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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 22 mai 2014

SOMMAIRE

Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis

Discussion des articles (suite)

Rappel au règlement

M. Jacques Myard

Article unique (suite)

Amendement no 29

M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires étrangères

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

Amendements nos 4 , 22 , 5 , 23 , 6 , 7 , 24 , 8 , 16 , 25 , 26 , 27 , 10

Suspension et reprise de la séance

Explications de vote

Mme Marietta Karamanli

M. François Asensi

M. Guy Geoffroy

M. Jean-Louis Roumegas

Vote sur l’article unique

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État

2. Modulation des contributions des entreprises

Présentation

M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

Mme Jacqueline Fraysse

M. Alain Fauré

M. Guillaume Chevrollier

M. Éric Alauzet

Mme Valérie Rabault

M. Dominique Lefebvre

M. Pierre-Alain Muet

M. Nicolas Sansu, rapporteur

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 12

Article 2

Amendement no 13

Article 3

Amendement no 14

Article 4

Amendement no 15

Article 5

Amendement no 16

Article 6

Amendement no 17

Article 7

Amendement no 18

Article 8

Amendement no 19

Après l’article 8

Amendement no 11

Article 9

Amendement no 20

Suspension et reprise de la séance

3. Ouvrages d’art de rétablissement des voies

Présentation

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

M. Patrice Carvalho, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Discussion générale

M. André Chassaigne

M. Florent Boudié

M. Guillaume Chevrollier

M. Jean-Marie Beffara

Discussion des articles

Article 1er

Amendements nos 4, deuxième rectification , 6 , 7 rectifié , 8 rectifié , 9 , 10 rectifié , 11

Article 2

Amendement no 13

Article 3

Explication de vote

M. Florent Boudié

Vote sur l’ensemble

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis

Suite de la discussion d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de résolution européenne de MM. André Chassaigne, François Asensi, Alain Bocquet et Bruno Nestor Azerot et plusieurs de leurs collègues sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique (nos 1876, 1930, 1938).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Ce matin, l’Assemblée a commencé la discussion de l’article unique, s’arrêtant à l’amendement n29.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Myard. Sur le fondement de l’article 58, alinéa 1.

Un tel débat est organisé à juste titre. Cette proposition, après avoir été examinée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, vient à point nommé comme un coup de semonce car, à un moment, il faut savoir prendre ses responsabilités et expliquer que ce n’est pas du poker et que nous n’allons pas laisser parapher ce texte sans savoir ce qu’il y a dedans.

En réalité, ce traité, en l’état actuel des choses, est l’illustration la plus parfaite du dysfonctionnement de l’Union européenne vis-à-vis des États car la Commission est certainement allée au-delà de son mandat. Ce n’est pas acceptable. Je me félicite que l’Assemblée demande des explications au Gouvernement et à l’Union européenne pour avoir un état des lieux le plus complet possible, et je me félicite donc de la discussion de cette résolution.

Mme la présidente. J’ai bien noté, monsieur Myard, que vous félicitiez l’Assemblée d’avoir programmé le débat. Nous nous en réjouissons.

M. Marc Dolez. C’est grâce au groupe GDR !

Mme la présidente. C’est tout de même la conférence des présidents qui a inscrit le texte à l’ordre du jour.

M. Marc Dolez. Sur notre proposition !

Mme la présidente. Bien évidemment.

Article unique (suite)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n29.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement, madame la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, vise à rétablir le texte initial, à savoir la suspension immédiate des négociations car, contrairement au chef de l’État, qui y voit une opportunité de développement pour l’Europe, nous pensons que la conclusion d’un accord transatlantique fragilisera considérablement notre économie.

Les prévisions de la Commission européenne, qui tablent sur un gain de 119 milliards de dollars et de 0,5 point de PIB par an sont utopiques. L’extension du libre-échange est malheureusement synonyme non pas de prospérité pour le plus grand nombre mais de renforcement des inégalités. C’est ce qui se déroule sous nos yeux. En témoigne le bilan de la zone de libre-échange de l’ALENA, qui est catastrophique, avec 1 million d’emplois supprimés aux États-Unis et 2 millions d’emplois détruits rien que dans le secteur de l’agriculture au Mexique.

Évidemment, en France, de nombreux secteurs productifs pourraient faire les frais d’un accord de libre-échange de ce type, en particulier l’agriculture et l’industrie, avec, en plus, en prime, le démantèlement de nos normes sociales et environnementales.

C’est pourquoi, face à la gravité de ce qui s’avance, il ne nous semble pas suffisant que le Gouvernement puisse demander à la Commission de faire preuve de vigilance et non plus de suspendre immédiatement les négociations, comme il était prévu dans la rédaction initiale. C’est une erreur historique pour la France et pour l’Europe et nous proposons donc de rétablir cette rédaction initiale.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires étrangères. C’est la commission qui a pris la décision de modifier la rédaction initiale de la proposition de résolution que nous avions proposée. Elle est donc évidemment opposée à cet amendement.

Nous sommes au cœur du débat puisque c’est l’amendement qui permet de rétablir la charpente de cette proposition de résolution. Le point fort de cette proposition, c’est la suspension des négociations et, dans la mesure où cet élément a été enlevé, c’est l’essentiel de notre proposition qui a été amputé. On pourrait dire que c’est sa substantifique moelle qui a été enlevée. Cet amendement, que, pour ma part, à titre personnel, je soutiens, tend à la rétablir.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, pour donner l’avis du Gouvernement.

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Je ne vais pas revenir sur la position du Gouvernement, qui veut poursuivre les négociations. C’est un peu comme si, lors d’un débat parlementaire, vous ne souhaitiez pas débattre parce que le vote risque d’être négatif ou positif. Il faut laisser leur chance aux négociations.

M. Marc Dolez. Allons !

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Encore une fois, nous ne sommes pas naïfs, nous ne sommes pas béats. Il n’y a pas encore de texte et nous sommes dans la phase de négociation, il ne faut pas mélanger le processus et le résultat. Nous apprécierons en bonne connaissance de cause, au vu des résultats des négociations, si nous souhaitons ou pas ratifier le traité.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. Marc Dolez. Après, il sera trop tard !

Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Le groupe SRC est défavorable à cet amendement mais, je suis d’accord, monsieur Chassaigne, c’est bien le cœur de la proposition de résolution.

Sur le reste, nous nous rejoignons sur la nature des limites à poser au mandat de négociation. C’est la raison pour laquelle nous avons nous toujours évoqué les différents contrôles démocratiques qui s’exerçaient, ceux du Conseil européen, du Parlement européen, des Parlements nationaux et de l’institution judiciaire en cas de besoin. Nous ne voulons pas préjuger le contenu des accords, nous en appelons à l’extrême vigilance et nous ne demandons pas la suspension des négociations.

(L’amendement n29 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Sur l’amendement n4, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir cet amendement.

M. Jean-Louis Roumegas. C’est le même argumentaire que celui de l’amendement précédent de nos collègues du groupe GDR. Nous ne supprimons pas la rédaction proposée par le groupe socialiste, qui appelle à la vigilance, mais, comme cela ne nous paraît pas suffisant, nous ajoutons la possibilité pour les négociateurs de suspendre les négociations. C’est le point clé du débat qui nous oppose aujourd’hui.

Notre message doit être clair. Si nous demandons que la Commission fasse preuve de vigilance mais qu’elle n’est pas mandatée pour opposer une fin de non-recevoir et éventuellement mettre son veto à tout accord qui déraperait, nous allons alimenter toutes les suspicions. Nous serons finalement mis devant le fait accompli et nous aurons uniquement le choix, et ce n’est même pas sûr, entre ratifier ou ne pas ratifier. L’expérience montre que, si l’on n’est pas extrêmement exigeant en amont, les débats nous échappent.

Que le Président de la République ait déjà annoncé la ratification et fait part de la volonté d’aboutir sur ce traité,…

Plusieurs députés du groupe SRC. Non !

M. Jean-Louis Roumegas. …ne peut inciter qu’à la méfiance, il faut bien le dire.

Pour nous, c’est un amendement fondamental pour expliquer de quelle façon nous souhaitons que la France et le Gouvernement abordent ces négociations. S’il n’est pas adopté, nous ne pourrons pas être favorables à ce texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Défavorable mais, à titre personnel, je soutiens bien sûr cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n4.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants36
Nombre de suffrages exprimés35
Majorité absolue18
Pour l’adoption12
contre23

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Sur l’amendement n22, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. François Asensi, pour soutenir cet amendement.

M. François Asensi. Nous avons la conviction au Front de Gauche que l’ensemble des parlementaires, y compris les parlementaires socialistes, sont favorables à ce que le Parlement soit consulté sur ce texte. Sur ce point, il n’y a aucune ambiguïté, nous en avons parfaitement conscience. Alors pourquoi ne pas l’écrire ? Si une telle consultation est prévue par les traités, pourquoi ne pas insérer ce garde-fou dans la résolution ?

Mme la présidente de la commission des affaires étrangères a affirmé dans un premier temps en commission que les vingt-huit Parlements nationaux seraient consultés, avant de reconnaître que rien n’était joué. Tout sera question d’interprétation sur la nature uniquement commerciale ou mixte de l’accord transatlantique. Par ailleurs, l’alinéa 26 tel qu’il a été réécrit par le groupe socialiste marque une très faible appétence pour organiser un vote devant ce Parlement puisqu’il invite le Gouvernement « à consulter, le cas échéant, à travers ses représentants, le peuple souverain ». Voilà une rédaction qui n’est pas très formelle, on est dans le flou le plus total.

J’ajoute que l’accord mixte ne garantit pas la consultation du Gouvernement. Pour preuve, un accord de libre-échange conclu en 2010 entre l’Union européenne et la Corée du Sud a certes été considéré comme mixte mais, dans le contenu de l’accord, il a été prévu qu’il s’appliquerait dès ratification par le Parlement européen et le Conseil européen sans attendre la ratification par les Parlements nationaux. Depuis 2011, cet accord s’applique alors que tous les États ne l’ont pas ratifié. Quelle sera la liberté de notre Parlement de refuser un accord qui s’applique déjà ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. La commission avait supprimé l’alinéa que le groupe GDR propose de rétablir. Par définition, elle est donc opposée à son rétablissement, quoique, car, lorsqu’elle a pris sa décision, il y avait un doute. Mme la présidente de la commission des affaires étrangères se demandait s’il y aurait ou non mécaniquement une consultation du Parlement, cela apparaît dans le compte rendu de la commission. Ce matin, il a été confirmé qu’il y en aurait une, il n’y a plus d’ambiguïté sur ce point. Le rétablissement de cet alinéa ne devrait donc pas poser de problèmes.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

Le Parlement français s’est exprimé en 2013 avant le début des négociations, et le texte du mandat, adopté par vingt-huit pays et non pas par la France seule, reflète la quasi-totalité de ses demandes. Les États membres l’ont voté à l’unanimité. Le Parlement européen a été informé et a fait part de ses commentaires. Les instances représentatives du peuple européen ont donc bien été consultées.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n22.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants36
Nombre de suffrages exprimés35
Majorité absolue18
Pour l’adoption11
contre24

(L’amendement n22 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n5.

M. Jean-Louis Roumegas. Nous proposons que les Parlements ne se contentent pas de ratifier le texte, sans donner d’autre avis tout au long du processus, mais aient aussi la possibilité de le modifier, en étant bien entendu informés au fur et à mesure des négociations. Les Parlements, le Parlement européen et les Parlements nationaux, doivent pouvoir modifier et amender le texte de l’accord à tout moment du processus.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement, considérant que les Parlements nationaux n’avaient pas à intervenir dans la rédaction du texte. À titre personnel, bien évidemment, je soutiens cette proposition, qui leur permettrait d’intervenir sur la rédaction du traité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

La Constitution prévoit que les traités de commerce qui doivent être ratifiés font l’objet d’une loi. Le projet de loi qui présentera l’accord à l’Assemblée, si accord il y a, sera soumis au vote. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je vous propose de vous tenir informés à chaque étape des négociations, pour pouvoir également refléter vos commentaires, vos observations, vos positions, afin que les orientations de l’Assemblée nationale soient bien prises en compte au-delà de la phase de négociation du mandat qui est derrière nous et au cours de laquelle vous avez déjà obtenu largement satisfaction.

Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Si nous souhaitons qu’il y ait davantage de discussions avec le Parlement, nous ne sommes pas favorables à cet amendement. C’est impossible sur le plan juridique. Par ailleurs les partenaires européens ont demandé que le Congrès des États-Unis n’amende pas lui-même le texte. Pour un parallélisme des formes, un tel amendement n’est donc pas justifié.

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n23.

Sur cet amendement, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

M. Marc Dolez. Parce que nous avons de la suite dans les idées, et parce que cela constitue le cœur de la résolution que nous avons déposée, nous souhaitons, à l’alinéa 26, réintroduire la version initiale de notre texte, à savoir l’exigence de suspension des négociations, qui nous semble être pour la France la seule manière à ce stade de peser véritablement sur le cours de ces négociations.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Chassaigne, rapporteur. Avis défavorable de la commission. À titre personnel, je soutiens évidemment cet amendement, d’autant plus qu’il s’agit d’une suspension en vue de consulter les parlements nationaux. Nous pourrions adopter cet amendement malgré l’avis défavorable de la commission, dans la mesure où cela répond à l’engagement du Gouvernement que les parlements nationaux seraient consultés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. On peut bien entendu imaginer une consultation populaire, mais il nous paraît que cela relève plutôt du niveau de la ratification que de celui du mandat. Le Parlement européen qui sera élu dimanche aura la légitimité, en tant que représentant du peuple, pour le faire. Nous sommes donc plus réservés sur le recours au référendum à ce stade. Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n23.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants40
Nombre de suffrages exprimés33
Majorité absolue17
Pour l’adoption6
contre27

(L’amendement n23 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n6.

M. Jean-Louis Roumegas. Il s’agit toujours d’associer le Parlement européen, mais nous demandons cette fois que celui-ci soit consulté sur le mandat même des négociations et pas simplement sur leur déroulement ou leur conclusion. Nous considérons en effet qu’il faut reprendre la copie à zéro : c’est le mandat lui-même qui doit être soumis au Parlement européen élu dimanche.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Avis défavorable de la commission. À titre personnel, je suis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Je ne crois pas que ce soit à l’Assemblée nationale de dire au Parlement européen ce qu’il doit faire. Il existe un principe d’indépendance entre les parlements. Si le nouveau Parlement européen veut se saisir de cette question, c’est à lui de le faire ; ce n’est pas à nous de le demander.

(L’amendement n6 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n7.

M. Jean-Louis Roumegas. Le constat du manque de transparence des négociations et de la faiblesse de l’information est clair et partagé par tous, sur tous les bancs de cette assemblée. Une meilleure information est nécessaire. La rédaction actuelle, issue du travail en commission, prend simplement acte de l’information des représentants de la nation. Cette rédaction nous paraît insuffisante. C’est pourquoi nous proposons une rédaction indiquant que cette information doit être améliorée. L’expression « prend acte » a l’air de donner quitus du niveau d’information, ce qui ne peut être l’esprit de notre résolution.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Avis défavorable de la commission. À titre personnel, j’y suis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable. Néanmoins, je me suis engagée à plusieurs reprises devant vous à améliorer l’information du Parlement. Pour mémoire, la commission du commerce international du Parlement européen reçoit les mêmes informations que les États membres, dans le cadre d’un accord assurant la confidentialité des informations transmises, ce qui est bien normal car vous avez tous souligné qu’il peut être utile, dans ces négociations, de préserver un minimum la confidentialité des démarches entreprises par la Commission au nom des États membres.

Comme je m’y suis engagée, je suis en train de faire étudier par mes services les modalités d’un renforcement de l’information du Parlement. Je me suis également engagée, à la demande de la députée Seybah Dagoma, à faire un point sur les avancées ou l’ordre du jour de chaque cycle de négociation, à revenir autant de fois que nécessaire devant les commissions compétentes des deux assemblées et à faire expertiser la manière dont nous pourrions améliorer votre accès aux documents de négociation.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. L’amendement de nos collègues écologistes va dans le sens que tout le monde souhaite et exprime. En revanche, l’exposé sommaire me semble contradictoire avec son texte : le premier parle d’« exiger » et le texte dit « souhaiter ». Il serait préférable, si nos collègues veulent bien rectifier leur amendement, d’écrire : « Demande une meilleure information », plutôt que « Souhaite ». Exiger serait une injonction au Gouvernement, ce qui n’est pas dans nos pratiques ni dans la lettre de nos institutions.

Je suis très surpris, madame la ministre, de vos déclarations : elles vont dans le sens de la demande exprimée tout en lui fermant la porte.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est l’ambiguïté depuis le début !

M. Guy Geoffroy. Puisqu’il s’agit d’une résolution, le Gouvernement pourrait accepter la demande, que vous déclarez vouloir accepter dans son principe, d’une meilleure information du Parlement sur ce dossier important.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. Je ne sais pas si notre analyse sémantique est aussi fine, entre « souhaite » et « demande »…

Mme Seybah Dagoma. Ce n’est pas la même chose !

M. Jean-Louis Roumegas. Si une rectification peut permettre à un plus grand nombre de parlementaires de se reconnaître dans le texte, je n’y vois aucun inconvénient. Nous demandons une meilleure information, nous n’en prenons pas acte : cela, c’est clair.

Mme la présidente. Il s’agit donc d’un amendement 7 rectifié, après substitution de « Demande une meilleure » à « Souhaite une meilleure ».

La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Nous soutiendrons l’amendement ainsi rédigé. Nous discutions en effet de l’injonction au Gouvernement, mais cet amendement va dans le sens d’une plus grande information des parlementaires, en plus des avancées proposées par la secrétaire d’État, disposée à revenir régulièrement devant les commissions compétentes de l’Assemblée. Si le terme est adouci, nous pouvons adopter cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement ainsi rectifié ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Compte tenu du fait que cette nouvelle rédaction ne s’interprète pas comme une injonction mais comme une demande pour un meilleur accès à l’information, je partage cette exigence démocratique. Avis favorable.

Mme la présidente. Après ce travail de coproduction législative, je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(L’amendement n7 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 24 et 8, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement n24.

Mme Jacqueline Fraysse. Il s’agit là encore de rétablir le texte initial de la résolution, concernant, cette fois, l’information de nos concitoyens, en rédigeant ainsi l’alinéa 28 : « Demande que les documents de travail et de négociation soient en accès direct et soient rendus publics afin que les citoyens européens puissent exercer leur droit à être informés », ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est un amendement simple, dans un souci de transparence, pour informer nos concitoyens. Si, madame la secrétaire d’État, vous n’avez rien à nous cacher, je ne vois pas pourquoi cet amendement ne pourrait être adopté. Je vous invite à y donner un avis favorable, et nos collègues à l’adopter.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n8.

M. Jean-Louis Roumegas. C’est presque le même amendement, avec une rédaction un peu plus précise puisque nous indiquons une périodicité mensuelle pour la publication des documents.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Avis défavorable de la commission. Je crois que mes collègues du groupe GDR pourraient retirer leur amendement au profit de celui des écologistes, un peu plus précis. À titre personnel, je soutiens cette très importante proposition. Dans les contacts que nous avons, en particulier avec les filières professionnelles dans le domaine de l’élevage et de l’agriculture, telles que la filière œufs, elles expriment le regret de ne pas avoir accès aux informations. Cela crée une véritable angoisse. Des éléments ne sont pas communiqués parce que ces négociations sont conduites dans le secret le plus complet.

Vous dites, madame la secrétaire d’État, qu’il faut dédramatiser cette question. Ne vous contentez pas de le dire : des actes concrets sont nécessaires, tels que l’adoption de cet amendement, pour une prise en compte différente de la nature des arguments avancés par les uns et les autres.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Il faut avoir en tête qu’il s’agit de négociations commerciales. On ne peut pas à la fois dire que nous sommes en position de faiblesse face aux Américains et en même temps prendre des mesures qui seraient, pour le coup, de nature à nous affaiblir considérablement dans la négociation.

Mme Jacqueline Fraysse. Informer les gens, c’est nous affaiblir ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Lorsque nous donnons un document de négociation à la Commission disant, sur les barrières tarifaires, par exemple, qu’elle peut descendre jusqu’à tel niveau des droits de douane, si la partie en face a connaissance de nos positions, nous nous affaiblissons dans la négociation. Il faut respecter une certaine confidentialité de tels documents.

En revanche, je vous rejoins totalement sur le fait qu’il faut renforcer – sans entrer dans une communication de détail qui risquerait d’affaiblir notre position vis-à-vis des Américains – l’information des filières, des ONG, de la société civile. C’est pourquoi je réunirai, la semaine prochaine ou dans une dizaine de jours, l’ensemble des associations de la société civile qui souhaitent débattre avec nous, afin de leur donner l’information dont je dispose, et je le ferai régulièrement. Je m’y suis engagée. Je continuerai également, après Nicole Bricq, à rassembler les professionnels, entreprises, filières, syndicats, pour recueillir leurs attentes, leurs intérêts défensifs et offensifs, et faire en sorte que nous soyons le mieux armés possible pour défendre ces intérêts. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Nous ne soutenons pas ces amendements qui ne parviennent pas à un équilibre entre le secret des négociations et le nécessaire renforcement du contrôle démocratique. En outre, la périodicité mensuelle de l’information me semble incompatible avec les cycles de négociation, qui sont trimestriels ; c’est en décalage avec la réalité des négociations.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. L’explication de la ministre nous paraît décalée et montre bien ce qui nous oppose fondamentalement. On nous parle de négociations qui devraient rester secrètes, comme si c’étaient des négociations entre entreprises qui protègent leurs secrets et défendent des intérêts. Or ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce que nous demandons, c’est de connaître, pour que les organisations professionnelles puissent réagir, sur quels points porteront les négociations, et avec quelle périodicité. Loin d’être un affaiblissement, la mobilisation des populations, de nos entreprises, des organisations professionnelles européennes, donnera du pouvoir aux négociateurs.

Mais là, on nous dit qu’il faut que ce soit négocié dans le secret, comme si des marchands de tapis négociaient un prix. Cette vision, qui nous paraît tellement lointaine, montre à quel point il y a un décalage entre une vision purement commerciale des négociations et des accords engageant des peuples entiers avec leurs droits, leurs législations et la protection des populations. Ce petit amendement cache de fait un point fondamental et permet de révéler des conceptions très différentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Chassaigne, rapporteur. Madame la ministre, vous parlez du secret des négociations pour éviter de déséquilibrer les interventions des uns et des autres, notamment l’intérêt de la France. Mais l’élaboration du mandat a été précédée d’une consultation publique : il y a eu cent trente réunions à l’occasion de cette consultation, avant l’ouverture des négociations. Sur cent trente réunions tenues à l’initiative de la Commission européenne, cent dix-neuf se sont tenues avec les lobbies des multinationales. C’est faire preuve d’une fausse naïveté de dire que les négociations se tiennent dans le plus grand secret. Chacun sait comment cela se passe au niveau européen et quelle est la force de frappe des multinationales. On sait que des lobbies existent, tout comme l’espionnage industriel américain. C’est pourquoi on peut affirmer aujourd’hui qu’il n’y a pas de secret de négociations pour les multinationales qui vont tirer des avantages de ces accords. Ne pas permettre, en particulier à des filières professionnelles et à des ONG, d’avoir tous les éléments que d’autres ont, parce qu’ils ont la force de frappe et les moyens de les obtenir, ce n’est pas normal. Ce n’est pas l’amendement qui créerait un déséquilibre des négociations, c’est son refus.

Mme la présidente. Si j’ai bien compris, madame Fraysse, vous voulez la parole pour retirer l’amendement n° 24 ?

Mme Jacqueline Fraysse. En effet. J’ai entendu l’invitation de mon rapporteur et président, M. Chassaigne, et j’ai par ailleurs relu l’amendement de mon collègue Roumegas qui est effectivement plus précis que le mien. Je suis donc d’accord pour retirer mon amendement au profit du sien. Sachez que je partage ses observations, madame la ministre : plus qu’une ambiguïté, il y a une contradiction dans le propos que vous tenez, puisque vous dites que vous informerez, que vous réunirez, que vous recevrez ou que vous donnerez toutes les informations, mais en même temps que l’amendement n’est pas acceptable, parce qu’il y a des secrets que l’on ne peut pas mettre sur la place publique et qu’il nuirait aux négociations. Il faudrait savoir ! Finalement, vous allez dire ce que vous voulez bien dire et retenir les informations que vous ne souhaitez pas dévoiler. Tout cela n’est pas clair et, je vous le dis avec beaucoup de franchise, ce n’est pas propre à rassurer nos concitoyens qui sont extrêmement préoccupés par ce qui se trame dans leur dos. Nous aurions tous intérêt à la transparence et à la clarté sur ce qui se débat aujourd’hui. Je regrette vivement votre avis négatif, madame la ministre.

Mme Michèle Bonneton. Très bien !

(L’amendement n24 est retiré.)

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n16.

M. Jean-Louis Roumegas. Cet amendement concerne également la question de la transparence. Nous demandons que la liste des négociateurs, avec leur identité et leurs éventuelles déclarations d’intérêts, soit publiée. On ne peut pas nous dire qu’il faut un certain secret des négociations et qu’en plus les négociateurs soient inconnus. On ne sait pas qui agit pour le compte de l’Union européenne. C’est une règle de plus en plus établie que lorsque l’on défend des intérêts commerciaux de cette sorte, il faut que les négociateurs soient exempts de toute suspicion de conflit d’intérêts. Que l’on ne me dise pas que cela n’existe pas, car on pourrait trouver beaucoup d’exemples de ce type de problème.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable et demandé le retrait de cet amendement, en considérant qu’il était satisfait, car le nom, le prénom et la fonction des négociateurs sont déjà rendus publics. Pour ma part, j’ai un doute sur le fait que les déclarations d’intérêts soient publiées sur le site internet de la Commission européenne.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Je tiens à la disposition de la représentation nationale les sites internet où ces listes sont publiées, concernant la Commission européenne et les négociateurs de la partie américaine.

Si vous permettez, je voudrais revenir brièvement sur l’amendement précédent pour vous dire que j’ai l’impression que nous ne nous entendons pas. Quand vous parlez, monsieur Roumegas, d’avertir les filières professionnelles de ce qui va se discuter, des sujets mis à l’ordre du jour et des rounds de négociations, j’y suis tout à fait prête, et c’est bien pour cela que je souhaite avoir cet échange permanent avec la représentation nationale. Tout ce qui peut contribuer à aider les filières professionnelles à formuler leurs intérêts offensifs, leurs lignes rouges, et qui peut, en ce sens, aider le gouvernement français à influencer la façon dont la commission va négocier est très utile, et c’est pour cela que je me tiens à la disposition de la représentation nationale.

Mais voyez bien qu’il y a une différence entre informer d’un ordre du jour ou des sujets qui vont être discutés et publier des documents de négociations qui vont entrer dans le détail de nos lignes rouges et d’un certain nombre d’éléments que nous ne souhaitons pas laisser connaître aux Américains et qui, sans vouloir créer de paranoïa inutile, risquent de nous fragiliser dans notre position de négociation vis-à-vis d’eux.

Mme Jacqueline Fraysse. Ils nous écoutent, les Américains !

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Il y a une vraie différence entre les deux attitudes. On ne peut pas dire que c’est la même chose.

(L’amendement n16 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Sur l’amendement n25, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. François Asensi, pour soutenir cet amendement.

M. François Asensi. En commission, la référence au système d’espionnage mis en place par la NSA a été supprimée après le vote d’un amendement proposé par le groupe socialiste. Or je suis convaincu que même nos collègues sont furieux d’apprendre que les Américains espionnent quotidiennement des millions de citoyens de notre pays. On peut lire nos sms ou notre courrier électronique ; Mme Merkel a été espionnée ; les dirigeants sont espionnés. Les États-Unis ont un droit de regard sur toutes les activités humaines en Europe et dans le monde. Par conséquent, nous voulons inscrire dans le texte la nécessité de mettre fin à ce système d’espionnage. D’ailleurs, le lanceur d’alerte Snowden a été « blacklisté » par les autorités françaises, alors qu’il aurait dû bénéficier du statut de réfugié en France. Cela aurait été un grand honneur pour notre pays d’aider ce lanceur d’alerte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Je voudrais cependant à titre personnel faire observer que les considérants ont intégré quasiment la rédaction de cet amendement et qu’il n’y a aucune raison de ne pas placer aussi ce texte, tel qu’il était initialement, dans le corps de la résolution. Ce serait dans la logique de l’adoption, tout à l’heure, de l’amendement écologiste.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Il est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n25.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants42
Nombre de suffrages exprimés42
Majorité absolue22
Pour l’adoption13
contre29

(L’amendement n25 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Sur l’amendement n26, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement.

M. Marc Dolez. Cet amendement concerne l’autre point très important de notre proposition de résolution : le règlement des différends entre investisseurs et États qui est, selon nous, une véritable machine de guerre contre la souveraineté des États. Dans le débat qui se déroule depuis ce matin, j’ai cru entendre de la plupart des orateurs une analyse assez convergente sur le refus d’un tel mécanisme de règlement. C’est pourquoi nous comprenons mal qu’en commission notre texte initial ait été détricoté. Nous vous proposons de rétablir notre proposition initiale pour que les choses soient extrêmement claires sur le sujet et pour demander que la Commission européenne retire du mandat de la négociation cette clause concernant le mécanisme de règlement des différends.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Il est défavorable, mais je suis favorable à cet amendement à titre personnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Je veux rappeler ce que l’on a dit tout à l’heure : les négociations sont suspendues dans l’attente de la consultation de la Commission européenne. Il conviendrait que nous prenions les uns et les autres une initiative afin de montrer notre convergence de vue sur ce mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs privés.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Chassaigne, rapporteur. Madame Grelier, l’explication que vous venez de donner est en quelque sorte l’exégèse de notre amendement. Vous venez d’expliquer que ce qui a été décidé est précisément ce qui constitue notre amendement. Je ne comprends donc pas pourquoi vous n’êtes pas favorable à son adoption.

Mme Estelle Grelier. C’est déjà suspendu !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n26.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants42
Nombre de suffrages exprimés41
Majorité absolue21
Pour l’adoption12
contre29

(L’amendement n26 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Asensi, pour soutenir l’amendement n27.

M. François Asensi. Cet amendement souligne le risque d’alignement des normes sociales, environnementales et sanitaires sur celles en vigueur aux États-Unis, en vertu de l’objectif de convergence réglementaire contenu dans le mandat de négociation confié à la Commission européenne par le Conseil. Nous refusons, je le répète, que les protections dont bénéficient les citoyens soient sacrifiées sur l’autel de la compétition économique internationale. La France a un modèle social et économique exceptionnel, issu de décennies de luttes et du Conseil national de la Résistance : ne le bradons pas pour satisfaire les exigences d’une minorité qui souhaite l’affaiblissement des États pour engranger toujours plus de profit.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Chassaigne, rapporteur. Il est défavorable, mais favorable à titre personnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Le gouvernement français a eu l’occasion, lors de la discussion sur le mandat donné à la Commission européenne, de bien défendre ses lignes rouges. Parmi celles qui ont été beaucoup évoquées ce matin, il y a effectivement la protection du niveau de garanties offertes en matières sanitaire, environnementale ou de droit du travail. Ces préoccupations ont été prises en compte dans le cadre du mandat de négociation qui dit très clairement que les négociations avec les États-Unis ne doivent pas aboutir à faire abaisser le niveau de protection phytosanitaire, environnemental ou de droit du travail de la législation européenne. Soyez rassurés : même si cela figure dans le mandat de négociation, nous restons et resterons vigilants sur ces protections et ces préférences collectives. C’est à l’aune du respect de ces préférences que nous jugerons in fine le traité pour savoir si nous devons ou non le ratifier. Avis défavorable.

M. Marc Dolez. On n’est pas rassurés !

(L’amendement n27 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour soutenir l’amendement n10.

M. Jean-Louis Roumegas. Je considère que l’amendement est défendu car nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que nous voulions un autre traité, avec d’autres contenus tels que la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité et la solidarité entre les peuples.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n10 ?

M. André Chassaigne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, mais, à titre personnel, j’y suis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable pour des raisons de procédure. La politique commerciale, du fait même des traités, est de la compétence exclusive de la Commission européenne, et c’est à ce titre que celle-ci négocie les accords commerciaux, y compris de libre-échange, au nom de l’Union. Sauf à vouloir faire de la politique fiction, il ne revient pas au Parlement européen de négocier ce type d’accord.

(L’amendement n10 n’est pas adopté.)

M. Jean-Louis Roumegas. Avant les explications de vote, je demande une suspension de séance au nom du groupe écologiste, madame la présidente.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marietta Karamanli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous venons d’achever une discussion qui était nécessaire car elle répondait aux interrogations légitimes des citoyens et des députés, à quelques jours des élections européennes. Je souhaite rappeler que ce projet d’accord représente une opportunité si la réciprocité est au rendez-vous. Il est donc légitime de négocier. Je tiens aussi à préciser que la méthode est encadrée et que la négociation ne vaut ni chèque en blanc ni accord a priori et encore moins a posteriori. Si l’enjeu est stratégique, tant en externe qu’en interne, l’épreuve de vérité se jouera, là encore, non au niveau du texte mais dans la pratique et dans les politiques publiques qui seront mises en œuvre simultanément, ce qui relève de choix à débattre et à mettre en œuvre, parfois malheureusement dans une pénombre électorale ou médiatique.

Tout d’abord, il s’agit d’une opportunité. Il faut avancer sur le fond. Le traité, s’il est bien fait, pourrait avoir trois avantages : ce serait une occasion importante d’instaurer avec les États-Unis des normes internationales dans tous les domaines commerciaux ; il offrirait un gain dans une démarche d’imposition de références pour normer les relations commerciales, faute d’une organisation internationale qui en soit capable ; si Européens et Américains s’entendent, leurs normes pourraient s’imposer comme des normes mondiales car ils représentent ensemble 40 % des échanges mondiaux et près de la moitié de la production mondiale.

M. Christophe Caresche. Et même davantage !

Mme Marietta Karamanli. De plus, un accès plus large des entreprises européennes aux marchés publics américains pourrait être possible, ce qui renverserait la tendance constatée aujourd’hui, à savoir que 30 % d’entreprises étrangères peuvent y concourir alors qu’en Europe, cela peut aller jusqu’à 80 %.

Négocier, c’est encadrer l’avant et l’après, et c’est aussi évaluer. Mener une négociation, ce n’est donc pas préjuger de son résultat. Si c’est bien la Commission qui négocie, ce qui n’est pas une nouveauté comme certains l’ont dit tout à l’heure… elle ne décide pas. Par ailleurs, cette négociation n’est pas menée sans un cadre : le mandat donné par le Parlement européen, et que nous souhaitons ici réaffirmer, fixe certains objectifs et oriente le contenu la négociation. Je rappelle que les socialistes et les socio-démocrates ont largement contribué à fixer les sujets à protéger. Je mentionnerai qu’y figurent les choix collectifs en matière de protection contre les OGM et le clonage, de défense de la santé, de respect du principe de précaution, de respect des droits des travailleurs, de défense de la propriété intellectuelle et des indications géographiques de nos produits, ou encore l’exclusion des services audiovisuels – pour laquelle notre groupe et notre assemblée ont été en pointe. Ces objectifs font partie du mandat donné aux négociateurs et sont rappelés dans la proposition de résolution. Nous avons souhaité y ajouter la protection des données personnelles car elle doit être exclue du périmètre de l’accord. Par ailleurs, nous considérons que la justice américaine et la justice européenne sont parfaitement compétentes pour régler les éventuels différends, sans recours à l’arbitrage.

Une fois conclu, l’accord devra être approuvé à l’unanimité du Conseil européen, puis à la majorité par le Parlement européen, et enfin par chacun des parlements nationaux des vingt-huit États membres. Nous avons souhaité le rappeler dans le texte car à enjeu réel, il faut une négociation réelle… et une capacité réelle à dire oui ou non à ce que le cadre permet.

Je rappelle que l’Union européenne reprend un chantier pour lequel aucune organisation internationale n’a pu fixer un cadre de régulation. Nous l’avons défendu ici : il ne faut pas laisser en tête à tête des États ayant des pouvoirs très différents car, dans le cadre d’une négociation bilatérale, c’est de nature à causer des dommages aux plus faibles.

Nous avons aussi amendé la proposition de résolution dans le sens de la réaffirmation de notre participation à l’élaboration des actes pris ou négociés par l’Union.

Enfin, s’agissant de la transparence des négociations, je souligne qu’aucune négociation, ainsi que ses résultats, ne peut être durablement mise à l’abri de la décision démocratique : c’est la règle en Europe et elle sera respectée. Le groupe socialiste défend cette règle et a donc souhaité amender la proposition de résolution dans ce sens.

Les socialistes demandent aussi une expertise collective au niveau européen s’appuyant sur les organisations non gouvernementales et sur les syndicats, ainsi que sur des experts confirmés.

Je pense que cet accord ne vaudra pas seulement par les principes posés, mais aussi par les politiques qui l’accompagneront. Par conséquent, il soulève la question des politiques publiques. À n’en pas douter, les États-Unis ont une vision objective et organisée de leurs intérêts économiques et stratégiques. C’est un État. L’Union, elle, est une association de vingt-huit États… et il faut faire avec.

Pour conclure, je souligne que l’on doit promouvoir la façon de faire européenne car vouloir imposer nos normes signifie aussi produire nos propres normes.

Nous voterons donc cette proposition de résolution amendée, qui rappelle notre vigilance sur un sujet important qui devra être réexaminé le moment venu au vu de son équilibre final et pas seulement de ses intentions.

Mme la présidente. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, nous nous félicitons que l’Assemblée ait pu enfin discuter de ce texte en séance publique. Ce n’était pas évident au départ. On nous a taxés d’opportunisme, mais je crois que tout le monde a bien compris qu’il était urgent de parler de ce projet d’accord de libre-échange, même à trois jours des élections européennes puisque les députés qui vont être élus auront à se prononcer sur ce texte et qu’il faut donc qu’ils connaissent l’état de l’opinion. Malheureusement, je crains que celle-ci ne soit peu informée des discussions en cours et de la nature de ce traité entre l’Europe et les États-Unis.

Il y a trois mois, quand il s’est rendu aux États-Unis, le président de la République française a fait une déclaration surprenante : « Nous avons tout à gagner à aller vite. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. » On ne peut pas exprimer plus clairement qu’on se méfie un peu de l’opinion publique… Nous ne partageons pas cette conception de la démocratie. Ne pas avoir consulté le Parlement avant de donner mandat à la Commission européenne constitue un péché originel ; de là découle l’opacité des négociations. Ainsi, comme l’a noté notre rapporteur, sur les 130 consultations qui se sont déroulées, 93 % ont réuni des représentants des multinationales et seulement 11 % des représentants des ONG ou des syndicats ! C’est éloquent. Les hauts fonctionnaires chargés des négociations défendront-ils les intérêts des citoyens ou les intérêts des multinationales ?

Tous les groupes politiques ont convenu des dangers potentiels de cet accord et de la nécessité d’une extrême vigilance. En comparaison, nous avons écouté bien peu d’arguments ce matin démontrant les bienfaits de ce traité. Le premier danger du marché transatlantique, c’est à l’évidence la perte de souveraineté des peuples et des États face aux multinationales.

M. Marc Dolez. Très juste !

M. François Asensi. Ainsi que nous l’avons démontré, le mécanisme de règlement des conflits figure bien dans le mandat accordé à la Commission, comme position commune des États membres donc de la France. C’est un mécanisme inacceptable dans son fondement. Nous refusons que les multinationales dictent leur volonté aux États et contestent les lois que les peuples se sont données car, demain, le principe du salaire minimum pourrait être contesté, de même que l’interdiction des gaz de schiste et des OGM.

Certes, les États pourront maintenir leurs réglementations, mais à quel prix ! Aux États-Unis, les demandes de dédommagements des multinationales atteignent la somme faramineuse de 14 milliards de dollars ! Évidemment, ce sont les États qui vont payer. En s’attaquant au pouvoir normatif des États, ce marché transatlantique rendra impossible la création de normes environnementales plus protectrices et de normes sociales ambitieuses au service des salariés.

Nous refusons cette fuite en avant vers une mondialisation sauvage, vers un monde où les puissances de l’argent dominent les aspirations des peuples.

Il faut mettre un coup d’arrêt à l’idéologie néolibérale qui nous conduit vers la faillite des États et la misère des populations.

Ce marché transatlantique aurait également des conséquences diplomatiques néfastes. Ce serait un pas de plus vers l’alignement de la France sur les positions américaines, un pas de plus vers la dilution de l’Union européenne comme puissance politique et diplomatique.

Nous allons appuyer les États-Unis dans l’offensive qu’ils mènent contre la Chine, en adoptant des normes communes. Or il faut y voir un redéploiement de l’impérialisme américain, le souci qu’ont les États-Unis de conserver leur hégémonie mondiale dans les affaires.

Pourquoi la première puissance économique mondiale, l’Europe, devrait-elle se dissoudre dans les intérêts de l’hyperpuissance américaine ?

À ces motifs de fond justifiant la fin des négociations, s’ajoutent des motifs de circonstances. Négocier avec les États-Unis au moment où ceux-ci espionnent nos intérêts stratégiques, c’est une pure folie. Les dés seront pipés, nos intérêts seront lésés.

Pour conclure, la majorité s’est employée à détricoter la résolution que nous avions déposée. Les garanties ambitieuses ont été supprimées tout comme la demande de suspension qui constituait le cœur de notre résolution.

Enfin, nos discussions l’ont montré : à ce jour, il n’existe aucune garantie que les parlements nationaux soient consultés sur cet accord à la fin des négociations. Le refus de la majorité d’inclure cette consultation obligatoire dans notre résolution est incompréhensible.

Dans ces conditions, vous comprendrez que, afin de réaffirmer notre demande de suspension des négociations sur le marché transatlantique, nous voterons contre notre propre résolution puisque celle-ci a été dénaturée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la possibilité donnée aux membres de l’Assemblée nationale d’évoquer, en séance publique et trois jours avant les échéances européennes, un sujet aussi important que ce projet d’accord entre l’Union européenne et les États-Unis n’aura certainement pas été inutile.

Nous devons remercier le calendrier et les auteurs de la proposition initiale d’avoir fait en sorte que ce débat ait lieu. La qualité des échanges tout au long de la matinée et de ce début d’après midi n’aura certainement échappé à personne.

Cela étant, au moment de conclure nos travaux, je suis dans l’obligation de constater que nous sommes très loin de l’objectif initial. Je n’irai pas jusqu’à dire – comme certains dont je ne partage pas complètement l’avis – qu’il n’y avait aucun reproche à faire à la proposition de résolution initiale de nos collègues du groupe GDR.

Si elle contenait pour l’essentiel de très bonnes questions, elle recelait aussi beaucoup d’affirmations, sous forme de suspicion a priori un peu trop généralisée, qui n’étaient pas de nature en emporter l’adhésion de l’ensemble des députés de mon groupe.

A contrario, ce qui reste du texte initial, de son esprit et de sa volonté – partagée, je crois, par une très grande majorité des représentants de la nation – laisse vraiment perplexe. Cette perplexité est partagée y compris par ceux qui vont voter pour la résolution en l’état et par tous ceux qui auront pu suivre nos débats ou en lire le compte rendu.

Je crains fort, qu’à l’issue de ce débat et de l’adoption probable de ce texte, nos concitoyens n’éprouvent encore plus de ressentiment, d’interrogations et d’inquiétude à l’égard de cette Europe dont ils attendent des améliorations de leur vie quotidienne mais dont ils redoutent qu’elle ne leur apporte strictement l’inverse.

Aussi avons-nous assisté à l’un des déchirements de plus de ce qui fut la majorité à l’issue des élections présidentielles de 2012. C’est très symptomatique de voir, cet après-midi, le groupe socialiste soutenir le Gouvernement qui lui-même soutient son groupe majoritaire, et puis deux autres groupes de cette majorité issue des urnes en 2012 aller apparemment en sens contraire.

M. Christophe Caresche. Comme vous êtes le seul sur les bancs de l’UMP, vous n’avez pas de problème !

M. Guy Geoffroy. Sans négliger toute l’importance de ce débat et de ces sujets, je voudrais dire, au nom de mon groupe, que l’issue de ces travaux est extrêmement décevante. Nos concitoyens vont, une fois de plus, s’y perdre. Les bons objectifs de ce débat, qui auraient peut-être pu conduire à une appréciation plus consensuelle, moins heurtée de l’ensemble de la représentation nationale, ne se trouvent pas au bout de nos échanges.

C’est la raison pour laquelle, n’ayant aucune ambition de trancher entre les différentes tendances de feu cette majorité présidentielle, je m’en tiendrai, au nom du groupe UMP, à une volonté de clarté et de transparence à l’égard de nos concitoyens.

Ce qui est proposé n’est pas une réponse aux bonnes questions qui étaient posées. Certes, les réponses apportées par les auteurs des questions n’étaient pas non plus des plus excellentes à tout point de vue.

C’est la raison pour laquelle, en toute conscience et avec le regret de ne pas pouvoir faire autrement, le groupe UMP votera contre la résolution telle qu’elle est issue des travaux de la commission et de ceux de notre assemblée.

M. Bruno Le Roux. Applaudissements nourris sur les bancs de l’UMP (Sourires.)

Mme la présidente. Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. En introduction de ce débat, nous avons prévenu qu’en aucun cas le groupe écologiste ne soutiendrait une résolution édulcorée, dénaturée, portant la marque du renoncement, non adaptée à la hauteur de l’enjeu d’un accord transatlantique qui dépasse largement l’enjeu du prochain scrutin.

Nos amendements visaient à rétablir un texte à la hauteur de l’événement.

Nous voulions notamment que la résolution refuse absolument tout mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs qui placerait le droit du commerce au-dessus du droit commun. Sur ce point, vous affichez une bonne intention floue, et vous ne vous engagez pas clairement à refuser tout mécanisme de ce type. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Deuxième point fondamental : nous exigions la suspension des négociations. La majorité de cet hémicycle s’est prononcée pour la poursuite des négociations, comme si l’on pouvait rattraper un processus aussi mal engagé. Là aussi, le signal ne nous paraît ni acceptable ni à la hauteur des enjeux.

Nous voulions que le texte redonne aux parlements nationaux et au Parlement européen le contrôle du processus. Vos réponses bien tièdes ne nous rassurent absolument pas.

Vous allez nous tenir informés, dites-vous, madame la secrétaire d’État. Si vous aviez entre les mains la totalité de ce processus de négociation, nous aurions pu imaginer vous faire confiance en matière de transparence. Mais enfin, il ne s’agit pas de la transparence dont vous ferez preuve à notre égard, il s’agit de la transparence d’un processus qui vous échappe. C’est bien ce qui nous pose problème.

Nous demandions la transparence sur la négociation mais aussi sur les personnes qui en sont chargées. Vous avez trouvé que ces amendements n’avaient pas de portée, alors que nous les pensons essentiels : ces négociations ne sont pas commerciales, elles engagent les acquis sociaux et environnementaux, le droit des personnes en Europe. Le caractère secret des négociations nous paraît totalement inacceptable.

Finalement, il aurait été plus clair que vous vous déclariez d’emblée contre la résolution proposée par le groupe GDR et que nous soutenions.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Jean-Louis Roumegas. Vous nous mettez dans une situation impossible. Vous auriez dû proposer une résolution alternative et les choses auraient été claires.

Nous aboutissons à un texte ni bon ni mauvais, il est tout simplement mou et on n’a même pas envie d’être contre. On a l’impression que vous avez détourné une proposition pour en faire quelque chose qui ressemble à un message. C’est grave en ces temps où l’euroscepticisme menace : vous allez l’alimenter avec une position aussi floue, une absence de détermination.

Pour tout dire, nous ne comprenons pas votre position. Nous pensons que vous avez donné le bâton pour vous faire battre de toutes parts – c’est d’ailleurs ce qui s’est passé – de la droite comme de la gauche. Pour nous, il ne s’agit pas seulement d’une opportunité, trois jours avant les élections, mais d’un problème de fond dont nous souhaitons qu’il soit à nouveau débattu ici.

Pour ces raisons, nous avons décidé de ne pas participer à cette mascarade, à ce vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Vote sur l’article unique

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants37
Nombre de suffrages exprimés36
Majorité absolue19
Pour l’adoption28
contre8

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Fleur Pellerin, secrétaire d’État. Alors que dimanche prochain va se dérouler une élection absolument majeure, le débat que nous avons eu à l’initiative du député Chassaigne – je l’en remercie très sincèrement – a été utile. Ce ne sera pas le dernier, je m’y suis engagée.

Je regrette un peu que l’on ait des demandes vis-à-vis de moi et que l’on pense a priori que je ne pourrai pas les satisfaire. Je respecterai mon engagement et nous aurons à nouveau à débattre de ces questions qui ne sont pas réglées en une fois.

Je comprends qu’une certaine frustration s’exprime à l’occasion de ce vote, mais je souhaite vraiment que nous puissions continuer à enrichir le débat. Je remercie l’ensemble des députés, sur tous les bancs, pour leur contribution. C’est un exercice d’utilité collective et républicain. Merci à tous.

2

Modulation des contributions des entreprises

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Jacqueline Fraysse relative à la modulation des contributions des entreprises (nos 1874, 1939).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la proposition de loi sur la modulation de la contribution des entreprises, déposée par Jacqueline Fraysse et les députés du Front de gauche du groupe de la Gauche démocrate et républicaine a l’immense mérite de créer le débat dans un moment de mainmise de politiques économiques libérales qui sont loin d’avoir fait leurs preuves, c’est un euphémisme.

Depuis plusieurs décennies, en effet, sous la pression d’une mondialisation financière orchestrée par les transnationales – et on voit qu’elle va se poursuivre –, la course à la compétitivité, la concurrence entre les travailleurs et entre les territoires n’ont cessé de s’exacerber, au détriment des peuples.

On pourrait multiplier les exemples.

Regardons, au niveau global, macro-économique, la conséquence sur l’accroissement des inégalités. Les études menées par l’économiste Thomas Piketty démontrent que les écarts de revenus entre les plus fortunés et les plus pauvres grandissent, sous l’effet d’une progression des revenus de la rente, donc d’une diminution des revenus du travail.

Au niveau micro-économique, l’exemple d’Alstom est extrêmement symbolique. La stratégie des multinationales est symptomatique de l’absence de coopération, de partage des coûts de recherche, de partage de process de fabrications au bénéfice de la planète et de son avenir, tout simplement parce que le but premier poursuivi par les transnationales – que ce soit Siemens ou Alstom – n’est pas de répondre aux besoins humains et sociaux, mais de maximiser la rentabilité offerte aux actionnaires.

Et le revers de la médaille de cette situation, c’est l’impuissance publique qui se fait de plus en plus jour, car de plus en plus de règles, adoubées par les dirigeants des États, sont mises en œuvre pour que s’épanouisse un laisser-faire destructeur.

Oui, depuis des décennies, la sphère économique est de plus en plus dominée par des critères de rentabilité financière qui assèchent l’emploi et le pouvoir d’achat, et qui ont pour conséquence la mise en cause de la cohésion même de notre société.

Année après année, dans ce double contexte de concurrence acharnée et d’exigence des actionnaires, les politiques publiques ont massivement recouru à la baisse des prélèvements des contributions des entreprises, par des dispositifs d’allégements, d’exonérations, de dérogations, mais aussi en permettant ce que l’on appelle les trous dans la raquette de l’impôt sur les sociétés.

Dans ce cadre, l’optimisation fiscale, qui, comme le disait un célèbre ministre des finances anglais, n’est séparée de la fraude fiscale que par le mur de la prison, a grandement contribué à assécher la participation des entreprises au nécessaire effort collectif pour garantir notre modèle social.

Du fait de cette pression, le constat est clair. En quelques décennies, le partage de la valeur ajoutée, c’est-à-dire le partage des richesses produites, s’est dégradé pour les revenus du travail, pour le plus grand bonheur des revenus du capital. À cet égard, le tableau qui figure en page 5 du rapport est éclairant, tout comme les chiffres relatifs au partage des profits qui sont donnés en page 14. Le montant distribué aux actionnaires représente désormais 2,6 fois le montant de l’investissement net, alors qu’il y a trente ans les distributions aux actionnaires et aux banques ne représentaient que la moitié des investissements nets.

Bien sûr, cette situation, en plus d’une exigence de rentabilité accrue de la part du capital, traduit également un changement profond des modes de financement de l’économie, qui amplifie le phénomène. Le recours massif aux marchés financiers, l’abandon de la souveraineté politique sur la BCE avec son corollaire, une politique monétaire restrictive, sont constitutifs de cet état. Milton Friedman l’a manifestement emporté sur Keynes !

Alors, dans un tel cadre, soyons pragmatiques. Quels ont été réellement, les résultats de ce choix d’une baisse des prélèvements ?

Le premier grand dispositif date de 1993, et de la conversion des sociaux-démocrates à la désinflation compétitive, avec l’exonération partielle des cotisations sur les bas salaires. Il y a bien sûr eu la compensation de la loi sur les trente-cinq heures, la suppression de la taxe professionnelle, qui a accru la compensation de l’État, et surtout les allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires, dits allégements Fillon, en 2003, pour un montant de plus de 20 milliards d’euros. Enfin, depuis le projet de loi de finances pour 2013, a été décidé le CICE, pour un montant de 20 milliards d’euros en année pleine, qui porte sur les salaires jusqu’à 2,5 SMIC.

Nous avons un peu de recul sur les résultats, notamment en ce qui concerne les allégements Fillon. La politique de baisse de cotisations a, bien entendu, asséché les comptes sociaux et les comptes publics. A-t-elle sauvé notre industrie ? Lui a-t-elle permis d’être plus compétitive, mieux orientée ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis l’instauration de ces allégements en 2003, la France a perdu près d’un million d’emplois industriels. Alors, si on ne peut pas forcément établir une relation de pure causalité entre baisse des cotisations sociales patronales et destructions d’emplois industriels, force est au moins de constater l’absence d’efficacité probante de ce dispositif.

D’autre part, cette course à l’allégement des prélèvements sociaux et fiscaux sur les entreprises a des effets pervers. Assis sur les bas salaires, cet allégement concourt à ce que l’on appelle la trappe à bas salaires. L’arbitrage des entreprises concourt, dès lors à spécialiser notre industrie dans des secteurs à bas coûts, et dans cette compétition, face aux pays émergents et les pays en développement, la France ne pourra jamais être la mieux placée. J’ai d’ailleurs appris, aujourd’hui même, que PSA vient de décider de délocaliser une production de C3 en Slovaquie. Nous ne serons jamais les mieux placés en termes de coûts de production si l’on ne considère que le coût du travail. L’absence ou la quasi-absence de dispositifs tendant à évaluer et à diminuer le coût du capital est dramatique pour notre industrie, a fortiori dans un contexte d’euro cher, car nous nous privons d’un levier.

Cette proposition de loi relative à la modulation de contribution des entreprises tend donc à rompre avec la logique à l’œuvre jusqu’à présent, pour que le système de production ait comme critères essentiels la réussite de la transition écologique, l’emploi qualifié, la lutte contre le chômage, par l’investissement productif, la recherche et la coopération.

Cela va bien sûr à contre-courant de ce qui se passe actuellement.

Avant de vous présenter les principales mesures de cette proposition de loi, je souhaite vous faire part de deux illustrations de cette tendance irréfutable. Lundi dernier, Les Échos titraient ainsi : « Dividendes record au premier trimestre 2014, les grandes entreprises mondiales ont versé 228 milliards de dividendes, une progression de 31 % en un an ». Et, dans le même temps, les chiffres de l’INSEE viennent de tomber, chiffres qui incluent les premiers effets du CICE, et que voit-on ? Une croissance zéro, en France, pour le premier trimestre 2014, une demande en berne avec une baisse de 0,5 %, et un investissement qui continue de chuter ! Plus il y a d’aides, moins il y a d’emplois. Voilà le résultat !

C’est pourquoi il est nécessaire de changer de logiciel.

Les trois premiers articles de cette proposition de loi modifient profondément les prélèvements fiscaux des entreprises pour les rendre plus vertueux. La mise en place d’un impôt sur les sociétés progressif, tenant compte de la capacité contributive des entreprises, reprend d’un des engagements du candidat François Hollande. Cette disposition permet d’ouvrir le débat sur le taux facial de l’impôt sur les sociétés, sans négliger, comme je l’ai souligné, la nécessité de retravailler l’assiette. Nous savons que l’existence de régimes dérogatoires multiples, par exemple la niche Copé, coûte cher aux finances publiques sans réel effet sur l’emploi. Je vous renvoie à l’avis rendu par le Conseil des prélèvements obligatoires au mois d’octobre 2010 sur l’inefficacité des niches fiscales et sociales.

Pour notre part, nous proposons de surcroît d’agir dans deux domaines. L’article 2 a pour objet de pénaliser les entreprises qui distribuent, sous forme de dividendes, une part excessive de leurs bénéfices et, dans l’article 3, il s’agit de revenir sur le dispositif du rabot sur la déductibilité des charges financières, pour lui substituer un mécanisme de plafonnement qui, si je ne m’abuse, avait été proposé par madame Nicole Bricq, alors rapporteure générale du budget au Sénat, au mois de novembre 2011.

Les articles 4, 5 et 6 s’intéressent, eux, aux cotisations sociales, pour en proposer la modulation en fonction de l’évolution de la répartition des richesses. Si cette évolution, à la fois statique et dynamique, est défavorable aux salariés, tant en matière de salaire distribué que de dépenses de formation, alors l’entreprise est susceptible d’être redevable d’une ou deux cotisations additionnelles. Nous proposons également une prise en compte de l’emploi à temps partiel et de l’intérim, et donc une pénalisation pour les entreprises qui y recourraient de manière excessive.

Enfin, le doublement du taux du forfait social, permet la neutralité du choix du mode de rémunération et aussi l’amélioration de la prise en compte des revenus dans le calcul des prestations futures.

De manière parfaitement cohérente, cette proposition de loi invite à supprimer les deux dispositifs emblématiques de la baisse indifférenciée systématique des contributions des entreprises, à savoir les allégements Fillon et le CICE. Avec les 10 milliards d’euros d’allégements supplémentaires annoncés par le Premier ministre dans le cadre du pacte dénommé, improprement à mon sens, pacte de responsabilité, cela fait plus de 50 milliards d’euros ! Comme l’a, fort justement, souligné le président de la commission des finances, ce sont 2,5 points du produit intérieur brut. C’est considérable et cela rend nécessaire un véritable contrôle de l’efficacité de telles mesures. C’est pourquoi – et je suis sûr que nous tous ici sommes d’accord –, si cette proposition de loi a peu de chance de poursuivre sa route parlementaire, ce débat sur l’efficacité de la dépense fiscale et sociale se poursuivra avec de plus en plus d’acuité, et vous pourrez compter sur les députés du groupe GDR pour remettre l’ouvrage sur le métier.

Le retour à meilleure fortune pour notre pays, pour nos concitoyens, pour l’emploi exige à notre sens que les vieilles recettes d’un capitalisme financier sans scrupule, certains diraient même sans visage, soient enfin combattues. C’est l’esprit de cette proposition de loi derrière laquelle toute la gauche devrait naturellement se retrouver, même si certaines dispositions doivent sans nul doute être améliorées.

À cet égard, je remercie les administrateurs de la commission des finances pour leur travail et leur accompagnement. Je remercie, surtout, tous nos collègues de la commission des finances, car nous avons eu un débat stimulant lors de la présentation de cette proposition de loi en commission, la semaine dernière. Je ne doute pas du fait que le débat en séance sera tout aussi stimulant. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le groupe GDR propose aujourd’hui à votre assemblée d’encourager l’investissement, la création d’emplois, les qualifications, l’augmentation des salaires et la préservation de l’environnement et d’éviter la confiscation de la richesse par la finance. Ce sont des objectifs qui rassemblent toute la gauche. Peut-être même rassemblent-ils, par certains aspects, au-delà. Je pense qu’à l’ouverture de ce débat il est important de pouvoir reconnaître mutuellement, d’où que l’on s’exprime, cette orientation commune et la sincérité de chacun en la matière.

Toutefois, si nous nous retrouvons sur les fins, nous différons dans les options retenues pour y parvenir. C’est ce qui me conduit à évoquer maintenant le contenu de la proposition de loi examinée ce jour, qui compte, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, neuf articles, celui de gage inclus.

Les trois premiers ont pour objet de réformer l’impôt sur les sociétés en créant un barème de cet impôt qui soit fonction du chiffre d’affaires, en prévoyant un taux majoré de l’impôt sur les sociétés lorsque les dividendes versés aux actionnaires représentent plus de 10 % du bénéfice imposable et enfin en changeant la logique du plafonnement de la déductibilité des charges financières pour adopter le modèle en vigueur en Allemagne. Entre autres effets, ces articles aboutiraient à taxer davantage une entreprise au seul motif que son chiffre d’affaires serait plus important, sans considération de son bénéfice net, qui est pourtant le bon indicateur de sa capacité contributive.

Ainsi, une entreprise réalisant 100 000 euros de bénéfice pour un chiffre d’affaires de deux millions d’euros serait imposée à hauteur de 25 %, mais une entreprise réalisant les mêmes 100 000 euros de bénéfice pour un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros serait imposée au taux de 40 %. Une telle différence de traitement ne répond à aucune rationalité économique ou fiscale. Cette modulation aboutirait, dans bien des cas, à taxer plus lourdement des entreprises moins profitables, et plus légèrement des entreprises très rentables, et à favoriser certains secteurs dans lesquels le taux de marge est structurellement élevé.

Ces articles conduiraient par ailleurs à rendre procyclique, comme disent les économistes, le mécanisme général de plafonnement de la déductibilité des charges financières avec le passage à un plafonnement fonction du résultat courant avant impôt corrigé d’un certain nombre de réintégrations – le fameux EBITDA, pour employer un jargon financier et, au surplus, anglo-saxon, c’est-à-dire le bénéfice avant intérêts, impôts, amortissements et provisions sur immobilisations. Comme cette assemblée l’avait relevé à l’occasion de la création de ce plafonnement en 2012, dans un tel modèle, la limitation de la déductibilité des charges financières est d’autant plus forte que le résultat de l’entreprise est faible. Autrement dit, une baisse du résultat opérationnel de l’entreprise limite ses possibilités de déduction des intérêts et augmente donc son imposition au titre de l’impôt sur les sociétés, ce qui réduit son résultat après impôt et la fragilise gravement. C’est en quelque sorte un cercle vicieux ! Adopter de tels articles reviendrait donc à fragiliser beaucoup d’entreprises, J’observe d’ailleurs que la plupart des préoccupations exprimées dans ces articles ont déjà été prises en compte puisque cette majorité, vous le savez, mesdames et messieurs les parlementaires, a instauré une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % sur la distribution de dividendes par les grandes entreprises. Nous avons ainsi atteint un équilibre entre l’incitation à réinvestir les profits et le non-découragement de l’actionnariat, qui est indispensable au financement pérenne de nos entreprises.

Et – je l’évoquais à l’instant – la majorité a instauré un dispositif de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt, qui n’autorise à déduire qu’une fraction du montant total de ces intérêts. Renforcé à partir de 2014, ce mécanisme a permis de réduire effectivement l’écart de taux réel d’imposition entre les grandes et les petites entreprises, et de majorer de plus de 3 milliards d’euros les recettes de l’impôt sur les sociétés.

Les deux articles suivants prévoient de faire varier les cotisations patronales par la mise en place d’un dispositif de modulation des cotisations sociales, en fonction, notamment, de la part de leurs dépenses consacrées aux salaires, ainsi que par la création d’une majoration de 10 % des cotisations sociales pour les entreprises de plus de vingt salariés dont le nombre de salariés à temps partiel ou d’intérimaires est au moins égal à 20 % du nombre total de salariés.

Ces articles conduiraient à pénaliser par construction toutes les entreprises qui, du fait de l’importance qu’elles doivent conférer à l’investissement, ne peuvent consacrer aux salaires la même part que d’autres. Le recours à la classification de l’INSEE ne permet en effet pas d’appréhender la très grande diversité des situations. En outre, si l’on raisonne de façon non plus statique mais dynamique, on constate que votre proposition aboutit à augmenter les prélèvements des entreprises au moment où elles entament leur cycle d’investissement. C’est, vous en conviendrez, un curieux moyen d’encourager celui-ci alors même que personne ne doute de votre souhait d’inciter à l’investissement, et c’est d’ailleurs un souhait tout fait partagé. Ensuite, ces articles conduiraient à faire varier la contribution de chaque société en fonction d’éléments qu’elle ne maîtrise pas et qu’elle ne peut en réalité même pas prévoir, comme l’évolution de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée au niveau national. Voilà qui fragiliserait encore la confiance économique. Ils conduiraient, en outre, à pénaliser non seulement le temps partiel subi, mais aussi le temps partiel choisi. Je rappelle que la DARES estime à 70 % la proportion de salariés à temps partiel qui choisissent cette situation. Enfin, ils conduiraient à pénaliser également les cas d’entreprises recourant à l’intérim dans le cadre d’une reprise d’activité ou pour faire face à un besoin temporaire.

L’article 6 de cette proposition de loi prévoit, quant à lui, une augmentation de 20 % à 40 % du taux du forfait social, qui porte principalement sur les dispositifs d’épargne salariale – l’intéressement et la participation. Son taux actuel, de 20 %, est proche du taux de cotisation des risques non contributifs, qui est de 19 % environ, cotisations maladie et famille comprises. Rien ne justifie donc d’augmenter le taux de dispositifs qui ne donnent pas droit à des prestations.

Enfin, les deux derniers articles de cette proposition de loi prévoient, pour l’un, la suppression du dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, pour l’autre, la suppression du dispositif dit « Fillon » de réduction des cotisations patronales de Sécurité sociale applicable aux salaires inférieurs à 1,6 fois le SMIC. Cela revient à augmenter les prélèvements sur les entreprises de près de 40 milliards d’euros.

Si j’ai ainsi évoqué tous les articles de cette proposition de loi, ce n’est pas pour anticiper leur discussion. Si j’ai énuméré les difficultés posées par chacun de ces articles, c’est pour rendre manifeste ce que M. le rapporteur a déjà eu l’occasion d’indiquer, notamment en commission, à savoir que cette proposition de loi est moins une loi en puissance qu’un support pour le débat – une proposition de loi d’appel, en quelque sorte. Quelle est donc la question posée par le groupe GDR au moyen de cette proposition ? Elle n’a rien de nouveau : c’est celle de l’opportunité de diminuer la fiscalité et les prélèvements sociaux sur les entreprises. Puisque cette question est posée, j’y répondrai bien volontiers.

Ce qui guide la politique économique du Gouvernement, c’est le combat contre le chômage. C’est aussi la conviction que ce combat ne pourra pas être gagné sans restaurer durablement la compétitivité de notre économie, qui a tellement souffert depuis le début des années 2000 – je vous rappelle que notre balance commerciale, qui était à l’équilibre en 2002, était en déficit de 80 milliards d’euros en 2012. C’est enfin la conviction que ce travail de redressement de notre compétitivité ne peut pas s’appuyer exclusivement sur des éléments d’ordre qualitatif – même si cette dimension est, bien évidemment, présente dans l’ensemble des politiques menées par le Gouvernement. Notre politique de compétitivité doit avancer sur ses deux jambes, c’est-à-dire associer la compétitivité-coût à la compétitivité hors-coût.

Cette réflexion nous a conduits à engager la démarche de confiance que constituent le CICE et le pacte de responsabilité. Est-ce à dire, comme on l’entend parfois, que ces mesures sont des cadeaux aux entreprises, voire à leurs patrons ? Évidemment non ! Sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement est particulièrement attaché au bon usage des deniers publics. Il est donc évident que ces mesures doivent se traduire par des résultats concrets, en particulier en matière d’emploi, conformément à l’accord signé par les partenaires sociaux en mars dernier.

C’est pour moi l’occasion de rappeler une autre des convictions qui guident ce Gouvernement : la confiance dans le dialogue social, c’est-à-dire dans le dialogue entre les salariés et leurs employeurs par l’intermédiaire de leurs représentants. Certes, je peux comprendre que cette conception ne rallie pas tous les suffrages, mais elle n’en est pour autant illégitime ; elle est au contraire approuvée par nos compatriotes.

Cette exigence de résultats a deux corollaires : d’une part, il est nécessaire de procéder à des évaluations ; d’autre part, nous devons être capables de remettre en cause les orientations que nous avons prises quand nous n’obtenons pas les résultats attendus. C’est pourquoi le Gouvernement ne peut que se réjouir de la décision, prise par la Conférence des présidents sur proposition du président de l’Assemblée nationale, de créer une mission d’information sur la mise en œuvre du CICE.

Cette exigence me conduit également à préciser devant vous certaines modalités de mise en œuvre du pacte de responsabilité. Le Gouvernement a en effet choisi une montée en puissance progressive du pacte : les allégements prévus n’atteindront pas leur plein effet dès 2015, mais ultérieurement. Afin de pouvoir mesurer à chaque étape la capacité des entreprises à s’intégrer dans cette dynamique, le Gouvernement a décidé que les collectifs – aussi bien le collectif budgétaire que le collectif social – qui seront soumis prochainement à votre Assemblée ne mettront en œuvre que les dispositions du pacte relatives à l’année 2015. Ce choix a pour but de concilier le besoin de visibilité des entreprises – qui pourront savoir dès l’été sur quelles dispositions compter l’année prochaine – avec la capacité de la puissance publique à doser les mesures qu’elle prend au regard de celles qu’elle a déjà prises.

En procédant ainsi par étapes, nous pourrons mener cette nécessaire évaluation dans de bonnes conditions. À l’évidence, celles-ci ne sont pas encore réunies. Je rappelle que pour nombre d’entreprises, le CICE vient tout juste de devenir une réalité tangible : en effet, ce n’est que depuis le 15 mai que la direction générale des finances publiques est en situation de verser aux PME et aux jeunes entreprises innovantes dont elle a instruit les demandes les restitutions auxquelles elles ont droit.

Mesdames et messieurs les députés, tels sont éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. On peut résumer en quelques phrases les raisons pour lesquelles le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi. D’abord, son adoption ne serait pas compatible avec le monopole fiscal des lois de finances, auquel le Gouvernement est très attaché en raison de sa vertu protectrice pour les finances publiques. En l’espèce, je le reconnais volontiers, votre proposition ne vise pas à dégrader les finances publiques ; elle n’en reste pas moins incompatible avec ce principe.

Ensuite, sur certains sujets, le texte proposé par le groupe GDR modifie des équilibres auxquels nous sommes parvenus par un large consensus – je pense par exemple au plafonnement de la déductibilité des charges financières. En outre, il causerait de nombreux effets pervers : j’ai évoqué les problèmes posés par le fait d’imposer différemment un même montant dans deux entreprises aux chiffres d’affaires différents.

Enfin, cette proposition de loi vise à ouvrir le débat sur la politique menée par le Gouvernement en matière économique et financière. J’espère vous avoir rassuré tant sur ses objectifs que sur les modalités de sa mise en œuvre.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne pourra que soutenir les amendements de suppression déposés par le groupe socialiste.

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pacte de responsabilité présenté par François Hollande en janvier dernier constitue la nouvelle feuille de route du Gouvernement. Ce pacte nous préoccupe, car il confirme le tournant libéral engagé avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la loi dite de « sécurisation de l’emploi » ou encore la réforme des retraites. Présenté comme un instrument de redressement de l’économie, ce nouveau plan de réduction des cotisations et de compression des dépenses publiques repose sur le postulat suivant : « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Il vise à permettre aux entreprises d’accroître leurs profits dans l’espoir de stimuler l’investissement et la création d’emploi.

Pourtant, comme le rappelait récemment l’économiste Anne Eydoux dans les colonnes d’un grand quotidien national, « l’idée selon laquelle il faudrait baisser les cotisations sociales des employeurs pour baisser le coût du travail, et stimuler ainsi la compétitivité des entreprises et l’emploi, ne résiste pas à l’examen » car « la compétitivité n’est pas seulement tributaire du coût du travail. Le coût du capital pèse aussi fortement sur elle, pourtant, ce facteur est très rarement évoqué. »

Nous savons par ailleurs que le gel des dépenses pèse sur la consommation des ménages, sur la demande, et en fin de compte sur les débouchés des entreprises. Surtout, cela fait vingt ans que la France réduit, réforme après réforme, le montant des cotisations sociales. Pour quels résultats ? L’effet de ces politiques est difficile à évaluer, mais les faits sont têtus : force est de constater que les allégements de cotisations n’ont pas enrayé la montée du chômage. De plus, ils ont eu des effets pervers comme l’apparition de trappes à bas salaires. Sans oublier le coût de ces mesures, que l’on peut estimer à 75 000 euros par emploi et par an pour les seules mesures Fillon, soit bien plus que le coût des emplois aidés ou des 35 heures.

Nous ne comprenons pas le choix du Gouvernement. L’augmentation des profits des entreprises et la diminution des contraintes qui pèsent sur elles ne peuvent tenir lieu de politique économique et industrielle. Ce n’est pas en lâchant la bride aux profits que l’on produira plus et mieux ou que l’on contribuera à satisfaire les besoins en causant moins de dommages écologiques. Nous comprenons d’autant moins les orientations de la politique actuelle qu’il est possible de construire une alternative au libéralisme et de réunir la gauche autour de propositions consensuelles.

La modulation des contributions des entreprises est de celles-là. L’idée n’est pas neuve : nous la défendons depuis des années, et ne sommes pas seuls à le faire. Lors d’une visite sur le site de Gandrange, en janvier 2012, François Hollande lui-même, alors candidat à la présidentielle, avait avancé l’idée d’une modulation des cotisations sociales pour inciter les entreprises à privilégier les contrats longs plutôt que les contrats courts.

La modulation était également au cœur des engagements de campagne de François Hollande. Le chef de l’État indiquait alors qu’il « modulerait la fiscalité locale des entreprises en fonction des investissements réalisés » et qu’il opérerait une distinction entre « les bénéfices réinvestis et ceux distribués aux actionnaires ». Il disait enfin vouloir « mettre en place trois taux d’imposition différents sur les sociétés : 35 % pour les grandes, 30 % pour les petites et moyennes, 15 % pour les très petites ». Où sont passées ces bonnes intentions ?

La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui s’inspire de ces sages préconisations. Elle n’a pas vocation à proposer des solutions toutes faites, à fournir un programme clef en main, mais à rouvrir le débat sur la modulation en prenant appui sur des propositions qui faisaient largement consensus à gauche avant les dernières échéances présidentielles et législatives. Le principe de modulation nous semble pertinent, car il repose sur le « donnant-donnant ». Ce principe nous semble plus efficace et plus crédible que le badge portant l’inscription « 1 million d’emplois » arboré fièrement par le dirigeant du MEDEF.

Il serait selon nous de bonne politique économique de baisser le taux d’imposition des entreprises qui réinvestissent leurs profits dans la recherche et l’innovation, la création d’emplois stables et la formation qualifiante des salariés. À l’inverse, il serait à la fois juste et efficace d’alourdir la contribution des entreprises qui distribuent une part importante de leurs bénéfices en dividendes ou bien délaissent l’investissement productif au profit d’investissements de croissance externe et de domination sur les marchés.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse. L’idée d’appliquer des taux différenciés d’impôt sur les sociétés en fonction de la taille des entreprises est également une proposition de bon sens. Nous avons bâti une fiscalité des entreprises illisible et inefficace, organisée autour d’un taux unique assorti d’une myriade d’exceptions, d’exonérations, de minorations et de majorations.

Un rapport publié en 2010 par le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait combien ces dispositifs dérogatoires aboutissent à une situation absurde : l’impôt sur les sociétés rapporte chaque 36 milliards d’euros, tandis que les mesures dérogatoires dont il fait l’objet coûtent chaque année plus de 50 milliards d’euros à l’État ! De plus, les grands groupes tirent profit de cet empilement de dispositifs qui leur permet de recourir à des techniques – légales ou frauduleuses – d’optimisation fiscale, afin de réduire le montant de leur imposition, avec les conséquences que l’on sait.

Notre architecture fiscale est profondément déséquilibrée. Non seulement elle est illisible, mais elle tient insuffisamment compte de la situation des entreprises, pénalise les plus petites d’entre elles et favorise les plus grandes. C’est un comble !

Il nous faut engager un vaste mouvement de réforme de notre fiscalité des entreprises pour qu’elle soit mieux adaptée aux différentes situations des entreprises, et pour qu’elle les incite plus à adopter des comportements économiquement et socialement vertueux. De la même manière, il nous faudrait refonder le financement de la protection sociale. Les revenus financiers des entreprises et des banques sont aujourd’hui exemptés de toute contribution sociale : les faire participer au même taux que les cotisations sociales payées par les salariés représente une première piste.

Nous proposons, dans le cadre de cette proposition de loi, une réforme structurelle du financement de la Sécurité sociale. Celle-ci serait toujours financée par des prélèvements assis sur les salaires, mais le dispositif comporterait un ratio rapportant les salaires versés par chaque entreprise à sa valeur ajoutée.

Ce dispositif a des limites, que beaucoup de nos collègues ne manqueront pas de souligner : il rivalise en complexité avec certains passages du code des impôts. L’essentiel, pour nous, est de proposer une autre forme de « donnant-donnant ». Avec notre dispositif, plus une entreprise chercherait à réaliser des profits contre l’emploi, plus elle serait pénalisée par une augmentation du taux de cotisation patronale. Elle serait encouragée à se comporter de manière inverse par une modulation révisable à la baisse du taux de cotisation.

Pour développer et orienter la production dans le sens de l’intérêt général, nous ne saurions nous en tenir aux seuls enjeux de financement. Nous devons garantir une plus grande participation des salariés à la gestion de leur entreprise. Nous devons aussi développer des outils comme la Banque publique d’investissement et mobiliser l’épargne populaire pour soutenir les secteurs industriels stratégiques.

Vous le voyez, beaucoup de voies méritent d’être explorées ensemble.

Nous voulons, avec cette proposition de loi, ouvrir la porte à la recherche de solutions dans lesquelles la gauche, dans la diversité de ses composantes, puisse se reconnaître.

Le tournant libéral opéré récemment par le Gouvernement comporte le risque d’un abandon de ce qui constituait jusqu’ici la colonne vertébrale de la social-démocratie française, à savoir l’idée que l’État a pour mission de corriger les excès du marché et de veiller à ce que se réalise un compromis entre le capital et le travail. Ce compromis a volé en éclat avec la crise financière de 2008 et le nouveau « compromis social » proposé par le chef de l’État n’a plus de compromis que le nom.

Désormais, on tente de nous faire admettre que le rôle de l’État se limite à s’assurer du respect des règles qui gouvernent l’économie de marché, en espérant que les entreprises voudront bien, un jour, relancer l’emploi, la production et l’investissement en France.

Nous récusons cette approche, car nous demeurons convaincus qu’il incombe à l’État d’être le garant et le levier d’un juste partage des richesses et d’un développement économique socialement et écologiquement responsable.

Voilà la démarche qui sous-tend cette proposition de loi, et c’est dans cet esprit que nous vous invitons tous, chers collègues, à l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fauré.

M. Alain Fauré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du groupe GDR sur la modulation de la contribution des entreprises. Nous ne pouvons évidemment que nous féliciter que nos collègues du groupe GDR consacrent cette niche parlementaire à un texte qui a pour ambition affichée de lutter contre le chômage, d’introduire plus de justice dans la répartition des richesses produites, tout en optimisant les recettes fiscales de demain.

Nous partageons ces objectifs et toutes nos actions, sous l’impulsion du Président de la République, sont dirigées en ce sens depuis 2012. Pour autant, si nous souscrivons à la volonté de nos collègues du Front de gauche de favoriser l’emploi et une meilleure justice sociale, force est de constater que les outils introduits par ce texte ne sont pas adaptés à la situation et pourraient être contre-productifs. Je le dis en toute franchise, je vous sais animés d’une volonté de redresser notre pays, mais cette proposition de loi aboutirait à l’inverse des effets désirés.

La plupart des mesures entendent revenir sur des dispositifs mis en place depuis juillet 2012 pour rétablir la compétitivité de nos entreprises et gagner la bataille de l’emploi. Vous proposez de revenir sur des engagements forts pris depuis le début du quinquennat, alors même qu’ils commencent tout juste à porter leurs fruits.

Les premiers signes de redressement de la croissance et du ralentissement du chômage sont en train de s’enclencher et vous suggérerez de tout stopper. Il n’est pas possible de changer continuellement les règles sur le plan fiscal ou économique : cela risquerait de démobiliser les énergies entrepreneuriales et d’anéantir les efforts précédents.

Or, les dynamiques économiques ont besoin de temps pour se déployer, vous le savez tout autant que moi. Agir pour le redressement durable du pays oblige à penser sur le temps long.

La situation économique actuelle n’est évidemment pas la conséquence des décisions adoptées ces derniers mois. C’est l’aboutissement d’un long processus déclenché notamment par le fardeau laissé par la précédente majorité qui, pendant dix ans, a laissé les déficits publics se creuser et le chômage s’installer. Des milliers d’emplois, notamment industriels, ont été détruits entre 2002 et 2012, alors que la droite était occupée à inventer toutes sortes de cadeaux pour enrichir les plus fortunés.

Les finances étaient dans un tel état, quand nous avons été élus, que nous avons d’abord dû nous attacher à écoper le bateau France avant de le remettre à flot grâce aux différents outils créés depuis vingt mois – mais ce n’est qu’un début.

Tout d’abord, le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, présenté le 6 novembre 2012, tout comme le rapport Gallois, ont officialisé le constat d’urgence relatif à notre industrie et notre compétitivité. La réponse apportée par le Gouvernement a été globale et directe, avec des mesures portant sur la compétitivité-coût et hors coût.

Je pense évidemment au CICE, crédit d’impôt de 20 milliards d’euros, qui a permis une réduction d’impôt équivalant à 4 % de la masse salariale pour l’exercice 2013 et à 6 % à partir de 2014 pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. De nombreuses critiques et des doutes ont été émis sur ce point, mais nous venons tout juste de verser la première tranche. Le CICE est un signal fort vers les entreprises car il est simple à appliquer.

Le crédit d’impôt allège les charges et dégage de nouvelles ressources pour investir, embaucher, innover, se développer, dégager in fine des gains de productivité et réduire les coûts. C’est aujourd’hui, et c’est concret. À l’horizon 2017, le Gouvernement attend 300 000 emplois en plus et un surcroît de croissance de 0,5 point grâce à cette mesure.

Votre proposition de loi propose sans discernement de stopper net ce qui commence à redonner envie d’entreprendre. Elle remet ainsi en cause le CICE en invitant tout bonnement à le supprimer. Nous ne pouvons pas l’accepter.

Le retour de la croissance, c’est aussi le sens du pacte de responsabilité et de solidarité annoncé par le Président de la République. Le débat, en particulier sur les allégements de cotisations, aura lieu à l’occasion du prochain projet de loi de finances rectificatives et du projet de loi de finances pour 2015.

Sur ce sujet, la proposition de loi présentée par le groupe GDR est, une fois de plus, à contresens. Pour s’en rendre compte, je souhaite ici rappeler les principaux axes de ce pacte de responsabilité et de solidarité.

Le premier, c’est la poursuite de l’allégement des charges pesant sur le travail ; le pacte prévoit une amplification de la baisse des charges afin de répondre à un double objectif : favoriser la création d’emploi et améliorer la compétitivité et la capacité à exporter de notre économie. Cette baisse du coût du travail résultera d’une exonération dégressive des cotisations sociales sur les salaires jusqu’à 3,5 fois le SMIC.

Votre texte propose de revenir sur les allégements de cotisations, alors même qu’ils commencent à faire preuve de leur efficacité. Je ne dis pas ici que nous ne pouvons pas prévoir à l’avenir des ajustements : les baisses de cotisations sont certainement moins utiles dans certains secteurs. Il nous faudra procéder à quelques réglages à la marge en fonction des résultats à long terme de ces mesures.

Mais nous n’avons pas l’intention de jeter le bébé avec l’eau du bain en supprimant brutalement ces allégements qui bénéficient avant tout, je le rappelle, aux PME. Le message envoyé aux entrepreneurs serait terrible et contre productif.

Le second axe, c’est la modernisation du système fiscal des entreprises : le pacte prévoit une modernisation et une réduction de la fiscalité des entreprises pour favoriser leurs investissements.

La contribution sociale de solidarité des sociétés sera supprimée d’ici à 2017, avec une première réduction équivalant à 1 milliard d’euros en 2015 sous la forme d’un abattement, ce qui sera favorable aux PME. Le taux normal d’impôt sur les sociétés, l’IS, passera de 33,3 % actuellement à 28 % en 2020, avec une première étape dès 2017.

Enfin, pour simplifier le cadre fiscal, plusieurs dizaines de taxes à faible rendement seront supprimées. Là aussi, vous vous trompez dans l’analyse. En proposant d’augmenter l’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires, vous nagez à contre-courant de la compétitivité. D’autant qu’en vous focalisant sur l’IS vous n’appréhendez pas la question de manière globale et omettez de prendre en compte la fiscalité locale et tous les autres coûts cachés.

Toutes les mesures prises depuis notre arrivée au pouvoir dessinent une trajectoire claire et cohérente pour les entreprises, et c’est précisément ce dont elles ont besoin. Les entrepreneurs ont besoin de stabilité pour investir, donc créer de la richesse et des emplois. L’instabilité fiscale et administrative pousse au contraire à la paralysie de l’économie.

Je pense par exemple à l’article 3, qui modifie substantiellement le mécanisme de déductibilité des intérêts d’emprunts. On peut en effet se demander en quoi le mécanisme qui est actuellement en vigueur en Allemagne, défendu dans cet article, serait meilleur que celui existant actuellement.

En effet, le mécanisme allemand a été critiqué à de maintes reprises, notamment pour son caractère procyclique : si l’on appliquait ce dispositif lorsque l’entreprise dégage des résultats d’exploitation faibles, ceux-ci seraient plombés par la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt.

Le dispositif que nous avons actuellement en France est d’ailleurs plus large car il prend en compte, non seulement les intérêts d’emprunt, mais aussi une fraction des loyers de crédit-bail. Comme le rappelait Christian Eckert, rapporteur général du projet de loi de finances pour 2013, le dispositif français est plus sévère que le dispositif allemand sur ce point également.

Rappelons en effet que le projet de loi de finances 2013 est déjà revenu sur cette mesure. Le régime actuel français de déductibilité des intérêts d’emprunt était en effet trop permissif : le projet de loi de finances pour 2013 a donc limité la part des charges financières nettes déductibles.

Cette part a été fixée à 85 % pour les exercices 2012 et 2013, puis a été ramenée à 75 % à compter de l’exercice 2014. Le dispositif de limitation voté ne s’applique pas lorsque le montant total des charges financières nettes est inférieur à 3 millions d’euros – cette disposition de votre proposition de loi est donc déjà satisfaite.

Cela ne signifie pas que l’on ferme la porte au débat. Au contraire, il est utile de réfléchir collectivement aux moyens de perfectionner nos outils pour dynamiser notre économie.

Mais les mesures prescrites dans ce texte sont à contretemps. On ne réforme pas un pays en braquant ceux qui entreprennent, qui créent de l’emploi et qui exportent ; cela demande du temps et de la lisibilité.

En France, ce sont les PME et les TPE qui créent le plus d’emploi. Nous allons apporter des corrections au CICE, car elles ne sont pas, ou trop peu, concernées par ce dispositif. Il en va de même des artisans. Vous le voyez et vous le savez, il faut accorder du temps au temps.

Par ailleurs, nous engageons une large œuvre de simplification de la vie de nos entreprises, qui doit aussi accompagner et faciliter le fait d’entreprendre en France.

Votre proposition de loi a le mérite de nous interpeller et de nous rappeler la nécessité de mesurer l’efficacité des décisions prises afin de les corriger s’il y a lieu, mais non sans avoir commencé à les mettre en œuvre.

Nous sommes conscients que la diminution des charges pour un montant de 50 milliards, soit 2,5 points du PIB, implique un contrôle vigilant, surtout en période d’effort national sans précédent. Nous procédons par étapes : d’abord impulser une nouvelle dynamique, ensuite favoriser le déploiement en simplifiant, et enfin procéder aux réglages nécessaires à la montée en puissance. C’est en procédant ainsi que nous allons réussir à redresser notre pays.

J’aurai donc plaisir à engager le débat avec vous, mes chers collègues, sur la proposition de loi que vous nous soumettez, avec le doux espoir de vous convaincre du bien-fondé de la stratégie adoptée par le groupe SRC, car je reste convaincu que c’est par l’écoute et le dialogue que nous pouvons nous rassembler. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. C’est une bien curieuse proposition de loi sur la modulation des contributions des entreprises dont nous débattons aujourd’hui, à l’initiative du groupe GDR. Curieuse non pas sur le fond, eu égard aux positions parfois un peu dogmatiques que nous avons l’habitude de voir chez nos collègues du groupe GDR, mais curieuse car l’examen d’un tel texte dans le contexte économique actuel apparaît décalé par rapport à l’urgence de la situation et aux mesures qu’il convient de prendre pour redresser nos comptes publics.

La proposition de loi permet d’engager une réflexion intéressante. Le débat qui a eu lieu en commission des finances était d’ailleurs de qualité. Mais les auteurs se trompent de réponses. Ce dont nous parlons aujourd’hui est une attaque en règle contre les entreprises et la traduction législative d’une méfiance à l’égard des acteurs économiques.

Alors qu’il conviendrait, au contraire, d’envoyer des signaux positifs d’encouragement à la reprise et de dynamiser notre compétitivité afin de créer de l’emploi, la présente proposition de loi envoie un message très clair de défiance.

Premièrement, et c’est le cœur du texte, il nous est proposé de réformer l’impôt sur les sociétés en mettant en œuvre quatre taux d’imposition en fonction de la taille des entreprises et en modulant les taux en fonction de l’utilisation que les entreprises font de leurs bénéfices, selon que ceux-ci vont à l’investissement et à l’emploi ou sont, au contraire, distribués aux actionnaires.

Le texte propose ainsi un taux majoré de l’impôt sur les sociétés pour « les entreprises qui obéissent à la logique de court terme des marchés au détriment de l’intérêt général », pour reprendre les termes de l’exposé des motifs.

On peut discuter de l’idée de moduler le taux de l’IS, qui n’est pas mauvaise en soi, mais cette modulation ne peut se faire en fonction du chiffre d’affaires. On pourrait envisager d’autres critères, comme le taux de marge. Ce serait du moins une piste à explorer. En l’état, la proposition n’est pas acceptable, car elle impose une logique de punition quand il faut, au contraire, encourager l’activité.

La réforme de l’impôt sur les sociétés proposée va complètement à l’encontre des besoins des entreprises qui dénoncent constamment l’instabilité fiscale. Je l’entends dans ma circonscription de la Mayenne, tout comme vous devez l’entendre également, mes chers collègues, dans vos territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains. Une telle réforme devrait, pour le moins, s’inscrire dans une réforme globale de la fiscalité des entreprises afin de permettre à nos TPE, à nos PME et également aux grands groupes de se développer, de conquérir des marchés et de créer de l’emploi. En dépit des annonces faites par Jean-Marc Ayrault, l’année dernière, force est de constater que le Président de la République et ce nouveau gouvernement ont reculé sur le sujet.

Les auteurs de cette proposition de loi ne sont certes pas responsables de cette reculade, mais il aurait été intéressant d’évoquer ce sujet dans le cadre des Assises de la fiscalité des entreprises. En effet, lors de la campagne présidentielle de 2012, le candidat Hollande plaidait pour une plus grande lisibilité de l’impôt sur les sociétés et avait même inscrit dans ses engagements la différenciation du taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de la taille des entreprises et la création de trois taux : 35, 30 et 15 %. Or, dans le cadre du pacte de responsabilité, vous rappelez, monsieur le rapporteur, qu’il est prévu que « le taux normal passera de 33,3 % actuellement à 28 % en 2020 avec une première étape dès 2017 ». Cela laisse entendre que l’engagement du candidat a été enterré par le Président de la République, un de plus, me direz-vous légitimement.

Deuxièmement, le texte propose des mesures dites de « financement dynamique de la protection sociale ». Mes chers collègues, ces mesures sont irréalistes ! Vous ne considérez aucunement le contexte de crise que connaissent les entreprises françaises depuis 2008. L’orateur du groupe socialiste vient, à son tour, de le nier. Si, pendant dix ans, la droite n’a pas contribué au redressement, c’est bien parce qu’elle a dû faire face à une crise…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. En 2002 ?

M. Guillaume Chevrollier. …niée par le candidat François Hollande pendant la campagne de 2012. La crise que nous avons connue en 2008 a entravé le redressement économique et le redressement des comptes publics.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Pour nous aussi, c’est la crise !

M. Guillaume Chevrollier. Le texte propose de majorer les cotisations sociales patronales pour sanctionner la stratégie financière des uns et le recours au temps partiel ou à l’intérim des autres. Il crée ainsi deux cotisations additionnelles et la possibilité d’une majoration de 10 %. Dès lors que l’on veut nier la situation économique, il est normal de faire des propositions décalées. Toutefois, le contexte actuel appelle à la responsabilité et ne nous laisse aucune marge pour des mesures fantaisistes destinées à sanctionner plutôt qu’à encourager et à aller dans le sens de la compétitivité et de la création d’emplois.

Il faut simplifier et baisser les charges et ne pas, au contraire, complexifier et ajouter des contraintes, des contrôles et de l’instabilité fiscale aux entrepreneurs qui n’en peuvent plus. À l’heure du prétendu « choc de simplification », qui continue de se faire attendre, monsieur le secrétaire d’État, ces contraintes supplémentaires semblent pour le moins contradictoires, alors que l’idée initiale partait d’un bon sentiment en ce qu’il était prévu de simplifier les taux de l’impôt sur les sociétés.

Le texte propose, en outre, la suppression tant des allégements dits « Fillon » que du CICE. On sait que les auteurs de la proposition de loi désapprouvent également le plan de baisse du coût du travail, avec notamment la baisse des cotisations familiales, annoncé par le nouveau gouvernement. Le groupe UMP pourrait partager en partie ce désaccord, mais pour des raisons diamétralement opposées, le financement de ce plan étant encore inconnu dans le détail. Je rappelle que le CICE, voté depuis plus d’un an, n’est toujours pas intégralement financé.

Contrairement à ce qui a été affirmé tout à l’heure, il n’est pas simple à mettre en œuvre sur le terrain, comme nous le disent les entrepreneurs que nous rencontrons dans nos circonscriptions. Dès lors, on peut s’inquiéter du financement de nouvelles mesures pourtant déjà annoncées ! À l’inverse de votre groupe, monsieur le rapporteur, les députés du groupe UMP soutiennent les allégements de charges sur les bas salaires, car ils pensent que, dans notre pays, le chômage concerne essentiellement les personnes faiblement qualifiées.

Il convient de les ramener vers l’emploi, lequel doit être le seul objectif. Ce doit être des emplois dans les entreprises, dans le secteur privé, et non des emplois d’avenir financés par la dette et par les impôts en forte augmentation ces derniers temps. Le CICE, même s’il est complexe, n’est pas inintéressant à ce titre, à ceci près qu’il est moins efficient que ne le serait une remise à plat importante des cotisations sur les bas salaires. C’était tout le sens de la TVA compétitivité votée par la précédente majorité et que le gouvernement socialiste s’est empressé de supprimer à son arrivée au pouvoir dès l’été 2012.

Au bout de quelques mois de gouvernement, François Hollande a probablement compris son erreur et a tenté de bricoler un crédit d’impôt qui n’était ni plus ni moins qu’une TVA sociale au rabais, sans avoir les avantages réels de la TVA compétitivité pour notre économie. Que de temps perdu ! Cette proposition de loi porte un coup de massue sans précédent à la compétitivité des entreprises. Réformer l’impôt sur les sociétés et supprimer d’un coup l’ensemble des aides aux entreprises ressemble à la stratégie de la terre brûlée : on ne s’y prendrait pas autrement pour dégrader durablement le tissu entrepreneurial français et l’emploi.

Dans le contexte économique que nous connaissons et alors que la reprise s’installe partout en Europe sauf en France, c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer. Enfin, si le texte est utile à la réflexion, c’est uniquement parce qu’il nous permet de cerner ce qui oppose les différentes sensibilités de la représentation nationale. Dès lors que nous sommes dans une économie ouverte et mondialisée, nous ne pouvons approuver les mesures préconisées qui rétracteraient l’activité et qui compromettraient le redressement économique de notre pays. Ce texte transcrit un véritable climat de défiance à l’encontre des entreprises et des entrepreneurs dont nous avons besoin pour redresser le pays. C’est pourquoi le groupe UMP votera contre cette proposition de loi.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe GDR d’avoir pris l’initiative de proposer un débat sur ce texte alors que les députés expriment constamment leurs doutes sur les politiques de soutien aux entreprises. L’évaluation du fonctionnement et des premières avancées permises par le CICE est en conséquence très attendue. Les écologistes souhaitent que ce débat ne soit ni relégué au second plan ni escamoté. Il doit avoir lieu, car il est non seulement le reflet des doutes dont je viens de vous faire part, mais il s’inscrit dans la nécessaire adaptation et modernisation de notre système fiscal.

Nous reviendrons évidemment sur toutes ces questions lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative dont nous aurons à débattre dans l’hémicycle cet été. Cette ambition mérite, quoi qu’il en soit, que le débat se poursuivre au-delà de celui que nous engageons aujourd’hui. Cette proposition de loi tend à réformer en profondeur l’impôt sur les sociétés en proposant une nouvelle modulation du barème de l’impôt et des cotisations sociales et en revoyant le système de la déductibilité des intérêts d’emprunt. Enfin, il suggère la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et de la « niche Fillon ».

L’article 1er propose de remplacer le taux normal de l’impôt sur les sociétés, aujourd’hui fixé à 33,33 % par quatre taux, progressifs selon le chiffre d’affaires, avec la réduction du montant pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros et l’augmentation au-delà. L’ambition est intéressante, car il se trouve que les petites entreprises, parce qu’elles profitent moins des failles du système et de l’optimisation fiscale, sont davantage taxées que les grandes au titre de l’impôt sur les sociétés, mais cette proposition soulève deux questions.

La première est celle de la capacité contributive, laquelle dépend du résultat et non du chiffre, en fonction de la taille des entreprises. Ce sujet a été évoqué par le rapporteur et par notre collègue Chevrollier. La seconde question porte sur le rendement global, puisque la proposition suppose une augmentation des prélèvements. J’apporte cette précision parce que cette augmentation des prélèvements, dont je ne connais pas le montant puisque je n’ai fait aucun calcul, doit être ajoutée aux baisses d’allégements de 40 milliards, ce qui représente une charge extrêmement lourde pour le secteur économique.

Par ailleurs, les écologistes souhaitent rappeler leur proposition d’élargissement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés en la faisant porter sur l’excédent net d’exploitation, ce qui permettrait, sans pénaliser les investissements, de moins faire porter l’impôt sur les facteurs de production dont on sait qu’ils ne représentent pas les facultés contributives des entreprises. Il serait possible conjointement de baisser le taux nominal de manière à préserver un rendement constant et à améliorer notre attractivité en direction des entreprises étrangères. Il convient, enfin, de réfléchir à l’instauration progressive d’un taux plancher d’impôt sur les sociétés avec pour objectif de restreindre l’érosion de la base fiscale du fait des niches fiscale ou de l’évasion fiscale, soit une sorte de bouclier fiscal à l’envers.

Il est en effet désormais connu que la combinaison des systèmes de fraude, de sous-capitalisation et de niches permet à certaines multinationales, notamment aux entreprises du CAC 40, de diminuer de façon importante leur taux d’imposition réelle. L’article 3 propose de remédier à une forte déduction fiscale des intérêts d’emprunt souvent évoquée pour illustrer le grand décalage entre le taux nominal et le taux réel de l’impôt sur les sociétés. C’est d’ailleurs la proposition principale avancée pour permettre une harmonisation fiscale avec nos voisins d’outre-Rhin.

Toujours est-il que cette déductibilité, que nous avons certes limitée, pousse au recours à l’emprunt plutôt qu’à l’utilisation de fonds propres et peut altérer les capacités d’adaptation des entreprises. Parallèlement aux propositions fiscales, les articles 4 à 6 prévoient des évolutions pour les cotisations sociales. L’article 4 propose de moduler les cotisations sociales des entreprises en fonction de leur choix de répartition des richesses. Nous y sommes très favorables.

C’est au cœur du débat qui renvoie à une question lancinante : comment sont utilisées les marges financières des entreprises ? Telle est la vraie question. Alors que les arbitrages entre rémunération du travail et rémunération du capital interrogent, alors que les maigres gains de croissance ont profité principalement voire exclusivement aux personnes les plus riches, alors que l’échelle des rémunérations n’a fait que croître ces dernières années, alors que les bénéfices sont parfois davantage utilisés pour spéculer plutôt que pour produire, investir ou innover, il importe de prendre en compte le comportement des entreprises.

Au moment où notre pays s’engage dans un soutien important en faveur des entreprises pour leur permettre de reconstituer leurs fonds propres et leurs marges de manœuvre, il est essentiel de prendre toutes les mesures et toutes les précautions nécessaires afin que ces marges de manœuvre ne nourrissent ni les dividendes ni les hauts salaires. Il faut espérer que chacun l’aura compris. C’est en tout cas en ces termes que s’est exprimé le très capitaliste et puissant patron de BlackRock, le plus gros fonds d’investissement du monde, à travers le courrier qu’il a adressé à tous les PDG d’entreprises dont il est actionnaire : « vous ne devez pas sacrifier l’investissement et l’avenir à des intérêts financiers à court terme pour plaire aux seuls actionnaires ». Si seulement c’était vrai !

Cet article de la proposition de loi a vocation à influencer les choix de répartition des richesses dans l’entreprise. Il a donc notre total soutien Ainsi, les sociétés dont la répartition des richesses sera tournée vers les emplois et les salaires seraient soumises au taux de cotisations sociales de droit commun, alors que si elle est tournée vers d’autres objets, comme les produits financiers, elles devraient s’acquitter d’une cotisation sociale additionnelle.

En revanche, l’article 5 soulève un certain nombre de réserves de notre part, quant à non pas ses motivations, mais son applicabilité, en raison notamment de la complexité et de la diversité des motivations des temps partiels. L’article 6 propose un doublement de 20 à 40 % des prélèvements sociaux sur les revenus des capitaux mobiliers et autres plus-values. Les propositions de suppressions d’aides aux entreprises prévues aux articles 7, relatif à la suppression du CICE, et 8, consacrant la suppression des allégements des cotisations sociales, dits allégements Fillon, apparaissent extrêmement brutales en l’état.

De plus, une mission d’évaluation du CICE nous permettra prochainement de mener une réflexion plus éclairée sur le sujet. Les écologistes soutiennent l’idée selon laquelle une aide généralisée n’est pas pertinente et appellent à un meilleur encadrement, un meilleur ciblage des crédits d’impôt. Il est donc nécessaire d’attendre les résultats de l’évaluation en cours. Le fait que cette politique générale d’exonérations ne favorise de manière structurelle que certains secteurs du fait des différences intersectorielles dans la structure des rémunérations, et ce sans que cela n’apporte un bénéfice collectif, nous inquiète.

Nous avons exprimé nos inquiétudes à plusieurs reprises quant aux raisonnements macroéconomiques qui ne prennent pas en compte l’hétérogénéité sectorielle. Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque le CICE a été adopté sans conditions ni contreparties. C’est pourquoi ce texte doit être impérativement discuté. Sur l’ensemble de cette proposition de loi, je souhaiterais prévenir les remarques plausibles des députés de l’opposition, qui nous expliquent souvent que les recettes fiscales résultent, pour l’essentiel, d’une fiscalité des entreprises trop contraignante qu’il faudrait réduire.

Ce faisant, ils justifient les opérations d’optimisation et même de fraude fiscale – à leur insu, me diront-ils – alors que chacun sait que l’échappement à l’impôt pour les entreprises est un sport national et international ancien et qu’il est pratiqué y compris dans les pays à fiscalité moindre. En choisissant la voie de la facilité, ils participent au dénigrement de l’impôt et à l’affaiblissement du consentement à l’impôt dont ils auront sans doute à souffrir un jour.

En ce sens, je souhaite rappeler l’utilité de la contribution des entreprises dans la dépense publique pour financer les services publics qui, même s’il faut les moderniser, jouent le rôle d’amortisseur de crise, comme nous l’avons récemment constaté, et qui représentent des facteurs de stabilité, de sérénité et de bien être pour les salariés des entreprises, ce qui ne peut que bénéficier aux entreprises, pour assurer les investissements par le soutien aux collectivités locales. Certes, ces investissements doivent être mieux ciblés et mieux réfléchis alors qu’ils contribuent largement à l’attractivité économique des territoires et sont souvent des facteurs de choix d’implantation pour les entreprises elles-mêmes et permettent de soutenir le développement des entreprises et des formations. Cela n’empêche évidemment pas de s’interroger sur l’efficacité des aides.

D’une manière générale, si cette proposition de loi pose les bonnes questions, elle pâtit de l’absence d’étude d’impact, d’autant plus que son adoption serait susceptible d’avoir des conséquences importantes.

Les termes du débat sont posés. Il y manque toutefois un volet sur l’écoconditionnalité, ainsi que des dispositifs qui permettent de prendre en compte la fraude et l’évasion fiscales, sujets qui feront d’ailleurs l’objet de deux amendements que j’aurai l’occasion de présenter par la suite.

Mon intervention, vous avez pu le constater, est principalement nourrie d’interrogations. Cela reflète sans doute l’objectif du groupe GDR, auquel je m’associe, qui est de sonder les possibilités d’évolution des contributions des entreprises afin que celles-ci soient mieux adaptées, plus justes, plus modernes et permettent d’accompagner les entreprises, notamment dans la transition écologique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi de nos collègues du groupe GDR, visant à moduler la fiscalité des entreprises en fonction de différents critères économiques et, éventuellement, à revoir un certain nombre de soutiens et d’aides qui peuvent leur être apportés.

Je voudrais tout d’abord rappeler la situation économique dans laquelle nous nous trouvons, qui est assez inédite pour notre pays. À cause de la crise économique, nous rencontrons un problème de chômage, donc de pouvoir d’achat, donc de demande, de sorte que nos entreprises n’ont pas assez de débouchés pour écouler leur production.

À cause de la crise économique et surtout parce qu’au cours des quinze dernières années nous n’avons pas assez investi, nos entreprises se trouvent aujourd’hui confrontées à un problème d’offre : ce qu’elles vendent ne correspond pas toujours à ce qui s’achète sur les marchés mondiaux. Il est par conséquent nécessaire d’adapter cette offre en accroissant l’investissement.

L’objectif du Gouvernement est bien de résoudre ces deux problèmes de concert, et c’est ce qui est mis en œuvre.

La question de l’investissement est cruciale, et je voudrais m’y arrêter quelques instants.

Si l’on considère le taux d’investissement – c’est-à-dire le montant investi divisé par la valeur ajoutée – hors construction, on constate deux faits notables : il a continûment baissé depuis le début des années 2000…

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Ça continue !

Mme Valérie Rabault. …et il a été inférieur de près de deux points à celui des entreprises allemandes.

C’est donc bien cette question cruciale qu’il nous faut résoudre aujourd’hui.

Là aussi, je pense qu’il est indispensable d’établir le bon diagnostic et de ne pas toujours s’arrêter à quelques idées reçues : la situation que connaît la France n’en fait pas un cas unique. Avec la crise économique, tous les pays européens – je dis bien : tous les pays européens – ont vu le taux de marge de leurs entreprises baisser. À la fin 2012, le taux de marge – soit le rapport entre l’excédent brut d’exploitation et la valeur ajoutée – est encore de 27,5 % en France, tandis qu’il est proche de 30 % en Allemagne : l’écart n’est pas si important.

En revanche, la situation de nos PME – c’est bien en leur direction que le Gouvernement a porté ses efforts –, en particulier dans le domaine manufacturier, est plus inquiétante. En effet, en Allemagne, le taux de marge de ces entreprises a baissé de 18 à 15 %, en France, de 20 à 14 %, en Espagne de 17 à 7 %.

Monsieur Sansu, nous voulons que les entreprises retrouvent une marge de manœuvre suffisante pour investir. À cette fin, le Gouvernement a sollicité la mobilisation de toute la nation, en particulier pour financer le CICE.

Avec la clôture des comptes de résultat, les entreprises – je pense principalement aux PME – ont pris connaissance auprès de leur expert-comptable du montant de CICE dont elles bénéficient. Pour de nombreuses PME, cela a été une bonne surprise : certaines ont bénéficié d’un crédit d’impôt de 20 000, 30 000 ou 40 000 euros auxquels elles ne s’attendaient pas, et qui vont pouvoir servir à de l’investissement.

Dès lors, l’article 7 de votre texte, qui propose purement et simplement la suppression du CICE, ne paraît pas opportun en l’état actuel de notre économie. Le CICE constitue un crédit d’impôt en faveur des entreprises pour des salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC. Là encore, lorsque l’on observe la distribution des salaires dans l’économie française, on se rend compte que ce niveau de salaire concerne majoritairement les PME. En effet, dans les entreprises de moins de dix salariés, le salaire moyen net est inférieur de 20 % à celui de toutes les autres entreprises.

Bien évidemment, on peut revoir ou adapter le mécanisme du CICE pour faire en sorte qu’il soit encore plus concentré sur les PME mais, d’ores et déjà, la cible salariale concerne les PME et les TPE qui, on l’a bien vu, sont celles qui ont le plus souffert de la crise.

Votre proposition de loi contient quelques pistes intéressantes à explorer, notamment pour donner un vrai coup de pouce aux PME, mais elle ne répond pas à la question économique globale qui nous est posée.

Ainsi l’article 1er a pour objet de moduler très fortement le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires. Or, on sait très bien que l’on peut avoir un gros chiffre d’affaires et un résultat net égal à zéro. Il n’en reste pas moins qu’il faut sans doute envisager, dans le cadre des prochaines lois de finances, d’adapter le taux de l’impôt sur les sociétés, et peut-être d’étendre le barème de taxation de 15 % – qui concerne aujourd’hui les premiers 38 000 euros – à un plus grand nombre d’entreprises.

Vous posez par ailleurs la question de la fiscalité des entreprises et de son efficacité, et distinguez les PME des grands groupes. Cela me paraît effectivement nécessaire et je crois que, là aussi, nous aurons l’occasion d’en rediscuter lors des prochaines lois de finances.

Vous posez enfin la question de l’équilibre économique et social, qui est effectivement une condition nécessaire pour susciter l’adhésion au progrès dans notre pays.

Comme le disait Pierre Mendès France, « le domaine social procède du domaine économique. Toute réforme économique se double d’une réforme sociale jumelle. »

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. Monsieur le rapporteur, vous avez conclu nos travaux en commission en vous félicitant que votre proposition de loi ait permis d’ouvrir un débat et en souhaitant qu’il se prolonge à l’avenir : de fait, nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative.

Vous avez demandé à vos amis du groupe SRC que ce débat puisse avoir lieu article par article dans l’hémicycle, et c’est bien volontiers que nous y avons répondu, ce qui est conforme, il faut le rappeler, à la tradition républicaine qui prévaut dans cette maison. Lorsque nous étions dans l’opposition, nous déposions également des propositions de loi et il est vrai que le débat a parfois été bloqué en raison de l’adoption d’une motion de rejet, ce qui était très regrettable.

Nous aurions pu nous-mêmes procéder de la sorte, pour des raisons de fond, parce que le débat a déjà eu lieu : en effet, depuis 18 mois, la plupart de ces articles ont fait l’objet de nombreux amendements, qui ont permis de nourrir la discussion, avant d’être rejetés.

Nous aurons d’ailleurs à nouveau ce débat, puisque l’essentiel des textes que nous aurons à examiner au début du mois de juillet porteront notamment sur les mesures d’allégement social et fiscal des entreprises.

Par ailleurs – tel est le fond du problème –, sur chacun de vos articles, mais aussi en ce qui concerne la logique d’ensemble de votre proposition de loi, nous avons une double divergence, bien que nous partagions des valeurs et des objectifs communs.

La première de ces divergences concerne le diagnostic sur la situation de l’économie et de nos entreprises.

La seconde porte sur la manière de percevoir les choses : je vous le dis, mes chers collègues, je ne crois pas que l’on puisse résumer les mesures fiscales et sociales que nous adoptons en direction des entreprises, notamment celles qui instituent des allégements, en les qualifiant, au moyen d’un raccourci saisissant – que j’ai encore entendu à cette tribune tout à l’heure – de cadeaux aux patrons ou aux actionnaires.

La réalité vécue par de très nombreuses entreprises, à commencer par les PME et les ETI, n’est absolument pas celle-là. Dans notre pays, un grand nombre de chefs d’entreprise comme d’actionnaires sont extrêmement investis, et l’on ne peut pas qualifier de la sorte, par ce type de raccourci, les mesures que l’on adopte ou que l’on pense devoir adopter pour améliorer la compétitivité coût de ces entreprises, qui n’est d’ailleurs qu’un élément du débat.

Je souhaite donc que l’on aille plus loin dans cette direction. Cela rejoint la vraie question qui nous est posée, à savoir l’efficacité de nos mesures.

Je me souviens que, lors de notre discussion en commission, vous avez, à plusieurs reprises, défendu certains des articles en expliquant qu’ils permettraient d’améliorer l’emploi public. Or, je pense qu’aujourd’hui, dans ce pays – on l’a d’ailleurs montré dans le cadre du groupe de travail sur la fiscalité des ménages – la première des inégalités – je dis bien : la première, qui est source des inégalités de revenus –, c’est celle qui résulte du chômage. On a beau avoir un système de redistribution sociofiscal extrêmement puissant, on n’arrive pas à résoudre ce problème : la France demeure un pays plus inégalitaire que d’autres.

La vraie question qui se pose aujourd’hui réside dans les moyens qui permettront, demain, de créer des emplois. Elle doit être définitivement tranchée. Dans tous les groupes politiques, y compris dans celui auquel j’appartiens, j’entends des contestations de l’existence d’un problème de coût du travail. Si l’on n’arrive pas à comprendre qu’il existe un tel problème, notamment au niveau du SMIC, pour l’emploi non qualifié ou peu qualifié, compte tenu du positionnement actuel de l’industrie française, on est condamné à faire fausse route.

Au sein du groupe de travail sur la fiscalité des ménages, les organisations syndicales, qui refusaient par exemple la mesure d’allégement des cotisations salariales, que nous discuterons lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, proposaient d’augmenter le SMIC de 20 %. Si tout le monde pensait aujourd’hui, dans cet hémicycle, que le fait d’augmenter de 20 % le SMIC brut permettrait de créer de l’emploi et non d’en détruire – cette dernière conséquence étant probable – nous le ferions, mais ce n’est évidemment pas le cas.

Aujourd’hui, même si l’on sait que l’on ne peut le résoudre n’importe comment, et qu’il existe des effets de bord, il faut admettre que l’on a un vrai problème de coût de travail. Ce n’est pas le seul problème, mais il ne faut pas le nier.

De ce fait, et parce que l’on a une fiscalité relativement spécifique en France – comme l’a montré le groupe de travail conduit dans le cadre des assises de la fiscalité des entreprises –, il est nécessaire de suivre la voie de l’allègement du coût du travail, même si la question de l’efficacité de ces allègements et de leur conditionnalité doit être débattue.

La situation actuelle de l’économie française, le besoin de redonner confiance et d’avoir de la clarté et de la stabilité nous interdit – car tel est, au fond, l’objet de votre proposition de loi – de revenir sur les mesures qui ont été adoptées depuis dix-huit mois dans cet hémicycle, comme de nous abstenir de mettre en œuvre le pacte de responsabilité et de solidarité, dont nous aurons l’occasion de débattre dans quelques semaines.

Voilà pourquoi le groupe SRC a déposé, sur chacun de vos articles, un amendement de suppression et qu’il votera l’ensemble d’entre eux.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Pierre-Alain Muet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, j’ai compris que cette proposition de loi constituait un texte d’appel destiné à susciter la discussion : c’est ainsi, d’ailleurs, qu’il a été interprété dans notre commission, qui a tenu un débat extrêmement intéressant sur les allégements accordés aux entreprises.

Je voudrais reprendre et prolonger ce débat, ce qui est une manière d’aborder les discussions à venir.

En économie, dans le domaine des allégements du coût du travail, on a quelques certitudes : on sait qu’ils sont efficaces au voisinage du SMIC. Pourquoi ? Parce que le SMIC resserre l’éventail des salaires. À partir du moment où il joue ce rôle, il pèse nécessairement sur l’emploi. Ce qui est intelligent, c’est d’avoir un SMIC qui remplit cette fonction, pour obtenir des salaires plus élevés, mais sans peser sur l’emploi. C’est la raison pour laquelle la droite comme la gauche, depuis une vingtaine d’années, ont institué des allégements au voisinage du SMIC. On ira, du reste, plus loin dans cette direction après le vote du projet de loi de finances rectificative. Ensuite, il serait à mes yeux pertinent de stabiliser les choses, conformément à un autre principe important en économie : la stabilité fiscale.

Le second point qui fait consensus parmi les économistes, et également, je le pense, parmi nous, tient au fait que, lorsque l’on accorde un allégement fiscal à des entreprises industrielles complètement insérées dans la compétition internationale, c’est évidemment efficace, car ces entreprises ne sont pas contraintes par la demande : leur principal problème est de gagner des parts de marché. À partir du moment où on les fait bénéficier d’allégements sociaux ou fiscaux, elles vont investir, embaucher et accroître leur niveau de production.

Il est donc pertinent d’accorder ce type d’allégements dans un secteur très fortement concurrentiel. Il est néanmoins difficile de les concentrer sur ces seuls secteurs. Or, pour toutes les autres entreprises, c’est-à-dire environ les deux tiers d’entre elles, qui dépendent beaucoup du marché intérieur, les allégements en question ne sont efficaces que s’ils sont accompagnés d’une augmentation de la demande, donc des débouchés. Ils sont par conséquent d’autant plus efficaces qu’ils accompagnent une reprise de la demande, une reprise du cycle économique.

En particulier, quand on finance un allégement par une réduction des dépenses, celle-ci exerce un effet dépressif rapide tandis que l’effet positif de la mesure est lent. Au début de la mise en œuvre de l’allégement, l’activité économique est donc plutôt freinée avant d’être par la suite accélérée. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de mener une politique fine si l’on veut être efficace.

Je dirai également quelques mots au sujet de la TVA sociale. À l’instar des députés du groupe socialiste, je m’y suis opposé. Il ne s’agissait pas d’une mauvaise mesure dans l’absolu, car le fait de transférer sur une TVA sociale un impôt payé par les entreprises a un sens. Toutefois, une politique économique ne s’évalue jamais de manière théorique mais par rapport au moment où elle est appliquée. Or ce transfert était programmé en plein cœur de la récession européenne : il revenait donc à grever la demande des ménages au moment où celle-ci devait au contraire être soutenue.

C’est pourquoi nous avons plaidé pour un crédit d’impôt, qui permettait de décaler l’effet de l’allégement sur les grandes entreprises et du financement pesant sur les ménages d’une année, ce qui est mieux que de le subir immédiatement. Parce que nous ne sommes pas encore complètement sortis de la récession, il faut être prudent dans l’application d’un tel transfert. Je pense donc qu’il faut bien calibrer la montée en charge des allégements et la réduction des dépenses correspondante.

Je terminerai par un dernier point, une question qu’a posée le président de la commission des finances et qui a fait l’objet d’un débat intéressant. M. Carrez faisait remarquer que nous accumulons depuis plusieurs années de nombreux allégements sur les bas salaires, et se demandait si cela ne nous conduisait pas à nous spécialiser vers des technologies fortement concurrencées. En effet, au lieu de faire des efforts d’innovation, nous ajustons notre compétitivité par le coût salarial.

C’est un sujet très ancien, en France : depuis la Seconde Guerre mondiale, tous les sept ou huit ans, nous avons été confrontés à un déficit extérieur que nous avons toujours réglé par une dévaluation. Les Allemands, de façon symétrique, devaient réagir à la constante réévaluation de leur monnaie et ont ainsi innové, investi massivement. On peut donc se demander si ces dévaluations successives, qui étaient pertinentes au moment où elles ont été décidées parce qu’elles permettaient une baisse du coût du travail, n’ont pas fini par nous spécialiser de façon inefficace sur les marchés internationaux.

Il faut donc s’interroger sur les politiques d’allégement du coût du travail, car le mécanisme est le même. Au demeurant, quand tous les pays européens appliquent de telles politiques, cela présente un risque de déflation. En outre, le calibrage doit être précis pour éviter de perpétuer les effets qu’on a créés du fait des dévaluations.

Toute cette réflexion mérite d’être poursuivie. Nous aurons l’occasion de le faire, mais je tenais à aborder ce débat dès aujourd’hui.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je tiens tout d’abord à remercier les orateurs qui se sont exprimés d’avoir compris le sens de cette proposition de loi, qui est un texte d’appel dont les dispositions seront retravaillées lors des projet de loi de finances rectificative et projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative dont nous aurons bientôt à débattre.

Par ailleurs, ce texte permet d’ouvrir le débat. Comme vient de le rappeler le dernier orateur, Pierre-Alain Muet, il y a un problème d’équilibre entre l’offre et la demande, entre la politique d’offre et la politique de demande. Selon nous, les seuls allégements proposés, c’est-à-dire une politique d’offre fondée sur la compétitivité-coût du travail, ne règlent pas le problème ; ils ne font que l’amplifier.

Pierre-Alain Muet a évoqué la spécialisation de l’industrie française, qui pose problème. Je l’ai indiqué dans mon propos liminaire : lorsqu’on se concentre exclusivement sur le coût du travail, comment être compétitif par rapport à la Slovaquie, qui va bientôt accueillir les chaînes de montage de la C3, selon les récentes annonces de PSA ? On ne peut résister face à ces délocalisations si l’on perpétue une telle spécialisation.

Un autre sujet tout aussi important mérite notre attention : l’effet trappe à bas salaires. Nous l’avons dit en commission des finances : cette question n’est pas traitée aujourd’hui, et les allégements qui sont proposés ne font que renforcer cet effet. Même si le CICE s’applique pour les salaires jusqu’à 2,5 SMIC, l’exonération de cotisations patronales jusqu’à 1,3 SMIC continue d’alimenter ce phénomène.

Quant à l’impôt sur les sociétés, auquel certains voudraient qu’on fasse attention, il s’agit de se rendre compte de ce qu’il est devenu ! Son rendement s’élèverait à 29 milliards d’euros en 2015, soit 1,5 point de PIB, c’est-à-dire rien.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Est-ce le fait du numérateur ou du dénominateur ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vingt-neuf milliards d’euros sur 2 000 milliards d’euros de PIB, cela fait 1,45 %, monsieur le secrétaire d’État. Ce n’est rien en termes de recettes fiscales, c’est le résultat de tous les allégements successifs et à venir.

M. Alain Fauré. N’est-ce pas plutôt 36 milliards ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Non, monsieur Fauré : 36 milliards d’euros en 2014, 29 milliards d’euros en 2015, c’est ce qui avait été annoncé. Par conséquent se pose le problème du devenir du CICE. Chacun peut comprendre qu’un certain nombre de secteurs doivent être aidés, mais les premiers rapports établis par le comité de suivi montraient très clairement que parmi les secteurs qui bénéficiaient du CICE, tous n’en avaient pas besoin et que le crédit d’impôt avait même dans ces cas-là un effet dépressif. Il faut à un moment évaluer l’efficacité des dépenses publiques. Sur ce sujet-là, elle est faible.

Enfin, M. Fauré affirme que nous n’avons pas beaucoup de recul sur le CICE ; c’est vrai. En revanche, nous en avons sur les allégements Fillon, qui ont été appliqués à partir de 2003. Ils ont coûté environ 20,5 milliards d’euros par an. Les études réalisées permettent d’estimer le coût d’un emploi sauvegardé entre 60 000 et 80 000 euros, ce qui est tout de même assez conséquent.

Ne doit-on pas aujourd’hui revisiter ces politiques et avancer des propositions pour soutenir également la demande ? Je rappelle les premiers chiffres de l’INSEE pour le premier trimestre 2014 : croissance nulle, recul de la consommation des ménages de 0,5 %. Même si M. le secrétaire d’État me disait en aparté que ce n’était pas lié à l’augmentation de la TVA, celle-ci ne doit pas aider la demande à repartir. Enfin, l’investissement recule également de 0,5 %. Telle est la réalité.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Les chiffres n’ont pas bougé !

M. Nicolas Sansu, rapporteur. En conclusion, je tiens à vous remercier d’avoir permis la tenue de ce débat. Je salue également le groupe GDR, car il a eu le mérite de faire en sorte qu’un tel sujet prenne corps dans cet hémicycle et puisse continuer d’être discuté.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je souhaite répondre aux orateurs, qui ont conduit un débat de très bonne qualité, condensant en quelques dizaines de minutes les interrogations qui peuvent exister ici ou là sur la politique économique, sur la situation économique de notre pays. Je pense avoir assisté à un très bon débat de politique économique.

Madame Fraysse, c’est bien normal, vous avez repris les arguments avancés par le rapporteur. Vous nous avez incités à défendre la social-démocratie. J’en déduis, chère Jacqueline Fraysse, que nous sommes finalement parvenus à vous convaincre que la social-démocratie était une bonne chose !

M. Marc Dolez. Nous pensions à la vraie social-démocratie ! Celle du début du siècle dernier !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous pouvons donc espérer que vous serez dans quelques mois convaincue des bienfaits pour notre pays de la version renouvelée de la social-démocratie que nous vous présentons aujourd’hui.

Votre collègue Alain Fauré a souligné, et je pense que c’est une des dimensions importantes de tout débat de politique économique, le contexte particulier dans lequel se trouve notre pays. Il a rappelé la situation de nos comptes publics et de notre industrie, telle qu’elle est décrite en particulier dans le rapport Gallois, et ce que cela signifie pour notre pays.

Aux termes de ce rapport, et je me tourne cette fois-ci vers les orateurs de l’opposition, en particulier du groupe UMP, la situation que nous connaissons ne date pas de deux ans. Vous rappeliez tout à l’heure la crise de 2008 comme s’il pouvait s’agir d’une excuse, monsieur Chevrollier, mais la chute de notre industrie n’a que peu de liens avec cette crise financière ; elle remonte en réalité à l’année 2002.

Tous les éléments sur lesquels s’appuie Louis Gallois dans son rapport – emplois, entreprises, part dans le PIB – montrent que l’industrie s’affaiblit, et cet affaiblissement a probablement commencé bien avant 2002. Ce constat ne peut être laissé de côté, ni par les uns ni par les autres. Le moteur de la création de valeur dans notre économie a été très largement maltraité ces dix dernières années. Ce que nous mettons en œuvre aujourd’hui, c’est précisément une rupture avec les politiques menées précédemment, en particulier de votre côté, mais aussi plus largement peut-être dans notre pays.

Nous agissons donc dans un contexte de comptes publics dégradés et d’affaiblissement important de l’industrie. Valérie Rabault a d’ailleurs parfaitement rappelé les données de notre politique économique en partant de ces faits et en essayant d’exprimer les principes qui sont les nôtres : un policy mix visant à maintenir un des moteurs de l’activité économique et du soutien à nos entreprises et à notre industrie, à savoir la consommation, d’une part, et, d’autre part, une politique de l’offre qui ne se limite pas, monsieur le rapporteur, à la question du coût du travail. En effet, nous essayons également de travailler sur les normes et de favoriser l’accès au crédit, par exemple pour toutes les politiques d’investissements d’avenir ou la politique de recherche, au travers notamment du crédit d’impôt recherche.

Évidemment, on peut toujours tourner autour du pot, mais on ne pourra pas évacuer l’idée que le coût du travail dans notre pays est plus élevé que dans de très nombreux pays comparables, même si les choses commencent timidement à bouger. Et je ne parle pas des pays émergents ou des pays les plus pauvres de la planète, ni même des pays européens ayant une économie moins développée. Je fais référence à des pays tout simplement beaucoup plus compétitifs que nous, tels que l’Allemagne, des pays à l’économie parfois encore plus musclée que la nôtre en termes de gamme ou de productivité. On ne peut donc faire l’économie de la question du coût du travail.

De la même façon, on ne peut pas non plus être dans le déni s’agissant des profits des entreprises françaises. On peut toujours se référer à ceux des entreprises du CAC 40, qui sont comme vous le savez très fortement internationalisées, et pour lesquelles une grande part des profits se fait hors de France, mais on ne peut pas oublier que le taux de marge des entreprises françaises est historiquement et géographiquement particulièrement bas. Si le taux de marge ne se rétablit pas à un niveau supérieur, l’investissement, la politique commerciale, l’emploi, la recherche et le développement ne peuvent pas être stimulés.

Par conséquent, notre politique prend en compte tant la question du coût du travail que celle du taux de marge des entreprises. Nous avons le souci de soutenir la demande, tant pour des raisons de justice sociale, bien sûr, que de politique économique. Si nous avons mis en place non seulement le pacte de responsabilité mais aussi le pacte de solidarité, c’est parce que nous nous trouvons dans une période agitée où la dépense publique est soumise à la pression des politiques que nous mettons en œuvre. La situation des comptes publics est de nature à remettre en cause la souveraineté nationale, puisque notre dette, qu’il faut bien financer d’une manière ou d’une autre, est aux mains des marchés financiers.

Pour nous soustraire à cette pression, nous voulons diminuer la dépense publique de façon à réduire les déficits, tout en ayant évidemment le souci de ne pas freiner la machine économique.

À l’inverse, et au regard de la structure industrielle de notre pays, une économie essentiellement axée sur la demande creuserait massivement le déficit du commerce extérieur et nous jetterait, de surcroît, dans les affres des déficits publics.

Tels sont les principes de notre politique économique, rappelés non seulement par Valérie Rabault, mais aussi par Dominique Lefebvre.

M. Alauzet a, pour sa part, avancé des idées destinées à moderniser la politique économique.

Vous avez notamment fait référence, monsieur le député, à l’idée innovante consistant à privilégier une taxation de l’excédent net d’exploitation. Nous avons travaillé sur cette piste. Même si l’idée n’est pas tout à fait mûre, nous allons continuer à explorer dans cette direction.

De la même façon, vous avez abordé à juste titre la question de la lutte contre l’optimisation fiscale. À cet égard, vous devez convenir, me semble-t-il, que le Gouvernement est à l’œuvre. Des progrès sont nécessaires ; nous les poursuivrons à travers les textes budgétaires qui viendront bientôt en discussion.

Quoi qu’il en soit, nous avons le souci de conduire une politique économique qui allie l’efficacité et la justice, tout en permettant le redressement de l’industrie dans notre pays, ce qui constitue sans doute le sujet majeur sur lequel, les uns et les autres, nous devons réfléchir.

L’opposition se contente trop souvent de postures, même si je ne dis pas que c’était la tonalité de votre intervention, monsieur Chevrollier. On nous parle de réduire la dépense publique de 130 ou 134 milliards d’euros. Or, à chaque fois que nous prenons des mesures allant dans ce sens, l’opposition, loin de nous soutenir, nous combat. Lorsque nous sommes amenés, dans un domaine ou dans un autre, à mener une politique de rigueur au service de l’action publique, nous nous trouvons en butte aux sarcasmes, aux critiques et aux dénonciations violentes de l’opposition. Dans la période actuelle, nous sommes tous appelés à faire preuve de responsabilité et de rationalité. Le débat que nous avons eu aujourd’hui allait dans ce sens, même s’il existe évidemment entre nous des divergences d’appréciation. Si l’objectif de cette proposition de loi était de faire avancer le débat sur ce sujet, il a été atteint. En revanche, je considère pour ma part que, pour ce qui est du contenu précis du texte, les dispositions proposées créeraient plus de problèmes qu’elles n’en régleraient.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n12 tendant à supprimer l’article 1er.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, qui distingue quatre taux d’imposition pour les sociétés en fonction de la taille des entreprises, exprimée sur la base du chiffre d’affaires. Cet article va à l’encontre de l’objectif de baisse de l’impôt sur les sociétés d’ici à 2020 contenu dans le pacte de responsabilité et de solidarité. Par ailleurs, l’effet de seuil pourrait aller à l’encontre de l’intention du rapporteur. Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner cet amendement. À titre personnel, j’y suis bien entendu défavorable.

En ce qui concerne la question du chiffre d’affaires, ce critère – notre collègue M. Fauré ne l’a pas rappelé – est retenu dans de nombreux dispositifs existants : la contribution exceptionnelle à l’IS, par exemple, est elle aussi assise sur le chiffre d’affaires. La modulation est donc la même que celle que nous proposons. Par ailleurs – mais je n’y reviens pas –, nous pensons que l’IS doit jouer réellement son rôle. Enfin, vous dites que ce dispositif pose problème parce que certaines grandes sociétés pourraient être défavorisées. Je vous répondrai que, quand on ne fait pas de bénéfices, on ne paie pas d’IS, que l’on soit imposé à 40 % ou à 25 %.

Mme la présidente. Si j’ai bien compris vos propos, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement est favorable à la suppression de cet article. Est-ce bien le cas ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Vous lisez dans mes pensées, madame la présidente !

(L’amendement n12 est adopté et l’article 1er est supprimé.)

Article 2

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n13 tendant à supprimer l’article 2.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Cet amendement vise à supprimer cet article, qui institue de façon uniforme et sans étude d’impact un taux d’impôt sur les sociétés majoré lorsque les dividendes versés aux actionnaires représentent plus de 10 % du bénéfice imposable.

Plusieurs dispositions importantes ont déjà été adoptées récemment en ce qui concerne les dividendes, afin de favoriser l’investissement, et non uniquement la distribution de dividendes. Ainsi, l’article 6 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 a instauré une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % sur la distribution de dividendes par les grandes entreprises. De plus, désormais, dans le cadre de l’alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail, la seule imposition des dividendes possible s’effectue selon le barème progressif.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je vous donnerai une nouvelle fois mon avis personnel, car la commission n’a pas examiné cet amendement.

Je suis bien entendu défavorable à la suppression de l’article 2. Comme l’amendement suivant va certainement tomber, je tiens à préciser dès maintenant que nous voulions proposer, dans l’alinéa 2 de l’article 2, une modulation de cinq points et non de 5 %.

Certes, des dispositions ont été prises depuis le PLFR de 2012. Ont-elles vraiment atteint leur but ? Nous n’en avons pas l’impression. Comme je le précise dans mon rapport, la distribution des dividendes a augmenté de 6 % en 2013 dans les entreprises du CAC 40, alors que les profits ont, dans le même temps, diminué de 8 %. Voilà qui permet de prendre la mesure des choses.

(L’amendement n13, accepté par le Gouvernement, est adopté, l’amendement n2 tombe et l’article 2 est supprimé.)

Article 3

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n14 tendant à supprimer l’article 3.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Le présent amendement vise à supprimer cet article, qui modifie le mécanisme de déductibilité des intérêts d’emprunts. Comme je le disais tout à l’heure dans mon intervention, M. le rapporteur défend le mécanisme allemand. Or ce système est très critiquable en raison de son caractère procyclique : avec un tel dispositif, lorsque l’entreprise dégage des résultats d’exploitation faibles, ceux-ci sont fortement affectés par la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt. Par ailleurs, un plafond de 3 millions a été établi pour les sociétés. Il n’y a donc pas lieu de toucher au dispositif existant.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement. En effet, le dispositif que nous proposons avait été adopté par toute la gauche au Sénat en novembre 2011.

M. Marc Dolez. C’était le bon temps !

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il nous a donc semblé utile de le reprendre tel quel. Le seuil de 3 millions d’euros est conservé, mais, en ce qui concerne la déductibilité des charges et les intérêts d’emprunt, les LBO posent de graves problèmes.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je souhaite prendre la parole à cet instant, madame la présidente, parce que l’amendement que j’avais déposé sur cet article va tomber. Je le regrette, et cela d’autant plus que chacun s’est félicité de la qualité du débat, d’abord en commission puis en séance. Il est donc un peu dommage, même si, je le reconnais, la situation aurait pu devenir délicate par la suite, que nous n’ayons pas saisi cette occasion d’aller encore plus loin.

(L’amendement n14 est adopté, l’amendement n1 tombe et l’article 3 est supprimé.)

Article 4

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n15 tendant à supprimer l’article 4.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Cet article vise à ce que les entreprises privilégiant la rémunération du capital sur celle du travail soient soumises à deux cotisations additionnelles : l’une, calculée en fonction de l’évolution du ratio de répartition des richesses de l’entreprise par rapport à l’évolution moyenne de ce ratio à l’échelle nationale ; l’autre, en fonction de l’écart constaté avec les pratiques des autres entreprises du secteur d’activité concerné.

Le présent amendement vise tout simplement à supprimer cet article. En effet, si la question de la répartition des richesses au sein de l’entreprise est essentielle, les critères retenus – masse salariale et dépenses de formation – pour améliorer cette répartition sont très imparfaits. Ainsi, des rémunérations excessives pourraient venir augmenter la masse salariale de manière artificielle, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi. De même, une dépense de formation peut recouvrir des réalités très différentes au sein d’une entreprise.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement. Les dispositions proposées à travers cet article seront revues et reprises lors de l’examen du rectificatif.

M. Fauré était présent lors de l’examen du texte en commission. Je suis sûr qu’il a voté en faveur de l’amendement n3, qui aurait dû être examiné après celui-ci suivait celui-ci et dont nous n’aurons donc pas l’occasion de discuter : il s’agissait de tenir compte, dans le calcul du ratio, du nombre de salariés, de façon à éliminer le risque d’avoir des rémunérations excessives. Je pense que nous pourrons nous retrouver sur ce sujet lors de débats ultérieurs.

M. Alain Fauré. Nous reprendrons le dispositif plus tard.

(L’amendement n15, accepté par le Gouvernement, est adopté, les amendements nos 3, 4, 5, 8, 6 rectifié et 21 rectifié tombent et l’article 4 est supprimé.)

Article 5

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n16 tendant à supprimer l’article 5.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Cet article propose de majorer de 10 % les cotisations sociales patronales des entreprises de plus de vingt salariés dont les effectifs comptent plus de 20 % de salariés à temps partiel ou de travailleurs intérimaires.

Or le temps partiel n’est pas toujours subi par le salarié : il est parfois voulu. Il ne faudrait donc pas aller à l’encontre du souhait de certains salariés. Je souhaiterais que nous travaillions plutôt sur le travail haché dans une journée. Ce serait, à la limite, plus compréhensible. Tel n’est pas l’objet de cet article, dont nous demandons la suppression.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement. Cet article vise à éviter le recours excessif au travail précaire et à l’intérim.

(L’amendement n16, accepté par le Gouvernement, est adopté, l’amendement n7 tombe et l’article 5 est supprimé.)

Article 6

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n17 tendant à supprimer l’article 6.

La parole est à M. Alain Fauré, pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Le présent amendement vise à supprimer l’article 6, qui modifie l’article L. 137-16 du code de la Sécurité sociale relatif au forfait social.

Le forfait social a d’ores et déjà été porté de 8 % à 20 % dans la loi de finances rectificative de juillet 2012. Ce taux de 20 % était recommandé par un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, puis par un rapport de la Cour des comptes, lesquels avaient préconisé d’augmenter le forfait social pour le porter à 19 %.

Le taux de 20 % permet, sans dissuader les entreprises d’entrer dans le dispositif, de limiter les avantages sociaux dont bénéficie l’épargne salariale et d’éviter que cette forme de rémunération, variable et non soumise à cotisations sociales, se substitue aux hausses de salaires directes, qui contribuent quant à elles au financement de la protection sociale. Il correspond également à l’ensemble des prélèvements contributifs portant sur les rémunérations salariales. Un bon équilibre a été trouvé ; il n’apparaît donc pas souhaitable de porter ce taux à 40 %.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement. Il s’agit justement de rapprocher le forfait social du taux de cotisations sociales global. En effet, avec le forfait social, le Fonds de solidarité vieillesse est alimenté, mais la branche famille et la branche maladie ne le sont pas.

(L’amendement n17, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’article 6 est supprimé.)

Article 7

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n18 tendant à supprimer l’article 7. La parole est à M. Alain Fauré pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi présenté le 6 novembre 2012, tout comme le rapport Gallois, ont officialisé le constat d’urgence concernant notre industrie et notre compétitivité. La réponse apportée par le Gouvernement a été globale, avec des mesures portant sur la compétitivité-coût et hors coût.

Cet article remet ainsi en cause une des mesures phare du plan : le CICE, crédit d’impôt de 20 milliards d’euros. Toute entreprise privée y est éligible, quel que soit son secteur d’activité, dès lors qu’elle est assujettie à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu.

Le montant du CICE pour chaque entreprise est calculé proportionnellement à sa masse salariale brute correspondant aux salaires jusqu’à 2,5 fois le SMIC. Cette proportion a été fixée à 4 % pour l’exercice 2013 et à 6 % pour les exercices suivants. Le versement de la première tranche a été effectif il y a quelques semaines, venant réduire les impôts payés au titre de l’année 2013. À l’horizon 2017, le Gouvernement escompte 300 000 emplois supplémentaires et une hausse de la croissance de 0,5 point. Il convient de supprimer cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, j’y suis défavorable. Le CICE fait débat ! Une mission d’information va d’ailleurs être créée sur ce sujet, dès que nous aurons trouvé un rapporteur qui puisse faire l’unanimité. Monsieur le secrétaire d’État, je ne fais que prolonger les propos de M. Montebourg, qui avait parlé de « racket au CICE ». Le Gouvernement doit se pencher sur cette question : le CICE est une aide conséquente – 20 milliards d’euros – qui n’est pas sectorisée, est sans conditions et sans contreparties. Cela n’est pas acceptable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement se félicite de cette initiative parlementaire et sera très attentif au bilan que la mission dressera du CICE. C’est une tâche très importante du Parlement que l’évaluation des politiques publiques. C’est ainsi que nous verrons s’affirmer l’idée que les politiques qui bénéficient de larges financements n’aboutissent pas toujours à des résultats satisfaisants. Il nous reviendra, aux uns et aux autres, de revoir un certain nombre de politiques publiques, sous le contrôle du Parlement, afin de les rendre plus efficaces, notamment dans la lutte contre les inégalités.

En parlant de racket, M. Montebourg n’entendait pas remettre en cause le dispositif en son entier, mais dénoncer le fait que des groupes avaient l’intention de forcer leurs sous-traitants à leur rétrocéder une part du CICE. Si les entreprises ont protesté, c’est qu’elles avaient besoin de ce crédit. Je pense notamment aux entreprises du secteur agroalimentaire, dont la situation difficile – vous connaissez la carte des problèmes industriels et sociaux de notre pays – est due au fait que la grande distribution – une certaine grande distribution – a vocation à ne pas les laisser vivre. Je suis sûr qu’en tant qu’élu, vous êtes très sensible au fait qu’elles ne soient pas rackettées, mais qu’elles puissent au contraire bénéficier de ce crédit. En supprimant ce dispositif, vous ne le permettriez pas : nous mettons là le doigt sur une petite difficulté de votre proposition de loi. Avis favorable.

Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, merci d’avoir rappelé les trois missions de notre Parlement – voter la loi, contrôler l’exécutif et évaluer les politiques publiques – prévues par la révision constitutionnelle.

(L’amendement n18 est adopté et l’article 7 est supprimé.)

Article 8

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n19 tendant à supprimer l’article 8. La parole est à M. Alain Fauré pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Supprimer brutalement le dispositif de réduction générale des cotisations patronales jusqu’à 1,6 SMIC fragiliserait les entreprises, qui, comme on le sait, ont des marges restreintes, et risquerait de remettre en cause l’objectif de baisse du chômage. Le pacte de responsabilité et de solidarité, annoncé par le Président de la République le 14 janvier, prévoit au contraire une amplification de la baisse du coût du travail afin de répondre à un double objectif : favoriser la création d’emploi et améliorer la compétitivité de notre économie et sa capacité à exporter. Il convient donc de supprimer cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. À titre personnel, j’y suis défavorable. Le conseil des prélèvements obligatoires avait souligné en octobre 2010 l’inefficacité notoire d’un certain nombre de niches fiscales et sociales, dont l’allégement Fillon généralisé. Ainsi, il existe des organismes qui, sans être affiliés à notre groupe, appellent à regarder de près ces « petites » affaires à 20 milliards d’euros, qui ne font pas forcément la preuve de leur efficacité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Avis favorable.

(L’amendement n19 est adopté et l’article 8 est supprimé.)

Après l’article 8

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n11, portant article additionnel après l’article 8. La parole est à M. Éric Alauzet pour le soutenir.

M. Éric Alauzet. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La commission l’a rejeté. À titre personnel, j’y suis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous partageons les objectifs de cet amendement mais nous considérons que la disposition proposée est aujourd’hui impossible à mettre en œuvre. Nous observons ces jours-ci les résultats toujours meilleurs de la politique de lutte contre la fraude fiscale. Nous notons vos intentions, monsieur le député, et continuerons à mettre en œuvre des procédures souples et efficaces. Avis défavorable.

(L’amendement n11 n’est pas adopté.)

Article 9

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de suppression, n20. La parole est à M. Alain Fauré pour le soutenir.

M. Alain Fauré. Amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. L’amendement est cohérent. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Avis favorable.

(L’amendement n20 est adopté et l’article 9 est supprimé.)

Mme la présidente. Nous avons achevé la discussion des articles de la proposition de loi. L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Ouvrages d’art de rétablissement des voies

Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies (nos 60, 1929).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les infrastructures de transport sont essentielles pour répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens et renforcer la compétitivité de notre pays. Pourtant, leur gestion dans les territoires peut parfois être source de difficultés pour les collectivités locales.

Le texte qui va être examiné permettra de progresser dans ce domaine. Il s’agit de définir un cadre permettant de répondre aux difficultés liées aux franchissements d’infrastructures et qui sont parfois une source de tensions entre l’État et ses établissements publics d’une part, et les collectivités territoriales d’autre part.

Vous le savez, lorsqu’il y a franchissement d’une infrastructure par une autre, une jurisprudence constante impose au propriétaire de la voie rétablie d’entretenir à ses frais l’ouvrage d’art nécessaire au franchissement, sauf convention contraire.

Ce principe s’applique à toutes les infrastructures – routes, chemins de fer, canaux –, quel que soit le schéma de superposition entre les deux voies et quels que soient les maîtres d’ouvrage de la nouvelle infrastructure qui justifie la réalisation de l’ouvrage d’art.

Cette situation est à l’origine de nombreuses difficultés sur nos territoires. Le cas des petites communes rurales, traversées par une autoroute ou une ligne à grande vitesse, et qui doivent supporter les charges liées à l’entretien du pont nécessaire pour maintenir une route communale, est souvent cité comme exemple. Il est évident que les montants en jeu et les capacités techniques nécessaires sont souvent hors de portée pour ces collectivités.

Le Parlement a ainsi légitimement souhaité se saisir de ce sujet pour apporter des réponses concrètes à ces situations. Mme la sénatrice Évelyne Didier a déposé une proposition de loi en ce sens en juillet 2011, que le Sénat a adoptée en janvier 2012.

Le Gouvernement sait l’attachement des parlementaires à trouver une solution. Il souhaite, lui aussi, définir un cadre clair afin de résoudre les situations problématiques pour les collectivités les plus fragiles. C’est le sens de l’action du Gouvernement : apporter des réponses concrètes aux problèmes rencontrés par nos concitoyens et les territoires. C’est pourquoi nous soutenons le principe de cette proposition de loi.

Au cours de l’examen, le Gouvernement proposera quelques amendements sur lesquels je souhaite d’ores et déjà attirer votre attention. S’agissant tout d’abord du traitement des nouveaux franchissements, ce texte prévoit une imputation claire des charges entre les différents acteurs : le gestionnaire de la voirie nouvelle doit prendre en charge l’ensemble des dépenses liées à la structure de l’ouvrage d’art, tandis que le propriétaire de la voie rétablie assure les dépenses liées à la chaussée.

Si ce principe doit en effet guider la répartition des charges, il est nécessaire de laisser aux partenaires une certaine souplesse dans la conduite des discussions. Personne ne doute que ce principe devra être appliqué tel quel pour les petites collectivités auxquelles j’ai fait référence précédemment. Il ne faut cependant pas exclure la possibilité d’adapter ce principe en fonction des spécificités propres des collectivités, leur capacité financière, leur capacité technique ou encore l’intérêt qu’elles retirent de la réalisation de la nouvelle infrastructure de transport. Ce sont des critères que nous retiendrons.

Une petite commune rurale ne peut pas être traitée de la même manière qu’une importante collectivité territoriale : ce ne serait ni compréhensible, ni juste !

Au-delà de la question des ouvrages neufs se pose bien entendu celle du traitement des ouvrages existants. Rappelons que l’on dénombre environ 12 000 franchissements pour le réseau ferroviaire, 2 000 pour le réseau routier non concédé et encore 2 500 pour les voies navigables.

La généralisation immédiate aux ouvrages existants des dispositions applicables aux ouvrages neufs serait insoutenable pour l’État et ses opérateurs. Insoutenable d’un point de vue budgétaire dans le contexte que nous connaissons – ce serait plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros par an supplémentaires qu’il faudrait consacrer à ces infrastructures de transport – mais aussi insoutenable d’un point de vue technique.

Il faut donc identifier les situations les plus urgentes qui devront être traitées. C’est pourquoi deux évolutions nous semblent devoir être apportées à ce texte.

En premier lieu, il s’agit de procéder à un recensement des ouvrages d’art de rétablissement des voies pour lesquels il n’existe aucune convention en vigueur. À l’issue de ce recensement, le ministre chargé des transports identifiera ceux des ouvrages recensés dont les caractéristiques, notamment techniques et de sécurité, justifient l’établissement d’une convention nouvelle.

Par ailleurs, les situations faisant l’objet d’un contentieux doivent également trouver une issue rapide. Des dispositions permettant de régler en priorité ces situations me semblent également devoir être introduites dans le texte législatif.

Mesdames et messieurs les députés, je tiens à remercier Mme la sénatrice Évelyne Didier et M. le rapporteur Patrice Carvalho pour le travail constructif qu’ils ont bien voulu mener avec le Gouvernement sur ce texte. Je souhaite que l’examen qui va s’engager puisse aboutir à un texte permettant à la fois de mettre fin à des situations difficiles sur le terrain, tout en s’inscrivant dans une démarche pragmatique et responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Patrice Carvalho, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le troisième texte que le groupe GDR a choisi de soumettre aujourd’hui à l’examen et au vote de notre assemblée est une proposition de loi de notre collègue Évelyne Didier, sénatrice de la Meurthe-et-Moselle. Elle vise à mieux répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies.

Rappelons, en quelques mots, le problème qui se pose. Chacun sait que, lors de la construction d’une nouvelle infrastructure de transport – par exemple une voie ferrée, une voie navigable ou une autoroute –, des ouvrages d’art sont parfois construits par le gestionnaire afin de rétablir la continuité des voies communales, ou départementales, existantes, lorsque celles-ci ont été interrompues. Se pose, dès lors, la question de la répartition des coûts d’entretien, de réfection, voire de renouvellement de ces ouvrages et, par là même, la question de leur responsabilité juridique.

À l’heure actuelle, en l’absence de dispositions législatives et réglementaires particulières, c’est une jurisprudence ancienne du Conseil d’État, datant de 1906, qui s’applique. Depuis cette date, le juge estime que ces ouvrages sont des éléments constitutifs des voies, puisqu’ils en assurent la continuité. Par conséquent, la collectivité propriétaire de la voie portée est également entièrement responsable de l’ouvrage, c’est-à-dire qu’elle doit en assurer l’entretien, la réfection et le renouvellement, et garantir la sécurité à l’égard des tiers.

En d’autres termes, ceux qui décident de créer une ligne qui viendrait couper des voies existantes, qu’il s’agisse de RFF ou de VNF, laissent ensuite les ouvrages de rétablissement à la charge des collectivités, qui, elles, n’ont rien demandé ! Bref, j’en ai besoin, je le construis, mais je vous l’abandonne ensuite. Dès lors, le problème est double.

D’une part, si l’ouvrage est correctement dimensionné en fonction de la voie nouvelle, rien n’assure qu’il le soit en fonction du trafic sur la voie interrompue. On a ainsi des exemples de ponts construits pour la canalisation de cours d’eau, qui correspondent certes au gabarit des bateaux appelés à y circuler, mais qui sont largement surdimensionnés pour le trafic qu’ils auront à supporter. Ce sont donc les besoins du gestionnaire de l’infrastructure nouvelle qui sont pris en compte, bien plus que ceux des collectivités : pourquoi serait-ce alors à elles de payer ?

D’autre part, les petites communes ignorent parfois totalement que la responsabilité de l’ouvrage d’art leur revient. Lorsqu’elles l’apprennent, c’est que des travaux parfois conséquents sont devenus urgents, pour lesquels elles ne disposent ni de l’expertise technique, ni des moyens financiers nécessaires. Cette situation est d’autant plus choquante que l’État a opportunément su s’affranchir de ce principe lorsqu’il était lui-même concerné.

C’est ainsi que les sociétés d’autoroutes ont signé des contrats de concession leur imposant de prendre en charge les ouvrages de rétablissement de voies comme si elles en étaient les maîtres d’ouvrage, ce qu’elles ne sont pas juridiquement. Ces contrats ont été établis au nom de la sécurité des usagers des autoroutes – mais la sécurité des usagers de toute autre liaison de communication est-elle d’une importance moindre ?

La complexité du sujet, la méconnaissance des risques, la dérive constatée en matière de prise en charge des ouvrages nous obligent donc à traiter ce sujet et à revenir à un principe simple, juste et de bon sens, selon lequel celui qui décide de construire une nouvelle voie doit en assumer les conséquences.

Les auteurs de ce texte proposent une solution pragmatique, qui ne remet pas en cause la domanialité et le droit de propriété des collectivités sur ces ouvrages, tout en recherchant une répartition des charges plus juste et plus équitable.

La règle proposée est la suivante : au gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport doit revenir la responsabilité de la structure de l’ouvrage d’art, y compris l’étanchéité tandis qu’au propriétaire de la voie rétablie doit revenir la responsabilité de la chaussée et des trottoirs.

Par ailleurs, le texte prévoit d’instaurer l’obligation pour les parties de signer une convention, dont les principes généraux auront été rendus publics dès le stade du dossier d’enquête préalable à la DUP.

Ce mécanisme permet de régler, d’une part, les questions spécifiques posées par chaque cas particulier et, d’autre part, le problème de l’information des collectivités sur leurs propres obligations.

S’agissant des ouvrages de rétablissement existants, le texte donne la possibilité, à l’une ou l’autre partie, de dénoncer les conventions signées dans le passé et d’en conclure de nouvelles sur les bases que je viens de présenter. De même, pour les ouvrages ne bénéficiant d’aucune convention et seulement en cas de litige, les parties auront trois ans pour signer un tel document.

La commission du développement durable de notre Assemblée a examiné cette proposition de loi mardi 13 mai dernier et elle l’a adoptée à l’unanimité, au terme de débats constructifs et consensuels.

Les représentants de tous les groupes politiques ont souligné la nécessité de mettre fin à une situation insatisfaisante et ont marqué leur accord avec la nouvelle répartition des charges et des responsabilités proposée. Néanmoins, tous ont également souligné que le problème résidait dans l’application de ce nouveau dispositif aux situations existantes.

Le Gouvernement a donc déposé plusieurs amendements dont nous débattrons tout à l’heure et qui visent à trouver un équilibre entre le souhaitable et le possible.

J’aurai l’occasion de le redire : ces amendements ne vont sans doute pas aussi loin que le groupe GDR l’aurait souhaité, mais nous sommes sensibles au fait qu’ils respectent l’esprit de la proposition de loi et que la situation financière d’un opérateur comme RFF ou VNF ne laisse, en pratique, que peu de marges d’action.

Je vous appellerai donc, certes avec un esprit de sagesse plus que d’enthousiasme, à les adopter.

Mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des réflexions d’un groupe de travail animé par Dominique Bussereau. Elle rejoint des initiatives analogues de sénateurs de l’opposition et elle est soutenue par l’Association des maires de France. Elle a donc bénéficié, jusqu’à présent, d’un excellent accueil : le caractère pragmatique et aisément compréhensible du dispositif ainsi que les délais laissés à chacun des acteurs pour s’adapter au nouvel environnement juridique ainsi créé n’y sont sans doute pas étrangers. J’espère qu’elle bénéficiera aujourd’hui du même soutien de notre assemblée.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’espère que vous mesurez le caractère exceptionnel de ce que nous vivons : discuter d’un texte extrêmement consensuel. Après les montées d’adrénaline de cette journée, nous avons enfin le sentiment de vivre un moment apaisé qui nous mène tranquillement vers le calme de la soirée. (Sourires.)

Cette proposition de loi de notre groupe vise à répondre à une attente pressante des maires et des élus locaux. L’initiative en revient à notre collègue Évelyne Didier, sénatrice de Meurthe-et-Moselle, qui y travaille depuis 2009 et qui a déposé ce texte sur le bureau du Sénat en juillet 2011. La Haute assemblée l’a adopté à l’unanimité le 17 janvier 2012 !



Nous profitons aujourd’hui de notre niche pour reprendre cette initiative car l’urgence de répondre aux problèmes posés est sans cesse plus vive, comme tout le monde s’accorde à le reconnaître par-delà les clivages politiques. La preuve la plus récente en est l’adoption à l’unanimité de cette proposition de loi et des amendements du rapporteur par la commission du développement durable. Je ne doute pas qu’à l’issue de ce débat, notre assemblée rende un avis similaire – monsieur Carvalho, je ne parlerai pas d’un vote à la soviétique. (Sourires)



II s’agit donc de mieux répartir les charges financières liées aux ouvrages d’art de rétablissement des voies. Il arrive souvent que de nouvelles infrastructures de transport, qu’il s’agisse d’une voie ferrée, d’une voie navigable ou d’une autoroute, coupent des voies communales ou départementales. Il faut alors réaliser un ouvrage d’art – pont ou tunnel – pour rétablir la continuité de la voie interrompue. Se pose alors la question de la répartition des coûts d’entretien, de réfection et même de renouvellement quand l’ouvrage est devenu vétuste. À cela s’ajoute la responsabilité juridique et pénale.



Il existe en la matière un vide législatif et réglementaire. Puisque le droit – entre autres – a horreur du vide, la jurisprudence s’est efforcée de le combler, mais elle aboutit à créer des situations intenables pour nos collectivités. Tant que l’État et ses entreprises publiques comme la SNCF et Voies navigables de France étaient à peu près chargées de l’ensemble des réseaux et des voies, il n’y avait guère de problème. Le problème est né et s’est accru au rythme des lois successives de décentralisation, qui ont notamment transféré la gestion des routes nationales aux collectivités territoriales et, en particulier, aux conseils généraux. S’est ajoutée à ce mouvement l’évolution du statut des principaux opérateurs ferroviaires et fluviaux, dont le fonctionnement s’est rapproché de celui des sociétés privées.



Dès lors, les contentieux se sont développés et le juge administratif a considéré que l’ouvrage d’art rétablissant la continuité de la voie interrompue appartenait au propriétaire de la voie rétablie, c’est-à-dire à la commune dans le cas d’une voie communale ou au département s’il s’agit d’une voie départementale ou nationale transférée.



C’est ainsi que certaines collectivités se sont trouvé à devoir couvrir des charges d’entretien ou de renouvellement d’ouvrages sans commune mesure avec leur budget. C’est particulièrement vrai pour certaines communes rurales.



Au cours du débat en commission du développement durable, plusieurs députés ont cité des exemples dans leurs circonscriptions respectives. Les élus concernés découvrent souvent par hasard la charge qui leur incombe, à la réception d’une lettre comminatoire de Réseau ferré de France ou de Voies navigables de France les priant de procéder aux travaux qui s’imposent sur l’ouvrage ou les ouvrages d’art présents sur le territoire communal. J’ai moi-même été interpellé par le maire de Thiers le 12 février 2013, alors qu’il venait d’être saisi par Infrapôle, qui agissait pour le compte de RFF et lui demandait la réalisation de divers travaux sur les ouvrages d’art surplombant des voies ferrées, dont le montant, encore non défini, risquait d’être très élevé. On allait même jusqu’à dire qu’il revenait à la commune de financer l’étude de réalisation et l’inspection détaillée du site avant de couvrir la charge de l’investissement.



Dans son rapport, M. Carvalho a précisé que le coût d’un ouvrage de rétablissement de voie est estimé entre 600 000 et un million d’euros, et que le coût moyen de surveillance et d’entretien s’établit entre 2 000 et 4 000 euros par an. Cela conduit certaines collectivités à réduire l’utilisation de la voie, voire à l’interdire lorsqu’elle présente des risques pour la sécurité des utilisateurs.



Il faut noter qu’il existe une grande inégalité parmi les collectivités devant ce problème. Dans l’écrasante majorité des cas, aucune convention n’a été conclue entre l’opérateur et la collectivité. La jurisprudence s’applique donc dans toute sa brutalité. Ici ou là, des traités de concession ont pu être passés. Ailleurs, des conventions ont été établies, le plus souvent au bénéfice de l’opérateur qui est bardé de conseillers juridiques quand, en face de lui, la commune ne dispose évidemment pas de moyens équivalents. Nous savons, par exemple, que RFF propose souvent une soulte libératoire à 8 % du coût de l’ouvrage !



En clair, la collectivité se retrouve avec la charge exclusive d’un ouvrage qu’elle n’a jamais décidé de construire et qu’on lui a imposé. Notre proposition de loi crée donc un cadre juridique nouveau, clair, équilibré et durable. Ainsi, le texte adopté par la commission du développement durable établit la règle suivante : c’est au maître d’ouvrage, c’est-à-dire à celui qui a interrompu la voie par une infrastructure de transport qu’il a décidé de construire, qu’incombent la responsabilité et la charge de la structure de l’ouvrage de rétablissement ; au propriétaire de la voie rétablie reviennent la responsabilité et la charge de la chaussée et des trottoirs. En outre, le texte prévoit l’obligation pour les parties de signer une convention afin de régler les questions spécifiques posées par chaque cas particulier, sur la base des deux règles que je viens de rappeler.



S’agissant des ouvrages de rétablissement existants, la proposition de loi donne la possibilité à l’une ou à l’autre partie de dénoncer les conventions lorsqu’elles existent – seuls 20 % des ouvrages sont concernés – et d’en conclure de nouvelles sur les bases qui sont définies par la nouvelle loi. Pour un ouvrage ne bénéficiant d’aucune convention et en cas de litige, les parties auront trois ans pour signer un tel document.



Le Gouvernement a souhaité déposer des amendements à ce texte en séance publique, dont nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec le secrétariat d’État aux transports. Ce qui inspire ces amendements que nous examinerons tout à l’heure, c’est le souci légitime de l’État que RFF et VNF ne se retrouvent pas demain contraints de procéder à la réfection de centaines d’ouvrages dans des délais courts, ce qui leur serait financièrement impossible.



Ce que je retiens avant tout, c’est la volonté du Gouvernement – j’ai rarement l’occasion de dire cela – de bien inscrire dans la loi le fait que le principe de référence est la prise en charge par le maître d’ouvrage de la nouvelle infrastructure de l’ensemble des charges relatives à la structure de l’ouvrage d’art. Pour une fois, je retiens donc quelque chose de positif !



M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Merci, monsieur le président Chassaigne !

M. André Chassaigne. C’est le point nodal de notre proposition de loi, ainsi que le point de rupture avec une jurisprudence ravageuse pour les collectivités. Que le Gouvernement veuille ensuite prendre le temps de recenser les ouvrages pour lesquels il n’existe pas de convention et de hiérarchiser les priorités, nous comprenons cette préoccupation.

Je le disais au début de mon propos : cette proposition de loi est attendue. Elle transcende les clivages politiques. Elle rejoint d’autres initiatives prises par des parlementaires de l’opposition, et elle a le soutien de l’Association des maires de France. Tout pour être heureux !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est le nirvana !

M. André Chassaigne. Je souhaite donc qu’elle recueille dans notre assemblée la même adhésion unanime qu’au Sénat. Ce vote s’accompagnera d’une exigence, monsieur le secrétaire d’tatÉ : qu’elle puisse être inscrite très rapidement à l’ordre du jour du Sénat afin que ce dernier l’adopte conforme.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous n’attendons que cela, monsieur le président Chassaigne !

M. André Chassaigne. Le Sénat l’a votée en juillet 2012. Elle vient devant nous, grâce à notre niche, près de deux ans plus tard ! Il ne peut être question, monsieur le secrétaire d’État, d’attendre encore de nombreux mois avant une seconde lecture au Sénat à l’occasion d’une future niche du groupe CRC. Vous voilà donc mandaté pour que ce texte arrive très rapidement en discussion au Sénat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Vous parlez à mon cœur !

Mme la présidente. La parole est à M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Comme le disait M. Chassaigne, nous vivons presque une parenthèse enchantée : cette proposition de loi, qui résulte des travaux effectués en 2009 et en 2010 par un groupe de travail créé par l’ancien secrétaire d’État aux transports, M. Dominique Bussereau, et qui a été présentée au Sénat par une « sénatrice de l’opposition », comme M. Chassaigne a qualifié Mme Évelyne Didier, a recueilli l’approbation unanime des membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est un texte très attendu par les élus locaux et par les collectivités territoriales. Une concertation commencée très en amont a permis de consulter l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France mais aussi les établissements publics de l’État – notamment Voies navigables de France et RFF – et les administrations centrales directement concernées.

Si elle est attendue par les collectivités territoriales, c’est parce que cette proposition de loi vise, comme l’ont dit M. le ministre et M. le rapporteur, à clarifier la répartition des charges de gestion des ouvrages d’art qui assurent la continuité des axes ferroviaires, routiers et fluviaux.

Pour mesurer la portée de ce texte, je citerai un exemple dans le sud-ouest de la France : 185 ponts routiers sont en cours de construction sur le tracé de la future ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux. Ce sont autant de situations qu’il faut absolument clarifier, car ces ponts seront demain la propriété des collectivités territoriales : des départements, peut-être pour quelques années encore, qui sait…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Qui sait, en effet… (Sourires.)

M. Florent Boudié. …et, dans bien des cas, des communes aux finances modestes.

Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur : selon une jurisprudence du Conseil d’État vieille de plus d’un siècle, les ouvrages d’art, lorsqu’ils rétablissent des voies interrompues par la construction d’une nouvelle infrastructure de transport, sont incorporés à l’infrastructure dont ils relient les deux parties. En d’autres termes, il revient à la collectivité gestionnaire des voies supportées par l’ouvrage d’en assurer l’entretien, la surveillance et les éventuels travaux de rénovation ou de renouvellement. Or, il faut le reconnaître, les collectivités territoriales ignorent bien souvent cette obligation qui leur incombe et qui représente une charge importante, voire insupportable. Je prendrai pour exemple, comme je l’ai fait en commission, la commune de Libourne, qui compte 23 000 habitants et dont le budget d’investissement annuel s’élève à six millions d’euros environ. Elle est en conflit devant le juge administratif depuis le jour où RFF a envoyé un fax vers 23 heures – j’étais à l’époque directeur de cabinet de la mairie – pour faire interdire la circulation sur le pont routier surplombant la ligne à grande vitesse Bordeaux-Paris. Les experts de RFF estimaient le coût de l’opération de rénovation à trois millions d’euros – pour une capacité d’investissement de six millions. Ce conflit, qui dure donc depuis cinq ans, provoque de graves problèmes de sécurité publique.

Il faudra donc à l’avenir recenser tous les contentieux de ce type pour régler ces situations.

Le droit applicable est d’ailleurs différent dans le cas des ouvrages franchissant les autoroutes concédées, puisque l’État a considéré que la jurisprudence du Conseil d’État ne devait pas s’y appliquer : la maîtrise d’ouvrage est alors obligatoirement confiée aux concessionnaires eux-mêmes. Dans le cas des ouvrages franchissant des voies ferrées, le Conseil d’État avait lui-même confié aux collectivités territoriales le seul entretien de la chaussée. C’est précisément ce principe, plus favorable aux collectivités, qu’une circulaire de 1985 est venue remettre en cause, sauf dans le cas où une voie ferrée croise une route nationale. En d’autres termes, l’État a maintenu une règle ancienne en sa faveur et en a créé une nouvelle, moins favorable, pour les collectivités territoriales.

La proposition de loi entend donc clarifier et uniformiser le droit existant. Elle définit un principe général de répartition des charges – un principe très simple : pour les nouvelles infrastructures de transport, il incombera aux collectivités territoriales de prendre en charge l’entretien des chaussées et des voiries ; pour les gestionnaires d’infrastructure de transport, la charge portera sur l’étanchéité, la surveillance, l’entretien et la reconstruction éventuelle de la structure. C’est donc un principe équitable qui nous est proposé.

Le débat avec le M. le rapporteur et avec le Gouvernement a aussi porté sur les ouvrages d’art existants, pour lesquels la situation est naturellement différente. La proposition de loi envisage trois cas de figure. S’agissant tout d’abord des ouvrages d’art qui font déjà l’objet d’une convention de répartition des responsabilités entre le gestionnaire de l’infrastructure et le propriétaire de l’ouvrage d’art, il est proposé de maintenir ces conventions au motif qu’elles ont été librement consenties par les parties.

Le second cas de figure concerne les ouvrages d’art qui ne font l’objet d’aucune convention et dont la gestion s’effectue dans une grande insécurité juridique. Dans ce cas de figure, le Gouvernement a proposé un amendement que nous approuverons naturellement et qui permettra au ministre des transports de procéder à un recensement exhaustif des situations concernées avant le 1er juin 2018. Après évaluation par le ministère, elles pourront donner lieu à de futures conventions.

Le troisième cas de figure concerne les situations les plus conflictuelles, comme par exemple celui de la ville de Libourne, qui a connu plusieurs années de procédures. L’objectif est de solder le stock de contentieux existant entre les propriétaires d’ouvrages d’art et les gestionnaires d’infrastructures de transport. C’est d’ailleurs ce que propose le Gouvernement par un amendement auquel nous avons travaillé en commun afin que toute situation contentieuse, formée par une collectivité territoriale avant le 1er juin 2014, puisse déboucher sur une convention nouvelle, en mettant toutes les parties autour de la table. C’est là une solution très attendue par un grand nombre de collectivités.

Voilà donc, mes chers collègues, un texte certes court mais majeur, dont les conséquences financières favorables pour les collectivités sont importantes. Technique dans sa forme, ce texte est très attendu, notamment par les communes de taille modeste, comme l’a rappelé M. Chassaigne, car elles n’ont pas les capacités financières requises pour faire face aux dépenses induites. Enfin, c’est un texte dont nous espérons tous qu’il sera adopté avec la même unanimité à l’Assemblée nationale et au Sénat, lequel – je reprends là encore une remarque de M. Chassaigne – devrait se prononcer très rapidement, peut-être même avant le mois de septembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de ce texte est une très heureuse initiative. Cette proposition de loi, qui traite de la question de la domanialité des ouvrages d’art, répond en effet à une inquiétude tout à fait compréhensible, et donc, à une demande de beaucoup d’élus locaux, notamment dans les territoires ruraux et dans les petites communes.

Ce sujet attend d’être traité depuis 2009, date à laquelle notre collègue Dominique Bussereau, alors secrétaire d’État chargé des transports, avait réuni une commission de travail. À l’issue de ses travaux, deux propositions de loi avaient été déposées au Sénat, l’une émanant de sénateurs UMP, l’autre de sénateurs CRC. Le changement de majorité au Sénat a voulu que ce soit celle des communistes qui ait été discutée et adoptée à l’unanimité le 17 janvier 2012.

Nous devons aujourd’hui au groupe GDR la poursuite de la discussion de ce texte qui a été, à nouveau, adopté à l’unanimité par la commission du développement durable, le 13 mai dernier.

J’avais moi-même déposé une proposition de loi sur ce sujet en juillet 2013, qui avait été cosignée par nombre de mes collègues. En effet, mon département, la Mayenne, est traversé par la nouvelle ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire. Entre la Sarthe, la Mayenne et l’Ille-et-Vilaine, cinquante-sept communes sont concernées et de nombreux élus locaux m’avaient alerté sur la nouvelle responsabilité qui leur incombait du fait de ces ouvrages d’art.

Le texte qui nous réunit aujourd’hui ne concerne pas seulement les ouvrages d’art au-dessus des voies ferrées, mais tout ouvrage de rétablissement des voies. Sont aussi concernés les ponts enjambant des routes, des autoroutes, des canaux et des voies navigables. Nous ne possédons pas de recensement de ces ouvrages d’art, mais on évoque 17 000 ouvrages sur le territoire national.

À l’heure actuelle, la jurisprudence considère que les collectivités territoriales sont nécessairement propriétaires des ouvrages de rétablissement, ce qui n’est pas contesté. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’elle considère que, par conséquent, la maîtrise d’ouvrage et les obligations de sécurité, d’entretien et de renouvellement de la structure de l’ouvrage d’art incombent aux collectivités, au même titre que pour la chaussée.

Or cette charge est incompatible avec les ressources de la plupart des communes – notamment les plus petites –, car les charges d’entretien, de réfection, voire de reconstruction, sont excessives au regard de leur budget. L’enjeu financier global s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros par an pour les charges liées à la surveillance et à l’entretien, et à plusieurs centaines de millions d’euros pour les travaux de renouvellement d’un ouvrage d’art.

L’objet de cette proposition de loi est donc d’établir une répartition claire des charges entre les communes et les maîtres d’ouvrage, ce que nous ne pouvons qu’approuver. Elle pose un principe simple : celui qui décide de construire une nouvelle voie en assume les conséquences. Je m’en félicite, car je milite pour le bon sens en politique et le service de l’intérêt général. Les collectivités sont donc dispensées de la prise en charge de la gestion, de l’entretien et de l’éventuel renouvellement de la structure de l’ouvrage de rétablissement, mais gardent la responsabilité de la chaussée et des trottoirs.

Le texte prévoit d’instaurer l’obligation, pour les parties, de signer une convention, ce qui permet une clarification et une information des devoirs de chacun.

Le texte que nous avons approuvé en commission va plus loin. Il envisage, certes, le statut des ouvrages d’art à venir, mais il autorise aussi une dénonciation des conventions existantes. C’est ainsi qu’en cas de litige, il permet qu’une nouvelle convention soit conclue sur la base des principes de répartition établis dans cette proposition pour les ouvrages d’art futurs. Il en serait de même pour les cas où aucune convention n’aurait été signée.

Ces dispositions avaient suscité, lors de la discussion au Sénat, des réserves de la part du gouvernement d’alors, représenté par M. Mariani. Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Le Gouvernement, bien qu’ayant changé de majorité, non seulement émet des réserves, mais souhaite, par la voie de quelques amendements, détricoter le texte adopté à l’unanimité en commission. Il est vrai que ce gouvernement apprécie particulièrement le détricotage, notamment des mesures de la majorité précédente…

De fait, le Gouvernement veut réécrire les dispositions essentielles de ce texte et en supprimer d’autres. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, vous voulez, par voie d’amendement, réécrire les alinéas 7 à 9, qui répartissent les charges qui vont régir les futures conventions, dans le noyau de ce texte. Vous introduisez la médiation du préfet qui, lui, saisira pour avis la chambre régionale des comptes en cas de litige lors de la négociation de la convention. Cette médiation avait déjà été proposée au Sénat et nous ne nous y opposerons pas.

En revanche, l’amendement qui vise à modifier l’alinéa 14 tendrait à limiter de manière importante la portée à ce texte. En effet, en une phrase, vous interdisez la dénonciation des conventions existantes. Par un autre amendement, vous nuancez ce recul en traitant à part les cas où un contentieux a été formé avant le 1er juin 2014. Nous ne pouvons que nous émouvoir de ces amendements.

Vous arguez de l’enjeu financier de ces dispositions et la charge trop lourde qui incomberait aux gestionnaires d’infrastructures. Mais cet enjeu financier est justement la raison pour laquelle cette proposition de loi a été adoptée, car les communes ne peuvent, elles non plus, assumer une telle charge !

Distinguer les cas où un contentieux est déjà engagé est injuste, car vous n’êtes pas sans savoir qu’une épée de Damoclès pèse sur les élus. Beaucoup sont responsables d’ouvrages d’art sans le savoir. Tant que ces ouvrages sont en bon état, le problème ne se pose pas. Mais qu’adviendra-t-il quand, dans quelques mois ou dans quelques, années, des travaux leur seront imposés, à des coûts qu’ils ne pourront assumer ? De même, pour les cas où des conventions n’ont pas été signées, vous maintenez la situation actuelle, intolérable pour les communes.

L’espoir né à la lecture de l’ordre du jour est donc déçu. J’espère, mes chers collègues, que nous saurons, grâce à l’examen des amendements, retrouver le texte initial et donner satisfaction aux élus inquiets, qui attendent beaucoup de ce texte.

Je profite de cette tribune, monsieur le secrétaire d’État, pour vous rappeler une autre demande des élus concernés par les lignes à grande vitesse, qui n’ont toujours pas obtenu satisfaction. Ces communes subissent de nombreux effets indésirables du fait de leur traversée par la LGV, sans profiter de la proximité d’une gare. Je pense aux nuisances sonores et aux contraintes liées aux routes barrées, ce qui fait fuir les habitants. En plus de ces nuisances, ces projets s’accompagnent de pertes de bases fiscales sur le bâti et le non-bâti et d’inconstructibilité sur le pourtour du tracé.

Ces communes réclament donc une redevance pérenne annuelle, ce qui se fait pour les autres infrastructures, comme les autoroutes, les lignes à très haute tension ou les éoliennes. Un fonds de solidarité territoriale a, certes, été créé, mais, au lieu d’une redevance forfaitaire annuelle et pérenne, il s’agit de l’ouverture d’un droit à subvention plafonné à 80 % !

Le candidat Hollande avait fait naître, en son temps, des espoirs de compensation, mais cette promesse a été bien évidemment oubliée par le Président élu. Je viens donc, monsieur le secrétaire d’État, vous la rappeler.

Au nom du groupe UMP, vous l’aurez compris, j’apporte mon soutien à cette proposition de loi, en espérant qu’elle va être à nouveau votée à l’unanimité, comme au Sénat, mais dans la rédaction adoptée en commission. Ce texte ne mérite pas d’être tronqué par les amendements du Gouvernement.

En votant le texte initial, nous mettrons un terme à la responsabilité juridique des communes, responsabilité trop lourde pour elles, et nous garantirons ainsi la sécurité de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Beffara.

M. Jean-Marie Beffara. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner est bienvenue, car le vide juridique sur ce sujet est ancien et source récurrente de conflits.

Ce texte a été très largement adopté en séance publique au Sénat et je souhaite saluer le quasi consensus qui existe autour de cette proposition, montrant ainsi l’attachement de tous au développement des territoires et à la bonne santé financière des collectivités.

Ce texte a l’ambition de mieux répartir les responsabilités et les charges financières des ouvrages d’art créés lors du rétablissement de voirie. C’est un sujet qui, s’il peut paraître moins important que d’autres, est au cœur des préoccupations de nombreux élus locaux. Il est d’ailleurs très attendu par les maires, comme en témoigne le soutien que l’Association des maires de France a apporté à cette initiative parlementaire.

La construction d’un pont, d’une voie ferrée d’un tunnel, si elle est parfois une prouesse architecturale et technique, expose toujours les collectivités à des risques juridiques et financiers qui rendent nécessaire l’adoption de ce texte.

La jurisprudence place aujourd’hui les collectivités dans une situation difficile. Les ouvrages d’art sont des éléments constitutifs des voies, et la collectivité, propriétaire des voies, doit donc en assurer l’entretien, la réfection et le renouvellement. Cette situation crée un « déséquilibre moral », les communes se retrouvant à assumer l’entretien de structures qu’elles n’ont pas demandées, mais aussi un « déséquilibre financier », car elles ne disposent pas de moyens supplémentaires pour y parvenir.

En effet, la taille et les capacités financières des communes ne leur permettent pas de faire face à de telles dépenses, qui s’élèvent souvent à plusieurs dizaines de milliers d’euros, quand ce n’est pas plus. De tels montants, pour des communes qui ne comptent parfois que quelques centaines d’habitants, ne sont pas acceptables. Ils entravent le fonctionnement des communes et, par là même, la qualité des services publics. C’est un poids difficile à porter et une situation qui est ressentie par de nombreux maires comme une injustice. La construction d’un ouvrage d’art est une épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos élus, qui attendent avec fébrilité le moment où cet ouvrage sera vétuste et nécessitera d’engager des travaux de réparation.

Ces ouvrages sont souvent considérés comme un encombrant patrimoine, même s’ils sont par ailleurs indispensables à la desserte du territoire des communes concernées. La construction desdits ouvrages est souvent la conséquence de chantiers bien plus importants, qui représentent une gêne importante et prolongée pour les riverains. Ils bouleversent l’organisation territoriale et peuvent nuire aux services de proximité. Le risque financier que fait peser l’état actuel du droit s’apparente pour les communes à une double peine : non seulement elles supportent les nuisances d’une infrastructure que, souvent, elles n’ont pas souhaitée mais leurs finances sont obérées par l’obligation d’en assurer l’entretien.

Tous ces problèmes, j’ai pu les constater dans le département d’Indre-et-Loire et dans ma circonscription où la construction de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique a provoqué de grands bouleversements. Si une telle entreprise est un atout pour le développement de nos territoires, ce chantier gigantesque a légué à nombre de communes des ouvrages d’art qu’elles n’auront pas les moyens d’entretenir.

En permettant l’établissement d’une convention entre les parties, le texte organise la répartition des rôles, et donc des responsabilités tant juridiques que financières. C’est une réponse équilibrée aux inquiétudes formulées par les communes.

Je me réjouis donc de l’adoption prochaine de cette proposition de loi, qui constitue une avancée réelle pour le droit des communes et qui vient compenser une injustice ancienne.

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n4, deuxième rectification.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous parlons ici des ouvrages d’art nouveaux qui pourraient être réalisés. Le principe de référence posé dans la proposition de loi est la prise en charge par le gestionnaire de la nouvelle infrastructure de l’ensemble. Évidemment, le Gouvernement est d’accord sur ce principe. Néanmoins, il souhaite laisser une certaine souplesse dans les discussions.

Compte tenu de la diversité des situations rencontrées – les ponts, les routes, les ponts-rails –, il est proposé de se limiter à la notion de « structure de l’ouvrage », afin de ne pas engager un recensement exhaustif de l’ensemble des équipements concernés – chaussées, équipements de sécurité, remblais, etc.

En effet, la rédaction initiale de l’alinéa 9, qui mentionne la chaussée, n’est pas applicable au rétablissement d’une voie ferrée interceptée, par exemple, par un projet routier.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour donner l’avis de la commission.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Favorable.

Cet amendement conserve les deux principes fondamentaux de la proposition de loi, à savoir : d’une part, renvoyer à une convention le soin de répartir les charges de surveillance, d’entretien, de réparation et de renouvellement des ouvrages et, d’autre part, fixer pour règle de référence la prise en charge, par les gestionnaires de la nouvelle infrastructure, de l’ensemble des charges relatives à la structure de l’ouvrage d’art.

Cet amendement présente un autre mérite, celui d’inviter les parties à la convention à adapter ce principe en fonction de leur spécificité propre, au regard, notamment, de leurs capacités financières, de leurs capacités techniques, ou encore de l’intérêt retiré par la réalisation de la nouvelle infrastructure de transport.

Il est évident qu’un conseil général ou qu’une ville comme Paris ou Lyon n’ont pas exactement les mêmes capacités financières et techniques qu’une commune rurale de 300 habitants, et qu’il faut en tenir compte.

Mme la présidente. La parole est à M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. C’est un amendement important, car il permet d’assouplir le principe de référence. Nous y avons travaillé avec le Gouvernement et nous avons l’accord du rapporteur. D’une certaine façon, il répond aussi aux préoccupations de notre collègue Baumel. Par conséquent, notre groupe y est très favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Baumel.

M. Laurent Baumel. Pour être certain de comprendre la portée de l’amendement du Gouvernement, je voudrais que M. le secrétaire d’État confirme que le principe de référence s’entend pour l’ensemble des structures : je pense aux remblais, aux garde-corps, aux glissières de sécurité et aux éléments de la chaussée qui sont plus de l’ordre de l’infrastructure que le revêtement.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Cet amendement destiné à laisser une plus grande marge de manœuvre ne remet-il pas en cause le principe même de la proposition de loi consistant à établir des règles très claires pour les collectivités locales ? Les marges de manœuvre évoquées sont susceptibles d’être utilisées par les gestionnaires d’infrastructures pour charger la collectivité et ainsi contrer l’esprit de la loi.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je vous confirme, monsieur le député Baumel, que l’ensemble de la structure est concernée, à l’exception de la chaussée et des trottoirs.

(L’amendement n4, deuxième rectification, est adopté et les amendements no2 et 3 tombent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n6.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de cohérence, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n6 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n7 rectifié.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le renvoi à un décret d’application est renvoyé dans un nouvel alinéa en vue de prévoir les modalités d’application. Bref, il s’agit d’un amendement de cohérence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n7 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n8 rectifié.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous parlons toujours des ouvrages d’art susceptibles d’être construits lors de la réalisation de nouvelles infrastructures. Il s’agit de ménager la possibilité de recourir à une médiation en cas de conflit sur l’élaboration de la convention avant saisine des juridictions compétentes. Le préfet saisira alors la chambre régionale des comptes afin d’examiner l’économie générale de la convention et ses conséquences financières sur la situation de la collectivité concernée. En tout état de cause, une telle disposition n’exclut pas la possibilité pour celle-ci d’engager un contentieux si le désaccord persiste. Il s’agit simplement de s’assurer dans un délai raisonnable qu’aucune voie d’accord n’est possible préalablement à l’engagement d’une procédure judiciaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Avis favorable. L’idée est de tenter une médiation avant la saisine du juge administratif sous l’égide du préfet et après avis de la chambre régionale des comptes. Cela contribuera évidemment à éviter des contentieux. En outre, l’intervention de la chambre régionale des comptes est de nature à informer le préfet de manière équilibrée sur la réalité des éventuelles difficultés financières des communes concernées.

(L’amendement n8 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n9.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Nous évoquons ici les ouvrages d’art déjà existants. S’il existe une convention fixant la situation de certains ouvrages dont le rétablissement a été signé d’un commun accord entre les parties, vous comprendrez, mesdames et messieurs les députés, que le Gouvernement ne saurait envisager des possibilités de remise en cause unilatérales des dispositions convenues. Il existe en effet un réel risque que les gestionnaires d’infrastructures de transport soient confrontés à une vague de dénonciations à laquelle ils ne pourront pas faire face, tant en termes financiers qu’en termes de charge de travail pour l’élaboration de nouvelles conventions. Il en résulterait un régime d’insécurité ingérable.

Je rappelle en outre que les gestionnaires d’infrastructures existantes susceptibles de se voir imposer par une telle disposition la conclusion d’une nouvelle convention sont parfois les collectivités elles-mêmes, comme dans le cas d’une route départementale surplombée par une voie communale. Le transfert des 18 000 kilomètres de routes nationales d’intérêt local aux collectivités territoriales a accentué leur rôle de gestionnaires d’infrastructures des transports, en particulier celui des conseils généraux. Il est donc proposé, pour les ouvrages d’art existants et, dès lors qu’une convention a été signée entre les parties, qu’elle continue de s’appliquer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. C’est une question de sagesse ! Donner aux collectivités territoriales la possibilité de dénoncer les conventions existantes introduisait néanmoins une flexibilité utile de nature à éviter que des situations inéquitables ne perdurent. Je comprends néanmoins que le Gouvernement soit soucieux de ne pas déstabiliser certains opérateurs comme VNF ou RFF et j’invite mes collègues de l’opposition à faire de même, car cela représente une charge financière relativement élevée, d’autant plus que le rabotage de nombreux quais de gare risque de coûter quelques millions d’euros supplémentaires ! (Sourires.) La situation des opérateurs est en effet fragile. La réforme ferroviaire dont nous allons débattre au cours des prochaines semaines comporte des enjeux considérables pour RFF et il est sans doute opportun de ne pas les alourdir encore. Avis favorable à l’amendement.

M. Florent Boudié. Très bien !

(L’amendement n9 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n10 rectifié.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le dispositif de la proposition de loi relatif aux situations contentieuses soulève plusieurs difficultés. La collectivité ayant dénoncé la convention existante sera pendant trois ans à compter de la saisine du juge sans convention, donc sans aucun cadre définissant les conditions de son intervention. La conclusion d’une convention est imposée alors même qu’un juge aura été saisi. La loi vient donc interférer dans le déroulement d’un recours juridictionnel, ce qui ne semble pas constitutionnel. Compte tenu du nombre d’ouvrages concernés par la présente proposition de loi, qui avoisine 17 000, il est proposé de traiter en priorité, afin de les purger rapidement, les situations de contentieux en cours dès lors que les parties acceptent d’abandonner la procédure judiciaire. Cela apporte aux collectivités déjà engagées dans un contentieux la garantie qu’elles pourront dégager très rapidement une solution négociée avec l’État ou un établissement public selon le même régime que celui applicable aux nouvelles infrastructures.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n10 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n11.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il s’agit des situations sans convention. Compte tenu du nombre d’ouvrages concernés par la présente proposition de loi, dont je viens de rappeler qu’il est proche de 17 000, le Gouvernement s’engage à faire procéder à un recensement des ouvrages, ce qui n’a jamais été fait jusqu’à présent et permettrait d’établir des priorités pour l’établissement des conventions nouvelles. Il est très clair que les gestionnaires d’infrastructures de transport sont pour l’heure dans l’incapacité d’assumer, tant en termes financiers qu’en termes de charge de travail, l’élaboration de conventions nouvelles pour tous les ouvrages existants. L’enjeu financier se chiffre en dizaines de millions d’euros par an pour la surveillance et l’entretien et en centaines de millions d’euros par an pour les travaux de renouvellement, de grosses réparations ou de reconstruction. Bien sûr, nous avons tous à l’esprit un certain nombre de cas qui font l’actualité ! (Sourires.) Il s’agit d’identifier les situations les plus urgentes nécessitant l’établissement d’une convention nouvelle en suivant le nouveau cadre établi à l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. C’est également une question de sagesse. Nous ne doutons pas de l’esprit de justice et de la disponibilité de M. le secrétaire d’État chargé des transports, mais ses successeurs auront-ils les mêmes qualités ? Se montreront-ils, par leurs décisions, aussi justes et également attentifs aux petites communes qu’aux grandes et aux maires de la majorité comme à ceux de l’opposition ? Je ne peux m’empêcher de nourrir quelques craintes et quelques doutes. Je comprends néanmoins le pragmatisme de la mesure destinée à éviter de créer des déséquilibres et des appels d’air préjudiciables aux opérateurs. Avis favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Le principe du recensement des ouvrages d’art, on ne peut qu’y souscrire. Il est d’ailleurs étonnant qu’on n’y ait pas déjà procédé afin d’apprécier les responsabilités incombant aux pouvoirs publics, dans un pays suradministré comme le nôtre, aux nombreux fonctionnaires.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Ce n’est pas faux ! Que ne l’avez vous fait ?

M. Florent Boudié. En dix ans !

M. Guillaume Chevrollier. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, je regrette que le Gouvernement modifie certaines dispositions, sans pour autant contester le principe de réalité budgétaire. Nous différons, mais il faudra bien un jour assumer l’entretien et la réfection des ouvrages d’art.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. C’est déjà le cas !

M. Guillaume Chevrollier. Mais pour ce faire, peut-être faut-il engager ailleurs des réformes structurelles visant à diminuer la dépense publique et retrouver des marges de manœuvre budgétaires afin d’être en mesure d’assumer les responsabilités.

M. Florent Boudié. Tel est bien le sens du pacte de responsabilité, cher collègue !

(L’amendement n11 est adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n13, tendant à supprimer l’article 2.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il s’agit de lever le gage.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Avis favorable.

(L’amendement n13, accepté par la commission, est adopté et l’article 2 est supprimé.)

Article 3

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 3.

Explication de vote

Mme la présidente. La parole est à M. Florent Boudié, pour une explication de vote au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Florent Boudié. Tout a été excellemment dit par M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, ce dont je tiens à le remercier.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée à l’unanimité.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, lundi 26 mai, à seize heures :

Débat en salle Lamartine sur la situation de l’industrie aéronautique française.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron