SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
Projet européen de réforme bancaire
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille
Avenir des réformes de société
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif
Investissements étrangers en France
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur
Accord de libre-échange transatlantique
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
Assurance maladie des travailleurs frontaliers
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Christophe Sirugue
2. Fixation de l’ordre du jour
3. Harmonisation des taux de TVA applicables à la presse
M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication
Amendement no 1
4. Renforcement de la lutte contre la contrefaçon
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Joël Giraud. Ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances. Mercredi dernier, le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, a présenté les propositions de la Commission européenne pour réformer les banques en Europe.
Ces propositions font écho à la réforme bancaire française adoptée l’année dernière, à ceci près qu’elles sont beaucoup plus ambitieuses. L’une de ces propositions vise à cantonner dans des filiales un plus grand nombre d’activités dangereuses. Une autre consiste à interdire les activités spéculatives pour le compte propre des établissements bancaires.
Lors de l’examen de la réforme bancaire en France, les radicaux de gauche avaient salué la volonté du Gouvernement de mieux encadrer les activités bancaires. Toutefois, nous avions émis quelques réserves et proposé plusieurs dispositions par voie d’amendement.
Tout d’abord, un élargissement du champ des activités spéculatives à cantonner – nous insistions alors sur la nécessité de filialiser la tenue de marché, ne serait-ce qu’au-delà d’un certain volume d’activité ; ensuite, une interdiction de toutes les activités de trading à haute fréquence, et pas seulement une partie d’entre elles ; enfin, un renforcement des sanctions lorsque la séparation des activités des banques serait insuffisamment respectée.
Nos propositions avaient alors été rejetées, sous prétexte que la France ne pouvait à elle seule prendre des dispositions aussi restrictives, qui risquaient de mettre en danger la compétitivité de notre industrie bancaire.
M. Paul Giacobbi. On a l’air malins !
M. Joël Giraud. Or les propositions de la Commission européenne correspondent à ce que notre groupe parlementaire souhaitait. Et ces règles s’appliqueraient à l’ensemble des pays européens, contrairement à ce que certains laissent entendre. La Commission a seulement fait part d’une évidence : les pays, comme le Royaume-Uni, qui se sont dotés d’une législation encore plus contraignante, n’auront pas à appliquer une réforme plus laxiste. Tant mieux, cela laissera la possibilité à la France d’aller encore plus loin…
M. Julien Aubert. Très bien !
M. Joël Giraud. Alors que l’Union européenne est souvent critiquée pour son laisser-faire, voilà que la Commission propose des mesures ambitieuses. Ma question est donc simple : le Gouvernement français compte-t-il soutenir cette initiative européenne, qui combat les activités financières spéculatives et protège l’épargne de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
M. Julien Aubert et M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, merci pour cette question à laquelle le ministre de l’économie et des finances, retenu au Sénat par l’examen d’une proposition de loi, aurait souhaité répondre.
Je veux d’abord rappeler le rôle particulier joué par la France pour réguler la finance au plan international, et plus particulièrement en Europe. Cette action s’est traduite au plan européen par l’union bancaire, avec un mécanisme unique de surveillance bancaire, de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts. Elle nous a également conduits à prendre des dispositions législatives en France, avec la loi de séparation des activités bancaires.
C’est ainsi que nous avons cantonné les activités spéculatives des banques, que nous avons été amenés à élaborer des règles pour leur intervention sur les marchés, de même que nous avons mis en place des dispositifs pour éviter que les grandes banques, dont on considère parfois hâtivement qu’elles ne peuvent faillir, ne se trouvent placées en position difficile.
Notre pays, en avant-garde, a pris des positions en Europe pour plafonner les rémunérations des traders, réguler le trading à haute fréquence, éviter la spéculation sur les produits agricoles. Comme vous pouvez le constater, l’ensemble des mesures prises par la France ont été préemptées par l’Union européenne.
Sur certaines des propositions émises par le commissaire Barnier, qui, d’ailleurs, n’ont pas été soumises à la concertation, l’Union européenne semble en retrait. Ainsi, la Commission se concentre sur les grandes banques, alors que notre dispositif concerne l’ensemble du secteur bancaire.
Nous sommes désireux de faire en sorte, avec l’Allemagne, que les propositions que nous avons poussées au sein de l’Union prévalent, et que la concertation permette de mieux réguler la finance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Marc Dolez. Monsieur le Premier ministre, en 2013, le nombre de demandeurs d’emploi a encore augmenté de 6 %, alors que les exonérations ou allégements de cotisations sociales patronales se sont élevés à plus de 28 milliards d’euros.
Jamais, depuis plus de vingt ans, la courbe du chômage n’a été inversée grâce à une baisse des cotisations. Pourtant, avec le pacte dit « de responsabilité », vous prévoyez 30 milliards d’euros d’allégements sur les cotisations familiales. Pourquoi de nouveaux allégements feraient-ils aujourd’hui les emplois de demain ?
Les réponses de ces derniers jours sont sans appel. Le président du MEDEF refuse de donner des objectifs précis d’embauche. Pour le président de la CGPME, « les PME n’emploient que quand les carnets de commandes augmentent. Il n’y a pas de rapport direct entre baisses de charges et emplois. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, faire croire que le coût du travail est la cause du chômage, c’est faire fausse route. La relance de l’emploi ne peut passer que par une vraie politique industrielle, basée sur la demande, et non sur l’offre.
Une politique efficace de l’emploi suppose aussi, comme le proposent les députés du Front de gauche, de mettre en place un nouveau crédit bancaire pour les investissements matériels et de recherche des entreprises. Elle consiste encore à conditionner les aides et à moduler les cotisations patronales, afin de favoriser les entreprises qui embauchent, augmentent les salaires et innovent et de sanctionner celles qui font la course aux profits et à la rémunération des actionnaires.
Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à ouvrir ce débat ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
Je vous prie, chers collègues, d’être moins bruyants. Nous n’entendons plus les réponses !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député Dolez, vous posez une question qui concerne l’équilibre de la politique économique du Gouvernement et nous interrogez sur la façon de retrouver le chemin de l’emploi et de la croissance. C’est une préoccupation que nous avons en commun.
Je voudrais rappeler les trois piliers de la politique gouvernementale. Celle-ci repose sur un équilibre qui commence à donner des résultats, lesquels s’amplifieront dans les mois qui viennent.
D’abord, nous voulons faire en sorte que le plus grand nombre possible de personnes privées d’emploi depuis longtemps puissent y accéder. Cela permet d’augmenter le pouvoir d’achat, donc de relancer la demande et de retrouver la croissance. C’est le sens de l’action dans laquelle est résolument engagé le ministre du travail, avec la création des contrats de génération et des contrats d’avenir. Ceux-ci permettent à des jeunes depuis longtemps exclus du marché du travail d’avoir une chance d’y entrer, d’avoir accès à la consommation, d’avoir la possibilité de se construire un avenir, une perspective.
Ensuite, nous avons souhaité desserrer les contraintes qui pèsent sur l’offre. C’est effectivement pour restaurer les marges des entreprises et leur permettre d’être plus véloces dans la compétition internationale que nous avons décidé de mettre en place le crédit d’impôt compétitivité emploi. Les effets du CICE, qui représente un allégement net de charges de 20 milliards d’euros, ne peuvent être encore mesurés puisqu’il montera en puissance en 2014, 2015 et 2016.
Enfin, nous avons pris des mesures en loi de finances pour renforcer le pouvoir d’achat : réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, augmentation de la décote, augmentation du revenu fiscal de référence, augmentation du RSA de 2 % au-delà de l’inflation, afin de faire en sorte que, là aussi, la demande soit soutenue et que l’emploi soit au rendez-vous.
M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, samedi matin, votre ministre de l’intérieur promettait la plus grande sévérité aux participants de la « Manif pour tous ». À sa décharge, nous reconnaissons qu’il est beaucoup plus facile de stigmatiser des citoyens pacifiques et honnêtes plutôt que de traquer les délinquants qui pourrissent la vie des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Dimanche, il récidivait dans la stigmatisation outrancière en se posant en premier flic des consciences (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC), invoquant « les forces sombres de la division », « le climat des années 1930 ». Par ces mots blessants et insultants, il cherche à discréditer des millions de Français et avec eux, l’opposition parlementaire qui combat votre politique familiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, nous nous opposerons à votre matraquage fiscal des familles, nous nous opposerons à la théorie du genre (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), nous nous opposerons à la PMA pour convenance personnelle, sans raison médicale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), nous nous opposerons à la gestation pour autrui.
Monsieur le Premier ministre, dans ce combat politique, nous défendons nos convictions. Nous n’avons pas à être insultés ou caricaturés, ni par vous, ni par votre ministre de l’intérieur, ni par aucun de vos ministres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, j’ai deux questions à vous poser. Partagez-vous, oui ou non, l’opinion de M. Valls selon laquelle les Français qui ont manifesté dimanche sont des anti-républicains ? (« Oui » sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, du calme.
M. Christian Jacob. Après l’annonce du président du groupe socialiste qui promet de déposer des propositions de lois concernant la famille, vous estimez-vous toujours légitime à être le chef de la majorité, monsieur le Premier ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, monsieur le président Jacob, je vais vous dire une chose. Vous ne nous impressionnez pas et vos invectives n’empêcheront pas le Gouvernement de réformer comme il en a l’intention. Si tel est votre objectif, vous faites fausse route ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Christian Jacob. C’est vous qui ne nous impressionnez pas !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous avons, avec le Gouvernement que je dirige, la totale légitimité pour mettre en œuvre les engagements du Président de la République et proposer au Parlement, au fur et à mesure, des réformes, tant dans le domaine de la famille que du reste !
Certains ont voulu voir un recul dans la confirmation que j’ai faite hier que le projet de loi relatif à la famille ne serait pas examiné cette année, alors qu’il s’agit tout simplement de donner plus de temps à l’élaboration de ce projet de loi, préparé par Dominique Bertinotti, que je remercie chaleureusement pour le travail qu’elle mène avec la députée socialiste Marie-Anne Chapdelaine, en lien étroit avec la garde des sceaux, sur des sujets complexes (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce travail va se poursuivre et sera mené à bon port. De quoi s’agit-il ?
Il ne s’agit ni de la PMA, ni de la GPA, monsieur Jacob, ni de la théorie du genre. (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Jacob. Et les propos de M. Le Roux ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il s’agit de la vie concrète des Françaises et des Français. Nous devons prendre en compte – c’est le sens de cette réforme – l’évolution des familles, les problèmes auxquels elles sont confrontées. Je pense aux familles recomposées, aux règles que nous devons réformer pour simplifier l’adoption des enfants placés, …
M. Bernard Deflesselles. Il rame !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …au développement de la médiation familiale, à l’exercice de la responsabilité familiale en cas de séparation des parents. Voilà ce que vous pouvez trouver dans ce projet de loi en préparation ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le Gouvernement sera attentif à toutes les propositions qui émaneront des groupes parlementaires et qui nous permettront d’améliorer la vie de nos concitoyens. (Mêmes mouvements.)
Vous me dites que vous ne voulez pas de la PMA, que vous ne voulez pas de la GPA, que vous ne voulez pas de la théorie du genre. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais la théorie du genre, monsieur le président Jacob, où êtes-vous allé la chercher ? Elle n’a jamais été envisagée par personne au niveau du Gouvernement ! (Huées sur les bancs du groupe UMP.) C’est vous qui l’inventez ! Elle vient des États-Unis et vous vous en faites le porte-parole ! (Mêmes mouvements.) Vous faites cependant fausse route car ce n’est pas la politique du Gouvernement !
M. le président. Un peu de calme, s’il vous plaît.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous parlez de la gestation pour autrui mais, avant même l’élection présidentielle, François Hollande avait déclaré que jamais, s’il était élu Président de la République, cette question ne serait à l’ordre du jour. Eh bien, elle ne l’est pas ! Vous le savez, mais vous continuez de jouer avec les peurs ! (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP.) Vous le faites parce que vous pensez y gagner des points. Quant à la procréation médicalement assistée, qui existe pour les couples hétérosexuels qui désirent des enfants, vous savez que la question de son extension relève de la réflexion bioéthique, et c’est pour cette raison que le Comité national d’éthique s’en est lui-même saisi. Son président, M. Jean-Claude Ameisen, a annoncé qu’il lui faudrait du temps pour rendre son avis, c’est-à-dire au moins un an ! Laissons le Comité national d’éthique travailler, et n’essayez pas de jouer avec les peurs ! N’essayez pas de faire croire que le Gouvernement n’aime pas la famille ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Au contraire, ce gouvernement peut être fier de ce qu’il a déjà entrepris ! C’est mon gouvernement qui a augmenté l’allocation de rentrée scolaire de 25 % pour les familles populaires, c’est mon gouvernement qui a pris des mesures en faveur des 5 millions d’enfants pauvres, en particulier ceux élevés dans des familles monoparentales, c’est mon gouvernement qui a fait en sorte de réduire le déficit de la branche famille que vous nous aviez laissé, afin de garantir l’universalité des allocations familiales. (« Pin-pon ! Pin-pon ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. Du calme, chers collègues !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est mon gouvernement qui fait encore avancer l’égalité des droits entre les hommes et les femmes pour que la responsabilité parentale s’exerce de façon équitable au sein de la cellule familiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est mon gouvernement qui a annoncé la création de 275 000 places en crèche pour permettre aux hommes et aux femmes d’exercer la profession de leur choix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Telle est la politique de mon gouvernement, et cette politique se poursuivra ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
C’est cette majorité dont vous venez de parler qui a résisté à la volonté de retour en arrière, poussée par les manifestants réactionnaires. Certes, ils ont le droit de manifester mais vous courez derrière eux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est cette majorité qui a dit « non » à la remise en cause de la loi Veil la semaine dernière. C’est la fierté de la majorité, rejointe par un certain nombre de députés de l’UMP et de l’UDI, d’avoir compris que l’avenir de la France n’est pas dans le retour en arrière, que l’avenir de la France est dans le progrès, le dialogue et l’apaisement, et non dans la course-poursuite aux idées les plus conservatrices, les plus réactionnaires ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mon gouvernement est celui du dialogue, du progrès, de la réforme. Vous pouvez faire ce que vous voulez, nous ne renoncerons pas au mandat que nous avons reçu des Françaises et des Français ! (Huées sur les bancs du groupe UMP.) C’est cela, notre conception de la République ! (Applaudissements continus sur les bancs du groupe SRC.) La République de l’égalité des droits ! La République du dialogue, de la démocratie, du progrès social ! (Les députés se lèvent et applaudissent sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe RRDP. – Huées persistantes sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, personne n’a rien à gagner à se comporter ainsi !
M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Christian Paul. Monsieur le Premier ministre, pour la majorité des Français, la bataille centrale est celle du redressement de notre économie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Elle doit réussir, comme doit progresser le combat pour l’égalité des droits.
Pour la majorité des Français, le redressement économique, après des années de sous-investissement et de chômage massif, c’est la modernisation de l’économie française.
M. Bernard Accoyer. Le sous-investissement, c’est maintenant !
M. Christian Paul. Pour la majorité des Français, un pacte de solidarité, c’est la marque de notre capacité à placer en premier l’intérêt général de la France.
Pour la majorité des Français, pour faire réussir ce nouveau compromis social et le rendre historique, il est indispensable qu’aux efforts demandés à tous, répondent des engagements concrets et clairs.
C’est pourquoi nous souhaitons qu’à l’effort sans précédent de la collectivité nationale répondent des contreparties massives, évaluables, chiffrables, mesurables en temps réel, de la part des entreprises.
Monsieur le Premier ministre, vous avez identifié des objectifs et appelé hier encore à la mobilisation générale de toutes les forces sociales, pour la création d’emplois, pour la formation, pour la réduction de la précarité, pour l’investissement en France, dans la recherche comme dans les capacités productives.
Aussi, la crédibilité et la réussite du pacte de solidarité seront-elles fonction de ces contreparties, des conditions qui seront posées, de la réalité des accords collectifs, de la rapidité de leur mise en œuvre.
M. Bernard Deflesselles. C’est raté !
M. Christian Paul. Monsieur le Premier ministre, comment la négociation interprofessionnelle fixera-t-elle ces contreparties ?
Comment engager sans retard dans les branches et dans les entreprises, mais aussi dans les territoires, des discussions autour de l’emploi et de l’investissement, qui débouchent sur des accords ?
Comment s’assurer que ces accords se traduisent, au niveau des entreprises, par des avancées concrètes, et d’abord, par des emplois ?
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, vous avez raison de nous ramener au combat central : la bataille de la croissance et de l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Alain Bénisti. Quel résultat !
M. Yves Fromion. Quel succès !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Oui, c’est ce combat que nous avons engagé dès le premier jour et c’est pour lui que nous devons amplifier le mouvement. Le Président de la République a proposé un pacte de responsabilité qui engage tout le pays, qui vous engage aussi, mesdames et messieurs les députés. Vous aurez d’ailleurs à vous prononcer, dans quelques semaines.
Pour l’heure, vous avez raison d’insister, monsieur le député, sur le dialogue social qui est la première des contreparties et que nous devons amplifier dans les relations entre les entreprises, les représentants du patronat et ceux des salariés.
Nous ne souffrons pas d’un excès de dialogue social, bien au contraire ! Quand la nation accepte d’aider les entreprises, ce n’est pas un cadeau que nous faisons à des personnes, mais des moyens que nous accordons à des entreprises, composées de responsables, de chefs d’entreprise, et de salariés, pour leur permettre de relever le défi de la croissance afin que la France et ses entreprises y trouvent totalement leur place et y jouent leur rôle : investir – la voilà la priorité – mais aussi former des jeunes, garder des seniors et embaucher.
Comment y parvenir ? C’est tout l’enjeu des contreparties, du pacte, du compromis que le Président de la République a annoncé. Chacun doit s’y mettre sans attendre. Une fois engagé ce processus, se mettra en place l’observatoire des contreparties, que je présiderai. Mais, sans attendre, après les rencontres de lundi dernier avec les partenaires sociaux, j’ai écrit hier soir aux organisations patronales, aux organisations syndicales pour leur proposer – dans un délai court, je le reconnais, mais il y a urgence – de se mettre d’accord sur une méthode, d’engager ce processus des contreparties au niveau interprofessionnel, et de me faire des propositions. Il conviendra ensuite de décliner branche par branche les différents sujets : le nombre d’emplois, les investissements, notamment en France, la formation des jeunes, la formation en alternance, la formation des seniors, tant il est inacceptable qu’une grande partie des chômeurs soient des seniors de plus de cinquante ans, ceux de plus de cinquante-cinq ans étant les plus nombreux à subir le chômage de longue durée.
M. Guy Geoffroy. Il joue la montre !
M. Jean-François Copé. C’est inadmissible !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. On pourrait encore parler des classifications, des évolutions de carrière. Toutes ces questions doivent se discuter, se négocier, dans l’intérêt des entreprises, des salariés, du pays. Aujourd’hui, chacun doit faire face à ses responsabilités ! J’en appelle à la mobilisation générale et non aux polémiques ou aux invectives ! L’heure l’exige, ne perdons pas de temps ! Dans un délai d’un mois, nous aurons beaucoup avancé sur tous les plans, qu’il s’agisse de l’allégement des charges qui pèsent sur le travail, de la fiscalité des entreprises…
M. Jean-François Lamour. Plus personne ne vous écoute !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …ou des contreparties que je viens d’évoquer. C’est l’affaire de la nation toute entière, les Français nous attendent, ils sont exigeants à notre égard : à l’égard du Gouvernement ce qui est légitime, à l’égard de la majorité parlementaire, ce qui est également juste, mais aussi, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, à votre égard, car vous avez, vous aussi, rendez-vous avec les Français qui attendent de vous autre chose que la critique permanente et voudraient que, de temps en temps, vous jouiez le jeu de l’intérêt du pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Marc Goua, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Marc Goua. Notre pays, monsieur le ministre du budget, est engagé dans un combat courageux pour gagner la bataille de l’emploi et retrouver son rang de grande nation productive. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il va de soi que l’un des leviers à actionner pour faire bouger les lignes est la réforme fiscale, qui est au croisement de toutes les grandes initiatives prises par notre majorité : l’assainissement des comptes publics et la baisse des dépenses…
M. Bernard Deflesselles. Et la hausse des impôts !
M. Marc Goua. …mais aussi la réforme de l’État et des collectivités pour rénover l’action publique, et le pacte de responsabilité qui doit redonner de la vigueur à notre économie – et, par conséquent, au marché du travail.
Si nous voulons que l’action publique soit plus réactive, plus stratège et plus sobre, …
M. Yves Fromion. Alors il faut changer de Premier ministre !
M. Marc Goua. …il faut aussi, nous le savons, imaginer une fiscalité juste et efficace. Oui, la fiscalité doit être plus progressive pour que l’effort soit mieux réparti entre les Français et que les classes moyennes et populaires ne soient pas pénalisées comme elles le furent autrefois à cause du funeste paquet fiscal. Oui, la fiscalité doit être plus incitative pour favoriser ceux qui entreprennent, qui prennent des risques et qui créent des emplois, et pour pénaliser ceux qui se contentent de spéculer. Oui, la fiscalité doit être simple et plus lisible…
M. Yves Censi. Lisible ? Vous trouvez la fiscalité lisible ?
M. Jean-François Lamour. Et le CICE, vous le trouvez donc simple ?
M. Marc Goua. …car la clarté, dans ce domaine plus encore que dans tout autre, doit permettre aux ménages et aux entreprises de prendre des décisions et d’investir pour l’avenir dans un cadre stable.
M. Bernard Accoyer. Allô !
M. Marc Goua. Le temps de la précédente majorité fut celui du renforcement des inégalités et des options contreproductives (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
M. Philippe Cochet. Mais non !
M. Marc Goua. …qui ont abouti à la prouesse d’asphyxier notre économie et de faire exploser la dette publique pour un montant dépassant 600 milliards d’euros. La majorité de gauche, quant à elle, a une vision et une méthode, un calendrier et des objectifs. Pouvez-vous nous les rappeler, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Je vous remercie, monsieur le député, pour cette question qui nous permet de faire le point sur les objectifs et sur la méthode de notre action.
M. Guy Geoffroy. Et les résultats ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En ce qui concerne les objectifs, tout d’abord, vous avez raison de rappeler que si nous voulons créer les conditions de la croissance et de la confiance…
M. Alain Marty. C’est raté !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …tant pour les épargnants que pour les investisseurs, il faut simplifier et stabiliser notre dispositif fiscal.
M. Bernard Deflesselles. Et surtout faire du matraquage fiscal !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’est pourquoi les Assises de la fiscalité des entreprises et des ménages, ouvertes par M. le Premier ministre, comportent un triple objectif : d’abord la simplification, ensuite une plus grande justice fiscale, enfin une meilleure lisibilité. La simplification vaut pour les entreprises comme pour les ménages. Pour ceux-ci, une réflexion est engagée pour permettre aux contribuables d’acquitter leurs impôts dans des conditions plus simples. Nous avons déjà pris des mesures en ce sens : la mensualisation concerne désormais 80 % des Français. Le Premier ministre a souhaité que nous poursuivions cet exercice de simplification, et c’est naturellement ce que nous ferons.
M. Yves Censi. Plus c’est gros, plus ça passe !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les Assises de la fiscalité des ménages, auxquelles sont associés toutes les organisations syndicales, un certain nombre de parlementaires représentatifs de l’ensemble des groupes politiques des deux chambres ainsi que les rapporteurs généraux et les présidents des deux commissions des finances, permettront de progresser dans cette voie.
La simplification vaut également pour les entreprises : le chantier des taxes à faible rendement qui compliquent la vie des entreprises est un domaine dans lequel nous pouvons consentir un effort.
La justice fiscale a déjà fait l’objet de mesures prises dans la loi de finances pour 2014 : un travail a été entrepris sur le bas de barème avec la réindexation, sur le barème de l’impôt sur le revenu, sur la décote et l’augmentation du plafond du revenu fiscal de référence. Nous poursuivrons là aussi ces efforts.
La lisibilité, enfin, consiste à s’attaquer à toutes les niches qui concernent les entreprises comme les ménages. Ces niches, en effet, obèrent la lisibilité de l’impôt sur le revenu.
Telle est notre méthode ; elle s’appliquera dans la concertation pour que les impôts nous permettent de retrouver la croissance et l’emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. David Douillet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. David Douillet. Ma question ne s’adresse pas à M. le Premier ministre, qui est passé maître dans l’art et la manière de jouer la montre, puisqu’en faisant des réponses très expansives aux deux dernières questions (« Et alors ! » sur les bancs du groupe SRC), il empêche les trois dernières questions de cette séance, qui sont attribuées aux groupes de l’opposition, d’être diffusées auprès du plus grand nombre. Non, ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif.
La semaine dernière, monsieur le ministre, vous avez dit devant un syndicaliste ne pas savoir quelle était la situation du groupe PSA. Dans ces circonstances, pris de panique, vous avez indiqué que le groupe ne tenait pas ses engagements. En d’autres termes, vous ne connaissez pas grand-chose à ce dossier. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC). Je vais donc vous expliquer quelle est la situation de PSA.
M. Thomas Thévenoud. Quelle arrogance !
M. David Douillet. Tout d’abord, le groupe a scrupuleusement respecté ses engagements concernant le site d’Aulnay. Il est donc inutile de souffler sur les braises du conflit social ; il n’en sortira rien de bon pour l’entreprise.
Pour la première fois, PSA a défini une stratégie à trois ans comportant un reciblage de l’outil de production et la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois. Son objectif est clair : produire un million de voitures en France d’ici à 2016, sans aucune fermeture de site. Mieux, un nouveau modèle sera lancé dans chacune des cinq usines pour un investissement total de 1,5 milliard d’euros, dont 137 millions pour le seul site de Poissy qui, naturellement, me tient à cœur. Tout ceci témoigne de l’ambition qu’a le groupe de redresser la barre.
Alors qu’un investisseur chinois s’apprête à entrer au capital du groupe à hauteur de 14 %, ce qui constitue une véritable chance pour PSA – je ne vous fais pas l’article sur le potentiel du marché asiatique –,…
Mme Sandrine Hurel. Non, de grâce !
M. David Douillet. …il serait bon, monsieur le ministre, de ne pas tout gâcher en multipliant les déclarations hasardeuses. Puisque votre Gouvernement s’apprête également à participer à hauteur de 14 % au capital, quels moyens avez-vous prévus pour accompagner PSA vers les objectifs qu’il s’est fixé ? Bien gouverner, c’est anticiper, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député David Douillet, nous avons une connaissance précise – précise, et non détaillée (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) – de la situation de PSA. Nous avons d’ailleurs découvert à notre arrivée que le plan social de grande ampleur, qui fut un choc pour la nation, avait été dissimulé pendant toute la période électorale ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Nous avons aussi découvert que la famille Peugeot avait tout fait pour éviter l’internationalisation à laquelle nous procédons actuellement pour, précisément, permettre à l’entreprise de rebondir ! Voilà les excellents conseils que vous auriez pu lui prodiguer, monsieur le député !
M. Philippe Meunier. C’est incroyable !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Nous avons aujourd’hui une stratégie de relance de PSA. Un accord de compétitivité a été signé entre les organisations syndicales majoritaires et la direction de PSA, qui a eu pour conséquence qu’en échange des efforts consentis par les salariés, les engagements suivants ont été pris : production d’un million de véhicules en France en 2016, alors que le niveau actuel est de 930 000 voitures – il y a donc une prévision d’augmentation qui entraînera pour la France l’amélioration de la base productive et industrielle de PSA ; fermeture d’aucune usine ou de site industriel ; lancement d’au moins un nouveau modèle dans chaque usine terminale ; investissement de 1,5 milliard d’euros en France pour la période 2014-2016, tout en préservant l’ensemble des centres de recherche et développement et des centres de décision.
M. Alain Marty. Perroquet ! Vous ne faites que répéter ce qu’a dit M. Douillet !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Tous ces engagements rendent possible le projet d’augmentation de capital, auquel l’État souscrira en effet en entrant dans le conseil d’administration ou de surveillance. Cela permettra à PSA d’être en harmonie avec les buts industriels de notre nation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Ségolène Neuville, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Ségolène Neuville. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Le Président de la République a annoncé ce matin les priorités du troisième plan cancer.
Les trente dernières années ont été marquées par d’énormes progrès dans le dépistage et le traitement des cancers, mais aussi, malheureusement, par une augmentation du nombre de cas. Je veux en profiter pour encourager toutes celles et tous ceux qui se battent au quotidien contre le cancer : les malades eux-mêmes et leurs proches, les associations, les équipes de recherche, les équipes soignantes. (Applaudissements.)
Ce sujet nous concerne tous : trois millions de personnes vivent actuellement en France avec un cancer, ancien ou récent. Le cancer ne fait pas le tri, il nous touche tous. C’est un combat qui doit nous rassembler. Car la lutte contre le cancer est un problème de santé publique, mais pas seulement. C’est un véritable enjeu de société.
En effet, avec les progrès thérapeutiques de ces dernières années, le cancer est devenu bien souvent une maladie qui guérit, mais aussi une maladie qui peut devenir chronique. La question de la qualité de vie du patient et de ses proches, pendant et après le cancer, est donc centrale.
Le rapport de la société à la maladie, au malade et à son entourage doit évoluer, car si c’est la maladie qui affaiblit le corps, c’est bien la société qui, parfois, exclut les personnes malades. Une personne sur trois atteintes d’un cancer perd son emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic. Dans ce contexte de fragilisation sociale, le reste à charge peut devenir un véritable obstacle pour certains soins, pourtant essentiels à la qualité de vie.
Madame la ministre, ce matin, le Président de la République a affirmé sa volonté de lutter contre toutes les inégalités face au cancer. Pouvez-vous nous dire comment le troisième plan cancer entend répondre à cette priorité ? Pouvez-vous nous donner les principaux axes de ce plan et nous dire en quoi il complète les précédents ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)
Mme Marie-George Buffet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Vous avez raison, madame la députée, la lutte contre le cancer doit nous rassembler tous. Chaque année, ce sont 150 000 personnes qui meurent d’un cancer, et ce sont plus de 80 000 cancers qui pourraient être évités si l’on pense aux ravages du tabac et de l’alcool.
Ce matin, le Président de la République a lancé une vaste mobilisation à travers le troisième plan cancer, qui courra sur les six prochaines années et sera financé à hauteur de 1,5 milliard d’euros.
À travers cette mobilisation, le Président de la République a souhaité marquer la priorité qu’il donne à la lutte contre les inégalités. Si le cancer n’est pas toujours une fatalité, nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie et face à la guérison. Certains ont jusqu’à deux fois et demie plus de risques d’être malades et de mourir d’un cancer que d’autres. C’est la raison pour laquelle, dans le prolongement des plans précédents, le Président de la République a souhaité souligner l’importance des nouveaux traitements et de l’innovation, et, avec Geneviève Fioraso, nous sommes particulièrement attentives aux progrès de la recherche.
Mais ce qui marque un tournant dans le plan présenté ce matin, c’est la volonté de mettre l’accent sur le dépistage et la prévention, pour faire reculer les inégalités territoriales et sociales. La priorité va donc être accordée au dépistage et à la mise en place d’un programme national de lutte contre le tabagisme, ainsi qu’à la qualité de vie des malades et des anciens malades. Je veux souligner l’avancée considérable que va représenter le droit à l’oubli, qui permettra à des personnes qui ne sont plus malades de ne plus être considérées comme telles par leur banque ou par leur assurance.
C’est donc une vaste mobilisation collective qui a été lancée ce matin par le Président de la République, et je vous invite tous à vous y associer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Philippe Gosselin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
La manifestation de dimanche dernier a rassemblé, dans le calme et la sérénité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)…
M. le président. Allons, chers collègues !
M. Philippe Gosselin. …des centaines de milliers de personnes, dont je faisais partie.
Pas des « excités », ni des « cathos rabougris », comme le disent certains, ni des « ultras » ! Des gens ordinaires ! Une manifestation pacifique, n’en déplaise à ceux qui espéraient un bazar sans nom ! Une force tranquille, comme on disait au XXe siècle ! (Sourires.)
M. Julien Aubert. Excellent !
M. Philippe Gosselin. Au fond, c’eût été si arrangeant de pouvoir dénoncer des casseurs, des racistes, et d’annoncer un nombre impressionnant de gardes à vue. Mais il n’y a rien eu de tout cela ! Dommage pour les coups de menton de M. Valls !
M. Olivier Marleix. Eh oui !
M. Philippe Gosselin. En revanche, la sérénité n’est pas de mise au sein du Gouvernement. Quelle fébrilité, quelle cacophonie ! Tout d’abord, M. Valls – vous savez, le nouveau ministre de la famille – annonce qu’il n’y aura pas de disposition sur la PMA et que le Gouvernement refusera tout amendement en ce sens. Mme Bertinotti n’était même pas au courant, et l’hommage que vous lui avez rendu il y a quelques instants, monsieur le Premier ministre, est bien tardif.
Puis, Bruno Le Roux prend la parole et dit qu’il n’est pas question que le groupe SRC se laisse faire. Il est contredit par le Premier ministre en personne, puis c’est le président du groupe écologiste qui s’emballe, vite rejoint par Mme Annick Lepetit ! C’est difficile à suivre !
Finalement, au terme d’une folle journée – qui n’est pas nantaise, celle-là (Sourires) –, l’annonce, inattendue, incroyable, tombe : le Gouvernement renonce à présenter son projet de loi. Nous y croyons à peine. Il était temps d’ouvrir les yeux !
Exit, donc, le projet qui fâche. Reviendra ? Reviendra pas ? On ne sait. On évoque même, depuis ce matin, la possibilité que le groupe SRC le reprenne à son compte. Une vente à la découpe ? Une rébellion ? Je ne sais ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le Premier ministre, allez-vous remettre de l’ordre dans votre majorité, si tant est que vous en soyez encore le chef ? Allez-vous cesser – il y a encore d’autres sujets de fâcherie : le genre, en particulier (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – de vouloir déstructurer la société pour, enfin, vous concentrer sur ce qui reste la principale attente des Françaises et des Français, c’est-à-dire la lutte contre la crise et contre le chômage ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Monsieur le député, je vais citer Hervé Mariton, qui se plaignait, il y a quelques jours, du « silence assourdissant » de l’UMP sur les questions de société et qui appelait de ses vœux ce parti à définir enfin des prises de position sur ces sujets. Heureusement pour vous, vous avez la « Manif pour tous » !
Le divorce n’est ni de droite ni de gauche. Les familles recomposées ne sont ni de droite ni de gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Yves Fromion. Mais la famille décomposée, c’est vous !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lorsqu’ils choisissent le concubinage, le PACS ou le mariage, les couples font un choix qui n’est ni de droite ni de gauche.
Plusieurs députés du groupe UMP. Ce n’est pas la question !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si, c’est la question, et je vais vous dire pourquoi. Nous avons l’obligation, aujourd’hui, ne serait-ce que pour la défense de l’intérêt des enfants, de définir de nouveaux repères qui correspondent aux nouveaux modèles familiaux, que nos propres concitoyens ont décidés seuls, indépendamment des partis, des dogmatismes et des idéologies. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste, RRDP et GDR.)
Quoi de plus rassurant pour l’enfant que de connaître les droits et les devoirs de chacun des adultes qui concourent à son éducation ? Quoi de plus légitime, pour des enfants qui ont été enlevés de leur famille, que de ne pas avoir un parcours erratique, de foyer d’accueil en famille d’accueil, mais, au contraire, une véritable seconde chance familiale ? (Mêmes mouvements.) Quoi de plus rassurant pour les enfants que d’avoir une véritable médiation familiale qui permette effectivement d’épargner à ces enfants des conflits de loyauté ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste.
Mme Véronique Massonneau. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. L’année dernière, malgré une contestation de rue, notre majorité a ouvert le mariage à tous et 7 000 familles ont depuis été reconnues par la loi. La semaine dernière, malgré les rumeurs et les manipulations, notre majorité a adopté la loi sur l’égalité femmes-hommes. Ces lois de liberté et d’égalité, nous pouvons en être fiers !
Chaque texte sur lequel nous travaillons concerne des hommes, des femmes, des enfants et des familles, pas des fantasmes ni des visions théoriques de la vie ! Des couples qui se séparent attendent une réforme de la résidence alternée. Des beaux-parents et des grands-parents attendent d’être reconnus par la loi. Des enfants ballottés de foyer en foyer et des familles d’accueil attendent une réforme de l’adoption simple. Des milliers de nos concitoyens adoptés ou nés sous X demandent que l’on facilite l’accès à leurs origines. Voilà ce qui justifie une réforme du droit de la famille !
Mme Claude Greff. Aberrant !
Mme Véronique Massonneau. Des inégalités subsistent entre les couples de femmes capables de financer une PMA à l’étranger et les autres et les inséminations clandestines comportent toujours des risques sanitaires. C’est pourquoi les écologistes entendaient déposer des amendements relatif à la PMA. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Le report de la loi sur la famille donne le sentiment que le Gouvernement cède face à des groupes conservateurs minoritaires mais actifs. Je vous le dis sans détour, l’inquiétude de toutes celles et tous ceux qui attendent la loi sur la fin de vie annoncée par le Président de la République est immense ! (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Cochet. Bravo !
Mme Véronique Massonneau. Il s’agit également de gens qui souffrent et attendent le droit de jouir de leur ultime liberté. En outre, nous savons parfaitement que les mêmes groupes inspirés par le même prosélytisme se mobiliseront contre toute évolution de la loi. Dès lors, ma question est claire, monsieur le Premier ministre. Vous engagez-vous solennellement, non pas devant nous mais devant celles et ceux qui attendent une loi, au dépôt et à la discussion d’un texte sur le droit de mourir dans la dignité avant la fin de l’année ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. À nouveau, madame la députée, je serai claire.
M. Philippe Cochet. Voilà qui nous changera !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. La gestation pour autrui ne fera l’objet d’aucune discussion. Le Président de la République s’y est engagé depuis le début du quinquennat et maintiendra sa position telle quelle jusqu’au bout.
M. Bernard Deflesselles. Et la circulaire Taubira ? Retirez-la !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Quant à la procréation médicalement assistée, je le répète pour la énième fois : le comité consultatif national d’éthique sera saisi de la question et nous attendrons son avis. Les autres sujets que vous évoquez, madame la députée, démontrent qu’il faut moderniser notre droit familial.
M. Yves Censi. Cela ne veut rien dire !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. En effet, faciliter le quotidien des familles constitue une exigence.
M. Charles de La Verpillière. Ce n’est pas ce que vous faites !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lorsque nous créons 275 000 places d’accueil pour les enfants de moins de trois ans, c’est pour faciliter le quotidien des familles et le maintien des femmes dans l’emploi – c’est un élément déterminant. Lorsque nous créons 75 000 places d’accueil pour les enfants de deux et trois ans, alors que la précédente majorité en a supprimé 50 000, c’est pour corriger de futures inégalités scolaires.
M. Claude Goasguen. Ce n’est pas la question !
Mme Bérengère Poletti. Répondez à la question !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. C’est ce que je fais !
Nous menons une politique familiale dynamique et juste. À cet égard, je m’étonne que vous ne nous accompagniez pas lorsque nous mettons fin à une distorsion qui veut que des familles aisées bénéficient davantage de la politique familiale que des familles modestes : telle n’est pas en effet notre conception de la justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Virginie Duby-Muller. En matière de déficits, de croissance et de chômage, vous n’avez tenu aucun de vos engagements, monsieur le Premier ministre. Votre bilan se résume donc à un triple échec. Afin de le masquer et de faire diversion, vous multipliez les débats de société à l’approche des échéances électorales, comme les ABCD de l’égalité. Le rôle fondamental de l’école est d’instruire, c’est-à-dire apprendre à lire, écrire et compter. Or 40 % des élèves entrant en sixième ont des bases fragiles. Certes, ces programmes expérimentaux ont fait l’objet de rumeurs, mais les inquiétudes des parents n’en sont pas moins légitimes.
M. Claude Goasguen. Le rôle du ministre, c’est de rassurer !
Mme Virginie Duby-Muller. Rappelons ici les propos tenus par Mme Vallaud-Belkacem dans le Journal 20 minutes en 2011 sur l’amendement relatif à l’éducation à l’égalité de genre déposé par une collègue le 19 mars dernier, adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale et supprimé par le Sénat, ou encore la déclaration de la présidente du mouvement des jeunes socialistes le 1er février dernier selon laquelle « Oui, le genre ça existe et nous allons l’enseigner dans les écoles ». Au fond, la vocation du programme n’est donc pas de défendre l’égalité hommes-femmes mais bien de faire accroire que les différences biologiques n’ont aucune importance.
Or, l’éducation à l’égalité doit reconnaître la différence sexuée et l’altérité. Égalité ne signifie pas neutralité ni indifférenciation des sexes. Les griefs de la proposition de résolution déposée par mon collègue Xavier Breton et moi-même le 7 décembre 2012 et signée par soixante-quinze députés UMP demandant la création d’une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France sont donc fondés. Pourquoi nier, monsieur le Premier ministre, que vous vous en inspirez sous couvert d’égalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Je partage la plupart des points de vue que vous venez d’énoncer, madame la députée, en particulier le premier, qui constitue le cœur de l’action de ce gouvernement, selon lequel l’école a pour vocation d’apprendre à lire, écrire et compter en vue de l’insertion professionnelle et de la transmission des valeurs de la République aux élèves.
M. Jacques Pélissard. Ce n’est pas la question !
M. Christian Jacob. Occupez-vous déjà de cela !
M. Vincent Peillon, ministre. C’est pourquoi nous rétablissons la formation des enseignants que vous avez supprimée, mesdames et messieurs les députés de l’UMP, créons 60 000 postes alors que vous en avez supprimé 80 000, réécrivons avec vous les programmes qu’aucun élève ne pouvait s’approprier et travaillons à l’insertion professionnelle et à la transmission des valeurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Votre question, madame la députée, aborde un deuxième sujet sur lequel nous sommes également d’accord. Nous comptons associer les parents à l’éducation des enfants, ainsi que les collectivités locales, comme nous le faisons pour toutes les réformes que nous conduisons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les valeurs de la République comprennent l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi nous avons développé un programme s’inscrivant dans la continuité de ce qui existe et portant uniquement sur le respect et l’égalité entre les filles et les garçons, pas du tout sur la théorie du genre.
Mme Claude Greff. Ce sont les parents qui éduquent les enfants !
M. Yves Censi. Vous confondez égalité et uniformité !
M. Vincent Peillon, ministre. Les associations de parents d’élèves, y compris la PEEP, ont été consultées en permanence. Elles ont donné leur accord et ont exprimé leur soutien la semaine dernière. Sans dialogue, point de salut ! Nous agissons dans l’intérêt des élèves qui ont besoin de repères. Nous devons être unis afin de conférer l’autorité aux maîtres et à l’école. Cessez donc, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, d’entretenir des fictions et de propager des rumeurs ! Si une telle éducation avait été mise en place plus tôt, peut-être compterait-on davantage de députées sur les bancs de l’UMP ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. Bernard Accoyer. Insupportable !
M. André Chassaigne. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Marietta Karamanli. Ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif. Le numéro deux du marché français de la messagerie, du transport et de la manutention, l’entreprise Mory Ducros, a été placé en redressement judiciaire fin novembre. En ce moment même, une nouvelle audience se tient au tribunal de commerce de Pontoise, et ce sont 5 000 emplois qui se trouvent menacés. Sur le seul site du Mans, 124 emplois sont touchés, dont 75 % risquent de disparaître. Le Gouvernement s’est mobilisé pour éviter la disparition de l’activité et permettre le sauvetage du plus grand nombre d’emplois. Les collectivités locales sont sollicitées pour appuyer les mesures de sauvegarde et de reclassement possibles. Plus de 2 200 emplois pourraient ainsi être préservés.
Un plan de restructuration préalable à la reprise d’une partie de l’activité par un repreneur, Arcole Industries, est en cours de finalisation. Cet accord collectif doit aussi formaliser les dernières avancées possibles. L’État accompagne les discussions, avec l’objectif d’améliorer l’offre, les garanties à apporter au maintien de l’activité et celles proposées aux salariés. Le reclassement aussi devra être accompagné. Les salariés dont l’emploi va disparaître et ceux dont l’emploi peut être sauvé s’inquiètent aujourd’hui des conséquences de l’accord, mais aussi de celles que pourrait avoir une éventuelle absence d’accord, et des mesures qui seront concrètement prises.
Monsieur le ministre, comme tous mes collègues ici présents, je souhaite qu’une solution acceptable par tous, viable et pérenne pour l’activité maintenue et offrant des perspectives au plus grand nombre de salariés soit trouvée. Pouvez-vous nous confirmer les initiatives les plus récentes prises par le Gouvernement, et nous préciser son appui, notamment sur le plan financier, en vue de préserver, autant qu’il est possible, l’activité et l’emploi ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Madame la députée, l’entreprise Mory Ducros, qui a perdu 80 millions d’euros durant la seule année 2013, se trouve placée en redressement judiciaire, et risque de disparaître. Ayant pris la mesure de ce risque considérable – 80 sites en France se trouvent menacés –, nous avons fait deux choses.
Premièrement, nous avons examiné les offres de reprise afin de déterminer lesquelles étaient solides, et constaté qu’il n’y en avait qu’une, celle faite par l’ancien propriétaire, qui avait mené l’entreprise aux difficultés où elle se trouve actuellement. Nous avons donc posé deux conditions à la reprise par ce candidat : d’une part, qu’il procède à une recapitalisation plus importante que celle initialement prévue – nous sommes passés de 10 millions d’euros à 17,5 millions d’euros ; d’autre part, considérant que les dirigeants proposés n’étaient pas au niveau, nous avons demandé qu’ils soient écartés au profit de nouveaux dirigeants, ce qui a été fait. Je précise que l’État va mettre en œuvre le Fonds de résistance économique afin de prêter un tiers des fonds constituant la recapitalisation, à charge pour l’entreprise de les rembourser.
Deuxièmement, et c’est sans doute le plus important, nous avons demandé que soit améliorée l’offre en termes de nombre de salariés pouvant garder leur emploi. Après trois nuits de discussions épineuses à Bercy, nous avons obtenu que ce nombre passe de 1 750 à 2 210 salariés. Surtout, avec les organisations syndicales, nous avons demandé à Arcole, l’actionnaire retenu pour la reprise, d’améliorer le plan social s’adressant aux salariés qui vont perdre leur travail. Si, initialement, il était prévu que les 5 000 salariés perdant leur emploi se partagent 7 millions d’euros, ce qui représentait une prime de 1 400 euros par personne en moyenne, nous avons obtenu que les quelque 2 800 salariés devant perdre leur emploi se partagent 30 millions d’euros, ce qui leur permettra de toucher une prime de départ de 10 000 euros en moyenne – je pense notamment aux salariés âgés, ayant la plus grande ancienneté.
Enfin, ce sont 1 000 à 1 500 emplois qui sont proposés par la profession, par le biais d’un contrat de sécurisation professionnelle permettant à ces salariés de conserver 97 % de leur salaire pendant un an. Voilà ce que nous avons fait, madame la députée, et si ce n’est pas un miracle… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Charles de Courson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie. (« Il n’est pas là ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, dans une tribune publiée par Les Échos le 18 décembre 2013, cinquante présidents de filiales de grands groupes internationaux installés en France ont tiré la sonnette d’alarme en affirmant : « Depuis quelques années, nous avons de plus en plus de mal à convaincre nos maisons mères d’investir et de créer des emplois en France. » Ce constat est malheureusement confirmé par un récent rapport de la CNUCED, selon lequel les investissements directs étrangers vers la France se sont effondrés de 77 % en 2012, pour s’établir à 5,7 milliards de dollars – alors même qu’au niveau mondial, ces investissements ont connu une hausse de 11 %, pour atteindre un niveau comparable à celui enregistré avant la crise.
Ainsi la France, alors qu’elle occupait la huitième place dans le monde en 2011, a disparu de la liste des vingt premiers pays dans le monde bénéficiant d’investissements étrangers. Au sein de l’Union européenne, c’est notre pays qui affiche le plus fort recul des investissements étrangers, au bénéfice de l’Allemagne. Bref, alors que les investissements des entreprises françaises à l’étranger augmentent, nous assistons à une chute sans précédent de notre attractivité.
La fiscalité décourageante de notre pays, ainsi que l’instabilité de cette fiscalité, expliquent pour partie ces mauvais résultats. Cependant, le cœur du problème est plus profondément situé, car les avantages compétitifs que la France pouvait, jusqu’alors, mettre en avant – ses infrastructures, son système éducatif, la qualité de sa main-d’œuvre – se dégradent eux aussi. Le Président de la République va recevoir aujourd’hui une délégation de responsables des grandes entreprises étrangères et réunira, le 17 février, un Conseil stratégique de l’attractivité (« Nous sommes sauvés ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les mesures que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour améliorer l’attractivité de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)
Mme Claude Greff. Il ne fait rien, le Gouvernement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le député, mon collègue Pierre Moscovici a reçu, avec Arnaud Montebourg et moi-même, la mission de se battre pour l’attractivité du territoire, et je suis d’accord avec ce qu’il a déclaré, à savoir que nous sommes le premier pays terre d’accueil des investissements étrangers productifs – ceux qui créent des emplois en France. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cela m’intéresse tout particulièrement, car nous avons 20 000 entreprises étrangères qui produisent en France, dans l’industrie, et qui exportent. Comme vous le savez, 30 % de nos exportations sont le fruit de l’activité d’entreprises étrangères. Vous faites référence à un rapport de la CNUCED – que je ne savais pas qualifiée pour réaliser ce type d’études, mais passons – qui mélange les investissements financiers et les investissements productifs. Or, le premier investisseur en France en termes productifs, ce sont les États-Unis d’Amérique – où nous allons nous rendre la semaine prochaine avec le Président de la République. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. Allons, mes chers collègues !
Mme Nicole Bricq, ministre. Vous voulez savoir ce que nous devons faire : vous le saurez le 17 février prochain, quand le Président de la République réunira le Conseil supérieur de l’attractivité. Oui, la France est une terre attractive, et nous entendons bien garder notre place en Europe ! Nous savons que la lutte est dure avec l’Allemagne, ainsi qu’avec le Royaume-Uni, où M. Cameron déroule le tapis rouge aux investisseurs, nous savons aussi que nous avons la capacité de relever ce défi. Mille investissements étrangers par an, c’est le nouvel objectif qui nous a été assigné – au lieu des 700 investissements actuels. Nous allons nous battre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le Premier ministre, l’année dernière, l’Union européenne et les États-Unis ont entamé des négociations en vue de conclure le traité dit transatlantique, qui conduirait à aligner sur le plus haut niveau de libéralisation tous les secteurs, textile et agriculture en tête, et tous les modes de fournitures de services, accentuant encore leurs difficultés face à la concurrence américaine.
Ces négociations sont menées dans le secret le plus total : rien dans le débat public. L’Union européenne est aux manettes sans que les représentants du peuple que nous sommes ne décidions de quoi que ce soit.
De qui se moque-t-on ? Vous nous avez vendu l’Union européenne comme le seul moyen de tenir notre rang face aux grandes puissances, telles les États-Unis. Et aujourd’hui, vous livrez notre économie à la concurrence frontale avec la première puissance du monde. Où est la logique ?
Pour nous vendre ce traité, vous utilisez les mêmes arguments que pour promouvoir le marché commun européen : plus d’emploi, plus de croissance. Promesse dérisoire : votre rêve américain, c’est une augmentation prévue du PIB de 0,5 % et une création de 500 000 emplois sur quatorze ans. La belle affaire, alors qu’il y a aujourd’hui plus de 26 millions de chômeurs dans l’Union européenne ! Et surtout, mensonge : nous payons chaque jour, par milliers de chômeurs, l’ouverture totale des frontières au sein de l’Union européenne. Demain, le phénomène s’aggravera encore avec ce traité transatlantique.
La vérité est que cet accord est largement façonné par le lobbying des multinationales, qui ont pour objectif le démantèlement de toutes les réglementations étatiques diminuant leur profit, et l’accélération de la mise en place du moins-disant social.¶M. Lamy, le copain de la promo 1975 de l’ENA, constitue d’ailleurs l’intermédiaire entre les socialistes et l’ultra-libéralisme.
Monsieur le Premier ministre, si vous ne voulez pas donner le sentiment que ce traité se fait à l’insu des Français et contre eux, comment entendez-vous les tenir informés de l’avancement et du contenu précis de ces négociations ? Comptez-vous les consulter par référendum sur la conclusion de cet accord, ou, comme je le pense, serez-vous, une fois encore, le fossoyeur des intérêts de la nation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Madame Marion Maréchal-Le Pen, à l’évidence, je ne partage pas votre vision pessimiste du monde et de l’Europe. Je veux rappeler que j’agis, au nom de la France, pour défendre nos intérêts dans cette négociation menée par la Commission européenne, comme le traité lui en a conféré la charge.
M. Yves Censi. Nous sommes sauvés !
Mme Nicole Bricq, ministre. Permettez-moi de vous rappeler quelques éléments qui pourront vous éclairer. L’Europe est le premier exportateur mondial de biens et services et la France en est le cinquième. Par ailleurs, les États-Unis sont une terre d’innovation. Les deux-tiers des dépenses d’innovation et de recherche dans le monde sont le fruit des États-Unis et de l’Europe.
Bien sûr, cette négociation se heurte à des difficultés que nous avons bien identifiées. J’ai défendu et sauvé l’exception culturelle : vous voyez que la voix de la France est entendue. Nous savons que nous avons des intérêts agricoles en jeu, tant offensifs que défensifs. Nous sommes aussi pleinement conscients que nous avons, nous Français, le souhait de voir respectées la souveraineté nationale et la souveraineté européenne contre les intérêts des lobbyistes américains. Nous voulons protéger notre mécanisme de règlement concernant les différends qui nous opposent à ces derniers. Nous savons tout cela, et la négociation promet d’être longue et difficile.
Puisque vous faites appel au ressort démocratique et à la transparence, vous ne pouvez ignorer que j’ai justement demandé celle-ci …
Mme Claude Greff. Heureusement que vous étiez là !
Mme Nicole Bricq, ministre. …et que je l’ai obtenue, puisque la Commission européenne a lancé depuis lors une consultation. Vous pouvez d’ailleurs y participer.
S’agissant du référendum, je veux vous dire qu’à la fin, ce sont les parlements nationaux et européen qui donneront leur accord ; or, le parlement, c’est le peuple, vous êtes le peuple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jacques Lamblin. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’éducation nationale, je vous interpelle tous deux à propos de l’aménagement des rythmes scolaires. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Aujourd’hui, les maires, exaspérés, découragés, talonnés par le temps, protestent. Pourquoi ? Parce qu’ils constatent qu’on ne peut, d’une part, répondre aux exigences de votre décret du 24 janvier 2013 et, d’autre part, élaborer le projet périscolaire satisfaisant que les parents sont en droit d’attendre pour leurs enfants.
Le dilemme des maires est le suivant : ou bien ils sont dans l’impossibilité de mettre en œuvre des activités de qualité, faute de moyens humains – ils appliquent alors, résignés, votre décret et libèrent chaque jour les enfants quarante-cinq minutes plus tôt, et l’on remplacera donc dans ces communes quarante-cinq minutes d’école par quarante-cinq minutes de télévision : beau résultat ! –, ou bien ils réussissent à élaborer un projet périscolaire sérieux : alors, presque toujours, ils se heurtent à votre administration – absolument irréprochable, d’ailleurs – qui explique, en étant pleinement dans son rôle, que le décret ne permet pas ceci ou cela, qu’il faut neuf demi-journées et caetera. Bref, ce décret nous ficelle, nous, les maires, et il nous déplaît d’être contraints à la médiocrité à cause de lui.
Cela vous expose donc, vous, membres du Gouvernement, à une contestation de plus en plus radicale des maires, des parents et même – ce qui est un comble pour une majorité de gauche ! – des enseignants.
Je vous demande donc, monsieur le Premier ministre, d’envisager un moratoire, qui vous laisserait le temps d’évaluer la situation ou, à défaut, de modifier de toute urgence ce décret, de façon à en préserver l’esprit, tout en en gommant les imperfections. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Laurent. Lamentable !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, afin que la représentation nationale n’éprouve pas les mêmes surprises que celles qu’a suscitées l’enquête de l’Association des maires de France, je veux profiter de l’occasion que vous me donnez pour vous informer,…
M. Christian Jacob, M. Jacques Myard et M. Marc Le Fur. Du retrait de la réforme !
M. Vincent Peillon, ministre. …à partir des chiffres dont je dispose au 31 janvier, du passage aux nouveaux rythmes scolaires début 2014, tant dans votre département que dans l’ensemble du pays.
À la rentrée 2014, 19 157 communes, scolarisant 4 480 000 élèves, vont mettre en place la réforme des rythmes scolaires. Au 31 janvier, 88 % de ces communes ont élaboré leur projet et l’ont transmis à l’administration de l’éducation nationale sans aucune difficulté. Par ailleurs, 5,6 % des communes, dont la vôtre, Lunéville, ont refusé de le faire, pour des raisons de principe. Enfin, 6 % des communes rencontrent des difficultés réelles. Ainsi, 88 % des communes nous ont donc déjà informés de leur passage et 6 % d’entre elles sont en difficulté. Les autres, comme vous l’indiquiez, éprouvent des problèmes particuliers.
Dans votre département, monsieur Lamblin, 95 % des communes et 92 % des élèves sont déjà concernés par le passage à la rentrée 2014. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Jacob M. Jacques Myard et M. Marc Le Fur. Ça ne veut pas dire que ça se passe bien !
M. Vincent Peillon, ministre. Je veux enfin vous indiquer que, dans votre propre circonscription et dans les circonscriptions voisines, un certain nombre d’élus ont réussi ce passage. Je vous invite à vous rapprocher d’eux, en particulier du député Hervé Féron, à Tomblaine : il vous montrera comment, en associant les parents et le conseil d’école, en travaillant sur les rythmes, l’on peut y parvenir, comme 90 % des maires de France, que je remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Francis Hillmeyer. Monsieur le Premier ministre, vous avez entendu le message porté par les nombreux manifestants opposés au projet de loi sur la famille et vous avez ajourné ce dernier. Agirez-vous de même concernant les onze mille travailleurs frontaliers haut-rhinois qui se sont retrouvés samedi dernier sur l’autoroute A 35 à pied et ont bloqué pendant une heure, dans le calme et la dignité, la circulation entre Mulhouse et Bâle ?
Payer plus cher pour recevoir les mêmes prestations, voilà ce que vous prévoyez pour les travailleurs frontaliers en matière d’assurance maladie. En effet, avec la complémentaire santé, leur cotisation augmentera en passant du simple au triple selon les revenus et la situation familiale. Voilà à quoi se résume votre projet s’agissant de l’assurance maladie des travailleurs frontaliers. Avec la CMU, ils devront financer l’ensemble de la branche maladie, qui couvre d’autres prestations, telles que les indemnités journalières en cas d’accident de travail, d’invalidité, de congé maternité ou paternité. Cela constituerait une double peine pour les frontaliers, car pour ces prestations ils cotisent déjà auprès de leur employeur en Suisse.
Monsieur le ministre, les travailleurs frontaliers ne peuvent accepter qu’un simple décret, pris sans concertation suffisante, leur impose l’affiliation obligatoire à la Sécurité sociale, alors que la Suisse, où ils travaillent et cotisent, bénéficie depuis 2002 d’une mesure dérogatoire prévue dans les accords bilatéraux avec l’Union européenne. Les plus grandes réserves sont d’ailleurs émises sur la constitutionnalité de ce décret, notamment au regard du respect des droits de tous les salariés. Par ailleurs, une telle décision impacterait fortement le pouvoir d’achat de ces personnes. De nombreux élus de tous bords ont soutenu cette démarche.
Monsieur le Premier ministre, entendrez-vous leur demande ? Accepterez-vous d’organiser une réunion de travail, en particulier sur la constitutionnalité de ce décret, entre les juristes du ministère de la santé et ceux du comité de défense des travailleurs frontaliers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, ce sont des raisons historiques qui expliquent que, pendant très longtemps et jusqu’à aujourd’hui, un régime spécial de Sécurité sociale ait été proposé aux frontaliers travaillant en Suisse. En effet, il n’y avait alors pas de cadre dans lequel accueillir ces travailleurs au sein du régime de l’assurance maladie obligatoire française.
Aujourd’hui, la situation a changé puisque ce cadre juridique existe. C’est la raison pour laquelle il apparaît, au regard de notre droit, impossible de maintenir un cadre juridique dérogatoire. Telle est la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Pour autant, le Gouvernement a tenu de très nombreuses réunions de travail avec les associations de travailleurs frontaliers, que j’ai personnellement reçus voilà quelques jours, et souhaite pouvoir proposer des réponses adaptées à leur situation. C’est dans cet esprit que nous mettrons en place un véritable dispositif spécifique dans le cadre de leur affiliation à l’assurance maladie.
Tout d’abord, les conditions d’affiliation seront particulières : l’assiette sera assise sur le revenu fiscal de référence avec un abattement de 10 % pour frais professionnels et un abattement supplémentaire de 9 534 euros. Une période de transition sera instaurée jusqu’au 1er janvier 2016, durant laquelle ils pourront bénéficier d’un taux de cotisation intermédiaire de 6 % avant de s’acquitter du taux définitif de 8 %. En outre, j’ai la volonté et la préoccupation de garantir aux travailleurs frontaliers de bonnes prestations, le choix de leur médecin traitant, en France comme en Suisse, et de leur permettre d’accéder de façon simple aux soins de leur choix en Suisse.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Christophe Priou. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
La loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral instaure un scrutin binominal paritaire à deux tours. Ainsi, la loi prévoit de diviser par deux le nombre de cantons dans chaque département, une belle aubaine pour mettre en place, sans considération des réalités de terrain, un découpage politique évidemment favorable aux majorités socialistes en place.
M. Philippe Folliot. Un charcutage !
M. Christophe Priou. Discontinuité géographique, ruptures historiques, échanges arbitraires de communes entre cantons, intercommunalités ignorées… Le découpage opéré est de nature « ruralicide », il favorise la représentation des grands pôles urbains où vous êtes majoritaires. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.)
En Loire-Atlantique, par exemple, avec le nouveau découpage, les élus issus de Nantes Métropole seront majoritaires. En outre, pour des raisons électoralistes, trois communes de l’agglomération nantaise seront rattachées au canton de Saint-Brévin, sur le littoral atlantique : nous aurons bientôt Nantes-sur-Mer ! C’est le grand écart, c’est « un pont trop loin », avec, dans certains cantons, des distances allant jusqu’à 50 kilomètres d’un point à un autre.
M. Jean Lassalle. C’est vrai !
M. Christophe Priou. Cet exemple vaut pour le reste de la France. Le conseil départemental sera donc composé pour moitié d’élus ne disposant d’aucune compétence réelle sur le terrain. À quoi serviront-ils, sinon à assurer une majorité au parti socialiste ?
Regardant sans cesse dans le rétroviseur, vous revenez sur le passé au fil des questions. Je vous entends déjà faire référence au découpage des circonscriptions de 1986 qui, lui, respectait les limites cantonales et n’avait pas empêché l’alternance. La preuve en est que vous êtes majoritaires aujourd’hui.
Vous appartenez à un gouvernement qui, en ce moment, ne cesse d’aller de renoncements en reniements. Qu’attendez-vous donc pour revoir votre copie, monsieur le ministre ? Vous ferez ainsi une bonne action pour la démocratie locale.
Monsieur le ministre, en votre qualité d’élu républicain, vous faites souvent référence, à juste titre, aux grands principes de la République et vous n’avez pas l’habitude de couper les cheveux en quatre. Avec cette loi, cependant, vous coupez la France en deux. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, le découpage auquel vous faites référence se fonde sur deux principes inscrits dans le texte de loi que vous avez cité, et qui ont reçu l’aval du Conseil constitutionnel.
M. Guy Geoffroy. C’est la valse !
M. Manuel Valls, ministre. Le premier principe est celui de l’équilibre démographique : l’écart de population par rapport à la moyenne entre les cantons était de 1 à 10 dans votre département, il pouvait aller de 1 à 47 dans d’autres départements. Il fallait de toute façon changer cela. Tout nouveau découpage doit respecter cet équilibre.
M. Bernard Deflesselles. C’est du charcutage !
M. Manuel Valls, ministre. Le second principe est celui de la parité : votre département compte aujourd’hui quatorze femmes conseillères générales, il en comptera demain trente et une. Comme dans tous les départements, c’est la parité qui va s’imposer.
M. Philippe Le Ray. Et la ruralité ?
M. Manuel Valls, ministre. S’agissant du découpage en lui-même, il doit non seulement recevoir l’avis favorable du conseil général, mais également tenir compte tant des réalités des territoires que de la carte de l’intercommunalité et intégrer toute une série de principes. Le Conseil d’État a déjà émis un avis favorable sur 65 décrets. Dans quelques jours, dans quelques semaines, il aura donné son accord pour l’ensemble des départements.
Ce gouvernement respecte la ruralité. Permettez-moi seulement de vous rappeler que c’est le président de votre parti, le président de l’UMP, M. Copé, qui propose la suppression des départements. Qui est rural ? Qui soutient la ruralité ? L’UMP sans doute pas ; la majorité actuelle, certainement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. François Sauvadet. C’est scandaleux !
M. Julien Aubert. Tricheurs !
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)
Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine de contrôle du 24 février 2014 :
Débat sur l’accessibilité des services au public dans les territoires fragiles ;
Questions à la ministre de la justice ;
Questions à la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme ;
Débat sur l’action de l’État en matière de transports urbains.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne (nos 1730, 1735).
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, c’est avec conviction que je fais aujourd’hui rapport sur la proposition de loi déposée conjointement par Bruno Le Roux, Michel Françaix, moi-même et les membres du groupe SRC tendant à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.
Ce texte fait notamment suite à l’initiative du Premier ministre, lequel a annoncé, le 17 janvier dernier, l’application, dès le 1er février, c’est-à-dire depuis samedi dernier, du taux super-réduit de TVA de 2,1 % à la presse en ligne. Cet engagement explique les délais particulièrement resserrés dans lesquels nous sommes amenés à examiner ce texte.
Il s’agit d’une mesure dont nous connaissons très bien les enjeux et qui est, comme vous le savez, particulièrement attendue par l’ensemble du secteur de la presse, mais aussi par nombre d’entre nous, sur tous les bancs, qui militons depuis longtemps pour qu’il soit mis fin à l’anomalie que constitue l’application d’un taux de TVA normal – c’est-à-dire de 20 % depuis le 1er janvier – à la presse en ligne.
En effet, la réglementation européenne ne permet toujours pas, en son état actuel, de faire bénéficier la presse en ligne du taux de TVA dit « super-réduit » qui constitue pourtant, en France comme à l’étranger, le socle de la politique de soutien public à la presse. Je tiens à rappeler que cette politique publique a un fondement constitutionnel, puisqu’elle découle de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Comme l’a confirmé la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’objectif de préservation et de développement du pluralisme de la presse fait obligation à l’État de prendre les mesures y concourant.
Le droit européen entre ainsi en contradiction avec l’obligation constitutionnelle qu’ont les pouvoirs publics de soutenir un secteur qui traverse une crise extrêmement préoccupante et dont l’avenir, voire la survie, est aujourd’hui largement conditionné par sa capacité à réussir sa transition numérique. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, la France a entrepris des démarches actives auprès des institutions de l’Union européenne afin d’obtenir la possibilité explicite d’appliquer des taux de TVA réduits aux biens et aux services culturels en ligne.
Elles commencent à produire certains résultats, tant auprès de la Commission et du Parlement européen que des autres États membres. En effet, le Parlement européen s’est prononcé par trois fois en faveur de l’application d’un taux réduit de TVA aux œuvres numériques et la Commission a d’ores et déjà annoncé la publication d’une étude exhaustive sur la question début 2014. Nous y voyons des signes encourageants.
Parallèlement, l’Allemagne qui était jusqu’ici résolument opposée à la demande française de révision de la directive TVA vient de s’y rallier, dans son accord de coalition gouvernementale.
M. Patrice Martin-Lalande. Cela change tout !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives. Mais il demeure que dans l’hypothèse où la Commission adopterait une proposition de révision de la directive, ce qui n’est pas encore acquis, celle-ci devra, par la suite, être adoptée par le Conseil à l’unanimité des États membres. Or plusieurs États demeurent opposés à une révision de la directive en ce sens.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons d’ores et déjà faire prévaloir la légitimité sur la légalité et prendre, sans plus attendre, les responsabilités qui sont les nôtres vis-à-vis du secteur de la presse.
Comme nous l’avons fait en 2012 à vos côtés, madame la ministre de la culture, en étendant aux livres numériques le taux réduit de TVA appliqué aux livres imprimés, nous faisons ici valoir le principe de neutralité fiscale et technologique. Ce principe, d’ailleurs reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, s’oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA.
Garantir un traitement fiscal équivalent aux œuvres, indépendamment de leur support de diffusion, est juste et cohérent. C’est cette approche que le Gouvernement défend actuellement devant le juge européen sur la question des livres, comme il le fera sur la presse en ligne s’il en est besoin. C’est une position de principe que vous aviez d’ailleurs réaffirmée avec Fleur Pellerin et Bernard Cazeneuve le 23 décembre dernier en annonçant une initiative forte pour le début de l’année 2014. Nous y sommes aujourd’hui.
Et il n’est nul besoin, mes chers collègues, de vous convaincre que cette mesure est d’une importance économique vitale pour le secteur de la presse qui se trouve confronté au défi de sa transition numérique, facteur de fragilisation.
M. Michel Françaix. Très bien !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Le différentiel de taux de TVA est aujourd’hui un lourd handicap économique pour la presse et un obstacle à l’émergence d’un modèle économique viable pour la presse payante en ligne.
M. Marcel Rogemont. Vous avez raison de le rappeler !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Saluons de fait l’instruction fiscale prise dès vendredi dernier, visant à appliquer le taux particulier de 2,1 % dès le 1er février 2014, allégeant immédiatement la charge pesant sur ce secteur.
Sur le plan budgétaire, cette mesure est peu coûteuse, voire même vertueuse. Son coût est en effet estimé à cinq millions d’euros pour la première année d’application. Cependant, les études disponibles montrent que le manque à gagner serait en grande partie compensé par le développement de la presse en ligne à l’échéance de quatre ans seulement, générant ainsi une augmentation globale de la TVA perçue. Il y aurait donc pour l’État retour rapide sur investissement, avec comme objectif essentiel de mieux assurer le pluralisme de l’information.
M. Patrice Martin-Lalande. C’est exact !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je tiens enfin à rappeler ici que cette mesure a été préconisée par tous les rapports consacrés à l’avenir de la presse : le rapport du Conseil d’État de 1998 sur internet et les réseaux numériques ; le rapport de Marc Tessier de 2007 consacré à la presse face au défi du numérique ; le livre vert des états généraux de la presse de 2009 ; le rapport d’information que j’ai cosigné avec Patrice Verchère sous la présidence de Jean-Luc Warsmann en juin 2011 sur la révolution numérique et les droits de l’individu ; le rapport d’avril 2013 du groupe d’experts sur l’avenir des aides à la presse présidé par Roch-Olivier Maistre et auquel a participé notre collègue Michel Françaix ; le rapport de la mission sur l’acte II de l’exception culturelle présidée par Pierre Lescure de mai 2013 ; les avis sur les crédits en faveur de la presse faits au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée par Michel Françaix – encore lui ! – puis par Rudy Salles.
Je rappellerai également l’opiniâtreté avec laquelle, depuis plusieurs années, dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances successifs, Patrice Martin-Lalande pour le groupe UMP et Michel Françaix et moi-même pour le groupe SRC avons proposé des amendements tendant à étendre le bénéfice du taux super-réduit de TVA à la presse en ligne.
M. Patrice Martin-Lalande. C’est sûr !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Sur un plan technique, la présente proposition de loi ne soulève aucune difficulté puisqu’elle s’appuie sur la définition des services de presse en ligne déjà introduite à l’article 1er de la loi du 1er août 1986 relative au régime juridique de la presse par la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet par la loi dite HADOPI pour ceux qui ont un peu de mémoire. Cette définition a été précisée et affinée depuis par décret et par une jurisprudence importante de la commission paritaire des publications et agences de presse, la CPPAP.
Ses principaux éléments sont : une maîtrise éditoriale par la personne éditrice ; la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, renouvelé régulièrement ; le traitement journalistique des informations et leur lien avec l’actualité et enfin l’exclusion des outils de promotion ou des accessoires d’une activité industrielle ou commerciale.
Après tant d’années durant lesquelles nous avons porté avec conviction mais sans succès cette mesure d’harmonisation et donc d’égalité fiscale, je vous invite, mes chers collègues, à adopter sans modification cette proposition de loi qui, je le souligne, a été adoptée à l’unanimité de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, nous sommes ici pour parler de l’avenir de la presse.
C’est tout à l’honneur du groupe socialiste républicain et citoyen, mais aussi de la représentation nationale dans son ensemble comme l’ont montré les travaux de votre commission et son vote unanime sur cette proposition de loi, de nous permettre de discuter de la fiscalité de la presse numérique.
Je tiens donc à remercier MM. Patrick Bloche, Michel Françaix et Bruno Le Roux de cette initiative, ainsi que les membres de la majorité et de l’opposition qui ont demandé la baisse de la TVA sur la presse en ligne.
Le président de la commission des affaires culturelles l’a rappelé, c’est la position que le Gouvernement a défendue le 11 juillet dernier à l’occasion de la remise du rapport du groupe de travail présidé par Roch-Olivier Maistre et auquel participait Michel Françaix, et ce sont les conclusions que j’avais tirées de ce groupe de travail.
Cette position que vous défendez et que je soutiens fortement établit enfin l’égalité de traitement de toute la presse, quel qu’en soit le support, pour l’assujettissement à la TVA. Le rétablissement de cette équité aura trois conséquences extrêmement importantes : l’égalité de traitement, mais aussi l’essor économique et un encouragement à une modification des règles européennes.
S’agissant de l’égalité de traitement, il existe une forme d’incohérence dans le fait que si l’on consulte des informations dans des journaux imprimés ou des titres de presse numériques, la TVA appliquée varie de 2,1 % à 20 %.
Cela crée une distinction artificielle au sein de la presse, parfois dans le travail d’une même rédaction, entre l’article qui va être imprimé et l’article qui va être mis en ligne. Il s’agit pourtant de la même activité,…
M. Patrice Martin-Lalande. Il peut même s’agir du même article !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. …cette belle et noble activité qui consiste à fournir des informations de qualité à l’ensemble de nos concitoyens.
La fiscalité crée donc des frontières qui n’existent plus dans la réalité et qui ne correspondent à rien. Cela interfère avec la stratégie des titres de presse comme avec l’évolution des modes de consommation et de diffusion de l’information. Il existe aujourd’hui un consensus en France et au-delà, réunissant les professionnels de la presse, des journalistes, des rédactions ou des propriétaires des groupes de presse ainsi que tous les experts : nous devons établir une véritable neutralité technologique en matière fiscale. Le groupe coordonné par M. Roch-Olivier Maistre sur l’avenir de la presse écrite s’en est fait l’écho.
L’État n’a pas à privilégier le papier ni à entraver le numérique. L’État n’est pas le mieux placé pour savoir par quelle technique une rédaction doit s’acquitter de sa tâche et par quel moyen un citoyen doit s’informer. En revanche, l’État doit accompagner les évolutions industrielles et technologiques de filières essentielles à l’information de nos concitoyens.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, mesdames et messieurs les députés, établit, à partir du 1er février 2014, la neutralité entre tous les supports de presse comme nous l’avons déjà fait pour le livre. En effet, le livre, qu’il soit sous forme numérique ou sous forme papier, bénéficie de la même TVA puisque nous l’avons voté ici à l’unanimité en 2011. Nous avons défendu et nous continuons de défendre avec force cette neutralité technologique dans le domaine du livre au sein des instances européennes. Cette position courageuse de la France nous a valu quelques interrogations du côté de Bruxelles.
M. Patrice Martin-Lalande. C’est joliment dit !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Jusqu’à présent, nos amis allemands n’étaient pas du même avis que nous, ce qui fragilisait la position française. Depuis le nouveau pacte de coalition de la chancelière Angela Merkel avec le SPD, l’Allemagne s’est rangée à la position française de neutralité technologique en matière fiscale. C’est donc un soutien de choix pour nous au sein des instances européennes.
La date de mise en œuvre de ce taux super-réduit a pu faire débat lors de vos discussions précédentes. Ce qui nous anime aujourd’hui, c’est la situation de la presse en ligne dans son entier, et non pas le traitement de tel ou tel cas particulier. Certes, il existe des contrôles fiscaux en cours, mais ils relèvent, je le rappelle, du secret fiscal. Il n’appartient donc pas à la représentation nationale d’en débattre dans l’hémicycle, d’autant plus que ces contrôles concernent une période antérieure à celle que concerne la proposition de loi qui nous réunit.
Contrairement au livre, la presse n’est pas toujours homothétique d’un support à l’autre. Il peut y avoir des variations dans l’information qui est fournie entre le support papier et le support numérique. c’est d’ailleurs ce que rappellent les rapports de Pierre Lescure et de Roch-Olivier Maistre. Mais cela ne veut pas dire pour autant que toute information payante présente sur la toile pourra être concernée par la réforme. Il est important de bien garder à l’esprit le périmètre d’application de cette réforme. Cette proposition de loi consolide de manière extrêmement pertinente l’identification vigilante, par la commission paritaire des publications et agences de presse, de ce qui constitue la presse écrite en ligne et sur papier afin de réserver à cette seule presse écrite le bénéfice de la TVA au taux super-réduit.
Effectivement, il fallait être très attentif à cette question du périmètre. Les autres produits ou services proposés sur les sites de presse en ligne – on peut penser, par exemple, à la vente de livres en ligne – ne seront évidemment pas concernés par cette réforme. La CPPAP va conserver son rôle d’attribution de l’agrément permettant d’avoir accès au taux de TVA super-réduit. L’égalité de traitement sera donc garantie.
Par ailleurs, cette proposition de loi permettra l’essor économique de la presse. Chacun le sait, et le président Patrick Bloche l’a rappelé : la presse traverse malheureusement une crise économique très grave, qui se manifeste notamment par des destructions d’emplois, par des menaces sur certains titres, et qui suscite une inquiétude quant au fonctionnement de la démocratie, dont la presse constitue un pilier.
Nous aurions pu envisager d’atteindre une égalité de traitement en soumettant toute la presse à un taux de 5,5 % ou, pire, de 20 %. Évidemment, cela aurait été une grave erreur : cette solution était absolument inconcevable au vu des réalités économiques du secteur, de l’intérêt général que revêt la presse, et de la crise sans précédent qu’elle subit.
La proposition de loi qui vous est soumise s’inscrit dans le cadre de la réforme des aides à la presse, que j’ai annoncée le 11 juillet dernier et qui se met en place selon le calendrier prévu. Cette mesure viendra donc en complément du soutien de l’État à la transition numérique de la presse.
Je prendrai quatre exemples de cette réforme de structure de la presse que le Gouvernement accompagne. La fin du moratoire postal doit inciter les éditeurs de presse, en lien avec La Poste, à effectuer des modifications opérationnelles afin de limiter leurs coûts de transport. La remise à plat de l’aide au portage vise à éviter des effets d’aubaine bien connus par le passé et à inciter les réseaux de portage à davantage de mutualisation. Dans le même objectif de mutualisation, le nouveau fonds stratégique favorisera les projets collectifs et renforcera la conditionnalité des aides. Enfin, grâce aux travaux de la mission interministérielle en cours, le Gouvernement disposera en juin 2014 d’éléments très concrets pour déterminer quels schémas industriels de diffusion de la presse sont viables économiquement. Aujourd’hui, en effet, trois réseaux de diffusion distincts existent en parallèle : le portage, le postage et la vente au numéro. Dans un contexte d’affaiblissement voire d’effondrement de la distribution du papier, cette situation est évidemment problématique.
Restera enfin le dossier piloté par le Conseil supérieur des messageries de presse, auquel je suis extrêmement attentive, pour améliorer la rémunération des marchands de presse – le fameux « niveau 3 » du réseau – et leurs conditions d’exercice. Je sais que le Parlement est très vigilant sur ce sujet, notamment Michel Françaix qui y a beaucoup travaillé.
Ces différents axes de travail permettent donc d’accompagner la transition numérique de la presse. En faisant le pari d’un alignement de toute la presse sur le taux super-réduit, le Gouvernement veut favoriser l’essor économique de la presse en ligne et le renouvellement éditorial qu’elle permet. Face à la crise de la presse, la transition numérique est indispensable à nos titres de presse.
M. Patrice Martin-Lalande. Ce n’est pas une transition, c’est une mutation !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Hier encore, la publication des derniers chiffres relatifs à la consultation des sites a montré le grand dynamisme et la grande popularité de ces titres de presse en ligne. C’est donc en accompagnant la transition vers le numérique que nous pourrons contribuer au sauvetage de l’ensemble de la presse. Nous allons lui donner une opportunité historique pour faire sa mue, et contribuer ainsi à vivifier le pluralisme de la presse, qui trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme l’a rappelé le président Patrick Bloche.
Il y avait urgence à agir, et c’est pourquoi je me félicite de cette initiative parlementaire qui permet d’accélérer le mouvement que j’ai engagé au mois de juillet dernier. La crise de la presse écrite s’aggrave, avec des effets délétères pour l’information des Français. La presse a subi 6 000 destructions d’emplois au cours des dix dernières années, dont 1 500 au cours des deux dernières années : nous sommes donc confrontés aujourd’hui à un état d’urgence. Une partie de la solution se trouve dans la transition numérique.
Comme nous sommes toujours vigilants sur l’état de nos finances publiques, je veux aussi noter que le coût budgétaire de l’abaissement du taux de TVA applicable à la presse en ligne à 2,1 % est extrêmement limité. Les données d’étude dont nous disposons aujourd’hui indiquent que le coût initial en dépense fiscale – sans doute autour de cinq millions d’euros – sera plus que compensé, au bout de trois ans seulement, par les effets d’entraînement économique sur le secteur. Il s’agit donc d’une mesure judicieuse, y compris pour les finances publiques.
Cet élément confortera la position française au niveau de l’Union européenne. Nous plaidons sans relâche auprès de la Commission européenne pour la neutralité technologique en matière fiscale. Aujourd’hui, la Commission est très divisée sur ce sujet, mais des élections européennes auront lieu en mai et une nouvelle Commission sera mise en place. Avec, désormais, le renfort et le soutien de l’Allemagne, la France défendra une position bien plus solide encore en ayant d’ores et déjà mis en place ce taux super-réduit. Nous pourrons nous prévaloir d’une homogénéité entre notre action sur le secteur du livre, soumis à un taux de TVA de 5,5 %, et la mesure que nous allons adopter sur la presse, qui sera soumise à un taux de 2,1 %.
Nous appelons de nos vœux une évolution de la fiscalité culturelle, pour permettre la transition de l’économie de la culture vers l’ère du numérique. Une mission sur cette fiscalité à l’échelle européenne a été confiée à Jacques Toubon. Nous savons que la Commission a écouté – et, nous le croyons, entendu – nos arguments en faveur de la neutralité fiscale entre les biens culturels, quel que soit leur support. Le Parlement européen s’est d’ailleurs lui aussi prononcé en ce sens. De nombreux autres États européens souhaitent cette évolution ; l’ensemble des professionnels européens du secteur la demandent, et ils ont salué la décision française d’avancer résolument sur cette question. Nous avons à accomplir une belle mission pour la France : celle de continuer à anticiper, à innover, et à faire en sorte que la transition numérique constitue une belle opportunité pour l’ensemble de nos industries culturelles créatives et pour l’ensemble de la presse.
Au niveau national comme à l’échelle continentale, l’urgence est là. La situation de la presse n’est pas meilleure dans les autres pays européens. La crise de la presse est tangible, et l’Europe doit agir. L’Europe peut agir maintenant : c’est évidemment une affaire de volonté. Les procédures de l’Union européenne sont nécessaires et légitimes, mais elles ne doivent pas nous conduire à l’inaction. À Paris, à Berlin, à Bruxelles et à Strasbourg, nous sommes convaincus que nous devons faire l’Europe par la preuve. Quelle plus belle preuve d’Europe qu’un engagement européen commun à la création culturelle, à l’invention numérique et à l’information citoyenne ? Pour ma part, je continue de croire qu’une résolution de cette question de la fiscalité culturelle à l’échelle européenne est possible. Je la souhaite, et je ferai tous les efforts nécessaires pour y parvenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Braillard.
M. Thierry Braillard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, mes chers collègues, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sont favorables à cette proposition de loi visant à harmoniser le taux de TVA applicable à la presse imprimée et à la presse en ligne. Aujourd’hui, la presse en ligne est soumise au taux normal de TVA de 20 %, tandis que la presse imprimée bénéficie d’un taux dit « super-réduit » de 2,1 %. Mme la ministre vient de le répéter : cette différence de taux n’est nullement justifiée. La discussion rapide, dans cet hémicycle, de la proposition de loi déposée par le groupe SRC est donc pleinement justifiée.
L’application d’un taux de TVA réduit spécifique à la presse relève d’un fondement de notre République auquel les radicaux sont toujours attachés – vous le savez, nous frémissons dès qu’un article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est cité. (Sourires.) Comme le rappelait le président Bloche, l’article 11 de cette Déclaration dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Toute mesure qui favorise la presse recueille donc le soutien des radicaux.
Dans cette optique, la législation actuelle pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, elle est discriminante puisqu’elle favorise un vecteur de communication plutôt qu’un autre : le principe de neutralité technologique n’est pas respecté. Or il ne revient pas au législateur de favoriser une technologie plutôt qu’une autre, une certaine presse plutôt qu’une autre. La complémentarité des supports papier et numérique est indispensable – d’ailleurs, la plupart des titres se sont aujourd’hui mis au numérique – et présuppose une stricte égalité de traitement fiscal.
Ensuite, cette différence de taux freine certainement le développement de la presse en ligne, alors même que celle-ci devrait constituer un relais de croissance pour la presse papier, dont les ventes diminuent inexorablement. Le niveau actuel du taux de TVA affaiblit l’attractivité de l’offre en ligne, détourne de potentiels lecteurs, souvent plus jeunes, et diminue la capacité d’investissement des sociétés de presse.
De façon plus globale, la réglementation actuelle est incompatible avec notre politique de développement du numérique. La France bénéficie aujourd’hui d’un véritable avantage comparatif dans ce secteur : nous devons encourager son développement, qui passe aussi par l’intégration de la presse en ligne dans les usages quotidiens.
Ce constat n’est pas nouveau, il est connu de tous, et un large consensus existe pour modifier la réglementation. Certains médias en ligne, tels Mediapart, IndigoTerra eco, se sont d’ores et déjà arrogé ce droit : depuis plusieurs années, ils appliquent le taux super-réduit de 2,1 %. La médiatisation récente des contrôles et des redressements fiscaux à leur encontre semble avoir accéléré une décision qui se faisait attendre. C’est tout l’objet de cette proposition de loi, qui reçoit notre assentiment. Même s’il est toujours regrettable que notre assemblée ait à légiférer dans la hâte, sous la pression des événements, et que l’on demande quasiment au rapporteur de rédiger son rapport pendant la nuit – ce qu’il a fait brillamment, au demeurant (Sourires) –, nous ne saurions être sourds aux revendications légitimes, que nous partageons depuis plusieurs années.
Toutefois, la légitimité de ces revendications ne doit pas nous aveugler. Cette proposition de loi présente des inconvénients, qui ne doivent ni ne peuvent être minorés.
Le premier problème n’est pas l’un des moindres : l’abaissement du taux de TVA est effectué sans l’accord de la Commission européenne, alors même qu’en la matière, la France est tenue de respecter ses engagements. J’ai bien entendu que l’Allemagne se rapprochait de notre position, mais l’Allemagne n’est pas la Commission européenne. En l’état, et cela a été rappelé, la Commission européenne considère que la presse en ligne ne peut bénéficier d’un taux réduit. Cela n’est ni une lubie de la Commission, ni une interprétation excessive : la directive de 2006 relative au système commun de TVA précise bien que « les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique ». En appliquant le taux super-réduit à la presse en ligne, la France prend le risque d’un contentieux. Notre pays étant sous le coup de plusieurs contentieux liés à la TVA, nous savons désormais ce qu’ils peuvent coûter. J’ai entendu Mme la ministre : le Gouvernement semble prêt à prendre ce risque, arguant justement de la légitimité de ses arguments.
À ce propos, je poserai quand même une question. On sait que les taux super-réduits ne sont autorisés que s’ils ont été appliqués avant le 1er janvier 1991 ; aucun taux super-réduit ne peut être appliqué à une nouvelle catégorie de biens ou de services. Ainsi, plutôt que d’appliquer le taux super-réduit à la presse en ligne, n’aurait-il pas mieux valu, d’un point de vue juridique, appliquer le taux réduit de 5,5 % en attendant une modification future de la directive TVA ?
Par ailleurs, cet baisse du taux de TVA pose un problème plus politique. À partir du moment où la France décide unilatéralement, pour un secteur donné, de ne pas suivre la réglementation européenne, comment pourrait-elle ensuite refuser une telle mesure à d’autres secteurs économiques ?
Il y a quelques mois, il a été décidé que le taux de TVA normal devait être appliqué aux activités équestres et non plus le taux réduit. Le Gouvernement a justifié cette augmentation de TVA par un contentieux avec l’Union européenne. Or, voici que l’on s’apprête à faire exactement le contraire pour la presse en ligne et à utiliser des arguments inverses.
M. Patrice Martin-Lalande. En effet !
M. Thierry Braillard. Comment fera-t-on à l’avenir lorsqu’un secteur économique demandera légitimement qu’on abaisse son taux de TVA, contre la réglementation européenne existante ? Répondra-t-on que l’on doit se conformer aux obligations de l’Union européenne ? Ou expliquera-t-on que l’on peut passer outre ?
N’y aurait-il pas eu la possibilité de trouver un moyen de contourner le problème ? Sommes-nous vraiment obligés de baisser le taux de TVA ? N’aurait-on pas pu reverser, sous la forme d’une aide quelconque, les recettes de TVA engendrées par l’application d’un taux normal, dès lors que nous sommes d’accord pour que cesse cette différenciation de TVA entre presse en ligne et presse imprimée ? Bien entendu, les taux de TVA préférentiels sont considérés comme plus respectueux de l’indépendance de la presse que les aides directes. C’est tout simplement qu’ils évitent les suspicions de conflits d’intérêts, sujet auquel s’intéresse particulièrement notre collègue Françaix. Mais de façon transitoire, n’aurait-on pas pu avoir recours à une dépense budgétaire plutôt qu’à une dépense fiscale, afin d’éviter un contentieux avec la Commission européenne ?
Par ailleurs, se pose la question de l’amnistie fiscale auprès des sociétés qui n’auraient pas respecté la loi avant qu’elle ne soit modifiée. Car si on légifère pour l’avenir, doit-on pour autant effacer l’ardoise du passé ? Il y a là une vraie question, un vrai dilemme, auquel le Gouvernement devra répondre. Si l’on accepte l’amnistie sur le fondement de la légitimité des revendications, que faire des sociétés de presse qui ont continué à appliquer les lois de la République ? Doit-on les récompenser ? De plus, à l’heure où le consentement à l’impôt s’effrite et alors que des marginaux appellent à ne plus payer l’impôt, cette amnistie serait-elle un bon signal ? Enfin, peut-on accorder une amnistie à certains médias en ligne et ne pas l’accorder aux faits commis lors de mouvements sociaux et syndicaux ?
La seule étude d’impact dont nous disposons provient des principaux syndicats de presse français. Le coût de la mesure se limiterait à cinq millions d’euros et, avec le développement de la presse en ligne induit, l’État serait même gagnant. Cela suppose tout de même que les prix baissent, ce qui semble incompatible avec les besoins en investissements du secteur de plus en plus lourds.
Cette proposition de loi met en lumière un autre problème, de portée plus générale, à savoir la lenteur des processus décisionnels européens. Du fait de son fonctionnement, l’Union européenne est incapable d’agir rapidement. On le voit bien avec le numérique, qui est une véritable révolution. Cette révolution suppose des adaptations législatives rapides, aussi bien pour contrôler ses contenus que pour accompagner son essor.
Le Parlement européen s’est prononcé à trois reprises – vous l’avez rappelé, madame la ministre – pour une harmonisation des taux de TVA entre les supports physiques et les supports numériques. Rien n’y a fait. Rien n’a changé. Pour que les règles relatives à la TVA soient modifiées, il est nécessaire d’obtenir l’accord de chacun des États membres. Avec 28 États et bientôt plus, ceci devient quasi impossible.
L’Union européenne ne peut plus continuer ainsi. L’unanimité est contre-productive. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas moins d’Europe, mais mieux d’Europe. Une Europe mieux intégrée, une Europe plus juste. Eh oui, même pour une simple question de TVA, nous en revenons toujours aux mêmes enjeux. Toutefois, les règles européennes ne sauraient changer en quelques semaines. Pour l’heure, face à la nécessité d’agir en faveur de la presse en ligne, et malgré les réserves dont je vous ai fait part, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, écologistes, SRC et UMP.)
M. Alain Tourret. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la question de l’harmonisation des taux de la TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, nous conduit une nouvelle fois à nous pencher sur le rôle de la presse et sur les moyens à mettre en œuvre pour garantir son indépendance, voire son existence. Chacun, chacune, mesure ici, le rôle que joue, dans une démocratie, une presse indépendante, audacieuse, professionnelle ; une presse dont l’existence soit le corollaire de la citoyenneté dans une République construite par et pour ses citoyens et citoyennes.
La presse en ligne, liée à la presse imprimée ou en tant que site indépendant, contribue à l’information de nos concitoyens et, donc, au débat démocratique. Elle doit se voir garantir les moyens pour effectuer cette mission. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, répond, même si c’est de façon partielle, à cette exigence.
Les difficultés du site Médiapart ont témoigné des injustices fiscales existantes entre la presse papier et la presse en ligne. Il était nécessaire d’y remédier. Mais, si l’alignement du taux de TVA est nécessaire pour la presse en ligne, nous ne sommes pas quittes d’un débat sur la presse en général et des aides à lui attribuer.
Nous sommes plusieurs sur les bancs de notre Assemblée à avoir travaillé sur les aides à la presse et à avoir recommandé des aides de l’État différenciées. Ne devrait-on pas faire de même pour la presse en ligne ? Car, à la lecture des sites concernés par cette proposition de loi, je ne suis pas sûre qu’ils connaissent tous des difficultés économiques et encore moins, qu’ils relèvent tous de la mission d’information. C’était le sens de l’article 15 de la proposition de loi que j’ai déposée en juillet 2013.
Bénéficier d’une information en temps réel sur ce qui se passe aux quatre coins de la planète est aujourd’hui possible, et constitue une immense avancée dans la maîtrise, par les individus, des enjeux d’ici et du monde. Mais, mesurons que le diktat de l’instantané n’est pas forcément synonyme de connaissance réelle du monde réel. Le credo du tweet, ne peut remplacer le travail journalistique de recherche de l’information, du contrôle des sources et de la mise à disposition du décryptage d’un événement.
En disant cela, je veux alerter sur une autre facette du dossier de la presse, le diktat de l’argent dans le monde de l’information et les conséquences des rapports marchands qu’il occasionne. Le pouvoir de l’argent dans ce domaine, comme dans toute activité humaine, pèse sur la finalité du métier de journaliste. La concentration amène l’uniformisation, la course au scoop et aux parts de marchés publicitaires.
S’il fallait résumer, je dirais que la démocratie ne peut pas vivre sans que vive le pluralisme dans la presse en ligne comme dans la presse écrite. Une presse uniforme court indubitablement à son dépérissement, car, peu à peu, chacun la ressent inutile. C’est pourquoi, agir pour l’existence, la pérennité de la presse et de son pluralisme, est une mission d’intérêt général, une responsabilité que l’État doit assumer.
Aussi, je veux dire à nouveau mon désaccord avec les décisions prises dans la loi de finances, où nous avons enregistré une baisse d’environ 10 millions sur les aides à la presse !
Enfin, je voudrais, une nouvelle fois, questionner sur ces lois qui se succèdent : j’espère que le 14 mai, comme cela a été annoncé, nous pourrons examiner le projet de loi sur la protection des sources. Ces lois sont importantes et justifiées, mais nous avons besoin d’un grand débat et d’une loi-cadre sur la presse dans notre pays. Chacun, ici, perçoit l’ampleur des menaces qui pèsent sur la presse en général. Nous assistons en effet à la baisse des ventes au numéro, la suppression de plus de 1792 points de vente, la disparition de journaux comme France Soir, La Tribune et la menace qui pèse sur d’autres quotidiens nationaux ou régionaux, je pense à Nice -Matin au groupe de presse Centre-France.
Oui, la presse écrite connaît une détérioration de sa situation économique depuis 2008. Les conséquences sociales sont particulièrement graves pour les salariés de la presse d’information politique et générale, avec des plans sociaux permanents et une précarité croissante des salariés et des journalistes. Tous les observateurs et les professionnels concernés s’accordent sur le fait, que l’État doit davantage s’impliquer dans les lieux de décision du secteur, afin de rompre avec cette situation dramatique. Je ne suis pas de ceux ou celles qui pensent que les nouvelles technologies en seraient les seules responsables. Je crois que la presse en ligne peut être un complément, voire un atout pour donner envie de parcourir un journal.
Aussi, j’attends, avec impatience, madame la ministre, une loi qui traite enfin de la presse dans sa globalité, avant que d’autres titres ne meurent. Madame la ministre, chers collègues, notre groupe votera la proposition de loi qui nous est proposée en espérant qu’elle puisse s’intégrer le plus vite possible à une réflexion globale et générale sur la question des aides à la presse, ainsi que vous l’avez exprimé tout à l’heure. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologistes et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Françaix.
M. Michel Françaix. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, tous les indicateurs, tous les acteurs de la profession le confirment : alors qu’elle s’éloigne de la galaxie Gutenberg pour embrasser l’univers numérique, l’ensemble de la presse du monde occidental connaît une mutation profonde à la fois technologique et économique.
Ce n’est pas une crise, c’est une révolution. Conquis peu à peu par une culture de l’immédiateté et de la gratuité, les lecteurs se détournent progressivement de la presse imprimée payante et s’informent de plus en plus sur la toile. Les jeunes générations sont aux avant-postes de cette révolution des usages dans tous les pays développés. Le basculement en cours de l’imprimé vers le numérique ne fera sans doute pas disparaître la presse papier si celle-ci sait s’adapter. Mais, les éditeurs seront contraints d’envisager pour l’avenir une mixité nouvelle entre produits print et produits digitaux.
Cette diversification de l’offre ne pourrait être qu’un défi industriel. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter, c’est qu’elle est aussi un défi économique, le modèle mixte ne garantissant pas, pour l’instant, la couverture des coûts par des recettes suffisantes.
Ainsi, le monde ancien de la presse papier connaît une crise structurelle aux effets cumulatifs : érosion et vieillissement inexorables du lectorat, déclin prolongé de la diffusion, réduction du nombre de points de vente, déstabilisation de la principale messagerie de presse, diminution sensible du chiffre d’affaires des ventes malgré la hausse des prix, fuite massive des petites annonces, chute significative des recettes publicitaires, et j’en passe.
L’écosystème de la presse écrite imprimée est engagé dans une spirale inquiétante. Au même moment, le monde nouveau de la presse digitale peine à fournir les relais de croissance dont les éditeurs auraient grand besoin pour accompagner la révolution des usages car les sites d’information en ligne ne peuvent plus être conçus par les patrons de presse comme de simples prolongements numériques de version papier. Contrairement à l’erreur de stratégie d’avoir cru à la gratuité, il faut, dans l’esprit d’Arrêt sur image, de Rue 89 ou de Médiapart que ces sites soient payants.
Ils ne peuvent plus être ni un sous-produit numérique de la presse papier, ni un média de complément à des titres existants. Quant à l’écriture papier, elle doit aussi s’émanciper de la presse en ligne. Il est évident cependant que ce nouveau modèle économique peine à s’établir. La presse se trouve aujourd’hui dans une situation d’entre-deux.
Nos contemporains, en modifiant peu à peu la façon qu’ils ont de s’informer, restructurent, par leurs usages, le secteur de l’information avec la force qu’ont les mouvements fondés sur l’évolution des comportements sociétaux. Cette fragmentation a entraîné une accumulation sans précédent des outils, supports et interfaces proposant de l’information et du contenu en provenance de la presse. À l’inverse, les modèles économiques se concurrencent plus qu’ils ne s’accumulent et l’économie des usages n’a pas encore vu se dessiner l’ensemble de son paysage.
Il s’agit de prendre toute la mesure de ces évolutions et d’adapter dès à présent l’action de l’État, comme vous le faites, madame la ministre, autour de quelques orientations qui devront faire l’objet de révisions périodiques : assurer le futur du journalisme professionnel, seul garant d’une presse d’information politique et générale de qualité, libre, indépendante et pluraliste, en ne liant plus son sort à un support donné ; permettre la nécessaire éclosion de nouveaux acteurs, sans les pénaliser d’emblée et ne pas enfermer les acteurs du moment dans des modèles industriels qui peuvent parfois sembler obsolètes ou, en tout état de cause, ne pas les enfermer dans un modèle unique.
Voilà pourquoi ce texte de loi était attendu. La discrimination que subissaient à cet égard les sites de presse en ligne constituait une anomalie, une distorsion de concurrence à laquelle il fallait mettre fin dans la mesure où elle était inéquitable et ou elle contrariait l’émergence d’un modèle économique assurant à terme la rentabilité de la presse digitale. Cette situation représentait à la fois un handicap économique pour la presse payante en ligne et un frein à la migration des abonnés papiers vers les offres numériques.
Ce texte que vous soutenez, madame la ministre, et que M. le rapporteur défend déjà depuis de nombreuses années, va permettre avec ce taux de TVA super-réduit à 2,10 % de constituer un soutien global et indifférencié au secteur de la presse et de contribuer à ne pas se laisser entraîner dans une spirale dépressive.
À l’instar des initiatives prises en 2012 en faveur du livre numérique, ce texte permettra d’accompagner la transition en évitant la rupture. Madame la ministre, vous avez osé prendre un risque, chacun de nous, parlementaire de l’opposition ou de la majorité, vous en sait gré. Vous l’aviez promis – peu y croyaient –, vous l’avez fait. De votre côté, monsieur le rapporteur, vous avez su convaincre afin que ce texte soit débattu rapidement. Vous avez compris qu’il faudrait du temps pour convaincre Bruxelles et qu’il fallait aller de l’avant. Nous avons pris de l’avance sur les différents pays européens, sur l’Europe elle-même. La France est dans son rôle, rôle, comme souvent, précurseur d’une réforme incontournable.
M. Marcel Rogemont. Quelle élégance !
M. Michel Françaix. Toute barrière érigée à l’encontre du numérique prenait nécessairement des allures de ligne Maginot. Il n’est plus temps de se demander si le numérique est le diable, s’il peut faire tomber les dictateurs ou permettre au cybercriminels de pénétrer au cœur des systèmes d’État.
La révolution numérique accouche d’un nouveau monde, notre vie se transforme radicalement : l’information, la culture, la politique, les relations sociales, l’économie et même l’amour, osons le dire, sont entrés dans une nouvelle ère. Nous sommes passés des messages aux messageries et nous ne reviendrons pas en arrière. La grande messe du 20 heures sera peut-être être supplantée par un tweet si elle ne sait pas s’adapter.
Bien sûr, il faudra apprendre à lutter contre la dictature de l’urgence et se demander parfois quand nous devons freiner !
M. Frédéric Reiss. Et même nous déconnecter !
M. Michel Françaix. Nous devons trouver nos repères dans ce nouveau monde. Patrons de presse et journalistes auront à définir les nouveaux formats qui permettront de sélectionner les informations, de travailler sur l’information chaude, de détruire des rentes de situation, d’accélérer la prise de conscience de l’innovation. La consommation d’informations va en effet exploser.
Je veux croire au nouvel âge d’or du journalisme qui, seul, pourra apporter des réponses à ces problèmes. Journalistes et patrons de presse devront accepter, selon la formule de Péguy, de "dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste", même si dans un premier temps cela sera moins vendeur : la mise en scène ne doit jamais l’emporter sur la mise en perspective. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.
M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis personnellement et au nom de mon groupe UMP de la discussion de cette proposition de loi destinée à faire bénéficier la presse en ligne du taux super-réduit de 2,1 % de TVA, déjà appliqué à la presse imprimée depuis de nombreuses années. Je m’en réjouis d’autant plus que ce texte reprend une disposition que j’ai défendue chaque année depuis deux législatures sous forme d’amendements à nos lois de finances successives et d’une proposition de résolution en 2011 …
M. Rudy Salles. C’est un visionnaire !
M. Patrice Martin-Lalande. …avec le soutien de nombreux collègues, notamment Christian Kert, Franck Riester, Michel Herbillon, Hervé Gaymard, sans oublier Patrick Bloche et Michel Françaix. Chaque année, nous avions ainsi pour objectif d’exprimer la demande insistante du Parlement français que les autorités européennes règlent rapidement cette question.
L’objectif essentiel est de rendre accessible et attractive sur l’internet l’information politique et générale qui a un coût et qui respecte les normes professionnelles en engageant une responsabilité éditoriale face à cette liberté formidable qui aboutit, il faut bien le dire, à une avalanche d’informations produites par tous les internautes à coût nul et sans obligation de respecter ces normes. Il est important que les usagers d’internet aient la possibilité de se référer à des sites d’information dotés d’un label de qualité et sous-tendus par une responsabilité éditoriale. C’est un droit que nous devons protéger.
L’harmonisation de la TVA appliquée à la presse en ligne avec celle appliquée à la presse imprimée a toujours été une démarche tout à la fois urgente, réaliste, légitime et cohérente. L’élément nouveau et décisif est que cette harmonisation est de plus en plus euro-compatible.
Cette harmonisation est urgente car la presse ne peut plus perdre de temps pour réussir sa mutation numérique – je n’emploie pas le terme de transition car l’ère numérique est appelée à durer.
Quand on sait que le coût d’un quotidien imprimé provient à près de 60 % des frais d’impression et de distribution, on mesure l’immense avantage économique que procure la numérisation de la presse en éliminant cette double dépense. Cet allégement des charges peut constituer un moyen sans précédent d’alléger le prix de vente de la presse, lequel est l’une des causes de perte du lectorat de la presse imprimée. La numérisation doit permettre de mieux atteindre l’objectif permanent des pouvoirs publics en matière de médias : rendre accessible au plus grand nombre la presse qui concourt à la liberté d’expression et à la qualité du débat démocratique.
Conscientes de ce que l’avenir de l’information passe par la dématérialisation accrue de ses contenus, les entreprises de presse consentent d’importants investissements pour le déploiement d’offres payantes sur tous les types de terminaux, notamment les tablettes et les téléphones mobiles. La réussite du développement de ces offres légales est subordonnée à leur capacité à séduire rapidement de nouveaux lecteurs. L’harmonisation des taux de TVA rendra la presse plus accessible pour un plus grand nombre de lecteurs-consommateurs.
Cette harmonisation est réaliste car elle est compatible avec les contraintes et les objectifs budgétaires de l’État sur deux plans.
Premièrement, en favorisant l’essor d’un modèle économique payant pérenne, elle permettra d’asseoir les bases de recettes fiscales à venir. La combinaison d’un taux réduit de TVA et de politiques éditoriales et commerciales attractives de la part des éditeurs contribuera en effet rapidement à la maturation de ce marché et à des recettes fiscales supplémentaires. Je vous renvoie aux évaluations qui ont été citées. Cette démarche s’inscrit dans la continuité des états généraux de la presse écrite et du statut de la presse en ligne conclus et adoptés en 2009. Deuxièmement, le succès de la presse en ligne permettra aussi de réduire voire de supprimer à terme certaines aides de l’État pour l’impression, le transport et la distribution, qui n’auront plus de justification.
Cette harmonisation est légitime au regard du principe de neutralité technologique de l’impôt.
La fiscalité applicable à la presse ne doit pas s’apprécier en fonction du support de diffusion. La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt Rank de novembre 2011, a clairement et solennellement réaffirmé que ce principe de la neutralité fiscale était un élément constitutif du principe de libre concurrence qui régit toute la politique européenne. L’harmonisation des taux de TVA met en œuvre ce principe de neutralité et donc de libre concurrence. Même si elle contredit temporairement une directive européenne dont la révision est en cours, ce principe est pris en compte. L’harmonisation que nous voulons mettre en œuvre anticipe la satisfaction d’une légitimité juridique bien supérieure en respectant un principe fondateur de l’Union européenne, celui de la libre concurrence.
Cette harmonisation est cohérente car elle va dans le même sens que la décision prise par le Parlement français dans la loi de finances pour 2011 de mettre en œuvre une TVA réduite au bénéfice du livre numérique à compter du 1er janvier 2012. Constatant que le marché du livre numérique est appelé à se développer et que cette évolution est susceptible d’être freinée par des prix dissuasifs qui encourageraient le piratage, le législateur avait alors estimé que la fiscalité constituait un élément essentiel pour accompagner l’évolution du marché. Avec la présente proposition de loi, il s’agit de faire toute sa place dans l’univers de l’internet à l’écrit sous la forme de presse comme de livre.
Enfin, cette harmonisation – et c’est là l’élément nouveau décisif – devient de plus en plus euro-compatible. Une approche globale de la fiscalité des écrits numériques a mûri dans de nombreux pays européens. Le Parlement suédois avait déjà adopté en mai 2011 une résolution préconisant l’application des mêmes taux de TVA. Mais l’évolution la plus importante vient de l’Allemagne : opposée dans un premier temps à cette harmonisation, elle vient fort heureusement de prendre la position contraire. Traduisant un des points de l’accord de Gouvernement entre la CDU-CSU et le SPD, un communiqué officiel du ministre allemand de la culture vient de demander que le même taux de TVA s’applique à la presse en ligne et à la presse imprimée. Le fameux moteur franco-allemand va donc pouvoir fonctionner au bénéfice de la presse en ligne, même si le chemin n’est pas encore complètement balisé. Nous savons qu’il faudra convaincre tous nos partenaires européens.
Non seulement les gouvernements européens convergent, mais l’ensemble des instances professionnelles de la presse soutiennent aujourd’hui l’harmonisation de la TVA. Au niveau français, il y a unanimité des neuf syndicats de la profession. La même unanimité existe au niveau européen à la suite de la déclaration de Berlin qui avait réuni dès mars 2011 les signatures de plus de 200 associations professionnelles et groupes de presse.
Ma dernière remarque portera sur le très injuste paradoxe européen qui a pour résultat de faire payer l’impôt aux créateurs de contenus et de largement en exonérer les opérateurs comme Google qui vivent de l’utilisation de contenus créés par d’autres. Il faut aussi rappeler que Google ponctionne par une commission de 30 % à 40 % une part importante de la valeur ajoutée de la presse en ligne. Il faut donc souhaiter que l’Union européenne ne se contente pas d’harmoniser les taux de TVA applicables à la presse – ce qui est déjà un progrès fantastique – mais règle aussi dans les meilleurs délais les autres inégalités fiscales qui menacent la création de contenus.
M. Marcel Rogemont. Effectivement !
M. Patrice Martin-Lalande. Naturellement, on ne peut que souhaiter, face à Google, Apple et autres opérateurs dominants que la presse joue plus de manière plus collective et négocie de manière groupée avec une vision sur le long terme, si ce n’est pas trop lui demander.
En appliquant rapidement à la presse en ligne une TVA réduite, il s’agit pour la France de convaincre ses vingt-sept partenaires et les instances européennes compétentes. Nous sommes pour notre part convaincus que la TVA réduite pour la presse en ligne sera bénéfique pour les lecteurs-consommateurs, donc pour l’élargissement du lectorat de l’ensemble de notre presse, qui en a bien besoin, et pour la diffusion de l’information. Elle facilitera l’émergence d’entreprises européennes capables de rivaliser avec les géants américains de l’information en ligne – nous avons à veiller à la présence européenne en termes de contenus – et préservera ainsi le pluralisme de l’information à l’échelle internationale. Le groupe UMP votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Rudy Salles.
M. Rudy Salles. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, au fond, de quoi est-il question dans cette proposition de loi ? Elle vise tout simplement à accompagner la transition numérique de la presse, ce qui est indispensable. Indispensable parce qu’internet et, de manière générale, les nouvelles technologies numériques et nomades sont des chances formidables pour l’information et, ce faisant, pour la culture, pour l’accès à la culture et à la diversité culturelle et politique. C’est le plus accompli des outils de la compréhension du monde. Et puis le caractère fugace de l’information rend ce mode de transmission spécialement pertinent, notamment dans un souci de développement durable. C’est aussi l’opportunité pour les lecteurs de s’abonner à plusieurs supports d’information sans encombrer leur boîte aux lettres. C’est enfin l’occasion de faire un saut générationnel de lectorat et finalement de permettre aux jeunes de lire la presse alors qu’ils la boudent sous sa forme papier.
Bref, avec une économie de moyens, on accède à une palette enrichie de choix et d’occasions de s’informer, de se cultiver, de comparer et finalement de se faire une véritable opinion. Nous voici donc aux racines de la démocratie, en somme, au choix éclairé cher à L’Esprit des lois de Montesquieu.
Il est vrai malheureusement que le numérique est trop souvent vécu comme une menace et non comme une opportunité. C’est vrai pour la presse écrite comme cela a pu l’être du droit d’auteur par exemple. Dans le cas qui nous occupe, nous sommes tous à peu près d’accord. J’ai moi-même appelé de mes vœux cette évolution il y a quelques mois encore parce qu’internet est bien un média, un mode de commerce comme les autres, qui doit bénéficier des mêmes droits et être soumis aux mêmes contraintes que les autres médias.
Et puisque nous en sommes convaincus, nous devons contribuer à la recherche d’un modèle de développement économiquement viable et pérenne pour la presse électronique. Aucun grand titre de presse quotidienne, ni en France, ni ailleurs, n’a pour l’instant trouvé la pierre philosophale pour assurer sa transition depuis le papier vers l’internet. La question est celle de l’investissement que nécessite cette transition technologique mais également celle de sa rentabilité pour les entreprises. En effet, en France comme à l’étranger, tant pour les publications reposant sur deux médias que pour les pure players, il n’existe pas aujourd’hui de modèle économique unique et stabilisé garantissant à la fois la pérennité, la qualité et la rentabilité de la presse en ligne.
Nous sommes donc sur la bonne voie, rejoignant ainsi le souhait de nombreux acteurs de la presse en ligne. Chacun sait en effet que plusieurs médias en ligne – Mediapart, Indigo, Terra Eco – sont la cible d’un contrôle fiscal pour avoir délibérément appliqué depuis trois ans un taux de TVA de 2,10 %, ce qu’Edwy Plenel avait appelé un acte de « mesure d’égalité fiscale ». Mediapart se voit de ce fait réclamer un million d’euros de redressement et de pénalités. En commission, notre président et rapporteur a souhaité, « dans l’esprit de la loi que nous voterons [… ], inciter l’exécutif à envisager l’effacement du redressement fiscal de Mediapart ».
Cette proposition de loi va dans le même sens que la proposition de résolution déposée par notre collègue Patrice Martin-Lalande le 4 février 2011 – il vient de l’évoquer à l’instant – et nombre d’amendements déposés par des parlementaires de l’ancienne majorité. Je pense en particulier aux amendements au projet de loi de finances pour 2012 présentés par mes collègues sénateurs Catherine Morin-Desailly et Hervé Maurey, tendant à harmoniser les taux de TVA de la presse numérique et papier : on aurait pu gagner du temps.
Enfin, je veux rappeler la situation dramatique de la presse écrite, que je soulignais déjà dans mon rapport pour avis sur le budget 2014. Je citerai l’exemple de la presse quotidienne régionale qui, en l’espace de cinq ans, a perdu 800 000 lecteurs, soit l’équivalent du lectorat de Ouest-France, premier quotidien régional. Il est urgent, très urgent de remettre de l’ordre et de la clarté dans les aides à la presse. Nous attendons de votre part, madame la ministre, des initiatives fortes avant qu’il ne soit trop tard ; mais il s’agit là d’un autre débat.
Pour en revenir à la proposition de loi qui nous est présentée, le groupe UDI votera bien entendu ce texte puisque nous avions préconisé cette baisse de TVA : nous la soutenons donc aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, SRC, RRDPGDR.)
M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.
Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, cette proposition de loi rejoint la position des écologistes en faveur d’une égalité de traitement entre presse écrite et presse électronique. Il s’agit de mettre fin à une inégalité de traitement incompréhensible entre la presse papier et la presse électronique quant au taux de TVA qui leur est imposé.
Cette situation a d’ailleurs récemment fait la « une », nous en avons tous parlé, certains médias en ligne comme Mediapart se trouvant sous le coup de contrôles fiscaux menaçant leur existence, parce qu’ils appliquaient le taux de TVA de 2,10 % appliqué traditionnellement à la presse écrite. Et pourtant, leur démarche est légitime !
M. Marcel Rogemont. Mais elle n’est pas légale !
Mme Barbara Pompili. J’ai bien dit « légitime », et non « légale ». Nous comprenons ainsi que tout tourne autour d’une seule question : quelles sont les justifications expliquant que certains médias se verraient appliquer des taux de TVA de 2,10 % alors que d’autres connaîtraient une TVA de 20 % ? La réponse est simple : il n’y en a aucune ! Aucune explication acceptable ne justifie une telle inégalité de traitement. Non, rien ne peut légitimer que du contenu payant en ligne soit soumis à un taux de TVA nettement supérieur à celui appliqué au contenu papier.
Depuis 2009, ce faux débat a d’ailleurs été tranché : les sites d’information en ligne font partie de la grande famille de la presse au même titre que les publications sur papier. La question en effet n’est pas celle du support mais bel et bien celle du contenu éditorial. C’est pourquoi nous considérons que cette différence de taxe n’est ni plus ni moins que de la distorsion de concurrence, que le législateur a le devoir de corriger.
Pourtant, malgré cette reconnaissance de 2009, l’harmonisation du taux de TVA n’a pas suivi ; il est donc de notre devoir de mettre fin à ce flou législatif qui crée des situations qui n’ont pas lieu d’être. C’est justement cette démarche qu’avaient choisi d’effectuer certains éditeurs de presse en ligne, comme Mediapart, Indigo ou Terra Eco. Ce choix, ils l’avaient fait au nom de l’égalité de traitement qui doit exister entre la presse écrite et la presse numérique. Cette proposition de loi va donc mettre fin à cette anomalie.
De plus, cela s’inscrit dans une ligne cohérente avec la décision prise par l’Assemblée en faveur d’une TVA réduite pour les livres numériques afin d’aligner cette taxation sur celle des livres papier. Ce texte permettra de rappeler que la neutralité technologique de l’impôt est primordiale, car nous devons être les garants de l’égalité de traitement envers la presse, quel que soit son support. S’assurer de l’existence d’une pluralité d’offres d’informations, accessibles au plus grand nombre, est en effet un enjeu pour la vie de toute démocratie. Qu’ils soient papier ou électronique, la question n’est pas là : tous les supports d’information doivent être encouragés ! La presse papier et la presse électronique doivent toutes deux répondre au même enjeu démocratique : fournir un égal accès à une information indépendante, pour tous les citoyens.
L’application d’un taux de TVA super-réduit permet justement d’agir en ce sens puisque c’est en effet le lecteur qui bénéficie directement de cette mesure. Avec un taux de TVA super-réduit ou un taux zéro, comme cela se pratique dans certains pays d’Europe, le coût devient accessible et acceptable pour tous les lecteurs. De plus, agir sur la TVA est également une alternative intéressante au versement d’aides publiques car les subventions directes à la presse font souvent l’objet de suspicion de conflits d’intérêts, posant dès lors la question de l’indépendance de la presse.
Qui plus est, nous parlons ici de médias qui, comme Mediapart ou Indigo, n’ont recours ni aux aides publiques ni à la publicité, afin justement de garantir une indépendance éditoriale totale. Ces médias ne rendent des comptes qu’à leurs lecteurs et ne sont aucunement dépendants de versements extérieurs. Leur imposer une TVA plus élevée revient donc à mettre à mal leur modèle économique alors que nous devrions, au contraire, leur envoyer un signal de soutien.
L’enjeu est en effet aussi celui de l’émergence d’une presse en ligne de qualité, que nous souhaitons voir éclore et devenir durable. Nous devrions encourager le développement d’une telle presse et, pour ce faire, adapter les dispositifs de soutien à la presse aux évolutions technologiques et aux nouveaux comportements des lecteurs. Ce mouvement ne devrait en effet pas s’inverser mais bien s’intensifier, les citoyens ayant de plus en plus recours au numérique pour accéder à l’information. L’essor des smartphones, des tablettes, des objets connectés et des réseaux sociaux, n’est pas près de faiblir.
De plus, la presse en ligne offre de nombreux avantages : je pense à l’accès instantané à l’information, à tout moment, permettant de suivre en quasi direct le moindre changement, la moindre évolution – l’on pourrait également évoquer, malheureusement, les dérives vers l’anecdotique dans la presse, mais c’est un autre débat. Je pense aussi aux outils dont cette presse électronique dispose pour valoriser ses articles et les rendre attractifs : images, vidéos, animations interactives, enregistrements audio, liens avec d’autres sources.
Alors que le numérique n’a de cesse de déployer ses potentialités, la presse écrite fait face dans le même temps à une crise en accélération constante. Fort heureusement, cela ne signifie pas que le papier va disparaître, mais il risque de devenir progressivement un support secondaire. C’est d’ailleurs en raison de ce mouvement que de nombreux journaux, comme Libération, Le Monde, Le Figaro ou Le Nouvel Observateur, pour ne citer que ces quelques exemples, proposent aujourd’hui un site en ligne en plus ou en complément du support papier.
Mais la presse en ligne ne doit pas pour autant se limiter à des offres composites, combinant papier et informations en ligne ; il faut sortir de cet ancien schéma qui tend à être dépassé. Internet offre une multitude de possibilités pour inventer la presse de demain, et l’instauration d’une TVA harmonisée, comme cela nous est proposé à travers cette proposition de loi, fait partie des outils que nous devons mettre en place afin d’accompagner l’apparition d’un modèle de presse en ligne viable et de qualité.
Enfin, je tiens à aborder un dernier point dont l’importance ne doit pas être minorée : celui de l’Union européenne. Pour pérenniser cette égalité de traitement entre presse numérique et papier, la France devra être moteur dans les discussions avec nos partenaires européens afin de permettre la création d’une nouvelle « directive TVA » intégrant cette neutralité fiscale. N’oublions pas que le Parlement européen s’est prononcé plusieurs fois en faveur de l’application d’un taux de TVA similaire entre supports physique et numérique. Alors, n’ayons pas peur de prendre les devants et d’ouvrir les négociations. Nous soutiendrons évidemment une telle initiative, au même titre que nous soutenons cette proposition de loi qui rejoint la position des écologistes en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Michel Pouzol.
M. Michel Pouzol. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’excellente initiative de nos collègues Bruno Le Roux, Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, et Michel Françaix, spécialiste s’il en est dans notre hémicycle des questions liées à l’évolution des supports et de la presse.
Excellente initiative, car très attendue par la profession et par les représentants de la presse d’information publique et générale, tout autant attachés que la commission des affaires culturelles au principe de la neutralité fiscale entre les supports d’information. Ce texte met en musique l’annonce faite le 17 janvier par le Gouvernement d’aligner le taux de TVA des médias en ligne sur celui des médias imprimés.
Vous le savez, alors que les ventes des publications imprimées sont assujetties au taux de TVA super-réduit de 2,1 %, les sites de presse en ligne payants sont soumis au taux normal de 20 %. Il est donc urgent de mettre fin, ainsi que le préconisent l’ensemble des rapports se penchant sur l’avenir de la presse, confiés à Marc Tessier, à Pierre Lescure ou plus récemment à Roch-Olivier Maistre, à cette distorsion de concurrence en défaveur de la presse en ligne.
Tout d’abord, l’enjeu est de soutenir le secteur de la presse papier qui traverse depuis plusieurs années une crise particulièrement grave. Ses symptômes sont bien connus : vieillissement de son lectorat, affaiblissement de sa diffusion, effondrement de ses recettes publicitaires, diminution de sa rentabilité. Son avenir dépendra forcément de sa capacité à réussir sa transition économique.
Ensuite, l’enjeu est d’accompagner l’émergence d’un modèle économique viable pour la presse en ligne payante alors que, dans le même temps, les professionnels constatent une accélération de la vente de contenus de presse en ligne, permise notamment par l’arrivée des tablettes – nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à pouvoir en témoigner !
Cette distorsion a de plus pour conséquence de freiner le transfert des abonnés vers les offres numériques alors même qu’un certain nombre d’entre eux, pour des raisons pratiques ou bien par souci de participer à l’économie verte, souhaiteraient basculer vers le numérique : c’est notamment le cas des jeunes générations.
En vérité, la question fondamentale est la suivante : qui aujourd’hui fait et produit l’information ? Pendant des années, l’information en ligne n’a pas été considérée comme de la presse, celle-ci devant nécessairement être imprimée. Un décret de 2009 a mis fin à cette situation, permettant aux sites d’obtenir un numéro de la commission paritaire des publications et agences de presse, ou CPPAP. La presse imprimée et la presse numérique restent cependant, jusqu’à aujourd’hui, considérées comme deux catégories différentes par le droit fiscal.
Pourtant, la presse en ligne témoigne d’un réel travail journalistique de recherche et de traitement des données ayant le caractère d’information utile au public, à destination des mêmes lecteurs que ceux de la presse imprimée. À ce titre, la presse en ligne indépendante est un levier de transformation, de modernisation et de réforme de l’écosystème de la presse au bénéfice du public et donc de la démocratie.
Soutenir ces secteurs, c’est aussi rendre les acteurs de l’information plus indépendants des éditions et des grands groupes de presse, les exempter d’avoir recours à des soutiens parfois publicitaires, voire politiquement orientés.
Au travers de cette proposition de loi, l’État se conforme à son obligation d’assurer un véritable pluralisme. Ce taux super-réduit se répercutera efficacement sur les lecteurs car une presse démocratique doit rester une presse accessible au plus grand nombre.
Cette proposition de loi est par ailleurs la preuve que l’on peut toujours faire preuve de courage en s’opposant à certaines directives européennes qui nous semblent inappropriées ; la preuve également que l’on peut tourner le dos à la résignation, comme en atteste le fait que nous soyons aujourd’hui en mesure de convaincre nos partenaires allemands d’aller dans le même sens que nous ; la preuve enfin que les mesures de justice, dans quelque domaine que ce soit, ne sont jamais inutiles – il convient parfois de le rappeler.
Elle constitue pour nous un moyen de défendre et d’étendre notre particularité culturelle à l’échelle de l’Europe, tout en préservant et en développant un modèle transitoire dans cette mutation de fond qui bouleverse une presse prête à entrer pleinement dans la complexité de notre siècle, pour peu que nous acceptions de l’accompagner dans cette mutation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le 10 juillet dernier, le Gouvernement a affirmé son souhait d’abaisser le taux de TVA des services de presse en ligne et d’intensifier les échanges avec nos partenaires européens pour encourager la Commission européenne à les intégrer dans les discussions sur la directive relative à la TVA. Cette décision s’est concrétisée le 17 janvier et a donné lieu à ce texte d’initiative parlementaire que nous examinons aujourd’hui.
Vous avez donc choisi une proposition de loi comme véhicule législatif pour abaisser de 20 % à 2,1 % le taux de TVA applicable aux services de presse en ligne, afin de l’aligner sur le taux en vigueur pour la presse papier. Il s’agit là d’une revendication de toutes les organisations professionnelles de la presse. Ce nouveau taux super-réduit s’appliquerait à compter du 1er février 2014.
Pendant des années, l’information en ligne n’a pas été considérée comme de la presse, celle-ci devant nécessairement être imprimée. Un décret de 2009 a mis fin à cette situation, permettant aux sites d’obtenir un numéro de CPPAP. La presse imprimée et la presse numérique restent cependant considérées comme deux catégories différentes au regard du droit fiscal. La première, ayant le statut de publication, bénéficie d’une TVA à 2,10 %. La seconde, considérée comme un service de communication fourni par voie électronique, est soumise à la TVA normale.
Ce texte intervient alors que plusieurs médias en ligne, tels que Mediapart, Indigo ou Terra Eco, sont la cible d’un contrôle fiscal pour avoir délibérément appliqué depuis trois ans une TVA de 2,1 %, alors qu’ils auraient dû payer une TVA légale à un taux supérieur. Mediapart se voit ainsi réclamer un million d’euros en redressement et pénalités par le fisc, au titre des exercices 2008, 2009 et 2010.
Par conséquent, cette proposition de loi permet, comme l’a indiqué très justement le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, de consacrer « une reconnaissance pleine et entière de la presse en ligne, à égalité de droits et de devoirs ».
Plus qu’une évolution, le numérique a créé une véritable révolution dans les médias.
Le rapport de Patrick Bloche de très grande qualité, malgré des délais très courts…
M. Marcel Rogemont. Bravo !
Mme Virginie Duby-Muller. … mais c’est parfois dans l’urgence qu’on est le plus efficace – légitime aussi cet alignement pour plusieurs raisons.
D’abord la situation actuelle est contraire aux principes d’égalité fiscale et de neutralité technologique. Désormais, quel que soit le support, la TVA sera identique.
Vous mettez aussi en exergue, à juste titre, l’enjeu économique d’une telle mesure dans un contexte où la presse est fragilisée, en particulier la presse écrite qui souffre d’une distribution onéreuse, de la volatilité de son lectorat, de l’érosion des ventes et de ses recettes publicitaires.
Le coût de la baisse du taux de TVA qui a été évalué par la DGMIC représenterait un manque à gagner de cinq millions d’euros pour l’État. Comme vous le soulignez monsieur le rapporteur, il s’agit donc d’un montant marginal au regard du budget total.
Enfin, cette harmonisation fait l’objet d’un consensus politique. Je rappelle que plusieurs députés UMP avaient déjà déposé des amendements identiques lors des derniers débats budgétaires, notamment lors de l’examen du projet de loi initial pour 2013, à l’initiative de Patrice Martin-Lalande.
Si cette proposition de loi était nécessaire et va dans le bon sens, elle n’en reste pas moins insuffisante. Je rappelle en effet que la directive européenne sur les secteurs bénéficiant d’une TVA réduite ne couvre pas la vente électronique de journaux, qui est, elle, assimilée à un service, donc redevable du taux classique. Pour faire entrer la presse en ligne dans cette catégorie, il faudrait modifier le texte, et donc procéder à un vote. Il s’agit d’une procédure qui nécessiterait plusieurs années, et qui en outre, comporte le risque de remettre en cause certains secteurs autorisés, la restauration par exemple.
En France, la presse imprimée bénéficie d’un taux réduit depuis 1989. C’est le cas à peu près partout en Europe, certains pays ne distinguant pas presse imprimée et presse en ligne : 0 % au Royaume-Uni, 4 % en Italie, 6 % en Suède, 7 % en Allemagne.
Le Gouvernement a annoncé que la France poursuivrait les discussions avec ses partenaires européens et la Commission pour « demander la révision de la directive TVA, notamment sur l’application du taux réduit aux livres numériques et aux services de presse en ligne ». Il pourra s’appuyer sur ces pays. Pour autant, le Gouvernement prend le risque d’être à nouveau condamné par la Commission devant la Cour de justice de l’Union européenne. Nous saluons néanmoins ce texte qui va mettre un terme à une incohérence de notre droit interne.
S’agissant d’un texte modifiant le code des impôts, pourquoi la commission des finances n’a-t-elle pas été saisie au fond, ni même pour avis, alors que cette disposition aura un impact budgétaire ? Du reste, je souhaiterais connaître l’avis du rapporteur général, Christian Eckert.
En conclusion, dans un contexte de crise de la presse, ce texte contribue à favoriser la migration vers la numérique, à garantir le pluralisme de l’information, de la culture et du divertissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Marcel Rogemont. Il est d’accord.
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrick Bloche, rapporteur. Monsieur le président, je souhaiterais répondre aux différents orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale. Les interventions qu’ils ont faites au nom de leur groupe ont convergé au nom de l’intérêt général et de l’attachement républicain qui est le nôtre au pluralisme de l’information et à son indépendance puisque c’est le fondement même de notre démocratie.
Je remercie les différents orateurs d’avoir souligné ce que pouvait signifier notre démarche fondée sur un principe simple : la neutralité fiscale et technologique. Il est réjouissant de savoir que la représentation nationale a fait le choix, à l’unisson, en harmonie avec le Gouvernement, de dire qu’il était temps que la presse en ligne et la presse imprimée soient soumises au même taux super-réduit de TVA de 2,1 % qui constitue une aide publique au pluralisme de l’information.
En écoutant les uns et les autres, j’ai retrouvé un certain nombre d’arguments qui ont été affûtés lors de discussions budgétaires précédentes. Je pense notamment à ceux mis en avant par Patrice Martin-Lalande au nom du groupe UMP. Je vous rejoins, cher collègue, sur le fait qu’en ce domaine nous sommes amenés effectivement à harmoniser ce taux de 2,1 % et à en faire bénéficier la presse en ligne. Mais au-delà de ce que nous allons faire, j’espère que nous pourrons nous réjouir collectivement, un jour prochain, de ce que ceux qui profitent de la création de ces contenus éditoriaux soient imposés, dans notre pays notamment, à la hauteur des revenus qu’ils tirent de ces contenus dont ils ne sont pas les auteurs.
Je remercie Michel Françaix qui, intervenant au nom du groupe socialiste, nous a placés tout naturellement dans une perspective historique, lui qui connaît si parfaitement l’histoire de la presse et de ses développements. Pour vous copier très modestement, mon cher collègue, je vous dirai que vous avez énoncé lyriquement une vérité lyrique : il était temps de légiférer en ce domaine.
Madame Buffet, j’ai écouté comme d’habitude vos propos avec beaucoup d’intérêt. Vous intervenez régulièrement sur ces questions pour défendre le pluralisme de l’information, l’indépendance de la presse que nous n’oublions pas par rapport à quelques intérêts industriels et financiers bien référencés. Vous avez pointé, à juste raison, le diktat de l’argent et vous avez appelé de vos vœux une loi-cadre sur la presse. Nous savons bien, les uns et les autres, que ce n’est pas en soumettant la presse en ligne au taux super-réduit de TVA de 2,1 % que nous résoudrons tous les problèmes auxquels la presse est confrontée. En cela, nous vous rejoignons pour dire que la présente proposition de loi n’est pas « pour solde de tout compte ».
Je veux remercier Barbara Pompili pour avoir indiqué, à juste titre, que les sites payants en ligne participent au pluralisme de l’information et qu’ils ne bénéficient pas d’aides publiques ou de recettes publicitaires, conditions de leur indépendance. Ainsi, les lecteurs en recherche d’informations se tournent-ils spontanément vers ces sites qui bénéficient, de par leur indépendance, d’une sorte d’excellence éditoriale. Je vous remercie d’avoir rappelé, au nom de votre groupe, votre position ancienne sur ce point.
Je remercie également Rudy Salles qui avait appelé de ses vœux cette modification du taux de TVA dans un récent rapport pour avis.
Monsieur Braillard, vous avez été amené à faire preuve, comme toujours d’ailleurs, d’une grande créativité, ce que vous appelez sans doute la créativité radicale. En apportant votre contribution à ce débat de façon ingénieuse, vous vous êtes demandé si nous n’aurions pas pu procéder différemment, en fixant le taux de TVA à 5,5 % par exemple, comme pour le livre, afin d’éviter un contentieux prévisible avec la Commission européenne. Pourquoi pas ? Toutefois, comme vous l’avez dit, cela ne résout pas la difficulté qui existe, depuis 1991, pour pouvoir prendre l’initiative de modifier le taux de TVA en raison d’une directive européenne.
M. Patrice Martin-Lalande. La presse écrite aurait été ponctionnée ! Ce détail n’est pas neutre !
M. Patrick Bloche, rapporteur. Vous avez raison de le souligner, cher Patrice Martin-Lalande : ce que l’on aurait donné aux uns, les autres l’auraient perdu !
Vous vous êtes demandé si nous n’aurions pas pu continuer à appliquer un taux de TVA à 20 %, pour rester dans le cadre communautaire, puis que l’État reverse sous forme d’aides à la presse le différentiel de TVA perçu entre 2,1 % et 20 %. C’est un autre choix qui a été fait et que vous approuvez, quitte à prendre effectivement le risque d’un contentieux communautaire que nous avons déjà ouvert, avec Mme la ministre, sur le livre numérique. Nous devons prendre la mesure de ce que nous faisons aujourd’hui puisqu’en fixant un taux super-réduit de TVA de 2,1 % à la presse en ligne dans une logique d’harmonisation et d’égalité fiscale, nous risquons d’ouvrir un contentieux communautaire et de nous retrouver in fine devant la Cour de justice de l’Union européenne avec les conséquences que cela peut entraîner sur les finances publiques si nous devons verser des pénalités. L’unanimité à laquelle nous assistons sur la présente proposition de loi devrait interpeller la Commission européenne, en tout cas la conduire à modifier de manière conséquente la directive communautaire sur la TVA, et vous savez combien le couple franco-allemand pouvait être moteur sur ce sujet.
Thierry Braillard et Rudy Salles ont cité quelques sites en ligne qui ont décidé volontairement, au nom de l’égalité fiscale, d’appliquer le taux de TVA de 2,1 %. L’administration fiscale a réagi en les soumettant à des contrôles puis à des redressements fiscaux. Comme ce problème a été soulevé en commission, j’ai voulu travailler sur ce sujet avant la séance publique d’aujourd’hui, avec cette idée que nous pourrions peut-être collectivement, profitant de cette belle unanimité, remettre les compteurs à zéro. J’ai fait quelques recherches et je veux informer notre Assemblée qu’il n’existe pas de précédent où la loi fiscale aurait été modifiée rétroactivement dans le but d’éteindre des contrôles en cours. Tout indique, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel ferait jouer sa jurisprudence traditionnelle sur ce qu’il appelle la recherche d’un intérêt général suffisant pour justifier une telle rétroactivité. En l’espèce, avouons-le, chers collègues, un intérêt général serait difficile à démontrer dès lors que la loi s’appuie jusqu’à présent sur des dispositions communautaires parfaitement explicites, sans aucune ambiguïté. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas déposé d’amendement entre l’examen du texte en commission et sa discussion en séance publique. Restons-en là en ayant à l’esprit ce que collectivement nous apportons à la presse en ligne à travers notre discussion et le vote d’aujourd’hui, surtout que nous sommes dans un cadre où l’instruction fiscale fait courir le délai depuis le 1er février et que l’enjeu c’est que le Sénat ait l’opportunité ou la très bonne idée de voter ce texte conforme avant la fin de ce mois afin que le 1er mars, c’est-à-dire au moment où l’on verse la TVA, les choses soient calées.
Les sites de presse en ligne prédéfinis par la loi – il faut que ces sites aient un lien direct avec des contenus éditoriaux et une mission d’information – seront les principaux bénéficiaires du dispositif, ainsi que les titres imprimés qui ont leur développement en ligne et qui jusqu’à présent étaient dans une sorte de contorsion commerciale pour appliquer deux taux de TVA, et ce de façon un peu approximative.
Merci à Virginie Duby-Muller pour son indulgence. Les délais ont été très courts. L’intérêt général que nous portons quelque part collectivement à ce sujet nous a permis d’avoir une procédure parlementaire très accélérée.
Merci aussi à Michel Pouzol dont je rappelle qu’il est rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la protection du secret des sources des journalistes.
M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. C’est un autre sujet, mais qui n’est finalement pas très éloigné du nôtre.
Merci à vous tous pour cette belle unanimité, qui montre que nous sommes capables de nous rassembler pour faire vivre le pluralisme de l’information, pour faire vivre l’indépendance de la presse, bref, pour que ces sites de presse en ligne participent de l’exercice de la démocratie. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Moi aussi, je veux vous remercier de cette belle unanimité, j’allais dire « une fois de plus », car sur les sujets culturels, ça arrive, dans le sens de l’intérêt général.
Je vais commencer par répondre à quelques interrogations. Thierry Braillard, notamment, a demandé pourquoi nous n’avons pas prévu une TVA à 5,5 % sur la presse en ligne tout en gardant une TVA à 2,1 % sur la presse imprimée. Cela aurait fragilisé notre position, qui est celle de la neutralité technologique en matière fiscale. Avec solidité et cohérence, nous menons ce combat politique à Bruxelles. Fixer deux taux différenciés, certes, aurait permis aux sites de presse en ligne de payer moins de TVA, mais aurait été incohérent du point de vue politique. Nous, nous sommes dans une démarche globale d’harmonisation et d’évolution de la fiscalité dans le numérique pour tout ce qui est culturel y compris la presse.
C’est le sens de toute la réflexion sur la fiscalité du numérique, qui rejoint les préoccupations de M. Martin-Lalande dont je partage les constats sur l’évolution de la fiscalité, sur l’intégration des GAFA, des grandes entreprises de la mondialisation numérique, dans notre système fiscal de l’exception culturelle : il s’agit de faire financer en partie la création, les œuvres, par ceux qui les diffusent et qui en tirent profit.
S’agissant des GAFA, je vous rappelle que l’an dernier, le Gouvernement a incité les éditeurs de presse et Google à trouver un accord. C’était d’ailleurs un souhait des éditeurs de presse : s’il n’y avait pas eu d’accord, nous aurions légiféré. Il y a eu un accord, si bien qu’il y a maintenant un fonds Google de 60 millions d’euros qui est géré par les éditeurs de presse.
C’est dans le cadre de cet accompagnement des évolutions technologiques de la presse que s’inscrit la proposition de loi. Toutefois, pour répondre à Rudy Salles, ce texte ne constitue évidemment pas le seul pilier de la politique du Gouvernement et de la majorité en faveur de la presse. Je l’ai annoncé, la réforme des aides à la presse est mise en œuvre depuis le mois de juillet dernier. Elle comporte plusieurs volets, comme la réforme du fonds stratégique, c’est-à-dire, là encore, l’accompagnement de la transition numérique, et la fin du soutien aux parties industrielles les plus obsolètes. Il y a aussi le travail sur l’aide au portage et sa rationalisation pour éviter les effets d’aubaine. C’est encore le travail sur la diffusion de la presse, avec ce rapport des inspections qui va m’être remis en juin, et le travail sur les distributeurs de niveau 3, qui sont extrêmement fragilisés aujourd’hui par la crise de la presse : leur situation appelle une vigilance toute particulière, assurée par le Conseil supérieur des messageries de presse.
Ce texte ne constitue donc pas la seule mesure que nous prenions pour la presse, chère Marie-George Buffet : elle fait partie d’un tout, mais c’est une mesure importante.
La mesure fiscale est particulièrement pertinente dans le domaine de la presse, parce qu’elle est tout à fait neutre : il n’y a aucune immixtion possible dans l’éditorial. Le choix qui a été fait, depuis le rapport Roch-Olivier Maistre, de conserver un taux de TVA homogène, uni, pour l’ensemble de la presse, nous a permis de ne pas entrer dans une discussion sur le contenu éditorial, tout en maintenant cette distinction très importante entre presse IPG et non-IPG. Cette distinction continue d’être opérée pour tout ce qui concerne les aides directes à la presse. C’est extrêmement important pour nous : cela rend possible un ciblage très fin concernant la presse IPG.
D’ailleurs, dans les tarifs postaux – un autre pan de la réforme du soutien public à la presse – on retrouve cette distinction. Quand le Gouvernement s’engage sur la fin du moratoire en matière de tarifs postaux, il le fait en prévoyant des contreparties fortes pour accompagner la modernisation de la presse, en cherchant à réduire les coûts de transport à terme.
Ce texte s’inscrit donc dans un panorama visant à encourager les réformes de structure indispensables, qui vont, nous le souhaitons tous, permettre à la presse de retrouver sa bonne santé, nécessaire à la démocratie.
Ce combat, nous le menons en France, mais aussi à l’échelle européenne, parce que sans révision de la directive TVA, sans élan européen fort pour une réflexion sur la fiscalité du numérique et des industries culturelles, la France sera isolée et, face à des acteurs mondialisés, se trouvera fragilisée.
Nous avons donc besoin d’une réflexion d’ensemble à l’échelle européenne et votre débat d’aujourd’hui va nous permettre de consolider notre position. Certes, depuis 2012, depuis l’adoption à l’unanimité de l’amendement Martin-Lalande sur le livre numérique, la France est soumise à une procédure – la Commission européenne a saisi la Cour de justice –, mais nous maintenons notre position avec force. C’est une position politique. Un livre, ce n’est pas un support ; un livre, c’est un texte, c’est un contenu. Aujourd’hui, nous avons des outils technologiques nouveaux, des outils numériques, mais le livre, ce n’est pas cela : il n’est pas réductible à un support. Encore une fois, le livre, c’est un texte. Il est donc normal qu’il y ait neutralité technologique, comme nous allons le garantir en matière de TVA dans le domaine de la presse.
C’est un combat politique au plan européen, que nous sommes en train d’approfondir avec votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
M. le président. Sur l’article 1er, plusieurs orateurs sont inscrits.
La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.
M. Patrice Martin-Lalande. Je m’exprime cette fois à titre personnel.
D’abord, pour avoir été rapporteur spécial pendant dix ans, je déplore que la commission des finances n’ait pas été saisie, alors qu’elle avait son rôle à jouer s’agissant d’une mesure fiscale : c’est regrettable.
Anticiper, c’est bien, et nous sommes là pour le faire, mais je rappellerai simplement que le Gouvernement nous a dit, tout au long de l’automne dernier, au sujet de la TVA sur les activités équestres, qu’il n’était pas question de délibérer, que nous mettrions notre pays en difficulté au niveau européen et que ce serait abominable.
Je me réjouis qu’aujourd’hui, l’argument soit en sens contraire,…
M. Michel Françaix. L’exception culturelle, ce n’est pas la même chose !
M. Marcel Rogemont. Vous sautez les obstacles !
M. Patrice Martin-Lalande. …mais je ne peux manquer de m’interroger sur cette variation !
Je suis pour respecter le principe de neutralité ; il participe du respect de la libre concurrence qui, encore une fois, est un principe essentiel de l’Union européenne. Je pense donc que, de ce côté-là, on a raison d’anticiper.
Simplement, madame la ministre, si par malheur la France était condamnée, qu’adviendrait-il des entreprises de presse qui n’auraient pas été conduites à payer la TVA au niveau estimé nécessaire par l’Union européenne ? Ne risque-t-on pas de créer une nouvelle génération de victimes de la non-baisse de TVA ? Je souhaite que cette hypothèse reste théorique, mais on doit tout de même la formuler, parce que nous devrions trouver une parade pour préserver cette seconde vague de victimes.
Permettez-moi d’ailleurs de vous parler aussi de la première vague de victimes – je pense à ceux qui ont anticipé, qui ont courageusement ouvert la voie à ce texte, puisque c’est dans l’impossibilité d’acquitter la TVA à taux plein où se sont trouvées des entreprises comme Mediapart, Arrêt sur image ou Indigo que la mesure trouve son origine.
M. le président. Merci de bien vouloir conclure, mon cher collègue.
M. Patrice Martin-Lalande. Je voudrais en effet vous suggérer, madame la ministre, avec la permission du président, d’écrire au troisième alinéa de l’article 1er que le dispositif « s’applique aux opérations pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée est exigible ou mise en recouvrement » au 1er janvier 2014.
M. le président. Je rappelle que les interventions sont de deux minutes.
La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je vous remercie, monsieur le président, de m’accorder quelques instants pour apporter mon plein appui à cette proposition du groupe SRC, déposée par nos collègues Bloche, Françaix et Le Roux. Elle vise à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée comme à la presse en ligne.
Rappelons que le taux de TVA à 2,1 % est applicable à la presse imprimée : cela témoigne d’une réelle volonté d’aider la presse, qui participe de la vie démocratique de notre pays. Il est donc utile de rappeler que la presse, comme d’autres biens culturels, n’est pas un bien marchand traditionnel.
Pourquoi, alors, un taux de 20 % pour la presse en ligne ? Pourquoi une telle incongruité, qui donne le pas au mode de diffusion au détriment de l’œuvre ? Ce n’est pas tout à fait logique. Tout à l’heure, on rappelait la nécessité d’une neutralité technologique.
Je veux aussi rappeler que nous rencontrons, au travers de ce texte, l’exception culturelle, qui représente pour nous un combat à mener inlassablement au plan européen. C’est le cas pour le livre numérique ; c’est maintenant le cas pour la presse numérique, dite « en ligne ». Nous considérons que les biens culturels intéressent l’intime d’une nation et particulièrement en France. Il est donc utile que, par cette proposition, nous poursuivions ce combat – d’autant plus que nous retrouvons d’autres pays à nos côtés, comme l’Allemagne.
C’est aussi l’occasion de créer des conditions favorables à l’émergence des services en ligne et d’accompagner les mutations nécessaires dans les rapports entre la presse imprimée et la presse en ligne.
Au travers d’un vote unanime, madame la ministre, l’Assemblée nationale vous apporte un appui fort dans le combat que vous menez sur le plan européen, pour faire en sorte que l’exception culturelle soit reconnue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. À mon tour, je me félicite qu’un texte d’égalité fasse l’unanimité. Je félicite son rapporteur, dont c’est la marque, que de défendre l’égalité.
Navrée de briser un tout petit peu cette unanimité, mais je veux m’inscrire en faux contre ce que vient de dire notre excellent collègue Martin-Lalande : l’égalité vaut pour tout, y compris en matière fiscale ou devant le contrôle fiscal. Ce n’est pas au contribuable, aussi valeureux soit-il, aussi passionnant soit-il dans ce qu’il publie, de choisir le taux de TVA et la fiscalité qui lui conviennent. La loi fiscale, c’est ici qu’elle se vote. Les contrôles fiscaux, c’est à l’administration de les mener. Un contrôle fiscal, c’est un processus long, dans lequel il y a dialogue entre l’administration fiscale et le contribuable, qui a le moyen de se défendre.
Il était également utile de rappeler l’intention du Gouvernement, qui avait été exprimée bien avant – ce qui me semble une bonne chose puisque cette proposition de loi a ainsi été rendue possible – de même que la détermination collective de la représentation nationale. Cela est d’autant plus important qu’il existe un risque de contentieux européen – sans qu’il soit cependant certain – et que nous avons ainsi inspiré nos collègues allemands.
Enfin, je me félicite que l’évolution politique en Allemagne ait rendu possible ce front commun pour l’exception culturelle. Comme quoi, la social-démocratie est utile partout ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Benoist Apparu. Surtout quand elle est dirigée par la droite ! (Sourires)
(L’article 1er est adopté.)
M. le président. À l’article 2, je suis saisi d’un amendement no 1. La parole est à Mme la ministre, pour le soutenir.
Mme Aurélie Filippetti, ministre. Vous l’aurez compris : le Gouvernement est extrêmement favorable à cette proposition de loi et je propose donc la levée du gage.
(L’amendement no 1, accepté par la commission, est adopté et l’article 2 est supprimé.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, Écolo, UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (nos 1575, 1720).
M. le président. La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur Jean-Michel Clément, mesdames et messieurs les députés, vous le savez, la contrefaçon est un fléau mondial en pleine expansion.
Alors qu’en 1994 200 000 articles de contrefaçon étaient interceptés par les services douaniers, ce chiffre est passé à 2,3 millions en 1998 pour atteindre 8,6 millions en 2011, année record des saisies effectuées par la douane française.
Nous le savons, en violant les droits de propriété intellectuelle, la contrefaçon fait obstacle à la créativité et à l’innovation de nos entreprises, freine notre croissance et entrave la compétitivité de notre économie, sachant qu’elle
Après que le conseil des ministres s’est penché sur la communication que j’ai défendue avec mon collègue Pierre Moscovici le 3 avril 2013, le Gouvernement a présenté un plan en trois volets pour renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Premier volet : le renforcement de l’action des douanes, notamment sur internet – c’est la procédure du « coup d’achat » mise en œuvre par une disposition législative adoptée à la fin de 2012 – avec un plan d’action par secteur : santé, commerce électronique, culture.
Deuxième volet : la politique active que nous menons à Bruxelles pour la révision du droit des marques.
J’ai évoqué les chiffres concernant les saisies douanières en 2011 mais, en 2012, nous avons enregistré une baisse de 50 % de ces dernières. Elle s’explique par les effets de l’arrêt Nokia Philips de la Cour de justice de l’Union européenne qui a réduit les pouvoirs de contrôle de la douane sur les flux en transit en Europe. Depuis lors, la France a été particulièrement active pour trouver une solution qui redonne aux douanes la capacité d’exercer un contrôle.
Troisième volet, enfin : une politique active de défense de la propriété intellectuelle et des indications géographiques dans les négociations commerciales en même temps qu’un renforcement des moyens dévolus à la coopération internationale.
Nous avons obtenu une première satisfaction dans le cadre du nouveau règlement européen du 12 juin 2013 qui encadre l’action de la douane contre la contrefaçon. Nous poursuivons notre engagement dans le cadre du travail mené par la Commission européenne pour la révision du système des marques. La proposition de la Commission du 27 mars 2013 tient compte des préoccupations de la France.
Permettez-moi à cet égard de vous faire également part du fruit de mon travail en tant que ministre du commerce extérieur concernant tant la propriété intellectuelle que la lutte contre la contrefaçon. Je me suis en effet rendue compte que cette action était en fait peu connue.
Le réseau des 17 attachés douaniers déployés dans 70 pays ainsi que les conventions techniques et administratives ont démontré leur efficacité dans la lutte internationale contre la contrefaçon que le détachement d’experts de la propriété intellectuelle dans nos ambassades en Russie, en Inde, à Singapour et aux États-Unis devrait rendre encore plus efficace.
Ainsi, à l’occasion de mon déplacement au Vietnam, au mois d’avril 2013, un accord a été signé visant à aider ce pays à mettre en place un système de protection des indications géographiques – le Vietnam fera ainsi reconnaître ses propres indications et, en même temps, fera valoir nos intérêts en la matière, notamment dans le cadre de l’accord de libre échange entre le Vietnam et l’Union européenne. J’ai également accompli des démarches afin que l’Institut national de la propriété intellectuelle, l’INPI, soit reconnu comme autorité de certification des médicaments d’origine.
Par ailleurs, un représentant de l’INPI a, tout dernièrement, été nommé – en plus d’un attaché douanier – aux Emirats Arabes Unis où j’étais il y a quinze jours, nos exportations y étant en partie pénalisées en raison d’une lutte encore défaillante contre la contrefaçon notamment de matériels électriques, de produits de luxe, mais aussi de biens de consommation courante.
En Turquie, où je me suis rendue la semaine dernière avec le Président de la République, j’ai signé un accord de coopération avec le ministère du commerce et des douanes, démarche pour laquelle nous nous étions engagés depuis un an, en liaison avec le comité Colbert cette fois. Cet accord permettra de renforcer les échanges entre les deux systèmes douaniers et de lutter contre la contrefaçon.
Enfin, à l’occasion de la visite d’État du Président de la République au Brésil, au mois de décembre dernier, j’ai parrainé la signature d’un accord de coopération sur la lutte anti-contrefaçon entre le comité national de l’action contre la contrefaçon, le CNAC, présidé par le sénateur Richard Yung et son homologue brésilien, afin de mieux protéger les brevets des marques françaises.
La loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon a été défendue par l’ancienne ministre de l’économie et des finances, Christine Lagarde, qui a su percevoir toute la réalité du commerce international de contrefaçons et a proposé les évolutions nécessaires de notre droit – il est vrai qu’elle avait été ministre du commerce extérieur auparavant.
Le Sénat a choisi d’évaluer dès 2011 l’application de cette loi. Je salue le travail mené à l’époque par M. Yung et M. Béteille, lequel était alors sénateur UMP de l’Essonne.
La volonté du Gouvernement rejoint ainsi celle du Parlement, comme le démontre le travail actif mené ici et au Sénat sur cette question.
Face à l’ampleur du phénomène, leur rapport a mis en évidence la nécessité d’améliorer encore la protection de la propriété intellectuelle en France afin de conforter la réputation d’excellence et l’attractivité juridique – cela compte – de notre pays dans un domaine très concurrentiel. J’insiste : nous avons intérêt à ce que la sécurité juridique soit assurée dans notre pays pour être attractifs.
Ce travail avait abouti, je l’ai dit, à une première proposition de loi en 2011, enrichie l’année dernière par le sénateur Yung, actuel président du CNAC. Une nouvelle proposition de loi, rapportée par Michel Delebarre, a alors été examinée au Sénat le 20 novembre dernier et adoptée à l’unanimité. Je remercie mon collègue Alain Vidalies d’avoir fait diligence afin que nous puissions en discuter aujourd’hui alors que l’ordre du jour de l’Assemblée nationale est particulièrement chargé. Je remercie également, bien entendu, Mmes et MM. les députés dont le travail réalisé en commission des lois présente trois vertus principales.
D’abord, il dissuade la contrefaçon par l’augmentation des dédommagements civils accordés aux victimes. Il est très fréquent que les contrefacteurs retirent un avantage substantiel de la contrefaçon en dépit de leur condamnation. Vous avez été soucieux, monsieur le rapporteur, d’améliorer l’indemnisation des victimes de contrefaçon et nous partageons cet objectif.
Ensuite, il clarifie et simplifie un certain nombre d’éléments, notamment la procédure du droit à l’information et le droit de la preuve, au travers de la saisie-contrefaçon. A nouveau, votre commission a contribué à conforter ces dispositions.
Les flux extracommunautaires et intracommunautaires bénéficieraient de la même protection, ce qui est extrêmement important. L’importation, l’exportation, le transbordement et la détention des marchandises de contrefaçon seraient interdits. La procédure de retenue et de destruction simplifiée leur serait applicable. Vous avez donc accompli un travail d’universalisation du niveau de protection.
Ce secteur est stratégique tant au niveau sanitaire qu’économique : la France est le premier producteur européen de semences et le premier exportateur mondial. Mon travail étant aussi de défendre l’excellence française partout dans le monde, c’est ce que je fais s’agissant des semences.
Enfin, il renforce les moyens d’action de la douane, au premier chef, en assurant à tous les types de droits de propriété intellectuelle le niveau de protection le plus élevé possible.
Lors des débats préparatoires, le monde agricole a fait part de ses inquiétudes à propos des semences de ferme et des moyens destinés à assurer la protection accordée au certificat d’obtention végétal, le fameux COV.
La proposition de loi discutée aujourd’hui ne remet nullement en cause la loi du 8 décembre 2011 qui définit ce dernier et préserve l’exemption du sélectionneur pour permettre la recherche et la culture des semences de ferme.
Par ailleurs, la PPL renforce les moyens d’action de la douane en étendant à l’ensemble des marchandises contrefaisantes la procédure d’infiltration et la procédure dite "des coups d’achats" – qui n’a plus de secrets pour vous, monsieur le rapporteur (Sourires) – lesquelles permettront de lutter plus efficacement contre les réseaux de fraude organisée.
Enfin, la PPL modernise un pouvoir spécifique d’intervention chez les opérateurs de fret express et les opérateurs postaux.
Elle permet aux douanes, dans le cadre de leur mission de police des marchandises, et pour la recherche des infractions douanières de nature uniquement délictuelle, d’obtenir a posteriori communication des données de ces opérateurs. Cela permettra à la douane d’effectuer des analyses de risque des flux, afin d’accroître l’efficacité de ses contrôles. Il s’agit également de rendre moins contraignants les contrôles pour les opérateurs de fret et de n’arrêter les flux qu’à bon escient. C’est là un point très important, car nous avons besoin de ces opérateurs de fret.
J’ai demandé aux douanes de mener un travail avec les opérateurs de fret express pour déterminer avec eux les conditions de leur coopération. Ce partenariat, qui existe depuis 2012 avec la société Chronopost, a déjà fait ses preuves. Je souhaite que les douanes et les opérateurs puissent travailler ensemble à la préparation des décrets d’application, qui seraient pris, en concertation avec les parlementaires, si votre assemblée adoptait la proposition de loi, notamment pour encadrer le transfert des données.
Je sais qu’il s’agit là d’un sujet sensible et c’est légitimement que des questions se sont posées au sujet de cet encadrement. La CNIL a fait part de ses observations, dont nous avons tenu compte, comme nous le verrons au cours du débat. Le Sénat avait d’ailleurs précisé que cette transmission ne devait pas porter atteinte au secret des correspondances, et c’est à juste titre, selon moi, que vous vous en êtes fait ici l’écho, monsieur le rapporteur, en interdisant la transmission de données relatives à des courriers. Vous avez ainsi renforcé ce qu’avait fait le Sénat. Le Gouvernement proposera pour sa part de définir la notion d’opérateur de fret express et de préciser le champ d’application territoriale. La loi est faite pour cela : pour être claire et précise.
Pour terminer, je voudrais insister sur le fait que notre dispositif de protection de la propriété intellectuelle est efficace. Le classement de la chambre de commerce des États-Unis – qui ne nous fait pas de cadeaux en général ! – situe cette année notre pays à la troisième position en matière de protection de la propriété intellectuelle. J’y insiste : c’est un outil juridique d’attractivité pour que les entreprises viennent s’installer et investir en France.
La proposition de loi dont nous débattons dotera la France d’un arsenal plus efficace dans sa lutte contre le trafic de marchandises contrefaisantes. Si vous l’adoptez, comme je le souhaite, elle sera un atout de plus dans la bataille économique de la mondialisation. Vous savez que j’y suis pleinement engagée et je ne doute pas que le Parlement saura dire, lui aussi, la part qu’il entend prendre dans cette mondialisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi adoptée par le Sénat, visant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. Le Gouvernement a fait de l’aboutissement de ce texte l’une de ses priorités, d’une part en engageant la procédure accélérée, et d’autre part en inscrivant cette proposition de loi à notre ordre du jour durant une semaine du Gouvernement.
La contrefaçon est un fléau en pleine expansion, à l’heure de la mondialisation de l’économie. Au niveau international, le trafic de produits contrefaisants représenterait environ 250 milliards d’euros annuels, soit environ 30 % des revenus de la criminalité organisée. Un ancien secrétaire général d’Interpol déclarait en 2003 devant le Congrès des États-Unis que la contrefaçon était devenue la méthode de financement préférée des terroristes. Au niveau national, la contrefaçon provoquerait chaque année jusqu’à 38 000 destructions d’emplois et 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’économie française. En outre, les effets de la contrefaçon sont loin de se limiter à la seule sphère économique. En touchant de nombreux biens de consommation courante, tels que les médicaments, les textiles, les jouets ou les cigarettes, et des produits et matériels à usage professionnel – pièces automobiles, produits du bâtiment –, la contrefaçon porte aussi atteinte à la sécurité et à la santé des individus.
Notre législation anti-contrefaçon a été notablement renforcée par la loi du 29 octobre 2007, qui a transposé une directive européenne du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Cette loi avait alors été adoptée sur le rapport de notre collègue Philippe Gosselin, qui est d’ailleurs co-rapporteur sur la mise en application de la future loi – celle que nous abordons aujourd’hui. En février 2011, nos collègues sénateurs, MM. Laurent Béteille et Richard Yung, ont procédé à une évaluation des effets de la loi de 2007. Leurs principales recommandations ont trouvé leur traduction dans une première proposition de loi, dont la discussion n’est pas allée jusqu’à son terme pour des raisons de calendrier électoral. Le 30 septembre 2013, une nouvelle proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon a été déposée par Richard Yung et les membres du groupe socialiste du Sénat, qui reprend pour une large part la proposition précédente. Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat le 20 novembre 2013 et c’est ce texte, modifié par notre commission des lois, que nous examinons aujourd’hui.
Sans bouleverser la législation existante, cette proposition de loi tend à lui apporter plusieurs améliorations et clarifications. Les enjeux économiques sont importants, or les pratiques du commerce, par conséquent celles des contrefacteurs, sont en perpétuelle évolution. Il convenait donc d’ajuster mieux encore le cadre législatif, notamment en matière de contrôle douanier. Qu’en est-il ? Les améliorations contenues dans ce texte portent par exemple sur les moyens d’action des douanes, qui bénéficieraient d’un dispositif juridique très complet pour lutter contre les différentes formes de contrefaçon. À ce titre, les techniques d’infiltration et de « coup d’achat » sont étendues à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle, et les modalités de visite des locaux professionnels, notamment des entreprises de fret express, sont facilitées et mieux encadrées.
Cette proposition de loi, qui définit les moyens d’intervention des douanes en cas de transbordement, n’a pas vocation à contourner la jurisprudence dite Nokia-Philips, de la Cour de justice de l’Union européenne. Le dispositif proposé s’inscrit au contraire dans le droit fil de la jurisprudence européenne. Il convient en effet de distinguer la qualification de contrefaçon et la capacité de procéder à un contrôle douanier, s’agissant des marchandises en transbordement. Ces marchandises peuvent toujours être soumises au contrôle douanier, mais ne peuvent donner lieu à une qualification de délit de contrefaçon en droit français, et dans certains cas seulement, que s’il est démontré qu’elles ont vocation à être commercialisées sur le territoire français, et ce dans le respect des critères posés par la jurisprudence européenne.
D’autres améliorations portent sur la protection juridictionnelle de la propriété intellectuelle, qui serait renforcée sur plusieurs points, comme en matière de preuve de la contrefaçon ou d’indemnisation des dommages causés par celle-ci. En tant que rapporteur, j’ai auditionné de nombreux intervenants : les services des douanes et de la justice, des universitaires et des avocats spécialistes des questions de propriété intellectuelle, des représentants d’entreprises privées, l’Institut national de la propriété industrielle, la CNIL, et bien d’autres encore. Au-delà de certaines divergences inhérentes à la place de chacun dans la chaîne de valeur, la plupart des personnes entendues s’accordent pour considérer que cette proposition de loi permettra d’assurer une meilleure protection des consommateurs et qu’elle confortera l’attractivité juridique de notre pays dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle. J’ai entendu avec satisfaction, madame la ministre, que nous étions plutôt bien placés dans cette démarche.
Mme Nicole Bricq, ministre. Oui !
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cela énoncé, je rappellerai que notre commission des lois a adopté cette proposition de loi en lui apportant, à mon initiative, plusieurs améliorations.
D’abord, nous avons amélioré l’indemnisation des victimes de la contrefaçon. Pour cela, la commission des lois a tenu à préciser l’étendue des réparations possibles, tout en écartant le risque d’introduire en droit la notion de dommages-intérêts punitifs. Premièrement, la commission des lois a précisé que chacune des différentes composantes du préjudice subi doit être prise en compte par le juge civil, afin d’éviter toute appréhension trop globale ou insuffisante du dommage causé. Deuxièmement, le préjudice moral doit, lui aussi, être indemnisé. Le texte le prévoit désormais explicitement. Troisièmement, il paraît anormal que le contrefacteur soit seulement condamné au paiement d’une somme équivalente à celle versée par l’exploitant régulier d’un droit de propriété intellectuelle. Pour que le dispositif soit dissuasif, il faut que le contrefacteur s’expose nécessairement au paiement d’une somme plus élevée.
Ensuite, plusieurs modifications apportées par notre commission ont visé à conforter et à compléter la procédure dite de saisie-contrefaçon, qui permet à un huissier de justice de prélever des échantillons ou de saisir des objets litigieux en vue de démontrer une contrefaçon. Dans le cadre du chapitre relatif au renforcement des pouvoirs des douanes, nous avons étendu le délit de contrefaçon à tous les droits de propriété intellectuelle, y compris aux topographies de produits semi-conducteur – les cartes à puces – qui ont été oubliées du champ lors de la première lecture au Sénat. Un autre sujet a fait débat et continuera de le faire à n’en pas douter, tant il est sensible : c’est celui des semences de ferme, dont l’apparition dans ce texte peut surprendre et méritera explication. L’utilisation par un agriculteur de ses semences de ferme sur sa propre exploitation ne peut en aucun cas être qualifiée de contrefaçon, quel que soit le type de semence de ferme utilisé.
Je considère également important d’exclure toute possibilité de destruction des récoltes issues de semences de ferme, même celles protégées par un certificat d’obtention végétale et couvertes par un accord interprofessionnel. En effet, la destruction de denrées alimentaires ou de produits agricoles ne portant pas atteinte à la santé humaine constitue toujours une sanction disproportionnée et incompréhensible pour les agriculteurs. Je proposerai deux amendements en ce sens.
Notre commission des lois a également permis à l’administration douanière de transmettre des images, photos ou vidéos, au titulaire du droit en cas de retenue, afin qu’il saisisse les tribunaux dans les meilleurs délais, dont elle a précisé le point de départ.
D’autres modifications tendent par ailleurs à préciser les dispositions relatives à la création d’un fichier informatisé de données, qui seraient transmises par la poste et les entreprises de fret express à la direction générale des douanes, pour lui permettre de rechercher des preuves et de constater des infractions douanières. Notre souci a été de renforcer les garanties attachées à la création d’un tel fichier au regard des exigences de la loi informatique et libertés. Je proposerai d’ailleurs d’adopter des amendements complémentaires en ce sens pour tirer les conséquences des remarques formulées par la CNIL, adressées par courrier au président de la commission des lois, après la réunion de celle-ci.
Enfin, s’agissant du volet pénal, nous avons simplifié la saisine de la juridiction pénale en cas de contrefaçon par un simple dépôt de plainte auprès du procureur de la République. En revanche, contrairement à ce que j’avais annoncé en commission, j’ai finalement renoncé à proposer l’alourdissement des différentes peines réprimant les délits de contrefaçon, considérant que l’essentiel est ailleurs : il est dans l’effectivité des poursuites et dans le démantèlement des réseaux.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à suivre notre commission des lois et à adopter cette proposition de loi qui va apporter à notre économie les protections dont elle a besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Monsieur le Président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme notre collègue Jean-Michel Clément l’a parfaitement exposé dans son rapport, la contrefaçon a pris une dimension nouvelle ces dernières années. Le trafic mondial de produits contrefaisants représenterait environ 250 milliards d’euros annuels, et au plan national, la contrefaçon pourrait entraîner chaque année jusqu’à 38 000 destructions d’emplois et 6 milliards de manque à gagner pour l’économie française.
La lutte contre la contrefaçon est donc un enjeu majeur et elle doit viser avant tout à protéger les consommateurs contre les produits dangereux et à préserver l’emploi. C’est pourquoi nous partageons les principales améliorations portées par ce texte, tel qu’il a été utilement amendé par notre commission des lois, à savoir : le renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon ; l’harmonisation des procédures existantes en matière de contrefaçon, via notamment la clarification de la procédure du droit à l’information ; l’harmonisation de la procédure de saisie-contrefaçon entre les différents droits de propriété intellectuelle ; l’alignement des délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans issu de la réforme de la prescription en matière civile ; l’accroissement des moyens d’action des douanes.
Nous nous interrogeons cependant sur l’efficacité des nouvelles mesures juridiques conférées à l’administration des douanes, eu égard à la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve, tant en termes d’effectifs que de moyens.
En effet, les effectifs des douanes ont fortement diminué entre 2008 et 2012 ; plus de 8 % des postes ont été supprimés au titre de la RGPP. Le nombre des agents, qui s’élevait à 22 000 au début des années 1980, est d’à peine plus de 16 000 aujourd’hui. Les services des douanes sont au bord de la rupture et une nouvelle ponction de 314 postes est prévue en 2014, avec un budget encore en baisse.
La mise en garde du syndicat national des agents des douanes est à cet égard très claire : « Faute de moyens, les contrôles ont lieu de plus en plus souvent après le dédouanement, dans les entreprises. Le risque est de constater trop tard que non seulement un produit dangereux est entré sur le territoire, mais qu’il a déjà été consommé. »
Notre débat est aussi l’occasion de rappeler que le service des douanes est un levier de régulation économique, de sauvegarde du tissu industriel et de lutte contre le dumping social et écologique dont la France ne peut se passer. Ainsi, s’il est important de renforcer l’arsenal juridique, il est tout aussi indispensable d’augmenter les moyens humains et budgétaires qui lui sont alloués.
Je veux maintenant dire un mot de l’article 13 de cette proposition de loi, qui présente des risques d’atteinte à la vie privée et aux libertés publiques puisqu’il prévoit la transmission aux douanes des données détenues par les opérateurs du fret express et de La Poste. Ces données seront enregistrées sur un fichier informatisé, qui sera mis à la disposition de la direction générale des douanes.
Le champ d’application de cet article est très large, puisqu’il concerne les envois nationaux et les envois transnationaux et s’applique à toutes les « marchandises, biens et objets acheminés », c’est-à-dire aux colis, mais également aux courriers. Autant d’éléments qui appellent à la plus grande vigilance s’agissant de la création d’un tel fichier automatisé de données.
C’est pourquoi nous avons pris acte de votre engagement, madame la ministre, à ce que seules les données dont disposent déjà les « expressistes » soient demandées et que le traitement de ces données obéisse aux prescriptions de la loi de 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Nous voterons donc les amendements présentés par le rapporteur et le Gouvernement tendant à définir précisément la notion de fret express pour restreindre le nombre d’opérateurs soumis à l’obligation de fournir des données, à rappeler que les modalités d’application du traitement des données respecteront les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et à fixer dans la loi un délai maximal de deux ans pour la conservation des données.
Concernant la question controversée des semences de ferme, assimilées à de la contrefaçon de semences industrielles, nous avons soutenu pleinement l’action de la Confédération paysanne visant à introduire une exception agricole, afin que les paysans ne voient pas leurs récoltes saisies ou détruites à la moindre demande de multinationales. Nous faisons du droit des paysans à utiliser leurs propres semences végétales et animales une des conditions de l’existence d’une agriculture paysanne répondant à la satisfaction des besoins humains. Nous voterons donc les amendements du rapporteur allant en ce sens.
La protection des marques contre la contrefaçon ne doit pas occulter la nécessité de porter un regard critique sur les entreprises de marques qui délocalisent leurs activités dans des pays à bas coûts, aggravant ainsi le dumping social et la diminution des emplois industriels.
La lutte contre la contrefaçon ne saurait se cantonner au simple champ judiciaire. Elle doit aussi avoir pour objectif de freiner les délocalisations de productions et nous permettre de repenser nos modèles d’échanges avec les pays en voie de développement. Sous réserve de ces quelques remarques, et pour toutes les raisons indiquées, les députés du Front de gauche voteront pour ce texte qui représente une avancée significative. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la contrefaçon a changé de visage, le droit doit s’adapter. Mais s’adapter aux nouvelles techniques de contrefaçon ne suffit plus, il faut dorénavant créer les outils pour devancer, voire anticiper l’activité des réseaux criminels, remonter et démanteler les filières.
La contrefaçon représente un fléau moderne, qui donne aux citoyens consentants l’illusion d’accéder à des produits qu’ils ne pourraient s’offrir, à une consommation qui ne leur est pas destinée, sans qu’ils s’aperçoivent du coût économique majeur que la contrefaçon fait supporter à l’économie légale, comme de ses effets sociaux et sécuritaires dévastateurs.
Derrière la contrefaçon se cachent des intérêts substantiels, tout un complexe d’acteurs, d’articulations économiques et financières, et des enjeux que l’on ne soupçonne même pas. Dans le contexte de la globalisation économique, financière et communicationnelle, la lutte contre la contrefaçon symbolise le combat de plus en plus ardu entre l’économie légale et l’économie illégale.
Rappelons enfin que les réseaux criminels internationaux se satisfont de cette activité de plus en plus rémunératrice et beaucoup moins risquée et punie que le trafic des stupéfiants ou des armes.
Le trafic de marchandises contrefaites touche maintenant de plus en plus de produits de grande consommation, les produits de luxe ne représentant que 6 à 8 % des produits contrefaits. Les médicaments sont touchés : un médicament sur deux vendus sur Internet est contrefait. Les faux médicaments, sous-dosés ou surdosés, sont les plus dangereux, entraînant des antibiorésistances et constituant une menace réelle pour la santé et la sécurité des 2 milliards de personnes qui en consomment. Les vêtements, les accessoires personnels et les jeux et jouets forment le trio de tête pour ce qui est du nombre d’articles saisis en 2012.
L’Asie constitue la première zone de provenance – 70 % –, loin devant l’Union européenne – 13 %. L’e-commerce reste le vecteur d’approvisionnement le plus important, avec plus de 30 % de saisies opérées dans le fret postal et express.
D’autres chiffres sont tout aussi éloquents : selon l’OCDE, la contrefaçon aurait pour conséquence directe la suppression de 200 000 emplois dans le monde, dont 100 000 en Europe et 30 000 en France. Plus d’une entreprise sur deux aurait été confrontée au problème de la contrefaçon.
Lutter contre la contrefaçon, c’est défendre les droits de propriété et l’activité économique qui leur est rattachée. L’enjeu est de taille : 40 % de l’activité de l’Union européenne provient des secteurs où les droits jouent un rôle prépondérant, selon une étude de septembre 2013 réalisée en partenariat par l’Office européen des brevets.
Lutter contre la contrefaçon, c’est défendre les emplois, encourager le travail des entreprises qui s’investissent, respectent leurs salariés, ont une exigence de qualité et d’inventivité ; c’est défendre le consommateur ; c’est lutter contre le travail clandestin, l’esclavage des plus faibles, en particulier des enfants. La lutte contre la contrefaçon a pour vertu de défendre le savoir-faire, la créativité mais aussi la sécurité.
Une première étape a été franchie avec la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. La présente proposition de loi du sénateur Richard Yung, modifiée le 13 novembre par la commission des lois sur le rapport de Michel Delebarre et adoptée en séance le 20 novembre, la prolonge et la simplifie. Je voudrais remercier les acteurs ici présents, rapporteur, administrateurs et membres des cabinets ministériels, pour la qualité du travail et le dialogue vif et clair instauré au sein de la commission des lois.
Ce texte vise d’abord les instruments de lutte contre la contrefaçon, en apportant une plus grande cohérence législative et en renforçant les compétences des services douaniers. L’article 9 étend ainsi la possibilité pour les douanes de procéder à des opérations d’infiltration afin de rechercher tout délit de contrefaçon, quel que soit le droit de propriété intellectuelle concernée. Dans cette optique, il a été recherché un équilibre – ou une juste proportion – entre la nécessité d’améliorer l’efficacité de l’action douanière et le respect du droit de propriété des sociétés de fret et fret express ainsi que la protection des données personnelles détenues par ces entreprises.
L’article 13 prévoit la création d’un nouveau fichier informatisé de données, alimenté par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express et centralisé par la direction générale des douanes et des droits directs. Ce fichier facilitera principalement la recherche des réseaux de filière.
À ce titre, la CNIL s’est saisie de cette proposition de loi et a émis des recommandations afin de respecter la protection des données personnelles détenues par les entreprises. Profitons ici de l’occasion qui nous est donnée pour souligner à regret l’absence de publicité de cet avis de la CNIL et l’impossibilité pour le Parlement d’en avoir connaissance. Ajoutons qu’il est dommageable que la CNIL soit saisie pour les projets de loi et non pour les propositions de loi, alors que le Parlement aurait tout autant besoin de l’expertise de cette autorité administrative – fût-elle indépendante – que le Gouvernement.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Philippe Gosselin. Il en va de même pour le Conseil d’État.
Mme Cécile Untermaier. Tout en respectant les contours de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment de l’arrêt Nokia de décembre 2011, assez discuté par ailleurs, la proposition de loi étend à l’administration douanière le droit de contrôler les marchandises en transbordement, contrôles jusqu’à présent strictement interdits.
Il s’agit là d’une avancée majeure pour la lutte contre la contrefaçon, la France n’étant plus contrainte de fermer les yeux sur des marchandises pour lesquelles il existait une suspicion de contrefaçon, mais dont le contrôle était impossible sous prétexte qu’elles n’étaient pas directement destinées au marché français. Les douanes voient ainsi leurs compétences renforcées, dans le strict respect des libertés publiques et d’une manière proportionnée aux besoins et à la nécessité de lutter contre la contrefaçon.
Dans un second temps, la proposition de loi clarifie et simplifie le régime de la sanction. Elle s’inscrit dans le choc de simplification annoncée par le Président de la République et déjà évoqué dans plusieurs autres textes sur les entreprises et l’administration.
Dans cette optique, plusieurs améliorations notables sont proposées. Désormais, les trois éléments servant à l’analyse du préjudice subi, à savoir les conséquences économiques négatives, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, doivent être pris en considération de manière distincte et de façon cumulative. De plus, parmi les conséquences économiques négatives subies par la victime, le juge devra prendre en compte la perte économique subie par cette dernière, de sorte que la sanction sera réellement dissuasive et constituera un mécanisme de prévention.
La loi clarifie également les compétences juridictionnelles en matière de propriété intellectuelle, renforce le droit à l’information et l’efficacité de la saisie-contrefaçon, simplifie les délais de prescription de l’action civile en matière de propriété intellectuelle.
Enfin, la discussion a été très soutenue avec le Gouvernement en ce qui concerne la protection douanière aux obtentions végétales, qui, derrière la technicité du propos, révèle des enjeux humains et de propriété intellectuelle extrêmement complexes. Un accord doit être trouvé, qui constitue un compromis subtil entre le droit de propriété, la nécessaire recherche et le respect de l’exploitation agricole. Il a ainsi été convenu de ne pas sanctionner au titre de la lutte contre la contrefaçon la production et l’utilisation par un agriculteur de ses propres semences de ferme, pour les seuls besoins de son exploitation. Il en sera sans doute largement question dans le débat. Aussi, je n’en dirai pas davantage, si ce n’est que nous avons fait valoir, avec le rapporteur, la nécessité de prendre en compte les pratiques agricoles.
Ainsi, si les techniques de contrefaçon se spécialisent et se complexifient, seul un droit d’application simple et lisible doit servir de base à l’administration pour combattre efficacement ce fléau. La complexité du monde exige parfois de simplifier notre législation pour atteindre l’efficacité. Mais la loi ne fait pas tout et un seuil d’acceptabilité en termes d’effectifs doit être aussi la préoccupation du Gouvernement.
Aussi, pour maintenir l’autorité de l’État et de la loi, pour assainir notre économie de tous les comportements négatifs qui la gangrènent et pour respecter le travail, le savoir-faire et l’inventivité des entrepreneurs et des salariés de notre pays autant que l’exigence des consommateurs, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi renforçant la lutte contre la contrefaçon. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 20 novembre, après engagement de la procédure accélérée, le Sénat a adopté la proposition de loi du sénateur Yung, tendant à renforcer la lutter contre la contrefaçon. Du reste, le titre est identique à celui de la loi du 29 octobre 2007 dont j’avais eu l’honneur d’être le rapporteur à l’Assemblée et dont l’initiative revenait déjà au Sénat. Les parcours sont très proches et nous ferons en sorte de respecter le parallélisme des compétences et des formes !
Les objectifs poursuivis sont les mêmes, qui ne peuvent que recueillir l’approbation de tous les bancs de l’Assemblée nationale. Je salue d’ailleurs très sincèrement le travail de notre rapporteur Jean-Michel Clément. Il est parfois des occasions de polémique, il est aussi, heureusement, des occasions de se réunir et de saluer le travail de collègues.
Cette révision, d’une certaine façon, et l’approfondissement de la loi de 2007, vise à mieux combattre la contrefaçon qui est en pleine expansion.
Certes la contrefaçon n’est pas un phénomène nouveau. On renverra, par exemple, au musée qui lui est consacré à Paris où de nombreux produits contrefaisant des originaux sont exposés et dont certains remontent à l’époque romaine. Le plagiat existait bien dès l’Antiquité ! Sous la Rome Antique, l’usurpation de la marque était déjà sanctionnée par une loi « de falsis ». On reconnaît bien le terme français qui en a découlé. Je passerai rapidement la période de Charles Quint et des édits du monarque espagnol qui assimilait les contrefacteurs à de faux-monnayeurs et les exposait à l’ablation du poignet ! Enfin, en France, les activités de contrefaçon ont été considérées comme un crime jusqu’à l’adoption de la loi du 23 juin 1857, qui les a rangées – simplement allais-je dire – dans la catégorie des délits.
La contrefaçon menace tout à la fois, la création, l’investissement, la propriété intellectuelle mais aussi, de plus en plus, la sécurité et la santé des consommateurs. Et que dire de l’emploi ? Une étude menée dernièrement par Frontier Economics évalue les pertes d’emplois dans les pays du G20 à 1,2 million par an, auxquels l’on peut ajouter les 38 000 emplois précédemment évoqués !
Quantifier le phénomène est sans doute délicat – nous avons bien vu que les chiffres pouvaient différer entre ceux de Mme la ministre, du rapporteur et peut-être les miens mais les grandes masses sont là et peu importe l’exactitude au centime d’euro près puisque, par définition, une part de l « économie de la contrefaçon » échappe aux statistiques. Il est en tout cas incontestable que la contrefaçon a pris un essor important avec l’accroissement des échanges commerciaux ces dernières années, l’organisation de véritables mafias et le développement du numérique, d’Internet.
Ainsi, les échanges de produits contrefaisants représenteraient près de 10 % des flux commerciaux mondiaux, peut-être entre 450 et 500 milliards d’euros de profits annuels. Certains parlent d’un peu plus, d’autres d’un peu moins. Ce qui est certain, c’est que c’est autant de préjudice pour les entreprises et les auteurs détenteurs de droits de propriété intellectuelle.
Au-delà de la négation de la propriété intellectuelle, les préjudices économiques sont importants.
Les risques sont par ailleurs de plus en plus manifestes pour les consommateurs. De nouveaux visages de la contrefaçon sont apparus. Le luxe, longtemps mis en avant, n’est plus seul touché. Toutes les fabrications destinées au grand public peuvent être concernées : le textile, bien sûr, l’électrique – je pense à des disjoncteurs d’une grande marque contrefaits en Chine –, mais aussi les pièces détachées automobiles, comme les plaquettes de frein, des aliments, par exemple le lait pseudo-maternisé, voire des médicaments ou même des dispositifs médicaux. Tout peut y passer ! Et que dire du secteur électronique : vidéo, logiciels, œuvres musicales – j’en passe et des meilleures.
En prenant une autre grille d’entrée, on constate que désormais la contrefaçon ne se limite plus aux produits à forte valeur ajoutée – joaillerie, maroquinerie, parfum, prêt à porter – ou de diffusion à grande échelle – logiciels, vidéo – mais porte aussi sur des produits ordinaires – jouets, alimentation – voire de la vie courante – les boissons, par exemple.
Compte tenu de cette large diffusion, facilitée par des achats sur internet et de l’absence de garantie de sécurité, les consommateurs peuvent être en danger.
Au-delà, certains, comme James Moody, ancien responsable de la division de la criminalité organisée et de la drogue du FBI américain, ont même affirmé que la contrefaçon deviendrait l’activité criminelle du XXIe siècle. Des réseaux terroristes et mafieux sembleraient bien s’en être emparés. J’avais fait le constat en 2007, au moment de préparer mon rapport lors de la première loi relative à la contrefaçon. C’est encore plus vrai aujourd’hui.
Il importe donc de conforter les moyens juridiques nationaux, sans oublier les supranationaux, pour lutter contre un fléau en pleine expansion.
Dans ce domaine la France a une longueur d’avance, notamment sur le plan historique. On rappellera pour mémoire que les droits français des brevets et des marques remontent respectivement aux lois du 5 juillet 1844 et du 23 juin 1857 et que la protection du droit d’auteur trouve son origine dans un texte presque magnifique datant du 27 juillet 1793.
Plus proche de nous, la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon a permis la transposition d’une directive européenne, relative au respect des droits de la propriété intellectuelle, des adaptations nécessaires à la mise en œuvre d’autres textes communautaires, sans oublier un renforcement de l’efficacité de l’action des services de l’État notamment.
Plus de six ans après l’adoption de cette loi, au vu des enjeux, il importe de renforcer la lutte contre la contrefaçon. Plus que jamais, la France doit affirmer avec clarté sa volonté en ce domaine.
Le texte qui arrive du Sénat reprend des préconisations d’une mission d’information initiale conduite par les sénateurs Béteille et Yung. Auteurs d’une première proposition de loi qui n’a pas prospéré, ils affichaient en 2011 une volonté forte de renforcer les instruments juridiques de lutte contre la contrefaçon. La présente proposition de loi, à l’initiative du sénateur Richard Yung, par ailleurs président du comité national anti-contrefaçon, où il a succédé à Bernard Brochand, à qui je rends hommage, a peut-être quelque peu amoindri la portée de certaines préconisations initiales, mais traduit néanmoins un engagement constant.
Il conviendra dans nos débats parlementaires, par des amendements – le rapporteur en a déposé, moi aussi – d’insister encore et de renforcer notamment l’indemnisation des dommages et intérêts, la saisie contrefaçon, le transit et l’aggravation des peines.
À ce stade de la discussion générale, je voudrais cependant appeler votre attention sur trois points. Je passerai rapidement sur le premier puisque j’ai bien compris que nous y reviendrons plus longuement au cours de nos débats : les obtentions végétales, les semences de ferme. Nous devons en effet trouver un juste équilibre entre la recherche, la propriété intellectuelle, les besoins d’un certain nombre de grands groupes et d’entreprises et la réalité du quotidien des agriculteurs. Une vision excessive serait préjudiciable. Je me rangerai sans doute aux arguments de notre rapporteur, mais n’anticipons pas sur les débats.
Je voudrais revenir également sur l’inquiétude des entreprises de l’express, les « expresseurs » – terme peu élégant, je le reconnais. Cette profession s’inquiète des articles 12 et 13 de la proposition de loi, l’article 13 visant la collecte de toutes les données relatives au transport par fret express de marchandises au sein des frontières de l’Union européenne – notre rapporteur a, par amendement, ajouté la France. L’on ne peut nier qu’il y ait une certaine incompréhension sur le sujet car l’essentiel des saisies de contrefaçons échappe à leur réseau qui représente environ 5 % alors que le fret maritime représenterait 55 % et le fret routier 19 %. Or, ces deux derniers ne sont pas concernés par le texte, dans un premier temps en tout cas. J’ai entendu que la situation pourrait évoluer. Notre collègue Dolez soulignait de surcroît les contradictions de certaines dispositions avec la loi informatique et libertés, en particulier son article 32, peut-être aussi quelques difficultés de conciliation avec des principes relatifs à la libre circulation des marchandises. Nous devrons revoir tout cela. La main est en tout cas tendue.
L’article 12 autorise les services des douanes à pénétrer dans les locaux sans autorisation d’un juge. L’on peut comprendre l’intérêt d’une telle mesure mais aussi ses risques. Là encore, je me réjouis de pouvoir en débattre en séance. Le Gouvernement et le rapporteur nous permettront, je le pense, d’avancer sur ce sujet.
Le dernier point se rapporte aux conséquences d’une question prioritaire de constitutionnalité dont a été saisi le Conseil constitutionnel le 1eroctobre 2013 par la Cour de cassation. La décision a été rendue le 29 novembre 2013.
Les deux articles 60 et 63 du code des douanes permettent aux agents de l’administration des douanes de visiter tous les navires, en toutes circonstances, que ce soit dans la zone maritime du rayon d’action des douanes, mais encore lorsque les navires se trouvent dans un port, en rade ou oscillent le long des rivières et canaux. Ces visites peuvent se dérouler de jour comme de nuit et sans l’autorisation d’un juge. Aucune voie de recours n’est prévue pour encadrer la mise en œuvre des mesures de contrôle. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette absence contrevenait directement à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
L’abrogation entrerait en vigueur le 1er janvier 2015 et il faut prévoir un dispositif, sinon nous serons confrontés à de grandes difficultés.
En tout état de cause, ne boudons pas notre plaisir car nous tenons là un texte qui peut nous réunir. N’oublions cependant pas que, pour être efficace, la lutte contre la contrefaçon a besoin d’une lutte à l’échelle européenne, mondiale, et nécessite que les coopérations internationales soient renforcées.
M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller.
M. Michel Zumkeller. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la contrefaçon n’est certes pas un phénomène nouveau de nos sociétés, mais celle que nous connaissons aujourd’hui est bien différente de celle qui se pratiquait dans l’Antiquité. Jadis artisanale et relativement localisée, elle est devenue un phénomène industriel et planétaire, aux conséquences négatives très lourdes.
En France comme ailleurs, la contrefaçon est aujourd’hui un fléau moderne, international et en pleine expansion.
C’est d’abord un fléau économique : au niveau international, selon l’OCDE, l’impact financier mondial de la contrefaçon s’élèverait à 250 milliards de dollars, soit autour de 30 % des revenus de la criminalité organisée.
Sur le plan national, ainsi que le souligne le rapport de la commission des lois, la contrefaçon provoquerait la destruction de 38 000 emplois et représenterait 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’économie française chaque année. La propriété intellectuelle constitue donc un véritable enjeu de compétitivité pour nos entreprises.
C’est aussi un fléau social et sanitaire : alors qu’elle concernait principalement les produits de luxe, elle s’étend désormais à la quasi-totalité des biens de consommation. Elle peut concerner aussi bien des jouets que des appareils domestiques, des pièces détachées automobiles ou des médicaments, voire des produits alimentaires. Elle porte donc directement atteinte à la santé et à la sécurité de nos concitoyens. Nous ne saurions rester indifférents devant ces constats probants et ces chiffres éloquents.
L’adoption, à l’unanimité de cette proposition de loi au Sénat, puis au sein de notre commission des lois, atteste du caractère consensuel de ce texte.
La dernière législation relative à la lutte contre la contrefaçon est assez récente puisqu’elle date de 2007. La loi du 29 octobre de cette année-là avait ainsi permis d’entreprendre une réforme en profondeur des dispositifs de protection des droits de propriété intellectuelle et de lutte contre la contrefaçon. Ce texte fut l’occasion d’améliorer la lutte contre la contrefaçon en spécialisant davantage les juridictions compétentes, en renforçant les prérogatives des services de douanes, ou encore en aggravant les sanctions pénales. Il a également permis de mieux protéger les usagers des méfaits de la contrefaçon, que ce soit en créant un droit à l’information ou en définissant des critères d’évaluation des préjudices subis par les titulaires de droits de propriété intellectuelle.
Pourtant, sept ans plus tard, le phénomène a déjà beaucoup évolué : davantage international, il s’est amplifié. Il s’est également diversifié, ne serait-ce que par le recours croissant à internet.
Les flux internationaux de contrefaçon semblent de plus de plus en lien avec des organisations criminelles transnationales, qui trouvent dans la contrefaçon un trafic plus rentable, moins risqué et moins poursuivi par les États.
Sans rendre indispensable un bouleversement total de la législation actuelle, ces évolutions démontrent la nécessité d’améliorer et d’harmoniser les mécanismes existants en la matière.
Par le débat d’aujourd’hui, nous reprenons la navette interrompue en 2011, après l’adoption par le Sénat d’une proposition de loi qui s’inspirait des recommandations contenues dans le rapport des sénateurs Laurent Béteille et Richard Yung. Ce rapport d’information avait mis en évidence la nécessité, d’une part, d’apporter certaines précisions ou clarifications souhaitées par les professionnels et, d’autre part, d’améliorer encore la protection de la propriété intellectuelle dans notre pays. Tels sont les objectifs que poursuit cette proposition de loi, auxquels le groupe UDI ne peut que souscrire.
Le texte aborde essentiellement quatre grands domaines : la spécialisation des tribunaux, le calcul et la détermination des dommages et intérêts, le droit à l’information, le droit de la preuve ainsi que le renforcement significatif du pouvoir de la douane.
Les améliorations apportées par le texte en ce qui concerne l’indemnisation des préjudices sont à souligner. Il importe que le préjudice subi par les personnes lésées dans leur droit de propriété intellectuelle puisse être convenablement réparé. Les trois éléments servant à l’analyse du préjudice subi – conséquences économiques négatives, préjudice moral, bénéfices réalisés par le contrefacteur – devraient désormais être pris en considération « distinctement » par la juridiction.
En outre, parmi les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits des victimes de la contrefaçon, le juge devrait désormais prendre en compte la perte subie par ces dernières.
L’un des autres apports importants de ce texte concerne les nouveaux moyens juridiques qu’il tend à attribuer à l’administration des douanes, dont le rôle est absolument déterminant dans la lutte contre la contrefaçon et contre les réseaux criminels. Les moyens dont elle dispose aujourd’hui sont insuffisants pour combattre efficacement la contrefaçon qui se développe, en particulier sur l’internet. Grâce à cette proposition de loi, les douanes bénéficieront désormais d’un dispositif juridique complet.
Par ailleurs, la commission des lois de notre Assemblée a fait évoluer positivement les différentes dispositions du texte. Elle a ainsi amélioré la procédure de la saisie-contrefaçon en permettant la saisie de tout document relatif à une prétendue contrefaçon lorsqu’il s’agit de logiciels ou de bases de données. Elle a également défini un dispositif de renforcement des moyens d’action des douanes en cohérence avec le cadre européen, en modifiant notamment la définition initiale de la notion d’atteinte portée à une indication géographique.
La présente proposition de loi est donc un complément indispensable à la loi du 29 octobre 2007, et nous nous félicitons qu’elle ait été rapidement inscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée. N’oublions pas, néanmoins, que nous devrons veiller à l’avenir à renforcer les coopérations internationales, car la contrefaçon est avant tout un phénomène mondial, et c’est à l’échelle européenne et internationale qu’il faut lutter contre ce fléau.
Chers collègues, les nombreux enjeux que recouvre le phénomène croissant de la contrefaçon ne doivent donc pas être sous-estimés. Améliorer les moyens de lutte contre la contrefaçon, c’est non seulement assurer une meilleure protection aux consommateurs, mais c’est aussi, en cette période de crise, agir en faveur de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises, et conforter l’attractivité juridique de notre pays dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle. Ainsi, le groupe UDI votera naturellement en faveur de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Le phénomène de la contrefaçon s’accélère, s’organise parfois en de véritables filières de production industrielle d’origine mafieuse et concerne tous les secteurs d’activité, des produits de luxe aux biens de consommation les plus classiques. En touchant de nombreux biens de consommation courante tels que les médicaments, les textiles, les jouets, les cigarettes ou encore les parfums, mais aussi des produits et matériels à usage professionnel, la contrefaçon porte également atteinte à la sécurité et à la santé des individus. C’est ainsi que nous avons découvert d’ahurissantes contrefaçons de plaquettes de freins en herbes compactées ! Ajoutons que la contrefaçon est consubstantielle au travail dissimulé, celui qui permet à des réseaux peu scrupuleux d’exploiter la misère humaine, bien loin de nos législations protectrices dans ces domaines.
Nous nous posons toutefois des questions d’ordre général sur la légitimité de la pratique du brevetage dans certains domaines, tels que ceux de la santé ou de l’agriculture – pratique qui peut apparaître contreproductive car elle bloque la libre utilisation par le plus grand nombre d’avancées technologiques et sanitaires indéniables. Ce brevetage peut s’apparenter à des rentes de situations en faveur de grands groupes internationaux. Dès lors, il faudrait s’atteler à envisager une autre manière de rémunérer l’innovation, au moins dans ces domaines. Je conviens que la France ne peut entreprendre seule cette démarche, et que cette proposition de loi ne saurait l’enclencher.
Ce texte, qui nous vient du Sénat, vise pour l’essentiel à simplifier ou adapter notre droit de la contrefaçon à certaines évolutions de la criminalité, à mieux indemniser les victimes et à étendre le pouvoir des douaniers.
En premier lieu, il s’agit donc de dépoussiérer le droit de la contrefaçon. Il convient en effet de revoir à intervalles réguliers notre arsenal juridique afin qu’il puisse s’adapter à l’ensemble des évolutions, notamment technologiques, qui sont aujourd’hui à l’origine de la contrefaçon du XXIe siècle. Or, la précédente loi datait de 2007.
Nous souscrivons globalement aux objectifs de cette proposition de loi, qui vise à rendre plus efficace la lutte contre la contrefaçon et à en limiter les retombées négatives en France, notamment en termes de destructions d’emplois. Nous voyons toutefois deux écueils importants auxquels il conviendrait de remédier.
Le premier concerne le fichier automatisé sur les envois de marchandises par des prestataires de services postaux et par des entreprises de fret express, prévu à l’article 13 qui, selon nous, pose problème. Ce nouveau fichier automatisé permettrait aux agents des douanes d’avoir accès à l’ensemble des données sur les envois de marchandises par des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Pour nous, il ne se justifie pas, car les risques d’une utilisation à mauvais escient sont importants. Il peut sembler disproportionné : dans l’Union européenne, 77 % des saisies douanières concernent des marchandises transportées par voie maritime, contre 19 % par voie routière et moins de 2 % seulement par fret express. En outre, ce fichier peut aussi constituer une menace pour les libertés individuelles. Un certain nombre d’envois de marchandises sont sensibles car ils touchent à la vie privée des individus – c’est par exemple le cas de la vente en ligne de médicaments, autorisée en France depuis l’an dernier. C’est pourquoi nous avons proposé un amendement visant non seulement à supprimer la création de ce fichier et à interdire l’atteinte au secret médical, mais aussi à prévoir un décret portant sur le devenir des données une fois la durée de conservation dépassée.
Le second écueil de cette proposition de loi revêt pour nous une importance cruciale : il s’agit de la question du brevetage du vivant, qui concerne les semences, mais aussi les plants, les préparations naturelles et les animaux. Je ne peux pas ne pas évoquer les velléités qu’a Monsanto de déposer un brevet concernant le gène d’une race allemande de porcs rustiques dont la croissance et la prise de poids sont plus rapides, brevet qui permettrait à cette entreprise de toucher des royalties sur toute utilisation de ladite race dans des croisements.
Cette crainte est particulièrement vive pour ce qui concerne les semences. En octobre 2012, j’interpellais le Gouvernement par une question orale sur la condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne de l’association Kokopelli pour concurrence déloyale. Pourtant, cette association est spécialisée dans la préservation et la distribution de variétés anciennes de semences, dont la diversité est aujourd’hui en péril.
Le simple fait de donner des semences ou de les ressemer peut donc aujourd’hui être considéré comme illégal et faire l’objet d’une procédure judiciaire. La volonté de certaines entreprises de semences de rentabiliser leurs activités de recherche et de développement ne peut se réaliser au détriment de la liberté des agriculteurs et des jardiniers amateurs, qui ont été les premiers généticiens appliqués de l’histoire, bien avant le moine Mendel et les multinationales d’aujourd’hui.
Il faut lever toute ambiguïté sur le sujet dans cette proposition de loi. C’est pourquoi, avec ma collègue Brigitte Allain, nous avons déposé des amendements qui sont attendus par le monde agricole et par nos concitoyens. Nous appelons à protéger le patrimoine semencier comme bien commun et comme élément essentiel de l’autonomie alimentaire, et à renoncer à la privatisation du vivant. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Braillard.
M. Thierry Braillard. Nous avons trop souvent l’habitude de réduire la contrefaçon aux produits de luxe et aux sacs de marque – d’ailleurs plus ou moins bien imités. Pourtant, le problème, une fois considéré sous tous ses aspects, est bien plus vaste : la contrefaçon devient protéiforme. En effet, elle peut désormais porter atteinte aussi bien à la santé qu’à la sécurité des consommateurs, et non plus seulement aux droits de propriété industrielle de quelques entreprises.
Le législateur était intervenu par la loi du 29 octobre 2007, qui transposait une directive européenne relative au respect des droits de propriété intellectuelle et qui prévoyait des dispositions intéressantes et largement consensuelles : l’extension de la procédure de saisie de contrefaçons, la création d’un droit d’information pour contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaites à révéler les origines de l’achat, la mise en place de mesures provisoires par le juge civil pour aider les victimes, ou encore la prise en compte de ce qu’ont pu rapporter au contrefacteur ses agissements délictueux. En effet, le droit français ne réparait jusqu’alors que le préjudice subi par la victime et rien d’autre que ce préjudice, puisqu’il ne s’inquiétait pas des profits qu’avait pu réaliser le contrefacteur. C’était donc un changement important, qui s’est produit voici bientôt sept ans.
Pourtant, en dépit de cette intervention législative, le phénomène de la contrefaçon s’est, en sept ans, totalement amplifié : il s’est internationalisé et diversifié, changeant en partie de nature grâce, surtout, au recours croissant à l’internet et au commerce électronique. Permettez-moi de vous donner quelques statistiques pour l’année 2013 : les Français ont effectué plus de 600 millions de transactions en ligne pour un montant total de plus de 50 milliards d’euros. L’offre de commerce électronique touche 138 000 sites actifs. Songez, chers collègues, que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 29 octobre 2007, le nombre de sites marchands de commerce en ligne a décuplé, et leur chiffre d’affaires sextuplé. En 2007, chaque acheteur effectuait en moyenne deux transactions par an ; il en effectue 18 aujourd’hui ! Les effets néfastes de la contrefaçon sur notre économie sont donc désormais bien connus. D’autres chiffres ont déjà été cités dans l’excellent rapport de M. Jean-Michel Clément. Pour ma part, je rappellerai que, selon le rapport de l’Union des fabricants, remis en 2010 au ministre de l’économie, la contrefaçon coûtait près de 100 milliards de dollars par an aux économies des pays industrialisés, dont près de 70 milliards de dollars en pertes fiscales, sans compter la destruction de 100 000 emplois pour la seule Europe. Bien entendu, la France est directement touchée par ce phénomène qui lui coûte chaque année 35 000 emplois et à cause duquel nos entreprises perdent près de six milliards d’euros de chiffre d’affaires, à quoi il faut ajouter les pertes en matière d’innovation induites par le non-investissement. Le seul secteur du luxe souffrirait ainsi de pertes représentant 4 % à 7 % de son chiffre d’affaires. Or, ce secteur comprend aussi les petites mains qui confectionnent les sacs et autres foulards – ce sont autant d’emplois.
Rappelons toutefois que la contrefaçon ne se réduit pas aux produits de luxe qui assurent la renommée de notre économie. Elle touche aussi des produits de consommation courante comme les jouets, les cosmétiques, les médicaments, les pièces automobiles ou encore les produits alimentaires. De ce fait, non seulement elle constitue une atteinte aux droits de propriété intellectuelle, mais elle peut aussi représenter un danger pour la santé du consommateur, trompé sur la qualité d’une marchandise et des normes afférentes.
Face à ce fléau, les entreprises ont bien du mal à faire face et les États eux-mêmes sont impuissants s’ils n’agissent pas de façon concertée. De ce point de vue, madame la ministre, je me félicite que l’accord européen relatif à une juridiction unifiée du brevet soit bientôt ratifié car, après de longues négociations, il constitue une nouvelle avancée dans la protection uniforme des brevets au niveau européen. D’ailleurs, si nous estimions tout à l’heure, lors du débat sur le texte précédent, que l’Europe n’agissait pas assez vite, en matière de contrefaçon elle travaille bien et, grâce à votre action, madame la ministre, les choses ont pu avancer. C’est au-delà des frontières de l’Europe que se posent les problèmes…
En effet, de puissants réseaux criminels se cachent bien souvent derrière les fabricants de produits contrefaits. N’oublions pas que la contrefaçon est également un moyen pour des groupes mafieux de diversifier leurs sources de revenus tout en s’exposant à des sanctions pénales plus faibles. L’importation ou la contrebande de marchandises contrefaites sont moins lourdement sanctionnées que le trafic de stupéfiants ; de ce fait, elles s’apparentent à une prime de moindre risque pour des bénéfices équivalents, voire supérieurs.
Aussi, la proposition de loi d’origine sénatoriale que nous discutons aujourd’hui tend à améliorer et à clarifier la loi du 29 octobre 2007 afin, comme l’ont indiqué d’autres orateurs, d’offrir une meilleure protection aux consommateurs et, comme le souligne notre rapporteur, de « conforter l’attractivité juridique de la France dans le domaine très concurrentiel de la propriété intellectuelle ».
Permettez-moi de rappeler brièvement les six principaux apports de ce texte. Tout d’abord, il renforce la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle, en précisant notamment la compétence du tribunal de grande instance de Paris en matière de brevets d’invention, particulièrement ceux qui sont le résultat de travaux accomplis par des salariés. Il y avait là un véritable problème, car certains chercheurs salariés sont les auteurs d’inventions qui ne sont pas rémunérées par l’employeur ; sur ce point, le vide juridique est désormais comblé.
Ensuite, ce texte vise à améliorer les dédommagements civils en matière de contrefaçon en intégrant la notion de « conséquences économiques négatives » de la partie lésée, ainsi que le préjudice moral causé et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
D’autre part, il tend à actualiser et à harmoniser des procédures existantes dans les différents droits de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon ainsi, bien entendu, que le droit à l’information. Il est notamment instauré une procédure permettant au juge d’ordonner toutes mesures d’instruction permettant de collecter des preuves, même en l’absence de saisie-contrefaçon. Dans ce domaine, en effet, les preuves sont souvent essentielles.
De surcroît, le texte simplifie l’engagement de l’action pénale pour la partie lésée par une contrefaçon et vise à aggraver le quantum des peines encourues lorsque, comme le rappelle l’article 18, les marchandises contrefaites sont dangereuses pour la santé ou la sécurité de l’homme ou celles de l’animal.
Enfin, il aligne les divers délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans.
Toutefois, je regrette que ce texte n’ait pas été l’occasion d’aller plus loin sur la question, aujourd’hui essentielle, de la cybercontrefaçon. Il n’est plus à démontrer que l’explosion du commerce électronique sert aussi aux réseaux criminels à masquer leur activité au milieu d’un flux d’informations complexes à réguler.
L’actualité la plus contemporaine, madame la ministre, avec le détournement des données chez l’opérateur Orange, en est un exemple concret, qui doit nous conduire à élaborer un plan d’action encore plus sévère sur ce thème.
M. Dino Cinieri. Bonne conclusion !
M. Thierry Braillard. Vous l’aurez compris, les membres du groupe RRDP voteront cette proposition de loi.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Daniel.
M. Yves Daniel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu de la proposition de loi que nous examinons ce soir, je voudrais tout d’abord souligner la persévérance de son auteur, le sénateur Richard Yung, mobilisé sur ce sujet depuis la précédente législature.
Ce texte est issu, comme cela a été rappelé, des recommandations d’un rapport d’information sur le bilan de la loi de 2007 de lutte contre la contrefaçon. Il ajuste cette dernière pour qu’elle puisse déployer toute son efficacité. Il me semble que nous touchons là à un aspect du travail parlementaire que nous avons parfois tendance à laisser de côté : l’évaluation et le nécessaire réaménagement des textes adoptés précédemment, pour les adapter aux réalités existantes.
Car depuis 2007, l’« industrie » de la contrefaçon – j’emploie volontairement ce terme fort au vu des chiffres dont nous disposons – ne cesse de progresser. Je les citerai encore une fois, même s’ils ont été maintes fois évoqués : l’OCDE évalue l’impact mondial de la contrefaçon à 250 milliards de dollars. Ce chiffre est d’autant plus parlant dès lors qu’il se traduit en destructions d’emplois : 100 000 en Europe, dont 35 000 rien qu’en France… Au total, sur notre territoire, plus d’une entreprise sur deux a déjà été confrontée au problème de la contrefaçon.
Cette proposition de loi, qui vise à renforcer l’arsenal juridique existant et à améliorer le fonctionnement et l’allocation des moyens dédiés, arrive donc au bon moment. Je laisserai mes collègues membres de la commission des lois, saisie au fond, les détailler.
Pour ma part, je souhaite revenir ici sur la problématique des semences de ferme, en partie évoquée lors de l’examen du texte au Sénat.
En tant que membre de la commission des affaires européennes, j’ai écouté avec attention vos propos, madame la ministre, sur le partenariat en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Je me réjouis, comme vous, de la diffusion, bien au-delà des frontières françaises, de la notion d’AOC, et je comprends tout à fait la nécessité de défendre, dans le contexte concurrentiel mondial que nous connaissons, le secteur économique des semences, entre autres via les certificats d’obtention végétale.
En effet, la création variétale et la production de semences et de plants de plantes cultivées contribuent de manière non négligeable à notre PIB, grâce aux entreprises – PME ou grands groupes – qui ont investi dans ces domaines : 601 millions d’euros d’excédent commercial, soit 16 % de l’excédent commercial des produits agricoles, sylvicoles et piscicoles confondus, 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, dont 15 % réemployés dans la recherche. C’est d’ailleurs ce dynamisme remarquable qui fait de la France le premier producteur européen de semences, le premier marché européen et le troisième mondial, ainsi que le premier exportateur mondial.
Néanmoins, en tant qu’agriculteur exploitant, je partage, bien sûr, les préoccupations de mes collègues paysans, du fait de l’imprécision des textes actuels. La menace de sanctions qui plane sur eux dès lors qu’ils échangent leurs semences entre eux, voire se contentent de les replanter d’une année sur l’autre sans les avoir rachetées au préalable au semencier, n’est pas acceptable.
Certes, les débats qui ont eu lieu dans le cadre du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ont permis de mettre fin à quelques inquiétudes. Par exemple, nous avons avancé sur certains sujets, comme la fin de l’obligation d’utiliser des reproducteurs certifiés.
De même, nous ne pouvons que nous satisfaire de l’adoption, avec avis favorable du Gouvernement, de l’amendement de la sénatrice socialiste Nicole Bonnefoy, lors de l’examen de la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui. Il a permis de conforter la législation existante en la matière, qui reconnaît et préserve les semences de ferme.
Je salue également le travail actuellement conduit par le ministre de l’agriculture, qui devrait aboutir prochainement à la publication de deux décrets. L’un vise à élargir à toutes les espèces concernées par la production de semences de ferme en France les dispositions européennes autorisant à ressemer, qui ne s’appliquent aujourd’hui qu’à vingt et une d’entre elles. Il devrait voir le jour avant la fin de cette année. L’autre tend à définir l’indemnité que l’agriculteur devra reverser, le cas échéant, à l’obtenteur du certificat si aucun accord interprofessionnel n’intervient.
Néanmoins, la voie de la concertation, marque de fabrique de ce gouvernement, a une fois de plus été privilégiée et a abouti à la signature d’un premier accord en juin 2013 pour les céréales à paille. D’autres négociations sont en bonne voie, pour le secteur de la pomme de terre, d’une part, et pour celui des protéagineux, d’autre part.
Enfin, l’amendement de Mme Untermaier, que nous allons examiner à l’article 7 et qui exclut les semences de ferme du champ d’application des modalités de retenue douanière et de destruction simplifiée, est soutenu par l’ensemble du groupe socialiste.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Yves Daniel. Toutefois, ces quelques garanties données aux agriculteurs quant à la réutilisation des semences de ferme ont besoin d’être réaffirmées. Avec le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons fixé pour notre agriculture l’objectif très ambitieux d’une triple performance : économique, sociale et environnementale. Nous devons à présent nous en donner les moyens. Préciser les contours de la notion de contrefaçon et rappeler la spécificité des
semences de fermes sont les premiers jalons.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Yves Daniel. D’autres doivent encore être posés pour sécuriser définitivement le métier d’agriculteur et redonner de la sérénité à cette profession sur laquelle repose la belle – mais parfois lourde – responsabilité d’assurer la diversité agricole et alimentaire.
Aussi, je vous indique qu’avec d’autres collègues, et tout particulièrement Jean-Michel Clément, Hervé Pellois et Dominique Potier, nous sommes à la disposition des ministères pour avancer sur l’approfondissement de cette question des semences de ferme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.
M. Dino Cinieri. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon est un fléau pour notre industrie et notre artisanat. Dans le contexte de l’Espace économique européen, particulièrement touché par la contrefaçon venue d’Asie, la France joue un rôle important grâce à un arsenal juridique particulièrement développé – douanes, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, police, gendarmerie – et à un engagement des pouvoirs publics qui privilégient tant la prévention – campagnes d’information et de sensibilisation sous l’égide du Comité national anti-contrefaçon – que la répression – la saisie-contrefaçon, la réparation civile et les sanctions pénales.
Néanmoins, madame la ministre, nous sommes tous conscient qu’il est indispensable d’améliorer encore la lutte contre la contrefaçon.
Cette proposition de loi ne constitue pourtant pas une réforme en profondeur, mais elle vient renforcer les dispositifs de protection des droits de propriété intellectuelle, artistique et de propriété industrielle impulsés par le gouvernement Fillon via la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon.
Trop souvent, on réduit la contrefaçon à de célèbres sacs à main vendus sur les Champs-Élysées, à des vêtements portant un logo en forme de crocodile, ou encore à des cigarettes. Mais la contrefaçon, c’est aussi un trafic de fleurs, de fruits ou de semences de ferme. Je voudrais insister précisément sur ces semences de ferme.
Au détour de ce texte, une nouvelle fois, vous voulez casser l’équilibre que nous avons mis en place sous l’ancienne législature !
Nous avons eu, sous la XIIIe législature, un long débat sur les semences, dans le cadre de la loi du 8 décembre 2011 adaptant le code français de la propriété intellectuelle en matière d’obtention végétale. Votée après vingt ans de débats et d’échanges entre les pouvoirs publics et les organisations professionnelles, elle fait de la France le dix-huitième pays européen à adopter une telle législation.
La filière semencière française peut être considérée comme un pôle d’excellence. Elle est la première en Europe et la troisième dans le monde, après les États-Unis et la Chine, par son chiffre d’affaires.
C’est ainsi que les soixante-douze sélectionneurs qui font de la recherche en France créent chaque année plus de 600 nouvelles variétés, qui viennent renouveler les 6 000 variétés de toutes espèces proposées aux agriculteurs dans le Catalogue français.
Je rappelle que la loi autorise, pour au moins vingt et une espèces, la pratique des semences ou des plants de ferme de variétés nouvelles protégées. Il faut donc respecter cet équilibre et peut-être ajouter de nouvelles espèces pour lesquelles les semences de ferme de variétés protégées pourraient être autorisées.
Néanmoins, je tiens à rappeler que la filière semences est confrontée à la nécessité d’offrir aux consommateurs des semences bénéficiant d’une qualité sanitaire attestée. Si l’on prend l’exemple de la pomme de terre, des épidémies de mildiou, notamment, ont causé de graves famines par le passé, comme celle qu’a connue l’Irlande au milieu du XIXe siècle.
Aujourd’hui, les plants certifiés de pomme de terre sont analysés à chaque étape pour garantir à l’agriculteur de bénéficier de plants sains. Ils sont donc exempts de parasites de quarantaine, qui peuvent contraindre l’agriculteur à détruire entièrement sa récolte. Par ailleurs, ils permettent de limiter le risque de contamination par des champignons et des virus qui peuvent entraîner une perte de levée et un moindre rendement, voire être toxiques pour l’homme.
Si l’amendement du rapporteur et des députés socialistes à l’article 7 sont adoptés, nous permettrons une libre circulation des semences aux frontières et, de ce fait, n’importe quelles semences, qu’elles répondent ou non à nos critères internes, pourront entrer dans notre pays. C’est évidemment inacceptable, car ce serait la porte ouverte à tous les abus. La solution que vous proposez est une mauvaise réponse à un vrai problème. Les distorsions de concurrence dont souffrent nos agriculteurs doivent être combattues par la baisse des charges et l’harmonisation de la législation liée à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
« Là où il y a une volonté », disait l’un de mes amis – qui s’appelle Rigolet –, « il y a un chemin. »
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Allain.
Mme Brigitte Allain. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en complément de l’intervention de mon collègue Paul Molac, je souhaite intervenir quelques minutes pour exprimer mon inquiétude et relayer celle de milliers de citoyens sur un sujet qui dépasse la proposition de loi examinée aujourd’hui : la privatisation du vivant.
Aujourd’hui, cinq multinationales contrôlent près de 75 % de la semence potagère dans le monde ; 96 % des tomates inscrites au Catalogue officiel sont des hybrides non reproductibles et 80 % des variétés potagères cultivées il y a cinquante ans ont disparu.
Ces chiffres sont marquants et couvrent une réalité difficile à freiner. Les denrées agricoles sont trop souvent considérées comme de simples marchandises susceptibles d’accroître les profits des entreprises et le produit national brut de la nation. Les semences sont modifiées afin de répondre à des critères de rentabilité maximale. Rendues volontairement stériles ou dégénérescentes, elles sont brevetées, obligeant les paysans, qui se transmettaient ce patrimoine de génération en génération depuis des millénaires, à les racheter chaque année.
Cette proposition de loi pourrait, si l’on n’y prend garde, favoriser ces pratiques et, par petites touches, contrevenir à la liberté de certains et accroître les profits des autres.
Les écologistes aspirent à ce que soient respectés le droit à la souveraineté alimentaire des peuples et l’autonomie des agriculteurs dans le choix de leurs moyens de productions. C’est vrai pour l’accès à la terre, à l’eau, aux intrants, dont font partie les semences. Nous devons reconnaître les apports positifs des semences de ferme et paysannes au dynamisme de la biodiversité, à la préservation de l’environnement, au maintien des savoir-faire paysans et à la protection de la sécurité alimentaire nationale.
La sélection par les paysans des espèces et variétés résistantes aux maladies et adaptées aux conditions pédoclimatiques constitue, contrairement aux OGM, l’une des stratégies les plus efficaces pour diminuer l’usage des intrants chimiques et adapter les cultures aux changements climatiques. En effet, 60 % des semences issues de l’industrie sont enrobées de pesticides ou insecticides contre seulement 20 % des semences de ferme. Sitôt élue à l’Assemblée, j’ai demandé la révision de la loi sur les certificats d’obtention végétale, conformément à l’engagement du Président de la République. Adoptée dans l’urgence sous la précédente législature, la loi instituant les COV s’est heurtée à de vives oppositions, sur les bancs de l’opposition de l’époque à l’Assemblée et au Sénat comme dans l’opinion publique.
S’il est légitime de rémunérer le travail de recherche des industries semencières et les innovations protégées par un certificat d’obtention végétale, rien ne justifie qu’une telle protection s’étende à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même, le transformant de fait en délinquant aux termes de la loi contrefaçon. C’est pourquoi le groupe écologiste, prolongeant ce qu’ont initié nos collègues écologistes du Sénat, a déposé quatre amendements visant à exclure les semences de ferme et plus largement tout le matériel de reproduction à la ferme du champ d’application de la proposition de loi. Le Parlement a commencé à faire bouger les lignes en adoptant des amendements socialistes et écologistes lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Après des demandes formulées par les élus et les réseaux paysans et écologistes, le Gouvernement s’est engagé il y a quelques jours à exclure les semences de ferme de toute procédure de lutte contre la contrefaçon et à empêcher toute poursuite en contrefaçon contre des semences de ferme d’espèces non couvertes par un accord interprofessionnel ou un décret en Conseil d’État, ce dont je me félicite. J’appelle les pouvoirs publics et la vigilance citoyenne à reconnaître l’existence légale des semences de ferme, ce qui les mettrait à l’abri de toute menace de contrefaçon, et à fixer des garde-fous à l’appropriation privée du vivant par la légalisation de la biopiraterie et d’autres textes aux échelons européen et international au cours des prochaines années. Les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Dessus.
Mme Sophie Dessus. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, « Jean, ce matin-là, un semoir de toile bleue noué sur le ventre, en tenait la poche ouverte de la main gauche, et de la droite, tous les trois pas, il y prenait une poignée de blé que d’un geste, à la volée, il jetait. Ses gros souliers trouaient et emportaient la terre grasse dans le balancement cadencé de son corps. Et toujours, et du même pas, avec le même geste, il allait au nord, il revenait au midi, enveloppé dans la poussière vivante du grain. De toutes parts on semait, et tous avaient le geste, l’envolée de la semence que l’on devinait comme une onde vie autour d’eux. La plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noyés où les semeurs épars ne se voyaient plus. »
Que viennent faire dans la loi relative à la contrefaçon, me demanderez-vous, Émile Zola et le geste auguste du semeur, inchangé depuis la révolution néolithique, lorsque l’homme a décidé voici dix mille ans de se sédentariser et de cultiver, élever, nourrir l’humanité et développer la biodiversité ? Quel rapport avec un texte indispensable visant à renforcer la lutte contre la contrefaçon ? Face à un fléau devenu planétaire, au vol de la propriété intellectuelle touchant aujourd’hui tous les produits, du plus simple au haut de gamme, et à un trafic juteux pour les organisations criminelles, le texte protégera notre créativité, notre attractivité et nos savoir-faire. Quel rapport, donc, avec les semences de ferme ?
Quel paradoxe et quelle surprise, en effet, de découvrir dans la proposition de loi, au détour d’un article, une référence aux semences de ferme, par le biais d’un amendement petit par sa taille, mais grand par sa portée, et qui n’aurait sans doute pas dû se trouver là mais plutôt dans la loi d’avenir de l’agriculture ! Grâce à Cécile Untermaier et Jean-Michel Clément, les mots justes ont été trouvés, ce qui permet d’engager une réflexion de fond dépassant le cadre de l’amendement.
Sans démêler le complexe enchevêtrement de lobbying, textes et procès qui ont fait de la plupart des semences de ferme des contrefaçons, ni reprendre les débats technico-historico-juridico-financiers au risque d’y perdre ce qu’il nous reste de bon sens paysan, pourquoi ne pas privilégier une logique de complémentarité sur une logique de défiance et d’accaparement ? Doit-on mettre au même niveau le vivant que sont une graine, un plant, un ferment ou même un animal, et un objet manufacturé dont le brevet doit être protégé ? Ne peut-on concilier les certificats d’obtentions végétales et les semences auto-produites ? La recherche retirerait certainement des bénéfices d’un tel travail conjugué et le groupement interprofessionnel de semences n’y perdrait guère de royalties ! Ne peut-on trouver un équilibre entre respect du droit à la propriété intellectuelle et l’existence inéluctable du biopiratage dont seule la nature a le secret ? Doit-on toujours opposer indépendance des agriculteurs et besoins des firmes industrielles ? Bien malin, d’ailleurs, qui pourrait dire qui du paysan ou de l’industriel est le contrefacteur de l’autre !
Il existe une place pour chacun. Il incombe à nos textes de la définir sans pour autant multiplier interdits et réglementations. Il faut faire évoluer notre état d’esprit comme nous avons fait évoluer la loi d’avenir pour l’agriculture, conscients de la nécessité de concilier au XXIe siècle performance et protection de l’environnement, pérennité et recherche. Il est temps d’inscrire l’exception agricole dans la loi contrefaçon. Il s’agit d’éviter la remise en cause du métier de paysan, qui a toujours consisté à reproduire semences et animaux et de préserver la base sociale de la vie agricole, fondée sur l’entraide et la confiance, l’échange et le service. Il s’agit aussi de ne pas faire du paysan un contrebandier malgré lui, ni un malfaiteur contraint par principe de prouver que sa production n’a pas été contaminée et ne contient aucun gène certifié sous peine de voir sa récolte saisie et détruite. Autant demander au vent d’arrêter de souffler, aux abeilles de ne plus butiner et aux oiseaux de cesser de transporter les gènes de plants en plants !
L’agriculteur doit être en mesure de partager ses produits sans être accusé de concurrence déloyale par les industries détentrices des gènes et traîné devant les tribunaux où il n’aura aucun moyen de se défendre ni aucune chance face aux multinationales en cas de litige. Il s’agit enfin de faire en sorte que les paysans continuent à sélectionner, préserver et transmettre la biodiversité conservée dans les champs et les jardins depuis des générations. Inscrire l’exception agricole dans la loi sur la contrefaçon, tel est l’esprit de l’engagement de François Hollande pendant sa campagne ! Nous préférons que la loi instaure une liberté de semer plutôt qu’une obligation de payer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre.
Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention sera nettement moins lyrique que celle de ma collègue Sophie Dessus ! (Sourires.) La contrefaçon constitue en France un fléau économique en pleine expansion, responsable de la destruction de 38 000 emplois et d’un manque à gagner annuel de six milliards d’euros. Malheureusement, la menace va croissant. Désormais, plusieurs millions d’articles de contrefaçon sont interceptés chaque année par les douanes. Comme dit le proverbe, les faux biens produisent de vrais maux ! Outre son impact économique, la contrefaçon représente une menace pour la santé et la sécurité de nos concitoyens. Elle ne porte plus seulement sur des sacs à main ou des vêtements de marque, mais aussi sur des médicaments, des produits cosmétiques ou encore des jouets pour enfants.
C’est pourquoi il nous faut à nouveau agir et légiférer. Le texte s’attache à renforcer le cœur de notre arsenal interne de protection contre la contrefaçon, de façon cohérente avec votre action de défense de la propriété intellectuelle et des indications géographiques dans les négociations commerciales internationales, madame la ministre. Pour ce faire, il adapte divers mécanismes civils du code de la propriété intellectuelle.
La proposition de loi renforcera la formation et la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle et alourdira grandement les dédommagements civils en matière de contrefaçon. En effet, les flux internationaux de contrefaçon sont de plus en plus contrôlés par des organisations criminelles internationales qui y trouvent un trafic à la fois plus rentable et moins risqué que leurs activités traditionnelles, comme le trafic de drogue. De fait, il est fréquent que les contrefacteurs, même condamnés, réalisent un profit substantiel. Le système actuel n’est donc pas assez dissuasif. C’est pourquoi nous devons renforcer les sanctions et aligner les délais de prescription en matière de propriété intellectuelle sur le droit commun, soit cinq ans.
Surtout, la proposition de loi améliore grandement l’arsenal législatif et les moyens d’action mis à la disposition des douanes. En matière de collecte de preuves, elle ajuste et simplifie les diverses procédures existantes du droit à l’information et de saisie-contrefaçon. Par ailleurs, la proposition de loi autorisera plus largement les douanes à mener des opérations d’infiltration et facilitera la constatation des infractions grâce à la technique du « coup d’achat ». Les douanes forment le cœur de notre dispositif interne de protection. Les renforcer, c’est renforcer notre économie.
Enfin, j’aimerais aborder un sujet qui nous tient tous à cœur, celui des semences de ferme. La proposition de loi confirme qu’elles n’ont rien à voir avec la contrefaçon. Le Sénat a adopté un certain nombre d’amendements visant à exclure expressément ces pratiques fermières de la qualification de contrefaçon. Quant aux semences réensemencées sur une exploitation pour usage privé, un décret en étendra la liste, qui comporte déjà vingt et une espèces, à toutes les espèces relevant de la production de semences de ferme en France.
Rappelons en outre que la loi d’avenir pour l’agriculture a reconnu la possibilité d’échanger des semences de ferme et des plants au sein d’un GIEE. Nous devons être aussi clairs que possible sur ce point, car les agriculteurs craignent que les pouvoirs renforcés des douanes pour lutter contre la contrefaçon ne sanctionnent leurs récoltes issues de semences de ferme. Il importe donc de répéter que les procédures de retenue et de destruction simplifiée ne s’y appliquent pas et que les cas de présence fortuite ou accidentelle de variétés protégées seront clairement exclus du champ de la contrefaçon. Je remercie Cécile Untermaier et notre collègue rapporteur Jean-Michel Clément d’avoir énormément travaillé pour trouver sur ce sujet sensible un équilibre satisfaisant pour toutes les parties, et je vous invite, mes chers collègues, à soutenir le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je remercie d’ores et déjà les groupes qui ont annoncé leur soutien à la proposition de loi et réponds à ceux qui ont exprimé des inquiétudes. C’est en effet le rôle des parlementaires que de faire état des inquiétudes dont on leur fait part dans leurs permanences.
Je répondrai d’abord à M. Dolez qui a rappelé à juste titre le rôle extrêmement important des douanes. Je mets toujours en valeur cette administration, car elle est un vecteur essentiel de la compétition et de l’accueil des entreprises qui importent et exportent, je m’en suis rendu compte.
Je vous remercie de ce rappel, monsieur le député. Vous vous êtes inquiété de la réduction des effectifs. Les chiffres que vous citez sont à peu près exacts, à quelques dizaines près, mais ce n’est pas la seule administration soumise à une telle toise, comme vous le savez. Le Gouvernement, en l’espèce, a décidé de faire autrement. L’administration des douanes a réalisé d’énormes progrès en matière de rapidité de traitement des informations, et le but du plan stratégique est justement d’améliorer leurs conditions de travail et de leur simplifier la vie.
De ce point de vue, la création d’un fichier informatisé de données des prestataires de services postaux et des opérateurs de fret express, prévue par le texte, va constituer un moyen essentiel pour faciliter le travail des douanes, qui vont pouvoir cesser d’opérer de manière systématique, ce qui leur prenait beaucoup de temps, pour intervenir de manière sélective, donc plus efficacement.
M. Braillard a évoqué, à juste titre, l’augmentation exponentielle du commerce en ligne. En France, 117 500 sites de commerce électronique de biens et services sont actifs, réalisant un chiffre d’affaires annuel de 45 milliards d’euros. En Europe, ce sont près de 550 000 sites marchands qui s’adressent à plus de 250 millions d’acheteurs en ligne, pour un chiffre d’affaires de 312 milliards d’euros. Les marchandises vendues sur ces sites utilisent très fréquemment le vecteur du fret express et postal pour leur acheminement.
Même s’il n’est plus dans l’hémicycle, je veux dire à M. Gosselin, qui s’est inquiété des autres modes de transport – le fer, la route et l’air –, que les spécificités du fret express – les envois multiples et parcellaires, la rapidité des transactions – nécessitent de recourir à des outils et des méthodes spécifiques : c’est l’objet de l’article 13 de cette proposition de loi.
La question des semences de ferme a été évoquée à plusieurs reprises, ici même et au Sénat, et je comprends tout à fait cette préoccupation. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure, mais je veux d’ores et déjà affirmer que la présente proposition de loi n’a absolument pas pour objectif de remettre en cause le principe des semences de ferme. Mme Untermaier a évoqué la nécessité de trouver un équilibre subtil en la matière – rejointe en cela par M. Daniel, qui sait sans aucun doute de quoi il parle, puisqu’il est agriculteur. Tous deux ont souligné l’importance des semenciers – à juste titre puisque, je le rappelle, la France est le premier producteur de semences sur le marché européen.
Sur le même sujet, M. Cinieri a dit qu’il convenait de respecter un équilibre, tandis que Mme Dessus défendait les semences de ferme de façon très lyrique. Permettez-moi de vous féliciter, madame, car il est bon que certains parlementaires s’emploient à pratiquer un art oratoire qui a, me semble-t-il, plutôt tendance à se perdre.
Mme Sophie Dessus. Merci !
Mme Nicole Bricq, ministre. Toutefois, je me dois également de vous rappeler un chiffre : chaque année, les industriels de la semence investissent 240 millions d’euros dans la recherche, ce qui mérite une protection. De ce point de vue, la France est le premier exportateur mondial, avec un excédent commercial dont M. Braillard et M. Cinieri ont eu raison de souligner l’importance – si ce n’est qu’ils l’ont sous-évaluée, puisque cet excédent s’élève, non pas à 600 millions d’euros, comme ils l’ont dit, mais à 836 millions d’euros par an !
La protection des obtentions végétales garantit la durabilité de l’activité de 72 entreprises semencières – nous sommes bien loin des trois ou quatre groupes évoqués par certains orateurs –, dont de nombreuses PME, mais aussi la pérennité de 9 000 emplois. Cette protection constitue également un gage de sécurité alimentaire et d’approvisionnement. Sur ce point, nous discuterons tout à l’heure des amendements de Mme Untermaier et du rapporteur, qui me semblent avoir trouvé le bon équilibre.
Enfin, je veux remercier Mme Fabre d’avoir rappelé que la liberté était préservée, puisqu’aux termes de la loi d’avenir pour l’agriculture, le fait d’échanger des semences de ferme et des plants au sein d’un groupement d’intérêt économique et environnemental ne constitue pas une contrefaçon – sur ce point, le ministre de l’agriculture, mon collègue Stéphane Le Foll, a pris des engagements très clairs lors de la discussion du texte devant le Parlement. Nous aurons, nous aussi, également l’occasion d’en discuter, mais je peux d’ores et déjà vous rassurer : nous défendons la biodiversité, et n’avons évidemment pas l’intention de privatiser le vivant – pour reprendre l’expression employée par Mme Dessus, nous respectons le geste auguste du semeur ! (Sourires.) Quoi qu’il en soit, nous discuterons de tout cela ce soir, et je me félicite de constater que vous êtes tous mobilisés pour lutter contre la contrefaçon. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron