission européenne sur cette troisième voix, afin qu’elle fixe enfin une trajectoire de résorption de l’évasion fiscale pour chaque pays. Sans cela, il n’y aura pas de trajectoire de résorption de la dette acceptable et crédible.
Autre avancée de taille dans ce budget : la contribution climat énergie. Progressive, elle permettra de mieux préparer notre économie et mieux protéger nos concitoyens face à la raréfaction et au renchérissement des ressources.
M. Marc Le Fur. Et l’écotaxe ?
M. Éric Alauzet. Nous regrettons que cette contribution ne soit pas restituée aux ménages, mais comment ne pas voir là comme une révolution ? Fiscaliser davantage l’énergie fossile pour moins taxer l’énergie humaine et le travail : voilà une réponse concrète et intelligente au déficit de compétitivité de notre économie.
Il faut aussi évoquer la politique en faveur du logement, avec de nombreux dispositifs qui vont stimuler la construction et la rénovation : la TVA réduite pour le logement social et pour la rénovation thermique, la prime de 1 350 euros pour la rénovation et le renforcement des moyens de l’ANAH pour lutter contre la précarité énergétique. Ainsi, c’est dans chaque mission que se concrétise l’écologie.
Citons enfin le pacte de confiance avec les collectivités locales. Si celles-ci sont affectées par la baisse de 1,5 milliard d’euros des dotations de l’État, le pacte de confiance, avec, par exemple, près de 850 millions d’euros attribués aux départements, permet de soutenir le financement des trois allocations : vieillesse, handicap et chômage.
Monsieur le ministre, ce budget n’inaugure pas encore ce nouveau cycle tant attendu par les écologistes, mais des signaux importants sont donnés et des perspectives s’ouvrent pour une fiscalité nouvelle. C’est pourquoi nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Annick Girardin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter le projet de loi de finances pour l’année 2014 dans un contexte tout à fait paradoxal. Rarement le débat public se sera autant concentré sur la fiscalité. Rarement l’exaspération aura été aussi prégnante. Et, pourtant, rarement l’augmentation des prélèvements obligatoires inscrite dans une loi de finances aura été aussi faible. En 2011, ils avaient augmenté de 1,2 point de PIB, en 2012 de 1,3 point, en 2013 de 1 point. Pour l’année 2014, cette augmentation est de 0,15 point ; c’est peu. Alors, la pause fiscale ne sera peut-être pas totalement effective avant 2015, mais la décélération fiscale, elle, verra le jour en 2014.
La contestation que connaît notre pays peut donc paraître étonnante. Toutefois, on ne saurait ignorer ni son expression ni ses causes.
La première raison de la contestation, c’est l’incurie de nos prédécesseurs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le ras-le-bol fiscal exprimé par nos concitoyens n’incombe pas tant à la majorité actuelle qu’aux dix années des gouvernements précédents. Le déficit était de 7,5 % du PIB en 2009, et de 7,1 % en 2010. La dette est passée de 64,2 % du PIB en 2007 à 90,2 % en 2012. Nous n’avons aucune leçon à recevoir !
La deuxième source de mécontentement, c’est la juxtaposition de mesures qui irritent un peu tout le monde et ne satisfont personne. L’absence de réforme fiscale d’envergure conduit à revoir constamment un grand nombre de dispositifs fiscaux. Les radicaux de gauche saluent et soutiennent la volonté d’une remise à plat de la fiscalité exprimée par le Premier ministre. Il faut entamer le rapprochement de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Il faut revoir la fiscalité des entreprises en introduisant de la progressivité. Il faut lutter contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises, comme notre assemblée en a pris l’initiative. Cette mise à plat doit aussi clarifier les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales sans attendre la navette parlementaire. Elle devra renforcer la péréquation des recettes procurées par les droits de mutation à titre onéreux pour couvrir l’augmentation des allocations supportée par les conseils généraux.
La troisième cause de mécontentement est le manque de lisibilité. Nos concitoyens ne maîtrisent pas nécessairement les nuances entre une stabilité du taux des prélèvements obligatoires et la mise en œuvre de nouvelles mesures fiscales, ni entre la réduction des dépenses fiscales et la réduction des dépenses budgétaires. C’est une règle qui doit primer, monsieur le ministre : la clarté de nos discours.
Le Parlement n’est pas un cabinet de petits comptables : il vote sur un projet, une ligne directrice, une vision. Le Gouvernement n’a pas à user d’artifices pour présenter le budget aux Français, il n’a pas à rougir de ses choix.
Quatrième source de contestation : le manque d’écoute des diverses sensibilités politiques. La victoire à une élection ne vaut pas plébiscite ; la majorité n’est pas l’hégémonie. La majorité est composée de multiples sensibilités. La diversité de la gauche française est une chance, exploitons-la davantage !
Cinquième source d’inquiétude : la lenteur avec laquelle notre fonction publique évolue. Elle souffre d’un manque de réorganisation, d’un manque de modernisation, d’un manque d’information : il faut aller au bout de la modernisation de l’action publique voulue par le Premier ministre.
Sixième raison de la contestation : le chômage et la baisse du pouvoir d’achat. La crise financière semble apaisée, au prix de mesures qui, comme celle prévue à l’article 60 de ce projet de loi, protègent indûment les banques de leur irresponsabilité passée. Mais la crise économique est à son paroxysme : sans croissance, il ne peut pas y avoir de résorption durable des déficits.
M. Jean-Luc Reitzer. Personne n’écoute !
Mme Annick Girardin. Sans croissance, le chômage ne pourra pas baisser. Rétablir les conditions de la reprise économique, c’est le premier impératif : le Gouvernement – vous en premier lieu, monsieur le ministre – s’y attelle avec courage et persévérance. Le budget de la France pour 2014 trouve le bon équilibre entre la nécessaire maîtrise des finances publiques et l’indispensable soutien à la croissance. La réduction des déficits publics est graduelle : l’objectif de déficit est de 4,1 % du PIB en 2013 et de 3,6 % en 2014.
La réduction des déficits est aussi équilibrée. Lors du vote du budget pour 2013, les députés du groupe RRDP avaient émis de fortes réserves sur la répartition de l’effort de redressement. Cette année, 80 % de l’effort porte sur la dépense, et seulement 20 % sur les recettes : nous nous en félicitons.
Enfin, cette réduction des déficits est juste. En effet, nombreuses sont les dispositions de ce projet de loi qui visent à aider les plus modestes. Le barème de l’impôt sur le revenu est dégelé ; la décote et le revenu fiscal de référence sont revalorisés ; la réduction d’impôt pour les parents d’enfants scolarisés est maintenue.
Pour conclure, ce projet de budget est fidèle aux priorités qui rassemblent les Français et qui façonnent le pacte républicain : l’éducation, l’emploi, la justice et la solidarité.
M. Jean-Luc Reitzer. On ne peut pas vraiment dire que les Français soient rassemblés !
Mme Annick Girardin. Ainsi, les députés du groupe RRDP sont unanimement favorables à l’adoption de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)
M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances pour 2014.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants | 568 |
Nombre de suffrages exprimés | 562 |
Majorité absolue | 282 |
Pour l’adoption | 320 |
contre | 241 |
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)
Présidence de Mme Laurence Dumont
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur les rapports des commissions mixtes paritaires, du projet de loi organique (no 1505) et du projet de loi portant application de l’article 11 de la Constitution.
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, rapporteur des deux commissions mixtes paritaires.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous voici donc arrivés, pour ce qui concerne l’Assemblée nationale, au terme d’une procédure, engagée il y a déjà un certain nombre d’années, qui vise à mettre en œuvre la dernière des dispositions de la révision constitutionnelle de juillet 2008, à savoir ce que l’on a faussement appelé le « référendum d’initiative populaire ».
Sous la précédente législature, du reste, l’opposition avait été réticente, voire hostile à l’adoption de ce projet de loi organique et de ce projet de loi ordinaire, non pas en raison de leur contenu, mais parce qu’ils se contentaient – ils ne pouvaient pas faire autrement – de décliner une disposition constitutionnelle qu’elle jugeait insuffisante, précisément parce qu’il ne s’agit pas d’un référendum d’initiative populaire.
Ce référendum, il conviendrait en effet de l’appeler – bien que la formule ne soit pas tout à fait exacte – « référendum d’initiative partagée », puisque la procédure est initiée par le Parlement, l’initiative populaire accompagnant et complétant l’action parlementaire. Cette initiative conjointe concerne une proposition de loi qui peut traiter, comme le référendum classique, de questions relatives à l’organisation des pouvoirs publics, à la ratification d’un traité ou à une réforme économique, sociale ou environnementale.
La procédure est placée sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui doit s’assurer de la conformité de la proposition de loi à la Constitution, ce qui constitue une nouveauté, puisque, en amont de la procédure législative, c’est habituellement le Conseil d’État qui est compétent. Néanmoins, si celui-ci est obligatoirement saisi lorsqu’il s’agit d’un projet de loi, il ne l’est pas dans le cas d’une proposition de loi. Or, en l’espèce, il s’agit, par définition, d’une proposition de loi.
Le Conseil constitutionnel doit également veiller – c’est l’objet de ces deux projets –à la régularité de la phase de recueil des soutiens citoyens.
Lorsque les conditions sont réunies, le Parlement doit examiner la proposition de loi dans un délai de six mois – délai fixé dans le projet de loi organique. Ce n’est qu’en l’absence d’examen par le Parlement que le référendum devient alors obligatoire. La procédure vise donc moins à déclencher un référendum en tant que tel qu’à mettre à l’ordre du jour des assemblées une réforme législative soutenue par des parlementaires et des citoyens.
Les CMP, à l’issue de la navette, étaient appelées à trouver le meilleur compromis possible sur trois principaux points, qui faisaient encore l’objet de différences, plutôt que de vraies divergences, entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Premièrement, faut-il fixer dans la loi organique un délai maximal pour la convocation du référendum par le Président de la République ? Les dispositions constitutionnelles ne le prévoient pas, mais le texte adopté lors de la précédente législature avait prévu un délai maximal de quatre mois. L’idée était de consacrer dans la loi organique le principe de la compétence liée du Président de la République. Mais dès lors que cette compétence liée apparaît admise par tout le monde et que l’on peine à imaginer le Président de la République refuser, à l’issue de la procédure, d’organiser le référendum alors que toutes les conditions prévues au nouvel article 11 de la Constitution seraient réunies, la CMP a décidé, suivant en cela le Sénat, de supprimer ce délai, dont la constitutionnalité était au demeurant incertaine.
Je rappelle en effet que, même s’il y a un consensus, voire une unanimité, sur ces dispositions, le texte de la loi organique doit être soumis au Conseil constitutionnel, lequel aurait pu juger que la constitutionnalité de cette disposition était incertaine, voire aléatoire.
Deuxièmement, sous quelle forme les citoyens peuvent-ils apporter leur soutien à la proposition de loi ? Pour de multiples raisons, l’Assemblée nationale avait opté pour une procédure exclusivement électronique – via un site internet dédié et sécurisé. Le Sénat souhaitait la compléter par un possible recueil sur papier.
Nous avons discuté de cette question avec nos collègues du Sénat, et en relation permanente avec le Gouvernement. Avec le rapporteur du Sénat, Jean-Pierre Sueur, nous avons proposé à la CMP ce qui est apparu comme un bon compromis : le recueil se fera par la seule voie électronique, mais il sera possible, dans les points publics qui seront mis à disposition des personnes n’ayant pas d’accès à internet, de faire enregistrer sous forme électronique un soutien présenté sur papier.
Le troisième et dernier point à trancher n’était pas le plus facile, si bien que, au-delà de ce qui a été jugé comme opportun par la CMP, la réflexion s’est poursuivie, et je veux, à cet égard, saluer le travail mené par le Gouvernement qui a abouti à l’amendement qui vous sera proposé aujourd’hui. Celui-ci me semble se rapprocher le plus possible de l’esprit de la commande constitutionnelle et de notre volonté. Il permet également au Conseil constitutionnel, garant du bon déroulement de la procédure, de veiller à ce que celle-ci se déroule dans des conditions qui se rapprochent le plus possible de la volonté du législateur constitutionnel.
Il s’agit de la création, que nous jugions opportune, d’une commission de contrôle ad hoc chargée de surveiller les opérations de collecte de soutien et de traiter les éventuelles réclamations. Cette commission de contrôle aurait, en quelque sorte, été chargée d’un rôle d’instruction, préalable à l’intervention du Conseil constitutionnel, qui serait, lui, chargé de déterminer si la proposition de loi a bien recueilli, dans des conditions régulières, le nombre de soutiens populaires requis.
Le Sénat s’est opposé à la création de cette commission, laissant au seul Conseil constitutionnel la mission de contrôler la procédure ; il a ainsi souhaité s’en tenir à la stricte commande constitutionnelle.
Nous avions donc à trouver une solution qui permette de réconcilier les deux points de vue, qui n’étaient pas opposés, mais qui n’allaient pas totalement dans la même direction.
La CMP a dû faire preuve d’imagination, puisqu’il n’était pas simple de supprimer la commission de contrôle, sans pour autant « noyer » le Conseil constitutionnel sous une avalanche de procédures. Le compromis proposé consistait à laisser le Conseil constitutionnel seul compétent pour contrôler la procédure de recueil des soutiens, mais en lui permettant de s’organiser, en interne, de façon à pouvoir répondre à un éventuel afflux de recours.
Nous avions ainsi prévu que des formations internes au Conseil traiteraient les réclamations en premier ressort. Dans notre esprit, elles devaient être présidées par un membre du Conseil constitutionnel. Nous sentions que ces dispositions, même si elles nous avaient permis de rapprocher nos points de vue, n’étaient pas le point d’arrivée que tous espéraient et que le Conseil constitutionnel attendait probablement.
C’est pourquoi le Gouvernement nous présentera un amendement qui va dans cette direction et correspond à la volonté du Conseil constitutionnel. En l’occurrence, cette solution se rapproche beaucoup plus de celle que nous avions initialement formulée que de celle du Sénat. Il s’agit en effet de mettre en place des formations internes au Conseil, mais qui ne seraient pas présidées par un membre du Conseil. Ainsi, nous aurons bouclé la boucle et résolu toutes les difficultés que nous avions à surmonter.
Je crois savoir – vous nous le confirmerez certainement, monsieur le ministre –que nos collègues du Sénat sont prêts à accepter l’amendement qu’au nom de la commission des lois, je propose à l’Assemblée d’adopter.
Ce texte, qui n’est pas révolutionnaire, mais qui est un début de réponse aux attentes de nos concitoyens et qui sera probablement suivi de nouvelles avancées permettant au peuple d’avoir un meilleur accès au suffrage universel, ce texte, disais-je, est un bon texte, au regard de la commande constitutionnelle. Pour toutes ces raisons, la CMP et la commission des lois proposent à notre assemblée de le voter ; j’espère qu’elle le fera à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le vice-président des commissions mixtes paritaires, monsieur le rapporteur des commissions mixtes paritaires, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd’hui les textes issus des travaux des commissions mixtes paritaires, qui sont parvenues à trouver un accord pour achever, nous l’espérons tous, l’examen parlementaire des projets de loi destinés à mettre en œuvre les dispositions de l’article 11 de la Constitution.
Deux dispositions de notre loi fondamentale permettent de recourir au référendum : l’article 89 de la Constitution fixe ainsi la procédure applicable aux révisions constitutionnelles ; parallèlement, l’article 11 permet, lui, au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au peuple des projets de loi entrant dans le champ fixé par son premier alinéa.
C’est de cette disposition, dans sa rédaction issue de la révision de 2008, qu’il est aujourd’hui question. Près de cinq ans après son adoption par le Congrès, il convient d’observer que ce dispositif n’est en effet toujours pas entré en application en dépit, sous la précédente législature, d’une proposition de loi organique déposée par M. de Rugy et d’une proposition de résolution déposée par le groupe socialiste.
M. François de Rugy. Eh oui !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il ne paraît pas satisfaisant que des textes qui ont fait l’objet d’une révision constitutionnelle depuis de nombreuses années – puisqu’elle remonte en l’occurrence à juillet 2008 et, pour ce qui est de l’article 68 de la Constitution, à février 2007 – ne soient pas entrés en vigueur et que les lois organiques sans lesquelles ils ne peuvent pas être appliqués ne soient toujours pas adoptées. Il est temps d’achever le cheminement de ces textes qui ont connu un trop long parcours puisqu’ils ont été déposés en décembre 2010 et ont été adoptés par votre assemblée en première lecture un an plus tard, le 21 décembre 2011.
Si les nouvelles dispositions de l’article 11 sont en elles-mêmes précises, elles prévoient toutefois qu’une loi organique détermine les conditions de présentation de la proposition de loi et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel assure le contrôle du respect des règles fixées par la Constitution. C’est sur ce dernier point que d’ultimes ajustements sont intervenus entre les chambres et le Gouvernement afin de s’assurer de la meilleure rédaction possible. Vous conviendrez, en effet, qu’il serait surprenant que le législateur puisse voir ses dispositions relatives au rôle du Conseil constitutionnel être censurées pour inconstitutionnalité.
Mon propos sera donc bref, car il ne me paraît plus nécessaire, à ce stade, de revenir sur les discussions et échanges intéressants que les chambres ont pu connaître sur la notion de référendum, longtemps associé au recours au plébiscite propre aux deux Empires, ou au sujet de la démocratie représentative. L’article 11 institue ce que l’on a laissé appeler à tort – le rapporteur l’a souligné – le référendum d’initiative populaire alors qu’il s’agit, en fait, même si le débat sur la sémantique peut se poursuivre, d’un référendum d’initiative partagée.
Il n’existe aucune contradiction à vouloir revaloriser le rôle du Parlement et à achever l’entrée en vigueur de cette disposition afin de mieux associer les citoyens à la vie publique. C’était déjà, je veux le rappeler, le sens des travaux du Comité consultatif pour la révision de la Constitution, institué en décembre 1992 par François Mitterrand, qui fut le premier à proposer l’instauration d’un « référendum d’initiative minoritaire ». Il s’agissait de combiner « le vœu d’une minorité parlementaire et celle d’une minorité de pétitionnaires dont le cumul pouvait conduire à l’arbitrage de la nation elle-même ».
Le président Jean-Jacques Urvoas s’en souvient, j’en suis sûr : le texte, tel qu’il figure aujourd’hui à l’article 11, est issu d’un débat qui s’est déroulé à une heure tardive, dans la nuit du 22 au 23 mai 2008. Il résulte, on peut le dire, d’un compromis obtenu à partir d’amendements déposés par plusieurs groupes politiques qui visaient, alors, à créer un véritable référendum d’initiative populaire. C’était, du moins, le titre qu’on lui donnait.
Vous êtes parvenus à des propositions convergentes, qui conservent les apports de l’Assemblée nationale et du Sénat et, surtout, respectent la lettre et l’esprit de la Constitution. M. le rapporteur vous a présenté dans le détail les avancées obtenues sur les questions de recueil des soutiens, sur les modalités de transmission de la proposition de loi entre les deux assemblées, sur la question de la consultation du Conseil d’État ou sur celle des délais impartis au Président de la République pour organiser le référendum.
Le Gouvernement a déposé un amendement destiné à sécuriser l’accord intervenu entre les deux assemblées. Je peux vous indiquer, même si celles-ci sont souveraines, qu’il l’a fait après avoir obtenu l’accord de leurs deux rapporteurs pour obtenir un vote conforme. Sous réserve de l’adoption de cet amendement, je le dis d’emblée, le Gouvernement approuvera le texte issu du travail de la CMP.
Nous serons ainsi au rendez-vous de ce que le Président de la République – après un autre Président, compte tenu de l’histoire de ce texte – a souhaité le 4 octobre dernier, lors de la célébration des cinquante-cinq ans de la Constitution, en nous demandant de bien vouloir achever la procédure parlementaire pour que l’article 11 entre enfin dans les faits au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRCécologiste.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Gérald Darmanin.
M. Gérald Darmanin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président des CMP, monsieur le rapporteur des CMP – cher Guy Geoffroy –, mes chers collègues, à l’heure où le peuple exprime chaque jour et depuis un certain temps son mécontentement, ces textes concernant le référendum, qui consiste à donner la parole directement au peuple et à l’écouter, prennent tout leur sens.
La Ve République est un régime à la fois légitime et efficace. Certains veulent encore modifier sa Constitution ; d’autres souhaitent changer de régime. Mais, depuis 1958, nous avons beaucoup transformé la lettre et parfois l’esprit de la Constitution du général de Gaulle. Celle-ci cependant un texte qui permet à tous les gouvernants, quels qu’ils soient, de faire face à des problèmes graves, qu’il s’agisse de problèmes nationaux ou de crises internationales, quel que soit le niveau de popularité du Président de la République, du Gouvernement et même des parlementaires. Elle permet ainsi de conduire notre pays sur les voies de l’intérêt général qui feront triompher la nation française.
Toutefois, on peut regretter que le peuple n’ait pas de moyens d’intervention plus directs pour participer activement à la transformation et à la réforme de notre pays. La pratique gaullienne de la consultation de la nation donnait, nous le pensons, tout son sens, toute sa profondeur, au référendum, qui n’était pas pour nous, monsieur le ministre, un plébiscite. La réforme constitutionnelle de 2008, voulue par le Président Nicolas Sarkozy a introduit de nouveaux droits pour les citoyens qu’il en soit ici remercié.
Nous sommes étonnés de constater, monsieur le ministre, chers collègues du groupe socialiste – et vous êtes également concerné, monsieur de Rugy – que, bien qu’obsédés par le fait de consentir de nouveaux droits, ou ce que vous appelez de nouveaux droits, vous ayez refusé de donner rapidement celui-ci à nos concitoyens. Aujourd’hui, ce sera chose faite. Ce n’est un secret pour personne : notre famille politique est très attachée au référendum, qui représente l’arbitrage national voulu par le général de Gaulle.
La Constitution, directement adoptée par les Français, prévoit que la souveraineté s’exprime par les représentants du peuple, mais aussi par la voix du peuple lui-même. Le général de Gaulle disait : « La souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. » Notre Constitution prévoit effectivement que cette souveraineté puisse s’exprimer par la voie du référendum. Il revenait au législateur d’améliorer l’article 11. La réforme constitutionnelle a introduit un nouveau droit : celui, pour une partie du peuple, de demander à ses représentants d’étudier une question à l’Assemblée nationale et au Sénat.
La Ve République a été beaucoup critiquée depuis 1958, par les radicaux mais aussi par certains socialistes, pour son parlementarisme rationalisé. Pourtant, même François Mitterrand s’est glissé dans les habits de celui qu’il avait dénoncé, à l’époque, comme responsable du « coup d’État permanent ». Même s’il ne s’agit pas d’un référendum d’initiative populaire – M. le rapporteur l’a très justement rappelé –, ce référendum est rationalisé et – permettez-moi cette expression, monsieur le ministre – encadré. Il est un outil constitutionnel supplémentaire pour tenter de résoudre la quadrature du cercle : la souveraineté nationale, la souveraineté populaire et la confiance que le peuple a envers ses représentants.
J’aurais personnellement préféré que le peuple puisse proposer sans entrave à ses représentants de se saisir d’un texte. En tout état de cause, les très nombreux garde-fous mis en place par ces deux projets de loi montrent que l’utilisation de cette procédure ne pourra pas susciter les grandes craintes que l’opposition socialiste avait naguère dénoncées. Pourtant, le peuple a une vision bien souvent plus pragmatique des choses que certaines élites politiques. Nombreuses sont en effet les propositions de loi et les amendements que nous déposons, qui sont inspirées directement par les citoyens que nous rencontrons. Ainsi David Douillet et moi-même avons déposé une proposition de loi visant à accorder un prêt à taux zéro pour l’aménagement du domicile des personnes handicapées moteur.
Il est des sujets dont la nation dans ses profondeurs, pour reprendre les termes du général de Gaulle, doit juger.
Nous devons au moins relever le compromis trouvé par la commission mixte paritaire, qui permet de garantir l’égal accès au droit de vote tout en facilitant ce dernier par la dématérialisation, d’encadrer le financement de cette expression démocratique et d’assurer le respect des données personnelles.
Je tiens, ici, après le ministre, à saluer notre excellent rapporteur, Guy Geoffroy, ainsi que le rapporteur du Sénat pour leur admirable travail, qui a permis de parvenir à un compromis. Ces textes, comme les comptes rendus des débats en attestent, font honneur au travail des parlementaires. Je regrette cependant, pour des raisons que je viens d’expliquer, que nous n’ayons pas été plus loin. Nous gagnerions en effet davantage à consulter et à écouter la nation. Cela éviterait la multiplication des reculades, des peurs et des sondages, qui désormais font office de votes.
Oui, il est des moments où les Français doivent descendre dans la rue et d’autres moments, lors des élections, où ils doivent exercer leur droit de vote, se rendre dans les préaux d’écoles et dans les mairies pour exprimer leur mécontentement ou leur adhésion à un gouvernement, à une équipe municipale ou à un Président de la République. Tous les représentants de la nation amoureux de la République et de la démocratie doivent rappeler aux citoyens que voter est un droit et un devoir.
Si, en évitant d’écouter l’exaspération de la rue, on pouvait faire comprendre aux citoyens que le vote est le moment pour eux de choisir leurs représentants et la politique qu’ils souhaitent voir appliquée, le Gouvernement, le Parlement et les élus se verraient confortés, ainsi que la démocratie et la République. En dépit du compromis auquel ont abouti les commissions mixtes paritaires, que nous trouvons un peu tiède, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.
M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de cinq ans après la promulgation de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, près de deux ans après la première lecture de ces textes par notre assemblée, le référendum d’initiative partagée semble enfin sur le point de se concrétiser. Enfin, car, au-delà de la procédure parlementaire, l’idée même d’impliquer davantage les citoyens dans les grands choix de la vie politique par le biais du référendum aura fait l’objet d’une gestation lente et progressive, des travaux du doyen Vedel aux réflexions du comité Balladur, pour finalement trouver sa traduction juridique dans le texte adopté par le Congrès.
À ce jour, le référendum dit d’initiative partagée est la dernière réforme issue de la révision constitutionnelle qu’il nous appartient de mettre en œuvre pour donner sa pleine traduction à la volonté exprimée en 2008 par le constituant. La modernisation des institutions de la Ve République voulue par la réforme de 2008 n’impliquait pas uniquement de revoir les règles régissant les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif. Elle commandait également de donner à nos concitoyens de nouveaux droits, de nouvelles voies pour s’impliquer dans la vie de leurs institutions et ainsi peser dans le débat public.
Le référendum d’initiative partagée permet cette avancée. Ainsi, nous nous félicitons d’avoir vu ces deux projets de loi inscrits à l’ordre du jour. En adoptant ces deux textes, nous allons parachever l’édifice institutionnel issu de la révision constitutionnelle. Certes, et nous en avons tous conscience, nous ne débattons pas ici de ce que l’on pourrait appeler un référendum d’initiative populaire, mais bien d’un référendum d’initiative parlementaire appuyé par le soutien populaire.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Voilà !
M. Michel Zumkeller. Nous en convenons également, l’applicabilité réelle de ce dispositif peut être mise en doute tant elle nécessite la mise en place d’une procédure un peu lourde et contraignante. Emporter l’adhésion de 180 parlementaires, recueillir 4,5 millions de signatures, surmonter le contrôle de recevabilité du Conseil constitutionnel, obtenir l’inscription du texte à l’ordre du jour du Parlement : autant d’obstacles qui ne faciliteront pas la tâche de nos concitoyens. Sachons néanmoins en reconnaître le caractère novateur et ne pas en minimiser la portée.
Jusqu’à ce jour, la Ve République avait toujours fait du référendum une prérogative de l’exécutif : prérogative propre du Président de la République selon les dispositions combinées des articles 11 et 19 de la Constitution ; prérogative partagée aux termes de l’article 89 s’agissant de la révision de la Constitution. Il pourra désormais être initié par les parlementaires et constituera, à ce titre, un moyen pour les groupes minoritaires et d’opposition d’invoquer la volonté du peuple face à une éventuelle résistance du pouvoir en place. Cette évolution s’inscrit dans la droite ligne de la révision de 1974, laquelle a étendu le droit de saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou soixante sénateurs.
En outre, outre sa finalité première, qui est d’offrir à nos concitoyens la possibilité de se saisir de toute question d’intérêt public, la réécriture de l’article 11 permet au Parlement de disposer de moyens d’imposer au Gouvernement son agenda, quitte à conduire le Président de la République à organiser un référendum. Ce sont là des avancées notables.
Concrètement, la pleine application des dispositions de l’article 11 est subordonnée à l’entrée en vigueur des projets de loi que nous examinons aujourd’hui.
Si certaines questions avaient été tranchées par le constituant de 2008, la quasi-intégralité de ce modèle français de référendum d’initiative citoyenne était à inventer. Restaient à déterminer les délais de recueil des signatures, les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel serait amené à juger de la validité de la procédure, la nécessité ou non d’accorder au Président de la République un délai pour soumettre une proposition de loi au référendum, la création ou non d’une commission de contrôle. Le Parlement a donc entrepris un travail important pour répondre à l’ensemble de ces questions.
Au stade de la commission mixte paritaire, les principaux points restant en discussion concernaient la suppression de la commission de contrôle par le Sénat, le recueil des soutiens ainsi que la question du délai assigné au Président de la République pour organiser le référendum.
Les CMP sont finalement parvenues à établir un texte de compromis. Elles ont supprimé le délai que notre assemblée avait assigné au Président de la République et conservé le principe de la collecte des soutiens sous forme électronique, en tenant compte des incidences de la fracture numérique.
Nous nous félicitons de cet accord, car la déclinaison en loi et en loi organique de ce nouvel article n’était pas un exercice aisé sur le plan de la technique juridique.
De manière générale, mes chers collègues, en dépit des critiques avancées par l’opposition de l’époque, la révision constitutionnelle de 2008 a réellement renforcé les pouvoirs du Parlement et fait avancer notre démocratie, comme en témoignent ce progrès exceptionnel qu’est la question prioritaire de constitutionnalité ou celui que constitue l’attribution de la présidence des commissions des finances de nos assemblées à un parlementaire de l’opposition.
L’entrée en vigueur du projet de loi et du projet de loi organique va parachever cet édifice institutionnel et enrichir l’exercice de la citoyenneté et la pratique démocratique française d’un nouvel instrument.
En votant ces textes, nous allons achever une étape essentielle de l’évolution de nos institutions entamée en 2008. Le temps viendra d’en franchir de nouvelles, qui devront aller vers un équilibre encore meilleur des pouvoirs. Dans cet esprit et avec cette volonté, le groupe UDI votera ces deux textes.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux d’entre nous qui, comme moi, étaient déjà députés sous la précédente législature participent, si j’ai bien compté, au sixième débat relatif à la mise en œuvre de l’article 11 de la Constitution. Certains y ont peut-être pris goût ; je ressens, pour ma part, une certaine lassitude.
Cette multiplication des séquences parlementaires nous aura au moins permis de réfléchir à la nature démocratique de nos institutions et de replacer au cœur de nos débats la question de la participation citoyenne à la vie législative, et même d’une forme d’initiative citoyenne. Elle aura peut-être eu aussi le mérite de révéler certaines manipulations, que je qualifierai de politiciennes, de l’opposition d’aujourd’hui, qui était la majorité d’hier, en tout cas des revirements pour le moins saisissants et étonnants.
Les deux projets de loi renvoyés devant notre assemblée après leur examen en commission mixte paritaire précisent les conditions de mise en œuvre des nouvelles dispositions de l’article 11 de notre Constitution. Je dis « nouvelles », mais elles ont tout de même plus de cinq ans, et non près de cinq ans, comme l’a indiqué le ministre : la réforme constitutionnelle avait été adoptée en juillet 2008 et nous sommes en novembre 2013.
Aux termes de cet article, le Président de la République peut soumettre au référendum toute proposition portée par un cinquième au moins des membres du Parlement et approuvée par un dixième des électeurs inscrits si cette proposition – ce qui est tout de même assez tordu – n’a pas été examinée par l’une des deux assemblées dans les délais fixés par la loi organique. Il s’agit donc d’une nouvelle voie d’initiative parlementaire, qui ne concerne en réalité que les principaux groupes politiques de nos deux assemblées, seuls à même de réunir 185 parlementaires et qui repose sur un mécanisme que l’on pourrait appeler d’initiative partagée, ou de droit d’interpellation du Parlement par nos concitoyens.
Sur le fond, Paul Molac l’avait souligné lors de la précédente discussion, ces dispositions de la réforme de 2008 ne satisfont pas l’exigence démocratique et participative que défend le groupe écologiste.
M. Paul Molac. Très juste !
M. François de Rugy. D’abord, en effet, l’objet premier de cet article est de permettre l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi, le référendum n’étant envisagé qu’en ultime recours. Ensuite, l’initiative de la loi demeure l’apanage des parlementaires, les citoyens étant simplement convoqués dans un second temps pour soutenir une proposition. Enfin, les seuils fixés sont trop élevés : un cinquième du Parlement – soit beaucoup plus que le seuil existant, qui est de soixante députés ou sénateurs, pour saisir le Conseil constitutionnel – et un dixième des électeurs inscrits, ce qui est énorme, sachant, en outre, que le chiffre en valeur absolue augmentera en même temps que le nombre d’électeurs inscrits, dans un pays qui connaît une certaine dynamique démographique.
Il s’agit donc, non pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’un dispositif un peu hybride et bâtard, serais-je tenté de dire, combinant initiative parlementaire et initiative citoyenne.
Je voudrais maintenant rappeler le contexte dans lequel le groupe UMP a demandé que ces textes soient inscrits à l’ordre du jour du Parlement. Il avait tout d’abord vendu, si l’on peut dire, cette procédure en tentant de faire croire qu’elle permettrait d’organiser un référendum sur la loi instituant le mariage pour tous. Or, elle ne le permet pas – et j’y reviendrai.
Je m’étonne que l’UMP ait découvert de soudaines vertus à cette disposition de la réforme constitutionnelle de 2008, qui ouvre une petite porte – et c’est la raison pour laquelle je l’avais moi-même soutenue sous la législature précédente, considérant que c’était une première étape qui en appelle d’autres – alors que, entre juillet 2008 et mai 2012, elle n’a jamais souhaité réellement la mettre en œuvre.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Si ! Il y a eu une première lecture !
M. François de Rugy. En décembre 2010, ne voyant rien venir de la part du gouvernement de l’époque – le ministre des relations avec le Parlement l’a d’ailleurs rappelé tout à l’heure –, j’ai déposé une proposition de loi organique. Elle aurait pu être amendée : le groupe UMP, qui était très majoritaire à l’époque dans l’Assemblée, aurait pu participer au travail législatif. Mais il a choisi – et, vous étiez déjà, je crois, monsieur Geoffroy, le porte-parole de votre groupe – de s’opposer à ce texte. C’était une opposition pure et simple,…
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Pas du tout !
M. François de Rugy. …puisque vous n’aviez même pas déposé le moindre amendement, préférant recourir à un artifice de procédure et demander un vote bloqué, afin de rejeter l’ensemble du texte lors d’une séance ultérieure.
Vous nous aviez alors expliqué que ce n’était pas grave, car le Gouvernement préparait quelque chose. Il prenait son temps : nous étions en décembre 2010, et cela faisait deux ans et demi que la réforme de la Constitution avait été votée. Il a en effet présenté un texte, en décembre 2011, soit un an après mon initiative et donc trois ans et demi après la réforme de la Constitution. Nous étions à quelques mois seulement de la fin de la législature, et ce qui devait arriver arriva : il n’y eut qu’une seule lecture à l’Assemblée – je crois que le texte n’a même pas été examiné au Sénat, alors que le Gouvernement avait tout à fait la possibilité de l’inscrire à son ordre du jour.
Cet épisode peu glorieux a été suivi d’un revirement, puisque vous avez décidé de vous saisir tout d’un coup de cette procédure, à laquelle vous avez trouvé tellement de vertus que vous l’avez « survendue ». Je reconnais, monsieur Geoffroy, qu’en la matière, vous avez fait preuve d’un peu plus de rigueur intellectuelle et législative que certains de vos collègues, qui ne sont d’ailleurs pas là cet après-midi. Je pense à M. Mariton, à M. Le Fur et à quelques autres, qui ont convoqué la presse pour annoncer que, foi de députés UMP, ils allaient réussir à obtenir un référendum sur la loi sur le mariage pour tous. Quand les observateurs les regardaient avec des yeux écarquillés, ils expliquaient qu’ils avaient trouvé le moyen d’y parvenir en inscrivant le projet de loi organique à l’ordre du jour de l’une des niches du groupe UMP.
C’est ce que vous avez fait, mais vous savez que cela ne vous permettra pas d’atteindre votre objectif. Si ces textes étaient définitivement adoptés – ce que nous souhaitons, car nous ne sommes pas pour la politique du pire –, il vous faudrait tout d’abord recueillir 4,5 millions de signatures car, avant la révision habituelle des listes électorales, plus de 44 millions d’électeurs étaient inscrits, ce qui est évidemment un objectif difficile à atteindre. Ensuite, il faudrait passer l’étape du Conseil constitutionnel, qui devra dire s’il considère comme recevable un texte visant à revenir sur le mariage pour tous, puis attendre que le délai d’un an pendant lequel on ne peut pas remettre en cause un texte voté par l’Assemblée et le Sénat soit expiré. Une fois toutes ces conditions réunies, ce texte serait sans doute rejeté à l’Assemblée sous cette législature – son adoption au Sénat paraît également peu probable. Selon la procédure de l’article 11, il n’y aurait alors pas de référendum possible puisqu’il suffit que les deux assemblées aient examiné la proposition, sans même être obligées de l’adopter ou de la rejeter, pour qu’elle soit définitivement abandonnée.
La démarche qui a été la vôtre n’a donc pas été très honnête du point de vue intellectuel et politique, et c’est dommage parce que cela participe à une décrédibilisation de la parole politique. Je ne mets pas en cause le travail législatif qui a été effectué avec nos collègues sénateurs : c’est un travail sérieux, concret, et nous l’approuvons. Nous voterons donc ces textes. Si cette procédure était utilisée un jour, ce dont on peut douter, on en tirerait une conclusion simple, c’est qu’il faudrait réformer la Constitution, l’article 11 comme d’autres articles d’ailleurs selon nous, pour aller vers une vraie procédure de référendum d’initiative populaire et citoyenne. Or, ultime contradiction de nos collègues de l’UMP, ils sont contre toute réforme de la Constitution.
M. François André. CQFD !
M. François de Rugy. La boucle est bouclée, si l’on peut dire, et c’est bien triste pour la crédibilité de la parole politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Enfin ! Il aura fallu attendre cinq ans depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura fallu patienter 1 800 jours pour que ce projet de loi organique soit enfin soumis au Parlement.
Ce projet, on le sait, porte application de l’article 11 de la Constitution et de ses nouvelles dispositions rendant possible l’organisation d’un référendum d’initiative partiellement et secondairement populaire. L’objet même de cet article 11 modifié explique sans doute le retard pris dans l’élaboration, puis dans l’examen de ce projet de loi organique, car le référendum est souvent vu sans grande faveur dans notre démocratie représentative.
Ici même, dans une brillante intervention, mon collègue Alain Tourret a rappelé l’origine de cette défiance : les trois plébiscites successifs organisés par Napoléon Bonaparte pour asseoir son pouvoir personnel, puis, de nouveau, les trois plébiscites organisés dans le même but par son neveu, Louis Napoléon. D’où, longtemps, l’hostilité des républicains au référendum. La IIIe République se garde d’instituer toute procédure référendaire, et la IVe ne l’admet, avec parcimonie, que pour ratifier éventuellement un projet de révision constitutionnelle.
À partir de 1958, les cinq référendums organisés par le général de Gaulle seront présentés par l’opposition, avec quelque excès, comme des plébiscites, comme des instruments du pouvoir personnel.
Cette critique récurrente du référendum est loin d’être toujours fondée. Dans l’histoire récente de notre pays, plusieurs référendums ont été organisés de manière parfaitement loyale, en portant sur de véritables sujets de fond et non sur la confiance à la personne de tel ou tel dirigeant. À cet égard, on peut rappeler les trois référendums qui ont suivi la Libération et qui portaient sur l’élaboration de la Constitution de la IVe République. L’on peut mentionner aussi le référendum de 1972 organisé par Georges Pompidou sur l’élargissement de la Communauté européenne, ainsi que les référendums organisés par François Mitterrand sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, en 1988, puis sur le traité de Maastricht, en 1992. Enfin, l’on peut citer le référendum de 2000 sur le quinquennat, puis celui sur le traité constitutionnel européen en 2005. Pour cette dernière consultation, un grand et véritable débat a eu lieu pendant plusieurs mois dans tout le pays. Les Français ont éprouvé un vif intérêt pour le choix à effectuer sur ce grand enjeu et se sont fortement impliqués.
Cela dit, dans la procédure initiale, celle d’avant 2008, seul le chef de l’État pouvait décider l’organisation d’un référendum, sur proposition, théorique, du Gouvernement ou des deux assemblées, à la différence d’autres démocraties qui pratiquent le référendum d’initiative populaire, comme la Suisse, l’Italie ou plusieurs États fédérés des États-Unis, spécialement la Californie. Il fallait en finir avec la monopolisation par le chef de l’État du droit de recourir à cette consultation populaire. La révision de 2008 a donc complété l’article 11 de la Constitution pour instituer un nouveau mode de recours au référendum.
Toutefois, ce nouveau mode est subordonné à des conditions très restrictives, tant par la Constitution que par les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd’hui, au point qu’on pourrait parler d’un dispositif verrouillé ou verrouillable, sinon d’un dispositif en trompe-l’œil, tendant à faire illusion.
Tout d’abord, le ministre l’a dit le premier, il s’agit non pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’un référendum d’initiative partagée entre parlementaires et électeurs. Conformément à l’article 11, alinéa 3, de la Constitution, un tel référendum « peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Les électeurs ne possèdent donc pas la possibilité de déclencher seuls un tel référendum ; il faut aussi, au préalable, qu’un cinquième des parlementaires aient pris cette initiative.
Ensuite, il existe un autre risque d’entrave, précisé à l’article 9 du projet de loi organique. La proposition de loi, procédant de cette double initiative, n’est pas soumise à référendum si elle a été « examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». II suffira donc, comme l’a rappelé François de Rugy à l’instant, que cette proposition de loi ait été simplement « examinée » par le Parlement, même sans avoir été adoptée par celui-ci, pour que le recours au référendum devienne impossible, bien qu’il ait été demandé par le dixième des électeurs.
Autre limitation, prévue à l’article 1er, alinéa 8, du projet de loi organique : le Conseil constitutionnel vérifie, dans le délai d’un mois à compter de la transmission de la proposition de loi « que son objet respecte les conditions prévues aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution ». Autrement dit, comme le référendum d’origine présidentielle, le référendum d’initiative partagée ne peut porter que sur l’un des trois objets suivants : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation, ou encore l’autorisation de ratifier un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Dès lors, comme le ministre de la justice de l’époque, Jacques Toubon, l’avait déclaré au cours de la révision de 1995 étendant le champ du référendum, il ne pourra pas y avoir de référendum portant sur une question de société. Le peuple italien, lui, a pu déclencher des référendums sur le divorce, en 1974, sur l’IVG, en 1981, ou encore sur la procréation médicalement assistée, en 2005, mais les Français, pour leur part, ne seront pas autorisés à statuer par référendum sur des sujets de société. Par exemple, ils ne pourront pas être consultés sur des questions essentielles comme la fin de vie.
M. Paul Molac. C’est dommage !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Par ailleurs, pour la contribution des électeurs au déclenchement d’un référendum, la barre est fixée très haut : la proposition de loi doit obtenir « le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Cela représente, François de Rugy l’a dit, 4,5 millions d’électeurs, alors qu’en Italie, qui est d’une population comparable, 500 000 électeurs suffisent, ce qui permet une certaine fréquence des référendums, qui risquent en revanche d’être très rares en France.
Par ailleurs, l’article 1erA du projet de loi ordinaire concerne le « financement des actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens à une proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution ». On peut, certes, concevoir que les personnes physiques consentent des dons pour contribuer à financer des actions tendant à favoriser l’organisation d’une consultation électorale et donc l’expression des citoyens. En revanche, il ne paraît pas concevable qu’elles puissent financer des actions tendant à défavoriser le recueil des soutiens visant à l’organisation de cette consultation. Financer de telles actions paraît en effet incompatible avec l’article 3, alinéa 1, de la Constitution, qui dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Des actions tendant à entraver, à empêcher l’exercice de la souveraineté par la voie du référendum seraient probablement contraires à cet article.
En fait, ces projets de loi organique et ordinaire portant application de l’article 11 de la Constitution paraissent inspirés par une réelle défiance envers ce nouveau type de référendum et le subordonnent à des conditions très strictes et très difficiles à remplir : bref, filtrage et verrouillage. En réalité, ces textes instituent un pseudo-référendum d’initiative populaire, en veillant de surcroît à ce qu’il soit très difficile à mettre en œuvre et en permettant un évitement du suffrage universel.
Pourtant, un véritable référendum d’initiative populaire aurait l’avantage d’ajouter une composante participative à la démocratie représentative. Il permettrait à la souveraineté populaire de s’exercer directement, sans intermédiaires, dans certains cas. Nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, à l’époque où Montesquieu, préconisant le régime représentatif, écrivait dans L’Esprit des lois : « Le grand avantage des représentants est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre, ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie. » Cette conception a inspiré directement la Constituante. Dès sa séance du 7 septembre 1789, Sieyès affirme : « Le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » Rousseau pensait le contraire, et, après lui, beaucoup d’autres, attachés à la souveraineté populaire, dont Jaurès, qui demanda en 1914 un référendum sur la proportionnelle.
La démocratie ne peut se limiter à la représentation. La décision sur les grands enjeux ne peut appartenir seulement et toujours aux notables de la République, et jamais au suffrage universel, qui ne pourrait se prononcer lui-même sur ceux-ci. Donner la parole au peuple, lui permettre de décider directement dans de grandes circonstances serait l’application de la démocratie, dont on oublie trop souvent ce qu’elle signifie, à savoir « le pouvoir du peuple ». (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs du projet de loi organique, tout le monde reconnaît désormais que la procédure prévue à l’article 11 ne s’apparente pas à un référendum d’initiative populaire, mais repose plutôt sur un système d’initiative partagée pouvant éventuellement déboucher sur un référendum.
Si, en théorie, cette procédure offre au peuple une nouvelle possibilité d’exprimer directement sa volonté par la voie référendaire, les obstacles à sa mise en œuvre sont tels qu’ils entravent, en pratique, cette faculté. En effet, l’encadrement de cette procédure par l’article 11 de la Constitution et par les textes que nous examinons aujourd’hui est excessivement restrictif.
Tout d’abord, cela a été rappelé, l’initiative appartient aux parlementaires, tant pour la rédaction de la proposition que pour les conditions matérielles de recevabilité. Un cinquième des membres du Parlement, soit 185 parlementaires, peuvent prendre l’initiative de déposer une proposition de loi. Ce nombre élevé signifie que le recours à cette procédure sera en pratique réservé aux grands groupes parlementaires, seuls en mesure de recueillir ces 185 signatures. L’exclusion ab initio des minorités politiques, donc d’une partie du peuple, rend cette procédure insignifiante, bien loin de la grande avancée démocratique promise.
Ensuite, ce n’est que dans un second temps, après le dépôt de la proposition et après un contrôle de constitutionnalité a priori, que le peuple a la possibilité de soutenir le texte parlementaire. Le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit près de 4,5 millions d’électeurs, est requis. Cette exigence réduit encore l’effectivité de la procédure. Comme le souligne l’Institut européen sur l’initiative et le référendum, un pourcentage de signatures de l’ordre de 5 % rend l’exercice du droit d’initiative extrêmement difficile, un pourcentage de l’ordre de 10 % le rend pratiquement impossible.
Ainsi que l’a souligné à l’instant notre collègue Roger-Gérard Schwartzenberg, à titre de comparaison, en Italie, c’est-à-dire dans un pays dont la population est du même ordre de grandeur que celle de la France, le nombre de signatures exigées pour valider une demande de référendum abrogatif n’est que de 500 000, c’est-à-dire environ neuf fois moins que ce qui est prévu ici.
Après une nouvelle validation du Conseil constitutionnel portant sur le nombre de signatures obtenues, chacune des deux assemblées devra examiner au moins une fois la proposition de loi dans un délai de six mois. Cela signifie que, jusqu’à l’expiration du délai fixé par la loi organique, le Gouvernement et la majorité parlementaire peuvent éviter le référendum sans rien céder sur le fond aux auteurs de la proposition.
Surtout, le seul fait que celle-ci ait été « examinée » par les deux assemblées, même si c’était seulement pour la rejeter, suffit à interrompre la procédure. Une simple lecture permet donc d’écarter le référendum. Rappelons qu’au contraire, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, le comité Vedel, prévoyait en 1993 que seule l’adoption du texte permettrait l’abandon du processus référendaire.
Bref, l’initiative est tellement encadrée qu’elle n’a que peu de chance, pour ne pas dire aucune, d’être mise en œuvre,…
M. Gérald Darmanin. Vous êtes trop pessimiste !
M. Marc Dolez. Non, pas pessimiste : lucide !
…et ce ne sont pas les quelques améliorations apportées aux textes au cours des débats, s’agissant des délais de recevabilité et d’examen, qui changeront la donne.
Pour leur part, les députés du Front de gauche préconisent l’instauration d’un véritable référendum d’initiative populaire, à l’échelon tant national que local, car ils veulent renforcer et amplifier la souveraineté directe du peuple. Pour toutes ces raisons, nous voterons une nouvelle fois contre ces deux projets de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons enfin le débat final relatif à l’application de l’article 11 de la Constitution, cinq ans après la révision de celle-ci. Sommes-nous pour autant parvenus au terme du long chemin esquissé par Jean-Jacques Rousseau ? Allons-nous suivre les pas de Condorcet, qui souhaitait, dès 1793, que le citoyen puisse saisir son assemblée primaire ? Allons-nous réellement étendre la portée de l’article 3 de notre Constitution, qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ? Probablement pas.
Néanmoins nous progressons, à très petits pas, sur le chemin de la modernisation de nos institutions. Le référendum d’initiative partagée, inscrit dans notre constitution en 2008 grâce à un amendement du groupe SRC, avait été ensuite rapidement rangé au rayon des engagements oubliés par l’ancienne majorité – un de plus. En effet, quelle course de lenteur entre l’adoption de la réforme constitutionnelle de 2008 et une première lecture à l’Assemblée nationale au début de l’année 2012, à quelques semaines seulement de l’élection présidentielle ! Ce premier texte était d’ailleurs totalement inapplicable et fort incomplet, comme l’avait souligné à l’époque notre collègue Jacques Vallax.
Notre majorité a souhaité travailler autrement. Nous voulions rendre applicables et le plus effectives possible les dispositions constitutionnelles en cause, lesquelles offrent un cadre particulièrement contraint et un dispositif singulièrement verrouillé. Nous refusons de laisser des millions de Français se mobiliser pour une procédure référendaire chimérique et institutionnellement vouée à l’échec. C’est bien le respect des citoyens qui constitue la raison même des améliorations que nous avons tenté d’apporter durant l’ensemble du processus parlementaire.
Tout d’abord, nous avions souhaité allonger le délai de six à neuf mois pour la collecte de soutiens et, dans le même temps, raccourcir les délais laissés aux pouvoirs publics pour agir. À cet égard, je suis heureux que la commission mixte paritaire ait validé cette avancée réelle. En effet, qui dans cet hémicycle peut sérieusement prétendre que six mois suffiraient pour mobiliser 4,5 millions de Français ? Le décompte fait par le président Urvoas à ce sujet est d’ailleurs édifiant : cela représenterait 25 000 signatures à recueillir chaque jour, soit plus de 1 000 par heure ! Par ailleurs, je souhaite insister sur un apport important de nos travaux parlementaires, qui ont abouti à la définition de modalités transparentes pour la collecte de fonds d’une campagne de recueil de signatures. Il n’aurait pas été acceptable que les lois de transparence de notre vie politique soient ainsi affaiblies par un vide législatif à ce sujet. C’était le sens de l’amendement que j’avais porté au nom du groupe SRC devant la commission des lois de notre assemblée en avril 2013 et je salue les travaux de la CMP qui ont confirmé ce dispositif. Tout don de plus de 150 euros à un parti politique devra faire l’objet d’un reçu et les dons en espèces ne devront pas excéder 20 % du montant total des fonds récoltés. Enfin, l’ensemble des opérations financières feront l’objet d’une comptabilité claire et détaillée, annexée aux comptes des partis politiques. Nous imposons donc la transparence la plus totale dans les dépenses des partis politiques mobilisés pour l’occasion, avec la même rigueur que pour une campagne électorale classique.
Chers collègues, l’esprit de concorde qui a guidé la majorité dans nos travaux parlementaires et dans ceux des CMP ainsi que les améliorations apportées à ces deux projets vont nous permettre de rendre ce nouveau droit autant applicable qu’il est possible de l’imaginer. Qu’on l’appelle « droit de pétition » ou « référendum d’initiative partagée », ce nouveau droit, dont pourront disposer les parlementaires et les citoyens français, constitue, au moins dans son principe, un progrès pour notre démocratie, comme l’a souligné le Président François Hollande dans son discours au Conseil constitutionnel pour les cinquante-cinq ans de la Ve République. Le groupe SRC votera donc ces deux projets de loi, car il a confiance dans nos institutions et dans la vitalité démocratique de notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. David Douillet.
M. David Douillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans le cadre de ce débat pour me faire l’écho de nos concitoyens, qui aspirent à plus de démocratie. Dans le contexte de crise de la représentation politique que nous traversons, permettez-moi de rappeler des chiffres qui doivent nous interpeller en tant qu’élus de la République. La défiance des Français envers la politique atteint cette année un niveau record. Ils sont 85 % à estimer que leurs dirigeants ne tiennent pas compte de leur avis et plus de la moitié à considérer que la démocratie fonctionne mal. Preuve que le malaise est grandissant dans la population, un sondage paru la semaine dernière indique que seuls 22 % de nos concitoyens souhaitent conserver le Gouvernement et notre assemblée en l’état. C’est dire, mes chers collègues, si l’heure est grave. Notre responsabilité d’élus est immense face à un peuple en désespérance qui ne croit plus en ses représentants et en leur capacité à agir pour l’intérêt général. L’instauration d’un référendum d’initiative partagée, en donnant à nos concitoyens de nouveaux droits pour s’impliquer dans la vie de leurs institutions et ainsi peser dans les débats publics, constitue une réponse parmi tant d’autres, sur lesquelles nous devons travailler afin de recréer ce lien rompu avec nos concitoyens.
Ces projets de loi concrétisent une proposition majeure du dernier volet, dit citoyen, de la réforme constitutionnelle de 2008 portée par l’ancien président de la République, qui avait su impulser un renouvellement profond de nos institutions démocratiques. Il renforce non seulement les capacités de notre assemblée à peser dans l’agenda législatif et gouvernemental, mais il recrée également du lien entre représentants et représentés pour porter collectivement des propositions de réforme. Il contribue également, à son échelle, à redonner à nos concitoyens le goût des urnes plutôt que celui de la rue.
M. Gérald Darmanin. Tout à fait !
M. David Douillet. Il représente enfin à terme un garde-fou contre les éventuelles dérives d’un pouvoir exécutif dont l’action et l’attitude extrémistes pourraient mettre en péril notre nation démocratique et constitue en ce sens une arme véritable. C’est pourquoi, mes chers collègues, cinq ans après le Congrès, il est plus que temps d’entériner cette réforme.
Pour conclure, les débats autour du projet de loi sur le mariage pour tous ont fait apparaître une possible restriction du champ du référendum. Les distinctions opérées entre questions d’ordre social et sociétal sont à mon sens incompréhensibles pour nos concitoyens, auxquels on donnerait l’illusion qu’ils disposent de moyens d’action en matière législative tout en limitant leur champ d’intervention. Il est important, si nous voulons aboutir à un véritable sursaut démocratique, que le législateur comme le Gouvernement se saisissent rapidement de cette question. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Gérald Darmanin. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas question ici de remettre en cause la culture spécifiquement française de la représentation politique. On sait que le référendum est encore considéré par certains comme un mode de contournement de la représentation nationale. On lui arrache sa légitimité intrinsèque pour faire valoir ses effets négatifs : surreprésentation de la majorité, approche démagogique ou absence de nuance dans la question posée à laquelle on doit répondre par l’affirmative ou la négative. Ses effets positifs sont rarement mis en exergue, alors qu’ils sont tout aussi nombreux : recours à la voix populaire pour trancher un litige, expression démocratique du peuple et donc construction d’un projet commun pour des enjeux importants. L’utilisation du référendum comme plébiscite, par Napoléon puis par le général de Gaulle, nous a fait beaucoup de mal en transformant cette pratique démocratique en un instrument de renforcement de la légitimité politique. On a donc encore aujourd’hui des réticences à reconnaître le référendum comme un instrument de démocratie. Mais rassurez-vous, celui-ci n’est pas de nature à inquiéter les farouches défenseurs de la représentation démocratique !
Jusqu’à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, c’est le Président de la République qui pouvait initier le référendum sur proposition des membres du Gouvernement. Ce référendum existe toujours, mais il est désormais combiné à un référendum d’initiative partagé – et non d’initiative populaire, comme la précédente majorité a voulu le faire croire aux Français. En effet, ce référendum est un référendum « verrouillé », comme cela a déjà été dit, puisqu’il ne peut être impulsé que par un cinquième des membres du Parlement soutenu par un dixième du corps électoral. C’est, disons-le, un référendum d’initiative parlementaire soutenu par les citoyens français. Mais soyons clairs, peu de textes trouveront le soutien de 184 députés ou sénateurs et de plus de 4,5 millions d’électeurs. Présenté lors de la révision constitutionnelle de 2008 comme une grande avancée démocratique, ce référendum a été le seul dispositif à ne pas être appliqué sous le précédent quinquennat, faute des textes d’application nécessaires. C’est donc à nous, la majorité du changement, que la Ve République devra la mise en place de ce dispositif.
Les projets de loi, organique et ordinaire, soumis à votre vote sont présentés dans le cadre contraignant de l’article 11 de la Constitution, lequel limite le champ et l’objet desdites lois. Il s’agit de définir par ces lois les conditions de présentation par les parlementaires de la proposition ; les délais de collecte des pétitions citoyennes ; les modalités pratiques de collecte et de contrôle ; le délai imparti aux assemblées pour examiner la proposition ; enfin, les conditions d’organisation du référendum. C’est ainsi que le projet de loi organique prévoit que le Conseil constitutionnel aura un mois pour contrôler la constitutionnalité de la proposition de loi soumise à référendum, en examinant par exemple le nombre des soutiens ou l’objet de cette proposition. Il est également proposé que le délai pour collecter les pétitions citoyennes soit de neuf mois, ce que justifient les 4,5 millions de signatures à réunir, et que les soutiens soient recueillis par voie électronique ainsi que sous forme papier pour tenir compte de la fracture numérique.
On peut regretter que la révision constitutionnelle n’ait pas élargi le champ du référendum partagé. En effet, celui-ci est réservé aux mêmes objets que le référendum d’initiative présidentielle. Or, parmi les objets prévus, il en manque un qui n’est pas des moindres : les libertés publiques, ou libertés fondamentales, que le Président Mitterrand et Robert Badinter avaient voulu imposer, ce qui a toujours été rejeté par le Sénat au nom de la représentation nationale. Malgré ces réserves, députés et sénateurs ont fait au mieux pour que ces textes soient un premier pas vers ce qui reste à faire, à savoir l’instauration d’un véritable référendum d’initiative populaire, à l’instar de ce qui existe en Italie, en Suisse, aux États-Unis et dans bien d’autres États du monde. Votons ce texte pour ce qu’il est : une étape vers un projet démocratique plus ambitieux pour la France de demain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aurions pu nous féliciter de la mise en œuvre d’un dispositif qui aurait dû rendre sa place au système de démocratie directe sous la Ve République. Le moins que l’on puisse dire, en effet, est que tout est fait dans la pratique constitutionnelle pour éviter le recours au peuple par référendum. L’article 89-3, dans l’esprit original de la Constitution, prévoyait le recours au référendum pour les révisions constitutionnelles et, exceptionnellement, le vote par Congrès pour ce que le général De Gaulle appelait des « réformettes », soit les révisions constitutionnelles mineures ou trop techniques qui ne nécessitent pas de déplacer le peuple. Force est de constater que la pratique constitutionnelle des élus a totalement inversé le principe. En effet, sur vingt-quatre révisions constitutionnelles, seules deux ont été adoptées par référendum. Quant à l’article 11, il n’a été mis en œuvre qu’une dizaine de fois depuis 1958, les élus frileux refusant de risquer un désaveu populaire. Pire encore : lorsque l’on daigne soumettre au peuple un vote par référendum sur l’adoption d’une Constitution européenne et que ce vote ne correspond pas aux attentes des soi-disant représentants du peuple, ces derniers trahissent la volonté populaire en votant quelques mois plus tard au Congrès un texte qui ne change que de nom.
Notre enthousiasme a été rapidement déçu par un texte qui organise une véritable usine à gaz dont on peut raisonnablement penser qu’il n’aboutira jamais à une seule consultation référendaire. Cinq années se sont écoulées pour voir se dessiner les contours d’une réforme datant de 2008, beau témoignage de l’empressement du pouvoir dès qu’il s’agit de redonner la parole au peuple ! Dès le départ, nous avons été trompés sur la nature d’une réforme qui se faisait appeler « référendum d’initiative populaire », quand il s’agissait en réalité d’un référendum d’initiative partagée entre les citoyens et les parlementaires. S’agissant du mécanisme retenu, tout semble fait pour décourager les plus téméraires : il faut en premier lieu l’assentiment explicite d’un cinquième des parlementaires et d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit près de 4,3 millions de citoyens sur 43 millions de votants, quand l’Italie en réclame 500 000 pour 45 millions de votants et la Suisse 50 000 pour 5 millions de votants, soit 1 % des votants contre 10 % pour nous. Comment ne pas voir dans cette exigence délirante la volonté explicite de rendre la réforme ineffective ?
Imaginons même que ces conditions soient remplies, le citoyen croyant son texte enfin soumis au vote par référendum sera ravi de constater que l’organisation de ce référendum ne s’imposera que si la proposition de loi n’est pas examinée par l’une ou par l’autre des assemblées du Parlement. Or cette situation est peu envisageable. Un texte réunissant 4,5 millions de citoyens sera nécessairement mis à l’ordre du jour par l’un des six groupes politiques composant chaque assemblée. Chers concitoyens, oubliez donc dès à présent l’initiative populaire et oubliez, par la même occasion, le référendum !
Ensuite, le Conseil constitutionnel intervient à deux reprises pour vérifier le respect des conditions préalables, puis la constitutionnalité du texte éventuellement adopté. La Constitution requérant que la proposition de loi soit simplement examinée et non qu’elle soit votée ni même soumise au vote, le Président de la République ne se trouvera qu’exceptionnellement en situation de procéder au référendum. À chaque fois, il y a donc possibilité de blocage et de contestation.
Notre débat est bien entendu borné par les dispositions mêmes de la réforme constitutionnelle de 2008 : il ne peut toujours pas y avoir de consultation référendaire en matière de politique pénale ni, par exemple, dans le domaine du droit de la famille. Je rappelle que le Conseil économique social et environnemental a rendu cette année un avis au sujet du texte sur le mariage homosexuel, excluant les questions sociétales du champ des sujets qui peuvent être soumis au référendum au titre de l’article 11 ; autrement dit, des sujets essentiels sur lesquels nos compatriotes souhaiteraient précisément s’exprimer, comme le prouve l’historique mobilisation de la Manif pour tous.
Par ailleurs, le nouvel article 11 prohibe tout référendum visant à abroger une loi promulguée depuis moins d’un an. Or notre représentation nationale a abrogé, sans traîner, plusieurs lois sarkozystes récentes au cours de l’année passée. Pourquoi priver le suffrage universel d’une consultation abrogatoire dont le Parlement a allègrement fait usage en début de législature ? Vous vous permettez donc, mes chers collègues, ce que vous refusez à ceux que vous êtes censés représenter.
Et puis pour faire bonne mesure, le projet gouvernemental rajoute encore quelques herses à ce saut d’obstacles pour compliquer encore la procédure. Je ne prendrai qu’un seul exemple significatif de l’engluage : celui des délais résultant des dispositions cumulées des articles 3 et 9 du projet de loi organique. Les différentes étapes de la procédure conduisent en effet nécessairement à un délai minimal de seize mois avant que le chef de l’État ne puisse déclencher la procédure référendaire ; et ce délai peut être considérablement rallongé par des relectures successives devant chacune des deux assemblées parlementaires ou par une dissolution de l’Assemblée, ou encore une élection présidentielle anticipée.
Bref, vous tentez de museler l’initiative populaire.
De même que le référendum consultatif municipal, né en 1992, est resté en pratique lettre morte, cette réforme constitutionnelle est une supercherie dans son principe et dans sa mise en œuvre. La parole du peuple reste pour vous assimilée à un réflexe incontrôlable, à du populisme ou à de la démagogie.
Pour finir, je citerai ce bon mot de Rousseau : « En démocratie représentative, le peuple pense être souverain, mais il se trompe, il ne l’est que le jour de l’élection, le reste du temps, il est esclave, il n’est rien ! ». C’est pourquoi je voterai contre ces deux textes, qui sont une supercherie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Valax, dernier orateur inscrit.
M. Jacques Valax. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq ans après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre majorité est enfin sur le point d’adopter l dernier projet de loi organique nécessaire à sa concrétisation. Il vise à définir les modalités de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée dorénavant prévu à l’article 11 de la Constitution.
J’émettrai des regrets et une mise en garde.
Les regrets, c’est d’avoir dû patienter cinq années pendant lesquelles, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, nous avons guerroyé pour que ce moment advienne, cinq années au cours desquelles nous nous sommes heurtés à une opposition manifeste qui dénote le vrai fond de pensée, la vraie structure intellectuelle de la majorité d’hier, qui a présenté ce texte alors même qu’elle n’en avait pas fondamentalement envie.
M. Gérald Darmanin. Vous oubliez Nicolas Sarkozy !
M. Jacques Valax. Mise en garde aussi, appel à la vigilance citoyenne, car ces textes ne sont qu’une apparence de démocratie participative et citoyenne. Sans faire de procès d’intention, je veux rappeler qu’il faut, les uns et les autres, que nous soyons attentifs aux mots : il s’agit d’un référendum d’initiative partagée, en aucune façon d’un référendum d’initiative populaire, et il est donc important que les mots que nous employons correspondent à la réalité du texte qui nous est proposé.
L’un des objectifs de la révision constitutionnelle était de rapprocher le citoyen de la décision politique en lui conférant de nouveaux droits. Mais, et je le dis à cette tribune en regardant M. Geoffroy dans les yeux : c’était un leurre politique, une illusion, une promesse non destinée à être tenue, une parole non assumée.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Vous nous avez bien rattrapés depuis !
M. Jacques Valax. La majorité d’alors n’avait nullement l’intention de donner du pouvoir aux citoyens. Elle a introduit à l’article 11 un dispositif qui consiste en réalité en un droit de pétition d’un dixième des citoyens inscrits sur les listes électorales, soit quatre millions et demi d’électeurs, en soutien à une proposition de loi d’un cinquième des parlementaires – 184 députés ou sénateurs ! L’initiative appartient donc au législateur et à lui seul, ne nous y trompons pas. Il s’agit d’être précis et de ne pas faire miroiter une révolution démocratique et juridique qui n’a malheureusement pas lieu. Ainsi, le professeur Pierre-Henri Prélot préfère parler d’une « initiative parlementaire-citoyenne », car « à vouloir absolument parler de référendum, on se paie de mots et l’on court le risque de nourrir encore plus la frustration des citoyens à l’encontre des élus ». Il est vrai que si l’on regarde les pays qui pratiquent réellement le référendum d’initiative populaire, tels la Suisse et certains États des États-Unis, il apparaît qu’ils l’autorisent tous, sans exception aucune, de façon beaucoup moins restrictive. Ainsi, ils n’imposent en général pas de limite sur la matière de la proposition – tous les sujets peuvent être abordés – et aucun des pays concernés ne prévoit un nombre aussi élevé de signatures – en Italie par exemple, seules 500 000 signatures sont nécessaires pour enclencher un référendum abrogatif. De plus, l’examen par le Parlement n’exclut aucunement la tenue d’un référendum, et aucun de ces pays n’impose de limite de temps par rapport au précédent référendum.
Nous sommes donc, il faut bien le reconnaître, particulièrement craintifs, frileux, face à cette exigence citoyenne. Je vous demande à tous, surtout à la droite de l’hémicycle, de méditer les propos du politologue québécois Marc Chevrier :…
M. Gérald Darmanin. Attendez, on note ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Valax. …« L’élite politique redoute le référendum. C’est un instrument imprévisible de gouvernement, qui transfère le pouvoir de décision des partis vers le peuple, dépersonnalise les débats et laisse s’exprimer les clivages de l’opinion. » C’est vous qui, dès le départ, nous avez enfermé en figeant la discussion sur l’article 11 dans des termes que nous ne pouvons, aujourd’hui encore, accepté et que nous avons essayé de faire évoluer par voie d’amendement, sans aucun succès. Je termine la citation : « Dans un système représentatif, le parti gouvernemental aime disposer de la marge de manœuvre conférée par le mandat populaire, ouvert et imprécis. C’est sous couvert de sa légitimité, reçue par la sanction populaire, que le gouvernement élu prétend gouverner au nom du peuple… Les gouvernants répugnent donc à recourir à cela même qui mine leur autorité ».
Mme la présidente. Je vous prie de conclure.
M. Jacques Valax. Je termine, madame la présidente. Le dispositif est donc excessivement restrictif et probablement inapplicable. Mais je voterai le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire parce qu’un travail de réécriture substantielle a été réalisé par nos assemblées depuis le vote du 10 janvier 2012. Notre objectif était clair : il s’agissait de desserrer l’étau qui enferme les citoyens et de jouer sur les délais pour améliorer cette nouvelle possibilité de participer qui leur était offerte, aussi réduite et hypothétique soit-elle. Encadrée pour éviter dérives et instrumentaIisations, l’initiative populaire permettrait vraiment aux citoyens de s’emparer plus et mieux de la chose publique, ce qui ne peut être que souhaitable en ces temps de défiance accrue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La discussion générale commune est close.
Mme la présidente. Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique.
Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, je vais d’abord appeler l’Assemblée à statuer sur l’amendement dont je suis saisie.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Gouvernement a examinée les conclusions de la commission mixte paritaire en se demandant si la rédaction adoptée, fruit d’une volonté d’arriver à un texte commun, présentait un risque du point de vue de la constitutionnalité. Or l’alinéa 14 de l’article 1er pose une difficulté. En effet, la volonté de compromis a abouti à retenir l’idée que la commission chargée de traiter les réclamations relatives aux opérations de recueil des soutiens est « une formation présidée par un des membres du Conseil constitutionnel et composée de deux autres membres désignés par le Conseil ». Une telle rédaction soulève la question du respect par ce dispositif du principe constitutionnel d’impartialité dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, car l’un des membres du Conseil participerait alors à la formation, les décisions de celle-ci étant ensuite examinée par le Conseil lui-même. Or il est convenu que le principe d’impartialité s’impose au Conseil constitutionnel. Dès lors, loin de vouloir nous opposer à une démarche de la commission mixte paritaire, nous estimons qu’il vaut mieux présenter un texte finalisé, après le long temps de réflexion que nous avons eu collectivement sur ce projet de loi organique, plus de cinq années, c’est-à-dire un texte qui ne comporte pas un risque de censure par le Conseil constitutionnel.
Voilà pourquoi le Gouvernement vous propose, pour répondre à la difficulté que j’ai évoquée, l’amendement suivant : « Après le mot "formation", rédiger ainsi la fin de l’alinéa 14 : "composée de trois membres désignés pour une durée de cinq ans par le Conseil constitutionnel sur proposition de son président parmi les magistrats de l’ordre judiciaire ou les membres des juridictions administratives, y compris honoraires. » Je confirme que le rapporteur du Sénat a comme vous, monsieur le rapporteur, donné son accord.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur des commissions mixtes paritaires.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Je ne surprendrai personne en confirmant les propos que j’ai tenus à la tribune, à savoir que cet amendement améliore l’efficacité du texte et se rapproche de ce que l’Assemblée nationale avait souhaité lors des précédentes lectures. Je vais donc évidemment émettre un avis favorable.
Mais pour que la mise en œuvre de cette disposition puisse s’appuyer sur nos débats, je demande à M. le ministre de confirmer mon interprétation de l’amendement : l’honorariat peut s’appliquer aux magistrats de l’ordre judiciaire comme aux membres des juridictions administratives ; je pense que c’est l’esprit du texte. La distinction entre les deux, de par la nature de leurs attributions et de leurs fonctions, pourrait en effet faire croire que seuls ces derniers sont concernés.
Il me semble très compliquée de proposer une rédaction plus précise.
Dès lors, pour faciliter l’interprétation ultérieure du texte et pour nous assurer de la capacité pour le Conseil constitutionnel de faire appel à des magistrats de l’ordre judiciaire honoraire, il me semble qu’une précision du Gouvernement serait utile. Mais je confirme qu’il ne s’agit que d’une demande de précision et que, bien évidemment, je souhaite que cet amendement soit adopté.
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président des commissions mixtes paritaires.
M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président des commissions mixtes paritaires. Je souhaite interroger le ministre sur les quelques ambiguïtés que j’ai repérées dans l’amendement du Gouvernement.
Monsieur le ministre, comme le rapporteur l’a excellemment dit, le texte issu de commission mixte paritaire résulte d’une négociation de dentelle puisque nous n’avons pas la même lecture que le Sénat du rôle du Conseil constitutionnel. Nous avions donc construit une rédaction qui nous paraissait assez conforme au point de vue des uns et des autres sans franchir les bornes fixées. Cependant, vous nous proposez un autre amendement.
Pourriez-vous nous dire s’il y a une formation ou des formations du Conseil constitutionnel ? À l’alinéa 14 que vous modifiez, vous évoquez en effet une seule formation alors qu’à l’alinéa 16, nous lisons « sur renvoi d’une formation, le Conseil constate […] ». Cela ne bouleverse pas le texte, mais une précision de votre part permettrait, dans le silence de la loi, d’avoir une interprétation qui sera conforme à l’intention du législateur.
Je veux aussi attirer l’attention de l’Assemblée nationale sur la double innovation que vous nous proposez.
D’une part, vous nous proposez de créer une formation du Conseil constitutionnel. Il existe bien des sections d’instruction, notamment en matière de contentieux électoral, mais celles-ci sont formées de membres du Conseil constitutionnel. Pour la première fois, une formation du Conseil sera composée de magistrats de l’ordre judiciaire et des juridictions administratives, comme vient de le dire Guy Geoffroy.
D’autre part, la formation du Conseil constitutionnel, telle que prévue dans votre amendement, sera dotée d’un pouvoir de décision, ce qui n’est pas le cas de la section chargée d’instruire les contentieux électoraux. Cette formation pourra statuer sur les recours.
Tous les orateurs l’ont dit, et j’imagine que cela est limpide pour tout le monde : nous construisons un dispositif dont la concrétisation ne sera pas immédiate, car il ne conduira pas immédiatement à l’organisation d’un référendum. J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que nous allons avoir un an de plus pour y réfléchir, puisque ces mesures ne sont applicables qu’en 2015. La maturation du processus aura donc en réalité duré six ans, et non pas cinq ans.
En revanche, la collecte de 4,5 millions de signatures sera possible, ce qui explique que nous passions du temps sur la manière dont seront traités les recours dont elle fera l’objet.
En résumé, monsieur le ministre, je regrette que la version de l’Assemblée nationale n’ait pas pu être reprise par la commission mixte paritaire, car elle était complète alors que votre proposition comporte des lacunes, même si elles ne sont pas infamantes et n’empêcheront pas le dispositif de fonctionner. Quel est le statut des membres de cette formation ? Y a-t-il ou non des incompatibilités ? Les réunions de cette formation seront-elles ou non publiques ? Nous l’avions prévu dans le texte adopté par l’Assemblée nationale ; il est dommage que cela n’ait pas pu être repris. Les sénateurs ont une lecture orthodoxe, une interprétation extrêmement restrictive de l’article 11 de la Constitution, et je le regrette.
Des précisions méritent d’être apportées. Tout cela est naturellement conforme à la Constitution et ces précisions vont lever les ambiguïtés. Nous sommes dans le cadre de l’application de l’article 11 mais aussi de l’article 63, qui prévoit une loi organique pour définir le fonctionnement du Conseil constitutionnel.
Je suis certain, monsieur le ministre, que vos réponses montreront qu’une fois de plus Giraudoux avait raison, lui qui disait que l’imagination est la première forme du talent juridique.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Je ne doute pas que les membres du groupe SRC souscrivent tous aux objectifs du Gouvernement quant à la sécurisation de ce texte.
Il n’empêche que le président de la commission des lois vient de soulever des difficultés sur lesquelles nous attirons également l’attention du ministre. S’il ne peut nous apporter immédiatement les réponses adéquates, peut-être sera-t-il utile, vu le très long délai d’attente, que nous ayons au moins deux minutes de suspension de séance.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je suis sensible aux observations du vice-président des commissions mixtes paritaires, que je partage largement. Si je comprends le souci du Gouvernement qui est de garantir le respect du principe d’impartialité, je relève que celui-ci n’est pas mis en cause quand, par exemple, le Conseil constitutionnel exerce, d’une part, la mission de veiller à la régularité de l’élection présidentielle et, d’autre part, celle d’en contrôler les résultats en cas de réclamation. Il exerce les deux fonctions, et personne ne pense à remettre en cause son impartialité.
Il faut rester relativement simple par rapport au texte constitutionnel. Selon l’article 60 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum. » C’est une prescription précise ; il ne dit pas : « Un sous-organisme délégué par le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum. » Ce sous-organisme serait composé de trois magistrats, dont le fait qu’ils soient honoraires ne garantit pas nécessairement leur dynamisme (Sourires) et qui seront en tout cas peu nombreux par rapport à la tâche que l’on attend d’eux. Il s’agit en effet de se pencher sur 4,5 millions de signatures. Trois magistrats pour effectuer un tel travail, même s’ils sont diligents – comme le sont tous les magistrats, bien sûr –, c’est peu.
Certes, le Conseil constitutionnel ne compte que neuf membres nommés auxquels s’ajoutent les membres de droit, ce qui n’est pas tellement plus. Mais c’est déjà davantage.
Peut-être faut-il continuer de réfléchir sur ce point ? Je comprends très bien que l’on soit soucieux de ne pas porter atteinte au principe d’impartialité qui, à mon avis, n’est pas mis en cause, mais je crains que si nous adoptions cette disposition, elle ne soit pas jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui est intéressé au premier chef. En effet, cela reviendrait à ôter au Conseil constitutionnel le contrôle du bon déroulement des opérations de référendum pour le confier à une institution inconnue, sui generis, surgie de notre imagination.
M. Bernard Gérard. Il a raison !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Certes, le vice-président des commissions mixtes paritaires a rappelé que, selon le principe giralducien, l’imagination est la vertu juridique première, mais elle doit avoir des limites et parfois céder devant la raison, comme aurait dit Boissy d’Anglas.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Plutôt que d’essayer de faire preuve d’imagination juridique – ce serait un combat inégal que je serais sûr de perdre contre vous, monsieur le vice-président (Sourires) –, je vais m’efforcer d’apporter des réponses précises aux questions qui me sont posées.
S’agissant de la question posée par le rapporteur, Guy Geoffroy, qui est utile, je précise que les membres honoraires de l’ordre judiciaire sont compris dans la définition telle qu’elle est donnée. Que ces propos servent à l’interprétation de ce qu’a été la volonté des rédacteurs de ce qui sera demain le texte de loi.
Y a-t-il une formation ou des formations du Conseil constitutionnel ? À cette question légitime, apportons une précision utile, que chacun peut comprendre à partir d’un exemple concret. Il pourrait très bien y avoir, à un moment donné, plusieurs initiatives de référendum concurrentes dans le pays. L’existence d’une formation unique pourrait alors être un obstacle au travail et au respect des délais prévus. Compte tenu des conditions d’application du dispositif, je précise donc qu’il s’agit de comprendre des formations et non pas une formation unique.
Reste la question de la portée du texte et des conditions de son application. Par définition et compte tenu de son statut, ce texte sera examiné par le Conseil constitutionnel. Quant au Gouvernement, conformément à son rôle, il essaie de rassembler les deux assemblées et les majorités. Pour résumer, je dirais que les positions n’étaient pas faciles à unifier, notamment sur cette question du rôle, du contenu et des formes de saisine de la commission – ou des commissions – et notamment de son rapport avec le Conseil constitutionnel. La formule que nous avons retenue peut recueillir l’accord des deux assemblées.
Le vice-président des commissions mixtes paritaires considère que nous faisons preuve d’imagination et que les conditions d’application restent incertaines. Le Conseil constitutionnel a répondu lui-même à des situations qui, sans être forcément analogues, peuvent servir de référence. Ainsi, bien que le libellé de l’article 63 de la Constitution ne soit pas très précis à cet égard, le Conseil a accepté que des règles procédurales soient fixées par un simple règlement intérieur en ce qui concerne le jugement des questions prioritaires de constitutionnalité.
Dans la hiérarchie des questionnements, celui qui concerne la procédure intra-muros du Conseil sur les questions prioritaires de constitutionnalité est au moins aussi important que le nôtre. En réalité, en l’absence de dispositions du législateur ou du constituant, le Conseil constitutionnel a réglé cette affaire par une décision qui relève du règlement intérieur.
J’ajoute que, dans le cas de l’élection du Président de la République, des dispositions réglementaires sont venues compléter des lois organiques : l’article 13 du décret du 8 mars 2001 a créé une commission de contrôle alors même que – si j’ai bonne mémoire, mais je peux me tromper – l’existence de cette commission n’a aucun fondement organique.
Si le texte est adopté dans cette rédaction, les questionnements légitimes et justifiés pourraient trouver leur réponse dans l’une de ces références : soit la possibilité pour le Conseil constitutionnel d’élaborer lui-même des réponses dans une sorte de règlement intérieur, soit le recours à une procédure réglementaire. Ces précédents prouvent en tout cas qu’il n’a pas besoin de bases dans la loi organique.
Je partage les interrogations qui ont été soulevées et qui auraient pu être qualifiées d’incompétences négatives de la part du législateur. Ce n’est pas le cas : voici des précisions et des procédures qui peuvent y répondre.
Pour le Gouvernement, l’essentiel est d’essayer d’être persuasif ici comme il essaiera de l’être devant le Sénat dans quelques jours, étant précisé que pèse sur lui une contrainte qu’il voudrait partager : pour parvenir à un texte commun, il ne peut présenter que le même texte devant chacune des assemblées.
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président des commissions mixtes paritaires.
M. Jean-Jacques Urvoas, vice-président des commissions mixtes paritaires. Le législateur organique est satisfait des observations du ministre. Je ne doute pas que ceux qui liront nos travaux, peut-être même les membres du Conseil constitutionnel, que je crois extrêmement attentifs à nos débats – parfois extrêmement, extrêmement attentifs, même – y trouveront ainsi bien des réponses aux questions qu’ils se posent.
Mme la présidente. La parole est à M. le président Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je remercie le ministre pour les réponses très complètes qu’il a données à mes questions. Sans doute ai-je repris des arguments que d’autres ont avancés mais, quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que la QPC résulte d’un changement du règlement intérieur du Conseil constitutionnel. Elle est le fruit de l’article 29 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce n’est donc pas le Conseil constitutionnel lui-même, à travers son propre règlement, qui l’a créée mais le constituant. Un tel exemple ne peut donc être invoqué.
Je reste convaincu que cette disposition risque d’être jugée inconstitutionnelle et qu’il n’est pas possible de déléguer, comme cela, à un organisme particulier – dont l’existence n’est pas prévue dans un autre cadre – une compétence aussi importante. Cela n’est pas conforme à l’article 60 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel ne dispose pas lui-même de la liberté de « sous-déléguer ». Le constituant peut bien entendu lui déléguer des compétences, et c’est le cas, mais je ne pense pas qu’il puisse sous-déléguer ces dernières. Nous ne sommes pas complètement dans un régime de liberté juridique qui, parfois, pourrait un peu relever de l’anarchie ou du spontanéisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérald Darmanin.
M. Gérald Darmanin. Je m’exprimerai très rapidement, madame la présidente, afin de ne pas prolonger nos débats.
Nous étions plus sensibles aux interrogations du président Urvoas « première formule » ainsi qu’à celles de nos collègues socialistes et de notre collègue président du groupe RRDP M. Schwartzenberg qu’aux explications de M. le ministre et à l’optimisme de M. Urvoas « seconde formule ».
Sur le vote de cet amendement, nous nous abstiendrons, car nous aurions peut-être pu discuter plus longuement de ces très importantes questions constitutionnelles. L’heure tardive nous conduit toutefois à nous montrer raisonnables.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Les questions que vous avez posées, monsieur le président Schwartzenberg, sont de même nature que celles qui l’ont été par le rapporteur et le vice-président des commissions mixtes paritaires, ma réponse étant évidemment commune.
Je persiste à vous dire – et sans doute sommes-nous en désaccord sur ce point –que, pour m’opposer à votre argumentation, je me suis référé à la commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle, la CNCCEP. Là encore, c’est la procédure qui est en question. Je n’ai jamais dit, bien entendu, que la QPC résultait d’un règlement intérieur du Conseil constitutionnel. En revanche, ce dernier a élaboré lui-même les conditions procédurales de fonctionnement de la QPC qui lui serait soumise puisque personne ne l’avait fait.
Il existe bien une commission à laquelle il est possible de déléguer et au sein de laquelle ne siègent pas les membres du Conseil constitutionnel et j’y ai donc fait référence. Je ne pense pas que cela soit de nature à vous convaincre mais, en tout cas, convenez qu’il existe déjà une référence de ce type.
Enfin, je remercie le rapporteur et le vice-président des commissions mixtes paritaires de m’avoir donné acte des explications que j’ai fournies.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur des commissions mixtes paritaires.
M. Guy Geoffroy, rapporteur des commissions mixtes paritaires. Sans vouloir rallonger nos échanges mais pour être très clair quant à cet amendement et à sa portée par rapport à la globalité de nos travaux, je tiens à dire ceci.
Il y a – c’est comme cela qu’il faut le dire – un oubli, une lacune dans la commande constitutionnelle, laquelle, si on l’envisage strictement, ne prévoit donc pas l’existence d’une commission. Si, en revanche, on l’apprécie dans la globalité du dispositif et de sa mise en œuvre, il est nécessaire de disposer d’un outil faisant office de filtre préalablement à des décisions du Conseil constitutionnel qu’il est seul à pouvoir prendre sur des cas avérés de contentieux.
Nous avions pensé créer la commission mais, au motif qu’elle n’est pas prévue par la Constitution, nos collègues sénateurs ne l’ont pas voulu. Nous sommes donc devant un problème qui doit être résolu. Si tel n’est pas le cas, nous risquons de donner prise à la remarque faite par certains selon lesquels l’ambition de ce texte ne serait pas à la hauteur souhaitée et, de surcroît, son application risquerait de rendre plus difficile la capacité populaire à se saisir d’une initiative parlementaire pour en faire une loi.
La solution que nous avions trouvée au sein de la CMP, comme tout consensus, se situait à mi-chemin. Or, la présidence de la ou d’une commission que nous créerions – ou, plus exactement, d’une formation, pour aller dans le sens de la réflexion de nos collègues sénateurs – par un membre du Conseil constitutionnel constitue une véritable difficulté, ne serait-ce que quant à la disponibilité de ses membres face à l’éventualité d’un nombre important de recours.
En effet, sur la collecte d’une pétition signée par 4,5 millions de personnes, il n’est pas possible d’écarter la possibilité, pendant un certain temps, d’être confronté à l’afflux d’un nombre important de contestations à traiter. C’est pourquoi, et je reprends ce que le ministre disait tout à l’heure en réponse à une très juste question de notre président de la commission des lois, il importe que plusieurs formations puissent être mises en place. Imaginons qu’il soit nécessaire de créer trois ou quatre formations simultanées. Dans l’esprit des travaux de la CMP, cela signifie que quatre ou cinq membres du Conseil constitutionnel seraient appelés à les présider en permanence, ce qui n’est manifestement pas possible.
Le Gouvernement propose donc que les formations, telles que la CMP les a initiées, à l’intérieur et non à l’extérieur du Conseil constitutionnel – ce qui aurait été le cas avec la commission – puissent siéger sans être présidées par un membre de ce dernier. Je ne dirais pas qu’il s’agit là de la meilleure formule mais, compte tenu de la ligne de crête sur laquelle nous sommes contraints de nous tenir, de la moins mauvaise solution. Je suis également persuadé que nos débats éclaireront l’usage qui en sera fait par le Conseil constitutionnel et par tous ceux et toutes celles qui voudraient éventuellement contester les dispositions que nous sommes en train de voter.
C’est pourquoi je suis certain que le Gouvernement joue finalement les bons offices entre l’Assemblée nationale et le Sénat, au-delà de la CMP, et qu’il remplit cette mission d’une façon pertinente qui me semble en outre pouvoir être efficace. D’aucuns pourraient penser que le Gouvernement fait une mauvaise manière au législateur en intervenant après la CMP mais étant, me semble-t-il, l’un des témoins les plus avisés, je crois qu’il n’en est rien – je rappelle que je suis ce texte depuis l’origine de sa présentation à l’occasion de sa première lecture ici même au mois de décembre 2011. Je crois que nous restons dans l’esprit de la commande et sur ce chemin de crête constitutionnel dont je reconnais qu’il est assez étroit et difficile.
C’est pourquoi, toutes les réponses ayant été posées – et elles sont toutes pertinentes – et toutes les réponses ayant été données – toutes me semblent acceptables – il me semble opportun de voter cet amendement tout comme, me semble-t-il, les sénateurs le feront également après avoir posé beaucoup de questions et obtenu toutes les réponses.
Mme la présidente. La parole est à M. le président M. Roger-Gérard Schwartzenberg.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. M. le ministre disait tout à l’heure que, certes, c’est la révision constitutionnelle qui a créé la QPC mais que c’est le règlement intérieur du Conseil constitutionnel qui a fixé la procédure la concernant. Ce n’est pas le cas. Il existe une loi organique relative à la QPC – prévue par la révision constitutionnelle et par l’article 61-1 de la Constitution – dont le règlement intérieur n’est que la déclinaison.
M. Gérald Darmanin. Il n’est pas convaincu !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je voudrais dire, pour essayer de trouver une solution, que je ne comprends pas pourquoi on ne confie pas à l’une des formations du Conseil constitutionnel le soin de procéder à l’exercice décrit dans cet amendement.
M. Sébastien Denaja. Parce qu’il ne le veut pas !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous serions alors certains de disposer de membres compétents, d’ailleurs nommés à l’issue d’une procédure protectrice de leur indépendance puisque, d’après la Constitution, il faut que les membres du Conseil constitutionnel, pour être nommés, reçoivent un avis positif de la commission permanente concernée de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
En revanche, ces trois magistrats de l’ordre judiciaire ou des juridictions administratives ne disposeront pas nécessairement, quant à eux, de cette garantie d’impartialité qu’offre la procédure constitutionnelle non plus que de l’autorité des membres constitutionnels. Ils formeront en quelque sorte une sous-institution subalterne dotée de grands pouvoirs et de peu d’autorité.
(L’amendement no 1, accepté par la commission, est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement adopté par l’Assemblée.
(L’ensemble du projet de loi organique est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L’ensemble du projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente : nouvelle lecture du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron