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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 27 mai 2014

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Débat sur la réforme territoriale

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme territoriale.

La parole est à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, je remercie le groupe UDI d’avoir pris l’initiative d’un véritable débat sur la réforme territoriale. Ce soir, André Vallini et moi-même n’avons qu’un objectif : vous écouter, avant l’examen d’un premier texte qui portera sur les compétences territoriales, ainsi que nous nous y étions engagés il y a quelques mois, puis un second texte qui fixera la nouvelle carte des régions et les modes de scrutin.

Ce débat se tient au bon moment. Nous avons en effet déjà un peu de recul sur la réforme que nous avons engagée ensemble, ici et au Sénat – et qui suscite l’enthousiasme de M. Gaymard (Sourires.) Je pense notamment à la conférence territoriale de l’action publique, un thème qui vous tient beaucoup à cœur, plus encore qu’au Sénat. À l’instar du Gouvernement, vous avez voulu reconnaître la diversité des territoires de France et inscrire cette diversité dans le texte – je note également l’enthousiasme du président de la commission des lois. (Sourires.)

En faisant en sorte de permettre à la conférence territoriale de l’action publique, aux exécutifs, de décider eux-mêmes de la belle notion de subsidiarité, vous avez grandement fait avancer l’exercice des compétences territoriales dans notre pays.

Permettez-moi de dire quelques mots du sujet qui a suscité le plus d’interrogations, sujet sur lequel le Premier ministre et le Président de la République eux-mêmes s’interrogent aujourd’hui. Lors de nos discussions sur la société du contrat, sur la différence entre les régions – dans un cadre républicain qui rappelle l’attachement, de plus en plus grand, à l’unité de la République –, vous avez évoqué, sous l’angle des compétences, la question des allocations de solidarité qui sont aujourd’hui versées par les départements. Leur financement étant mal assuré, il a fallu décider ensemble de l’attribution de plus de 800 millions d’euros pour que les départements puissent faire face au versement de ces allocations – et je salue ceux qui se sont battus pour que la péréquation accompagne le supplément de financement.

Vous avez également longuement débattu de la compétence en matière de solidarité territoriale, posant le principe de l’égalité des territoires – au moment, d’ailleurs, où Mme Duflot présentait sa loi sur le logement et l’urbanisme –, qui avait fait l’objet d’un engagement du Président de la République. Comment répondre à l’ampleur des inégalités territoriales ? En effet, à condition familiale ou personnelle égale, un enfant n’a pas forcément les mêmes chances ni les mêmes perspectives selon qu’il naît ici ou là. Vous avez donc suggéré que les collectivités territoriales fassent preuve de solidarité. Ici comme au Sénat, s’était alors posée la question des départements. Pour certains, il est possible de fusionner des départements, immédiatement ou presque, avec les grandes métropoles notamment – Paris, Lyon et Marseille –, que vous avez créées, pour exercer les compétences de solidarité envers les individus et de solidarité territoriale.

De fait et en droit, il a été acté que l’on pouvait agir différemment ici ou là. Depuis, j’ai lu, y compris sous des plumes illustres, que l’on pouvait envisager d’autres statuts particuliers. Ainsi, pourquoi ne pas fusionner, dans une région que je connais un peu, la région et les départements en une assemblée unique ? Le président de la commission des lois lui-même, animé du souci de l’unité de la République qu’on lui connaît, a évoqué cette perspective.

Par ailleurs, vous avez, les uns et les autres, souligné l’importance que l’on doit accorder à la ruralité. J’ai plaisir à rappeler que lors du discours de Tulle, le Président de la République a tenu à dire à quel point les départements étaient nécessaires à la ruralité. Cette phrase était mesurée, chaque mot était pesé, puisqu’il avait déjà dans l’idée – le débat avait eu lieu en décembre, puis en janvier au Sénat, lors de la discussion sur le rapport de la mission d’information Raffarin-Krattinger sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République – que l’on pouvait envisager différemment l’exercice des compétences sociales et de solidarité dans les aires urbaines et rurales.

Depuis les déclarations du Président de la République, certains envisagent très sereinement la réécriture de la carte des régions de France, d’autres – c’est le cas de la mission Raffarin-Krattinger, André Vallini en est témoin – veulent lier cette réécriture au maintien des départements, ceux-ci étant, selon eux, d’autant plus nécessaires s’il y a moins de régions. À l’Assemblée, une position différente a été prise selon laquelle, même avec des régions plus grandes, il faut envisager, en matière de solidarité, un autre niveau de compétence que les départements.

Le Gouvernement en est là dans sa réflexion, alors que le Président de la République a réaffirmé la nécessité d’aller vite. C’est pourquoi, dans le cadre de cette discussion, il est plus intéressant pour nous, ministres chargés de présenter ces textes – peut-être après les élections sénatoriales, le calendrier parlementaire étant très lourd –, de vous entendre et d’affiner notre réflexion que de dresser un bilan de la première loi. Car, même si vous la trouvez extraordinaire…

M. Marc Dolez. Pas sur tous les bancs !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. … la conférence territoriale de l’action publique a fait naître beaucoup d’enthousiasme chez Maurice Leroy (Sourires) –, la place des intercommunalités par rapport aux communes fait encore débat. Faut-il aller plus loin, avoir des intercommunalités plus grandes préservant nos communes, même petites ? Est-il nécessaire de différencier les départements urbains et les départements ruraux ? Faut-il, cher Jean-Yves Le Bouillonnec, avancer encore sur la reconnaissance des territoires dans les grandes métropoles ? Autant de questions auxquelles vous apportez les uns et les autres vos réponses. Elles sont parfois différentes, mais en aucun cas démoralisantes ou déstabilisantes, comme j’ai pu le lire. Elles sont forcément enthousiasmantes, et André Vallini et moi-même en tirerons le meilleur profit. Je vous renouvelle donc mes remerciements pour avoir engagé le bon débat au bon moment. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous avons un a priori bienveillant !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Extrêmement bienveillant !

M. Michel Piron. Cela me rappelle Guy Mollet : « Ils ne savent pas ce qu’ils feront, mais ils savent déjà qu’ils sont d’accord. » (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Maurice Leroy. Cela commence bien. En tout cas, cela ne nous rajeunit pas !

M. Michel Piron. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui, à l’initiative du groupe UDI, un débat consacré à la réforme territoriale, réforme essentielle puisqu’elle questionne la gouvernance même de notre pays. Alors que se multiplient des annonces au calendrier encore incertain, ce débat nous fournit l’occasion de préciser nos attentes quant au contenu et d’exposer une méthode ainsi que les conditions, à nos yeux, d’une réforme utile.

Pour le groupe UDI, une profonde réforme de notre organisation territoriale est non seulement nécessaire, mais urgente si l’on veut redresser notre pays. Pour cela, elle devra répondre à deux conditions.

Première condition : la réforme devra s’inscrire dans une réflexion globale sur le rôle de nos collectivités et établissements publics – régions, départements, intercommunalités, communes – et celui de l’État. Que l’on songe simplement à l’inextricable enchevêtrement territorial des pouvoirs et des compétences –services de l’État compris – qui multiplie les instructions et les instances de décision, plombe les coûts, allonge les délais et – ce qui est finalement le plus grave – rend illisible l’action publique pour nos concitoyens. Car comment ces derniers pourraient-ils s’y retrouver là où, déjà, nombre d’élus ne savent plus à qui s’adresser ? Nous sommes, mes chers collègues, les seuls en Europe à connaître une telle situation, qui interroge le fonctionnement même de notre démocratie.

Seconde condition : la réforme doit s’appuyer d’abord sur les régions, comme chez tous nos voisins européens, en leur accordant un réel pouvoir organisationnel et réglementaire, seul capable de répondre à la diversité de nos territoires. Qu’il s’agisse de développement économique et de la formation professionnelle, de l’aménagement du territoire et du logement, des transports et des grands équipements, de l’enseignement et de la recherche, du tourisme ou de la culture, sans occulter la question essentielle des solidarités aujourd’hui assurées par les départements, les régions peuvent assurer un rôle à la fois stratégique, par construction, et de proximité, par subsidiarité ou par délégation. Cela – de nombreux rapports l’ont souligné – passera nécessairement par une tout autre articulation entre région-département-métropole, d’une part, intercommunalités-communes, d’autre part. Et c’est là que peut se poser la question des dimensions régionales, mais là seulement. Trop grandes, les régions seront trop lointaines pour arbitrer les équilibres entre métropoles, villes moyennes et territoires ruraux.

Trop petites, elles n’auront pas les moyens de leurs politiques. Voilà pourquoi je souscris au compromis des quinze ou seize régions, qui concilie stratégie et proximité et assemble, autant que faire se peut, sans démanteler.

Saura-t-on enfin, tirant la leçon du contre-exemple fourni par la création des pôles métropolitains et des pôles d’équilibres territoriaux et ruraux, constatant avec le professeur Taillefait que « pour le moment, en matière de décentralisation, simplifier c’est entasser », saura-t-on enfin simplifier les structures ?

Oui, nous attendons de la révision des compétences qu’elle conduise à une nouvelle clarification entre régions et départements, d’une part, qu’elle permette une montée en charge des intercommunalités, d’autre part, tout en répondant, à l’échelon intercommunal aux demandes de proximité.

Mes chers collègues, vous l’avez bien compris, nos attentes sont fortes vis-à-vis d’une réforme que d’aucuns ont qualifié de « mère des réformes » – structurelles, ajouterai-je. À celles et ceux qui souhaiteraient attendre, vous me permettrez de répondre par un titre : Il est temps de décider. Ce titre, c’était celui du rapport Balladur remis le 5 mars 2009 au Président de la République sur le même sujet, notre sujet. Il nous rappelait, voilà cinq ans, qu’en dépit des tentatives de décentralisation de 1982 et 2013, la France, depuis l’échec du référendum de 1969, n’a toujours pas choisi entre une centralisation perpétuée et une décentralisation inachevée.

Aujourd’hui, compte tenu de la situation insoutenable dans laquelle se trouve notre pays, avec tous ceux qui pensent que « gouverner, c’est choisir », je le redis ici : « Choisissons ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a quelques décennies déjà, les radicaux ont été les premiers, je crois, à proposer une réforme territoriale en publiant en 1970 un manifeste intitulé Le pouvoir régional. Car il n’y a pas de vraie démocratie sans démocratie locale, sans démocratie de proximité, où la décision soit prise sous l’influence directe des citoyens. Ensuite, au début des années 1980, les ministres radicaux ont participé, aux côtés de François Mitterrand et de Gaston Defferre, à la mise en œuvre des lois de décentralisation. Aujourd’hui, la réforme territoriale semble redevenue nécessaire pour obtenir une action publique locale plus fonctionnelle. C’est la thèse de l’exécutif. Mais son projet reste encore à l’état embryonnaire ou en début de gestation avec un contenu paraissant encore indéterminé.

C’est donc le moment opportun pour en parler, comme nous avons déjà eu l’occasion de le faire le 15 mai dernier, en tant que président de groupe, avec le Président de la République.

Notre organisation territoriale connaît aujourd’hui un nombre important de couches, de strates, qui se sont superposées au fil du temps par sédimentations successives. Cette architecture territoriale, devenue très complexe, présente beaucoup d’inconvénients bien connus : multiplication des échelons de décision, enchevêtrement des compétences, doublons et duplications, lourdeur et lenteur des procédures.

Il faut, bien sûr, rendre ce système plus efficace et aussi plus lisible, plus compréhensible afin que nos compatriotes cessent d’être perdus dans ce dédale de l’action publique territoriale, qu’ils puissent mieux savoir qui fait quoi, qui décide quoi, qui exerce quelle compétence. La vie publique locale requiert, elle aussi, clarté et transparence.

Enfin, il faut rendre ce système plus économe des deniers publics. Le secrétaire d’État à la réforme territoriale a annoncé au début du mois de mai un gain annuel allant de 12 à 25 milliards d’euros. On ne sait d’où vient cette estimation,…

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Je vous le dirai !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …qui paraît d’un réel optimisme et qui a été contestée par le ministre des finances.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Mais non !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. En tout cas, il est nécessaire d’être économe de l’argent public dans cette période marquée par un fort déficit public. Comme je l’ai suggéré avec d’autres au chef de l’État le 15 mai dernier, il paraît préférable de recourir à deux projets de loi successifs : le premier portant sur les régions, thème assez consensuel ne présentant guère de difficultés juridiques ; le second, dans un deuxième temps, relatif au reste de la réforme territoriale, notamment à l’organisation des départements.

La réforme territoriale envisagée vise à diminuer de moitié le nombre des régions métropolitaines, qui passerait de vingt-deux à onze ou douze. Toutefois, mieux vaudrait sans doute quinze régions, comme le préconisait le rapport Balladur, car des régions très vastes supprimeraient la proximité qui doit exister entre les instances et les habitants de ces collectivités.

Je ferai deux observations sur la réforme des régions.

D’abord, le Gouvernement ne peut faire table rase du passé. Il y a une histoire commune ou il n’y en a pas, il y a une culture commune ou il n’y en a pas, il y a une géographie de proximité ou il n’y en a pas. On ne peut juger à la place des instances élues et des habitants vivant sur place du dessin qu’il convient de donner à l’architecture régionale nouvelle. On risque sinon d’aboutir à des découpages insolites, voire arbitraires.

Ensuite – et cela est lié –, il faut évidemment privilégier le caractère volontaire de ces regroupements de régions. Ainsi, les régions Poitou-Charentes et Pays de la Loire ont décidé de leur propre initiative de se regrouper. Dans la législation actuelle, c’est-à-dire aux termes de l’article L. 4123-1 du code général des collectivités territoriales, le regroupement se fonde sur la demande des régions et sur la consultation des électeurs. Aujourd’hui, le regroupement des régions est donc une démarche volontaire, qui repose sur leur initiative et sur le consentement des électeurs. Elle se fonde sur le libre-arbitre, sur la libre détermination.

Or, il n’en va pas de même dans l’avant-projet de loi « clarifiant l’organisation territoriale de la République » qui, à son article 11, modifie l’article précité. D’une part, l’obligation de consultation des électeurs est remplacée par une simple faculté. D’autre part, « le Gouvernement peut donner suite à un projet de regroupement proposé » par les conseils régionaux mais il peut aussi ne pas le faire et établir son propre projet, qui sera alors adopté par voie législative. Avec cet avant-projet de loi, l’État pourrait donc se passer du consentement des régions et des habitants concernés pour décider seul, par lui-même, de l’avenir des régions. Il pourrait agir à son gré, à sa guise en disposant d’un pouvoir quasi discrétionnaire. Bref, théoriquement, l’on pourrait pratiquer des mariages forcés entre régions sans avoir à poser la question nuptiale traditionnelle : « Consentez-vous à … ? ».

Certes, il faut admettre que l’État ait la capacité d’inciter fortement les régions qui resteraient passives à se regrouper mais il faut aussi faire en sorte que la plupart des regroupements soient volontaires et non pas contraints. La carte des régions ne peut pas être une carte forcée.

Par ailleurs, la réforme porte aussi sur les départements, l’exécutif projetant de les conserver, mais en supprimant les conseils généraux. Analyse curieuse et nouvelle. Le conseil général de l’Isère est présidé depuis 2001 par l’actuel secrétaire d’État à la réforme territoriale.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Vous êtes bien renseigné !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Son action ne semble pas avoir été superflue. Pourquoi faudrait-il supprimer ces conseils avec un zèle néophyte ?

En tout cas, si l’on entre dans cette analyse, comment faire, d’un point de vue procédural, pour supprimer les conseils généraux, désormais « conseils départementaux ». Le département et son statut de collectivité territoriale étant expressément mentionnés par l’article 72 de la Constitution, il est impossible, sans révision constitutionnelle, de supprimer la catégorie du département et son caractère de collectivité territoriale. En revanche, il est sans doute possible de ne pas avoir 101 départements tous organisés de la même manière. On pourrait concevoir deux types de situations. D’une part, les départements situés en milieu urbanisé existeraient surtout à partir des grandes intercommunalités et des métropoles, celles-ci pouvant se voir déléguer de nombreuses compétences par les départements depuis la loi du 27 janvier 2014. D’autre part, les départements situés en zone rurale conserveraient leurs principales caractéristiques actuelles, avec des compétences peu modifiées. Les zones rurales, moins peuplées, ont spécialement besoin d’un échelon intermédiaire de proximité.

Le département étant, selon l’article 72 de la Constitution, une collectivité territoriale, il doit à ce titre, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « disposer d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives ». La réforme requiert donc deux conditions.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. L’assemblée délibérante élue, première condition, ne serait plus le conseil général. Que serait-ce à la place ? Peut-être un conseil des intercommunalités dans certains cas ou peut-être les conseillers territoriaux… (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Charles de Courson. Lapsus significatif !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Excusez-moi pour ce réflexe ancien.

M. Charles de La Verpillière. Il aurait fallu réfléchir à cela avant de les supprimer !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Voilà qui pose problème. Je ne pense pas que cette solution puisse être facilement retenue.

Pour les « attributions effectives », seconde condition, on ne pourrait pas vider trop fortement les départements de leurs compétences, en en faisant des coquilles vides dépourvues de substance, sinon le Conseil constitutionnel considérerait qu’il n’y a pas de compétences réelles, ce qui nous ferait risquer la censure.

M. Charles de Courson. C’est clair !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Comme l’a souvent répété le secrétaire d’État, et d’autres avec lui, « une réforme aussi importante doit se faire vite ». Mais est-il nécessaire d’avancer à la hâte, en transformant la procédure législative en épreuve de vitesse, ce qui est déjà inhabituel ? Ce qui l’est encore plus, c’est de choisir la précipitation sans savoir encore précisément où l’on va, vers quelle destination exacte on se dirige, en quel lieu précis on se rend. La devise ne peut être : « Ne pas savoir où l’on va, mais y aller très vite ». (Rires sur les bancs du groupe UDI.)

M. Guillaume Larrivé. Très juste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous sommes un peu dans cette phase et la société actuelle paraît marquée par une certaine mode de la réforme dans la vitesse, comme s’il s’agissait de faire impression, comme s’il fallait se donner une image volontariste, une posture de réformateur, agissant avec célérité, comme si, à la limite, le spectacle de la réforme importait autant, sinon plus, que le contenu de la réforme lui-même, devenu secondaire ou presque.

M. Guillaume Larrivé. C’est très lucide !

M. Charles de La Verpillière. Très cruel et réaliste !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Les députés de notre groupe sont favorables à une réforme territoriale, qui soit suffisamment examinée et concertée. Nous sommes bien sûr ouverts à la discussion, au dialogue approfondi sur cet enjeu important pour notre pays et pour notre démocratie. Comme la Constitution le souligne dès son article 1er, la France a une organisation décentralisée. L’autonomie locale est une liberté essentielle. Il faut la conserver car c’est un principe directeur de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe UDI pour avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, débat qui intervient utilement après les déclarations récentes du Président de la République et du Premier ministre, mais qui intervient avant que nous connaissions les arbitrages qui seront rendus et les termes du projet de loi annoncé pour le Conseil des ministres de la semaine prochaine.

Pour les députés du Front de gauche, comme ses porte-parole l’ont indiqué très clairement au Président de la République lors de ses récentes consultations, il n’y a pas de changement possible de nos institutions démocratiques sans démocratie, sans consultation des Français. Toute réforme d’ampleur doit être soumise à la ratification populaire par référendum. Les modifications intervenues depuis deux ans – loi sur les métropoles, changement du mode de scrutin des élections départementales, redécoupage cantonal, baisse des dotations – vont à l’encontre de ce processus démocratique, tout comme d’ailleurs les annonces récentes, plus graves encore, faites par le Président de la République et le Premier ministre, dont certaines, comme la suppression des départements ou de la clause de compétence générale, vont à l’encontre des mesures qui sont intervenues depuis deux ans. En réalité, toutes ces mesures et annonces sont guidées par les exigences d’austérité, de baisse des dépenses publiques, de compétitivité et de mise en concurrence des territoires. Nous récusons ces objectifs et ces réformes menées à la hussarde.

Pour notre part, nous demandons un changement de méthode, d’objectifs et d’ambition pour conjuguer renouveau démocratique et relance de politiques publiques plus justes et plus efficaces. Dans cette perspective, je vous décris rapidement les principaux axes qui devraient caractériser la réforme territoriale dont le pays a besoin et que nous appelons de nos vœux, en espérant, sans nous faire d’illusions inutiles, que ces propositions puissent inspirer le Gouvernement.

Il convient tout d’abord de rappeler avec force que les communes sont le centre de la vie démocratique nationale. Elles doivent être confortées et leurs moyens renforcés. La proximité de leur action publique est vitale pour la République. Les partages et les réorganisations de compétences nécessaires doivent préserver ce poumon démocratique, leurs associations doivent privilégier la dimension de coopératives de communes. À tous les niveaux de la République, la participation et l’intervention citoyennes doivent être renforcées. Face à la crise de la démocratie représentative, la souveraineté du peuple doit connaître un nouveau processus de développement qui passe par un débat public exigeant, permettant la validation des grands choix par la population.

Nous plaidons aussi pour une architecture institutionnelle qui garantisse l’égalité sur tout le territoire et favorise le partage et la coopération, et non pour des institutions à la carte. Le maintien des trois niveaux de collectivités actuels – commune, département, région – est nécessaire au maintien d’une couverture harmonieuse et égalitaire de l’action publique sur le territoire. Ces collectivités doivent disposer d’assemblées élues à la proportionnelle, être dotées de ressources fiscales propres et assurées de la clause de compétence générale.

La suppression des départements, accompagnée de l’agrandissement des régions, laisserait un vide béant sans niveau intermédiaire. Les métropoles, qui continuent d’être largement contestées sur le terrain et dont l’inefficacité est latente, ne peuvent combler ce vide sur l’essentiel du territoire. Quant au maintien des départements sans conseils généraux directement élus, ce serait un grave recul démocratique.

Nous n’opposons pas ce maintien au développement de l’intercommunalité sur une base coopérative et volontaire, organisée autour de compétences partagées et dotée des ressources propres. Si nous sommes également favorables à une concertation approfondie sur de nouvelles répartitions de compétences, nous jugeons dans le même temps indispensable que toute modification de périmètre des départements et des régions soit soumise à la consultation des populations concernées.

À tous les niveaux, nous voulons promouvoir la coopération plutôt que la concurrence. La coopération se choisit, se construit, se façonne dans des projets. C’est un tout autre mouvement que le modèle institutionnel pyramidal imposé par la loi sur les métropoles car c’est bien dans ce bouillonnement et cette ouverture que se renforcera le débat public, que les populations seront réellement parties prenantes et actrices de leurs territoires et de leurs vies.

Évidemment, promettre l’efficacité sans se donner les recettes nécessaires, c’est se condamner à l’échec. C’est pourquoi le programme d’austérité draconien prévu pour les collectivités territoriales doit être annulé et les dotations nécessaires pour répondre aux besoins rétablies et revalorisées. L’investissement public local, faut-il le rappeler ici, est un moteur essentiel de la croissance. Or l’Association des maires de France a évalué à 30 % la diminution des dotations pour la période 2013-2017, avec les graves conséquences que l’on imagine sur l’investissement public, sur l’emploi et sur les services publics.

Nous voulons également une réforme de la fiscalité intégrant une nouvelle fiscalité locale plus juste, taxant les revenus fonciers spéculatifs, garantissant une péréquation verticale et horizontale permettant de faire reculer les inégalités, incluant la reconstruction d’une fiscalité territoriale des entreprises et des revenus financiers.

La seule véritable efficacité réside dans des mouvements choisis et décidés par le plus grand nombre et non par quelques-uns. C’est pourquoi nous plaidons aussi pour des institutions qui représentent mieux le peuple, avec des assemblées à parité, en limitant le cumul et en favorisant le renouvellement des mandats. Nous proposons ainsi de créer un véritable statut de l’élu pour permettre une plus grande rotation, une plus grande possibilité de donner de son temps au service du bien commun, un élargissement de celles et de ceux qui sont dans l’action citoyenne. C’est une chance et un atout essentiel pour la République que de pouvoir s’appuyer sur ce formidable réseau des élus locaux, dont 95 % sont des bénévoles engagés au service de l’intérêt général et de la vie démocratique. Enfin, pour garantir une juste représentativité, tous les modes de scrutin devraient être revus pour généraliser au maximum la représentation proportionnelle.

Pour conclure, je voudrais dire avec une certaine gravité que, sous réserve de leur écriture définitive, les réformes annoncées ne prennent pas la mesure de la crise de la représentation politique que traverse le pays. Les multiples retouches qui ont été apportées depuis plus de vingt ans à la Constitution nécessiteraient désormais une remise à plat. Des réformes majeures, comme celle de la réforme territoriale, ne peuvent plus être adoptées sans que le peuple en soit saisi.

La crise démocratique appelle de nouveaux éléments fondateurs pour notre République et, en conséquence, l’écriture d’une Constitution nouvelle. C’est dans cet esprit et dans cette perspective que nous demandons la mise en place d’un processus constituant, associant les parlementaires bien sûr, mais aussi les élus locaux, les citoyens organisés à travers les syndicats, associations et partis, ainsi que les citoyens inorganisés, ce processus étant conclu par un référendum soumettant au peuple le projet ainsi élaboré. Pour les députés du Front de gauche, l’avenir même de la République exige aujourd’hui d’engager ce nouvel élan démocratique.

M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quelques mots à mon tour pour remercier notre collègue Michel Piron et, à travers lui, tout le groupe UDI, pour nous avoir permis, comme l’a rappelé Mme la ministre à l’instant, d’échanger sur la question de la réforme territoriale alors même que l’exécutif est en passe de rendre ses principaux arbitrages sur les textes qui seront bientôt soumis à notre assemblée. Nous avons ainsi l’occasion d’échanger tant sur ce que nous avons à faire que sur ce que nous avons déjà réalisé.

Aussi voudrais-je revenir en quelques mots sur la loi de modernisation de l’action publique et l’affirmation des métropoles. Cette loi, adoptée au mois de décembre dernier, nous a permis de faire un premier pas en matière de clarification, avec la notion de chef de filat : elle a en effet donné à cette notion une valeur juridique, une explication qu’elle n’avait pas depuis son inscription dans la Constitution par la réforme du 28 mars 2003. Elle amorce en outre la réorganisation de l’action publique en créant les conférences territoriales de l’action publique, qui permettront d’organiser des guichets uniques et des filières, mais aussi de travailler à la mutualisation et à l’amélioration de la lisibilité de l’action publique sur les territoires.

Elle a enfin reconnu le fait métropolitain en dotant les métropoles et les communautés urbaines d’un statut juridique et de compétences qui correspondent à la réalité de leur implantation sur le territoire, de leur poids et de leur rôle, notamment en matière de développement économique.

Le travail ne doit naturellement pas s’arrêter là. Les prochains textes nous permettront d’avancer vers une plus grande clarification. Dans ce but, tant le Président de la République que le Premier ministre se sont engagés à supprimer la clause de la compétence générale afin d’assurer la lisibilité de l’action publique et un véritable partage des compétences. Nous devons également nous engager à renforcer le rôle des régions en leur attribuant des compétences nouvelles, notamment en matière d’infrastructures, de développement économique ou de formation, mais aussi en leur permettant de faire évoluer leur taille afin que chaque région de France puisse atteindre une taille critique lui permettant de peser sur la scène européenne et de développer, principalement en matière économique, des politiques de filières. Je n’oublie pas non plus, concernant les régions, que nous aurons certainement à débattre de tous les statuts particuliers, des modèles qui peuvent apparaître uniques mais qui relèvent aussi de la différenciation de l’action publique sur des territoires qui peuvent s’y prêter.

Le débat public s’est focalisé dans les médias sur la question du nombre de régions et de l’éventuelle suppression du département. Nous aurons évidemment à nous interroger sur le rôle de celui-ci et, peut-être, à nous poser la question d’un nouveau schéma de répartition des compétences, avec des intercommunalités plus fortes, avec des régions mieux structurées, plus grandes et mieux armées en termes de compétences, ainsi que de l’opportunité de maintenir cet échelon qui serait pris en tenaille entre l’émergence d’intercommunalités consolidées et des régions restructurées.

Nous aurons aussi, et ce n’est pas rien, à travailler sur la question de l’intercommunalité, de ce que l’on appelle le « bloc local », avec un objectif de rationalisation puisqu’il s’agit de diminuer le nombre de syndicats. Nous voulons faire en sorte que les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – à fiscalité propre puissent exercer un maximum de compétences en lieu et place du foisonnement des presque treize mille syndicats intercommunaux existants en France. Nous aurons surtout à travailler pour que les EPCI, communautés de commune et communautés d’agglomération voient leur taille moyenne augmentée et leurs compétences renforcées : nous sommes en effet persuadés que la survie des communes, à laquelle nombreux sur ces bancs sont extrêmement attachés, passera par leur capacité à nouer des coopérations et à mettre en place des modèles de coopération au niveau intercommunal qui soient les meilleurs possible.

Nous croyons du reste que les mutualisations de services entre communes et intercommunalités constitueront certainement à terme un gage d’économies plus importantes que les fusions de régions ou même que les suppressions d’un certain nombre d’échelons.

Pour cela, nous devrons respecter un certain nombre de principes ou du moins d’objectifs, que nous devrons poursuivre de manière transversale : le premier sera celui de l’efficacité de l’action publique. Je préfère pour ma part insister sur cette question de l’efficacité de l’action publique plutôt que sur la seule question des économies…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela va être plus difficile !

M. Olivier Dussopt. …car nous savons, en raison de l’existence d’un certain nombre de rigidités structurelles et du statut des agents de la fonction publique, que tout mouvement de mutualisation ou de fusion se traduira par des économies à terme, mais pas immédiatement, compte tenu des différents aspects techniques qu’il nous faudra surmonter.

Nous le ferons aussi avec le souci de la lisibilité pour les usagers, tous les usagers : particuliers, associations, entreprises qui, aujourd’hui, nous demandent à bon droit des guichets uniques pour y voir plus clair dans l’action publique. Enfin, nous ferons en sorte que le lien entre les réformes des compétences et les réformes des périmètres soit véritablement assuré.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est tout à fait cela !

M. Olivier Dussopt. Avec la question des ressources et des dépenses, nous avons aussi devant nous de beaux chantiers sur la fiscalité locale, sur la péréquation, sur la réforme des dotations, afin que l’effort fourni par l’État en faveur des collectivités locales soit le mieux réparti possible, de la façon la plus juste possible.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. Olivier Dussopt. Aux divers travaux cités par Mme la ministre dans son intervention, nous pourrions ajouter le rapport rédigé par MM. Malvy et Lambert, qui propose également des pistes extrêmement intéressantes pour nous permettre de maintenir un bon niveau de l’action publique, un bon niveau des politiques publiques locales, tout en maîtrisant le volume de dépenses qu’elles entraînent.

Tout cela peut, je le crois, être de nature à nous rassembler ; tout cela sera de nature, dans les prochaines semaines et après que les arbitrages auront été rendus, à nourrir nos débats, nos échanges, afin qu’ensemble, nous parvenions à une meilleure action publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je tiens tout d’abord à remercier le groupe UDI qui a pris l’initiative d’organiser ce débat, ainsi que Michel Piron pour avoir commencé son intervention avec autant d’humour.

Malheureusement, je ne suis pas sûr que notre débat éclaire davantage la représentation nationale sur le contenu du futur projet gouvernemental car – et je suis désolé de vous le dire, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, car on vous aime bien (Sourires) –, depuis deux ans, le pouvoir gère ce sujet majeur à la godille.

Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les méandres de ce grand fleuve non tranquille qu’est, depuis deux ans, la réforme territoriale – projets de loi déposés, saucissonnés, ventilés façon puzzle comme dirait l’autre –, dont le dernier avatar est le projet de loi transmis il y a quelques semaines au Conseil d’État dont nous venons d’apprendre, comme aurait dit François Mitterrand de sa modeste hauteur, qu’il était désormais forclos.

Je ne suis donc pas certain que ce débat serve à grand-chose ni que le Gouvernement écoute autant que cela les parlementaires, car on voit bien, au gré des prises de position, que nous avons sur des sujets majeurs des orientations extrêmement différentes.

Je me bornerai à faire quelques observations et à poser quelques questions.

Ma première observation concerne les élections, base de la démocratie. Le Premier ministre a rappelé, dans sa déclaration de politique générale, que les élections auraient lieu au mois de mars 2015. Ensuite, on a entendu parler, pour les élections régionales, de mars 2016 puis de l’automne 2015. S’agissant des élections départementales, il semblerait qu’il n’y en ait plus et que le mandat des conseillers généraux actuels serait prolongé jusqu’à la fin des départements, c’est-à-dire jusqu’à l’extinction de la lumière en quelque sorte.

Aussi, je vous poserai quatre questions. Quand auront lieu les élections régionales ? Selon quel mode de scrutin ? Le nombre des conseillers régionaux sera-t-il inchangé par rapport à ce qu’il est actuellement ? Quand auront lieu les élections départementales, si jamais elles ont lieu, avec un nouveau redécoupage…

M. Maurice Leroy. Un charcutage !

M. Hervé Gaymard. …qui a beaucoup occupé le précédent ministre de l’intérieur, M. Valls, qui a pu déployer à cette occasion tout son talent et toute sa rouerie pendant plus d’un an, et qui sera sans doute inutile ? Les citoyens français se posent des questions sur les élections.

Deuxième remarque : il faut prendre en compte la diversité des territoires. Chacun reconnaît que la France est tellement diverse qu’il faut sortir d’une vision jacobine de son organisation. En zone urbaine, il est évident que les départements sont peu identifiés, et singulièrement en région Île-de-France où ils ont à peine quarante ans. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les territoires ruraux et de montagne, surtout si l’on agrandit la taille moyenne des régions comme le propose, semble-t-il, le Gouvernement. Votre projet de loi doit donc prévoir la possibilité d’une organisation territoriale à géométrie variable. C’est vrai aussi pour l’intercommunalité, car en zone de montagne et en zone rurale, où l’habitat est dispersé, les territoires ne peuvent pas être aussi étendus géographiquement qu’en milieu urbain dense.

Troisième remarque : cette réforme ne doit pas être improvisée et parcellaire. Elle ne doit pas être un coup de communication d’un gouvernement qui cherche désespérément une réforme de structure. Il faut peut-être profiter de cette occasion pour tourner le dos aux systèmes compliqués de péréquation qui se sont empilés au fil des décennies.

Je prendrai trois exemples. D’abord, celui des services départementaux d’incendie et de secours qui sont financés par les départements et les communes et commandés par l’État. Qui commande doit payer. Et la sécurité civile est à l’évidence une affaire d’État.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Hervé Gaymard. Deuxième exemple, celui des allocations universelles pour les personnes âgées et les personnes handicapées, qui sont des prestations de Sécurité sociale. Elles ne doivent plus être financées, même partiellement, par le contribuable local mais par le contribuable national, car cela est source d’inégalités. Elles doivent donc être financées en totalité par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Hervé Gaymard. Troisième exemple, celui des hôpitaux. Les maires sont aujourd’hui présidents des conseils de surveillance des hôpitaux, comme ils étaient naguère présidents des conseils d’administration. C’est une fiction puisque le pouvoir est forcément d’État. D’ailleurs, nous ne remettons pas en cause le rôle de l’État dans la politique de santé publique. Il faudrait donc accorder le droit au fait et décider que les maires ne sont plus présidents du conseil de surveillance des hôpitaux.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Hervé Gaymard. Ce serait beaucoup plus clair pour le citoyen.

Ma dernière remarque consistera en une proposition simple. Premièrement, vous mettez en place le conseiller territorial, même si on le nomme différemment. C’est promis, on ne vous raillera pas de l’avoir supprimé toutes affaires cessantes dès le mois de juillet 2012.

Plusieurs députés du groupe UMP. N’allons pas plus loin !

M. Hervé Gaymard. Le découpage des nouveaux cantons ne pose pas problème puisqu’il est déjà dans les cartons du bureau des élections au ministère de l’intérieur. Il peut donc être fait très rapidement.

Deuxièmement, vous renforcez les compétences obligatoires des régions : elles deviennent autorités organisatrices de droit commun pour les transports non nationaux, comme c’est le cas dans l’avant-projet de loi qui a été transmis au Conseil d’État…

M. Charles de Courson. Défunt avant-projet de loi !

M. Hervé Gaymard. …e vois que vous m’avez écouté depuis le débat que nous avons eu l’année dernière – et elles assument la responsabilité des collèges pour être en charge du pôle éducation-emploi-formation.

Enfin, s’agissant des compétences facultatives, qui doivent être à géométrie variable selon les territoires, la bonne solution serait que les conseillers territoriaux décident, au début de leur mandat, du niveau le mieux approprié d’exercice de la compétence.

Une dernière supplique, madame la ministre : clarifiez rapidement le projet du Gouvernement ! Les fonctionnaires territoriaux sont dans l’attente et le désarroi.

M. Maurice Leroy et M. Philippe Vigier. C’est vrai !

M. Charles de Courson. Les banquiers aussi !

M. Hervé Gaymard. Les partenaires des conseils départementaux ne savent pas à quoi se vouer, notamment les communes. Là comme ailleurs, le pays est en panne. Or, quand les trois quarts des investissements civils sont réalisés par les collectivités territoriales, c’est l’économie qui souffre et donc le chômage qui augmente. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on parle beaucoup d’un texte sur la réforme territoriale. Or, ne vaudrait-il pas mieux revenir à ce terme, qui peut paraître un peu désuet aujourd’hui mais qui est révélateur des enjeux qui sont les nôtres, celui d’aménagement du territoire ? À l’aune des enjeux que sont la mondialisation, la compétitivité, le développement économique, la prospérité de nos entreprises, quel aménagement du territoire permettrait de requalifier notre tissu économique ?

Quand on demande aux nouveaux consommateurs des pays émergents, ceux qui gagnent 2 000 à 3 000 dollars au Brésil, en Chine ou ailleurs, et qui contribueront à la croissance dans les années à venir, quels pays les fascinent le plus et quels modèles de consommation les attirent le plus, ils citent toujours la France parmi les trois premiers pays. Le fait que nos territoires, notre culture, nos marques soient des éléments d’attractivité extrêmement forts pour nos contemporains aux quatre coins du monde est un signe très encourageant pour notre économie. Dès lors, on peut se demander comment revitaliser économiquement nos territoires, non pas en partant des économies à réaliser et d’un nouveau découpage administratif, mais en cherchant à leur donner le maximum de chances de réussir dans un monde qui a changé et qui est attiré par la plupart des avantages comparatifs que présentent tous nos territoires, qu’il s’agisse de nos territoires ruraux, côtiers, de montagne, agricoles ou urbains. Si l’on analyse le sujet sous cet angle, on pourra apprécier différemment les enjeux.

Si l’on pense que le défi consiste à requalifier les territoires pour leur redonner une chance dans la mondialisation, il faut définir d’emblée plusieurs critères fondamentaux. Parmi ceux-ci, on peut citer celui de l’aménagement de nos territoires par rapport à nos grands ports maritimes, dont ont parlé certains de nos collègues.

Nos grands ports maritimes constituent la grande voie d’accès au monde, par laquelle sortent et entrent les conteneurs – c’est ce que l’on appelle la massification ou la conteneurisation. Ces conteneurs marquent les chances ou la prospérité d’un territoire dans le monde.

Le premier critère d’une refonte de l’aménagement du territoire pourrait donc être celui du lien efficace qui unit chacun de nos territoires à l’hinterland d’un grand port maritime français. Veillera-t-on à ce que, quel que soit l’endroit où l’on se trouve en France, l’on soit, demain, à une distance acceptable d’un grand port maritime français, à l’instar de ce qui a été fait il y a quelques années avec les autoroutes dans le cadre de l’aménagement du territoire ? Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre pays compte sept grands ports maritimes, ce qui est une chance extraordinaire ! Peu de pays auraient l’audace de ne pas exploiter cet avantage comparatif.

Quand on essaie de redessiner la carte de France, on ne peut pas ignorer ce critère.

Un autre critère, très important pour l’avenir de nos entreprises, est celui du financement. Nous avons en France ce paradoxe extraordinaire d’avoir un taux d’épargne parmi les plus forts au monde puisqu’il est de 16 %, tout en ayant une incapacité chronique à orienter cette épargne vers nos PME et TPE, vers nos entreprises de taille intermédiaire. En effet, nos régions n’ont pas la taille suffisante pour rapatrier, territorialiser une ingénierie financière, créer des bourses régionales et l’ensemble des véhicules de financement qui pourraient profiter à nos entreprises mais aussi à nos collectivités pour financer, par le truchement d’outils obligataires, les infrastructures dont nous avons besoin pour notre développement. Là aussi, construisons nos territoires en tenant compte des tailles critiques nécessaires pour rapatrier des savoir-faire, notamment dans le domaine du financement !

Le dernier critère que j’aborderai concerne la gestion des flux. Actuellement, différents opérateurs, ferroviaires, autoroutiers, nous présentent des cartes de mobilité. Mais sur la base de quelle logique d’irrigation du territoire sont-elles établies ? N’est-il pas temps qu’un État stratège propose une stratégie territoriale adaptée à la mondialisation et aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ? Au-delà des découpages, au-delà des aménagements, l’État est-il capable de proposer réellement une vision stratégique de la carte de France pour adapter, pour plusieurs décennies, notre pays aux nouveaux enjeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Appéré.

Mme Nathalie Appéré. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son effort de redressement, notre pays a besoin de prendre appui sur des territoires forts qui soient véritablement capables de relever le défi de l’emploi. La réforme territoriale qui est voulue par le Président de la République et le Gouvernement doit s’enraciner dans cette conviction profonde. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles dont vous avez fait état, madame la ministre, a marqué de ce point de vue une première étape décisive. Nous voulons retenir de ce premier texte trois acquis fondamentaux qu’il convient non seulement de compléter mais aussi de conforter dans les futures étapes qui s’annoncent.

Premier acquis : la reconnaissance du fait urbain et l’affirmation des métropoles comme moteur de croissance et de solidarité. Ne caricaturons pas les métropoles en les opposant aux territoires ruraux ou périurbains. Les analyses économiques objectives démontrent au contraire que ces territoires contribuent largement à la solidarité régionale et nationale. Sur le plan des seuls transferts financiers, les métropoles reversent tout simplement bien plus qu’elles ne reçoivent, tout en contribuant à l’insertion des populations les plus fragiles par des politiques de solidarité affirmées.

Deuxième acquis : à travers la mise en œuvre des conférences territoriales de l’action publique, l’inscription dans notre droit, et sans doute pour la première fois, d’un principe de spécificité territoriale et la capacité donnée aux territoires de s’organiser au plus près des attentes et des besoins. L’unité de la République grandit par la reconnaissance des diversités territoriales.

Troisième acquis, désormais inscrit dans le code général des collectivités territoriales : la possibilité pour l’État de déléguer certaines de ses compétences à une collectivité ou à un EPCI qui en fait la demande. Voilà bien un outil dédié à la prise en compte des différents besoins exprimés, qui démontre par ailleurs, s’il le fallait encore, que la réforme de l’État est le corollaire indispensable d’une réforme territoriale aboutie.

M. Michel Piron. Très bien !

Mme Nathalie Appéré. Mes chers collègues, une seconde étape de la réforme territoriale s’annonce. Nous nous en réjouissons. Elle est à l’évidence attendue par tous, non seulement sur ces bancs, mais aussi et surtout par les Français.

Pour être à la hauteur de ce rendez-vous majeur, nous devons avoir pour seules et permanentes boussoles la lisibilité et l’efficacité de l’action publique. Ce qui se joue, ce n’est pas la place, le rôle ou la pérennité de tel ou tel élu, c’est bien notre capacité collective à organiser la solidarité entre les territoires, à accueillir les nouvelles populations, à leur offrir des emplois, à trouver les voies d’un développement harmonieux, et, surtout, à délivrer aux habitants les services auxquels ils aspirent.

À l’instar du renforcement des métropoles, la proposition avancée par le Premier ministre d’une nouvelle carte intercommunale sur la base des bassins de vie permettrait, je le crois, d’apporter une réponse pertinente aux besoins de services publics et d’égalité devant les services, en particulier dans les territoires ruraux.

Au-delà des découpages et des périmètres géographiques, et auparavant, il conviendra bien évidemment de prendre en compte la question des compétences des échelons territoriaux et, bien sûr, des moyens financiers dont ils disposent, sans lesquels il n’y a pas de réforme possible et aboutie.

Dans le nouvel ensemble qui va se dessiner, les régions sont appelées à jouer un rôle majeur. Nous nous en félicitons. La réforme territoriale constitue une occasion unique de former des régions plus fortes, plus puissantes, de nature à peser au sein d’une Europe des régions de plus de 500 millions d’habitants.

Tout en étant fortement attachée au respect des identités, à la valorisation, le cas échéant, dans certaines parties du territoire, des cultures, voire des langues régionales, je suis pour ma part convaincue que l’heure est plus que jamais à l’ouverture, au rassemblement des acteurs, des citoyens et des territoires, dans leur diversité, mais, surtout, autour de projets communs. Et les périmètres des régions doivent bien évidemment tenir compte des tailles critiques mais aussi de l’état des coopérations existantes, non pas uniquement entre les régions elles-mêmes mais aussi entre les différents territoires et les différents acteurs qui les constituent.

En renforçant le couple intercommunalités-région, restons attentifs aux compétences de solidarité sociale et territoriale aujourd’hui assumées par les départements en veillant, quelle que soit l’organisation retenue, qui pourra être différenciée selon les réalités des territoires, à ce qu’elles soient assurées dans la proximité et la clarté pour répondre aux besoins de protection des Français les plus fragiles.

Mes chers collègues, nous aurons dans les prochaines semaines de multiples occasions de débattre de la réforme territoriale. Puissions-nous, sur tous les bancs, y compris peut-être lors d’un Congrès que, pour ma part, j’appelle de mes vœux,…

M. Maurice Leroy. Chiche !

Mme Nathalie Appéré. …prendre nos responsabilités pour mener à son terme, au-delà des logiques partisanes, une réforme attendue, qui permettra à la France, à l’instar de ses voisins européens, de bénéficier d’une organisation territoriale claire et simplifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette réforme territoriale a l’air mal partie.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ne soyez pas de mauvaise humeur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis d’une parfaite bonne humeur, madame la ministre, mais je vous dis les choses telles que je les pense. Le chef de l’État a trouvé le meilleur moyen pour repousser les échéances électorales sans que cela se voie trop. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Il a pour cette raison engagé des réformes territoriales très ambitieuses sans avoir tout à fait l’assise politique et l’autorité pour le faire, ce que nous vérifierons dans les jours qui viennent, et il s’est placé tout seul dans une difficulté dont l’ensemble du pays pâtira, je pense, pour plusieurs raisons.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Mais non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes entrés de plain-pied dans un conflit entre les régionalistes et les départementalistes – ce qui est dommage parce que cette réforme territoriale mérite beaucoup mieux que cela – parce que nous semblons considérer comme acquise la transition que connaît notre histoire moderne, qui fait passer insensiblement la France du trépied de la Révolution française – communes, départements, État – à un trépied moderne : intercommunalités, régions, Europe.

Tout à l’heure, monsieur Dussopt, vous avez dit que les départements étaient pris en tenailles. Il faudrait pousser le raisonnement jusqu’au bout : dans cette nouvelle organisation, l’État aussi est pris en tenailles. En effet, dans l’Europe des régions, que Mme Appéré vient de mentionner, on se demande bien, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce que deviendra l’État, si bien que, paradoxalement, la première question que soulève ce débat sur la réforme territoriale, ce n’est pas tant celle du nombre de collectivités ou celle de leur rôle que celle du rôle qui sera demain dévolu à l’État dans une organisation quelle qu’elle soit et, éventuellement même, la manière de repenser les relations avec les collectivités.

Une seconde question fondamentale se pose, celle des libertés fondamentales dans les territoires. On a évoqué depuis le début de cette soirée l’accès aux droits sociaux. Un grand nombre d’entre nous, habitués à diriger des territoires ruraux, sont confrontés à la problématique des transports – Hervé Gaymard a parlé tout à l’heure des territoires de montagne et de leurs spécificités.

Au-delà, la question que nous devons poser est celle de savoir si, oui ou non, les territoires auront la capacité de s’organiser comme ils le souhaitent en termes de structures et de compétences. Seront-ils maîtres de leurs choix stratégiques ? Je pense ici aux relations qu’ils auront le droit ou pas d’établir entre les différents schémas de cohérence territoriale auxquels ils sont soumis. Nous avons débattu de ce sujet dans le cadre de la loi ALUR, ici même, il y a quelques semaines.

Le troisième élément, qu’a évoqué M. Fromentin, ce sont les équipements. Comment peut-on envisager une juste réforme des territoires sans leur donner les moyens d’exister, de se développer librement ? Il y a en général deux éléments : les transports et la couverture numérique. Partout où ils manquent, il est difficile d’imaginer une véritable liberté.

Outre ces deux points essentiels – sur lesquels j’attends avec une grande impatience les réponses du Gouvernement et le contenu du projet de loi que, monsieur le secrétaire d’État, vous allez certainement nous décrire tout à l’heure en répondant, j’imagine, aux orateurs –, il me semble que se posent des questions supplémentaires, que nous ne pouvons pas écarter.

Premièrement, sommes-nous prêts à repenser les relations entre l’État et les collectivités ? Un grand nombre d’entre nous ont eu maille à partir avec certains services, notamment à l’occasion d’un contrôle de légalité, parce qu’ils étaient confrontés à une interprétation divergente, pour le dire gentiment, des textes. Ces relations doivent donc être repensées. Je ne sais pas, madame la ministre, ce que compte faire le chef de l’État à ce sujet.

Deuxièmement, sommes-nous condamnés à envisager la France enfermée dans les frontières administratives actuelles – départements et régions – ou sommes-nous capables d’avoir l’ambition de considérer notre territoire comme une forme de carte blanche dans laquelle il y aurait des points d’ancrage ? Sur ce point, je partage l’avis de Mme la maire de Rennes, dont je comprends également l’origine de la pensée sur la question des métropoles et de leur maintien. Elles structurent, dans la loi, le territoire et il est difficile de faire sans elles. Mais, plutôt que de rester prisonniers d’une logique administrative qui consisterait à recombiner des frontières déjà définies, pour des raisons géographiques ou pour d’autres motifs un peu moins avouables, ne pourrait-on pas prendre en compte, outre les métropoles, les bassins de vie ?

La Révolution française avait d’ailleurs découpé le territoire à partir de ces bassins de vie. Certes, le critère retenu à l’époque – une journée de cheval – ferait sourire tout le monde aujourd’hui, si tant est qu’un grand nombre de personnes sachent encore monter à cheval, ce qui n’est pas certain. Mais, franchement, si nous regardions le territoire de cette manière, et M. Fromentin le disait à propos des ports, nous aurions une configuration du territoire très différente de la seule recombinaison des entités existantes que vous semblez nous proposer actuellement.

Si la réforme territoriale se limite à diminuer le nombre des départements, voire à les supprimer, pour diminuer en même temps le nombre des régions et les faire grossir, on sera passé à côté du sujet. D’ailleurs, l’inverse est vrai. Si l’on supprime les régions et qu’on fait grossir les départements, on sera passé également à côté du sujet.

Le problème est de savoir si l’on accepte que les bassins de vie président au redécoupage du territoire.

M. Paul Molac. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais, pour procéder à un tel découpage, madame la ministre, il faudrait du temps. Or, le chef de l’État n’a malheureusement pas voulu vous le donner. Nous ne sommes pas condamnés à rester prisonniers de cette malédiction administrative actuelle – je parle de carte et de frontières bien sûr, et pas d’autre chose.

Le vrai risque de cette réforme, en définitive, est que nous passions d’une centralisation à une autre et que, en inventant des régions plus grosses – ce qui est le vœu de certains, pas de tous d’ailleurs –, nous opérions une forme de décentralisation qui recentralise le pouvoir dans les régions si bien que les territoires s’en trouveraient largement oubliés. Selon moi, cette réforme s’engage mal, mais je ne doute pas qu’André Vallini a tous les éléments politiques et administratifs pour nous rassurer tout à l’heure. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme territoriale prévoyant la suppression des départements et la fusion des régions est une fois de plus la démonstration de la précipitation, de la confusion et de l’amateurisme du gouvernement socialiste.

Confusion la plus totale car l’action en ce domaine se caractérise depuis 2012 par une succession de positions et de textes contradictoires.

Ce projet va à l’encontre de l’engagement n° 54 du Président de la République, qui prévoyait, entre autres, de donner plus d’autonomie aux départements.

Le 5 octobre 2012, lors de la clôture des états généraux de la démocratie territoriale, François Hollande dénonçait lui-même les défauts majeurs de la suppression du département : « Des arguments en termes d’économie sont souvent avancés pour supprimer un échelon. Ils ne résistent pas à l’examen dès lors qu’il n’est pas question d’abolir les compétences que cette collectivité exerce. À part diminuer quelques dizaines d’élus, où est l’économie ? Quant à la simplification espérée, elle aboutirait à l’éloignement le plus souvent de nos concitoyens par rapport aux décisions prises sans effet sur l’efficacité même du service rendu ».

À Manuel Valls ensuite d’enfoncer le clou en déclarant au Sénat le 15 janvier 2013 : « Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. À ce titre, il conserve toute sa pertinence ».

Votre projet va aussi à l’encontre de la loi toute récente du 27 janvier 2014, qui fait du département le chef de file de solidarité des territoires et consacre son rôle dans plusieurs domaines.

Amateurisme, car on ne bouleverse pas intégralement l’organisation territoriale d’un pays en six mois sans risquer de mettre à mal le bon fonctionnement des services publics. Les Français n’ont pas voté en 2012 sur la base d’un projet de charcutage électoral.

La suppression du département nécessiterait une révision de l’article 72 de la Constitution. Selon la conception républicaine du Front national, une telle atteinte à la cohésion territoriale et sociale doit relever du vote par référendum. Vous pourrez mesurer à cette occasion la lucidité des Français, déjà exprimée lors du référendum alsacien.

Vous arguez d’une économie potentielle de 12 à 25 milliards d’euros, enfumage qui ne tient pas compte des coûts liés à la déstructuration des territoires. Cette estimation réalisée sur un coin de table est un mensonge, car l’essentiel de ces dépenses correspondent à des compétences obligatoires, donc très peu modulables à législation constante, à moins que vous ne prévoyiez le démantèlement des services publics locaux pour dégager de telles économies.

Personne n’est dupe évidemment de votre stratégie cherchant à repousser une nouvelle déroute électorale. Faisant d’une pierre deux coups, vous répondez directement à une recommandation du Conseil de l’Union européenne de 2013 sous prétexte d’austérité. M. Claudy Lebreton président de l’Assemblée des départements de France a lui-même déclaré : « Ce Big Bang n’est porté que par les seules demandes des grandes institutions financières et technocratiques européennes ».

Notre pays doit rester indépendant et se doter d’institutions qui correspondent à son identité, à son intérêt et à son projet de développement. Votre fascination pour l’Allemagne vous pousse à singer le modèle régional des Länder.

La vérité est que vous satisfaites là le dessein final d’une Europe fédérale des régions, cherchant à tout prix la disparition de la nation au profit d’une organisation intercommunalité-région-Union européenne.

Demain, l’échelon national, vidé de sa substance politique par des transferts de souveraineté successifs vers le haut et vers le bas, sera définitivement achevé par le risque de dislocation de ses frontières suite à la potentielle fusion de territoires transnationaux, comme par exemple les Pyrénées-orientales avec la Catalogne.

La Cour des comptes doit éclairer le débat public sur la marge réelle d’économies réalisables. En effet, cette réforme aurait de graves impacts sur la population, l’activité économique, les services publics et l’emploi.

Ces super-régions seront polarisées sur le devenir de la métropole chef-lieu et des grands centres urbains, au détriment de l’équilibre avec les territoires ruraux ou périphériques. Évidemment, cela aboutira au transfert vers les grandes métropoles de la majorité des emplois des anciens départements. On peut estimer à près de 250 000 agents, soit 800 000 personnes avec leurs familles, l’ampleur des déplacements de population.

De plus, il est évident que l’essentiel des services de l’État au niveau départemental seront largement regroupés au niveau régional. Après la désindustrialisation, la crise agricole, la fermeture de sites militaires, ce serait un nouveau traumatisme pour la grande majorité de nos territoires.

Le mille-feuille territorial doit être réformé selon un modèle radicalement différent. La commune, lieu essentiel d’exercice de la démocratie locale, doit être préservée. Le développement anarchique, opaque et coûteux des intercommunalités doit nous conduire à assainir ce maquis, en nous reposant davantage sur le département. À cheval entre ville et campagne tout en demeurant à taille humaine, le département doit devenir l’échelon privilégié de prise en charge des questions intercommunales, y compris dans les grandes agglomérations.

Les départements doivent non seulement être confortés dans leur rôle de garant des solidarités territoriales et sociales mais aussi se voir attribuer une partie des compétences confiées aujourd’hui aux régions, comme la gestion des lycées et la santé, pour les exercer en synergie avec celles qu’ils détiennent déjà. Le dépouillement des départements par les métropoles doit être abandonné pour sauvegarder la cohérence des services publics et éviter le divorce entre les principales agglomérations et le reste du territoire.

Les régions deviendraient des établissements publics de coopération interdépartementale, administrés par une partie des conseillers territoriaux représentant les départements. Ce repositionnement comme émanation des départements permettra de garantir la complémentarité et la synergie des actions de ces deux niveaux de collectivité. Les actuelles attributions des régions en matière de développement économique et d’organisation des transports reviendraient à l’État, qui pourrait impulser des stratégies de développement.

Commune, département, État nation, tel est le modèle qui nous sépare et qui nous opposera lors de l’examen de cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UDI est favorable à une mutation en profondeur de notre organisation territoriale. En effet, il s’agit là d’une des grandes réformes structurelles nécessaires au redressement de notre pays. Cependant, pour réussir une telle réforme, il ne faut pas simplement réformer l’organisation territoriale, dont les axes ont été exposés par nos collègues Michel Piron et Jean-Christophe Fromantin, et le seront tout à l’heure par Maurice Leroy, mais aussi réformer le financement des collectivités territoriales.

La situation actuelle est claire : on constate une perte quasi-totale de l’autonomie fiscale des départements et des régions.

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Charles de Courson. Pour les départements, les conseils généraux ne fixent plus que le taux de l’impôt sur le foncier bâti, soit moins de 15 % de l’ensemble de leurs dépenses. Quant aux régions, elles ne fixent plus que le taux de la taxe sur les cartes grises, dont le produit fut de 2,1 milliards en 2013, c’est-à-dire à peu près 7 % de leurs dépenses totales. Par contre, le secteur communal, et ce, il faut le rappeler, grâce à la commission des finances lors de la réforme de la taxe professionnelle, conserve une autonomie fiscale significative, avec la maîtrise d’une fiscalité représentant plus du tiers de ses dépenses.

Deuxième constat : notre fiscalité locale est devenue bien trop opaque, complexe et injuste pour nombre de nos concitoyens et d’élus. Elle ne permet plus au citoyen de savoir au bénéfice de qui vont ses impôts et ce qu’ils financent. Cette fiscalité est devenue archaïque puisqu’elle remonte, dans ses fondements, au dix-neuvième siècle, et ses assiettes, pour certaines d’entre elles, à quarante, voire cinquante ans.

La réforme du financement des collectivités territoriales doit s’articuler autour de quatre principes.

Premièrement, pour réussir une réforme territoriale ambitieuse, il est nécessaire d’accroître non pas l’autonomie financière des collectivités territoriales mais leur autonomie fiscale. Pour cela, il faut des impôts locaux dont les bases soient territorialisées et les taux fixés par les organes délibérants. Il est également nécessaire que les collectivités territoriales bénéficient d’une vraie autonomie fiscale, c’est-à-dire d’impôts dont les produits représentent une part significative de leurs budgets.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Charles de Courson. Deuxièmement, il est nécessaire de trouver un juste équilibre entre les impôts pesant sur les ménages, qui votent, et ceux pesant sur les entreprises, qui votent mais avec leurs pieds.

Troisièmement, la spécialisation de l’impôt par niveau de collectivité devrait permettre au citoyen d’exercer un contrôle sur la bonne utilisation des deniers publics, afin d’avoir des impôts les plus démocratiques possible.

M. Jean Launay. C’est un vieux rêve !

M. Charles de Courson. Quatrièmement, la réussite d’une telle réforme ne pourra se faire sans des impôts eurocompatibles. Or, aujourd’hui, de très nombreux impôts en France, tels que la TVA ou l’impôt sur les sociétés, de même que l’essentiel de la TIPP et des impôts sur l’énergie ou les télécommunications, ne le sont pas.

Ces quatre principes que je viens d’exposer – accroissement de l’autonomie fiscale des collectivités, juste équilibre entre les impôts pesant sur les ménages et ceux pesant sur les entreprises, impôt démocratique et eurocompatibilité des impôts – trouvent leur déclinaison dans les futurs blocs communaux et blocs région-département.

Le financement du bloc communal devrait être assuré par le versement à hauteur de 100 % des recettes perçues sur les ménages en matière de taxe d’habitation, ce qui est déjà le cas, et de 100 % des recettes perçues sur la taxe sur le foncier bâti acquitté par les ménages – puisque cette taxe assez bizarre est acquittée tant par les ménages que par les entreprises. La participation des entreprises au financement des collectivités du bloc communal, communes et intercommunalités, se ferait par les recettes issues d’une fusion entre la cotisation foncière des entreprises et la part de la taxe sur le foncier bâti payée par les entreprises.

Concernant le financement du bloc région-département, la participation des ménages proviendrait, d’une part, des recettes de CSG, avec une possibilité, encadrée, de modulation du taux par les assemblées régionales en contrepartie d’une baisse de la dotation globale à juste concurrence, et de la mise en place d’un système de péréquation très simple fondé sur l’assiette par habitant. Ceux qui sont au-dessus contribueront au fonds national et ceux au-dessous bénéficieront du taux national. Les entreprises, quant à elles, participeraient au financement du couple région-département par la cotisation existante sur la valeur ajoutée des entreprises, quitte à en augmenter la part par rapport à celle qui resterait au bloc communal.

Pour conclure, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, il faut choisir. Il faut choisir entre Margaret Thatcher et Alexis de Tocqueville. Il faut que vous nous expliquiez votre position, votre philosophie et votre cohérence. Ces trente dernières années, les gouvernements de toute sensibilité ont choisi Margaret Thatcher, le ministère des finances a gagné et il continue de se battre pour que Margaret Thatcher gagne définitivement. Êtes-vous du côté d’Alexis de Tocqueville ou de Margaret Thatcher ? Au groupe UDI, nous avons choisi notre camp : c’est celui d’Alexis de Tocqueville. Mais pour cela il faut avoir une philosophie politique. À l’UDI, elle est très claire. Alors que les gouvernements n’ont eu de cesse de choisir Margaret Thatcher, entraînant le dépérissement de la démocratie locale et la crise financière des collectivités locales, nous espérons que, comme nous, vous ferez le choix d’Alexis de Tocqueville. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais, prolongeant la réflexion d’Olivier Dussopt et de Nathalie Appéré, centrer ce soir ma réflexion sur les enjeux de la région capitale. Vous la fréquentez, certains parce qu’ils en sont les élus, d’autres parce qu’ils ont eu des parcours de vie qui la leur ont fait connaître et apprécier, tous au moins parce qu’ils y viennent exercer leur mandat.

Cette région capitale, c’est la terre des paroxysmes : l’ombre et la lumière, les plus grandes souffrances et les plus grandes richesses, le logement scandaleusement manquant, le travail effectué dans les départements où l’on n’habite pas, des terres de déséquilibre, des inégalités, une situation dans certains territoires qui relève déjà proprement du sous-développement. Tous les efforts, de toutes les collectivités, quelles qu’elles soient, n’ont pas remédié à cette situation.

Je me félicite que la démarche du Gouvernement ait été de prolonger les réflexions conduites à l’initiative de Bertrand Delanoë en 2002 pour examiner l’hypothèse de l’enjeu métropolitain dans notre région capitale. Le texte sur la métropole du Grand Paris, qui a accompagné d’autres stratégies, et je veux les citer, notamment celle du réseau du Grand Paris, initiée par le précédent gouvernement et ses différents ministres de la ville, ont conduit à cette révélation impérieuse : ce territoire a besoin d’une gouvernance. Il a besoin d’une gouvernance pour conduire des actions publiques cohérentes qui répondent au système qu’il faut construire. C’est tout l’enjeu.

Madame la ministre, le dispositif de l’article 12 de la loi, nous sommes en train de le mettre en place. Peu de gens en parlent, et pourtant cette mission de préfiguration est en train d’être installée, dans un partenariat entre les élus du syndicat de Paris Métropole, vos services et vous-même, et le Gouvernement. Je n’ai pas dit que c’était simple mais nous sommes en train d’engager la démarche qui nous permettra de construire un instrument de gouvernance. La mission de préfiguration, qui doit visiter la méthode, les compétences, les moyens, c’est une manière de prolonger la construction de la métropole.

Je veux indiquer plusieurs points importants. Vous avez, madame la ministre, bien réagi aux interrogations et aux doutes des élus de ce territoire, qui suspectent toujours le Gouvernement. Vous avez bien réagi en discutant notamment des termes du décret de constitution de la mission de préfiguration. Je n’avais jamais vu cela, et j’attendais l’occasion de le dire à la tribune. Le Gouvernement a discuté avec les élus du contenu du décret, et il a bien fait.

Il y a des interrogations. Je les résume, pour achever mon propos.

La première porte sur l’instrument que sont les conseils de territoire. Cet instrument a été au cœur du débat. Que faisons-nous de « l’entre-communes » s’il n’y a plus, demain, de départements dans le territoire métropolitain ? S’il y a des communes et s’il y a la métropole du Grand Paris, il est nécessaire que ce qui a été construit par les communes s’inscrive dans des compétences réelles, soient une réalité juridique. C’est ce que je me suis permis d’appeler « l’entre-communes ». C’est l’enjeu du premier débat. Il faut que le texte visite la question de la structure juridique des conseils de territoire.

La seconde question – et elle n’est pas négligeable – est celle de savoir, dans cette mission de préfiguration, qui avec qui ? Il ne faut pas que les riches continuent de rester avec les riches. Il ne faut pas que les territoires délaissés, que personne n’a voulu intégrer dans les intercommunalités, restent à l’écart. Il convient donc que l’État serve l’intelligence des élus, et il peut y avoir connivence entre l’État et l’intelligence des élus pour que, demain, le territoire soit un territoire d’équilibre.

Enfin, se pose la question des moyens, nerf de la guerre, qui sont sous-jacents à beaucoup d’interventions. Peut-on imaginer des conseils de territoire démunis d’instruments financiers ? C’est la question que nous posons. Nous n’y apportons pas de réponse dans ce débat, mais il faudra le faire dans le cadre de la préfiguration.

Madame la ministre, j’ai toujours cru à la métropole. Depuis des décennies, beaucoup d’élus y croient. Aujourd’hui, nous sommes au pied du mur, mais nous avons les instruments pour franchir ce mur, et c’est pourquoi l’enjeu métropolitain est sans nul doute pour la région capitale l’enjeu le plus important. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la réforme territoriale annoncée par Manuel Valls et François Hollande le mois dernier. Il est important de préciser la date pour savoir de quelle réforme territoriale nous parlons, car sur ce sujet, François Hollande a montré la plus grande inconstance depuis deux ans. Hervé Gaymard a dit tout à l’heure ne pas vouloir faire preuve de cruauté, en ne rappelant pas le détail de cette inconstance, mais je crois que la gravité du sujet mérite que nous partagions ce constat.

Inconstance, tout d’abord, en s’empressant, à peine arrivé au pouvoir, de supprimer le conseiller territorial…

M. Maurice Leroy. Mais oui, hélas !

M. Olivier Marleix. …qui avait le mérite d’enclencher le rapprochement des régions et des départements et de réduire significativement le nombre d’élus locaux – c’étaient environ 2 000 conseillers régionaux qui disparaissaient sous cette forme. Pourtant, la réforme que l’on nous annonce aujourd’hui poursuivra également ces objectifs, mais par pur dogmatisme il fallait défaire inutilement ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy. Ensuite, la clause générale de compétences, supprimée en 2010 par la précédente majorité, a subi le même sort, ce qui laisse pantois : rétablie en fanfare en janvier pour accomplir une promesse électorale, elle est à nouveau menacée, M. Hollande redécouvrant au mois de mars la nécessité de la supprimer.

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Olivier Marleix. Quelle constance dans le projet politique ! Enfin, l’étrange binôme homme-femme, que vous nous avez fait adopter pour remplacer le conseiller territorial, semble déjà caduc, moins d’un an après son adoption, puisque vous nous annoncez la suppression des départements. Et je ne parle pas, madame la ministre, des deux projets de loi qui portent votre nom et qui croupissent toujours, un an plus tard, sur le bureau du Sénat.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ce n’est pas vrai !

M. Olivier Marleix. Inconstance enfin, quand M. Hollande déclare en janvier dernier devant les Corréziens que les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale et la solidarité territoriale et qu’il n’est donc pas favorable à leur suppression, pour finalement l’annoncer trois mois plus tard, à l’horizon de 2021 d’abord, puis dès 2016. Même les dates sont floues ! Il y a de quoi s’interroger sur la valeur de la parole présidentielle. Tous ces revirements et ces errements ont fait perdre du temps au Parlement, mais surtout – et c’est plus grave – à la France. Alors que cette réforme est présentée comme un moyen de redresser le pays, elle relève en réalité pour partie d’une opération d’enfumage…

M. Hervé Gaymard. Bien sûr !

M. Olivier Marleix. …et pour partie d’un calcul électoraliste. C’est la première fois que l’on entend l’annonce d’un report d’élections locales sans que cela soit justifié par l’encombrement du calendrier électoral, mais simplement par un projet de réforme.

Au-delà de ces manœuvres politiciennes, sur le fond, vous annoncez une grande réforme que – vous le savez pertinemment – vous n’avez pas les moyens de mener jusqu’au bout. Allez-vous proposer une modification de la Constitution pour supprimer le département ? Cela ne pourrait se faire par le Congrès, où vous n’auriez pas de majorité, et encore moins par référendum, puisque l’impopularité du pouvoir condamnerait d’entrée de jeu toute initiative. Vous allez proposer une réforme qui tiendra sans doute en deux volets : un transfert de compétences massif des départements vers les régions pour vider ceux-ci de leur substance à défaut de les supprimer ; une réforme électorale consistant, selon la version de la semaine dernière, à introduire de la proportionnelle au niveau des départements, pour l’élection de ce qui resterait des conseillers départementaux. C’est du moins l’une des pistes que le Président de la République a paraît-il présentée à l’ADF il y a quelques jours. La quasi disparition des départements et des cantons marquera la fin de la représentation politique du monde rural.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. Olivier Marleix. La gauche n’a jamais aimé dans son histoire le monde rural ; elle lui a menti habilement, en sachant trouver les mots pour gagner l’élection présidentielle de 2012, mais cette fois la réalité politique ne peut plus être dissimulée.

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est vrai qu’en termes de mensonge, vous vous y connaissez, monsieur Marleix !

M. Olivier Marleix. Pourtant, ruraux ou urbains, les Français ont plus que jamais besoin de proximité, c’est-à-dire d’un accès facile à des politiques vraiment responsables. C’est cette proximité qui fait du maire l’élu le plus apprécié. Vous, vous allez faire disparaître cette proximité. Le pouvoir a pourtant toujours été proche dans notre pays, avant même la décentralisation, à travers les préfets – c’est la fameuse journée de cheval – et aujourd’hui, vous proposez de l’éloigner dans de très lointaines capitales régionales. La suppression des départements et l’agrandissement des régions me semblent deux objectifs parfaitement inconciliables ou tout du moins contradictoires. Vous allez inventer un système qui éloigne le pouvoir, un système qui favorise le règne des partis et qui méprise le lien avec le citoyen : bref, tout le contraire de ce dont la France a besoin. Avez-vous d’ailleurs remarqué qu’en élisant les assemblées départementales au scrutin proportionnel, comme semblait l’annoncer votre projet de la semaine dernière, avec une prime majoritaire, et en appliquant les résultats de ce dimanche, ce sont environ soixante-dix départements qui seraient présidés par le Front national ? Belle réforme !

Ces inquiétudes, monsieur le secrétaire d’État, madame la ministre, sont partagées jusque dans vos rangs. Le président du groupe PS au Sénat a lui-même reconnu qu’il était impossible de supprimer le conseil général en milieu rural. De grâce, prenez le temps de réfléchir à cette réforme ! Selon les rumeurs, qui disent tout et son contraire, les élections locales auraient lieu en septembre 2015, ce qui signifierait que la réforme soit votée un an avant et que le mode de scrutin soit stabilisé pendant un an. Allez-vous faire croire à la représentation nationale que vous allez, en l’espace de trois mois de temps parlementaire, réformer une carte de France qui s’est construite au cours des siècles ? Ce projet me paraît totalement dément et il supposerait une procédure d’adoption en urgence. Voici ma seule question : pouvez-vous nous garantir qu’une telle réforme ne serait évidemment pas adoptée dans le cadre de la procédure d’urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch.

Mme Sophie Rohfritsch. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la réforme institutionnelle que vous élaborez dans le quasi secret des alcôves élyséennes et ministérielles (Sourires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dans les alcôves ?

Mme Sophie Rohfritsch. …’annonce, avant même sa présentation au Conseil des ministres, incomplète. Comment envisager qu’une transformation des régions accompagnée de la disparition pure et simple des départements puissent à elles seules suffire à réformer en profondeur les institutions vieillissantes de notre pays ? Quelle est la stratégie envisagée ? Ou plutôt y a-t-il une stratégie ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Oui, très clairement !

Mme Sophie Rohfritsch. On n’entend en effet rien au sujet du rôle de l’État et de l’indispensable redéfinition de ses fonctions, face à des régions dont le rôle sera probablement renforcé. Plus clairement, allons-nous définitivement vers un État fédéral ?

M. Paul Molac. Hélas non !

Mme Sophie Rohfritsch. « Hélas non », dit-on sur ma gauche, et peut-être ailleurs. On est également très peu informés au sujet des compétences qui reviendraient aux nouvelles régions dont il semble surtout, et d’ailleurs quasi exclusivement, qu’il vous importe d’en redessiner les contours. Pas grand-chose non plus au sujet des élus, de leur statut ou des règles électorales, si ce n’est le plaisir, en entendant le Premier ministre lui-même critiquer l’improbable binôme départemental que vous avez créé, de vous voir indirectement reconnaître la pertinence du conseiller territorial que vous vous êtes pourtant empressés de faire disparaître à votre arrivée aux affaires.

Nos très chères 36 000 communes et les nouvelles métropoles en instance de création ne sont, quant à elles, pas non plus placées clairement sur le nouvel échiquier national. Où sera le pouvoir ? Et surtout, où seront les financements ? Enfin, le silence est absolu au sujet de ce qui commence pourtant à dessiner efficacement de nouveaux territoires économiques performants, à savoir les pôles de compétitivité, ceux qui sont les plus efficaces et qui ont concentré vers eux la plupart des investissements importants dans le cadre du programme investissements d’avenir ou de différents programmes venus équiper les centres de recherche et les nouveaux pôles universitaires. Tous ces investissements commencent aujourd’hui à porter leurs fruits et nos concitoyens attendent surtout une réforme institutionnelle qui soutienne une nouvelle performance économique.

À l’heure où ils souffrent de tous les maux qu’une société inadaptée à son temps peut leur infliger, à l’heure où notre pays se transforme inexorablement en musée à ciel ouvert et que les perspectives sont vraiment mornes, il vous était demandé tout simplement de renverser la table et de proposer une réforme institutionnelle complète qui offre l’occasion à l’État de se réformer, aux collectivités territoriales de devenir efficaces et pertinentes et qui reconnaisse les performances économiques des territoires. Notre pays est le plus beau qui soit, il est tout à fait capable de se transformer et les Français y sont prêts. Mais ils ne comprennent que ce qui a du sens, ce qui leur garantit l’efficacité des services publics de proximité dont ils ont besoin et qui les emmène loin dans une stratégie volontaire et ambitieuse. Ils ne supportent plus l’à peu près ni le tripatouillage électoral que vous leur proposez. Une fois de plus, ils seront déçus. D’ailleurs, vous le savez puisque vous ne comptez pas les interroger au sujet de votre réforme. Vous savez que seules les réformes d’ampleur sont propices au référendum, mais, comme il n’est question ici, dans ce que vous nous proposez, que de redécoupage ou de déplacements d’échéances électorales que vous redoutez, les Français ont d’ores et déjà compris qu’il n’y a dans vos propositions ni vision, ni stratégie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Olivier Dussopt. Une analyse en finesse !

M. le président. La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, enfin ! Enfin la réforme territoriale ! Souhaitons qu’elle voie le jour et surtout qu’elle soit menée jusqu’à son terme. Depuis plusieurs années, je me bats pour une simplification de la lasagne territoriale. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Chacun ses spécialités culinaires. (Sourires.)

M. Hervé Gaymard. Elle est bonne dans le Loir-et-Cher !

M. Maurice Leroy. Bien sûr, je pourrais ironiser sur les mots que Manuel Valls prononçait en janvier 2013 pour défendre « le département comme un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence qui, à ce titre, conserve toute sa pertinence ». Je pourrais m’étonner – vous y avez fait référence avec beaucoup d’élégance, madame la ministre – du grand revirement de François Hollande qui, le 18 janvier dernier, il y a quatre mois, quatre mois seulement, mes chers collègues,…

M. Hervé Gaymard. Quatre mois !

M. Maurice Leroy. …lors de ses vœux à Tulle, certifiait que « les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale » et qu’il n’était donc « pas favorable à leur suppression pure et simple ».

M. Philippe Vigier. C’est du Hollande tout craché !

M. Maurice Leroy. De la même manière, il y aurait de quoi s’étonner de la vraie fausse suppression de la clause de compétence générale ou du calendrier à géométrie variable de la réforme. N’ajoutons pas le sarcasme à la confusion !

M. Philippe Vigier. Oh non !

M. Maurice Leroy. Disons plutôt oui à la réorganisation territoriale, oui au changement de taille des régions – un changement raisonné qui s’appuie sur les bassins de vie et les réalités –, oui à la simplification et à la meilleure répartition des compétences entre les collectivités locales. Les objectifs d’une telle réforme doivent être clairs : plus d’efficacité pour nos collectivités ; plus de visibilité pour nos concitoyens ; plus d’économies pour notre pays.

L’efficacité, tout d’abord, passe par une répartition des compétences juste et cohérente entre nos collectivités. Nous ne pouvons plus tolérer de voir certaines compétences diluées par la multiplication des acteurs. Par exemple, dans le domaine de l’économie se superposent jusqu’à quatre guichets différents, entre la région, le conseil général, la communauté de communes ou d’agglomérations et les chambres consulaires. Et sans compter les agences de développement ! Que de gaspillages et de doublons inutiles ! La visibilité est un facteur d’amélioration majeure. Les Français réclament de comprendre, d’identifier et de connaître leurs institutions et les élus qui les représentent. Sur ce point, comme ailleurs, refusons le dogmatisme ! S’il est vrai que le conseiller général a largement perdu sa visibilité dans les villes, il reste un référent de proximité dans les territoires ruraux et garde, à ce titre, sa place et son utilité. Réfléchissons donc, madame la ministre, monsieur le ministre, à une évolution pertinente de son statut.

Plus d’économies enfin, c’est un usage optimisé de l’argent public. Les collectivités doivent, par des solutions pratiques et innovantes, travailler à plus d’efficacité.

C’est ce que nous faisons dans les conseils généraux de Loir-et-Cher, d’Eure-et-Loire – n’est-ce pas, chers Olivier Marleix et Philippe Vigier ? – et du Loiret, qui ont lancé un grand chantier de mutualisation il y a plus d’un an. Voilà un bon exemple !

Pour répondre aux objectifs de la réforme, les solutions sont connues. Il est urgent de les appliquer, nous n’avons plus les moyens de reculer !

Le chantier majeur porte sur la clarification et la rationalisation des compétences entre les collectivités. Traquons les doublons économiquement désastreux ; agissons avec bon sens et pragmatisme. L’économie, les transports, les collèges doivent revenir aux régions. C’est une évidence. De même, transférer une partie de l’action sociale vers les communautés de communes ou d’agglomération s’impose. Autre exemple : la gestion du RSA et de l’ASE, mission des conseils généraux, devrait être reprise entièrement par les caisses d’allocation familiale.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Maurice Leroy. Tout cela aboutira à terme, c’est un président de conseil général qui vous le dit, à la suppression logique des conseils généraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Michel Piron. Très bien !

M. Maurice Leroy. La France et les Français y sont prêts ! Une fois encore, je me refuse à la défense corporatiste de mon fauteuil de président de conseil général. J’observe malheureusement une Assemblée des départements de France frileuse, obsédée par son maintien. Si les conseils généraux, surtout ruraux, ont un rôle à jouer par les services de proximité et le maintien du lien social qu’ils assurent, il faut trouver un moyen pour conserver ce lien.

Je conclus par les régions : elles doivent s’agrandir mais, là aussi, pas de façon autoritaire et jacobine, par décision d’en haut : il faut tenir compte des bassins de vie. Nous avons besoin du poids des régions dans l’équilibre national et européen. Elles sont facteurs de dynamisme, d’innovation, de fluidité. Doit-on pour autant imposer une taille, un nombre d’habitants, des frontières rigides ?

M. Philippe Vigier. Bonne question !

M. Maurice Leroy. Le groupe UDI est favorable à la réforme des collectivités. J’avais déjà approuvé celle du conseiller territorial. Mes chers collègues socialistes, je vous ai beaucoup entendus et dans une certaine mesure apprécié – j’ai applaudi quelques-uns d’entre vous –, et je pense que bientôt vous allez aimer le « territorial conseiller », comme vous allez sans doute l’appeler – tout cela finira ainsi (Sourires sur divers bancs) –, comme vous allez aimer le conseiller territorial de Nicolas Sarkozy ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et écologiste.)

M. Philippe Vigier. Très bien ! Et avec de l’humour en plus !

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’ai ce soir cinq minutes pour parler d’un sujet qui pourrait prendre des heures, je me limiterai donc à deux points.

M. Michel Piron. On y reviendra !

M. Laurent Furst. Je ne suis ni hostile à l’adaptation du périmètre de certaines régions ni défavorable aux transferts de certaines compétences des départements vers les régions, notamment pour créer des blocs de compétences homogènes en matière d’éducation, de culture, d’économie et de transport. Parallèlement, l’idée de redécouper certaines intercommunalités lorsqu’elles ne sont pas pertinentes ne me choque pas si cela ne se fait pas selon des critères technocratiques ou idéologiques.

En revanche, l’idée d’un big bang territorial où disparaîtrait le département et au terme duquel l’on regrouperait arbitrairement des régions me semble ubuesque. J’ai l’impression que le projet évoqué est un projet pensé pour l’Île-de-France et que l’on va chercher à imposer à toute la France.

Mme Estelle Grelier. Mais non !

M. Laurent Furst. Le premier point que je vais développer est celui des économies idéalisées, monsieur le secrétaire d’État. Il règne une idée, je vous l’accorde très répandue, qui suppose qu’en mettant en œuvre un vaste mécano institutionnel, on pourrait faire des économies substantielles. Cela est faux et j’affirme ici que le regroupement de collectivités renforcera la technocratisation des pouvoirs publics locaux, concourra à la création d’échelons intermédiaires dans les administrations…

Mme Claudine Schmid. Eh oui !

M. Laurent Furst. …et engendrera l’alignement des statuts des personnels sur le plus avantageux des collectivités fusionnées. Bref, non seulement les économies sont improbables, mais nous irons vers des dépenses nouvelles.

Juste un mot pour expliquer pourquoi les dépenses des collectivités ont augmenté depuis vingt ou trente ans. Trois raisons sont à mettre en exergue : la première réside dans les transferts de compétences de l’État, notamment les compétences inflationnistes du champ social, principalement à la charge du département ; la deuxième source d’augmentation est à trouver dans l’évolution de notre société qui a poussé les communes et les intercommunalités à créer de nombreux nouveaux services à la population – piscines, périscolaire, médiathèques, pistes cyclables, actions d’animation –, soit autant de dépenses nouvelles exigées par nos concitoyens ; la troisième explication se cache derrière l’envolée de l’addition réglementaire française dont le coût est incroyablement élevé. En effet, exploiter une piscine, une aire de jeux, faire fonctionner des ascenseurs, animer en périscolaire tout en étant en conformité avec l’ensemble des contrôles normatifs, mais aussi notamment en matière d’eau, d’assainissement ou de déchets, a littéralement fait exploser le coût de gestion de nos collectivités, sans même parler des nouveaux rythmes scolaires, qui vont mécaniquement engendrer des dépenses nouvelles.

Mme Claudine Schmid. Un milliard d’euros !

M. Laurent Furst. Jouer au mécano institutionnel ne fera pas baisser les charges des collectivités car il y aura toujours autant de règles, de normes, de personnes âgées (Murmures sur les bancs des groupes SRC et écologiste), de routes, de collèges et de lycées, de dossiers de RSA et bien évidemment de besoins en formation professionnelle. Si économies il doit y avoir, elles se limiteront à une réduction du nombre d’élus, au demeurant très peu rémunérés, et à une réduction des administrations centrales, hypothèse à laquelle je ne crois pas.

Madame la ministre, si vous voulez faire des économies, permettez-moi de vous soumettre une idée : celle d’un Grenelle de la simplification réglementaire, de la simplification administrative.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ça a déjà été fait !

M. Laurent Furst. Les élus de notre pays ont beaucoup à dire sur ce sujet.

Le second point que je vais évoquer concerne nos régions. La France est multiple, tantôt départementaliste, tantôt régionaliste. Mais il y a un élément qui reste central : celui des identités régionales. Les Savoyards sont fiers de l’être,…

M. Hervé Gaymard. Oui !

M. Laurent Furst. …les Corses sont corses, et les Bretons, les Normands, les Alsaciens ne sont pas que des fictions de l’histoire ; ce sont des réalités d’aujourd’hui.

M. Germinal Peiro. Les Basques aussi !

M. Charles de Courson. Les Picards ! Les Champenois !

M. Maurice Leroy. À la buvette ! Champagne pour tout le monde ! (Sourires.)

M. Laurent Furst. Nos concitoyens de Bourgogne, de Franche-Comté, de Lorraine, de Picardie sont attachés à leur région. Dans beaucoup de régions de France vit encore une identité régionale constitutive de l’identité de France. Ces identités sont une richesse. Pour vivre et survivre, elles ont besoin d’un cadre institutionnel. Sachez qu’au travers de la réforme que vous envisagez, vous risquez de créer des blessures profondes et de lever le vent d’une colère que vous n’imaginez même pas.

Enfin, la réforme telle qu’elle est évoquée aujourd’hui peut à la limite être adoptée par une majorité en souffrance, mais elle ne survivra pas à une alternance politique. Je crois donc qu’il serait temps pour la France d’arrêter ces jeux destructeurs. La France n’appartient à personne, sinon à son peuple ! Pour un sujet de cette dimension, de cette importance, prenons le temps d’ouvrir des débats, de demander dans nos régions et dans nos départements ce qui serait acceptable pour les uns et les autres, en disant clairement qu’évoluer est nécessaire. Pour une fois, essayons de trouver un axe commun pour sortir du conservatisme et de la situation existante mais sans blesser, sans froisser, uniquement pour construire un avenir institutionnel partagé par le plus grand nombre.

Madame la ministre, sans être cruel, permettez-moi de vous dire droit dans les yeux : quand on représente 14 % du peuple de France, on ne détruit pas les régions de France. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Nathalie Appéré. N’importe quoi !

Mme Émilienne Poumirol. Et quand on a fait 20 % ? !

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.

M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est un débat dense, voire intense, et même si beaucoup de choses ont déjà été dites, permettez-moi d’insister sur plusieurs points importants à l’heure où nous vivons une crise politique majeure. Un gouvernement affaibli a-t-il encore le crédit nécessaire pour conduire un tel bouleversement de la carte territoriale et administrative française ? Nous ne connaissons même pas les règles du jeu, n’avons pas de dates fixes pour les prochains scrutins locaux, pas de calendrier… Nous traversons un épais brouillard dans lequel la démocratie doit se frayer un chemin. Nous sommes dans le grand flou et « quand il y a un flou, il y a un loup », disait Mme la maire de Lille. À chaque jour son découpage.

Je termine le tour de France : nous allons passer de l’est à l’ouest. La semaine dernière, une alliance de circonstance était annoncée entre les présidents des régions Poitou-Charentes et Pays-de-la-Loire. Aujourd’hui, le président de la région Pays-de-la-Loire parle dans la presse régionale de convergence avec la Bretagne, désormais objectif prioritaire. C’est ce qu’il aurait plaidé hier auprès du Président de la République, alors qu’à Paris, on réfléchissait encore récemment à une fusion Pays-de-la-Loire et Centre. Je pourrais aussi évoquer les pressions d’anciens premiers ministres qui ne veulent absolument pas voir se rallumer, au moment de désigner la capitale de la nouvelle région, la guerre entre Rennes et Nantes.

À travers toutes ces annonces qui se succèdent, voire se contredisent, que de divergences entre le pouvoir central élyséen et les régions. Les citoyens vont avoir du mal à s’y retrouver et risquent d’y perdre leur breton, madame la ministre. Je pense à votre suppléant, à M. le président de séance, à Paul Molac qui, samedi dernier à Morlaix, votre terre d’élection, participaient au lancement de l’Ar Redadeg en faveur de la langue bretonne. J’ai pu constater que ces élus présents sur place ne manquaient pas de souffle, et pourtant il en manquait un quoiqu’il ne manque pas d’air non plus dans cet hémicycle : François de Rugy.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas un Breton !

M. Christophe Priou. Mais je sais qu’il va participer à Nantes à cette course en faveur de la langue bretonne. Ainsi l’identité culturelle permet de rassembler et de dépasser bien des clivages. C’est donc une erreur majeure d’imaginer d’écarter la Loire-Atlantique de la Bretagne. Le monde économique n’a pas attendu les élus pour réaliser des coopérations, les échanges sont nombreux entre les Pays-de-la-Loire, la Bretagne, voire le Poitou-Charentes.

Mais toute cette cacophonie ne présage rien de bon dans un contexte de croissance nulle où la priorité devrait rester à la création d’emplois avec le concours de régions françaises renforcées. Pourquoi avoir abrogé une précédente réforme pragmatique, celle du conseiller territorial, réforme qui devait permettre à un même élu de siéger à la fois au conseil général et au conseil régional, ce qui aurait alors permis la fusion progressive des départements et des régions ? Votre réforme électorale de 2013 a même renforcé les conseils généraux en instituant de nouveaux cantons et une double représentation, avec plus de 2 500 élus locaux supplémentaires par rapport aux conseillers territoriaux. Où est donc la cohérence ? Comment voulez-vous que la nation adhère à votre réforme territoriale, un big bang sans réelle préparation et dont les contours sont inconnus ? À dix mois des régionales et aux lendemains d’une double cuisante défaite électorale, la manœuvre est un peu grosse.

La seule issue acceptable, dans un contexte de forte défiance, eût été de recueillir l’avis de la population par voie référendaire et de se souvenir que cela a été la seule solution de sortie de crise politique, institutionnelle et économique en 1958. Je suis toujours étonné d’entendre en ce moment qu’on ne fait pas de référendum parce que les Français – qu’on prend alors pour des imbéciles – ne répondraient pas aux questions posées. Les Français devraient se reconnaître dans les régions de demain parce que c’est l’échelon qui, avec l’intercommunalité, comptera le plus. C’est pourquoi vous prenez un risque énorme en créant des entités dans lesquelles ils ne se retrouveront pas.

Le constat était déjà fait il y a quelques décennies. On a évoqué Alexis de Tocqueville mais nous avons, nous aussi, de glorieux aînés, notamment Olivier Guichard. Voici ce que le ministre d’État écrivait en 1976 dans le rapport intitulé Vivre ensemble, remis au Président de la République de l’époque et qui a servi de trame à la première phase de décentralisation : « L’État englué dans mille tâches, l’administration confuse et lointaine, la démocratie en question… À côté de bien des points forts dans notre vie publique, nous sentons là des manques et des menaces graves. Or, on le voit immédiatement, elles ont une commune origine : le déséquilibre entre les responsabilités assumées par l’État et celles qui sont laissées à l’exercice d’autorités locales élues. Le développement des responsabilités locales est donc pour nous un objectif qui se suffit à soi-même. Mais en l’atteignant, on atteindra bien d’autres choses. Parce que ces institutions procèdent de l’histoire, parce qu’elles font partie intégrante d’un système politique et administratif, parce qu’elles sont une forme de la vie sociale des Français et une expression de leur mentalité, nous ne pouvons leur dessiner un meilleur avenir sans avoir dans l’esprit l’ensemble du paysage. »

Le Gouvernement n’a donc pas choisi Un chemin tranquille, titre d’un autre ouvrage du père de l’aménagement du territoire. Il aura ainsi participé à la transformation irréversible du pays sans l’appui des Français. Une réforme est certes nécessaire, mais pas dans de telles conditions. Il ne servira à rien de diminuer les dépenses de l’État si c’est pour augmenter, par effet de sablier, les dépenses et les dettes des collectivités locales. Il faut donner du sens à la décentralisation et à la déconcentration.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, faute d’avoir réenchanté le rêve français, comment voulez-vous avec votre réforme réenchanter demain les régions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Costes.

M. Jean-Louis Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec vingt-sept régions, 101 départements, près de 37 000 communes auxquelles on rajoute plus de 2000 EPCI, la France est actuellement…

M. Germinal Peiro. Vingt-deux régions !

M. Charles de Courson. Et les DOM-TOM ?

M. Jean-Louis Costes. Je compte les régions d’outre-mer, monsieur, si vous le permettez.

…la France, disais-je, est actuellement sur-administrée. Tout le monde en est parfaitement conscient. Maurice Leroy évoquait la lasagne, je préfère pour ma part parler d’une tourtière administrative, qui n’a cessé de s’épaissir depuis de nombreuses années et pèse plus que jamais sur le fonctionnement et les prises de décision de notre pays.

Dans un monde qui bouge, qui va de plus en plus vite, la France est paralysée par ce fonctionnement administratif qui est devenu complètement désuet. Nous ne pouvons donc pas échapper à une réforme territoriale. Il nous appartient de rationaliser et d’alléger cette organisation qui est devenue trop lourde et trop complexe, nous en sommes tous d’accord. Cela permettra de gagner en efficacité et de faire des économies importantes.

Dans votre projet de réforme, madame la ministre, la suppression des conseils généraux m’apparaît comme un choix raisonnable. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) En effet, la région est symbole de modernité et représente l’échelon européen par excellence. Les communautés de communes sont en train de devenir progressivement les piliers de développement de nos territoires. La commune demeure l’échelon de proximité pour nos concitoyens. Seul le conseil général reste une collectivité qui, finalement, n’a plus sa pertinence dans une l’organisation territoriale française et surtout européenne.

La clause de compétence générale, que Manuel Valls a décidé de supprimer après l’avoir restaurée l’an dernier, illustre l’incohérence parfaite de la politique menée depuis deux ans.

Le conseil général n’a donc plus lieu d’être. Ses compétences peuvent être réparties entre les intercommunalités, qui s’imposent comme des interlocuteurs efficaces de proximité, et les régions qui bénéficient de structures adaptées à la gestion des projets de territoire. Cela permettra de supprimer des doublons dans divers domaines – transport, tourisme, économie – et favorisera une meilleure lisibilité des décisions pour les citoyens.

En matière de transferts de compétences, je vous ferai quelques propositions, madame la ministre. Alors que 60 % des dépenses des conseils généraux sont consacrées à l’aide sociale, pourquoi ne pas fusionner les centres médico-sociaux qui irriguent notre territoire et les CCAS, à partir du moment où le cadre légal reste défini par l’État, pour la distribution des aides sociales ? Cette compétence serait évidemment donnée aux intercommunalités.

En matière d’infrastructures, nous avons des routes communales, intercommunales, départementales, nationales, c’est-à-dire quatre échelons. Nous pouvons tout à fait envisager un redécoupage, les nationales restant de la compétence de l’État, les autres routes étant confiées aux intercommunalités.

Enfin, en matière de gestion des équipements scolaires, tout le monde est convaincu que la région qui a la charge des lycées pourrait aussi s’occuper des collèges.

La création du conseiller territorial et la réforme de Nicolas Sarkozy allaient dans ce sens et elle aurait permis une disparition en douceur du département. Or le gouvernement socialiste s’est empressé, par sectarisme ou anti-sarkozysme primaire, de le supprimer sans en appréhender la vision à long terme.

Où est la cohérence de cette démarche ? Les socialistes ont supprimé le conseiller territorial, élu destiné à siéger à la fois au conseil départemental et au conseil régional, pour nous proposer l’inverse : faire siéger au conseil général des élus régionaux et des élus communautaires. À vouloir à tout prix défaire ce que les autres ont construit auparavant, les socialistes ont démonté une mesure qui avait toute sa pertinence. Le conseiller territorial était une excellente idée ; le supprimer était une erreur.

En revanche, l’agrandissement des régions tel que proposé par le Premier ministre est incohérent. La suppression des départements ne peut s’accompagner de l’agrandissement des régions. S’il est bon de réformer, il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès inverse.

Si le conseil général n’a plus toute sa pertinence, la région, dans sa configuration actuelle, dispose quant à elle d’un intérêt territorial important. Avec la suppression des départements, la région deviendra, après les intercommunalités, l’interlocuteur direct des citoyens.

Fusionner et agrandir ces régions reviendrait donc à éloigner les Français de leurs collectivités et de leurs élus locaux. Ce serait inévitablement briser la proximité entre les élus et les citoyens, ce qui était d’ailleurs un des leitmotivs des socialistes lorsqu’ils s’opposaient à la création du conseiller territorial.

Ce projet est d’autant plus absurde que les régions ont été créées par Charles de Gaulle dans un souci de cohérence économique. Ces fusions ne sont donc pas acceptables de manière généralisée. Si elles peuvent être éventuellement envisagées dans certains territoires et dans certains cas particuliers, elles n’auraient aucun sens dans le grand sud-ouest.

Dans la majorité des cas, les régions ont été pensées autour de grandes métropoles économiques, comme l’Aquitaine autour de Bordeaux, Midi-Pyrénées autour de Toulouse ou le Languedoc-Roussillon autour de Montpellier. En revanche, les départements ont été découpés sur des critères qui sont désormais dépassés, sous forme de cadres purement théoriques.

Cependant, madame la ministre, il manque quelque chose dans votre projet : la réforme territoriale de l’État et des services déconcentrés. Certains orateurs l’ont déjà souligné.

Au-delà d’une réforme des collectivités locales, une réforme de l’État serait aussi bénéfique au pays. Ses structures sont en surnombre : directions départementales, directions régionales, établissements publics divers. Cet empilement d’administrations et de services pose un véritable problème d’efficacité et de compétitivité malgré les réformes qui ont déjà été engagées dans ce domaine par le gouvernement précédent.

Bien plus que de la réforme territoriale, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, osons parler d’une réforme globale qui comprendrait aussi les services de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est vrai !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les résultats des élections européennes de ce dimanche montrent plus que jamais que nous avons besoin de réformer en profondeur notre système institutionnel. Comment ne pas comprendre que les citoyens s’éloignent de la vie politique quand ils ne comprennent rien à nos institutions et à la façon dont sont nommés ceux qui les dirigent ?

Le mille-feuille, les compétences partagées, la complexité des procédures… Ils n’y comprennent plus rien ! Oui, mes chers collègues, il est temps de réformer notre système administratif. Le Premier ministre s’est engagé résolument avec le Président de la République en faveur d’une réforme territoriale ambitieuse donnant aux régions des moyens d’action se rapprochant des standards européens. Nous leur souhaitons d’aller le plus loin possible et nous les soutiendrons.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah !

M. Paul Molac. Toutefois,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça m’étonnait aussi !

M. Paul Molac. …je le répète une nouvelle fois, fidèles aux principes de décentralisation différenciée, nous ne pouvons accepter que cette réforme territoriale soit sous-tendue par une logique purement comptable de division par deux du nombre de régions. Les périmètres des régions ne sauraient être définis dans un bureau parisien, par des géomètres technocrates sur des critères INSEE. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Je me suis prêté au jeu des découpages sur le site internet du journal Le Monde essayer d’arriver à douze régions. J’ai eu beau essayer toutes les combinaisons possibles, je n’ai pas réussi à trouver de solution qui puisse être satisfaisante pour la cohésion de nos territoires.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous n’êtes pas technocrate !

M. Paul Molac. Non, sûrement pas. Une France à quinze ou seize régions serait beaucoup plus facile à mettre en œuvre et témoignerait tout autant du réformisme du Gouvernement.

Madame la ministre, la réussite de votre réforme ne se mesurera pas au nombre de régions supprimées mais au souffle nouveau que vous souhaitez leur donner en cohérence avec le découpage des territoires vécus. Ce que je ne comprends absolument pas, c’est que l’on n’envisagerait plus un redécoupage des régions mais de simples fusions. Pourtant, vous avez indiqué à plusieurs reprises qu’il faudrait redécouper certaines régions.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui !

M. Paul Molac. Si l’on s’en tenait à des fusions, la Bretagne resterait amputée de son cinquième département, la Loire-Atlantique.

M. Michel Piron. Pas possible ! (Sourires.)

M. Paul Molac. Comment expliquer cela aux Bretons, eux qui n’ont jamais autant voté pour des listes régionalistes que lors de ce dernier scrutin européen ? Comment expliquer cela aux 548 communes sur les 1 491 que compte la Bretagne à cinq départements qui ont voté des vœux pour la réunification de la Bretagne ? Comment l’expliquer à ceux qui, depuis plus de quarante ans, manifestent à plus de 10 000 personnes et à intervalle régulier, comme il y a un mois, pour une réintégration de la Loire-Atlantique à la Bretagne ?

M. Michel Piron. Ah, mon Dieu !

M. Paul Molac. Dois-je rappeler que, dans toute la France, ce sont les seuls à s’être mobilisés avec leur région sur les questions institutionnelles ? Alors que le Président de la République et le Premier ministre appellent les Français à se saisir de cette réforme, on claquerait la porte au nez des seuls citoyens qui se sont exprimés avec enthousiasme sur la question. On ne leur offrirait même pas la possibilité d’être consultés comme j’y invite dans une proposition de loi qui vise à faciliter la tenue de référendum en cas de redécoupage des régions. Ce qui se passerait en termes de démocratie ne serait pas anodin.

Prenons le temps de réfléchir. En termes d’aménagement du territoire, le découpage des Pays-de-la-Loire s’impose. C’est un sujet que je connais bien.

M. Michel Piron. Ah bon ?

M. Paul Molac. Dans tous les cas de figure, les Pays-de-la-Loire ne peuvent s’intégrer aux régions voisines sans créer un monstre technocratique sans fondement avec la vie de ses concitoyens.

M. Michel Piron. Encore mieux !

M. Paul Molac. Fusionner la Bretagne et les Pays-de-la-Loire, c’est mettre Brest et Le Mans dans une même région.

M. Michel Piron. Démonstratif !

M. Paul Molac. Un grand maire prétendait qu’une réunification de la Bretagne marginaliserait la Basse-Bretagne. Que deviendra-t-elle si nous allons jusqu’au Mans ? Sa marginalisation me paraît évidente.

La fusion des Pays-de-la-Loire et du Centre créerait une région allant de Saint-Nazaire à Montargis ou Chartres.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est très bien, Chartres !

M. Paul Molac. Je ne dis pas le contraire, mais quelle est la cohérence en termes d’aménagement du territoire ? Enfin, si on fusionne les Pays-de-la-Loire et le Poitou-Charentes, Laval se retrouvera aux portes de Bordeaux. Il n’y a, encore une fois, aucune cohérence territoriale.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !

M. Paul Molac. Une solution s’impose, elle saute aux yeux, n’en déplaise à certains : le redécoupage !

Selon un sondage récent, 90 % des Bretons refusent de voir la Bretagne privée d’existence propre.

M. Michel Piron. Shakespearien !

M. Paul Molac. En quoi cela est-il synonyme de réflexe identitaire puisqu’on peut tout à fait être Breton et Français. Je pense que j’en suis un bon exemple, tout de même ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.)

Mes chers collègues, ce qui fait sens, ce n’est pas tant le poids démographique et la taille géographique d’un territoire, mais c’est le sentiment d’appartenance et la volonté d’avoir un destin commun des populations qui y vivent. En témoignent les États ou régions autonomes de l’Union européenne dont la superficie ou le nombre d’habitants sont, par exemple, plus faibles que ceux de la Bretagne à cinq départements.

Pour poursuivre les comparaisons européennes, un constat s’impose : tous les États de l’ouest de l’Europe de taille comparable à la France ont adopté soit un système fédéral où toutes les régions participent au processus normatif dans son entièreté, comme en Allemagne, soit un système différencié d’autonomies régionales qui peut s’appliquer à l’ensemble du territoire, comme en Espagne et en Italie, ou à certaines de ses composantes, comme au Royaume-Uni avec le Pays de Galles et l’Écosse.

Il est en effet bon de rappeler ce qui est à l’œuvre chez nos voisins : la région partage avec l’État le pouvoir normatif et les assemblées ou parlements régionaux s’imposent en droit et en fait aux autres niveaux de collectivités infrarégionales, y compris les métropoles, sans que cela soulève quelque contestation que ce soit.

Munich, capitale de la Bavière, ne conteste aucunement la prééminence du Land. Il en est de même entre Barcelone et la Generalitat de Catalogne. Ces comparaisons permettent de mesurer à quel point l’épouvantail du régionalisme ne peut effrayer que ceux qui y ont intérêt, souvent au nom de la défense de prés carrés ou d’ambitions métropolitaines.

Dans ce contexte, que signifie la prise de position publique de certains élus du grand ouest qui se prononcent contre une Bretagne à cinq départements réintégrant la Loire-Atlantique ?

M. Michel Piron. Ils ont le tort d’être élus !

M. Paul Molac. Ils n’ont pas le tort d’être élus, monsieur Piron, mais il s’agit de cohérence en termes d’aménagement du territoire.

Mme Nathalie Appéré. C’est ce qu’ils font !

M. Paul Molac. Les métropoles ne peuvent se comporter comme les villes libres de l’Ancien Régime, qui ne se souciaient pas d’être des pôles structurants de leur espace, de leur hinterland. C’est clair. Il faut donc qu’elles soient sous la coupe des régions.

Lors de l’examen du projet de loi sur les métropoles, j’y avais insisté avec vigueur. Si les métropoles sont des motrices qui traînent tous les wagons, elles seront utiles à nos territoires. Si ce sont des automoteurs qui fonctionnent entre elles, sans se soucier du reste, alors ce sera la fin des territoires ruraux et de certains territoires, comme la Bretagne, qui sont irrigués par quelques villes polycentriques.

M. Michel Piron. C’est aussi le cas des Pays-de-la-Loire !

M. Paul Molac. C’est la raison pour laquelle nous soutenons fortement la volonté du Gouvernement de rendre prescriptifs les schémas régionaux de développement économique et d’aménagement durable du territoire, afin qu’ils s’imposent à l’ensemble des collectivités situées sur le territoire régional et permettent un développement équilibré qui bénéficie à tous.

Sur le fond de la réforme, en dehors des redécoupages territoriaux, nous rejoignons le Gouvernement et le Premier ministre sur un bon nombre de points contenus dans l’actuel projet de loi que nous avons toujours défendu avec cohérence. En plus du caractère prescriptif des schémas régionaux, l’exercice d’un pouvoir réglementaire permettra aux régions d’adapter les lois à leur environnement local.

Nous soutenons également le renforcement des intercommunalités qui doivent davantage correspondre aux bassins de vie et d’emplois. Prenons un autre exemple breton, celui de la communauté de communes de Redon : elle est divisée en trois départements et dépend de deux régions programmes. Comment pourrait-elle développer des projets, sauf à avoir sept ou huit fonctionnaires qui feraient la même chose, certains pour le département et d’autres pour la région ? Ce n’est pas de la simplification administrative.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. À Carhaix, c’est la même chose !

M. Paul Molac. Concernant la clause de compétence générale, en tant que fédéralistes, nous sommes pour son maintien pour la région, car s’il y a un niveau décisionnel qui doit l’avoir, c’est bien celui-là, mais cette demande ne se comprend qu’avec des moyens, lesquels font et feront de plus en plus défaut si, dans le cadre du volet régionalisation, le Gouvernement ne dote pas les régions de l’autonomie financière et fiscale nécessaire. Nous attendons une réelle réforme de la fiscalité des collectivités locales, qui pourrait idéalement se retrouver dans le projet de loi de finances pour 2015.

Enfin, nous nous réjouissons qu’une réflexion poussée soit désormais entamée sur le rôle des conseils départementaux, alors qu’il y a six mois encore j’étais bien seul dans cet hémicycle pour défendre leur suppression.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est vrai !

M. Paul Molac. Les compétences du département pourraient être avantageusement redistribuées, comme l’a dit notre collègue Maurice Leroy, pour une meilleure efficience de l’action publique, entre, d’un côté, les EPCI basés sur les bassins de vie et, d’un autre côté, la région. J’en appelle donc à nos collègues de l’opposition pour modifier la Constitution afin de permettre la disparition des conseils généraux. MM. Fillon et Juppé l’avaient proposé. Arrêtons de nous accrocher à une structure administrative de la fin du dix-huitième siècle ; il y a bien longtemps que nous n’avons plus besoin d’une journée de cheval pour aller au chef-lieu de département. Il nous faudra du courage et de la persuasion pour mener à bien une réforme territoriale ambitieuse dont le but est une meilleure efficience de l’action publique en allégeant l’indigeste mille-feuille institutionnel. Bien que ce soit une spécialité de l’Assemblée, il me semble que nous pouvons, en matière administrative, en faire l’économie.

Je crois que la région Bretagne pourrait jouer un rôle pilote dans ce domaine, elle qui demande, avec notre collègue Jean-Jacques Urvoas, la création d’une assemblée unique de Bretagne par la fusion du conseil régional et des conseils départementaux.

M. Jean-Jacques Urvoas. Très bien ! Excellent ! (Sourires.)

M. Paul Molac. Attention, toutefois, à ne pas ressortir feu le conseiller territorial, élu dans des circonscriptions au scrutin majoritaire sur des bases localistes. Si la métropole de Lyon a pu créer sa collectivité locale à statut particulier, la Bretagne, l’Alsace ou la Savoie doivent pouvoir faire de même.

Compte tenu des réorganisations territoriales à venir, le report des élections régionales et cantonales nous paraît relever du simple bon sens. En effet, quel est l’intérêt d’élire des conseillers régionaux et départementaux alors qu’ils ne sauront pas quels seront leur périmètre et leurs compétences ? Mais pour clarifier l’architecture, il y a un énorme effort de transparence et de démocratie à réaliser. L’accumulation de couches aux pouvoirs importants mais sans légitimité démocratique suffisante est un mauvais signal démocratique. Il est indispensable que l’élection au sein des intercommunalités et des conseils métropolitains se fasse au suffrage universel direct le plus tôt possible. En tout cas, une partie des délégués doivent être élus ainsi.

Voilà, mes chers collègues, les fortes attentes que nous exprimons sur cette réforme jadis présentée par le Président de la République comme « la mère des réformes ». Il n’est désormais plus question de louper ce rendez-vous avec les Français au risque d’un creusement du fossé qui sépare la classe politique des citoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRCsur les bancs du groupe écologiste.)

M. Laurent Furst. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux, pour ma part, vous livrer quelques éléments pour répondre à la plupart des interlocuteurs du Gouvernement. Je les remercie de l’avoir éclairé ce soir,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il était temps !

M. André Vallini, secrétaire d’État. …par leurs propositions, par leurs critiques aussi – elles sont toujours utiles –, à l’initiative du groupe UDI, particulièrement de Michel Piron, dont je salue l’engagement puisqu’il s’intéresse à ces questions territoriales depuis longtemps.

D’abord, les objectifs de cette réforme sont au nombre de trois.

Le premier, auquel nous souscrivons sur tous les bancs, je le dis après vous avoir écoutés attentivement, est de rendre l’organisation territoriale de la République plus claire, plus simple, plus lisible. Plus lisible par nos concitoyens d’abord, bien sûr – c’est la règle en démocratie : que les citoyens y voient clair dans le fonctionnement de leurs institutions –, mais aussi par les élus locaux. Plusieurs d’entre vous l’ont dit : les élus locaux, communaux notamment, ne s’y retrouvent plus toujours vraiment devant l’empilement des structures territoriales depuis une vingtaine d’années et l’enchevêtrement de leurs compétences.

Le deuxième objectif découle du premier : avec une organisation plus simple et plus lisible, le fonctionnement de l’organisation territoriale de la République sera plus efficace. Ce souci d’efficacité a été évoqué par la plupart d’entre vous, c’est le souci du Gouvernement.

Il est évident qu’en supprimant les doublons, pas tous mais beaucoup de ceux qui existent aujourd’hui en termes de compétences des communes, des intercommunalités, des départements et des régions, et en réalisant des économies d’échelle, nous pourrons faire des économies budgétaires.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. C’est le troisième objectif, qui découle directement des deux précédents. J’insiste sur cet objectif : nous ne devons pas avoir les économies budgétaires honteuses, notamment sur le plan territorial. Manuel Valls l’a rappelé dimanche, au soir de ce triste jour d’élections. Il a fait une déclaration dans laquelle il a évoqué la réforme territoriale, en lui fixant ces trois objectifs : une organisation plus simple et plus claire, un fonctionnement plus efficace et des économies. Les économies, elles existent. Des chiffres ont été avancés, par moi-même, dans la presse ; je les assume, et je vais y revenir. Mais avant de parler de ces fameux 12 à 25 milliards d’euros, je veux évoquer quelques exemples qui figurent dans de nombreux rapports à votre disposition. Vous connaissez ces rapports ; il s’agit du rapport Malvy-Lambert, le dernier en date, du rapport Queyranne sur les interventions économiques en faveur des entreprises, de rapports de l’OCDE, de rapports de la Cour des comptes.

Prenons donc quelques exemples.

Les fonctions achat et charges externes représentent 7,6 milliards d’euros pour les départements et les régions. En regroupant les appels d’offres, des économies substantielles peuvent être faites.

M. Maurice Leroy. C’est vrai !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Vous l’avez fait en Loir-et-Cher, avec le département voisin, monsieur Leroy. Le rapport Malvy-Lambert montre que les groupements d’achats permettent des gains substantiels estimés entre 10 % et 15 % du total. Appliquez ce pourcentage à 7,6 milliards d’euros, et vous mesurerez les économies budgétaires potentielles que cette réforme territoriale peut entraîner.

M. Maurice Leroy. Tout à fait !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Deuxième exemple, le développement économique représente aujourd’hui, entre communes, intercommunalités, départements et régions, un total de 33 milliards d’euros de dépenses locales. Le rapport Malvy-Lambert, toujours lui, et le rapport Queyranne sur les aides économiques sont édifiants : 14 500 emplois en équivalent temps plein pour s’occuper du développement économique si l’on ajoute aux collectivités les agences de développement, des coûts salariaux qui approchent 600 millions d’euros, des flux croisés de financement entre collectivités à hauteur de 5,7 milliards d’euros, chaque niveau de collectivité versant à peu près 1,7 milliard d’euros de subventions aux autres collectivités. Le transfert du développement économique aux seules régions et le maintien de l’aide à l’immobilier d’entreprise au seul bloc communal permettraient des économies de l’ordre de 10 %, soit 3,3 milliards d’euros. Limitons-nous à 5 %, cela fera encore 1,6 milliard d’euros.

Troisième exemple, en matière d’organisation communale et intercommunale, beaucoup d’entre vous l’ont dit, les gisements d’économies sont considérables, grâce à la mutualisation évidemment et aux fusions d’EPCI, pour arriver à la taille critique de 10 000, voire 20 000 habitants. On peut considérer qu’en faisant 5 % d’économies sur le seul bloc des communes, intercommunalités et syndicats intercommunaux – ceux-ci sont encore au nombre de 13 400, avec 17 milliards d’euros de budget, dont 9 milliards d’euros en fonctionnement –, en faisant 5 % d’économies sur ce bloc, donc, on arrive à 7 milliards d’euros d’économies.

Quatrième exemple, qui concerne la question des personnels : si l’on stabilise les effectifs de la fonction publique territoriale, qui compte 1,9 million d’agents territoriaux, sur les cinq prochaines années, on économise à peu près 6 milliards d’euros, puisque, depuis cinq ans, ces effectifs ont crû de 1,6 % par an.

M. Charles de Courson. Ce ne sont pas des économies, ce sont des non-dépenses !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Enfin, dernier exemple, au-delà de la réforme territoriale stricto sensu, il y a bien sûr la réforme de l’État, Marylise Lebranchu va en parler, et puis il y a les normes, qui sont à cheval, si j’ose dire, entre l’État et les collectivités locales. Le Gouvernement a décidé de stopper l’inflation normative. Il faut savoir qu’en 2013, les normes réglementaires nouvelles ont pesé pour 1,85 milliard d’euros sur les collectivités, qu’il s’agisse des communes, des intercommunalités, des départements ou des régions. Si on décide de diminuer de moitié ces normes sur cinq années, on économise près de 4,5 milliards d’euros.

Voilà les exemples précis que je voulais vous donner, mais j’en ai d’autres. Je ne veux cependant pas m’exprimer trop longuement.

Je veux aussi vous dire qu’il y a une autre méthode pour calculer les économies potentielles. C’est celle qui relève du volontarisme politique. Si l’on économise 5 % sur les 250 milliards d’euros que représentent l’ensemble des budgets locaux – communes, intercommunalités, syndicats intercommunaux, départements, régions –, on réalise 12 milliards d’euros d’économies, à moyen terme, sur plusieurs années, après une réforme globale, évidemment. Certains, plus optimistes, parlent d’aller jusqu’à 10 %, c’est-à-dire 25 milliards d’euros, mais je m’en tiens à l’objectif, plus raisonnable et plus réaliste, de 5 % à moyen terme, sur au moins cinq années.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’État les prend déjà !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Monsieur le député, 5 % ! Vous pensez que c’est impossible ? Alors il faut arrêter de faire de la politique ! Si on ne peut pas économiser 5 % sur cinq ans sur 250 milliards d’euros, il faut arrêter de faire de la politique.

M. Laurent Furst. Il ne fallait pas faire la réforme des rythmes scolaires, qui coûte déjà des milliards !

M. André Vallini, secrétaire d’État. Cela s’appelle le volontarisme. Un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi appelle cela « le doigt mouillé ». Moi, j’appelle ça le volontarisme politique, et je l’assume.

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. André Vallini, secrétaire d’État. J’en viens aux départements, aux conseils généraux. Je veux répondre à Roger-Gérard Schwartzenberg. Oui, le conseil général de l’Isère a été très utile, pas seulement depuis treize ans, pas seulement, donc, depuis que j’ai accédé à sa présidence, en 2001, mais depuis trente ans, avec des présidents de droite comme de gauche. Le conseil général, en Isère, comme en Savoie, cher Hervé Gaymard, comme dans tous les départements de France, fait du bon travail. Depuis trente ans, ils ont assumé de lourdes compétences, lourdes à tous les sens du terme, notamment sur le plan social : les routes, les collèges et les transports scolaires, bien sûr. On sait bien qu’il y a trente ans, Gaston Defferre et Pierre Mauroy ont transféré beaucoup plus de compétences aux départements qu’aux régions. Je le répète, les conseils généraux se sont montrés dignes de la confiance qui leur a été faite au début des années quatre-vingt.

Mais depuis trente ans un élément nouveau est apparu dans le paysage administratif territorial : les intercommunalités. Elles ont évidemment remis en cause la pertinence des conseils généraux, non dans tous les départements mais dans de nombreux départements.

Prenons l’exemple de l’Isère. L’agglomération de Grenoble, bientôt une métropole, passe des conventions avec la communauté d’agglomération du Pays voironnais, autour de Voiron, et avec la communauté de communes du Pays du Grésivaudan, chère à votre collègue François Brottes, du côté de Chambéry. Ces conventions sur les transports, sur le développement économique entre ces trois communautés se font sans le conseil général. Je ne suis même pas invité à leur signature, sauf peut-être lorsqu’il s’agit d’inaugurer une nouvelle ligne de transport ou l’implantation d’une entreprise. Dans cette partie du département de l’Isère, le conseil général est moins pertinent qu’il y a trente ans, parce que, depuis trente ans, je le répète, depuis quinze ans surtout, avec la loi Joxe et, plus particulièrement, la loi Chevènement de 1999, les intercommunalités sont montées en puissance.

Personne ne veut supprimer le département : il y aura toujours, bien sûr, mesdames et messieurs les députés, un département de la Savoie, un département du Maine-et-Loire, un département du Finistère, un département du Morbihan, un département d’Ille-et-Vilaine, un département des Côtes-d’Armor et un département de la Loire-Atlantique. (Sourires.) Il n’est pas question de supprimer le département, il est question de remettre en cause le rôle actuel des conseils généraux. Je reprendrai l’expression de François Hollande puisque vous l’avez beaucoup cité. Il est bien de citer le Président de la République, mais il faut le citer correctement. À Tulle, en Corrèze, il a dit qu’il n’était pas question de la suppression pure et simple des conseils généraux. J’insiste sur ces mots : suppression pure et simple. (Exclamations et sourires sur de nombreux bancs.) Je sens que cet éclairage vous manquait.

J’en viens à la fiscalité et aux finances locales. Monsieur de Courson, vous avez raison : la réforme territoriale ne va pas sans la réforme de l’État, et les deux ne vont pas sans la réforme de la fiscalité nationale et locale. Et nous y travaillons avec Marylise Lebranchu, Christian Eckert et Michel Sapin.

En ce qui concerne, enfin, le découpage des régions, j’ai entendu tout ce qui s’est dit ce soir. C’est passionnant, et je suis comme vous, comme la plupart des Français : j’adore l’histoire de France, j’aime aussi la géographie. On se passionne pour ce découpage : chacun essaie de voir quelle région pourrait aller avec quelle autre, quel département pourrait être détaché de quelle région pour être rattachée à une autre. Le découpage idéal n’existe pas. Il y a plusieurs façons d’envisager ce futur découpage. Ça compte, l’histoire, y compris l’histoire de l’Ancien Régime. On peut être républicain et se souvenir des provinces de la monarchie. Il faut prendre en compte la géographie, les bassins de vie, bien sûr, et la démographie. Il faut prendre en compte, aussi, comme l’a dit M. Fromantin – c’est un éclairage tout à fait nouveau, novateur, innovant –, la question des hinterlands et les ports maritimes. J’en ai parlé avec lui la semaine dernière et tout cela est passionnant.

Je veux simplement vous dire que l’on peut consulter à l’infini. On peut demander leur avis aux élus nationaux, sénateurs et députés, aux élus régionaux et aux conseillers généraux ; on peut aussi organiser des référendums locaux… In fine, faudra bien trancher. Michel Piron l’a rappelé : il y a cinq ans déjà, en 2009, le rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales – dit comité Balladur – s’intitulait Il est temps de décider. Aujourd’hui, il est temps d’agir. L’État prendra ses responsabilités : le Gouvernement proposera une carte des régions après avoir écouté tout le monde.

Les conseils généraux font connaître leur opinion, non seulement à propos de l’avenir du département comme collectivité territoriale, mais aussi au sujet du rattachement éventuel de tel ou tel département à telle ou telle région ; les présidents de région, eux aussi, se font entendre – Marylise Lebranchu et moi-même en recevons beaucoup – ; mais à la fin, je le répète, c’est au Gouvernement qu’il reviendra de prendre ses responsabilités et de proposer au Parlement une nouvelle carte des régions.

Quant aux élections régionales et cantonales, je veux rassurer M. Marleix, M. Gaymard et tous ceux qui s’inquiètent de savoir si elles auront bien lieu : oui, elles auront lieu en temps utile, lorsque la réforme aura été adoptée par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique. Je ne ferai qu’ajouter quelques éléments à ce que vient de dire André Vallini.

Tout d’abord, il faut se féliciter de la qualité du débat que nous avons eu ce soir. On nous a beaucoup reproché des hésitations, mais je n’ai pas eu le sentiment, en écoutant les orateurs des différentes familles politiques, que leurs positions étaient totalement verrouillées. Si nous devions voter la réforme ce soir, peut-être même atteindrions-nous la majorité requise pour réviser la Constitution ! N’est-ce pas, monsieur Leroy et monsieur Piron ?

M. Maurice Leroy et M. Michel Piron. C’est ce que nous devrions faire !

M. Marc Dolez. Nous sommes ici par la volonté du peuple, mais nous n’en sortirons qu’après avoir adopté la réforme ! (Sourires.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous pouvons nous accorder sur le constat que ce débat transcende les clivages partisans. Avant de répondre à Jean-Yves Le Bouillonnec – qui me fait savoir qu’il nous regarde derrière un écran, non loin d’ici –, je voudrais répondre à M. Gaymard et aux autres députés qui se sont inquiétés du rapport entre les métropoles et la ruralité.

On ne peut pas légiférer de la même manière pour tous les territoires. Il faudra sans doute, pour la montagne comme pour les zones rurales, prendre en compte un coefficient de densité : j’en ai déjà discuté avec quelques-uns d’entre vous.

M. Michel Piron et M. Maurice Leroy. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. On ne peut pas retenir que la distance ; deux intercommunalités comptant 20 000 habitants peuvent être très différentes de ce point de vue. Le coefficient de densité est ainsi le correctif le plus intéressant pour mieux prendre en compte la ruralité.

M. Michel Piron. Certainement !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Quoi qu’il en soit, je trouve que certains discours, qui opposent les métropoles et la ruralité, posent problème. Il faut faire attention à cette manière de parler de la ruralité. Tous les territoires ont un rôle à jouer dans le redressement de la France. J’ai souvent dit que tous, quels qu’ils soient, sont des facteurs de production : l’indépendance alimentaire, par exemple, est à ce prix. On a parfois tendance à se reposer sur de vieux réflexes, au lieu de parler politique et de suivre la voie de la raison : nous devons tous renoncer à ces attitudes, à ces prises de position irréfléchies qui peuvent parfois déboucher sur des scrutins comme celui de dimanche dernier.

Je crois que le point de vue exposé par Jean-Yves Le Bouillonnec mérite d’être repris. C’est pourquoi je prolonge, ce soir, l’intervention d’André Vallini. Il est vrai que dans la métropole parisienne, l’hyper-richesse et l’hyper-pauvreté forment un contraste terrible. C’est parce que nous avons fait ce constat, parce que nous avons observé que l’hyper-richesse côtoie l’hyper-pauvreté dans une région métropolitaine qui représente 31 % du PIB et 35 % des bases de CVAE – madame Pirès-Beaune, vous savez tous ces chiffres par cœur –, que nous avons décidé de faire la métropole du Grand Paris. La solidarité sera la base même de cette métropole capitale.

Jean-Yves Le Bouillonnec a évoqué le fameux article 12 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Il est vrai que la notion de territoire pose problème dans la métropole du Grand Paris. En effet, en de nombreux endroits, des habitudes ont été prises qui favorisent l’entre-soi. Il peut s’agir d’une solidarité choisie par ceux qui détiennent assez de richesses, ou d’une solidarité en quelque sorte forcée. Des établissements publics intercommunaux ont été créés pour accueillir tel ou tel pôle de développement – je pense, par exemple, à la communauté d’agglomération Plaine Commune en Seine-Saint-Denis.

J’ai bien pris note des arguments développés tout à l’heure par Jean-Yves Le Bouillonnec. Autant les arbitrages n’ont pas été rendus sur ce sujet-là, autant je suis d’accord néanmoins avec la nécessité de repenser ces fameux territoires, mais en respectant une ligne rouge : si nous y remettons de la fiscalité, nous ferons exploser le système de développement solidaire de la capitale que nous avons essayé de construire. Il est en revanche possible de parler des ressources à partir des communes ou à partir de la métropole.

Sur cette question, je pense que nous devons travailler avec l’ensemble des parlementaires volontaires, ici comme au Sénat. Je suis d’accord avec l’idée que nous devons permettre une évolution pour aider ceux qui construisent la métropole du Grand Paris. Je réponds donc oui à Jean-Yves Le Bouillonnec : nous pouvons parler à nouveau de l’article 12 de la loi d’affirmation des métropoles, mais sans franchir la ligne rouge de la fiscalité.

J’ajouterai encore un mot à propos de la réforme de l’État. Même si certains d’entre vous les ont défendus plus que d’autres, vous avez tous reconnu que les départements ont du mal à exister dans le système institutionnel français parce que les intercommunalités prennent de plus en plus d’importance. Mais indépendamment du choix que fera le législateur à propos des régions et des départements, l’État doit se poser des questions à propos de son organisation territoriale. Que deviendront les différentes zones thématiques : zones de défense, zones de gendarmerie, zones de ceci, zones de cela comme je l’ai entendu cet après-midi ? Que deviendront les ressorts des cours d’appel ? Le préfet de région pourra-t-il discuter avec le directeur de l’Agence régionale de santé, avec le recteur d’académie ? Faut-il imaginer, comme certains l’ont proposé, une « tour de contrôle unique de l’État » ?

Si l’on veut redonner de la cohérence à l’action de l’État, il faut que ses services arrêtent de fonctionner en silos – on le sait depuis longtemps – et prennent en compte les territoires. À l’heure actuelle, dans les territoires reconnus comme en difficulté, les services de l’État agissent en ordre dispersé : on définit une zone de sécurité prioritaire, suivie ou précédée d’une zone d’éducation prioritaire, elle-même suivie ou précédée d’une zone d’aménagement prioritaire ou d’une zone d’urbanisme prioritaire, etc. On ne peut pas continuer à agir ainsi ! Ne pourrait-on pas mettre en place, dans les territoires connaissant des difficultés – quelle que soit la nature de ces difficultés, qui diffèrent beaucoup d’un territoire à l’autre –, des zones d’action publique prioritaire de l’État afin de leur permettre de s’en sortir ?

À force de définir des priorités les unes après les autres, on manque sans doute de cohérence. Pour gagner en cohérence, l’État doit remettre en question les zonages qu’il définit, ses propres interventions. Ce dossier, la réforme de l’État, doit être abordé dès la fin de cette semaine. Il faut l’examiner de façon cohérente, avec beaucoup de calme, de sérénité et d’apaisement, et pour cela il faut étudier de concert l’organisation territoriale de la République et l’administration territoriale de l’État conduite par le ministre de l’Intérieur. J’ai bien pris note de ce que vous avez dit, les uns et les autres : nous nous engageons à ce que cette réforme des institutions s’accompagne d’une réforme de l’organisation territoriale de l’État. Elle doit être mise en cohérence avec la réforme de l’État tout court.

M. Maurice Leroy. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il est vrai que cela va se faire facilement. Mesdames et messieurs les députés, vous avez parlé – André Vallini l’a rappelé – des simplifications réalisées grâce au Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, instance que vous avez créée. Elle donnera encore des résultats.

Dès demain, nous pourrons – si nous en avons le temps – relire toutes les interventions de ce soir. Compte tenu des engagements qui ont été pris, notamment au sujet de la réforme de l’État, je pense que le redressement de la France est possible. Je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Maurice Leroy et M. Michel Piron. Très bien !

M. le président. Le débat est clos.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les difficultés du monde associatif ;

Débat sur les politiques européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 28 mai 2014, à minuit dix.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron