SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Abolition de la peine de mort et condamnations en Égypte
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Politique sanitaire et sociale
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Taxis et véhicules de tourisme avec chauffeur
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Christophe Sirugue
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Amendement no 14
Amendement no 16
Amendements nos 17 et 18 , 1 , 19
Amendement no 5
Amendement no 15
Amendement no 4
Amendement no 13
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Claude Goasguen. Monsieur le Premier ministre, depuis ce matin nous restons éberlués à l’écoute des radios et des télévisions. Il semble que vos ministres et les quelques camarades qui vous soutiennent au sein de l’Assemblée (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) disent que vous avez obtenu le vote de confiance décisif que vous aviez demandé. Mais tout de même, les chiffres sont impressionnants : vous êtes parti en 2012 d’un bloc de gauche de trois cent quarante députés, vous avez obtenu trois cent six voix lors du vote de confiance il y a quelques semaines et hier, vous avez recueilli deux cent soixante et une voix de députés de gauche !
M. Jean Glavany. Ce sont des comptes d’apothicaires, monsieur Goasguen !
M. Matthias Fekl. C’est la COCOE qui a compté !
M. Claude Goasguen. Évidemment, si c’est cela, un vote de confiance décisif… Je vous signale que vous avez une majorité relative, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, puisque la majorité relative de M. Rocard avait au moins le bénéfice d’avoir été désignée comme telle. Vous voilà passé d’une majorité absolue à une majorité relative, et nous allons avoir fort à faire avec les lois de finances lorsqu’elles arriveront…
D’ailleurs, à ce sujet, comment pourrait-on vous croire ? Vous nous aviez annoncé un déficit prévisionnel de 3,6 % pour 2013 ; il a été de 4,3 %. En 2014, vous aviez annoncé 2,8 %, ce sera 3,8 %. Personne ne vous croit plus dans ce pays. La consommation des ménages s’est réduite de 3 %, les agences de notation ne vous croient pas, le Haut conseil des finances publiques non plus, la Cour des comptes est sceptique.
Monsieur le Premier ministre, vous citez souvent Mendès France. Arriverez-vous à tenir en tant que premier ministre aussi longtemps que lui, c’est-à-dire deux cent trente-deux jours ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Goasguen, vous ne pouvez pas savoir le plaisir que j’ai à vous répondre. Je pense à notre dernier échange dans cet hémicycle, vous me trouvez en forme, je vous trouve resplendissant… Nous pouvons donc engager enfin le débat ! (Sourires.)
Ce qui compte, ce sont les voix qu’un gouvernement obtient, sur un texte ou une déclaration. Il y a un mois, j’ai été nommé Premier ministre. En cinq semaines, nous avons engagé à la fois le pacte de responsabilité et de solidarité qui était au cœur de ma déclaration de politique générale et 50 milliards d’économies, tant pour financer le pacte que pour réduire nos déficits. En cinq semaines, nous avons obtenu, par deux votes, la feuille de route pour le quinquennat du président François Hollande.
M. Damien Meslot. Vous avez perdu quarante voix !
M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est pour cela que j’ai parlé : après la défaite que nous avons subie aux élections municipales, le débat est normal. Vous avez des débats entre vous, nous en avons aussi. Ils sont normaux, ils sont logiques au sein d’une majorité qui a été touchée, secouée par ces élections municipales et par l’interpellation des électeurs dont tous les parlementaires se sont fait l’écho.
Mais l’essentiel, c’est de rester tournés vers les Français. Notre stratégie vise à une seule réussite, la réussite de la France et des Français. C’est la cohérence de ce que j’ai présenté à l’occasion du discours de politique générale et hier encore. Tonifier la croissance par la réduction des coûts des entreprises, soutenir la compétitivité, soutenir l’attractivité de notre pays : nous n’avons pas d’autre choix. Notre pays a décroché au cours de ces dix dernières années, nous n’avons pas d’autre choix que de soutenir notre économie et nos entreprises, réduire les déficits qui nous asphyxient et le faire par les économies qui sont indispensables, je l’ai rappelé hier.
Nous tiendrons nos engagements, pas seulement à l’égard de nos partenaires européens, mais pour nous-mêmes. C’est ce que nous devons aux générations qui viennent. Nous ne pouvons pas vivre au-dessus de nos moyens, nous ne pouvons pas vivre avec la dette que notre pays connaît depuis des années et dont chacun porte une part de responsabilité. Vous aussi y avez pleinement votre part.
Nous devons soutenir le pouvoir d’achat, en commençant par les salariés les plus modestes et plus généralement par une baisse des prélèvements obligatoires. Nous devons engager enfin les réformes nécessaires : celles de l’État, des collectivités territoriales, de notre système de santé. Nous devons réaliser la transition énergétique et faire face aux grands défis de l’avenir, je pense notamment à celui du numérique. Il y a là une cohérence.
C’est ce vote qui a eu lieu hier. Chacun fait face à ses responsabilités, la majorité comme l’opposition. J’ai reçu encore hier mandat pour poursuivre. Je veux convaincre tous ceux qui se situent dans la majorité, tous ceux qui se réclament de la gauche et tous ceux qui sur ces bancs n’ont qu’une seule idée : redresser le pays et répondre à l’attente des Français. C’est le mandat que j’ai reçu hier et avec la détermination qui est la mienne et celle de mon gouvernement, avec la confiance du Président de la République et la confiance de la majorité, nous allons poursuivre ce chemin. Il n’y a pas d’autre possibilité, il n’y a pas d’autre choix. Les Français nous regardent.
Je remercie ceux qui ont voté pour moi hier, je remercie ceux qui, sur tous les bancs, ont souligné la nécessité de trouver un terrain d’entente sur un certain nombre de sujets comme les collectivités territoriales ou la réduction des dépenses publiques. Je pense que nous sommes à l’un de ces moments clés de l’histoire de notre pays où l’intérêt national et l’intérêt des Français nous obligent au dépassement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Frédérique Massat. Monsieur le ministre de l’économie, au cours de la décennie 2002-2012, la France a perdu 600 000 emplois industriels.
M. François Rochebloine. Et entre 2012 et 2014 ?
Mme Frédérique Massat. L’abandon de la politique industrielle, l’absence de vision stratégique, la résignation et la passivité face à l’effilochage de notre tissu industriel ont conduit à cette calamité.
Cette situation, notre majorité pense qu’elle n’est pas inexorable. Oui, la France a vocation à rester une grande nation industrielle. Oui, la France, avec ses entreprises, ses ingénieurs, ses ouvriers, peut relever tous les défis qui se présentent à elle.
Depuis 2012, vous avez mis en place un arsenal à la hauteur des enjeux : les 34 plans de reconquête industrielle, le soutien au financement des entreprises avec la BPI, le pacte de compétitivité, la lutte contre les délocalisations et tant d’autres mesures encore.
Mme Bérengère Poletti. Cela ne marche pas !
Mme Frédérique Massat. Monsieur le ministre, ce matin, à la demande du président François Brottes, vous êtes venu devant les députés de la commission des affaires économiques, et nous vous en remercions, pour répondre à leurs inquiétudes et à leurs interrogations sur Alstom. (« Allô ? » sur les bancs du groupe UMP.)
Alstom, un fleuron industriel de notre pays, à la pointe dans deux secteurs stratégiques, l’énergie et les transports, vient de faire l’objet d’une offre par General Electric. Dès cette annonce, le Président de la République, le Premier ministre et vous-même avez engagé des initiatives pour défendre les intérêts de la France, de ses salariés et de son appareil productif. Les 18 000 salariés français d’Alstom, les territoires qui accueillent les 21 sites et l’ensemble de nos concitoyens sont très attachés à cette entreprise. Comme nous, ils veulent que les ambitions industrielles au service de l’emploi et de l’innovation ne soient pas mises à mal par des logiques financières.
Alors que General Electric vient de préciser les contours de son offre et que le conseil d’administration a annoncé qu’il privilégiait ce scénario sans pour autant exclure d’étudier une éventuelle contre-offre, pouvez-vous détailler, monsieur le ministre, les actions qui seront menées par le Gouvernement dans les prochains jours ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Madame la députée, vous l’avez mesuré : dans cette affaire, le Gouvernement n’a pas accepté d’être mis devant le fait accompli. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Laurent Wauquiez. Mais c’est fait !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Notre première action a consisté à invoquer le décret de contrôle des investissements étrangers en France et à saisir, à travers le commissaire du gouvernement placé sous mon autorité, l’Autorité des marchés financiers, le gendarme de la Bourse, afin que l’égalité de traitement entre General Electric et Siemens soit garantie.
M. Laurent Wauquiez. Tout cela se fait sans vous !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Cela nous a permis de gagner un mois. Hier, c’était quarante-huit heures et nous disposons désormais d’un mois. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Laurent Wauquiez. Cela sert à ça, un ministre !
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, calmez-vous.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Si nous ne l’avions pas fait, General Electric aurait déjà acquis Alstom. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Mes chers collègues, il ne sert à rien de crier !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Nous avons donc un mois pour examiner l’ensemble des possibilités.
M. François Vannson. Qu’est-ce que ça change ?
M. Arnaud Montebourg, ministre. Je veux préciser l’état d’esprit du Gouvernement. Premièrement, nous souhaitons la bienvenue en France aux investisseurs étrangers, qu’ils soient américains ou allemands, et nous les remercions. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais nous leur disons également que notre préférence va aux alliances, et non aux absorptions. Nous préférons les alliances, parce que la France est un grand pays industriel…
M. François Vannson. Elle « était » un grand pays industriel !
M. Arnaud Montebourg, ministre. …et qu’elle a réussi de telles alliances. Un bon exemple est celle qui unit précisément General Electric avec Safran, l’ancienne Snecma, qui fabrique des moteurs d’avion et qui en a vendu 25 000 dans le monde depuis cinquante ans. Cette alliance permet à la France et aux Américains de General Electric de constituer un leader mondial des moteurs d’avion.
Avec le Président de la République, nous avons donc affirmé que nous souhaitions former des alliances. M. Immelt, le président de General Electric, n’a pas répondu comme nous le souhaitions. La discussion commence, la négociation continue, et nous entendons défendre nos intérêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.
M. Sergio Coronado. Monsieur le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, Alstom est une entreprise reconnue mondialement dans les secteurs de l’énergie et des transports. Groupe intimement lié à l’histoire industrielle de notre pays, constructeur du TGV, fournisseur historique d’EDF et impliqué dans d’autres secteurs stratégiques, vivant en partie de la commande publique, Alstom est également une entreprise globale présente aux quatre coins du monde. Le 5 avril dernier, Alstom a livré le nouveau système de métro à Panama City. À Caracas, il participe au prolongement de la principale ligne du métro, comme il l’avait fait à São Paulo au Brésil.
Alstom connaît certes des difficultés, notamment une capitalisation boursière en baisse, une conjoncture morose et une absence de marges de manœuvre financières ; sa taille limite ses interventions sur le marché international. Mais la situation du groupe est loin d’être aussi périlleuse qu’en 2003. Le groupe a enregistré 800 millions d’euros de bénéfices sur les exercices 2012 et 2013, et a d’ores et déjà réalisé des investissements qui pourraient permettre son redressement.
Un député du groupe UMP. Grâce à Sarkozy !
M. Sergio Coronado. Sa situation est d’autant moins périlleuse qu’il intervient dans des secteurs en pleine expansion, comme la mobilité durable et les énergies renouvelables. Dès lors, quelle urgence y a-t-il à démembrer un groupe industriel qui emploie près de 95 000 personnes dans le monde et 18 000 en France, avec un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros ?
La question qui se pose aujourd’hui n’est pas tant celle du nom du repreneur d’Alstom que celle des perspectives industrielles du groupe et de ses salariés, dans un monde globalisé et concurrentiel. Le gouvernement n’a pas donné de réponse à cette question en 2004, alors même qu’il était en capacité de le faire grâce à la nationalisation partielle autorisée par la Commission européenne.
Monsieur le ministre, face au démantèlement de ce fleuron de notre industrie, quelle est vraiment la stratégie du Gouvernement ? Une nationalisation partielle et temporaire du groupe, en reprenant la part de l’actionnaire principal Bouygues, qui souhaite se désengager du capital et à qui l’État avait vendu ses parts, est-elle envisagée sérieusement ? Quels sont les moyens dont le Gouvernement dispose pour faire émerger à l’échelle européenne un géant de l’énergie et des transports ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Monsieur le député, il n’est pas écrit que le démantèlement d’Alstom serait salutaire pour cette belle entreprise ! Il n’est pas écrit que ce démantèlement, ce dépeçage, devrait se faire de surcroît au détriment de nos centres de décision !
M. Jacques Myard. Bravo !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Je n’ai pas envie que les vingt-cinq départements de France concernés par ce dossier et leurs députés viennent nous voir pour solliciter des investissements, à charge pour nous d’aller les demander dans le Connecticut ! Il n’est pas écrit cela.
M. Patrick Devedjian. Vous n’avez pas un sou !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Voilà pourquoi nous nous sommes battus pour avoir le choix entre au moins deux solutions de reprise. La proposition de Siemens, qui n’a pas la préférence d’Alstom aujourd’hui, a le mérite d’être sur la table et d’intéresser le Gouvernement. Pourquoi ? Parce que constituer une alliance européenne nous fournit des cordes de rappel. Lorsque Bosch désinvestit en France, lorsqu’Areva rencontre des problèmes en Allemagne, nous nous parlons, entre membres des deux gouvernements français et allemand !
Mme Claude Greff. Ah bon ?
M. Arnaud Montebourg, ministre. Ce n’est pas le cas avec le gouvernement américain, qui est fédéral, très éloigné des intérêts de ses entreprises et qui ne souhaite donc pas intervenir. Mais notre tradition, celle du capitalisme rhénan, du capitalisme français, du capitalisme européen, se caractérise par une coopération des entreprises avec les pouvoirs publics. Voilà pourquoi nous avons sollicité Siemens : nous lui avons demandé de faire une proposition qui corresponde aussi à nos intérêts industriels, humains, sociaux et économiques. À nous, maintenant, de nous positionner.
Monsieur le député, vous avez évoqué une troisième solution. Elle a été proposée par les syndicats et évoquée ce matin par certains parlementaires, issus de tous les bancs de cet hémicycle. Nous la mettons à l’étude, car rien n’est jamais écrit. Je ne suis pas un apôtre de la fatalité des marchés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Rudy Salles. Monsieur le Premier ministre, avoir entamé la réforme territoriale par un changement de mode de scrutin dans les départements était une erreur.
M. Jean-Pierre Vigier. Oui.
M. Rudy Salles. Cet aveu, c’est le vôtre, monsieur le Premier ministre. Hier, ici, devant la représentation nationale. Il était temps : enfin, vous reconnaissez vos erreurs, vos errements. Mais il vous aura fallu deux ans ! Deux ans durant lesquels nous n’avons cessé de vous alerter. Deux ans perdus pour nos territoires, qui sont les premières victimes de vos décisions.
Depuis 2012, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes livré à un véritable tripatouillage électoral…
M. Jean-Pierre Vigier. Très juste !
M. Rudy Salles. …en modifiant un à un non seulement les modes de scrutin mais aussi la carte des territoires et, cerise sur le gâteau, en reportant d’un an les élections régionales et cantonales.
Ce que nous attendons d’une réforme territoriale, c’est une véritable rénovation de notre démocratie locale. C’est aux territoires que nous devons donner des gages de confiance. Car, monsieur le Premier ministre, les territoires, c’est la croissance de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. Rudy Salles. Les territoires sont une chance pour notre démocratie. Aujourd’hui, monsieur le Premier ministre, vous voulez corriger vos erreurs en rayant d’un trait de plume toutes les décisions prises auparavant. Dont acte. Mais encore faut-il aller dans la bonne direction. Préconiser la suppression des départements en 2021 sans même préciser d’ailleurs à qui vous transférez leurs compétences,…
M. Jean-Pierre Vigier. En effet !
M. Rudy Salles. …diviser par deux le nombre de régions, ce n’est pas ce que nous appelons une réforme territoriale digne de ce nom.
Alors, monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin nous dire clairement quel est le projet politique du Gouvernement en matière territoriale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Charles de La Verpillière. C’est un one man show !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, il faut partir d’un constat que nous pouvons partager : la décentralisation engagée il y a plus de trente ans par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre a changé notre pays. Mais depuis se sont accumulées un certain nombre de strates qui apportent de la confusion…
M. Pierre Lellouche. Et des fonctionnaires en plus.
M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour les acteurs économiques et sociaux, mais surtout pour nos concitoyens. C’est cela qu’il faut changer. Changer le mode de scrutin était nécessaire car nous n’étions pas favorables au conseiller territorial. Il fallait un nouveau mode de scrutin pour les élections départementales, je l’ai présenté en tant que ministre de l’intérieur. Mais là n’est pas le sujet… (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Hier, j’ai dit qu’il fallait commencer par les réformes de structure et les questions de compétences.
M. Patrick Devedjian. Oui.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Cela a été fait en partie pour les métropoles et ce doit être poursuivi dans le texte que Mme Lebranchu présentera prochainement avec M. Vallini sur les compétences des régions, et notamment leurs pouvoirs économiques.
Ensuite, mettons-nous d’accord : si nous voulons à la fois réformer les structures du pays et celles de l’État et des collectivités territoriales…
M. Patrick Devedjian. Pour l’État, on ne voit rien.
M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme je le disais tout à l’heure, il faut des réformes profondes. Je l’ai annoncé à l’occasion du discours de politique générale. Vous êtes impatients, je peux le comprendre, mais un certain nombre de propositions seront faites.
Nous voulons nous appuyer sur le travail qui a déjà été mené par les sénateurs Raffarin et Krattinger pour ce qui concerne les régions et ouvrir le débat sur les conseils généraux et départementaux. C’est un débat qui traverse tous les groupes. Le président de l’UMP a eu l’occasion de se prononcer à ce sujet. Cela signifie que le débat est possible, qu’il y aura des oppositions mais que des consensus seront possibles. C’est là-dessus que nous travaillerons. Oui, vous avez raison, monsieur le député, les compétences doivent être claires : à chaque collectivité doit correspondre une compétence.
M. Patrick Devedjian. Vous aviez dit le contraire !
M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons supprimer la clause de compétence générale.
Au-delà des grandes réformes qui ont été portées par la gauche, ou par la droite avec Jean-Pierre Raffarin – la dernière d’importance étant celle qui concerne l’intercommunalité, qu’il faut renforcer – nous faisons tous le même constat. Avec ce constat indispensable et des propositions qui peuvent rassembler, le Gouvernement avancera. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Luc Chatel.
M. Luc Chatel. Monsieur le Premier ministre, vos artifices de communication ne changeront rien (Rires et « Ça lui va bien ! » sur les bancs du groupe SRC) : vous avez subi hier un revers sans précédent sous la Ve République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. S’il vous plaît.
M. Luc Chatel. Vous n’avez plus de majorité à l’Assemblée nationale puisque seuls 46 % des députés soutiennent aujourd’hui votre action. Ceux qui vous ont fait défaut hier, monsieur le Premier ministre, ce ne sont pas des députés communistes ou des députés écologistes, ils vous ont quitté depuis longtemps.
Mme Julie Sommaruga et Mme Brigitte Bourguignon. Et que se passe-t-il, à l’UMP ?
M. Luc Chatel. Ce sont quarante et un députés membres du groupe parlementaire du parti du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et plusieurs bancs du groupe UDI.)
Mes chers collègues socialistes, votre désarroi est compréhensible. Vous avez été élus sur le discours du Bourget, où François Hollande promettait la guerre à la finance. Vous devez justifier aujourd’hui dans vos circonscriptions le gel des pensions et le matraquage fiscal des classes moyennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Paul. Facilité !
M. Luc Chatel. Monsieur le Premier ministre, vous avez promis la vérité aux Français. Mais la vérité, concernant les retraites, c’est que vous préférez geler les pensions et donc faire baisser le pouvoir d’achat des retraités parce que vous avez abaissé l’âge de départ en retraite.
Mme Laure de La Raudière. Eh oui !
M. Luc Chatel. S’agissant des fonctionnaires, vous préférez moins les rémunérer, en gelant leur traitement, parce que vous voulez créer 60 000 postes supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Michel Vergnier. C’est vous qui avez détruit l’éducation nationale !
M. Bernard Roman et M. Michel Ménard. Absolument !
M. le président. S’il vous plaît ! Monsieur Roman, monsieur Durand, un peu de calme.
M. Luc Chatel. S’agissant des collectivités territoriales, vous demandez 11 milliards d’euros d’économies, mais vous envoyez immédiatement une facture d’un milliard pour les rythmes scolaires !
S’agissant d’Alstom, monsieur le Premier ministre, vous feignez d’organiser une solution européenne alors que derrière votre dos, le conseil d’administration d’Alstom a déjà choisi General Electric ! Enfin, s’agissant des finances publiques, vos 50 milliards d’euros ne sont pas des baisses de dépenses, mais des annulations ou des amoindrissements de hausses de dépenses… (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. Merci. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le ministre Chatel – car il est une époque où vous avez exercé de telles responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – vous connaissez bien la situation de la France. Vous savez que lorsque vous étiez ministre de l’éducation nationale, le point d’indice était gelé et les effectifs diminuaient.
M. Jean-Claude Perez. Fossoyeur de l’éducation nationale !
M. le président. M. Pérez…
M. Michel Sapin, ministre. Vous savez que la France doit relever un certain nombre de défis qui ne datent pas d’aujourd’hui, d’il y a deux ans ou d’il y a quatre ans, mais qui sont le résultat d’un processus continu de dégradation, depuis plus de dix ans, de la situation de notre économie. C’est de cela, monsieur le ministre, que je vous appelle à débattre avec le sérieux nécessaire.
M. Pascal Terrasse. Il faut faire preuve de responsabilité.
M. Michel Sapin, ministre. Certes, il y a des désaccords possibles. Il peut y avoir des points de vue différents, des propositions différentes. Mais devant la situation de la France, devant cette dégradation continue depuis dix ans, je pense que le mieux est d’éviter des querelles de caractère politicien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pascal Terrasse. Bien sûr !
M. Michel Sapin, ministre. Que s’est-il passé hier ? Le Parlement a adopté dans sa majorité un plan sur trois ans pour redonner à nos entreprises des capacités d’investissement et d’emploi. C’est une bonne chose pour la France. Il a confirmé sa position selon laquelle on ne peut pas vivre avec une dette qui ne cesse d’augmenter. Comme vous le savez, elle a fortement augmenté lorsque vous étiez ministre.
M. Patrick Devedjian. L’année dernière aussi.
M. Michel Sapin, ministre. Il faut donc stopper cette hausse et diminuer nos déficits. C’est cela que le Parlement a adopté clairement et fermement. Il a aussi adopté un plan d’économies, parce que nous ne voulons pas financer cet ensemble par des hausses d’impôt. Vous savez ce que sont les hausses d’impôt, il y en a eu de fortes lorsque vous étiez ministre.
M. Yves Fromion. Vous aussi.
M. Michel Sapin, ministre. Nous ne voulons pas procéder ainsi. Nous voulons procéder par des baisses de dépenses et par des économies. Voilà ce qui a été adopté hier dans la clarté, la sérénité, la sécurité et la visibilité. C’est ce que demandent les Français et ceux qui nous observent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Razzy Hammadi. Madame la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, nos quartiers populaires sont en première ligne dans la crise qui sévit. Le taux de chômage y est supérieur à la moyenne nationale, voire deux fois supérieur pour ce qui concerne les jeunes. Vous-même, madame la ministre, avez déploré dans la lettre que vous avez adressée récemment aux maires et aux préfets pour leur indiquer votre feuille de route que dans un département comme la Seine-Saint-Denis, le taux de scolarisation des enfants de deux-trois ans ne soit que de 1 % alors que la moyenne nationale est de 13 %.
Pourtant, nous n’avons pas ménagé nos efforts depuis deux ans : 20 % des emplois d’avenir ont bénéficié à ces quartiers, ce qui représente près de 15 000 emplois pour l’année 2013 ; 40 % de postes supplémentaires ont été consacrés à la scolarisation des deux-trois ans ; sur les 80 zones de sécurité prioritaires créées, 79 comprennent des quartiers relevant de la politique de la ville.
L’organisation de nos collectivités est au cœur de la réponse qu’il nous faut apporter à ce défi républicain et l’organisation budgétaire, en abondant de 420 millions le fonds de péréquation, a permis d’apporter une première réponse.
Toutefois, dans nos quartiers, on nous demande d’aller plus vite, d’agir plus fort, d’éviter l’émiettement des moyens, l’éparpillement de l’action, le saupoudrage des ressources. C’est le sens de votre feuille de route, qui s’inspire de la loi de programmation du 21 février 2014 ( « Allô ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) : contrats de ville uniques ; 1 300 quartiers prioritaires ; 5 milliards d’euros budgétés pour la période 2014-2020 pour les nouveaux programmes de rénovation urbaine ; conseils citoyens ; investissements d’avenir et mobilisation de la Caisse des dépôts et consignation au travers d’une enveloppe de 600 millions d’euros pour l’investissement économique et le développement de l’emploi, sans oublier la lutte contre les discriminations grâce à l’action de groupe.
M. Yves Fromion. Quelle est la question ?
M. Razzy Hammadi. Madame la ministre, nos quartiers ne demandent pas d’assistanat, ils demandent le droit à l’avenir et le droit à la réussite. Quelle réponse entendez-vous leur apporter ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur Hammadi, permettez-moi avant tout de rendre hommage à François Lamy pour l’action qu’il a menée ces deux dernières années. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Ces derniers jours, les observateurs ont souvent noté que je m’inscrivais dans la continuité de l’important travail qu’il avait engagé : cette continuité, je la revendique pleinement. Sur un sujet aussi sérieux que la politique de la ville, il faut en finir avec les à-coups, les coups de boutoir. Il nous faut mener un travail de fond, rigoureux, exemplaire.
Ce travail, j’entends le poursuivre et même aller plus loin et plus vite. Le périmètre un peu inédit de mon ministère en fait une unité de commandement à même de nous faire gagner du temps dans tous les domaines que vous avez évoqués. Il s’agit de concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin. À la fin du mois de mai, comme je l’ai indiqué hier, nous connaîtrons la liste des 1 300 quartiers prioritaires et nous engagerons la signature des contrats de ville avec l’État, les collectivités locales et les grandes entreprises que nous impliquerons dans ces territoires. Nous allons également très vite connaître les 200 quartiers qui bénéficieront de la rénovation urbaine et seront désenclavés, grâce notamment à des infrastructures de transport utiles, réhabilités et aménagés, le tout chaque fois en association avec les habitants.
Nous allons surtout agir pour l’emploi car c’est la priorité des habitants : avec la Caisse des dépôts, nous utiliserons 600 millions d’euros du programme d’investissement d’avenir, qui nous permettront de lever des investissements privés, afin de créer des équipements et des emplois dans ces quartiers.
Vous avez enfin évoqué la lutte contre les discriminations. Je sais que vous y êtes sensible, moi aussi. Mme Pécaut-Rivolier, magistrate, m’avait remis il y a quelques mois un rapport sur le sujet. Nous allons en discuter avec les partenaires sociaux et je compte bien avancer sur ce sujet, bien évidemment. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Olivier Marleix. Madame la ministre de l’écologie, depuis six mois l’Assemblée nationale a mis en place une mission d’information pour aider le Gouvernement à sortir du fiasco de l’écotaxe et tenter – je dis bien « tenter » ! – de trouver des solutions acceptables pour les entreprises, pour les transporteurs, pour les agriculteurs, dans une conjoncture économique fortement dégradée. Vous avez fait une entrée en matière tonitruante en proposant de tout remettre à plat. Mais pour l’instant, vous n’avez réussi qu’à ajouter de la confusion.
Confusion du fait des solutions que vous évoquez : l’euro-vignette aux frontières que vous suggérez en citant la Grande-Bretagne ne rapporterait que 27 millions d’euros alors que c’est 1,2 milliard qu’il vous faut trouver. Comme vous l’avez vous-même reconnu ce matin, sans cette ressource, il n’y aura pas d’infrastructures de transport nouvelles dans notre pays. Faire payer les sociétés d’autoroute ? Soit, mais si c’est au prix d’une hausse des péages, cela sera contre-productif puisque l’objectif de l’écotaxe est justement de ramener les camions sur l’autoroute.
Confusion aussi du fait de la violente critique que vous avez formulée ce matin à l’égard du système de répercussion de la taxe par les transporteurs, pourtant proposé et créé par votre propre secrétaire d’État, M. Cuvillier.
Confusion enfin quant au calendrier de décision du Gouvernement. Notre mission vous remettra ses conclusions dans quinze jours mais vous avez avoué ce matin que vous ne rendrez publique votre décision qu’après les élections européennes du 25 mai. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Tout cela sent l’enfumage ! Vous avez dit ce matin vouloir décider courageusement sans être influencée par les échéances électorales. Mais madame Royal, le courage, l’honnêteté oserai-je dire, c’est d’abord de dire aux électeurs ce que l’on veut faire avant les élections, pas après ! Les Français ont connu trop de mensonges depuis deux ans pour supporter de la part de votre gouvernement une manœuvre dilatoire supplémentaire.
Allez-vous oui ou non rétablir l’écotaxe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, je vous remercie de votre question qui me permet de répéter ici ce que j’ai dit ce matin devant la mission d’enquête de votre assemblée, présidée par Jean-Paul Chanteguet, qui effectue un travail remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je suis étonnée que vous caricaturiez ce travail. Mais il est vrai que vous êtes expert en matière d’écotaxe puisque c’est le gouvernement que vous souteniez qui a inventé ce dispositif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. Dominique Bussereau. Pas tout seul !
Mme Ségolène Royal, ministre. Si l’affaire était aussi simple que cela, la décision prise il y a déjà sept ans par ledit gouvernement serait peut-être déjà appliquée !
Nous héritons donc d’une situation difficile et nous tentons de remettre les choses à plat. Nous allons étudier les conclusions de la mission d’information de votre assemblée comme celles de la commission d’enquête du Sénat, dont le rapport sera remis le 25 mai. Le Gouvernement doit examiner les propositions faites avant d’arbitrer. Il ne peut donc se prononcer avant que les conclusions de ces travaux ne soient connues ! C’est si nous procédions ainsi que vous nous critiqueriez ! C’est donc après le 25 mai que nous prendrons notre décision, dans le respect dû à la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs des groupes écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Nicolas Sansu. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie. À la veille du débat sur la transition énergétique et alors que se déroulent en catimini des négociations sur le traité transatlantique, qui repose sur le démantèlement des règles sociales et environnementales, le groupe Alstom a brutalement décidé de céder une partie de sa branche énergie à une entreprise étrangère. Il a annoncé hier accueillir favorablement l’offre ferme de 12,35 milliards d’euros de General Electric. La rapidité, le secret, le mépris dans lequel ont été tenus les salariés, les syndicats, l’État et la représentation nationale illustrent les méthodes d’un capitalisme financier sans foi ni loi.
Au printemps 2004, pour sauver Alstom, l’État avait alors acquis 21 % du capital avant de revendre le tout à Bouygues, deux ans plus tard. La droite porte à l’évidence une lourde responsabilité dans la situation actuelle. L’État doit aujourd’hui prendre toutes ses responsabilités pour éviter le dépeçage de ce fleuron de l’industrie française. Alstom vit de la commande publique à travers les commandes de la SNCF, d’Areva, d’EDF ou bien des régions. Vous avez rappelé vous-même, monsieur le ministre, que le groupe fabrique les turbines des chaudières nucléaires d’EDF, notamment de l’EPR : il est donc un pilier essentiel de notre indépendance et de notre sécurité énergétiques.
Nous ne pouvons mettre en péril la maîtrise publique des choix opérés dans les secteurs clefs de l’énergie et des transports, en plein développement avec les nécessités de la transition écologique. Reprendre le contrôle du destin économique et industriel de notre pays est une absolue nécessité. L’État ne peut rester dans la posture de spectateur ou d’arbitre. Monsieur le ministre, il existe une troisième voie alternative à General Electric ou à Siemens : allez-vous décider de la seule mesure qui s’impose pour préserver la cohérence du groupe et de la politique énergétique de la France, l’augmentation de la participation de l’État au capital d’Alstom, au moins jusqu’à la minorité de blocage, par le fonds stratégique d’investissement, pour peser sur les décisions stratégiques futures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean-Luc Laurent. Très juste !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Monsieur le député Nicolas Sansu, je voudrais d’abord dire – je pourrais d’ailleurs le dire à chaque député dans cet hémicycle, quels que soient son banc ou sa sensibilité – que le Gouvernement souhaite travailler dans un esprit d’union nationale autour d’Alstom. C’est la raison pour laquelle j’ai reçu les cinq centrales syndicales à Bercy pour partager des informations avec elles. J’ai sollicité chacun des groupes de l’Assemblée pour que nous puissions partager les informations dont nous disposons et éventuellement nous mettre d’accord – ou pas – sur la stratégie qui maintenant s’ouvre à nous.
Nous avons gagné du temps : nous avons un mois devant nous. Nous avons, c’est vrai, deux solutions, dont une qui a la préférence d’Alstom. À nous de voir comment nous pouvons décider : soit les offres s’améliorent et nous donnent satisfaction, nous permettant de trouver un accord, un compromis qu’aujourd’hui General Electric ne nous a pas offert ; soit nous avons la solution Siemens, auquel cas nous devrons convaincre le management d’Alstom qui ne semble pas décidé à travailler avec Siemens ; soit il y a d’autres voies, que nous explorons. Je vous indique, monsieur le député, que nous les avons mises à l’étude, car nous ne sommes pas surpris par la nécessité pour Alstom de nouer des alliances au plan mondial et international. Il ne s’agit pas d’abandonner la souveraineté française sur Alstom : il s’agit de nouer des alliances égalitaires, puissantes. Elles peuvent être européennes, elles peuvent être aussi extra-européennes : nous avons notre idée sur le sujet. C’est une des raisons pour lesquelles, par anticipation des problèmes que nous connaissons, car nous n’aimons pas être pris par surprise, nous avons fait un travail, achevé dès le mois de février, sur ce sujet. Tout est sur la table et je souhaiterais partager avec vous ces informations. J’espère que nous pourrons prendre la décision ensemble dans l’intérêt de la nation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas à vous de prendre la décision, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Philippe Meunier. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères ; j’y associe ma collègue Valérie Boyer. En Syrie, des milliers d’islamistes procèdent actuellement à un nettoyage ethnique, religieux et culturel en attaquant le territoire de Kassab, territoire habité par des familles syriennes d’origine arménienne, rescapées du génocide de 1915 perpétré par la Turquie. Ces djihadistes commettent ces atrocités à l’encontre de la population civile en bénéficiant de soutiens provenant du territoire turc. Ces violents combats ont aussi pour conséquence de rendre le désarmement chimique de la Syrie plus difficile. En effet, situés à quelques kilomètres du port de Lattaquié, ils paralysent l’évacuation par la communauté internationale de ces armes non conventionnelles appartenant à l’armée syrienne.
Depuis trois ans, à Kassab, à Alep et dans de très nombreuses villes de ce pays, les minorités chrétiennes subissent le martyre. La Syrie ne compte plus les hommes égorgés, crucifiés et les femmes violées puis tuées par ces islamistes dont plusieurs centaines, nourris au sein même de notre République, sont partis de nos quartiers pour commettre leurs crimes.
Les députés UMP se sont opposés à une intervention de nos forces armées contre la Syrie, intervention armée souhaitée par François Hollande, qui n’aurait eu pour résultat que de servir les intérêts de cette internationale djihadiste (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe UMP.). Les faits nous ont donné raison. Aujourd’hui, il s’agit pour le Gouvernement d’assumer ses responsabilités au nom de la protection des minorités et de l’élimination des armes chimiques en Syrie. Ma question est donc simple et exige une réponse claire, monsieur le ministre : allez-vous demander à la Turquie de prendre les mesures nécessaires afin de mettre fin à la présence de ces bases islamistes sur son territoire, bases arrières qui permettent à ces criminels de commettre leurs atrocités et qui empêchent le bon déroulement du désarmement chimique de la Syrie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, sur la protection des minorités, je pense que nous sommes absolument d’accord : rien ne justifie, rien ne peut expliquer, rien ne peut excuser que des minorités, quelles qu’elles soient, soient massacrées comme elles le sont. Sur ce point, l’accord est total entre nous. De même, nous pouvons faire des démarches à l’égard des pays circumvoisins et nous le faisons : là encore, je vous en donne acte.
Cependant, je pense qu’il ne faut pas tout mélanger, notamment lorsque, à partir de cette demande parfaitement justifiée qui est la vôtre et que nous appuyons, vous laissez entendre que la politique menée par la France – comme par d’autres pays – serait contestable, en particulier lorsque vous dites – je ne crois pas me tromper, car cela m’a frappé en écoutant votre question –, que c’était une erreur de menacer la Syrie d’une intervention au moment où des armes chimiques étaient brandies.
M. Franck Gilard. C’était du bluff !
M. Laurent Fabius, ministre. Je ne partage pas votre sentiment : je pense que si, à ce moment-là, autour de la France, la Grande-Bretagne – qui n’a pas pu le faire pour les raisons que l’on sait – et les États-Unis d’Amérique étaient intervenus sur la base de ce que l’on a appelé les « lignes rouges », non seulement l’attitude du gouvernement de M. Bachar el-Assad aurait été différente, mais la crédibilité même des interventions occidentales, y compris par rapport à la Russie, aurait été différente. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je pense qu’à cette époque une erreur a été commise, qui ne dépend pas de la France.
M. Claude Goasguen. C’est ce que disent les djihadistes !
M. Laurent Fabius, ministre. Pour conclure, monsieur le député – quitte à continuer la conversation avec vous, j’en suis tout à fait d’accord –, on a malheureusement tendance, en France comme dans d’autres pays, parce qu’il y a la crise ukrainienne, parce qu’il y a d’autres crises, à oublier ce qui se passe en Syrie, ce qui est absolument dramatique. Jour après jour, il y a des dizaines et des dizaines de tués. Il va y avoir la parodie de l’élection de Bachar el-Assad : or un homme qui est responsable de la mort de cent cinquante mille personnes ne peut pas être l’avenir de son peuple ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Barbier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Frédéric Barbier. Madame la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, dans son discours de politique générale le Premier ministre a dessiné une ambition forte pour réformer l’organisation territoriale de la France. Les mesures qu’il a déclinées sont courageuses : diviser par deux le nombre de régions avant 2017, supprimer les conseils départementaux à l’horizon 2021, supprimer la clause de compétence générale et revoir la carte des intercommunalités d’ici à 2018.
Cette ambition, beaucoup d’élus en ont parlé, mais personne n’avait jusque-là eu le courage de la mettre en œuvre. Pourtant, cette réforme est réclamée depuis longtemps par nos concitoyens qui se perdent dans le désormais fameux millefeuille territorial.
Oui, la réforme de structure que nous portons améliorera la lisibilité et l’efficacité de l’action publique territoriale. Elle doit permettre de mieux faire vivre la démocratie locale et la proximité auxquelles nos concitoyens sont légitimement attachés. Elle est d’ailleurs indissociable de la réforme de l’État.
Madame la ministre, ce courage, cette volonté et cette ambition suscitent de l’intérêt chez nos concitoyens mais aussi, c’est évident, une forme d’inquiétude quant au devenir des grands services publics assumés par les collectivités territoriales.
Notre majorité n’envisage pas de revenir sur les missions assumées par les territoires car elles sont essentielles dans le monde rural comme dans nos villes.
Plus que jamais, les structures et l’organisation administratives doivent être au service des politiques publiques locales qui protègent les citoyens, qui accompagnent les territoires et qui concourent à la force de notre pays.
Madame la ministre, ma question est simple : quel calendrier et quelle méthode compte emprunter le Gouvernement pour réussir cette grande réforme territoriale qu’attendent les Français ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique. Monsieur Barbier, permettez-moi d’abord de vous remercier, au nom du gouvernement de Manuel Valls, pour le travail que vous avez conduit ces derniers mois, qui a nous a beaucoup apporté et nous a permis de progresser. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le Premier ministre l’a dit hier et a tenu à le rappeler tout à l’heure : il faut accélérer les réformes pour préparer l’avenir. L’objet de la grande réforme territoriale dans laquelle le Gouvernement est engagé répond à votre question. Il y a un cap ; il faut maintenant une méthode.
Le cap, vous l’avez rappelé : réduire le nombre de régions, renforcer l’intercommunalité – c’est le vœu de tous les parlementaires sur tous les bancs, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat –, supprimer les syndicats intercommunaux redondants, supprimer un échelon c’est-à-dire le conseil départemental. Pour ce faire, vous avez raison, il faut une méthode. Le Premier ministre a tenu à la présenter lui-même aux grandes associations d’élus et aux parlementaires. La méthode, c’est à la fois une concertation et un dialogue. Comment l’organiser ? Il faut d’abord s’adresser aux régions de France en leur disant qu’elles peuvent faire des propositions, mais il y a une date limite. Avec les commissions ad hoc tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, nous parlerons de redécoupage nécessaire si nous ne parvenons pas à une solution globale.
S’agissant de l’intercommunalité, vous avez tous demandé la mutualisation. Mais les fusions sont également nécessaires. S’agissant des syndicats intercommunaux dont je rappelle par exemple que leur budget d’investissement est de 17 milliards d’euros et leur budget de fonctionnement de 9 milliards d’euros, comment pourrons-nous inciter les intercommunalités à absorber un certain nombre de compétences ?
Concrètement, pour l’ensemble de ces questions, le Premier ministre a proposé qu’un groupe simple composé de l’exécutif, des représentants du Parlement et des grands représentants des associations d’élus, rappelle que nous sommes attachés au service public. Pour ce qui concerne la solidarité, les départements seront remplacés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Monsieur le Premier ministre, la peine de mort reste le symbole éhonté de la barbarie. La France, patrie des droits de l’Homme, s’est engagée, bien tard d’ailleurs, en 1981, dans l’abolition et le discours de Robert Badinter restera pour nous tous et pour toujours une référence.
La peine de mort continue d’être appliquée dans une grande démocratie, les États-Unis d’Amérique, et la mise à mort hier, en Oklahoma, s’est révélée être une torture aussi raffinée qu’insupportable, digne du supplice de la roue sous l’ancien régime.
Aujourd’hui, nous apprenons que 683 partisans de l’ancien président égyptien, M. Morsi, viennent d’être condamnés à mort. Ce procès de masse est l’un des plus grands procès de l’histoire contemporaine.
Le tribunal égyptien a empêché les avocats de la défense de seulement prendre la parole. Ce verdict immonde a été condamné par l’ONU, l’Union européenne et notre ministre des affaires étrangères, notre ami Laurent Fabius, qui a rappelé à cette occasion son opposition à la peine de mort. L’Égypte, qui exécutait rarement ses condamnés à mort, se prépare, selon Amnesty international, à rendre effectives ces condamnations.
La France doit s’engager résolument contre la peine de mort, aller au-delà des condamnations de principe. Elle doit devenir le symbole mondial de l’abolitionnisme. Elle doit lutter de toutes ses forces pour l’abolition universelle de la peine de mort. Est-ce bien la volonté du Gouvernement ? Quelles mesures compte-t-il prendre ?
Il serait particulièrement significatif, monsieur le Premier ministre, que vous vous rendiez en personne au mois de juin prochain à Madrid, à l’occasion du congrès mondial contre la peine de mort, avec une délégation de tous les groupes de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, s’agissant de la peine de mort, la position de la France c’est non ! C’est non partout, et quelles que soient les circonstances – et je pense que tous les groupes partagent cette position. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.) C’est un trait constant de la diplomatie française à travers la diversité des gouvernements.
Vous qui suivez cette question avec beaucoup d’attention et de passion, vous savez que nous menons toute une série d’actions en ce sens. En particulier, nous étions co-organisateurs, l’an dernier, du congrès de Madrid et, au début de chaque session de l’assemblée générale des Nations unies, nous sommes là pour rassembler autour de nous, du moins nous nous y attachons, le maximum de pays.
J’en viens à la situation en Égypte : 683 condamnations à mort viennent d’être prononcées. J’ai demandé à notre chargé d’affaires qui le fera cet après-midi même, de mener au Caire une démarche spécifique auprès du gouvernement égyptien pour lui dire que, quelles que soient les difficultés que nous connaissons et qui sont immenses, quelles que soient les oppositions qui ont existé, ce type de condamnations prononcées à l’abattage, si je puis dire, n’est absolument pas acceptable, ni là-bas ni dans aucun pays du monde. On ne construit pas la paix civile avec des exécutions de masse, fussent-elles prononcées par les tribunaux. On construit la paix par la réconciliation et cela vaut pour l’Égypte comme pour toutes les nations du monde. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Marc Le Fur. Ma question s’adresse à vous, monsieur le Premier ministre.
Par deux fois, vous vous êtes longuement exprimé à cette tribune.
M. Michel Vergnier. C’est normal !
M. Marc Le Fur. Vous avez tenu des propos très argumentés, très articulés. Ce qui est surprenant, c’est qu’un certain nombre de thèmes étaient complètement absents de vos propos. Je pense en particulier à quelques grands thèmes sociaux. Je pense à l’application de la loi de 2005 sur le handicap : vous n’en avez pas dit un mot, alors même que le calendrier de mise en œuvre de l’accessibilité est remis en cause par un projet de loi au Sénat. Alors que c’est aujourd’hui la Journée nationale de l’accessibilité, alors que les associations de handicapés sont très remontées contre ce projet !
M. Régis Juanico. Et vous, qu’avez-vous fait ?
M. Marc Le Fur. Pas un mot non plus sur les grands fléaux sanitaires : le cancer, la maladie d’Alzheimer, qui avaient jusqu’à présent mobilisé les chefs de gouvernement. Que va-t-il se passer ? Vous allez geler un certain nombre de dépenses sanitaires. Est-ce que ces grandes causes seront épargnées ?
M. François Sauvadet. Très bien !
M. Marc Le Fur. Et très peu de choses sur un sujet qui concerne nombre de nos concitoyens : l’autonomie et la dépendance. L’équation est simple. Un établissement coûte pour une personne âgée au mois 1 700 euros. Que fait la famille si la retraite ne représente que la moitié de cette somme, voire le tiers ? Chacun d’entre nous voit cela dans sa permanence.
Qu’est-ce qu’on fait, alors que, vous l’avez dit, les retraites vont être gelées ? Il est extrêmement surprenant qu’un Gouvernement qui se dit de gauche soit complètement absent de ces sujets sociaux qui préoccupent nos concitoyens. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Roman. Scandaleux !
M. Marc Le Fur. Monsieur le Premier ministre, j’attends là-dessus des précisions, des éléments de calendrier. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Je crois que vous avez manqué d’attention hier, en écoutant le Premier ministre, car il s’est prononcé sur les sujets que vous avez évoqués, en martelant l’exigence qui est la nôtre et que je suis heureuse de vous voir partager : conforter notre modèle social.
Nous sommes dans une période où nous avons besoin, pour l’attractivité de notre pays, de faire des économies, mais celles-ci ne sauraient se faire au détriment de la qualité de la prise en charge de nos concitoyens, de l’universalité de notre modèle social et de la qualité des réponses apportées.
M. Damien Abad. Il faut répondre un peu !
M. Marc Le Fur. Et l’accessibilité ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Vous posez des questions précises. Sur l’accessibilité a été voté au Sénat et sera présenté dans quelques jours à l’Assemblée nationale un projet de loi d’habilitation, défendu par Ségolène Neuville, qui va permettre d’inscrire dans le temps le principe absolument essentiel de la mise en place de mécanismes d’accessibilité dans les lieux publics. Mais, comme elle l’a dit elle-même, il faut savoir être réaliste. C’est d’ailleurs une demande des professionnels : il faut faire en sorte que le principe de l’accessibilité se décline avec la mise en œuvre des conditions concrètes de sa réalisation.
M. Damien Abad. Quels moyens financiers ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons, avec les associations, mis en place des agendas de l’accessibilité dans le temps. La loi en faveur de l’autonomie des personnes âgées, le Premier ministre l’a dit hier, arrivera au Parlement avant l’été. Cela nous permettra de discuter ensemble de cette grande avancée que vous avez longtemps évoquée sans rien réaliser. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Claude Greff. Oh ! ça va !
Mme Marisol Touraine, ministre. Elle va nous permettre de mettre en place un droit à l’autonomie pour l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Avi Assouly, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Avi Assouly. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
En décembre 2013, Bangui et de nombreuses autres localités étaient en proie à une violence inouïe. La République centrafricaine sombrait alors dans une situation qualifiée de « pré-génocidaire » par de nombreux observateurs internationaux.
Face au chaos, la France prit ses responsabilités en lançant l’opération Sangaris avec ses partenaires africains rassemblés dans la MISCA.
Par cet acte de grandeur et de courage, le Président de la République a pris une décision forte, une décision fidèle à ce qu’est la France, une décision fidèle à nos valeurs.
Depuis, les femmes et les hommes de nos armées sont engagés sur ce terrain difficile et périlleux. Sur tous les bancs de cette Assemblée, nous savons ce que nous devons à l’action et au dévouement de nos soldats au service de la patrie.
Monsieur le ministre, la situation en République centrafricaine demeure difficile, marquée par les tensions et la violence. Catherine Samba-Panza, la présidente, et son gouvernement œuvrent pour offrir un nouvel avenir à un peuple meurtri et déchiré par les confrontations sanglantes entre Séléka et anti-balaka.
Au début du mois d’avril, le Conseil de l’Union européenne a finalisé la constitution de l’Eufor-RCA : douze autres États-membres ainsi que la Géorgie ont décidé de rassembler leurs forces au service de la paix en Centrafrique. Cette initiative marque un progrès dans la capacité des Européens à intervenir militairement et politiquement sur la scène internationale.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quel sera l’impact de cette nouvelle force, qui sera définitivement déployée à la fin du mois de mai ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur Avi Assouly, je voudrais, avant de répondre, rendre hommage à celui qui pose la question, comme l’ont fait à l’instant vos collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vous m’interrogez sur la situation en Centrafrique. J’ai dit souvent que dans ce pays, où nous sommes intervenus à la demande de la communauté internationale et pour éviter ce qu’il faut bien appeler un risque de génocide, tout repose sur un triangle qui est d’ailleurs, malgré les circonstances différentes, le même qu’au Mali : il faut à la fois une action militaire et sécuritaire, une action démocratique et une action pour le développement ; et c’est seulement si les trois côtés du triangle sont réunis qu’on peut avancer.
S’agissant de la sécurité, la situation reste très difficile : entre ex-Séléka et anti-balaka, les affrontements sont constants. Les soldats français comme les soldats africains font un travail absolument magnifique.
Nous avons obtenu que les Nations-Unies envoient douze mille hommes au mois de septembre. D’ici là, il y aura une montée en régime. Les Européens nous ont rejoints. Je ne veux pas dissimuler les difficultés, qui existent, mais le travail fait permet d’avancer et, c’est le sens de votre question, de rendre hommage à nos forces.
C’est d’ailleurs là-dessus que je voudrais conclure, monsieur Assouly, en sachant que cette conclusion, vous la faites vôtre : je veux, mesdames et messieurs les députés, qu’il s’agisse de la Centrafrique, qu’il s’agisse du Mali, qu’il s’agisse de tous les terrains d’opération sur lesquels sont nos soldats, rendre hommage au courage et à la compétence dont ils font preuve. Ils sont l’honneur de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Lionel Tardy. Monsieur le président, ma question s’adresse au Premier ministre et porte sur la situation des taxis et des voitures de tourisme avec chauffeur, les VTC.
Monsieur le Premier ministre, il est grand temps qu’une réponse équilibrée soit trouvée pour régler le problème des taxis et des VTC, qui tourne régulièrement au conflit.
Lorsque vous étiez ministre de l’Intérieur, vous avez essayé de régler cette question par des mesurettes réglementaires sans cohérence.
Lorsque j’ai voulu soulever le débat ici même, dans le cadre du projet de loi sur la consommation, une fin de non-recevoir m’a été opposée.
Cette absence de vision gouvernementale a conduit votre prédécesseur à se délester du sujet et à confier une mission au député Thévenoud, qui a rendu son rapport la semaine dernière. Ce rapport a le mérite d’entrouvrir des pistes mais je crains qu’il n’apporte pas de solution durable.
En effet, il ajoute des contraintes, obligations et interdictions là où le secteur aurait plutôt besoin d’air, comme le montre le prix prohibitif des licences pour les taxis.
Vouloir interdire, par exemple, l’utilisation d’applications mobiles de géolocalisation aux VTC est un non-sens pour un Gouvernement qui prétend soutenir l’innovation. Je n’ose imaginer que vous retiendrez cette idée, car au XXIe siècle, interdire l’utilisation de technologies modernes dans le seul intérêt de préserver les acquis de certaines professions est une absurdité. Cela vaut également pour tous les textes que nous examinons. La technologie doit au contraire être accessible à tous et, notamment, bénéficier aux usagers des transports qui trop souvent se plaignent d’un manque d’information.
Monsieur le Premier ministre, quelles suites allez-vous donner à cette recommandation et aux autres ? Il ne s’agit pas de vous en remettre au Parlement et aux parlementaires lorsque cela vous arrange. Il appartient désormais au Gouvernement de trancher et de trouver une solution durable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique.
M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. Monsieur le député Lionel Tardy, les questions qui se posent sur les taxis, en France et, notamment, à Paris et en région parisienne, se posent encore plus durement dans d’autres capitales européennes. À Berlin, à Bruxelles, le débat fait rage, les décisions des tribunaux interviennent de façon très rigoureuse.
En ce qui me concerne, après avoir rendu hommage au rapport de M. le député Thomas Thévenoud, je puis vous assurer qu’il s’agit là d’un sujet difficile sur lequel nous devons trouver une formule d’équilibre pour des gens qui travaillent dur dans les taxis et qui ont chèrement payé pour avoir le droit de travailler. Vous parlez d’« acquis » : c’est le droit de travailler qui leur a coûté si cher ! Cela mérite d’être entendu et respecté.
Il existe aussi des compagnies innovantes qui utilisent les technologies numériques, auxquelles nous devons faire une place.
L’autre travail que nous devons accomplir, c’est donc la recherche de l’équilibre et c’est cela qui m’animera après le dépôt du rapport Thévenoud.
Nous en reparlerons ensemble mais, ne vous inquiétez pas, monsieur le député : le Gouvernement prendra ses hautes responsabilités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la justice, garde des Sceaux.
Ils sont au côté des magistrats qui, sans eux, ne peuvent siéger ni rendre la justice. Sans leur présence, les avocats, les huissiers et autres auxiliaires de justice ne pourraient pas exercer les missions que la loi leur confère pour la mise en œuvre des droits de chacun.
Sans leur présence, les justiciables ne seraient pas accueillis dans les juridictions et, plus particulièrement, dans celles qui exercent des compétences de proximité au plus près de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Ce sont leur compétence, leur professionnalisme, leur sens du service public, leur dévouement qui font que la justice, au-delà de ses difficultés institutionnelles, budgétaires et réglementaires, peut continuer à assumer effectivement ses responsabilités pour notre démocratie et notre État de droit.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, j’évoque les personnels des greffes de nos tribunaux.
Depuis plusieurs semaines, ils font part collectivement et publiquement – ce qui est inédit pour un corps de fonctionnaires singulièrement discret et peu enclin aux tumultes – de revendications sur leur place dans l’institution judiciaire, leurs conditions de travail dégradées, leur statut professionnel, leur rémunération, toutes choses dont ils considèrent qu’elles ont été les grandes oubliées parmi l’ensemble des évolutions que la justice a connues ces dernières années.
Au-delà de ces demandes, qu’il ne faut surtout pas considérer comme corporatistes, c’est un mal-être très sérieux, un manque de reconnaissance chronique et un sentiment d’injustice qu’ils traduisent en se considérant trop souvent comme confinés à une place subordonnée et accessoire.
Dans la loi de finances pour 2014, vous avez engagé des démarches de revalorisation des catégories les plus modestes de ces fonctionnaires et des actions volontaires de recrutement pour en augmenter les effectifs. Dans le cadre du grand chantier sur la justice du XXIe siècle, vous avez indiqué les progrès qui devront être accomplis en direction et en soutien de ces personnels.
Madame la ministre, pourriez-vous préciser l’état actuel de ces discussions et, bien au-delà, le sens de l’action que vous entendez conduire pour préserver la place que ces fonctionnaires doivent occuper, leur conférer la reconnaissance à laquelle ils ont droit, reconnaître le mérite qu’inspire leur travail et l’estime dans laquelle nous devons continuer à les tenir ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Jean-Yves Le Bouillonnec, je veux d’abord saluer la constance avec laquelle vous-même et d’autres parlementaires vous préoccupez de la situation des fonctionnaires de justice, des magistrats, mais aussi des greffiers et des fonctionnaires de catégorie C, de leur situation matérielle et de leurs conditions de travail.
Le corps des greffiers en chef et des greffiers n’a effectivement pas été statutairement revalorisé depuis une dizaine d’années. Près de la moitié, 42 % exactement, plafonne aujourd’hui au dernier échelon sans aucune perspective d’amélioration de leur rémunération.
Nous avons bien entendu décidé de considérer leur situation parce qu’ils sont essentiels au fonctionnement de nos juridictions. Ce sont des techniciens de la procédure, ce sont eux qui permettent de l’authentifier et, donc, de sécuriser juridiquement les décisions.
Vous vous souvenez que, dès la présentation de notre premier budget, nous avons fait part de nos préoccupations quant à leur situation. Nous avons travaillé avec le ministère de la fonction publique et le ministère du budget de façon à pouvoir, dès le 11 avril, commencer des discussions avec les représentants syndicaux.
Dans le cadre de la réforme de l’organisation judiciaire et du fonctionnement des juridictions, malgré une situation financière contrainte, nous sommes en mesure de proposer une évolution substantielle de la grille indiciaire. Nous avons ainsi proposé aux organisations syndicales un niveau bien supérieur à celui qu’ils ont connu en 2009. Cela correspond, au terme d’une carrière, à environ 140 euros de plus par mois et à 220 euros pour ceux qui assument de hautes responsabilités.
La situation s’améliore, mais cela traduit simplement la reconnaissance des mérites de ces fonctionnaires exceptionnels.
Reste la situation des adjoints administratifs et des fonctionnaires de catégorie C…
M. le président. Je vous remercie.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …avec les représentants syndicaux desquels nous travaillons également. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Mes chers collègues, au terme de cette séance de questions, je voudrais saluer en votre nom nos collègues dont la mission se termine : Avi Assouly, Frédéric Barbier, Florence Delaunay, Vincent Feltesse, Jean-Pierre Fougerat, Jérôme Guedj, Danièle Hoffman-Rispal, Franck Montaugé, Sylvie Pichot et Hélène Vainqueur-Christophe.
Qu’ils soient tous remerciés pour ce qu’ils ont apporté à nos travaux. (Mmes et MM. les députés des groupes GRD, SRC, écologisteRRDP se lèvent et applaudissent ; Mmes et MM. les députés des groupes UMP et UDI applaudissent.)
Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)
Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté (nos 1718, 1832).
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis cet après-midi pour examiner une proposition de loi qui nous vient du Sénat et dont l’auteure est Catherine Tasca. Je tiens d’emblée à remercier Mme Laurence Dumont, votre rapporteure, dont le travail a considérablement amélioré et enrichi ce texte.
Le but est de consolider et de renforcer l’autorité administrative indépendante que constitue le contrôleur général des lieux de privation de liberté, créé par la loi d’octobre 2007. Pour se faire, la proposition de loi s’est appuyée sur le bilan du premier contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel il nous est agréable de rendre hommage, à quelques mois de la fin de son mandat –mandat unique, rappelons-le. Par son travail de très grande qualité, M. Jean-Marie Delarue a donné une envergure considérable à cette belle et haute fonction.
Le ministère de la justice a naturellement été, depuis maintenant un peu moins de deux ans, extrêmement attentif à ses observations. Nous avons noué avec lui un dialogue fécond et bénéficié de la diligence avec laquelle il a visité les lieux de privation de liberté et produit ses observations. Certaines d’entre elles, faites verbalement, ont été prises en compte par l’administration pénitentiaire avant même que le rapport écrit ne soit publié. Nous avons entretenu ce dialogue en l’informant régulièrement des dispositions que nous prenions. Nous pouvons même nous vanter d’avoir parfois corrigé des appréciations contenues dans certains rapports – je pense notamment à un rapport de novembre 2013 relatif aux fouilles, encadrées par l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009.
Il est à noter que la création de cette autorité administrative indépendante s’est inscrite dans la continuité d’une dynamique engagée dans les années 1980, à l’initiative notamment du garde des sceaux et ministre de la justice Robert Badinter, à qui l’on doit, entre autres choses, la suppression des dispositifs de séparation dans les parloirs. Jusqu’en 1983, souvenons-nous, lorsque les familles rendaient visite aux personnes détenues, un dispositif de séparation leur interdisait tout contact. Or il est essentiel de maintenir les liens familiaux pour préparer la réinsertion, car si l’enfermement et l’incarcération sont synonymes de retrait de la société, ils doivent aussi, paradoxalement, préparer à la réinsertion, et donc à un retour dans la société. Toutes les dispositions doivent donc être prises, durant le temps de l’incarcération, pour maintenir une vie sociale à l’intérieur même de cet univers clos – même si cette vie sociale n’a rien de commun avec une vie sociale normale –, mais aussi pour entretenir des liens avec l’extérieur : les liens familiaux, ainsi que certains liens sociaux, assurés notamment par les visiteurs de prison, mais également par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, par les parlementaires qui peuvent se rendre dans les établissements pénitentiaires, ou par les associations qui interviennent dans divers domaines, comme la lecture par exemple. Il est nécessaire de créer une vie sociale à l’intérieur de l’univers clos de la prison, mais aussi d’entretenir des relations avec l’extérieur, de façon à ce que le retour dans la société se fasse avec le moins de heurts possible.
Cette dynamique s’est poursuivie par la suite, et à l’attention portée au maintien des liens familiaux s’est ajoutée l’entrée dans les établissements pénitentiaires de contrôleurs spécialement attachés à ces établissements, mais aussi de contrôleurs externes. Outre l’inspection des services pénitentiaires, l’autorité judiciaire peut également se rendre à tout moment dans les établissements pénitentiaires, tout comme le préfet, ou encore un représentant de la commission d’accès aux documents administratifs, de la CNIL ou de l’inspection du travail. Il est indispensable de rappeler que la prison est une institution républicaine : à ce titre, elle doit respecter des règles de droit, sous le contrôle de celles et ceux à qui la loi en donne mission.
Il importe à ce sujet de souligner le rôle du tribunal et du juge administratifs qui, depuis le milieu des années 1990, ont sensiblement réduit le champ de ce que l’on appelle le contrôle intérieur, c’est-à-dire la possibilité pour l’autorité pénitentiaire de décider de toute une série de dispositions à appliquer au sein de l’univers carcéral. Le juge administratif s’y immisce de plus en plus : il intervient par exemple dans des décisions de transfert et d’affectation, ou encore lorsqu’un détenu est placé sous une surveillance renforcée. En clair, nous sommes dans la droite ligne de la dynamique enclenchée dans les années 1980, et qui consiste à reconnaître que le détenu qui subit une privation de liberté à la suite d’une décision de justice ne doit pas être privé de ses autres droits, et notamment de ses droits civiques et sociaux. La loi de 1994, par exemple, qui lui a apporté une protection sociale, a ainsi consolidé ses droits sociaux.
La création du contrôleur général des lieux de privation de liberté va d’ailleurs au-delà des engagements qu’a pris la France lorsqu’elle a ratifié le protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants de 2006. La loi de 2007 va plus loin, puisqu’elle confie au contrôleur général non seulement la surveillance et le contrôle de ces éventuelles pratiques, mais également la vérification du respect des droits fondamentaux des détenus. Le contrôleur général des lieux de liberté a été conçu, au fil des années, sur la base d’une série de travaux de très grande qualité, qu’il s’agisse de textes d’origine parlementaire, émanant aussi bien du Sénat que de l’Assemblée – à l’Assemblée, ce fut le rapport de MM. Louis Mermaz et Jacques Floch, d’une proposition de loi, du rapport de Guy Canivet, ou encore de l’ouvrage du docteur Véronique Vasseur, qui a eu un grand retentissement. Tous ces travaux ont contribué à penser la nécessaire introduction d’un contrôle des lieux de privation de liberté.
Conformément aux dispositions prévues par la loi d’octobre 2007, M. Delarue a eu la possibilité d’émettre des recommandations, y compris des recommandations d’urgence dans les cas les plus graves, mais aussi des avis thématiques, ce qu’il a fait sur des sujets aussi divers que la situation des mineurs, le droit de communiquer par téléphone ou l’accès aux lieux de culte. Ces avis n’ont pas de caractère comminatoire, mais ils alimentent la réflexion du ministère de la justice et de l’administration pénitentiaire et nous permettent d’améliorer les choses. Le contrôleur général rédige également un rapport annuel, dans lequel il fait des préconisations, auxquelles nous accordons la plus grande attention.
Je ne passerai pas en revue l’ensemble de ces recommandations, même si certaines d’entre elles sont extrêmement importantes et ont donné lieu à des actions d’envergure de la part du ministère de la justice. Ce que je veux dire en tout cas, c’est qu’à chaque fois que nous sommes interpellés par le contrôleur général, nous prenons très au sérieux ses observations, au point de lui faire des réponses extrêmement circonstanciées et précises – parfois même trop longues… Par ailleurs, nous mobilisons très volontiers l’inspection des services judiciaires et surtout, nous assurons un suivi, tant des recommandations que de la mise en œuvre des dispositions que nous prenons pour corriger les dysfonctionnements signalés. Il est même arrivé que je saisisse le parquet, lorsque les observations du contrôleur général laissaient supposer que certaines actions pouvaient relever d’une incrimination.
Cela étant, quand bien même nous assurons ce suivi de façon continue, il est évident que le fonctionnement du dispositif, tel qu’il avait été prévu, mérite d’être amélioré. C’est d’ailleurs sur la base des suggestions du contrôleur général – qui constituent un matériau de grande qualité, je l’ai dit – que la proposition de loi du Sénat a introduit un certain nombre de dispositions nouvelles que Mme la rapporteure a encore améliorées. Ainsi, le texte permettra aux députés européens de saisir le contrôleur général, comme peuvent déjà le faire les parlementaires nationaux. Vous avez par ailleurs, madame la rapporteure, attribué des prérogatives supplémentaires au contrôleur général : en plus des procès-verbaux de garde à vue, auxquels il avait déjà accès, vous lui permettez d’avoir communication des procès-verbaux d’autres lieux de privation de liberté, à la suite de décisions de police, de gendarmerie ou de douane.
Si l’on ajoute à cela d’autres dispositions importantes que vous avez introduites, on peut être certain que, quelle que soit la personne qui sera nommée contrôleur général des lieux de privation de liberté, son mandat sera l’occasion d’approfondir et de consolider ce qui a été entrepris sous la vigilance de M. Delarue, mais aussi de faire en sorte que nos établissements pénitentiaires se rapprochent de plus en plus des normes européennes, qui ont très fortement inspiré la loi pénitentiaire de 2009. Celle-ci a affirmé un certain nombre de principes, notamment la préservation des droits fondamentaux, mais aussi des interdits, comme les fouilles systématiques – j’ai déjà fait référence à l’article 57, qui pose des problèmes importants et constitue un sujet de tension dans nos établissements pénitentiaires.
En effet, pendant de nombreuses années après l’adoption de la loi pénitentiaire, les personnels ont eu besoin de continuer à pratiquer les fouilles, car les moyens techniques qui étaient nécessaires à l’application de l’article 57 n’avaient pas été mis en œuvre. Du coup, les personnels ont souvent été contraints, pour assurer la sécurité dans les établissements, de procéder à des fouilles. Or la loi est faite pour être respectée : une fois adoptée par le Parlement, elle s’impose à tous les usagers et à l’ensemble de la société. Or, je le répète, il est souvent arrivé que les personnels soient obligés de s’affranchir de ces obligations légales, ce qui a abouti à des condamnations de l’État et précisément du ministère de la justice pour non-respect de la loi pénitentiaire.
Nous avons donc, dès l’année dernière, pris des dispositions pour rendre possible le respect de l’article 57. J’ai ainsi adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires de 33 millions d’euros afin de renforcer les dispositifs de lutte contre les projections, d’équiper vingt maisons centrales et maisons d’arrêt qui accueillent les détenus au profil sensible de portiques à ondes millimétriques, encore appelés scanners corporels, et d’installer des portiques à masse métallique dans les zones sensibles de tous les établissements. Tous ces dispositifs de sécurité passive permettront aux personnels de nos établissements pénitentiaires, qui travaillent souvent dans des conditions extrêmement difficiles, d’assurer le travail de sécurité active, c’est-à-dire de maîtriser tous ces équipements physiques et technologiques et d’assurer la sécurité à l’intérieur de nos établissements.
Reste que la sécurité n’est pas une fin en soi et que l’organisation de la journée des personnes détenues à l’intérieur de nos établissements est un sujet extrêmement important. La possibilité d’assurer des activités, de la formation professionnelle, le fait de permettre aux détenus de préparer des projets pour la sortie et de les accompagner lors de cette sortie, autant de questions qui concernent très directement la réinsertion et la prévention de la récidive ; nous aurons l’opportunité d’y revenir dans quelque temps.
Le travail du contrôleur général des lieux de privation de liberté doit être salué. M. Delarue, a toutes les raisons d’être extrêmement fier de la tâche qu’il a accomplie.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a produit un travail d’une grande densité, d’une grande exigence, il a été sans complaisance, ce qui a évidemment été utile à la société même si, en première ligne, il y avait essentiellement le ministère de la justice : je n’ai pas de mots pour le remercier.
J’en trouverai tout de même quelques-uns, madame la rapporteure, pour vous remercier du travail de très grande qualité que vous avez effectué. Je suis très heureuse que nous puissions par ce texte rentre hommage, avant qu’il ne parte, au travail de Jean-Marie Delarue, tenir compte des propositions qu’il a faites, les traduire en prérogatives nouvelles et faire en sorte d’améliorer les conditions d’incarcération.
Le monde de la détention disposera ainsi d’un droit modernisé. Les contrôles effectués depuis la loi Guigou de 2000 par les parlementaires, ceux du contrôleur général des lieux de privation de liberté, les décisions judiciaires et administratives qui ont parfois contraint l’administration à faire mieux, tout cela ne doit bien entendu pas occulter le travail au quotidien effectué par l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire aussi bien les personnels dans les établissements pénitentiaires que l’administration elle-même qui accompagne toutes ces dispositions.
Nous allons débattre point par point tout à l’heure des améliorations qui sont proposées. Je pense que le texte est bien abouti et, en toute logique, il devrait être promulgué avant juin 2014, échéance du mandat actuel, ce qui permettra de reconnaître le travail de très grande qualité qu’a effectué M. Delarue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Laurence Dumont, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. « Personne ne conteste au corps social le droit d’hospitaliser des malades en souffrance mentale qui ne sont pas en état de consentir aux soins ni celui » « de rechercher les auteurs d’infraction pour les identifier les juger et, le cas échéant, les condamner. » « Mais personne ne devrait contester davantage, que ce malade, cet auteur d’infraction ou encore cet étranger en situation irrégulière, ce jeune délinquant…, bref, tous ceux qui ont un motif d’être privé de leur liberté, pour une durée brève ou longue, dispose de droits fondamentaux. Son être ne se définit pas seulement par la maladie ou l’infraction, si dramatique soit-elle. Mais aussi par ces droits-là. Certains sont intangibles. Aucune circonstance ne peut en priver l’être humain : ainsi du droit à la vie, ou de celui de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant. D’autres, comme le droit à la libre expression ou celui du respect de la vie privée, doivent trouver leur équilibre avec les nécessités de la sécurité, de la santé publique, des droits d’autrui. Mais aucun ne peut jamais disparaître. »
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce propos introductif du rapport d’activité 2013 du contrôleur général des lieux de privation de liberté résume à lui seul le cœur et le sens de cette institution, créée pour contrôler le respect de la dignité de ceux dont la liberté d’aller et venir est entravée.
La création de cette institution en 2007 a été saluée comme une avancée. Aujourd’hui, le contrôle général des lieux de privation de liberté fait l’unanimité. L’ensemble des personnes auditionnées, qu’elles viennent de la pénitentiaire, des centres éducatifs fermés, des établissements psychiatriques, de la police, de la gendarmerie ou s’occupent des étrangers, considèrent que l’action du contrôleur est fondamentale et son rôle déterminant pour l’amélioration des conditions de privation de liberté.
Vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, la personnalité, la compétence et l’éthique professionnelle de Jean-Marie Delarue sont pour beaucoup dans ces appréciations très positives, ainsi que les méthodes de travail et de concertation qu’il a initiées depuis sa nomination en juin 2008. Elles ont permis d’asseoir cette institution, de la rendre effectivement incontournable et indépendante, éloignant ainsi le risque de la voir intégrée à d’autres autorités. Enfin, le lien que Jean-Marie Delarue a toujours établi entre les conditions de vie des personnes privées de liberté et les conditions de travail des personnels a permis à son action et à ses observations d’être globalement bien acceptées par les personnels.
Pour toutes ces raisons, et à la veille de son départ, je souhaite lui rendre un hommage appuyé, comme vous l’avez fait, de même que tous ceux que nous avons entendus en audition. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
M. Guillaume Larrivé. C’est un hommage à Sarkozy, qui l’a nommé !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Franchement, c’est petit !
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Les six années d’existence de cette institution ont permis la mise en œuvre d’un contrôle important. En effet, fin 2013, 800 lieux de privation de liberté auront été visités sur les 5 000 existants que sont les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue et de rétention douanière, les dépôts des tribunaux, les centres et lieux de rétention administrative ou les zones d’attente, les établissements de soins psychiatriques sans consentement et les centres éducatifs fermés.
Par ailleurs, en vertu d’une doctrine qu’il a mise en place, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a répondu à un nombre croissant de saisines individuelles, qui est passé de 190 en 2008 à plus de 4 000 l’année dernière. Surtout, grâce aux nombreuses visites que le contrôleur a effectuées dans les lieux privatifs de liberté et aux avis et observations qui ont été émis à l’issue de ces visites, le fonctionnement de ces lieux a pu être amélioré sur un certain nombre de points.
Néanmoins, toutes ces démarches ont aussi mis à jour la nécessité de réviser le texte fondateur du contrôleur pour permettre un contrôle plus complet et plus efficace des lieux de privation de liberté. En effet, si, de façon générale, les contrôles se passent sans encombre, avec une participation entière des personnes ou services sollicités, quelques initiatives individuelles mais manifestement répétées sont de nature à les freiner, voire à les rendre inopérants. Ces initiatives, si peu nombreuses soient-elles, ne doivent pas être tolérées, et le contrôle des lieux de privation de liberté ne doit pas être entravé.
M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Aussi, confirmant implicitement l’autonomie du contrôleur général des lieux de privation de liberté, le texte que nous examinons cet après-midi – et je veux à cette occasion saluer le travail remarquable de la rapporteure au Sénat, Catherine Tasca –, tire les leçons de l’expérience du contrôle au cours de ses six années d’existence.
Les mesures de la proposition de loi, approuvées et enrichies par notre commission, poursuivent cinq objectifs pour renforcer l’efficacité de son action. Ces évolutions étaient souhaitées par le contrôleur et la lecture de son rapport d’activité 2013 confirme leur nécessité.
Premier objectif : la clarification et l’affirmation des pratiques qu’il a mises en œuvre.
À côté des visites de contrôle, le contrôleur réalise également des enquêtes portant sur des faits particuliers dont il a pu être informé. Dans le silence de la loi de 2007, il a mis en place une procédure pour le traitement de ces saisines comprenant des visites dans les établissements et des entretiens. L’article 1er donne une consécration législative aux pratiques développées par le contrôleur. Il garantit par ailleurs qu’il a les mêmes prérogatives dans le cadre des visites de contrôle et des enquêtes.
Deuxième objectif : l’amélioration des moyens d’investigation et de contrôle pour les enquêtes et les visites.
On élargit le champ des informations susceptibles d’être recueillies et des personnes pouvant être sollicitées par le contrôleur. Ainsi, la proposition de loi donne au contrôleur la possibilité d’entendre toute personne susceptible de l’éclairer et de recueillir toute information qui lui paraît utile. Il est autorisé à collecter des informations auprès d’autres personnes que les autorités responsables du lieu visité.
La proposition de loi lui permet ensuite d’accéder aux procès-verbaux de garde à vue ou de retenue subie dans un local de police, de gendarmerie ou de douane dès lors qu’ils ne portent pas sur des auditions de personnes. Cette extension proposée par la commission des lois permet l’obtention de l’ensemble des procès-verbaux, hors ceux qui sont relatifs aux auditions. Enfin, la proposition de loi prévoit la possibilité pour les contrôleurs ayant la qualité de médecin d’accéder à des données couvertes par le secret médical. Cet accès au secret médical, encadré, constitue, de l’avis du contrôleur général, confirmé par de nombreuses personnes auditionnées, un élément déterminant du contrôle comme le démontre sa recommandation en urgence publiée le 24 avril dernier.
Troisième objectif : l’amélioration des conditions du dialogue entre le contrôleur et les autorités compétentes.
L’article 3 a pour objet d’améliorer les conditions du dialogue s’instaurant après une visite entre le contrôleur et les autorités compétentes. Il prévoit à cet effet que le contrôleur devra tenir compte dans ses observations de l’évolution de la situation depuis sa visite. Cette obligation d’actualisation des constats permettra, dans les cas où le délai entre la visite et la transmission des observations aura été relativement long, que les éléments portés à la connaissance des ministres correspondent à la situation actuelle. La réponse des ministres intéressés aux observations du contrôleur devient une obligation, sauf, bien sûr, dans les cas où celui-ci les en dispenserait, et le contrôleur peut fixer un délai maximal pour la transmission de cette réponse. Enfin, le procureur de la République, lorsqu’il aura été informé par le contrôleur de faits pouvant constituer une infraction pénale, et l’autorité disciplinaire lorsque le contrôleur l’aura saisie de faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires, devront informer le contrôleur des suites données à ses démarches.
L’article 4 rend systématique la publication des avis, recommandations et propositions que formule le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s’agit ici de consacrer dans la loi la publication systématique mise en œuvre par l’actuel contrôleur.
Enfin, un amendement de la commission crée la possibilité pour le contrôleur général de formuler des avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté. Sa connaissance de ces lieux est en effet de nature à lui permettre d’émettre des recommandations éclairées sur des projets et d’avoir peut-être un rôle de prévention en la matière.
Mes chers collègues, Jean-Marie Delarue a souvent souligné que la coopération des responsables des lieux privatifs de liberté visités et des ministères concernés était globalement très satisfaisante. Néanmoins, certaines situations de refus de communication ont pu apparaître sans qu’il dispose de moyens efficaces pour faire cesser les résistances injustifiées. L’article 5 répond à cette situation en donnant au contrôleur la faculté de mettre en demeure les personnes concernées par un contrôle de répondre à ses demandes de documents, dans un délai qu’il fixera.
L’article 6 crée un délit d’entrave à l’action du contrôleur destiné à dissuader les autorités responsables des lieux visités de faire obstacle au contrôle. La recommandation du contrôleur du 24 avril dernier concernant la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone illustre malheureusement les difficultés rencontrées parfois et les entraves qui peuvent exister. Cette mesure de dissuasion nécessaire était initialement punie d’une peine d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros. La commission propose de ne maintenir que l’amende, la peine d’emprisonnement pouvant apparaître disproportionnée.
Quatrième objectif : la protection des interlocuteurs du contrôleur. On inscrit dans la loi l’interdiction de sanctionner une personne ou de lui faire subir un préjudice du seul fait des liens qu’elle a établis avec le contrôleur.
Cinquième objectif : la mise en conformité de notre droit avec le droit européen –– nous y reviendrons au cours de la discussion des amendements.
Enfin, un amendement de M. Coronado et de M. Molac vient utilement étendre aux députés européens résidant en France la possibilité de saisir le contrôleur. Nous réparons ici un oubli initial du texte.
M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !
Mme Laurence Dumont. Chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui d’adopter ce texte qui conforte l’action du contrôleur, clarifie les modalités de son action et protège ses interlocuteurs. Il est nécessaire à la pérennité et à l’effectivité du contrôle. Par ailleurs, la faculté pour les parlementaires de visiter à tout moment les lieux de privation de liberté devrait nous permettre de signaler au contrôleur les situations pouvant justifier une intervention de sa part. À nous de nous saisir de ce droit de visite, dont nous sommes parmi les seuls à disposer. À nous aussi, dans le cadre de notre pouvoir de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, d’accompagner ce contrôle et surtout d’en vérifier les suites. Je ne doute pas de notre volonté collective sur ce point, comme de notre vote sur ce texte aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, chers collègues, voilà presque sept ans qu’a été débattu dans cet hémicycle, sous la responsabilité de Philippe Houillon, le projet de loi visant à créer un contrôleur général des lieux de privation de liberté. La première lecture avait eu lieu le 25 septembre 2007, et le groupe auquel j’appartenais avait fait le choix de ne pas adopter ce texte.
M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, et particulièrement l’orateur qui s’exprime en ce moment !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Un certain nombre d’inquiétudes nous avaient en effet convaincus de la nécessité de cette abstention. J’avais eu l’honneur, en début de séance, de défendre au nom de mon groupe une motion de renvoi en commission. Par cohérence, mais aussi par curiosité, je l’ai relue ce week-end, pour voir si les remarques que nous avions avancées à l’époque étaient suffisamment pertinentes pour justifier notre abstention.
M. Jean-Frédéric Poisson. Et alors ?
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Et alors c’est le point que je vais à présent aborder ; je vous remercie, monsieur le vice-président de la commission des lois, d’aider à la progression de mon exposé. (Sourires.)
Notre première hésitation tenait à l’indispensable indépendance de la fonction. Son mode de nomination nous paraissait excessivement lié au Président de la République et nous avions déposé un amendement pour que l’Assemblée nationale, et particulièrement la commission des lois, soit davantage associée à la désignation du contrôleur général. Le rapporteur avait repoussé notre amendement.
Depuis lors, la situation a évolué positivement. Tout d’abord, la révision constitutionnelle de 2008 a introduit le Contrôleur général dans la liste des nominations sur lesquelles la commission des lois doit émettre un avis. Ce n’est pas encore un vote positif aux trois cinquièmes, comme nous le suggérions dans notre amendement en 2007, mais c’est tout de même mieux que la situation que nous combattions à l’époque.
Et puis surtout, madame la garde des sceaux, votre prédécesseure Mme Dati, sur proposition, m’a-t-on raconté, de son directeur de cabinet Patrick Gérard, a suggéré au Président de la République de nommer M. Jean-Marie Delarue, dont le plus grand bien a déjà été dit à cette tribune. Je m’associe pleinement à ces propos : Jean-Marie Delarue a réussi à installer une fonction dont l’indépendance est aujourd’hui reconnue.
Mais le chantier a été très long. Si la loi a été définitivement votée le 18 octobre 2007, et promulguée le 30 octobre, les décrets d’application ont pris beaucoup de temps puisqu’ils n’ont été publiés que le 12 mars 2008. Et la nomination du contrôleur a dû encore attendre, puisque le conseiller d’État Jean-Marie Delarue n’a été nommé que le 12 juin 2008. Je salue néanmoins la pérennité, désormais, de ce « mécanisme national de prévention », pour reprendre la terminologie de la convention idoine des Nations unies.
Avec le recul, on peut en effet affirmer sans risque d’être démenti que son intégration au sein du défenseur des droits, comme l’idée en avait été exprimée, aurait eu pour conséquence de diluer ses missions et d’en affaiblir la force. C’est donc à bon droit que plus personne aujourd’hui ne remet en cause l’existence de cette autorité administrative indépendante. Cela renforce d’ailleurs l’exigence pesant sur le Président de la République, qui devra bientôt faire une proposition de nomination pour la succession de Jean-Marie Delarue.
La seconde crainte que nous avions en 2007 portait sur les moyens juridiques mis à la disposition du contrôleur. Nous estimions à l’époque que le projet ne lui garantissait pas le droit d’obtenir des informations, dans la mesure où il ne lui était conféré, pour l’essentiel, qu’un droit d’alerte. Les années n’ont que partiellement apaisé notre inquiétude, comme l’a très bien souligné Mme la rapporteure. Un certain nombre de remarques du contrôleur, notamment sa dernière recommandation, en urgence, concernant le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, publiée au Journal officiel du 23 avril dernier, fait mention le fait, je cite, que « pendant et après la visite » celui-ci a eu des difficultés à se faire communiquer des documents administratifs. Notre texte comble cette carence ; il ne sera désormais plus possible de refuser au contrôleur les renseignements qu’il souhaite obtenir.
Enfin, nous nourrissions en 2007 quelques interrogations sur la capacité de l’administration à tenir compte de ses remarques. C’était tout l’enjeu du pouvoir d’injonction, dont le contrôleur général est dépourvu, à la différence du défenseur des droits. Nous avions, là aussi, proposé par amendement de lui accorder un pouvoir d’injonction, estimant que les autorités administratives indépendantes qui ont ce pouvoir disposent ainsi d’une capacité de sanction et, du coup, sont plus crédibles. L’Assemblée nationale ne nous avait pas suivis, le rapporteur estimant que « seule la concertation entre les acteurs se révélerait efficace ». Nous avions, avec vous, madame la rapporteure, à l’occasion de la loi pénitentiaire de 2009, proposé de nouveau un amendement dans ce sens, mais nous n’avons pas eu plus de succès qu’en 2007.
Il est vrai qu’avec persévérance, Jean-Marie Delarue a toujours dit n’avoir pas besoin de ce pouvoir d’injonction. C’est l’objet d’un échange permanent avec lui, et il a réaffirmé ce point de vue lors de sa dernière audition par la commission des lois. Les faits, vous l’avez rappelé, lui ont du reste donné raison : l’intensité de ses contrôles, la force de son verbe, la justesse de ses préconisations font que ses recommandations sont plus ou moins suivies d’effet. Il arrive que certaines ne le soient pas totalement. Je rappelle par exemple, madame la garde des sceaux, la recommandation, publiée le 6 décembre 2012, sur les Baumettes ; un certain nombre des préconisations du contrôleur n’ont pas été suivies par l’administration.
Vous ne nous avez pas proposé, madame la rapporteure, d’ajouter ce pouvoir d’injonction dans le texte. Nous en resterons donc là, avec peut-être l’intention d’y revenir un jour. Cela ne nous empêchera évidemment pas de voter le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, premier orateur inscrit dans la discussion générale.
M. Sergio Coronado. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 21 janvier 2014, qui modifie la loi du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Déposée par Mme Catherine Tasca sur le bureau du Sénat le 5 décembre 2013 et reprenant en partie des propositions formulées par le contrôleur général lui-même dans son rapport annuel pour 2012, cette proposition de loi a pour objet d’améliorer le fonctionnement du contrôle général, à la lumière de l’expérience acquise au cours des cinq premières années d’existence de l’institution.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 30 octobre 2007, le contrôleur général est une autorité indépendante chargée de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». Au départ, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, l’idée qui germe à la fin des années quatre-vingt-dix vise uniquement les établissements pénitentiaires. La loi de 2007 n’a heureusement pas limité le contrôle aux prisons, mais a donné compétence au contrôleur général sur tous les lieux de privation de liberté : établissements pénitentiaires, locaux de garde à vue ou de retenue douanière, dépôts des tribunaux, centres de rétention administrative, zones d’attente, centres éducatifs fermés et établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sans consentement.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a vu avec le temps sa fonction et son utilité reconnues de façon incontestable ; sa légitimité n’est aujourd’hui nullement remise en cause. Les auditions conduites par Mme la rapporteure et le débat en commission en attestent : le travail accompli par le contrôleur est salué par l’ensemble des acteurs et par l’ensemble des familles politiques de cette assemblée. Et comme le note le rapport, « de l’avis unanime des personnes entendues par la rapporteure, le contrôle général des lieux de privation de liberté est une institution qui est parvenue, en très peu de temps, à occuper une place majeure dans l’amélioration des conditions de privation de liberté. Il joue pour les administrations en charge des lieux de privation de liberté un rôle d’aiguillon pour améliorer tant les structures que l’organisation et les pratiques professionnelles. »
Je voudrais donc m’associer aux remerciements et salutations formulés à l’adresse de M. Jean-Marie Delarue à cette tribune, saluer la personnalité, la compétence et l’éthique professionnelle de ce premier contrôleur général, nommé le 13 juin 2008 par décret du Président de la République. Ses qualités ont permis à cette institution de gagner la confiance et le respect des personnes privées de liberté ainsi que de l’ensemble des personnels travaillant dans les lieux faisant l’objet du contrôle.
Le travail du contrôleur est aujourd’hui unanimement reconnu, alors même qu’il a souvent bousculé les habitudes, les façons de penser et les pratiques professionnelles. Lors de son audition devant la commission des lois, le contrôleur a dressé lui-même un bilan de son action. Jean-Marie Delarue avait annoncé qu’il se fixait pour objectif de réaliser 150 visites de lieux de privation de liberté par an. Cet objectif a été totalement respecté puisque 151 lieux ont été visités en moyenne chaque année.
Permettez-moi d’égrener quelques chiffres, pour donner une idée de l’ampleur du travail accompli : en quatre ans et demi, entre juin 2008 et la fin de l’année 2012, ont été visités : 150 des 191 établissements pénitentiaires, 237 des 4 095 locaux de garde à vue, dix-huit des 236 locaux de rétention douanière, quarante-neuf des 182 dépôts de tribunaux, soixante-dix des 102 centres et lieux de rétention administrative ou zones d’attente, 106 des 369 établissements de soins psychiatriques sans consentement, enfin 34 des 44 centres éducatifs fermés. À la fin de l’année 2013, près de 800 lieux de privation de liberté avaient été visités par le contrôleur général. C’est donc un travail à la fois colossal et exemplaire, et ce malgré des moyens limités : le budget du contrôleur général pour 2014 est de 4,3 millions d’euros seulement, et son plafond d’autorisations d’emploi fixé à vingt-huit équivalents temps plein, répartis, outre le contrôleur général et le secrétaire général, entre dix-sept postes de contrôleurs, cinq postes de chargés d’enquête et quatre postes administratifs.
Concrètement, l’action du contrôleur a permis de faire progresser le fonctionnement des lieux de privation de liberté sur un certain nombre de points. Plusieurs de ces progrès sont de nature législative. En effet, après le premier rapport du contrôleur, la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a prévu, à l’article 63-6 du code de procédure pénale, que la personne gardée à vue devait disposer, au cours de son audition, « des objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité » ; cela faisait suite, rappelez-vous, aux remarques concernant les soutiens-gorge et les lunettes, systématiquement enlevés aux personnes mises en examen ou placées en garde à vue. Son action a également permis une amélioration du fonctionnement concret des établissements.
Des progrès restent à accomplir ; c’est le sens de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui. Il faut raccourcir les délais de présentation par le contrôleur général des observations faisant suite à ses visites. La durée entre la visite et le rapport final peut être source de difficultés pratiques pour les ministres concernés auxquels le contrôleur demande de lui adresser leurs observations. La réduction de ces délais apparaît donc comme une nécessité.
Rendre plus visibles les suites données aux observations du contrôleur général des lieux de privation de liberté est également nécessaire. Au-delà de la constatation des dysfonctionnements pouvant exister dans les lieux de privation de liberté, l’objectif du contrôleur général est de permettre l’évolution de ces lieux dans un sens plus respectueux des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Or, pour l’heure, les évolutions mises en œuvre par l’administration à la suite d’observations du contrôleur général, mais aussi, le cas échéant, l’absence d’évolutions, demeurent insuffisamment connues. Afin que la portée du contrôle sur le fonctionnement des lieux privatifs de liberté puisse être mesurée, il serait donc nécessaire que les suites données aux observations du contrôleur général reçoivent davantage de publicité.
Cette proposition de loi permettra de renforcer l’efficacité du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Elle protégera également mieux les interlocuteurs du contrôleur. Elle mettra en conformité notre législation avec le droit européen, s’agissant notamment du contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement forcé.
Je sais que, sur ce dernier point, il existe des réserves fortes, pour ne pas dire un refus, de la part de l’opposition. La proposition de loi a été complétée, lors de son examen par la commission des lois du Sénat, par un article 1er A qui étend la compétence du contrôleur général au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement des étrangers, afin de mettre notre droit en conformité avec la directive dite « retour », qui fait obligation aux États membres de prévoir un système efficace de contrôle du retour forcé.
Compétent pour contrôler les centres de rétention administrative et les zones d’attente, le contrôleur général pourra désormais contrôler l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers « jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination ». C’est une avancée, et ce d’autant plus que le Sénat a prévu que le contrôle qu’exercera le contrôleur général sera applicable à toute mesure d’éloignement d’étrangers, y compris s’ils sont citoyens de l’Union européenne, alors même que la directive « retour » ne concerne que les pays tiers à l’Union.
Le désaccord de l’opposition ne semble pas porter sur l’élargissement des compétences, mais sur le principe même des contrôles des opérations d’éloignement forcé. La mise en œuvre concrète, par le contrôleur général, de cette nouvelle compétence suppose, et cela a été souligné dans nos débats comme dans le rapport, la définition de modalités pratiques d’information entre le ministère de l’intérieur et le contrôleur, afin que celui-ci soit informé suffisamment à l’avance de l’organisation des retours d’étrangers, tout en garantissant le caractère inopiné du contrôle.
Nous nous félicitons de ces avancées, et notamment de l’adoption en commission – vous l’avez dit, madame la rapporteure – de notre amendement étendant aux députés européens élus en France la possibilité de saisir le contrôleur général. Aujourd’hui, l’article 6 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux membres du Parlement et au défenseur des droits de le saisir : c’est donc une avancée de le permettre aussi à nos collègues du Parlement européen. Nous nous félicitons également que la commission des lois ait amoindri la volonté punitive du Sénat, qui avait décidé de faire appliquer pour le délit d’entrave une peine tout à fait disproportionnée.
Nous voudrions toutefois aller un peu plus loin, afin d’avancer en reprenant des recommandations émises par le contrôleur lui-même. Nous souhaiterions en effet que tout détenu qui le demande – directement ou par le biais de son conseil – ait le droit de faire visionner les enregistrements de vidéosurveillance des circonstances pour lesquelles il comparaît devant la commission de discipline. Nous présenterons sur ce sujet un amendement, déjà présenté en commission, dans le texte qui viendra lundi sur l’information dans les procédures pénales. De même, nous pensons qu’il est nécessaire que la protection judiciaire de la jeunesse édicte des normes imposables à tous les centres éducatifs fermés en matière de discipline. Enfin, nous estimons que les associations agréées pour le soutien des étrangers retenus doivent avoir libre accès à la zone d’hébergement de ces étrangers, à l’exclusion du service de nuit.
Pour conclure, je voudrais féliciter Mme la rapporteure pour le travail accompli et l’ouverture dont elle a fait preuve dans le débat en commission, ainsi que l’ensemble de mes collègues pour la qualité de nos débats. Le groupe écologiste soutient évidemment avec force ce texte d’origine parlementaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je me fais, pour cette intervention, le porte-voix de mon collègue Marc Dolez.
En près de six ans, le contrôleur général des lieux de privations de libertés peut se prévaloir d’un bilan extrêmement positif. Son rôle essentiel dans l’amélioration des conditions de privation de liberté est largement reconnu et justifie pleinement non seulement le maintien de cette autorité autonome et indépendante, mais aussi le renforcement de ses compétences. Le travail effectué a été considérable : plus de 800 établissements de toute nature ont été visités, dont environ 300 locaux de garde à vue et 185 établissements pénitentiaires. D’ici à la fin du mandat du contrôleur général, en juin 2014, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires du pays auront été visités. Depuis 2010, des contre-visites ont également été effectuées afin d’évaluer les changements intervenus depuis la visite précédente.
S’agissant des saisines, Jean-Marie Delarue a pris la décision, dans le silence de la loi, de répondre à tout courrier qui lui était adressé et, le cas échéant, d’envisager les suites à leur donner en effectuant des enquêtes et en confiant à des collaborateurs le soin d’aller vérifier sur place la réalité des faits. Ces saisines représentent environ 4 000 courriers par an. En outre, le contrôleur général a publié systématiquement ses avis et recommandations, ce qui a permis de faire la lumière sur des problématiques peu connues de nos concitoyens, mais aussi d’informer le Parlement dans le cadre de la discussion de projets de loi. Le travail effectué aura, selon les termes de M. Jean-Marie Delarue, été l’occasion d’accumuler « un savoir inédit sur les lieux privatifs de liberté ». Il a aussi permis de faire évoluer le fonctionnement des lieux de privation de liberté par des évolutions concrètes dans les établissements, mais aussi par des modifications de nature législative, avec par exemple la loi relative à la garde à vue.
Enfin, à la suite des intervenants précédents, les députés du Front de gauche tiennent à saluer le travail accompli par M. Jean-Marie Delarue, qui a contribué à asseoir la légitimité de l’institution, en gagnant la confiance des personnes détenues et de l’ensemble des personnels travaillant dans les lieux de privation de liberté. Avec l’achèvement de son mandat non renouvelable, qui arrivera à son terme en juin prochain, on doit s’interroger sur les perspectives de cette institution. À cet égard, nous nous félicitons que la proposition de loi soumise à notre examen consacre le maintien du contrôleur général des lieux de privation de liberté comme autorité autonome et indépendante du Défenseur de droits, alors que certains considéraient, lors du débat de 2011, que la question se poserait à la fin du premier mandat du Contrôleur.
Cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité au Sénat, permettra de consolider l’action du Contrôleur général et de renforcer l’efficacité du contrôle exercé. Tout d’abord, ce texte permet de consacrer dans la loi les pratiques mises en œuvre par le contrôleur général dans l’exercice de sa mission. S’agissant des suites à donner aux saisines adressées à l’institution, ce texte vient combler le silence de la loi de 2007 en reconnaissant expressément au contrôleur général le droit de procéder à des vérifications, éventuellement sur place, puis d’adresser ses observations à l’autorité responsable du lieu concerné. De même, ce texte rend systématique la publication des avis, recommandations et propositions du contrôleur général. Il rend en outre obligatoire la réponse des ministres intéressés à ses observations.
Ensuite, cette proposition de loi entend faciliter le contrôle du contrôleur général en améliorant les moyens d’information et d’investigation dont il dispose. Elle lève ainsi plusieurs obstacles à la communication d’informations administratives : obligation de transmettre au contrôleur général toute information ou pièce utile ; communication au contrôleur général des procès-verbaux des gardes à vue ; faculté du contrôleur général de mettre en demeure des personnes concernées par un contrôle de répondre à ses demandes ; amélioration de l’information du contrôleur général sur les suites données par les autorités judiciaires ou disciplinaires aux faits qu’il leur a signalés.
Ce texte lève aussi l’opposabilité du secret médical au contrôleur général, tout en définissant les conditions dans lesquelles les contrôleurs pourront accéder à des informations couvertes par le secret médical. Il est par ailleurs proposé d’instituer un délit d’entrave aux visites des contrôleurs et à leurs demandes de documentation, à l’instar des dispositions en vigueur pour toutes les autres autorités administratives indépendantes et, au-delà, pour toutes les autorités amenées à contrôler des administrations sur place.
En outre, cette proposition de loi entend mieux protéger ceux qui font appel au contrôleur général. Jean-Marie Delarue a en effet souligné « l’ampleur des oppositions parfaitement illégales » aux moyens légaux à la disposition des personnes détenues : saisine du Parquet, courrier à une personne extérieure, à une association, au défenseur des droits ou au contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s’est dit « convaincu que la stagnation du nombre des lettres que nous recevons est due à ces menaces et à ces représailles. Nous avons visité des quartiers entiers dans lesquels les personnes détenues nous ont dit qu’elles ne nous écrivaient plus parce qu’elles avaient peur de le faire. » Face à ce constat inacceptable, le texte renforce le secret des correspondances entre le contrôleur général et les personnes incarcérées et consacre l’interdiction de sanctionner ou de faire subir un préjudice à une personne du seul fait des liens qu’elle a établis avec le contrôleur général ou des informations qui lui ont été données. Comme l’a parfaitement souligné Jean-Marie Delarue, « sans résoudre entièrement le problème, ces deux dispositions donneront un signal important aux personnels qui seraient tentés de recourir à des expédients pour empêcher l’application de la loi ».
Enfin, le texte étend la compétence du contrôleur général au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement forcé des personnes étrangères en situation irrégulière « jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination ». Cette évolution qui vise à mettre notre droit en conformité avec la directive dite « retour » du 16 décembre 2008 paraît pour le moins opportune au regard des conditions souvent déplorables de transfert forcé des étrangers, de la sortie du centre de rétention à l’arrivée dans le pays de destination.
En définitive, les députés du Front de gauche soutiennent l’élargissement des compétences du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui permettra de conforter sa place et son rôle dans la défense des libertés publiques. Pour autant, nous ne pouvons ignorer qu’en dépit des recommandations et des avis du contrôleur général, la situation des prisons françaises demeure indigne. Malgré l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009, malgré les constructions d’établissements pénitentiaires, l’accroissement des flux d’entrée et la durée des détentions provisoires et des peines prononcées maintiennent une surpopulation carcérale insupportable. Au 1ermars 2014, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, la densité d’occupation des établissements pénitentiaires était de 117,8 % et de 137,5 % pour les maisons d’arrêt et les quartiers maison d’arrêt.
Dans un récent avis du 23 avril 2014, le contrôleur général revient sur le principe de l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires – principe consacré dans la loi pénitentiaire de 2009 dont l’entrée en vigueur a été reportée au 25 novembre 2014. Il insiste sur la nécessité pour chaque personne incarcérée d’avoir « un espace où elle se trouve protégée d’autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans cette surface, aux violences et aux menaces des rapports sociaux en prison. En permettant à chacun de se livrer aux activités autorisées qu’il a choisies, d’étudier, de réfléchir, de se prendre en charge, l’encellulement individuel n’est plus condition de l’application de la punition elle-même, mais plutôt, par la préservation de la personnalité de chacun, garantie de la réinsertion ultérieure. » C’est très bien dit et ça parle !
Soucieux des principes fondamentaux des droits de l’homme et de la protection de la santé publique, nous devons aujourd’hui développer et surtout crédibiliser les mesures alternatives à la peine d’emprisonnement. C’est incontournable pour rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables.
Le renforcement de la compétence du contrôleur général des lieux de privation de liberté appelle également des évolutions législatives pour assurer le respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées. Il faut donc aussi agir pour que la loi pénitentiaire soit effectivement et pleinement appliquée. Il faut revenir sur les dix dernières années de politiques pénales inefficaces. Le renforcement des sanctions contre la récidive, l’instauration de peines planchers, la rétention de sûreté après la prison ou encore l’instauration des obligations de soins sont autant d’exemples de textes répressifs qui n’ont eu pour seules conséquences que de renforcer l’engorgement des établissements pénitentiaires. C’est la raison pour laquelle nous réitérons notre souhait d’examiner, dans les meilleurs délais, la réforme pénale, tout en votant aujourd’hui cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, près de sept ans après sa création par la loi du 30 octobre 2007, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a démontré à quel point son existence était nécessaire et son action essentielle. Est-il besoin de rappeler les affaires particulièrement médiatiques auxquelles ont donné lieu certaines recommandations émises par cette autorité administrative indépendante ? C’est le contrôleur qui, à la suite d’une inspection du centre pénitentiaire des Baumettes à l’automne 2012, a tiré la sonnette d’alarme en publiant en urgence des recommandations le 6 décembre 2012 décrivant l’état particulièrement lamentable de cette prison. Ces recommandations, qui constataient notamment la prolifération et la circulation de rats ainsi que de nombreux insectes, tels que les cafards et autres cloportes, ont donné lieu à l’ordonnance du 22 décembre 2012 du juge des référés du Conseil d’État qui enjoignait à l’administration pénitentiaire d’éradiquer les animaux nuisibles présents aux Baumettes.
Par son rôle de lanceur d’alertes, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a su rappeler le respect des droits fondamentaux que l’on doit aux détenus, comme s’inquiéter auprès des pouvoirs publics des conditions de travail particulièrement difficiles des personnels pénitentiaires.
Cette autorité administrative indépendante n’aurait sans doute pas connu une telle reconnaissance sans les compétences et la personnalité de son actuel contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, dont je salue aujourd’hui l’action. Mais ces sept années d’exercice permettent de mettre l’accent sur les difficultés rencontrées et de compléter les moyens alloués à cette autorité. Le successeur de M. Delarue qui sera prochainement nommé verra ainsi sa tâche facilitée.
La proposition de loi qui est discutée aujourd’hui s’articule autour de deux grands axes. Tout d’abord, elle a pour objet de donner une valeur législative à la pratique. En effet, la loi de 2007 n’avait pas dessiné l’ensemble du cadre juridique dans lequel devait intervenir le contrôleur. Face à ce vide juridique, cette autorité administrative a dû définir sa fonction par la pratique, et ce notamment sous l’impulsion de M. Delarue. Or, comme le souligne Robert Badinter, la pratique est « porteuse d’innovation ». Dès lors, la proposition inscrit dans le marbre législatif ces innovations. Il en est ainsi de la possibilité pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté de procéder à des vérifications sur place ; de la systématisation de la publication de ses avis, recommandations et autres propositions ; de l’autorisation qui lui est accordée d’adresser ces recommandations au chef de l’établissement pénitentiaire concerné ; ou encore de l’obligation donnée aux ministres de répondre aux observations qu’il a formulées. Le texte apporte ainsi une sécurité juridique salutaire à l’activité du contrôleur général.
En deuxième lieu, la proposition de loi tend à accroître l’efficacité de son action. En effet, elle tend à protéger la saisine de cette autorité administrative en interdisant la sanction des personnes qui l’alertent. De même, elle élargit cette saisine aux députés européens. Il faut rappeler que tous les parlementaires doivent faire remonter au contrôleur général les informations recueillies en circonscription sur des conditions dégradantes dans des lieux de privation de liberté.
La proposition de loi permet également l’articulation entre deux impératifs : la préservation du secret médical et la nécessaire communication d’informations couvertes par ce secret dans le cadre du contrôle.
Enfin, ce texte crée pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté un véritable pouvoir de mise en demeure de communiquer des documents, ainsi qu’un délit d’entrave à l’exercice de sa mission. Beaucoup considèrent que ces deux instruments ne seront jamais utilisés dès lors que les relations avec les administrations en cause sont constructives, mais l’actualité démontre la nécessité de ces outils. En effet, pas plus tard que le 23 avril, il a publié en urgence une recommandation portant sur les violences qui se déroulent au quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone ; cette recommandation met notamment l’accent sur les difficultés importantes rencontrées pour obtenir les documents utiles à l’établissement des faits.
La proposition de loi renforce donc une institution nécessaire à notre République. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour origine des propositions issues d’un rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, remis par le président Canivet à la garde des sceaux en 1999. En 2007, nombre de parlementaires avaient reproché à la loi instituant ce dispositif de ne pas parfaitement correspondre au modèle esquissé dans ce rapport. Avec le texte discuté aujourd’hui, nous nous en rapprochons. Par conséquent, je voterai ce texte qui conforte le rôle du contrôleur général des lieux de privation de liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Gérard Charasse. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
M. Jean-Frédéric Poisson. À l’évidence, ce texte nous rappelle quelques souvenirs, monsieur le président de la commission des lois…
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Frédéric Poisson. Il y a sept ans, M. Goujon, nouvellement élu, était le rapporteur du texte instituant le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ce qui nous a valu, l’année dernière, de déposer une proposition de loi sur la protection de la biodiversité puisque c’est à cette tribune même qu’était née très spontanément la notion de solidarité aquatique, au nom de la biodiversité, entre l’orateur du groupe UMP que j’étais et ledit rapporteur. Cette même solidarité entre les députés Poisson et Goujon se poursuit jusqu’à aujourd’hui. (Sourires.)
M. Marc Le Fur. Il ne manque que Tetart !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est affligeant ! (Sourires.)
M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas affligeant, monsieur le président de la commission : il s’agit d’un rappel historique, que vous avez vous-même évoqué tout à l’heure en y consacrant le début de votre intervention. Je me permets de marcher dans vos traces – si c’est possible.
Je voudrais commencer en adressant moi aussi, et au nom du groupe UMP, mes félicitations au contrôleur général Delarue, dont le travail a été unanimement salué. Nous étions, il y a maintenant sept ans, quelques-uns à craindre qu’une autre personnalité, peut-être un peu plus contestable, n’occupât cette magnifique fonction. Mais il a contribué à institutionnaliser cette « mécanique de prévention », pour reprendre votre formule. Le contrôleur général devient définitivement, par cette proposition de loi, une institution dans le paysage des lieux de privation de liberté, et c’est très bien ainsi.
La volonté du législateur, il y a sept ans, était d’abord de répondre au souhait unanime de voir mieux considérées, mieux connues, mieux traitées toutes les atteintes aux droits fondamentaux des personnes dont la liberté est restreinte. Le vote du Sénat a largement montré que cette volonté est toujours unanime, de même que les débats en commission et le travail de notre rapporteure, que je salue.
Cette nouvelle institution est la marque nécessaire d’un changement lui aussi nécessaire : celui du regard que porte la société sur les lieux de privation de liberté. Je me souviens que lors d’un débat sur l’état des prisons, à la suite d’un rapport de nos collègues Sébastien Huyghe – qui ne peut être des nôtres aujourd’hui car il est en attente d’un heureux événement familial – et Dominique Raimbourg sur les conditions de détention, nous avions tous conclu qu’en l’absence de changement de regard de la part de la société, il ne saurait y avoir de réels progrès, ni dans l’institution pénitentiaire ni dans la façon dont on traite ceux dont la liberté doit être temporairement entravée, quel qu’en soit le motif.
C’est pourquoi le texte qui nous est soumis aujourd’hui, en ce qu’il consacre les principes adoptés en 2007, en ce qu’il renforce les pouvoirs d’intervention et d’injonction du contrôleur général, est évidemment tout à fait digne d’intérêt.
Cela étant dit, il a conduit un certain nombre de membres de notre groupe à déposer quelques amendements, repoussés par la commission avec une constance presque vertueuse, madame la rapporteure – mais nous y reviendrons. J’ai deux regrets à formuler à ce sujet.
Tout d’abord, le mieux étant l’ennemi du bien, je ne vois pas en quoi l’obligation de publier les rapports du contrôleur général, ni son droit d’accéder aux procès-verbaux de garde à vue ou encore plusieurs autres nouveaux dispositifs pourraient faciliter sa mission. J’y vois au contraire des dispositions qui vont un peu trop loin par rapport à l’objectif poursuivi et qui seront sources de complications, voire de contentieux. Nous en reparlerons lors de l’examen des amendements.
Ensuite, permettez-moi un second regret, monsieur le président de la commission des lois : dans le cadre de notre commission – mais cela vaut aussi pour le commissaire que je suis –, j’ai encore trop souvent le sentiment, et je peux le vérifier texte après texte, que nous sommes toujours trop pris par l’envie d’écrire le droit dans le détail, comme si nous avions nous-mêmes perdu un peu confiance dans la portée universelle de la loi.
M. Philippe Goujon. C’est juste !
M. Jean-Frédéric Poisson. Les textes seraient beaucoup plus forts s’ils se contentaient de rappeler un certain nombre de principes : je pense au nouvel article 6-1, introduit par deux amendements en commission, qui rappelle ce qu’est la mission du contrôleur général, sans aucune nécessité ni même utilité patente. Nous pourrions, à défaut d’être systématiquement d’accord sur le fond, nous efforcer à tout le moins de privilégier une formulation plus générale et plus universelle des principes du droit.
M. Marc Le Fur. Très juste !
M. Jean-Frédéric Poisson. Cela permettrait une écriture plus lisible et manifesterait une confiance plus affirmée dans la portée des textes que nous rédigeons. La commission des lois pourrait participer, elle aussi, à cet effort en redonnant à la loi sa force symbolique. À trop écrire, on finit par affaiblir le texte que l’on veut défendre.
Pour l’ensemble de ces raisons, madame la rapporteure, madame la garde des sceaux, sous bénéfice d’inventaire à la fin de l’examen de nos amendements, le groupe UMP s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.
M. Jean-Frédéric Poisson. Bon anniversaire, monsieur Richard !
Mme Laurence Dumont, rapporteure. M. Poisson est en forme ! (Sourires.)
M. Arnaud Richard. Je vous remercie, mon cher collègue.
À l’approche de la nomination par décret, au mois de juin, du nouveau Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je tiens comme vous tous à saluer, au nom du groupe UDI, le travail remarquable et remarqué du conseiller d’État Jean-Marie Delarue. Après six années de bons et loyaux services, nous sommes nombreux, les propos des uns et des autres le montrent, à reconnaître la qualité du travail de celui qui aura été le premier à accomplir la délicate mission de contrôler les conditions de vie des personnes privées de liberté, qu’il s’agisse des établissements pénitentiaires, des établissements de santé, des locaux de garde à vue ou des centres éducatifs fermés.
Les membres du groupe UDI ont souvent à cette tribune une formule qui, je le crois, vaut aussi pour le contrôleur général : « Une société se juge souvent à la manière dont elle traite son maillon le plus faible et le plus vulnérable. » Du point de vue du droit, qui est plus vulnérable que celui privé de liberté ? Le bilan des six années d’activité du contrôleur général est pour le moins largement positif. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et c’est satisfaisant en termes d’efficacité des politiques publiques : plus de 800 établissements de privation de liberté visités depuis 2008, 4 000 lettres traitées en 2013 et suivies pour près d’un tiers par une enquête et, toujours pour l’année 2013, la situation de 1 683 personnes a été portée pour la première fois à la connaissance du contrôleur général, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2012. Dans un contexte inédit de surpopulation carcérale et de détérioration des conditions de détention, ce qui ne sera jamais assez rappelé à cette tribune, le contrôleur général a su, au fil des années, trouver sa place au sein de nos institutions et devenir le porte-parole et le défenseur des personnes privées de liberté.
La proposition de loi déposée par Catherine Tasca, sénatrice des Yvelines, ne bouleverse pas la loi d’octobre 2007 qui a créé cette fonction, mais elle devrait mettre à la disposition du contrôleur général des outils supplémentaires pour mener à bien sa mission, ô combien difficile. Il s’agit en effet pour lui de se glisser dans les habits d’un inspecteur qui peut visiter à tout moment, de façon programmée ou inopinée, sur l’ensemble du territoire, tout lieu où des personnes sont privées de liberté – droit donné également, notre rapporteure l’a rappelé, aux membres de la représentation nationale.
Le groupe UDI salue donc un texte qui vise à renforcer la loi de 2007 et surtout, ce qui est le plus important, à retranscrire dans la législation des faits observés dans la pratique, dans la lignée du protocole signé en 2006 par l’État français à l’Assemblée générale des Nations unies, protocole dont l’un des objectifs était, rappelons-le, de mettre en place un système international d’inspection des lieux de privation de liberté dans les soixante-quinze États signataires.
Aujourd’hui, nous sommes tous conscients du caractère très préoccupant de la situation carcérale dans notre pays, laquelle, madame la garde des sceaux, ne va pas en s’améliorant : le nombre de détenus est 34 % plus important qu’en 2002 ; quarante-quatre établissements ont une densité supérieure ou égale à 150 %, dont huit supérieure à 200 % ! Dans ce contexte, l’existence d’un contrôleur général doté de moyens supplémentaires est absolument primordiale. Ces dernières années, le contrôleur général a dressé un constat très mitigé, vous l’avez dit vous-même, madame la garde des sceaux, constat qui doit nous alerter. En garde à vue notamment, le confort est pour le moins souvent très rudimentaire. En milieu carcéral, il a fait état de l’application difficile, même plutôt hésitante, de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Dans l’accomplissement de ses fonctions, le Contrôleur général doit souvent jouer l’équilibriste entre le respect de la dignité de la personne humaine et les considérations d’ordre public. Il a récemment montré le manque de sécurité dans certains lieux de privation de liberté, tel le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone dans l’Hérault. Dans ses recommandations urgentes du 23 avril, un véritable coup de gueule, il a pointé des « violences graves » mettant en « péril l’intégrité corporelle » de jeunes détenus. Si l’implantation de caméras de surveillance a une influence sur la baisse de la violence, cette dernière reste difficile à évaluer ; seule une présence physique plus active et plus nombreuse de surveillants permettra de la faire baisser. Nous devons bien garder à l’esprit la pénibilité du travail des gardiens de prison, souvent soumis à des violences physiques ou psychologiques du fait de leurs fonctions. Pour le groupe UDI, il est nécessaire de réaffirmer, voire de renforcer, une des missions importantes du Contrôleur général : celle d’alerter les services compétents lorsque les conditions de travail des surveillants deviennent trop insupportables, voire dangereuses.
Mes chers collègues, nous l’avons tous dit, le bilan du contrôleur général est sans appel : le droit ne doit pas s’arrêter aux portes des lieux de privation de liberté. Or plusieurs situations de fait ont été dénoncées comme illégales. À titre d’exemple et malgré une réforme récente, il n’y a pas de mutation des pratiques professionnelles en matière de fouilles et l’application du droit du travail est souvent la grande oubliée en milieu carcéral. Dans son dernier rapport, le contrôleur général a présenté vingt recommandations qui, sans être les plus importantes, permettraient d’avancer et sur lesquelles nous devons absolument, au sein de nos groupes respectifs, travailler les uns et les autres pour espérer une mise en œuvre rapide de certaines d’entre elles.
Malheureusement, mais espérons que le profil de son successeur permettra d’y remédier, le contrôleur général souffre encore d’un manque de visibilité, notamment auprès des auxiliaires de justice.
Un réel investissement pédagogique doit être mis en place afin de faciliter l’accès au droit en milieu fermé, de faire connaître le rôle du contrôleur général et les recours à la disposition des personnes incarcérées ou hospitalisées, sans crainte pour elles de représailles.
Dans ce contexte, l’affirmation et le renforcement des missions et l’indépendance du contrôleur général, par le biais d’une proposition de loi, est sans conteste une réforme nécessaire et attendue, mais cette indépendance ne doit pas nous priver pour autant d’une réflexion sur les formes de collaboration que le contrôleur général pourrait développer avec d’autres autorités.
En ce sens, la précision des procédures de saisine et d’enquête, proposée par le présent texte, est tout à fait louable. Nous, parlementaires, sommes d’ailleurs directement concernés par ces procédures puisque la loi de 2007 nous permet de saisir le contrôleur général de faits ou de situations susceptibles de relever de sa compétence.
Nous ne pouvons également que nous satisfaire du renforcement du suivi par le Gouvernement des observations du contrôleur général mais aussi du procureur de la République. Le contrôleur général ne doit pas devenir une autorité vertueuse passive sans réel pouvoir d’action ou de sanction.
Cela étant, je terminerai mon propos en émettant quelques réserves.
La première concerne l’article 4 de ce texte qui propose de rendre systématiquement publics les avis, recommandations ou propositions que le contrôleur général émet, alors qu’il n’est pas tenu de diffuser publiquement les rapports de visite ou les résultats d’enquêtes ponctuelles. N’y a-t-il pas là une contradiction à publier certains documents et à en occulter d’autres ? Peut-être serait-il plus judicieux de diffuser dans un premier temps les recommandations aux autorités responsables des lieux de privation de liberté et d’observer ensuite les potentielles évolutions plutôt que de diffuser automatiquement des constats souvent hâtifs.
J’en viens enfin à un sujet qui me tient à cœur : l’extension du champ de compétences du contrôleur général aux mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers. Il semble préférable d’étudier en amont ce que cet élargissement de compétence implique avant de l’adopter.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le budget s’élève à 4,2 millions d’euros, dispose-t-il vraiment des moyens et des ressources nécessaires pour cette nouvelle mission ? Je me permettrais de rappeler que l’actuel contrôleur général, Jean-Marie Delarue, s’est lui-même déclaré défavorable à l’extension de ses compétences. Ayant commis pour l’Assemblée nationale un rapport d’évaluation et de contrôle sur la situation de l’asile, je me permets de vous dire que cette extension de compétences me semble être une fausse bonne idée.
En dépit de ces quelques réserves, nous pensons qu’il s’agit là d’un texte indispensable, nécessaire à l’évolution de la fonction de contrôleur et, plus largement, à l’amélioration du fonctionnement des lieux de privation de liberté. En conséquence, les membres du groupe UDI voteront en faveur de cette proposition de loi.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.
M. Gérard Charasse. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, la loi du 30 octobre 2007 a institué le contrôleur général des lieux de privation de liberté, un acteur efficace devenu incontournable et respecté pour la qualité de son travail.
Durant les six années de son mandat, M. Jean-Marie Delarue a réalisé un travail d’investigation considérable que je tiens aussi à saluer au nom du groupe RRDP, tout comme je salue l’initiative de nos collègues sénateurs qui ont déposé cette proposition de loi.
L’institution de cette nouvelle autorité indépendante avait été d’initiative gouvernementale mais, dès 2001, le Sénat avait ouvert la voie en adoptant une proposition de loi créant un contrôle général des prisons. Puis était intervenue la signature du protocole facultatif de la Convention des Nations unies contre la torture, qui confie aux mécanismes nationaux qu’il crée la mission de prévenir la torture.
C’est donc un bilan « extrêmement positif » pour reprendre les termes de votre rapport, madame la députée Laurence Dumont, que celui du contrôleur général.
Ce bilan c’est, en premier lieu, un grand nombre de visites. Celles-ci sont venues, grâce aux différents rapports dressés par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous éclairer sur la situation et le fonctionnement réel de ces lieux : nos 191 établissements pénitentiaires, nos 4095 locaux de garde à vue, nos 236 locaux de rétention douanière, nos 182 lieux de dépôts ou geôles des tribunaux, nos 102 centres et lieux de rétention administrative, nos 369 établissements de soins psychiatriques sans consentement et enfin nos 44 centres éducatifs.
Je dis « nos » car tous ces lieux sont de notre responsabilité. Les conditions dans lesquelles nous privons de liberté les personnes qui enfreignent la loi sont de notre responsabilité. Nous devons à toute personne le respect de sa dignité humaine. « Le droit sans dignité n’est que médiocrité et la dignité sans droit n’est que déraison », disait Blaise Pascal. On ne peut espérer la réinsertion d’une personne si elle n’est pas traitée pendant sa détention comme un citoyen.
Pour mémoire, je citerai Guy Canivet qui, en 2000, dans le rapport de la commission qu’il présidait alors sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. Le contrôle extérieur des prisons s’impose donc pour s’assurer que sont respectés les droits des détenus et donnés à l’administration pénitentiaire les moyens d’une telle politique. »
Quatorze ans plus tard, où en sommes-nous ?
Si la nomination de Jean-Marie Delarue, en 2008, a notablement fait évoluer les choses, il reste cependant beaucoup faire, comme cela a déjà été dit.
Si le contrôleur a lui-même dénoncé nombre de dysfonctionnements, depuis corrigés, il n’a pas été le seul. Encore récemment, en 2001, la France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour « traitement dégradant ». Bien que l’établissement en question ait été fermé en 2009, il est inadmissible d’imaginer que de telles conditions existent encore dans notre pays. Et je passerai sur le scandale des geôles du palais de justice de Paris, dont l’état plus qu’insalubre avait été dénoncé en 2009.
En six ans, ce sont près de 800 de ces lieux qui ont été visités et parfois contre-visités par le contrôleur général. Ce dernier est doté du seul pouvoir d’adresser des recommandations aux pouvoirs publics, et si certaines de ses nombreuses recommandations ont été suivies d’effet par notre action législative, mais aussi celle de l’exécutif ou de l’administration – il l’a rappelé dans son rapport d’activité de 2013 –, d’autres sont restées lettre morte.
Il a, de ce fait, dressé une liste de vingt mesures qu’il estime urgentes à mettre en œuvre par les pouvoirs publics. Ces mesures ne sont pas seulement des priorités de contrôle mais elles se veulent aussi pédagogiques.
En effet, pour que la situation change, il ne suffit pas seulement de produire des textes législatifs, il faut également que les pratiques et les habitudes changent, ce qui, on le sait bien, n’est pas chose aisée.
Ce changement doit être d’autant plus encouragé que certaines de ces mesures sont peu coûteuses. Il est possible de faire mieux avec les outils déjà à disposition, et mieux pour tout le monde.
Montrer un peu plus de considération à la personne détenue est une façon d’apaiser les possibles tensions au sein de l’établissement entre personnel et détenus, et ainsi faciliter la future réinsertion.
Nous allons bientôt discuter de la réforme pénale qui s’attaque à la thématique de la récidive. Contrairement à ce que certains essayent de nous faire croire, la récidive ne diminue pas en instaurant des peines plancher et en mettant tout le monde derrière les barreaux.
Aller dans le sens des recommandations du contrôleur général, c’est donc aller d’ores et déjà vers une meilleure prise en charge des détenus afin d’assurer une meilleure réinsertion et donc une meilleure sécurité pour notre société.
Des marges d’action sont encore possibles pour aller plus loin dans ce contrôle et s’assurer que nos prisons, nos cellules de garde à vue et tous les autres lieux de privation de liberté sont en adéquation avec les valeurs de notre République : le respect de la dignité humaine.
Plusieurs axes d’amélioration ont été mis en évidence à la suite des travaux de M. Delarue.
Le premier serait de raccourcir les délais de présentation par le contrôleur général des lieux de privation de liberté aux ministres des observations qu’il formule suite à ses visites. Actuellement, il faut compter deux ans : c’est en moyenne le laps de temps qui s’écoule entre la visite et la présentation des observations aux ministres concernés.
Pour parvenir à une réduction de ce délai sans pour autant diminuer la qualité du travail réalisé par le contrôleur, il apparaît nécessaire que les moyens alloués à cette autorité, assez limités pour le moment, soient réévalués. Cela a été très justement souligné par notre rapporteure.
Autre marge d’action : la visibilité des suites données aux observations du contrôleur, qui doivent être davantage rendues publiques. En effet, ce sujet mérite plus de publicité, notamment de la part des parlementaires que nous sommes.
Afin de renforcer l’efficacité du contrôleur, quatre objectifs sont poursuivis par la présente proposition de loi.
Tout d’abord, il s’agit de clarifier et de conforter les pratiques mises en œuvre dans l’exercice de sa mission. Il est prévu que le contrôleur puisse à l’avenir communiquer ses observations à l’autorité responsable du lieu en question, alors que, pour l’instant, seuls les ministres sont destinataires de ces remarques.
La réponse des ministres est également rendue obligatoire dans un délai maximal que le contrôleur détermine lui-même. Surtout, ce texte rend systématique la publication des avis, recommandations et autres propositions formulés par le contrôleur. En renforçant ainsi la transparence, on renforce l’efficacité du contrôle et son impact.
Autre point important de la proposition de loi : il est prévu de mieux protéger les personnes qui communiquent avec le contrôleur général, pour éviter tout risque de pression qui les dissuaderait de dénoncer toute situation anormale.
Est également élargie la panoplie des documents auxquels le contrôleur peut avoir accès. Pour établir la réalité des faits qui lui sont dénoncés, il doit avoir accès à l’ensemble des informations disponibles, même celles normalement couvertes par le secret médical si c’est dans l’intérêt de la personne concernée et que celle-ci y consent.
Vous l’aurez compris, le groupe RRDP est favorable à ce texte, au renforcement de la mission si importante effectuée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté et à son élargissement.
Au 1er avril, on dénombrait 68 859 détenus – triste record du nombre de personnes incarcérées – pour une capacité opérationnelle de 57 680 places, sans compter les personnes placées en garde à vue. La mission exercée par le contrôleur concerne donc près de 69 000 personnes au quotidien.
Cette proposition de loi concerne un sujet qui nous est cher : le respect de nos libertés fondamentales. Je suis heureux que notre assemblée en débatte aujourd’hui, de la façon la plus constructive possible.
Mme Laurence Dumont, rapporteure et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Marc Le Fur et M. Jean-Frédéric Poisson. C’est également son anniversaire aujourd’hui. Bon anniversaire !
M. Philippe Goujon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, l’instauration d’un contrôleur général des prisons, en introduisant un regard extérieur dans un lieu clos, répondait, il n’est pas inutile de le souligner, à la demande des administrations et des personnels chargés de leur surveillance auxquels je veux rendre ici hommage.
Il s’agissait de prévenir d’éventuels abus que le milieu fermé pouvait favoriser, mais aussi de lever la suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées, tout en permettant à la France de respecter le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture plus d’un an avant sa ratification.
Ayant été le rapporteur de cette loi fondatrice, je salue tous les orateurs qui m’ont précédé, dont Jean-Frédéric Poisson et le président Urvoas, je salue aussi le ralliement, finalement, de l’actuelle majorité. À l’époque, le président Urvoas l’a rappelé, elle s’était abstenue ; aujourd’hui, fait vivre ce texte. Après cinq ans et demi d’activité, tous s’accordent, finalement, à reconnaître que le contrôle général a rempli ses objectifs, et tous ont rendu un hommage parfaitement mérité au contrôleur Delarue.
La proposition de loi qui nous est présentée comporte, je le dis au président de la commission des lois et à la rapporteure, des évolutions souhaitables, notamment pour protéger les personnes en contact avec le contrôleur, améliorer les modalités d’enquête et de visite de ses collaborateurs, y compris par la levée, avec des garanties appropriées, du secret médical, ou encore donner un avis sur les constructions et rénovations d’établissement pénitentiaires ; le contrôleur le fait d’ailleurs parfois à l’occasion de son rapport annuel.
En revanche, je suis fermement opposé à l’élargissement de sa compétence à l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière, y compris au sein de l’Union européenne, élargissement auquel la directive européenne ne nous oblige d’ailleurs nullement. Cette mesure fait peser le danger d’une différence de traitement entre, d’une part, les éloignements forcés, centralisés et prévisibles, visés par le règlement de Dublin II et, d’autre part, les réadmissions dans les pays d’origine, dont la gestion est décentralisée et dont la rapidité d’exécution interdit le contrôle ; un recours en non-conformité devant un juge des libertés et de la détention pourrait conduire à l’annulation de ces procédures.
Cette nouvelle compétence va plus loin que la directive européenne et l’état du droit est satisfaisant en la matière, le contrôleur ayant compétence sur les zones d’attente et les centres de rétention administrative, les personnes concernées par les procédures d’éloignement pouvant en être dispensées sur avis médical. Le contrôleur a d’ailleurs reconnu qu’il lui serait impossible d’exercer cette nouvelle compétence, le manque de moyens financiers l’ayant déjà conduit à renoncer en 2013 à tout déplacement outremer.
Dans sa sagesse, le Sénat a supprimé en séance la disposition reconnaissant au contrôleur la faculté de déterminer lui-même le périmètre de son action, qui englobait ainsi ses incursions dans les EHPAD. Ces établissements à vocation sanitaire, qui font déjà l’objet, bien sûr, de multiples contrôles, ne sauraient être, de surcroît, assimilés à des lieux de privation de liberté !
L’accès aux procès-verbaux de rétention porte également en germe un véritable risque de disqualification des procédures. Le contrôle général a d’ailleurs déjà accès aux registres de police. La publication des avis n’a pas besoin d’être rendue obligatoire puisque le contrôle général y a eu recours, jusqu’à présent, systématiquement.
M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !
M. Philippe Goujon. La décorrectionnalisation du délit d’entrave et de représailles aboutit à une injustice : la surveillance indue des communications échangées avec le contrôleur des prisons sera punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, mais l’entrave à son travail ou les représailles à l’égard de ses informateurs ou des détenus solliciteurs seront quant à elles passibles d’une simple peine d’amende.
M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !
M. Philippe Goujon. La rédaction de l’article 7 risque de légaliser l’usage des téléphones mobiles et des communications électroniques, actuellement prohibé dans les établissements. Si le principe d’humanité est respecté par l’accès des détenus au téléphone fixe, le principe de précaution exige de leur interdire l’accès aux portables et à internet, sous peine de mettre en danger les établissements. Qui plus est, et c’est un sujet d’actualité, cela entrerait en contradiction avec le plan de lutte contre les sites djihadistes, que le ministre de l’intérieur nous a présenté ce matin en commission des lois ; ledit plan devrait nous conduire à créer un délit de consultation de ces sites. Ces moyens de communication sont le premier instrument des projets d’évasion. Ils posent également le problème de la sécurité des établissements comme des victimes, qui doivent être protégées de toute pression.
M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !
M. Philippe Goujon. Mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui, malgré certaines avancées, que je reconnais et dont je félicite la rapporteure et tous ceux qui y ont contribué, n’offre pas, en l’état actuel, un équilibre satisfaisant. Aussi, si les amendements de bon sens que nous avons déposés, avec nos collègues Larrivé, Poisson et quelques autres, étaient rejetés comme ils l’ont été en commission des lois, je ne pourrais, à l’instar de mes collègues, cautionner cette proposition de loi – à mon grand regret, car je souhaitais que le texte dont j’avais été le rapporteur à l’époque soit amélioré, et malheureusement je ne pourrais y apporter mon suffrage. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.
M. Gilbert Collard. Monsieur Goujon, ce n’est pas mon anniversaire, bien qu’ici, ce soit souvent ici ma fête… Je vous souhaite tout de même un bon anniversaire. (Sourires.)
Depuis Foucault et son livre intitulé Surveiller et punir – je vois que je parle à un connaisseur, monsieur le président de la commission des lois –, on sait qu’un regard différent doit être porté sur la prison. On le sait, mais cela n’a pas changé grand-chose. Alors, on ne peut que se féliciter, bien sûr, du fait qu’un texte ait créé ce contrôleur général des lieux de privation de liberté. Pourquoi ? Parce que partout où il y a du pouvoir, il faut un contre-pouvoir, et s’il est un lieu où celui-ci doit exister, c’est bien le lieu carcéral. Comme dans le lieu judiciaire, comme dans le lieu fiscal, comme dans le lieu de l’inspection du travail, comme dans tous les lieux où des petits individus exercent de grands ministères, le pouvoir est inquiétant, et il faut le contrôler.
Cela dit, une fois ce principe posé, qui est un principe de démocratie général, on ne doit pas pour autant tout accepter. Cette proposition de loi par laquelle vous modifiez une institution à la création de laquelle, j’ai été époustouflé de l’apprendre, vous vous étiez, à l’époque, opposés…
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. On s’était abstenus !
M. Gilbert Collard. Oui, vous vous étiez abstenus. Il y a des abstentions courageuses.
M. Jean-Frédéric Poisson. On le sait depuis hier ! (Sourires.)
M. Gilbert Collard. En l’occurrence, j’ai été époustouflé de découvrir que, selon la place que l’on occupe, on peut être pour ou contre un texte, mais je peux le comprendre. Je sais ce qu’est le renversement du pour et du contre, mais enfin… c’est étonnant.
Je ferai quelques observations rapides dans le peu de temps dont je dispose, vu l’état de notre démocratie parlementaire.
L’article 7 me pose un problème. Cela a été évoqué tout à l’heure, et je viens corroborer les propos tenus. Vous rendez-vous compte qu’en votant ce texte vous donnerez pratiquement plus de protection au contrôleur général, à ses quatre secrétaires et à ses vingt-deux collaborateurs qu’aux avocats ? Il faudrait quand même penser à renforcer le secret des communications entre l’avocat et son client. C’est l’occasion ou jamais de le dire ici : puisque vous voulez que le secret soit préservé entre le détenu et le contrôleur général des prisons, y compris ses secrétaires, pensez aux avocats !
Mais là, la disposition que vous introduisez permettra, à l’intérieur des prisons, toutes les manipulations. Il ne faut pas rêver : on a affaire à des gens actifs, qui appartiennent au milieu, qui ont des connexions, et je ne suis pas sûr que les quatre secrétaires seront à l’abri de manipulations, pas plus que les vingt-deux collaborateurs. Il faut être d’une extrême prudence, d’autant plus qu’internet et tous les moyens de communication modernes pourraient être utilisés. Cet article est donc vraiment très important.
En ce qui concerne maintenant le contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement, franchement, là, on rêve ! Cela va être quoi, le contrôle général des prisons ? Air France ? Un rassemblement d’hôtesses de l’air ? Vont-ils accompagner les expulsés dans les avions ? C’est impraticable et cela vient compromettre la portée générale du texte.
Le personnel pénitentiaire sera peut-être amené à regarder nos débats. Je le lui dis : ce texte n’est pas gentil pour ses membres. Il les présente comme capables d’entraves, d’écoutes sordides, de destructions de documents. Franchement, ce personnel ne mérite pas une telle suspicion. Il travaille dans des conditions difficiles. Il arrive parfois que des gardiens de prison se comportent mal, comme certains magistrats, certains avocats, certains curés, certains députés, certains rabbins, certains imams, comme tout le monde, mais il y a bien des gardiens de prison qui font leur métier correctement, dans des conditions difficiles.
Enfin, j’aimerais bien qu’un jour il y ait quelque part un contrôleur général des mesures de réparation dues aux victimes, car elles en ont, elles aussi, bien besoin.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Cela s’appelle un juge…
M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à l’initiative du Sénat nous sommes amenés aujourd’hui à examiner une proposition de loi dont l’objet est d’étendre et renforcer les compétences et capacités du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cet examen nous permet de dresser avant l’heure un bilan du mandat de M. Delarue et, forts de ce bilan, d’inscrire dans la loi des avancées significatives qui permettront au contrôleur de remplir pleinement ses missions. Il est cependant nécessaire de rappeler que, lors des débats qui ont présidé à sa création, cette fonction n’apparaissait pas à tous comme une évidence ; certains jugeaient, par exemple, son existence comme redondante de celle du défenseur des droits.
Aujourd’hui, sept ans plus tard, la question n’est plus de juger de la pertinence de cette institution, elle est de savoir comment la renforcer et, par là même, d’accompagner une réflexion profonde et des mesures dont l’objet est notre système pénitentiaire. Depuis 2007, les rapports annuels du contrôleur général fournissent, en raison de leur précision et de leur exhaustivité, de précieuses informations quant à la réalité des conditions de vie en établissements fermés. Cela nous permet de nous assurer que la personne privée de liberté est respectée dans ses droits et sa dignité, quelles que soient la cause et la nature de cette privation. Ces informations nous permettent également de dresser le constat suivant : les conditions d’enfermement déterminent tout projet et toute possibilité de réinsertion du condamné à l’issue de sa peine. En vertu de quoi, tout manquement aux libertés fondamentales, toute dégradation de la dignité humaine conduit, immanquablement, à l’échec d’un tel projet.
C’est encore plus vrai lorsqu’il est question de mineurs et de leurs conditions de détention. À ce titre, les constats relatifs à la situation des centres éducatifs fermés illustrent le rôle et les limites des capacités du contrôleur général.
M. Delarue, dans ses différents rapports annuels, formule un certain nombre de constats et de recommandations sur ces centres, afin qu’ils puissent, c’était leur but avoué, être un outil de reconstruction sociale et personnelle et non une autre variété d’établissement pénitentiaire. Censés assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à la personnalité des mineurs qui y sont placés, les centres éducatifs fermés doivent ou devraient permettre de corriger un échec avant tout social et éducatif, préparer la future insertion sociale et professionnelle et, le cas échéant, accompagner le jeune en matière de soins. Ils doivent permettre au mineur de réapprendre la vie en société, avec ses contraintes, ses obligations et ses codes.
Pourtant, dans le prolongement des recommandations qui ont fait suite à la visite du centre éducatif fermé d’Hendaye, au mois d’octobre 2013, le contrôleur général a signalé un certain nombre de manquements préjudiciables à ces objectifs. Les disparités de fonctionnement entre établissements sont attestées et, hélas, récurrentes. Citons notamment le manque de normes en matière de pratiques disciplinaires, le peu de participation des acteurs territoriaux au projet d’insertion du mineur, la précarité des personnels éducatifs et leur déficit de formation, dysfonctionnements auxquels s’ajoute l’absence d’obligation pour les directions des centres de présenter un projet éducatif contrôlable et connu de tous. Cela nuit à la pleine efficacité de ce dispositif et cela compromet la crédibilité et l’efficience des intervenants socio-éducatifs auprès du mineur et de sa famille, mais également auprès des acteurs qui devraient être associés à cette démarche de reconstruction sociale.
Ce constat ne devrait pas rester sans effets. Si tel n’était pas le cas, comment exiger l’exemplarité lorsque notre système s’exonère de ses propres règles ? Comment peut-on préparer efficacement à une démarche de réinsertion si les règles deviennent aléatoires ou discrétionnaires ? Le contrôleur général des lieux de privation de liberté nous rapporte des faits et nous devons, parce que nous le pouvons, nous saisir judicieusement de ses recommandations. L’exemplarité avec laquelle M. Delarue a rempli son mandat a légitimé l’existence de l’institution. Cela permet aujourd’hui de proposer des ajustements qui offriront à son successeur la possibilité de poursuivre avec la même conviction et la même rigueur le travail entrepris, tout en voyant étendu le champ de ses compétences.
Cette proposition de loi vise, entre autres, à étendre la compétence du contrôle général à l’ensemble des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière. Cet élargissement était, quoi qu’il en soit, rendu nécessaire par la transposition de la directive retour de 2010, mais, au-delà de cette nécessité, il était indispensable de pouvoir lever toute suspicion d’atteinte ou de manquement aux droits fondamentaux des ressortissants des pays tiers.
Le contrôleur général, comme l’ont souligné les organisations professionnelles, y participe par sa présence et ses avis.
De même, je tiens à rappeler que son rôle n’est pas de juger de la validité des procédures, mais de vérifier les conditions dans lesquelles sont conciliés le respect des droits de la personne et les conditions de privation de liberté. Le fait de pouvoir accéder, non au contenu des procès-verbaux de garde à vue, mais aux éléments qui décrivent le déroulement de la garde à vue, est ainsi essentiel. En 2012, près de 400 000 gardes à vue ont été réalisées ; nous conviendrons tous que c’est un chiffre énorme. Il ne s’agit pas – les organisations syndicales l’ont bien mesuré – de mettre en doute la qualité du travail des forces de l’ordre, mais d’éviter, là encore, toute ambiguïté. Pour cela il faut pouvoir, en toute transparence, vérifier que les droits des personnes gardées à vue sont respectés.
Cette transparence et cette accessibilité sont, en elles-mêmes, la preuve du respect de ces droits. Il apparaît cependant nécessaire de communiquer sur ce point auprès des fonctionnaires de police, afin que le travail du contrôleur général ne soit pas perçu par eux comme une contrainte supplémentaire. Ce souhait a été formé par certaines de leurs organisations : je m’y associe.
Dans le même souci, nous voulons rappeler qu’un contrôle n’est pas issu d’une présomption de dysfonctionnement. C’est pourquoi nous choisissons de ne pas assortir d’une peine de prison le délit d’entrave à l’action du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Bien qu’il soit nécessaire de rappeler de manière dissuasive les conséquences possibles d’une obstruction ou d’une intimidation, les sanctions encourues sont suffisamment lourdes ; il n’est pas besoin de créer une peine supplémentaire.
Pour conclure, je salue à nouveau M. Delarue, pour avoir rendu évidentes les améliorations contenues dans cette proposition de loi : évidentes pour tous les acteurs que nous avons auditionnés ; évidentes aussi, je l’espère, pour nous tous. C’est pourquoi le groupe SRC votera pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, faut-il modifier, ici ou là, quelques articles de la loi qui a institué, voici sept ans, le contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Je n’en suis pas convaincu.
Le débat auquel nous sommes aujourd’hui conviés a, il est vrai, une première vertu : celle de rappeler l’exceptionnelle ampleur et la remarquable qualité des progrès de l’État de droit qui ont été accomplis, avec audace, lors du quinquennat du président Nicolas Sarkozy.
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. Chacun doit garder à l’esprit, en effet, combien la législature qui s’est achevée en 2012 a permis une considérable avancée des libertés : je songe d’abord, bien sûr, à la révolution juridique qu’est la question prioritaire de constitutionnalité, c’est-à-dire le droit donné à chaque justiciable de faire valoir ses droits fondamentaux en contestant la conformité d’une loi à la Constitution. En invitant le Congrès à créer cette nouvelle liberté, malgré l’opposition parlementaire de l’époque qui refusa de voter cette révision de la Constitution,…
M. Jean-Frédéric Poisson. Quel dommage !
M. Guillaume Larrivé. …le Président de la République a permis, en 2008, de donner sa pleine portée juridique à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Rien de moins !
Ce n’est pas rien non plus que d’avoir fait adopter de nouvelles garanties encadrant l’exercice de la puissance publique. Je pense à la grande loi relative à la garde à vue, qui a ramené cette mesure de contrainte dans des limites raisonnables, afin d’en diminuer le nombre et d’étendre le bénéfice de l’assistance d’un avocat, sans porter atteinte à l’efficacité des enquêtes pénales.
M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !
M. Guillaume Larrivé. C’est dans ce puissant courant de progrès des libertés que s’est inscrite, dès 2007, la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté. La vérité oblige à reconnaître que ce n’est pas sur les bancs de l’actuelle majorité parlementaire que se trouvèrent les soutiens les plus enthousiastes. Je tenais à l’affirmer devant vous, madame la garde de sceaux, vous qui êtes si prompte à prétendre incarner le bien et la vertu mais qui, lorsque vous siégiez sur les bancs de l’opposition, n’avez jamais daigné voter en faveur des nouvelles libertés. Sans doute l’obsession antisarkozyste qui fait votre marque vous en empêchait-elle !
Un brillant orateur du groupe socialiste, notre collègue Jean-Jacques Urvoas, avait égrené tout un chapelet de réserves en présentant une motion de procédure contre ce qu’il considérait comme une « énième autorité administrative indépendante » et un « objet juridique non identifié » ; chacun a pu les relire. Un autre membre de la commission des lois, le député Manuel Valls, s’indignait quant à lui du principe de la nomination du contrôleur général des lieux de privation de liberté par le chef de l’État… Au total, ces protestations, ces postures furent bien vaines. Chacun reconnaît aujourd’hui que la personnalité choisie par un décret présidentiel a su assumer avec une parfaite dignité les fonctions qu’il tenait de la loi.
Pour ma part, je suis convaincu que les missions actuelles du contrôleur général des lieux de privation de liberté doivent être pérennisées. Je ne suis pas hostile, en eux-mêmes, à la plupart des ajustements techniques – parfois microscopiques, à vrai dire – contenus dans cette proposition de loi. Je crois cependant que notre débat sera peu utile si nous n’abordons pas une question esquissée par le Parlement en 2011, qui avait fait l’objet d’un désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, et qui me semble mériter un nouvel examen : je veux parler de l’intégration du contrôle des lieux de privation de libertés parmi les missions du défenseur des droits. Je suis pour ma part résolument favorable à une telle évolution.
Le défenseur des droits est une autorité publique instituée par la Constitution elle-même – plus précisément, par son article 71-1. Parce qu’il a pour mission constitutionnelle de veiller au respect des droits et libertés par toutes les administrations et organismes publics, et parce qu’il peut se saisir d’office de toute situation – ce que l’on oublie trop souvent –, le défenseur des droits pourrait très naturellement, à l’avenir, assumer pleinement le contrôle de tous les lieux de privation de libertés, sans rien retrancher de ce que l’actuel contrôleur a su assumer.
Ce serait, j’en suis convaincu, non seulement une simplification de notre organisation de contrôle du respect des droits et libertés, mais aussi un renforcement de cette fonction essentielle pour l’État de droit. Je comprends que l’actuelle majorité parlementaire n’y est pas prête. Je le regrette, car la République n’a rien à craindre d’un défenseur des droits puissant – quel que soit, demain, le titulaire de cette charge. C’est ce regret, mes chers collègues, qui me conduira à ne pas approuver cette proposition de loi qui me semble au total, au regard même de l’objectif de protection des droits et libertés, bien peu audacieuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La discussion générale est close.
M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 14, tend à supprimer l’article 1er A.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne détaillerai pas inutilement les arguments qui motivent cet amendement, dont l’exposé sommaire est suffisamment clair. Notre collègue Philippe Goujon les a également évoqués à la tribune tout à l’heure. : compte tenu de ce qu’a signalé le contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de ses auditions, et compte tenu du peu de moyens dont il disposera, il ne nous paraît pas pertinent d’élargir le champ de ses compétences comme l’envisage l’article 1er A de cette proposition de loi. Nous proposons donc de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Comme nous l’avons expliqué plusieurs fois en commission, cet article est nécessaire pour mettre la législation française en conformité avec les dispositions de la directive « retour ». Ce texte nous impose de « prévoir un système efficace de contrôle du retour forcé ». Or il n’y a pas à l’heure actuelle en France un tel système de contrôle, hormis les inspections générales des administrations concernées – mais vous conviendrez qu’il ne s’agit pas d’organes de contrôle indépendants. Aucun contrôle des mesures d’éloignement n’existe. La directive « retour » date de 2008, et devait être transposée avant la fin de l’année 2010. La France est donc en situation de manquement depuis plus de trois ans.
Je reviens sur les propos tenus par M. Goujon. Lorsque j’évoquais moi-même les difficultés pratiques éventuelles que pourrait rencontrer le contrôleur général, je ne visais pas les mesures d’éloignement exécutées de façon planifiée par avion, car celles-ci sont gérées de façon centralisée par le ministère de l’intérieur. Le contrôleur général pourra demander sans difficulté à en être informé à l’avance en vue d’un contrôle. Je faisais seulement référence aux mesures d’éloignement simplifiées, en particulier les réadmissions, qui sont décidées par les préfectures et ont lieu par voie terrestre. M. Delarue, lors de son audition, a indiqué que ces mesures pourraient être contrôlées à l’occasion de visites dans des zones transfrontalières.
S’agissant des moyens financiers, il est évident que le nombre de contrôles sur les lignes aériennes sera nécessairement restreint pour des raisons budgétaires. Cela ne constitue pas, pour autant, une raison suffisante pour ne pas prévoir ce contrôle que la directive « retour » nous oblige à mettre en place.
Dernier élément : un des syndicats de policiers entendu par la commission m’a indiqué que de son point de vue, ces contrôles seraient un élément positif qui, grâce au signalement par une autorité extérieure et indépendante d’éventuels dysfonctionnements organisationnels, permettrait d’améliorer les procédures mises en œuvre.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis : de toute façon, la directive « retour » nous oblige à mettre en place ce contrôle. La seule question qui se pose est de savoir s’il convient de le confier au contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à une autre autorité. L’article 1er A vise à mettre la législation française en conformité avec le droit européen ; le Gouvernement est donc défavorable à sa suppression.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Juste une remarque technique : deux raisons m’amènent à penser que nous ne sommes en rien en situation de manquement au regard de nos obligations européennes. Premièrement, la directive « retour », négociée en 2008, a été transposée en 2011 dans une loi relative à l’immigration modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Vous ne l’avez pas votée, mais cette loi n’en constituait pas moins le vecteur de transposition de la directive « retour ».
Deuxièmement, si nous étions en situation de manquement, la Commission européenne, voire la Cour de justice de l’Union européenne, nous l’auraient dit ; or cela n’a absolument pas été le cas. J’ajoute qu’à ma connaissance, le Conseil d’État, pourtant saisi de divers textes législatifs portant sur l’immigration depuis 2008, n’a jamais appelé l’attention du pouvoir exécutif sur la nécessité de transposer la directive « retour » dans le sens que l’actuelle majorité veut lui donner. Cette directive parle d’un « système de contrôle efficace » ; cela n’implique nullement qu’un tel contrôle doive être envisagé dans les avions même – c’est-à-dire dans le lieu final de l’éloignement de ressortissants étrangers en situation irrégulière.
Notons enfin que d’autres pays européens n’appliquent pas du tout ce système. Cet argument de fait s’ajoute aux arguments juridiques que je viens d’énoncer.
(L’amendement no 14 n’est pas adopté.)
(L’article 1er A est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 16, qui tend à supprimer l’article 1er B.
M. Jean-Frédéric Poisson. Défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Défavorable. Je regrette que M. Poisson ne défende pas plus longuement son amendement, car je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas lieu de donner aux députés européens la possibilité de saisir le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Je souhaite préciser que je ne voterai pas pour l’amendement présenté par mon collègue Jean-Frédéric Poisson. Nous venons de débattre tous les deux de cette question. Au fond, le raisonnement qui sous-tend cet amendement est le suivant : dès lors que seuls les députés et les sénateurs représentent la volonté nationale, ils seraient les seuls fondés à saisir le contrôleur général. Je pense pour ma part que l’Union européenne est aussi une communauté de droit et que les députés au Parlement européen ont aussi un rôle de protection des droits fondamentaux. Il est donc légitime qu’ils puissent également saisir le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Je comprends bien les interrogations de M. Larrivé. Je trouve d’autant plus surprenant que des membres de l’UMP aient déposé cet amendement que c’est grâce à l’UMP qu’en 2009 une modification de cohérence a permis aux députés européens de visiter les lieux de privation de liberté. Il est logique de leur permettre de saisir aussi le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
(L’amendement no 16 n’est pas adopté.)
(L’article 1er B est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, inscrit sur l’article 1er.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je vais prendre quelques instants pour détailler nos arguments en intervenant sur l’article, ce qui vaudra, si le président en est d’accord, défense de mes amendements.
Comme je l’évoquais tout à l’heure à la tribune, monsieur le président de la commission des lois, le nouvel article 6-1 que cette proposition de loi propose d’insérer dans la loi du 30 octobre 2007 comporte trois alinéas. Le premier alinéa précise que les saisines anonymes du contrôleur général sont irrecevables – plus précisément, le saisissant doit mentionner son identité. Le deuxième alinéa permet au contrôleur général d’intervenir à la suite d’une saisine, lorsque cela relève de ses attributions. Le troisième alinéa ajoute que le contrôleur général peut, s’il le veut, une fois qu’il a décidé d’intervenir, procéder aux vérifications d’usage et publier des observations ou des recommandations.
Cet article peut donc être ainsi résumé : « le contrôleur général fait son métier ». L’apport juridique de ces trois alinéas est de mon point de vue inexistant. Cet article ne fait rien d’autre que rappeler, dans d’autres termes, des dispositions figurant par ailleurs dans la loi.
Deuxièmement, la personne qui saisit le contrôleur général devra au préalable indiquer son nom et son adresse. Ce qui revient à dire que celui-ci ne dispose pas seul de la faculté de décider d’intervenir ou non sur les faits dont il est saisi, fût-ce de manière anonyme. Après tout, c’est à lui d’en décider, puisqu’on lui donne par ailleurs toute liberté de visites, de contrôles et d’interventions, sans aucune espèce de limitation, ce qui est la condition même de l’exercice de sa mission. Par ailleurs, un autre alinéa du texte se réfère expressément à la dénonciation calomnieuse, puisqu’il prévoit que la saisine du contrôleur général pour des faits qui n’existent pas expose aux punitions prévues par le code pénal au titre de la dénonciation calomnieuse.
En définitive, je pense que ces trois alinéas ne servent à rien. Mon premier amendement, n° 17, vise donc à supprimer les alinéas 2 à 5. À moins que l’on considère que l’alinéa 3, qui établit l’irrecevabilité des saisines anonymes – ce n’est pas écrit ainsi mais cela revient exactement à cela –, pourrait éventuellement constituer un apport par rapport au texte en vigueur ; auquel cas je propose par un amendement de repli, n° 18, de ne supprimer que les alinéas 4 et 5, parfaitement redondants avec les missions très clairement décrites dans la loi de 2007 instituant le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Je saisis la possibilité de m’exprimer sur l’article pour appeler l’attention de la garde des sceaux sur un élément que j’ai soulevé lors de la discussion générale, sans avoir obtenu de réponse pour l’instant : alors que le mandat de Jean-Marie Delarue s’achève au mois de juin et qu’il est possible de réorganiser les modalités de contrôle des lieux de privation de liberté sans porter atteinte à la situation de l’éminent titulaire de cette fonction, j’aimerais comprendre pourquoi le Gouvernement n’envisage pas d’intégrer les missions du contrôleur général dans celle du défenseur des droits. C’est une question intéressante : pourquoi le Gouvernement fait-il aujourd’hui ce choix, aussi respectable soit-il ? Je serais heureux, madame la garde des sceaux, que vous puissiez vous exprimer publiquement pour que chacun soit éclairé.
M. le président. Les amendements nos 17 et 18 ont été défendus.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Je pense sincèrement qu’il existe un malentendu entre nous. La loi de 2007 ne prévoit que le droit d’effectuer des visites pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Or, on a constaté un nombre de saisines individuelles très important : plus de 4 000 l’an dernier. La loi étant silencieuse sur ce point, le contrôleur général a mis en place une procédure d’enquête reposant sur des entretiens, qui n’avait pas été prévue par législateur de 2007. Nous ne faisons que remédier au silence de la loi.
Le nouvel article 6-1 ne fait que conforter et clarifier les conditions dans lesquelles le contrôleur général peut effectuer ses enquêtes. Il précise clairement qu’il disposera des mêmes prérogatives dans le cadre des enquêtes menées à la suite d’une saisine individuelle que dans le cadre des visites, par exemple des établissements pénitentiaires, qui sont, elles, déjà prévues par la loi de 2007. Nous n’avons fait que retranscrire dans la loi les procédures mises en place par le contrôleur Delarue là où rien n’avait été prévu. Je ne comprends donc pas bien les amendements de suppression que vous défendez, monsieur Poisson. Je me demande donc s’il n’y a pas un petit malentendu entre nous sur ce point. Avis défavorable de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis. En effet, la loi de 2007 a prévu une large possibilité de saisine du Contrôleur général. Simplement, elle n’a pas précisé les suites de ces saisines. Comme vient de l’expliquer Mme la rapporteure, le contrôleur général s’en est arrangé. Il nous revient donc de créer maintenant le cadre juridique dans lequel il va donner suite à ces saisines. Ces dispositions sont donc utiles.
Monsieur le député Larrivé, la question que vous posez peut effectivement mériter débat. Mais, en l’état, le Gouvernement n’est pas convaincu qu’il y ait lieu de faire fusionner cette autorité administrative indépendante avec celle du défenseur des droits qui, ainsi que vous le savez, regroupe le défenseur des enfants, l’ancienne commission nationale de déontologie de la sécurité, et l’ancienne HALDE, la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Il est légitime que vous vous interrogiez, comme d’autres parlementaires ou personnalités, mais, pour l’heure, le débat ne se pose pas. Il ne nous paraît pas évident de faire fusionner ces deux autorités administratives indépendantes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
M. Jean-Frédéric Poisson. Non, il n’y a pas de malentendu entre nous, madame la rapporteure. Votre argument justifie parfaitement les dispositions du nouvel article 8-1 A, qui précise effectivement la manière dont le contrôleur général peut solliciter des tiers, demander des témoignages, etc. Dans ce cas, il est parfaitement justifié de préciser ses modalités d’action. Nous n’avons d’ailleurs pas déposé d’amendements sur ces dispositions. Pour aller dans le sens des propos de Mme la garde des sceaux, le contrôleur général a dû trouver lui-même les voies et moyens pour enquêter. Il se heurte parfois à des difficultés pour recueillir auprès des tiers certains témoignages ou d’autres éléments. Il est donc légitime de préciser cela.
En revanche, les trois alinéas visés par mes amendements n’apportent rigoureusement rien. La lecture de l’alinéa 4 en est un bon exemple : « lorsque les faits ou les situations portés à sa connaissance relèvent de ses attributions » – par définition, ce qui ne relève pas de ses attributions n’est pas dans son champ de mission –, « le contrôleur général des lieux de privation de liberté peut procéder à des vérifications, éventuellement sur place. »
Pouvez-vous me dire ce que cela apporte par rapport à la formulation initiale ? Franchement, il s’agit là du cœur du métier du contrôleur général : il n’intervient pas en dehors de son champ de compétences, mais sitôt qu’il est saisi d’une situation relevant de son pouvoir d’intervention, il fait ce qu’il veut.
Certes, votre rédaction ne changera pas la face de la terre, tant s’en faut, et cela ne motive d’ailleurs pas notre critique du texte. Mais c’est ce que j’ai dénoncé tout à l’heure à la tribune : non seulement cette façon d’écrire le droit n’apporte rien mais, en définitive, elle entretient une espèce de flou.
Enfin, je réponds à Mme la garde des sceaux en suivant exactement le cheminement de son argumentation : si le contrôleur général a pu intervenir dans les conditions qu’il a choisies pendant six ans, c’est bien que le droit lui en donne la faculté. Quelle nécessité y a-t-il donc de la préciser dans la loi s’il peut effectivement remplir sa mission de façon satisfaisante et convaincante aux yeux de tous, en étant salué unanimement par la représentation nationale ? Pourquoi prévoir des dispositions que le droit permet déjà ? Quel besoin d’entrer dans des détails qui ne servent à rien ? C’est le sens de mes amendements.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Monsieur le député, nous n’avons évidemment pas de désaccords. Sachez simplement que cette rédaction répond à une demande du contrôleur général, qui a développé certaines pratiques, mais sans base législative. Or il craint que, si nous ne remédions pas à cette lacune, quelqu’un ne puisse demain les lui interdire.
M. Jean-Frédéric Poisson. Seul le Parlement peut le faire !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous créons donc une base législative sur laquelle pourra s’appuyer le futur contrôleur général. Je suis d’accord avec vous : au premier abord, cela paraît redondant. Mais, on peut parfaitement défendre l’hypothèse inverse : comme ce n’est pas précisé, on peut le lui interdire. Un fonctionnaire peut parfaitement lui interdire ces pratiques, au motif que la loi n’en prévoit pas explicitement la possibilité. Nous ne faisons qu’établir une base légale. Mais, du sexe des anges…
M. Jean-Frédéric Poisson. En effet !
(Les amendements nos 17 et 18, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 1.
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Il est rédactionnel.
(L’amendement no 1, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 19.
M. Jean-Frédéric Poisson. Il est défendu.
(L’amendement no 19, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
(L’article 2 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Lionel Tardy. Le renforcement les pouvoirs du contrôleur général des lieux de privation de liberté permis par la proposition de loi va globalement dans le bon sens, d’autant plus que l’article 4 l’assortit logiquement d’une plus grande transparence. Il prévoit en effet la publicité systématique des avis et recommandations.
Prenons garde toutefois à ne pas aller trop loin et à ne pas faire du contrôleur général des lieux de privation de liberté une sorte « d’hyper-autorité administrative indépendante ». Je bute, peut-être à tort, sur un détail concernant ses relations avec les ministères : il est question que le contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse « impartir » un délai dans lequel ils doivent formuler leurs observations. N’est-on pas proche de l’injonction ? Est-il normal qu’une autorité administrative indépendante ait ce pouvoir sur un ministre ?
L’amendement no 5 permet de soulever la question et propose de revenir sur la formulation. La loi pourrait ainsi prévoir un délai fixe compris entre un et trois mois : un mois pour éviter les observations bâclées et trois mois pour éviter les retards.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Le délai que vous proposez risque de se révéler trop rigide. Dans certains cas de visites très longues et d’observations très denses du contrôleur général, un délai maximum de trois mois peut s’avérer beaucoup trop court – l’histoire l’a prouvé. Le système retenu par la proposition de loi, qui prévoit un délai de réponse fixé par le Contrôleur général avec un minimum d’un mois, est préférable, car plus souple.
Par ailleurs, la possibilité pour le contrôleur de fixer un délai de réponse au Gouvernement ne peut pas être assimilée à un pouvoir d’injonction. Il y a un pas important, que la proposition de loi ne franchit pas, entre la possibilité d’exiger une réponse, même en fixant un délai, et celle de prescrire une action. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable à votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sujet que vous soulevez, monsieur Tardy, mérite incontestablement examen. En l’occurrence, le Gouvernement émet un avis défavorable car le délai de réponse est encadré de façon trop stricte dans votre amendement. Cela étant, il faut préciser la formulation pour nous assurer qu’elle ne puisse pas être interprétée comme une injonction d’une autorité administrative à l’exécutif. Les choses semblent se concevoir ainsi, mais votre observation va nous conduire à revoir les choses plus précisément pour être sûrs d’avoir levé toute ambiguïté.
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je réponds à Mme la rapporteure que le souci est partagé : tout le monde a envie que le système fonctionne et que l’on obtienne des réponses pertinentes dans des délais compatibles avec le sujet dont nous traitons. Or ce dont nous traitons, ce sont bien les droits fondamentaux des personnes, puisque la mission du contrôleur général des lieux de privation de liberté est de s’assurer que ces droits sont respectés partout où ces personnes sont détenues. J’entends bien la complexité du sujet, madame la rapporteure, et votre argument est dans une large mesure conforté par ce que vient de dire Mme la garde des sceaux.
Il reste que j’aimerais bien qu’on prenne conscience – cela devrait être facile – que cela revient à dire, au sein de l’Assemblée nationale, que trois mois pour répondre à des situations en toute hypothèse contraires aux droits fondamentaux des personnes, cela peut être trop court. Le message envoyé me paraît quand même difficilement audible. J’invite donc à porter une attention particulière à cette question de délai. En tout état de cause, le groupe UMP votera l’amendement de M. Tardy.
(L’amendement no 5 n’est pas adopté.)
(L’article 3 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 15, tendant à supprimer l’article 4.
M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne voyons aucune espèce d’utilité à ce que la publication systématique des rapports du contrôleur général soit prévue par la loi. Ces obligations, au demeurant assorties d’aucune forme de sanction, n’ont pas lieu d’être. On est tenté de se demander ce qui se passerait si les publications n’étaient pas systématiques : normalement, lorsqu’une obligation n’est pas respectée, il devrait se passer quelque chose. Or, dans le cas présent, il est évident qu’il ne peut rien se passer. Il ne sert donc à rien de prévoir cette disposition et nous proposons donc de supprimer l’article 4.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Je maintiens pour ma part que cela peut servir à quelque chose. Pour commencer, l’article 4 rend systématique la publication d’avis de caractère général du contrôleur général. Bien évidemment, cela ne s’applique pas aux rapports de visite. Il est vrai que M. Delarue, que nous avons tous salué de façon unanime, a toujours publié tous ses travaux de caractère général. Mais il s’agit bien de M. Delarue : dans la mesure où cela ne reste qu’une simple faculté, rien ne dit que son successeur aura la même position.
Je pense sincèrement que, dès lors qu’il s’agit de données à caractère général, il est préférable, dans un souci de transparence, de prévoir une publication systématique qui sera utile à l’information des citoyens et des parlementaires sur la situation des lieux de privation de liberté. La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tant qu’il s’agit des avis à caractère général, cette obligation de publication n’est pas choquante et me paraît de nature à nourrir le débat et à faire en sorte que l’opinion publique et toutes les autorités et personnalités concernées puissent se saisir des observations émises par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Pour ces raisons, je suis défavorable à cet amendement de suppression de l’article.
(L’amendement no 15 n’est pas adopté.)
(L’article 4 est adopté.)
(Les articles 4 bis et 5 sont successivement adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 6 et 12.
La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 6.
M. Lionel Tardy. Lors de la réunion de la commission, la rapporteure a soulevé la question de l’harmonisation des peines pour délit d’entrave. Il est prévu ici qu’entraver les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sera puni d’une amende de 15 000 euros. Comme vous le savez, pour des autorités administratives indépendantes comparables, à savoir la CNIL et le défenseur des droits, les peines sont de 15 000 euros et d’un an d’emprisonnement.
Vous défendez une harmonisation par le bas, madame la rapporteure. Pourquoi ne pas maintenir la peine d’emprisonnement ? En effet, si les pouvoirs du contrôleur général augmentent, entraver ses missions serait donc logiquement plus grave. Vous me répondrez sans doute que la peine de prison ne sert pas à grand-chose, car elle n’est quasiment jamais prononcée et qu’elle n’a qu’un caractère dissuasif ; mais c’est justement contre-intuitif.
Si la peine est diminuée, elle perd de son caractère dissuasif. Je ne pense pas que cette harmonisation à la baisse soit judicieuse. Mon amendement n° 6 propose donc une simple harmonisation avec le délit d’entrave pour les autorités administratives indépendantes que j’ai citées précédemment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 12.
M. Jean-Frédéric Poisson. Même argumentation, monsieur le président ! Mon amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Le texte adopté par le Sénat prévoyait effectivement une peine d’emprisonnement d’un an pour le nouveau délit d’entrave. J’ai proposé de supprimer cette peine d’emprisonnement et de ne conserver que l’amende de 15 000 euros pour deux raisons. Premièrement, je considère qu’une peine d’emprisonnement qui n’est jamais prononcée et qui n’a quasiment aucune chance de l’être n’a aucune valeur dissuasive, la dissuasion étant, en réalité, la conséquence de l’existence même d’un délit. Deuxièmement, l’emprisonnement ne doit pas être, selon moi, la peine de référence pour tout comportement pénalement réprimé.
Si je suis par ailleurs d’accord avec ce qui figure dans l’exposé sommaire de l’amendement no 6, à savoir qu’une harmonisation des peines avec les autres délits d’entrave existants – vous avez cité entre autres la CNIL – est nécessaire, je suis, pour ma part, comme vous l’avez précisé, monsieur Tardy, favorable à une harmonisation des peines encourues, mais dans le sens de la déflation, autrement dit à la suppression des peines d’emprisonnement prévues pour ces délits. Je l’ai d’ailleurs précisé lors de l’examen de ce texte en commission et je l’ai mentionné dans mon rapport.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dommage !
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Je répondrai enfin à un argument développé à l’appui de l’amendement n° 9, qui n’a pas été repris par M. Poisson, mais qui figure dans son exposé sommaire. Je ne crois pas qu’il y ait de disproportion manifeste entre les peines encourues en cas de violation du secret des correspondances entre le contrôleur général et une personne privée de liberté et celles prévues en cas d’entrave. La violation du secret est d’une gravité nettement plus importante, car elle crée un risque fort de tarissement même des sources d’information du contrôleur.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de repousser ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis. Cette peine d’emprisonnement paraissait démesurée par rapport à la fréquence et à l’entrave elle-même. L’initiative de la rapporteure tendant à supprimer cette peine paraît bienvenue. Mme la rapporteure a, en revanche, élargi le champ, puisqu’elle a ajouté à l’entrave les représailles auxquelles sont exposées les personnes qui saisiront le Contrôleur général.
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la rapporteure, le fait d’entraver en ne fournissant pas les informations demandées par le Contrôleur est aussi une manière de tarir la source, pour reprendre votre expression. La violation du secret des correspondances est punie de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros. Ce sont évidemment des peines plafond, idée sur laquelle repose l’ensemble du système pénal.
De nombreuses peines plafond ne sont pas, et c’est sans doute heureux, prononcées par les tribunaux. Ces amendements tendent à établir une sorte de parallélisme des formes, ce qui rejoint quelque peu votre préoccupation. Il doit y avoir une cohérence entre les peines prononcées à l’encontre des personnes coupables d’avoir violé le secret des correspondances et les peines qu’encourraient celles qui n’auraient pas fourni au contrôleur général les éléments sans lesquels il ne pourrait remplir sa mission. C’est la raison pour laquelle nous proposons de rétablir la peine d’emprisonnement en cas de délit d’entrave.
(Les amendements identiques nos 6 et 12 ne sont pas adoptés.)
(L’article 6 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 4.
M. Lionel Tardy. Je ne surprendrai sans doute personne en m’attaquant encore une fois à ce que l’on appelle « comité Théodule ». Je déposerai d’ailleurs prochainement une proposition de loi sur ce point. Je souhaite que nous prenions deux minutes pour nous pencher sur le sort de la commission de suivi de la détention provisoire créée en 2000. L’essentiel de ses missions se résume en la collecte de données statistiques qu’elle est censée regrouper dans un rapport annuel. Je dis bien « censée », car je n’ai pas trouvé de trace de ce rapport. Le dernier qui figure sur le site de la Documentation française remonte, sauf erreur de ma part, à 2007. Il y a donc réellement de quoi s’interroger sur le maintien de cette commission.
Autre raison de demander sa suppression, ce comité de suivi est chargé de suivre les effets de la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes du 15 juin 2000. On peut, je le pense, estimer que, quatorze ans après, cette mission de suivi est achevée.
Il y a enfin un doublon évident avec les missions du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ainsi, le contrôleur général peut très bien réunir les données, tout aussi bien que la commission de suivi. Mon amendement propose donc, vous l’aurez compris, de supprimer cette commission, sachant que le contrôleur général pourra remplir ses missions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Comme vous venez de le souligner, monsieur Tardy, cette commission de suivi de la détention provisoire résulte d’un amendement parlementaire à la loi de juin 2000 de notre ancienne collègue Frédérique Bredin et de notre collègue Alain Tourret. Aux termes de cette loi, la commission est chargée de réunir les données juridiques, statistiques et pénitentiaires concernant la détention provisoire. Sa mission est donc absolument distincte de celle du contrôleur général des lieux de privation de liberté dont le rôle est de contrôler les conditions de détention des personnes et de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Ce sont ainsi deux objectifs différents.
Selon les informations qui m’ont été communiquées par la Chancellerie, l’activité de cette commission a toutefois été interrompue entre 2008 et 2012, mais elle a repris depuis 2012 et un rapport doit être établi très prochainement. Il ne me paraît donc pas justifié de supprimer cette commission dont la mission est utile et distincte de celle du Contrôleur général. Qui plus est, son coût de fonctionnement est modeste puisque ses membres sont bénévoles et peu nombreux.
En revanche, et je vous suis sur ce point, il serait sans doute souhaitable que les travaux de cette commission soient à l’avenir l’objet d’une plus grande publicité pour permettre à chacun, et notamment aux parlementaires, d’être mieux informés sur le recours à la détention provisoire en France. Peut-être pourriez-vous, madame la garde des sceaux, nous apporter quelques précisions sur la publicité que vous envisagez de donner aux futurs travaux de cette commission de suivi de la détention provisoire. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis. Je vous apporterai toutefois quelques précisions afin de répondre à votre interrogation tout à fait légitime. Nous nous sommes aperçus que les travaux de cette commission avaient effectivement été interrompus. La commission a repris ses travaux et son rapport est pratiquement finalisé. Il sera publié dans un bref délai. Vous pourrez donc en prendre connaissance. Mme la rapporteure a très précisément expliqué la différence qui existe entre la mission du contrôleur général et celle de cette commission, laquelle s’intéresse davantage au cadre juridique de la détention provisoire, à son évolution et à ses conséquences.
Il y a effectivement lieu de rendre manifestement plus publics les travaux de cette commission. Nous verrons si sa suppression est justifiée lorsque nous aurons pris connaissance du rapport. Ne nous basons donc pas sur la période pendant laquelle la commission n’a pas publié de rapport pour considérer que son objet même est devenu obsolète. Je le répète, la publication de ce rapport est imminente. Nous veillerons à ce qu’il soit mieux connu.
(L’amendement no 4 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, inscrit sur l’article 7.
M. Jean-Frédéric Poisson. Mon intervention vaudra défense de l’amendement no 13. Cet article est extrêmement délicat, comme tout ce qui a trait à l’utilisation des communications à caractère téléphonique ou électronique depuis la prison.
On sait que l’existence de ces moyens de communication se justifie selon leur utilité ou de légitimité. Ils peuvent être, pour certains détenus, le dernier lien avec le monde extérieur et leur entourage. Mais il y a l’autre côté de l’éventail : ainsi, ils peuvent être le premier et le plus sûr moyen pour les détenus de continuer à organiser des activités délictuelles ou criminelles – parfois celles-là mêmes qui les ont conduits en prison.
Entre les deux, il existe tous les types d’utilité, de comportement et d’usage, ceux-ci n’étant jusqu’à maintenant absolument pas toléré par les règlements intérieurs, hormis dans quelques cas exceptionnels.
Les auteurs de cet amendement, dont Philippe Goujon, craignent que, même si telle n’est pas l’intention du texte – je le précise pour éviter tout malentendu entre nous, madame la rapporteure – les formulations employées ici n’entrouvrent, en réalité, la porte à la légitimation de tous les moyens de communication depuis l’univers carcéral et que nous soyons ensuite incapables d’empêcher qu’elle ne s’ouvre davantage et que, petit à petit, d’autres autorisations ne soient données en la matière à l’ensemble des détenus, ce qui compliquerait évidemment beaucoup le traitement des affaires sur le plan judiciaire.
Toutefois, et c’est assez cruel de devoir le rappeler ici, c’est pour un certain nombre de détenus un moyen de survie. Nous sommes tous conscients de cette ambiguïté. Jusqu’ici, la loi française et les institutions judiciaires ont donné la priorité à la résolution des affaires par un traitement plus familial des moyens de communication électroniques ou téléphoniques. Il est à craindre que nous devions en rester à ce stade. C’est la raison pour laquelle nous proposons que la mention « , les correspondances et tout autre moyen de communication » soit retirée de cet article pour éviter tout risque à cet égard.
M. le président. L’amendement no 13 est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Dumont, rapporteure. Cet amendement est effectivement important. Je vais vous expliquer les raisons pour lesquelles j’y suis défavorable. L’article 7, tel qu’il figure dans la proposition de loi, interdit à l’administration pénitentiaire de contrôler les communications téléphoniques et les correspondances entre le Contrôleur et les personnes détenues ainsi que tout autre moyen de communication. Il est exact qu’aujourd’hui les seuls moyens de communication que les personnes détenues peuvent légalement utiliser sont la correspondance écrite et les seuls téléphones fixes installés dans les établissements. Les téléphones portables sont donc exclus.
Cependant, l’interdiction de l’accès à internet devra, à mon sens, être revue à court ou moyen terme afin de permettre aux détenus de communiquer par courrier électronique tout aussi contrôlable que les correspondances « papier ». Cela pourrait également permettre aux détenus d’accéder à des sites d’enseignement à distance, de formation professionnelle ou de recherche d’emploi.
Je n’insiste pas sur l’intérêt que cela pourrait représenter en ce que cela faciliterait également la réinsertion à la sortie de prison. Si l’on ne veut pas couper les détenus du monde pendant leur incarcération, il convient de ne pas les empêcher d’accéder à un outil de communication. Mais le texte dont nous débattons n’aborde pas ce sujet précis, je ne fais que vous donner mon sentiment.
De même, nous pouvons nous interroger sur la pertinence de l’interdiction des téléphones portables. Nous savons que s’ils sont utilisés, c’est aussi parce que les téléphones fixes ne permettent pas forcément de contacter les familles à l’heure où elles sont à leur domicile. Il y a donc aujourd’hui une utilisation illégale de téléphones portables pour pallier ces difficultés d’accès et d’horaires.
Si les téléphones portables étaient autorisés en détention, cela pourrait peut-être contribuer à apaiser le climat, et aussi permettre de contrôler les échanges en concentrant les efforts sur les activités illégales qui transitent parfois par les téléphones portables.
Or une loi ne serait pas forcément nécessaire pour permettre l’accès à internet ou aux téléphones portables dans les prisons, en particulier si cela se faisait au départ dans le cadre d’expérimentations locales. En effet, dans la loi pénitentiaire de 2009, les termes des articles 39 et 40 ne limitent pas les correspondances téléphoniques aux seuls postes fixes des établissements et visent la correspondance par écrit. Or les courriers électroniques sont une forme de correspondance par écrit.
Par conséquent, si ces évolutions avaient lieu, il serait nécessaire de garantir que les correspondances électroniques et toutes les communications téléphoniques avec le Contrôleur soient bien couvertes par la confidentialité, et nous en revenons à l’objet de cette proposition de loi.
Voilà pourquoi nous maintenons que la mention de « tout autre moyen de communication » à l’article 7 est dès à présent nécessaire. Pour toutes ces raisons, je vous demande de repousser cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet article 7 assure la confidentialité de la communication entre les détenus et le contrôleur général, quel que soit le support. Avec cette périphrase, l’article ne méconnaît pas la diversité des supports existants aujourd’hui, fussent-ils interdits, et l’émergence éventuelle d’autres supports.
Tant que nous avons la certitude que les correspondances protégées sont les correspondances entre les détenus et le contrôleur, le support devient un sujet secondaire.
Ceci étant, vous avez raison, le sujet de la communication au sein de nos établissements se pose vraiment. Plus de 90 % des détenus utiliseraient les moyens de communication pour maintenir des contacts avec la famille, avec leur épouse – j’utilise le terme d’épouse car nous ne comptons que 3 % de femmes dans la population carcérale, c’est donc davantage une population masculine – et avec leurs enfants. Comme le disait la rapporteure à l’instant, les plages horaires prévues pour les communications sur téléphones fixes ne correspondent pas aux besoins de cette communication. Or nous avons vu à quel point le maintien des liens familiaux contribue à réduire les risques de récidive.
Il s’agit donc d’un vrai sujet que le Contrôleur général a d’ailleurs déjà soulevé et sur lequel j’ai demandé à l’administration pénitentiaire de travailler, parce qu’il nous faut arriver à régler le problème du contrôle des communications à but délictuel ou criminel de façon à ne pas continuer à priver la très large majorité de la population carcérale de ce moyen de maintenir des liens familiaux et sociaux. Pour l’instant, les exigences de sécurité nous conduisent à ne pas prendre le risque de voir les détenus utiliser effectivement ces moyens-là : à chaque fois qu’ils parviennent à faire entrer des téléphones portables de façon illégale, ils les utilisent pour continuer leurs activités délictuelles ou criminelles.
Il nous faut régler ce problème. L’article 7 ne méconnaît pas l’apparition et l’usage d’autres supports, mais il limite bien cette confidentialité aux communications entre les détenus et le contrôleur. Pour cette raison, avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. En s’étendant quelque peu au-delà de l’objet de l’article 7, madame la rapporteure nous a indiqué qu’elle était, pour ce qui la concerne, ouverte à la perspective d’une légalisation de l’accès à internet et de l’utilisation des téléphones portables par les personnes détenues. Pour la parfaite clarté de nos débats, je veux ici dire de manière tout à fait solennelle que le groupe UMP est totalement hostile à cette perspective de l’utilisation d’internet et des téléphones portables pour des raisons de sécurité évidentes. Je souhaiterai vivement que la majorité ne s’égare pas dans les semaines et les mois à venir vers les perspectives qu’ouvre Mme Dumont, car elles seraient extrêmement préjudiciables à la sécurité des établissements pénitentiaires.
(L’amendement no 13, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 7 est adopté.)
(L’article 8 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour une explication de vote au nom du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jean-Frédéric Poisson. Pour la claire information de nos concitoyens, et puisque nous allons nous prononcer sur ce texte par un vote à main levée, je confirme que le groupe UMP s’abstiendra sur ce texte, ainsi que je l’avais annoncé au cours de la discussion générale.
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Prochaine séance, lundi 5 mai, à seize heures :
Discussion, en procédure d’examen simplifié, de quatre conventions internationales ;
Projet de loi relatif au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron