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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 09 décembre 2014

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Réforme de l’asile

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile (nos 2182, 2407, 2357 et 2366).

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Pierre Lellouche. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le tout premier paragraphe de l’exposé des motifs de votre texte contient à lui seul la raison de notre motion de renvoi en commission. Là réside, en effet, le malentendu fondamental qui préside à l’architecture et à la rédaction, au demeurant extrêmement touffue et complexe, de ce projet de loi relatif à la réforme de l’asile. On y lit en effet que « le présent projet de loi relatif à la réforme de l’asile a pour principal objet de garantir que la France assure pleinement son rôle de terre d’asile en Europe. »

Pourtant, le même exposé des motifs reconnaît que la pratique de notre système d’asile a été « pervertie au fil de ces dernières années », que « son sous-dimensionnement juridique et matériel l’empêche d’absorber les pics de demandes d’asile liées aux guerres civiles et aux crises régionales » et que cela « a été aggravé par le recours abusif à la procédure d’asile qui crée un engorgement du dispositif, allonge les délais de traitement et génère nombre d’effets pervers ». L’exposé des motifs va même jusqu’à considérer que le dispositif actuel crée une incitation au détournement de la procédure d’asile à des fins migratoires.

En résultent deux préconisations, censées être mises en œuvre dans le nouveau dispositif et que nous ne pouvons d’ailleurs qu’approuver : l’amélioration de la protection des personnes ayant réellement besoin d’une protection internationale ; des mesures visant à permettre d’écarter rapidement la demande d’asile infondée.

Toutefois, en lisant votre texte, et plus encore les modifications apportées par nos collègues de la majorité lors de l’examen en commission, nous constatons que, non seulement ces deux objectifs sont parfaitement contradictoires, puisque le premier se traduit mécaniquement par un allongement et une complexité procédurale accrue favorisant un détournement systématique de ce droit, mais surtout que le texte dans son ensemble est en complet décalage avec les problèmes migratoires auxquels la France, mais également l’Europe se trouvent désormais confrontées.

Il faut, pour le comprendre, revenir brièvement sur l’histoire du droit d’asile. Le droit d’asile moderne, né au XVIIIsiècle, n’a pas grand-chose à voir avec le droit d’asile de l’Antiquité grecque et romaine, ni même avec le droit d’asile chrétien, né au IVsiècle. Dans sa conception initiale, codifiée en 419, tout individu était admis à trouver refuge dans les églises chrétiennes pour échapper à un quelconque poursuivant, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un agent de l’État. Le concile d’Orléans de 511 précisait que tout fugitif, meurtrier, adultère ou voleur, qui se réfugiait dans une église ou dans la maison d’un évêque était protégé par le droit d’asile et que l’on ne pouvait pas l’en faire sortir de force. Celui-ci pouvait négocier une indemnisation avec les personnes auxquelles il avait nui, et ses poursuivants devaient jurer sur l’Évangile qu’ils ne tenteraient pas d’obtenir une vengeance.

Au fil des siècles suivants, ce droit a été progressivement limité au profit du pouvoir royal, soucieux d’imposer son autorité, pour finalement commencer de s’éteindre au XVIsiècle, en France, suite à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée en 1539, sous François Ier. Le droit d’asile réapparaît à la Révolution française, où il est entendu cette fois comme l’apanage de la puissance souveraine accueillant des personnes de son choix, en fonction de ses intérêts, notamment politiques ou diplomatiques.

Notons que le droit d’asile ne figure pas dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais dans la Constitution de 1793, dont l’article 120 dispose que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. ». C’est cette idée qui est reprise dans le préambule de la Constitution de 1946, qui retient parmi les principes « particulièrement nécessaires à notre temps » l’idée que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».

Cette rédaction, tout comme celle des textes suivants, notamment de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951, laquelle constitue le socle du droit actuel de l’asile, sont largement marquées par le contexte politique de l’époque. En juillet 1922, à l’initiative de Fridtjof Nansen, un explorateur polaire norvégien investi par la Société des nations d’une mission d’aide aux prisonniers de guerre, avait été conclu à Genève un accord international qui a donné naissance au fameux « passeport Nansen », destiné à l’origine aux réfugiés russes fuyant la révolution bolchevique et devenus apatrides, suite à un décret soviétique, publié la même année, révoquant la nationalité de tous ces émigrés. Ce passeport, reconnu par cinquante-quatre pays, a servi à des centaines de milliers de Russes, de Grecs, de Turcs et d’Arméniens, pour émigrer hors de l’URSS.

La tragédie vécue par les Juifs dans les années 1930, expulsés d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie, puis la Shoah auront une influence décisive sur le dispositif mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en particulier sur les articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le premier établit le droit pour toute personne de circuler librement, y compris celui de quitter son pays et d’y revenir. Le second crée le droit pour toute personne de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans tout autre pays pour échapper à la persécution, avec une seule exception, que le droit actuel a conservée : le cas du réfugié qui aurait fait l’objet de poursuites pour des crimes de droit commun ou des agissements contraires aux buts et missions des Nations unies.

Dans le même temps, confronté aux millions de personnes déplacées au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’ONU crée en 1949 le Haut Commissariat aux réfugiés, avant d’adopter la convention de Genève sur les réfugiés de 1951. L’Europe est alors dominée par la Guerre froide et la prise de conscience du fameux « rideau de fer » décrit par Winston Churchill dans son célèbre discours de Fulton. Logiquement, l’article l.A.2 de la convention se préoccupe non pas du droit d’asile, mais du réfugié, défini comme suit : « toute personne qui, par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou ne veut, du fait de cette crainte, se réclamer de la protection de ce pays ». Étaient donc visés les déplacés de la Seconde guerre mondiale et les personnes fuyant le bloc communiste.

Cette disposition n’engageait cependant pas les États pour l’avenir et encore moins pour l’accueil de réfugiés économiques affluant en masse. Pendant les deux décennies qui ont suivi, la notion de droit d’asile, telle que découlant de la convention de Genève de 1951, se limitait donc en pratique aux seuls réfugiés européens. En France, entre 1951 et 1972, 98 % des réfugiés reconnus par l’OFPRA étaient européens, essentiellement espagnols, russes, arméniens, polonais, hongrois et yougoslaves. Toutefois, le processus de décolonisation entamé à partir des années 1960 et les conflits régionaux qui s’en sont suivis, souvent attisés par la compétition entre les deux superpuissances de l’époque, amenèrent de nouvelles évolutions.

En 1967, le Protocole de New York, adopté par l’assemblée générale des Nations unies, supprimait la référence temporelle de l’article l.A.2 de la convention de Genève. Commence alors l’ère des boat-people, bientôt suivis par les vagues migratoires que nous connaissons aujourd’hui, en provenance du Maghreb, d’Afrique noire et, dans une moindre mesure, d’Asie.

Ce bref rappel historique fait naturellement ressortir le point clé de mon propos, monsieur le ministre : les notions d’asile et de réfugié ne peuvent pas être déconnectées de la réalité géopolitique et démographique du monde dans lequel nous vivons. L’asile a aujourd’hui pour terreau géopolitique le chaos international qui résulte de la fin de la Guerre froide et qui se traduit par des dizaines de millions de déplacés en ce moment même. Au-delà, l’asile est tout autant le produit de l’immense mutation démographique que connaît la planète, particulièrement s’agissant de l’Europe et de son voisinage immédiat au sud. Au vieillissement et au déclin démographique du continent européen répond désormais l’explosion démographique à laquelle on assiste en Afrique, seul continent qui n’a pas achevé sa transition démographique.

S’agissant du premier point, Antonio Guterres, l’actuel haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, vient d’annoncer que le nombre record de 51,2 millions de réfugiés et déplacés a été atteint à la fin de l’année 2013, quand il était de 45,2 millions en 2012. Pour le seul Moyen-Orient, tout proche de l’Europe, ce sont 5 millions de réfugiés qui sont pris en charge par l’UNRWA, United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugee, dans le cas des réfugiés de Palestine. S’ajoutent à ceux-ci quelque trois millions de Syriens déplacés depuis le début du conflit, il y a trois ans, et au moins 1,8 million de réfugiés, notamment chrétiens et yazidis, au nord de l’Irak, déplacés dans des camps de fortune que j’ai pu visiter au Kurdistan irakien, avec Éric Ciotti notamment, au début du mois de septembre.

Quant au deuxième point, sur lequel j’ai eu l’occasion de beaucoup écrire tout au long des vingt-cinq dernières années, puisque les données de transition démographique sont connues une, voire deux générations à l’avance, à quatorze kilomètres des côtes de l’Europe, le plus grand réservoir de population de la planète est passé de 228 millions d’habitants en 1950 à 1,1 milliard à présent. Le continent africain devrait atteindre 2,5 milliards d’habitants en 2050. Si l’on considère que la population en âge de travailler, entre quinze et vingt-cinq ans, sera d’environ 600 millions de personnes dans une génération, soit davantage que la population actuelle et future du continent européen, et si l’on suppose que 10 % seulement de ces jeunes chercheront un travail ou un avenir de l’autre côté de la Méditerranée, les vagues migratoires auxquelles nous devons nous attendre se chiffrent en dizaines de millions d’individus, soit l’équivalent de la taille d’un pays comme la France ou l’Italie.

Il faut donc impérativement prendre conscience que les 160 000 migrants arrivés depuis les côtes libyennes en Italie, pendant les sept premiers mois de cette année, et que les 80 000 autres arrivés également cette année en Grèce, où j’étais récemment, par voies de terre ou de mer en transitant par la Turquie, ne sont en aucune façon un « pic » transitoire, comme le laisse entendre l’exposé des motifs de votre texte, mais au contraire le début d’un immense mouvement de population auquel nous allons être confrontés dans les décennies à venir. La réalité à laquelle nous devons nous préparer est donc celle de flux migratoires gigantesques du sud vers le nord, aggravés par l’instabilité politique et les conflits chroniques du continent africain et par l’écart de niveau de vie, alors que l’Europe, elle, continuera à perdre des habitants.

Dans ces conditions, il est impensable – j’y insiste – de considérer uniquement le droit d’asile comme une sorte d’abstraction juridique et politique, dotée d’un régime particulier, fondamentalement distinct de celui qui doit s’appliquer au droit de l’immigration.

C’est pourtant ce que fait le texte qui nous est proposé, qui reprend les directives européennes elles-mêmes fondées sur la même fiction : le droit d’asile doit faire l’objet d’une politique clairement séparée de la politique migratoire, la première relevant d’instances indépendantes, prévoyant de nombreux droits et recours juridictionnels pour le demandeur, tandis que la seconde ferait, quant à elle, partie des attributions régaliennes de l’État.

Cette fiction juridique, j’ose même dire idéologique, ne résiste nullement à la réalité. L’état des lieux actuel en est la preuve éclatante. Depuis l’instauration du regroupement familial, en 1976, sous un gouvernement de droite – Valéry Giscard d’Estaing étant Président de la République et Jacques Chirac son Premier ministre –, la France subit un flux migratoire sans précédent dans son histoire par son ampleur et sa durée, de l’ordre de 200 000 entrées légales par an en moyenne, sans compter au moins 70 000 entrées illégales. Il faut rappeler que sur ces 200 000 entrées légales, seules 7 % sont liées au travail, tout le reste de ces personnes vivant de revenus d’assistance divers. En 2012, seuls 16 000 titres de séjour ont été accordés en vertu d’un contrat de travail ; dans le même temps, l’administration effectuait 51 000 transcriptions d’actes de mariage conclus à l’étranger, soit le double d’il y a dix ans.

À ce chiffre, il faut ajouter celui des demandeurs d’asile annuels, soit presque 70 000, dont plus de 80 % sont déboutés. La très grande majorité d’entre eux n’a donc clairement rien à voir avec les fameux «  combattants de la liberté » évoqués à l’article 53-1 de notre Constitution et dans la convention de Genève : il s’agit simplement de réfugiés économiques qui fuient la misère et cherchent un avenir meilleur chez nous. Notre dispositif d’asile, selon l’exposé des motifs lui-même, est bel et bien saturé : la durée d’examen des dossiers excède bien souvent deux ans ! Les multiples recours, la réticence des autorités publiques à procéder à des éloignements au risque de les voir rapidement médiatisés par les milieux associatifs, font que notre système a atteint le seuil de l’impuissance publique puisque l’immense majorité des déboutés demeure sur le territoire national, à peine 5 % faisant l’objet de mesures d’éloignement.

Le dispositif d’hébergement dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, est lui aussi saturé, d’où un recours massif aux nuitées d’hôtel, extrêmement coûteuses – 32 000 nuitées quotidiennement à Paris ! –, sans parler des déboutés qui séjournent durablement dans des hébergements temporaires, comme l’a rappelé tout à l’heure Éric Ciotti, voire ceux qui continuent à toucher leur allocation, tous grossissant le flot des « sans-papiers », statut nouveau, parfaitement baroque sur le plan juridique et qui montre que notre système est totalement dépassé.

Cette réalité est aggravée par un certain nombre de facteurs spécifiques à la France, liés pour partie à notre tradition autoproclamée de générosité envers les migrants – du moins depuis les années soixante-dix. Ce n’était pas le cas en effet dans les années trente, monsieur le ministre, vous qui avez cet après-midi évoqué un échange très beau entre Jules Moch et Camille Cheautemps, tous deux, me semble-t-il, de votre bord politique. Certes, mais vous ne devez pas oublier qu’à cette époque les Juifs venant d’Allemagne ou d’Autriche y étaient renvoyés.

Le laxisme marqué de notre droit lorsqu’il s’agit de l’asile ou des prestations sociales qui y sont liées, aggrave le phénomène décrit par Franco Frattini, qui a été commissaire européen chargé de ces questions, sous le nom d’asylum shopping.

En France, et nulle part ailleurs dans le monde, n’importe qui, venant de n’importe où, sans le moindre document d’identité, peut gratuitement se faire soigner sans limites ni contraintes, grâce à la fameuse aide médicale d’État instituée par Lionel Jospin. Son coût budgétaire avoisine désormais le milliard d’euros – chiffre de 2014 – et son régime est infiniment plus généreux que celui qui s’applique au travailleur français, smicard compris, qui, lui, paye ses charges de Sécurité sociale et ne bénéficie pas de couverture universelle.

La politique menée par votre gouvernement depuis 2012 accentue encore un peu plus le phénomène. Je rappelle que Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, a réduit de près d’un quart, 23 % exactement, le nombre d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Dans le même temps, le nombre des régularisations explosaient : 30 % de plus, soit 46 000 cartes de séjours en 2013 – une augmentation de 16 000 en un an –, grâce à la fameuse circulaire Valls, année où l’on a recensé 70 000 clandestins supplémentaires. Idem pour les naturalisations : 100 000 par an, conformément à l’objectif de M. Valls, contre 46 000 en 2012. Si l’on ajoute à ce tableau la loi de 2012, votée par votre majorité, supprimant l’incrimination de l’aide à l’immigration clandestine, puis la généralisation par vous-même, monsieur Cazeneuve, du titre de séjour pluriannuel, il ne faut pas s’étonner de voir le nombre de demandeurs d’asile bondir à 65 000 en 2013, soit le double d’il y a sept ans.

Au final, par un mélange dévastateur de juridisme pointilleux, de laxisme et d’impuissance publique, notre système d’asile est devenu, au cours de la dernière décennie – je le dis avec force, mes chers collègues – une machine à légaliser l’immigration illégale.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Tout de suite les grands mots !

M. Philippe Baumel. Caricature !

M. Pierre Lellouche. Face à une telle situation, le texte qui nous est proposé va-t-il enfin permettre de replacer le système du droit d’asile dans le cadre de la politique de contrôle de l’immigration dont la France doit impérativement se doter, ou bien ses dispositions vont-elles au contraire aggraver les dérives actuelles ?

M. Guy Geoffroy. Je crains la seconde éventualité.

M. Pierre Lellouche. L’examen attentif du projet de loi conduit à penser que malheureusement, le nouveau dispositif, présenté au départ comme le moyen de réduire à neuf mois le délai de traitement des dossiers, objectif que nous ne pouvons évidemment que soutenir, ne fera qu’aggraver la situation présente. Loin de lutter contre les effets pervers d’un système dont vous avez vous-même reconnu qu’il était dépassé, votre texte ne va faire qu’accélérer la véritable déroute du système actuel.

J’en veux pour preuve la définition baroque de la notion d’ « État d’origine sûr ». Les chiffres démontrent le lien direct entre la présence d’un État sur cette liste et l’effet d’aubaine créé chez les demandeurs. Lorsque, par exemple, on a réinscrit l’Arménie et le Kosovo, le nombre de demandeurs originaires de ces pays a chuté respectivement de plus de 50 % et 49 % ! Or cette liste ne comprend à l’heure actuelle que dix-sept pays sur 198 ! J’ajoute que sa composition semble avoir été confiée, de façon assez confuse, aux instances européennes.

Que signifie concrètement cette notion ? Si je m’en tiens au texte de l’article 6, « un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflits armés internationale ou interne ». Avec une définition aussi exigeante en matière de pureté démocratique et de stabilité interne, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de pays peuvent prétendre être sûrs ? Les États-Unis eux-mêmes, qui viennent de vivre les émeutes que l’on sait, consécutives aux traitements que l’on peut qualifier d’« inhumains et dégradants » infligés par la police américaine à des citoyens américains de couleur, sont-ils un pays sûr ? Faudra-t-il contester la qualité de pays sûrs à des pays membres de l’Union européenne telles la Roumanie, la Bulgarie et plus encore la Hongrie, en raison des traitements infligés à certaines minorités, notamment aux Roms, que l’on trouve pour cette raison en grand nombre dans les rues de Paris ? Selon une telle définition, l’immense majorité de la population de la planète ne vit pas dans des pays sûrs.

Si l’on considère que seuls les pays membres de l’Union européenne sont d’authentiques démocraties, aux termes de l’article 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union, et si on y ajoute les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon, est-ce à dire que nous devrions être prêts à accueillir des réfugiés provenant littéralement de tout le reste de la planète, soit potentiellement six milliards de personnes ? Il ne s’agit pas seulement de l’Érythrée, madame Mazetier. Michel Rocard disait jadis que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais qu’elle doit en prendre sa part ».

Mme Marie-Anne Chapdelaine. L’Allemagne en fait bien plus que nous !

M. Pierre Lellouche. Pouvons-nous réellement prétendre, comme il est indiqué dans l’exposé des motifs, qu’il s’agit de « garantir que la France assure pleinement son rôle de terre d’asile en Europe » à l’égard de dizaines de millions de réfugiés potentiels vivant dans des pays où il est parfois recouru à la persécution, à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants et où on peut parfois aussi se sentir menacé en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne ? À ne regarder que le sud de la Méditerranée et jusqu’au Proche-Orient, permettez-moi de vous dire que je ne vois guère de pays qui échappent à cette définition, sans parler de régions plus éloignées d’Asie centrale ou d’Asie du sud-est.

En découle dès lors une première préoccupation : considérer une liste aussi restrictive comme le point d’appui de l’ensemble de notre politique d’asile est déraisonnable et condamne par nature notre système à être en permanence saturé par des centaines de milliers, voire des millions de candidats potentiels au droit d’asile. La définition de cette fameuse liste et sa révision périodique sous le contrôle des autorités françaises, et non sous celui d’une autorité soi-disant indépendante, voire européenne, devrait être une priorité.

Cela m’amène à un deuxième point capital de votre dispositif, à savoir la superposition de trois autorités prétendument indépendantes de la politique migratoire : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, autrement dit l’OFPRA, dont vous prônez l’indépendance absolue par rapport au pouvoir politique, la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, et bien sûr le juge administratif, qui devient lui aussi un acteur clés, renforcé par les directives européennes. La multiplication de ces acteurs indépendants rend rigoureusement impossible un contrôle efficace du droit d’asile dans le cadre de ce qui est une priorité nationale : la reprise en main de notre politique migratoire. La France doit cesser de subir l’immigration et l’asile ; elle doit se donner les moyens de choisir ceux qui bénéficient de l’accès à son territoire. Dans bien d’autres démocraties traditionnellement ouvertes à l’immigration, tels que les États-Unis, le Canada ou l’Australie, gérer l’immigration à l’aveugle, comme on le fait depuis des décennies en France, serait considéré comme irresponsable.

Un troisième problème de fond que pose votre projet de loi est la contradiction, à laquelle j’ai déjà fait allusion, entre le renforcement du droit des demandeurs et la nécessité de lutter contre le détournement de la procédure de l’asile à des fins migratoires. Si votre texte comporte certaines dispositions allant dans le bon sens – la création de guichets uniques, le versement de l’allocation par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et non plus par Pôle Emploi, l’élargissement des critères de placement en procédure accélérée, l’hébergement directif, qui permettra d’orienter les demandeurs vers les places de CADA disponibles – et si nous approuvons votre objectif, monsieur le ministre, de pouvoir écarter plus rapidement la demande d’asile infondée, la transposition des directives européennes, aggravée par les amendements votés en commission, aboutit en pratique au résultat inverse.

Ainsi, il résulte de l’étude d’impact elle-même que « la présence d’un conseil juridique lors de l’entretien à l’OFPRA ne pourra qu’allonger la durée de celui-ci, entraînant une baisse de la productivité » et que « l’extension du recours suspensif devant la CNDA aux procédures accélérées est susceptible d’entraîner un allongement de la durée du maintien en France des personnes concernées, et par suite, du bénéfice des prestations d’accueil », et ce sans parler des garanties supplémentaires accordées aux demandeurs ayant des besoins particuliers, de la facilitation des recours, de l’accès à la formation professionnelle et au regroupement familial étendu jusqu’au concubin. Autant de mesures, parmi beaucoup d’autres, qui ne vont avoir pour résultat que l’allongement des délais de traitement et le maintien prolongé sur le territoire des personnes entrées par le biais de l’asile, deux problèmes qu’il convenait de résoudre et non d’aggraver. D’ores et déjà, près de la moitié des décisions de l’OFPRA qui font l’objet d’un recours – 34 752 en 2013. Gageons que ces nouvelles dispositions ne vont faire que les augmenter à l’avenir.

À ces remarques, on doit ajouter de nombreuses questions auxquelles le texte  ne répond pas. Permettez-moi d’en citer quelques-unes : en quoi l’hébergement directif permettra-t-il de traiter le cas des migrants de Calais qui ne veulent pas demander l’asile en France mais en Angleterre ? Par qui sera financé le transport vers les places de CADA disponibles ? Quel sera le barème de la nouvelle allocation pour les demandeurs d’asile, dont le projet de loi renvoie la définition à un décret en Conseil d’État ? J’attends du ministre des précisions sur ce point. Rappelons tout de même que le coût global de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, a connu une augmentation exponentielle ces dernières années, passant de 47,5 millions d’euros en 2008 à 149,8 millions d’euros en 2012, et qu’à l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’ATA s’ajoute la hausse de la durée moyenne d’indemnisation, cette dernière étant passée d’environ 202 jours en 2008 à 344 jours en 2012 ! De ce fait, les dépenses de notre système d’asile, hors fonds de concours, sont passées de 327 millions d’euros dans la loi de finances initiale de 2011 à 606 millions d’euros de crédits consommés en 2014, et ce sans compter les apports des collectivités locales aux logements d’urgence. Ainsi, l’ATA représentait en 2013 un versement mensuel de 336 euros pour un mois de trente jours pour un adulte seul. Ce montant est significativement supérieur à celui perçu par les demandeurs d’asile en Allemagne – 224 euros –, en Belgique – 240 euros –, au Royaume-Uni – 172 euros à 211 euros –, en Suède – 210 euros –, ou bien encore en Italie, où un montant de 500 euros mensuels est versé dans la limite de trente-cinq jours, bien loin du montant moyen de l’ATA versé en France, passé de 2 093,70 euros en 2008 à 3 788,50 euros en 2012, soit une augmentation de 81 %.

Comment, dans ces conditions, justifier que l’aide juridictionnelle devienne de droit en cas de recours porté devant la CNDA, d’autant que le recours suspensif est dans le même temps généralisé ?

Reste la question la plus importante, toujours sans réponse à ce stade et dont vous n’avez pas dit un mot, monsieur le ministre : pourquoi ce projet de loi ne comprend-il aucune mesure concernant les déboutés ? Et pourquoi repousser à un texte ultérieur la question centrale des mesures d’éloignement, qui devraient être le pendant nécessaire des droits accordés aux demandeurs d’asile ?

M. Guy Geoffroy. Eh oui ! C’est le maillon faible !

M. Pierre Lellouche. Tout à l’heure, Éric Ciotti a dit fort justement qu’une politique d’asile devait s’appuyer sur deux jambes : les droits des véritables réfugiés politiques d’un côté, la sanction des mesures éloignement de l’autre. Cette seconde jambe manque cruellement à votre texte.

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Poser cette question, c’est évoquer le sujet des accords dits « Dublin II » et, plus globalement, de la politique européenne en la matière. Ayons la lucidité de reconnaître que le système, là encore, est totalement dépassé par l’ampleur des vagues migratoires actuelles. Si nous, Français, avons accepté de servir à Calais de gardes-frontières au Royaume-Uni, force est de constater que les pays de transit, notamment ceux du sud de l’Europe, ne manifestent pas la même délicatesse à notre endroit. Tous les jours arrivent en France des migrants qui ont traversé tantôt l’Espagne, tantôt l’Italie, tantôt la Grèce, et qui cherchent à avoir accès aux différentes formes de régularisation possibles en France – dont, bien sûr, la demande d’asile.

Il est de notoriété publique que les pays de transit ne réadmettent sur leur territoire qu’avec la plus grande réticence et au compte-gouttes les migrants qui leur sont déférés – ce qui n’est déjà que trop rarement le cas. De ce fait, ces immigrés prétendument « réfugiés » restent sur notre territoire, en attendant une régularisation qui finira par arriver avec le temps, par différents biais, à commencer par la naissance d’un enfant et sa scolarisation.

En définitive, poser cette question, c’est poser la question de la volonté politique. Le choix est entre le statu quo, habillé des meilleures intentions et accompagné des plus belles incantations, mais lourd de conséquences sociales et politiques funestes pour l’intégrité même de notre nation, et la renégociation, à mes yeux inévitable, de l’ensemble du dispositif, y compris des accords de Schengen et de Dublin, avec nos partenaires européens. S’il s’avère impossible de compter sur ces derniers pour surveiller nos frontières communes, alors viendra le temps, j’en suis convaincu, où nous devrons reprendre le contrôle de nos frontières nationales.

En dressant ce tableau, j’ai pleinement conscience de la gravité du problème auquel nous sommes confrontés. Des vagues migratoires d’une ampleur sans précédent atteignent notre continent, et surtout la France, à un moment où notre pays va mal, où notre économie est déprimée et n’est guère en mesure de fournir l’emploi et le logement nécessaires aux candidats à l’immigration qui affluent à nos frontières.

Je mesure également combien il est difficile de reprendre le contrôle d’une politique migratoire que nous gérons depuis les années soixante-dix nous gérons avec une grande désinvolture,…

M. Jacques Myard. C’est vrai !

M. Pierre Lellouche. …mettant en avant tantôt les bons sentiments, tantôt une sorte d’excuse européenne appelée Schengen,…

M. Jacques Myard. Cela s’appelle « l’eurobéatitude » !

M. Pierre Lellouche. …quand nous n’avons pas tout bonnement cédé au politiquement correct, de peur d’apparaître comme les suppôts du Front national.

M. Arnaud Richard. C’est vrai !

M. Pierre Lellouche. Je crois que le moment de vérité est aujourd’hui arrivé. À côté du très grand défi que représente la redéfinition de notre modèle de production et de redistribution – ce que l’on appelle chez nous le « pacte républicain » –, la reprise en main de notre politique migratoire est à mes yeux l’autre grand défi auquel nous, responsables politiques, sur tous ces bancs, nous devrons nous atteler dans les années qui viennent.

Nous ne pouvons pas laisser perdurer une situation où les communautés vivent les unes à côté des autres, souvent dans la peur, voire dans le rejet les unes des autres.

M. Jacques Myard et M. Arnaud Richard. C’est vrai !

M. Pierre Lellouche. Nous ne pouvons pas accepter la ghettoïsation et les « territoires perdus » de la République.

M. Jacques Myard et M. Arnaud Richard. C’est vrai !

M. Pierre Lellouche. Nous ne pouvons pas accepter au nom des bons sentiments que se poursuive une immigration qui se chiffre à plusieurs centaines de milliers de personnes supplémentaires par an, alors que notre modèle d’intégration – je n’ose même pas dire d’assimilation – ne fonctionne plus.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Pierre Lellouche. Le benign neglect, la négligence facile, et l’incantation généreuse, dont on a eu tout à l’heure l’illustration, ne peuvent pas tenir lieu de politique, sous peine de laisser le champ libre demain à ceux qui proposent des solutions beaucoup plus radicales.

Il appartient donc aux républicains que nous sommes, sur tous ces bancs, de prendre véritablement conscience de ce qui nous arrive et de prendre à bras-le-corps la question de l’immigration, en y incluant le droit d’asile, et d’abord en votant tous ensemble cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il fallait la voter !

M. le président. Nous en venons à la réponse de la commission et du Gouvernement.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Malgré toute l’attention avec laquelle nous avons écouté votre exposé, monsieur Lellouche, nous n’y avons pas trouvé la moindre raison qui justifierait un renvoi du texte en commission !

En outre, une lecture manifestement distraite de la fiche de Wikipédia consacrée au droit d’asile ne vous a pas permis d’y découvrir un principe fondateur de ce dernier : le principe du non-refoulement – mais peut-être cette fiche demande-t-elle à être complétée.

M. Guy Geoffroy. C’est vraiment n’importe quoi !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Eh oui, monsieur Lellouche : on peut venir du monde entier, et non pas seulement d’Erythrée, demander à la France sa protection. De tous les continents peuvent arriver des personnes fuyant les persécutions et dont la demande de protection mérite un examen attentif. Oui, monsieur Lellouche, des instances telles que l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile, à laquelle les députés sont très attachés, sont chargées d’examiner au fond si cette demande de protection est justifiée ou non – vous avez fait là des découvertes passionnantes !

En revanche, vous méconnaissez manifestement les principes même de l’État de droit et la nature des engagements que la France a contractés ou qu’elle s’est fixés dans sa propre constitution, s’agissant en particulier du droit à un recours effectif.

Vous avez fustigé l’extension de ce droit pour les demandeurs d’asile. Il faut croire que vous n’avez pas retenu la leçon de ce qui vous est arrivé quand vous étiez au Gouvernement ! Vous avez été en effet, monsieur Lellouche, le premier secrétaire d’État chargé des affaires européennes dont un texte a été censuré par le Conseil constitutionnel.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Waouh !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il s’agissait d’une loi autorisant l’approbation d’un accord entre Paris et Bucarest visant à renvoyer des mineurs en Roumanie. Une telle censure était sans précédent

M. Arnaud Richard. Quel est le rapport ?

M. Guy Geoffroy. C’est le Parlement qui s’est fait censurer !

M. Jacques Myard. Et sur un point technique, qui plus est !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Non, chers collègues : beaucoup de députés avaient saisi le Conseil constitutionnel, même si ce n’était pas votre cas, monsieur Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. C’était donc bien un texte voté par le Parlement !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Or notre recours se fondait précisément sur la méconnaissance du droit à un recours effectif – qui vaut également, monsieur Lellouche, pour les mineurs. Peut-être finirez-vous un jour par retenir ce principe.

Vous avez dit une chose juste :…

M. Guy Geoffroy. Pas qu’une !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. …c’est que le moment de vérité était arrivé. C’est vrai : nous allons enfin voir qui sont les vrais républicains, ceux qui sont pétris de valeurs républicaines, les valeurs qui constituent le pacte que la France a conclu avec la liberté.

M. Jean-Pierre Door. Pas de leçons !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Oui, le moment de vérité est arrivé, le moment où on fait la différence entre ceux qui comprennent quelles sont les responsabilités de la France, eu égard à son rôle dans le monde, à son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, au rôle qu’elle s’est assigné dans la résolution des désordres mondiaux et à son engagement historique aux côtés des combattants de la liberté, et ceux qui persistent dans leur refus de le comprendre.

M. Alain Moyne-Bressand. Donneuse de leçons !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous avez dans votre discours évoqué un certain nombre de préoccupations que nous partageons, même si nous n’y apportons pas toujours les mêmes réponses. Je voudrais essayer d’explorer avec vous les différentes questions que vous avez soulevées.

D’abord, vous avez raison de dire que le phénomène de l’asile est étroitement tributaire de la situation internationale.

M. Pierre Lellouche. Merci.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce qui se passe au plan géopolitique fait en effet peser sur les persécutés une pression extrêmement forte, qui les conduit à prendre le chemin de l’exode.

C’est d’ailleurs une très belle réponse à tous ceux qui pensent que c’est par fascination pour le code frontières Schengen qu’on s’engage sur les chemins de l’exode. S’imagine-t-on un futur demandeur d’asile découvrant ce texte quelque part sur les côtes libyennes et s’avisant de venir en Europe en tester la mise en œuvre ! Ce n’est pas ça, la réalité.

M. Jacques Myard. Non, mais ils passent quand même…

M. Guy Geoffroy. C’est ce que font les trafiquants, par contre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La réalité, vous l’avez décrite de façon très juste : ce sont les persécutions, les emprisonnements, les exactions, les régimes sanguinaires qui poussent sur les chemins de l’exode des migrants de plus en plus nombreux. Ce phénomène s’inscrit dans le temps long de l’histoire humaine : depuis très longtemps des hommes trouvent dans l’exode le seul moyen de fuir une oppression sans recours et tout simplement de continuer à vivre.

La question est de savoir si ce phénomène se traduit par une augmentation très significative du nombre de migrants en France, notamment depuis les événements récents d’Irak et de Syrie. La réponse est non.

M. Pierre Lellouche. Pour l’Irak et la Syrie, c’est encore trop tôt !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est vrai qu’entre 2007 et 2012, on a connu une augmentation très forte du nombre de migrants, passé d’environ 35 000 à 60 000.

M. Jacques Myard. Et ce n’est pas fini !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais depuis 2012-2013, on noterait plutôt une diminution de ces flux, du fait notamment qu’un certain nombre de migrants originaires d’Europe de l’Est ne viennent plus en France.

Je voudrais insister sur un deuxième point : contrairement à ce qu’on prétend souvent, au mépris de la réalité statistique, il n’y a pas d’augmentation massive de l’immigration en France.

Sur les 200 000 titres de séjour que nous attribuons chaque année, 90 000 relèvent du regroupement familial, 60 000 sont délivrés à des étudiants – ce qui, contribuant à l’attractivité de nos universités et de nos laboratoires de recherche, est bénéfique pour notre pays– et quelque 20 000 relèvent de l’accueil pour raisons humanitaires. Le total représente, depuis toujours, 0,3 % de la population française.

M. Pierre Lellouche. Mais non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, ces chiffres sont incontestables. Ils ont été établis par des services statistiques dont personne ne met en doute le sérieux.

M. Pierre Lellouche. Moi aussi, j’ai travaillé sur le sujet !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. On peut contester la politique de tel ou tel gouvernement, mais pas la réalité statistique, et celle-ci est très exactement celle que je viens de vous indiquer.

Dès lors que la réalité de l’asile et de l’immigration est celle-là, vos propos soulèvent plusieurs questions, auxquelles je veux apporter des réponses.

Il ne s’agit pas de faire preuve de la moindre naïveté dans ce domaine et de contester le fait que l’asile puisse servir, notamment à des filières d’immigration clandestine, de vecteur au développement de flux d’immigration économique irrégulière. C’est une réalité : il existe aujourd’hui des passeurs qui, à partir des côtes libyennes, chargent des migrants de plus en plus nombreux sur des embarcations de plus en plus frêles, pour des sommes de plus en plus importantes. Ils se rendent ainsi coupables d’une véritable traite d’êtres humains. De tels faits méritent d’être combattus pour ce qu’ils sont et peuvent alimenter, par un dévoiement de l’asile, une immigration économique irrégulière.

Face à cette situation, le Gouvernement n’est pas resté inactif. Cet été, nous avons soumis à la plupart des pays de l’Union européenne un programme qui a directement inspiré les conclusions du Conseil européen. Ce programme prévoit la substitution à l’opération Mare Nostrum, opération de sauvetage en mer qui s’est paradoxalement traduite par un plus grand nombre de pertes humaines en contribuant à alimenter les flux de l’immigration irrégulière, une opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne sous l’égide de Frontex.

M. Pierre Lellouche. J’approuve ces initiatives.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce programme, dénommé Triton, est la première opération visant à assurer le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, dans le but de garantir une politique migratoire à la fois généreuse, maîtrisée et responsable,  et dans le respect du droit de la mer qui commande le sauvetage des naufragés.

Ensuite, nous avons obtenu de l’Union européenne l’instauration d’une véritable coordination des politiques de l’Union incluant les pays de provenance, de manière à pouvoir mettre en place dès le pays d’origine des procédures accélérées pour ceux qui relèvent de l’asile en Europe, et ainsi éviter que les passeurs ne fassent leur œuvre funeste.

En troisième lieu, nous avons jeté les fondements – cela a été rappelé lors du dernier Conseil Justice et Affaires intérieures– d’une véritable gestion commune de l’asile par les pays de l’Union, c’est-à-dire d’une politique européenne de l’asile tenant compte des efforts déjà accomplis par les pays de l’Union européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui n’avait jamais été fait. Nous avons par ailleurs mis en place des dispositifs de contrôle visant à s’assurer, sous l’égide de Frontex, que tous les pays de l’Union européenne relèvent bien les empreintes de ceux qui arrivent en Europe et introduisent dans le système Eurodac les données relatives à ces migrants, ce qui n’était pas le cas de certains de nos partenaires, notamment l’Italie.

Voilà ce que nous avons fait au plan européen. Très honnêtement, monsieur Lellouche, on ne peut pas considérer qu’une politique qui vise à accueillir tous ceux qui doivent l’être et à éviter que certains ne viennent de façon irrégulière soit une politique irresponsable. Vous-même poursuiviez les mêmes objectifs lorsque vous étiez aux responsabilités, mais votre solution pour y parvenir était de mettre fin à Schengen, ce que les autres pays de l’Union européenne ont refusé.

M. Pierre Lellouche. Vous caricaturez un peu !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur Lellouche : l’ancien Président de la République propose tous les jours de sortir de Schengen, alors qu’il n’existe pas le moindre début de consensus au sein de l’Union européenne pour le faire. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les pays de l’Union avec lesquels nous pourrions œuvrer de manière pragmatique et concrète se refusent à le faire, effrayés par des propos qui n’ont aucun débouché politique.

M. Jacques Myard. Qu’est-ce que cela veut dire ? On se couche, maintenant, monsieur le ministre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est ce qui s’est passé, monsieur Lellouche, et vous le savez parfaitement.

L’initiative que nous avons proposée cet été donne au droit d’asile sa pleine et entière dimension en Europe, parce que le gouvernement français veut accueillir tous ceux qui relèvent de l’asile en France…

M. Jacques Myard. Il n’y en a pas beaucoup !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais nous voulons aussi que cette politique soit une politique responsable.

Voilà un premier élément de réponse.

Notre deuxième réponse est très importante puisqu’elle concerne Calais. En effet ce projet loi tend à renforcer significativement les moyens que l’OFPRA pourra déployer là où se trouvent des concentrations importantes de migrants, notamment à Calais. Il s’agit de permettre à l’Office de sortir des griffes des réseaux tous les migrants errant dans cette ville et qui relèvent du droit d’asile, de les convaincre de demander l’asile en France et de les placer dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile.

Troisièmement, vous évoquez à juste titre la nécessité de démanteler les filières de l’immigration irrégulière, et, comme le Front national, vous accusez souvent le Gouvernement de rien faire en ce domaine. C’est faux, et je vais vous le prouver par des éléments très précis.

Des accords ont été conclus entre nos services de police et de renseignement et ceux d’autres pays de l’Union européenne. En vertu de l’accord passé avec les Britanniques, ceux-ci consentent un effort financier sans précédent pour remédier à la situation à Calais. Alors qu’ils n’avaient pas dépensé un sou au titre des accords du Touquet, ils consacreront quinze millions d’euros sur trois ans à la sécurisation du port. En outre, ils acceptent de coopérer avec nous pour démanteler les filières de l’immigration irrégulière à Londres, comme nous le faisons sur le territoire national et comme nous aspirons à le faire à partir des pays de provenance.

Depuis un an, monsieur le député, nous avons augmenté de 30 % nos résultats en matière de démantèlement de filières d’immigration irrégulière, ce qui est considérable. Les comptes rendus d’activité qui me parviennent quotidiennement de mes services témoignent que, conformément à ma demande, ils sont hyperactifs dans ce domaine. Il s’agit de sortir ces migrants des mains de passeurs qui sont de véritables criminels, des acteurs de la traite des êtres humains qui prélèvent sur eux une dîme abjecte avant de les laisser dans une impasse, quand ils ne les livrent pas à la mort.

Voilà ce que nous faisons. Je ne suis pas choqué par vos interpellations, je les trouve légitimes au contraire : ce sont là des questions que chacun sur ces bancs doit pouvoir poser. Ce que je souhaite, c’est un débat précis et rigoureux, qui ne repose pas sur des procès d’intention, mais qui juge une politique telle qu’elle se déploie, en fonction des résultats qu’elle obtient.

C’est parce que nous obtenons ces résultats et que notre politique respecte cette exigence de rigueur et de transparence que je ne vois aucune raison de faire droit à votre demande de renvoi en commission. Celle-ci n’est pas justifiée : nous savons ce que nous faisons et où nous allons. Notre projet a été précédé de nombreuses concertations, et les parlementaires ici présents ont longuement travaillé sur le sujet. Désormais, il est temps d’agir.

M. le président. Nous en venons maintenant aux explications de vote des groupes. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Sans partager le fond de l’intervention de Pierre Lellouche, je tiens à dire qu’elle était bien plus intéressante que celle de M. Ciotti.

M. Guy Geoffroy. Les deux étaient très bien !

M. Sergio Coronado. Si vous le dites, monsieur Geoffroy. Pour ma part, j’ai préféré celle de M. Lellouche.

Trois points m’ont paru intéressants.

Selon vous, c’est le traitement distinct de la question de l’asile et de celle de l’immigration qui empêcherait de régler les problèmes que vous avez soulevés. Or le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, traite et de l’immigration et de l’asile, et nous ne sommes pas pour autant capables d’appréhender l’ensemble du phénomène de façon rationnelle. En outre, vous oubliez que le droit d’asile est un droit spécifique, qui a la particularité, en France, de relever à la fois de la Constitution et de la Convention de Genève – c’est pourquoi d’ailleurs l ’Office rarement si l’octroi du statut de réfugié relève de l’une ou de l’autre, alors que la CNDA le fait. Ce n’est pas un renvoi en commission qui permettrait de régler une question d’ordre constitutionnel et conventionnel.

Vous dites par ailleurs que l’immigration risque de devenir un phénomène bien plus massif qu’aujourd’hui. Sur ce point, je suis assez d’accord. Selon certaines études, le nombre des réfugiés climatiques pourrait atteindre seize millions d’ici quelques dizaines d’années, soit le nombre actuel des réfugiés conventionnels dans le monde. Cette question mérite donc un traitement beaucoup plus politique et dépassionné. Je ne suis pas certain que le renvoi en commission permette de régler un problème qui exige la mobilisation de l’ensemble des acteurs internationaux et qui constitue un des sujets principaux de la conférence climatique de Lima.

Enfin vous êtes opposé à la liste des pays sûrs. Je partage cet avis : en France comme dans d’autres pays européens, cette liste est une manière de gérer les flux, et non de s’attaquer au fond de la question. Vous auriez dû venir en commission, car la question y a été longuement abordée. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Nous ne pouvons pas être favorables à cette demande de renvoi en commission dont la seule finalité est de retarder le débat, car un tel renvoi ne permettrait pas de pallier les difficultés rencontrées par le système actuel.

Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler que nous sommes favorables à la réduction des délais de traitement des demandes d’asile, à une répartition plus équitable des demandeurs sur le territoire et à la garantie du respect de leurs droits. Ces exigences sont prises en compte par ce projet, dont les dispositions ont été améliorées en commission. En outre, la commission des lois et sa rapporteure Sandrine Mazetier ont travaillé de façon approfondie. Cette dernière a veillé à recueillir les sentiments des parlementaires sur ces sujets et procédé à l’audition des rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale ayant travaillé sur ces questions, mais aussi d’un grand nombre de représentants d’associations, d’administrations publiques ou de juridictions en charge du contentieux de l’asile.

Je tiens enfin à rappeler que chacun d’entre nous, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition, a eu l’occasion en commission d’interroger la rapporteure et d’apporter sa contribution au débat en déposant des amendements.

Vous l’aurez compris, le groupe RRDP votera contre cette motion de renvoi en commission.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous venons à peine d’ouvrir nos débats, et déjà l’opposition parlementaire lance ses premiers traits. Je ne doute pas que cette motion visant à renvoyer ce projet de loi en commission sera rejetée parce qu’elle ne se justifie pas.

En effet, ce projet de loi, déposé à l’Assemblée le 23 juillet dernier, a été étudié et travaillé en profondeur. Il a été sagement amendé par les commissions et abondamment commenté, pour aboutir, à l’issue d’un travail législatif conséquent, au texte dont nous allons débattre.

Il ne fait aucun doute que nous avons suffisamment préparé ce projet de loi. Les dizaines d’heures d’auditions, les centaines de personnes rencontrées, les nombreux échanges et l’investissement des députés, en particulier de notre collègue rapporteure Sandrine Mazetier et de Pascale Crozon, le démontrent.

Notre politique en matière d’asile ne peut souffrir plus longtemps cette absence de réforme. La nécessité de réformer notre droit en profondeur est implacable : comme l’a dit M. le ministre, il existe des dysfonctionnements que nous avons trop longtemps tolérés. Contrairement à la majorité précédente, qui légiférait à tout va, nous proposons une réforme globale, élaborée et conçue à partir d’une large concertation – je pense notamment au rapport de nos collègues Touraine et Létard.

Ce projet est clair, juridiquement cohérent, et porteur d’une ambition républicaine. Il répond sans dogmatisme à la réalité d’une situation dont nous héritons : celle d’un système d’asile en crise. Les délais de traitement des demandes ont explosé, la durée moyenne de la procédure atteint parfois dix-neuf mois et l’accueil des demandeurs s’est dégradé.

Je le répète, mes chers collègues : rien ne justifie que nous laissions plus longtemps persister une telle situation. Aucune raison objective ne justifiant un renvoi en commission, le groupe SRC votera donc unanimement contre cette motion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Puisque vous nous avez demandé de faire preuve de rigueur dans ce débat, monsieur le ministre, je veux apporter cette précision à propos des migrants de Calais : beaucoup de ces malheureux viennent d’Érythrée et sont en transit en France, après avoir traversé l’Italie ; ils ne sont absolument pas demandeurs d’asile, que ce soit en Italie ou en France. Il ne suffira donc pas que nous leur proposions l’asile dans notre pays pour que les choses s’améliorent, à l’inverse de ce que vous prétendez. C’est bien plus compliqué que cela, et vous ne pouvez l’ignorer.

Je tenais également à vous dire que la substitution de Triton à l’opération Mare Nostrum inquiète beaucoup les Italiens, notamment la maire de Lampedusa. Ils nous ont fait savoir qu’ils pensaient que Triton s’ajouterait à Mare Nostrum, et non pas qu’elle la remplacerait.

Tel qu’il nous arrive, ce texte est une formidable occasion manquée. La transposition des deux directives vous donnait l’occasion d’établir un meilleur équilibre entre le droit fondamental à l’asile et le devoir, tout aussi fondamental, de faire en sorte que ceux qui n’obtiennent pas l’asile retournent là d’où ils viennent.

Or le travail qui a été fait en commission a consisté à altérer ce qui aurait pu être positif dans le texte initial proposé par le Gouvernement.

Ce qui était positif, c’était l’intention, que personne ne met en cause, de réduire les délais en première et en deuxième instance. Mais si votre politique était équilibrée, elle aurait un deuxième objectif, symétrique au premier, et que nous n’avons, ni les uns ni les autres, réussi à atteindre jusqu’ici : tout faire pour qu’il soit clair que, si la France est une terre d’asile, quand on s’y est vu refuser l’asile, on doit impérativement retourner dans son pays. Or vous ne le suggérez même pas, monsieur le ministre, madame la rapporteure. Il a fallu attendre la motion de rejet préalable pour que vous évoquiez la notion d’éloignement.

Votre projet de loi ne sera équilibré que lorsque qu’il prendra cette dimension en compte. C’est pour cela qu’il faut retourner en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Mes chers collègues, l’examen du projet en commission des lois et en commission des affaires sociales a permis de discuter d’un grand nombre d’amendements, adoptés, pour la plupart, à l’initiative de la rapporteure ou de la majorité, concernant en particulier l’encadrement des cas de recours à la procédure accélérée, les hypothèses de clôture d’examen, l’amélioration des conditions d’examen d’un recours relatif à une demande d’asile devant la CNDA ou encore le renforcement de la prise en compte des besoins de la situation personnelle des demandeurs.

Il est vrai que ces nombreuses modifications laissent craindre un déséquilibre du texte au regard de la volonté du Gouvernement, madame la rapporteure, et c’est pourquoi j’ai déposé des amendements qui ont pour objet de revenir au texte initial, ce qui peut paraître assez paradoxal de la part d’un membre de l’opposition !

Il importe en effet, monsieur le ministre, de parvenir à un juste équilibre entre la recherche d’une efficacité accrue de notre système d’asile, à laquelle vous êtes attachée, et les garanties offertes aux personnes concernées. Nous ne devons pas orienter ce texte dans un sens qui pourrait nuire à la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile, à laquelle nous sommes tous très attachés, ou qui pourrait encourager le détournement ou l’instrumentalisation de cette procédure d’asile.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Arnaud Richard. Mon cher collègue, je ne voterai pas cette motion de procédure, même si je tiens à souligner le caractère extrêmement mesuré et précis de vos propos. En effet, nous avons bien travaillé en commission, qu’il s’agisse de la commission des affaires sociales ou de la commission des lois, et j’aspire à ce que nous débattions enfin de ces amendements, qui doivent nous permettre de sortir de l’ambiguïté.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Arnaud Richard. Quant à la question de l’obligation de quitter le territoire français, l’OQTF, elle ne relève pas de le politique l’asile mais de celle de l’immigration : ce n’est donc pas dans ce texte que nous devons traiter de ce sujet.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Très bien !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour un rappel au règlement.

M. Pierre Lellouche. Mon rappel au règlement est fondé sur la mise en cause dont j’ai fait l’objet de la part de Mme Mazetier en raison de mon activité ministérielle passée.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. J’ai rappelé des faits !

M. Pierre Lellouche. Je ne veux pas abuser de la patience de mes collègues : j’essaie d’utiliser le temps qui m’est imparti pour que nous avancions tous ensemble et sans esprit partisan. Cependant, madame Mazetier, vous avez utilisé à mon endroit une ironie assez méchante. Ceci dit, je la prends comme elle vient, sans doute comme un témoignage d’amitié parisienne.

Mon parcours a été modeste avant que je m’engage en politique : après quelques études, entre autres de droit, j’ai été quelques années directeur de l’Institut français des relations internationales. Il se trouve que j’écris sur l’immigration depuis plusieurs décennies, et le livre où j’analyse ce que sont les flux migratoires depuis vingt-cinq ans a été primé.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je ne l’ai pas lu !

M. Pierre Lellouche. Alors, madame Mazetier, même si vous savez énormément de choses…

M. Jacques Myard. Mais pas tout !

M. Pierre Lellouche. …souffrez que ma culture excède quelque peu les fiches Wikipédia. Ceci dit, je serais heureux que nous comparions nos diplômes… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et nos parcours professionnels.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est nul !

M. Philippe Baumel. C’est minable !

M. Jean-Pierre Dufau. La classe internationale !

M. Pierre Lellouche. Vous avez évoqué la censure par le Conseil constitutionnel d’un accord franco-roumain visant à permettre le rapatriement d’enfants mineurs.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Pierre Lellouche. Vous qui êtes élue de Paris, madame Mazetier, vous avez vu les petits enfants roumains se prostituer à la gare du Nord ; vous les avez vus se faire exploiter sur les grands boulevards.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Absolument ! Mais, monsieur Lellouche, avez-vous voté la proposition de loi contre la prostitution ?

M. Pierre Lellouche. Moi, je les vois tous les jours dans ma circonscription. Voilà pourquoi j’ai essayé de faire ratifier cet accord, quand j’étais en charge de ces questions, en liaison avec le gouvernement roumain, qui nous pressait de procéder à cette ratification.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Lellouche. Ce sont vos amis, madame Mazetier, qui ont bloqué cette ratification en intentant un recours contre cette dernière, et c’est pourquoi ces petits enfants roumains sont toujours ici.

M. Philippe Baumel. C’est misérable !

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir fait montre à mon endroit d’un ton plus modéré que celui que vous avez employé tout à l’heure.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Le ministre est plus diplômé que moi : ceci explique cela !

M. Pierre Lellouche. Je veux vous dire cependant que l’asile et l’immigration sont inséparables.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. le président. Ce sera votre conclusion, mon cher collègue !

M. Pierre Lellouche. Deux cent mille entrées légales par an pendant dix ans, cela fait deux millions de personnes ; multipliées par quarante ans, cela fait huit millions de personnes, sans compter les enfants de ces dernières.

Monsieur le ministre, la France est en train de changer sous l’effet d’une évolution migratoire sans précédent dans son histoire. Libre à vous de refuser de le voir et de considérer que l’asile est un monde à part, totalement isolé de cette problématique. Je vous dis, moi, que c’est en train de bouillir sous vos pieds. Ou bien vous traitez ce problème sérieusement, ou bien il va vous sauter à la figure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Pourquoi ne l’avez-vous pas traité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux redire combien, sur une telle question, il me paraît important que l’on évite de susciter des peurs…

M. Pierre Lellouche. Ce ne sont pas des peurs, c’est la réalité !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …de convoquer des statistiques fausses et d’évoquer de façon mélodramatique des sujets qui n’ont pas à être traités de cette manière : la question de l’immigration doit être appréhendée de façon rationnelle.

M. Pierre Lellouche. Dans ces conditions, je ne débattrai pas avec vous ! On n’est pas au cirque ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, je suis en train de vous répondre extrêmement précisément. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Écoutons le ministre !

M. Pierre Lellouche. Ne soyez ni blessant, ni arrogant !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, il n’y a aucune arrogance de ma part !

M. Pierre Lellouche. Vous êtes arrogant !

M. Philippe Baumel. C’est vous qui êtes arrogant !

M. le président. Monsieur Lellouche, s’il vous plaît ! Veuillez poursuivre, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, j’ai un immense respect pour tous les parlementaires, et je suis en train de répondre calmement à votre interpellation, sans aucune volonté d’être désagréable à l’égard de quiconque : je désire simplement être précis.

Il est vrai que 200 000 titres de séjour sont distribués chaque année – je confirme d’autant plus ce chiffre que je l’ai moi-même indiqué – mais vous additionnez des données annuelles, comme si ces personnes restaient en France pour l’éternité : ce n’est pas le cas.

M. Pierre Lellouche. Il y a autant de naturalisations ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, je veux bien vous répondre très aimablement, à condition que cet état d’esprit soit partagé. Je le fais par courtoisie et par respect envers le Parlement mais, si vous ne souhaitez pas que je vous réponde, je vous assure que je peux m’en abstenir : je ne voudrais pas vous être désagréable. Je peux très bien le comprendre, d’autant que je ne suis pas de ceux qui s’estiment indispensables. Auquel cas, je me rassois et je me tais.

Ce sont donc 200 000 titres qui sont attribués chaque année, dont 60 000 à des étudiants. Ces derniers ont vocation à repartir : ils ne restent pas en France, et ce seul fait suffit à infirmer vos calculs. De surcroît, parmi ceux qui bénéficient de l’un de ces 200 000 titres de séjour, il arrive que certains disparaissent, les étrangers n’étant pas moins mortels que les Français. Par conséquent, le calcul auquel vous venez de vous livrer est inexact.

Je voudrais par ailleurs insister sur le fait que ce texte porte sur l’asile. Comme je l’ai indiqué en commission – vous étiez présent, monsieur Geoffroy –, ce texte sera suivi d’un texte relatif à l’immigration. J’ai indiqué à plusieurs reprises, monsieur le député, que ce texte définirait les conditions dans lesquelles les personnes déboutées du droit d’asile devraient retourner vers leur pays d’origine. Je partage votre sentiment : si l’on veut que l’asile ait de la force, il faut que les personnes qui peuvent y prétendre soient accueillies et que les personnes qui n’en relèvent pas puissent retourner dans leur pays dans des conditions humaines. Le retour doit être préparé et un dialogue doit être noué avec les pays de provenance : c’est toute une politique à bâtir.

Je réponds ainsi par avance à ceux qui ne manqueront pas de m’interpeller sur ce thème au cours du débat pour me reprocher de ne pas prendre en compte la situation de ceux qui, déboutés de leur demande d’asile, doivent repartir chez eux. Ce sujet sera traité dans le texte sur l’immigration et c’est l’ensemble de ces deux textes qui fonde l’équilibre de notre politique migratoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme Brigitte Allain. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Nous en venons à la discussion générale. La parole est à M. Sergio Coronado, premier orateur inscrit.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteures, monsieur le rapporteur, l’asile est un des piliers de notre tradition républicaine et la France est perçue dans nombre de pays – et surtout par les combattants de la liberté – comme une terre d’asile.

Néanmoins, Robert Badinter a dit un jour que la France n’était pas tant le pays des droits de l’homme que celui de la déclaration des droits de l’homme, soulignant ainsi l’abîme qui sépare les principes et les représentations de la réalité. Combler cet abîme doit être notre objectif, notre boussole. Le texte soumis aujourd’hui à notre discussion est de ceux qui tissent un lien entre nous et le reste du monde, qui façonnent notre place dans le concert des nations, qui nourrissent le message universel que nous souhaitons toujours porter.

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, constatons que nombre des principes fondateurs de notre République, sont parfois mis à mal. La crise, la montée des populismes, partout en Europe, et dans notre pays en particulier, suscitent le repli, alimentent la xénophobie et expliquent que l’altérité est perçue comme un trouble et l’étranger comme un fraudeur.

De deux choses l’une. Soit, au nom des libertés, du respect de nos valeurs, de notre Constitution et des conventions signées et adoptées par la France, nous renforçons avec détermination notre législation, en tenant compte de la nécessité de rendre plus efficace l’application des directives européennes et de la convention de Genève. Soit, au nom d’une autre idée de la France, parfois exposée à cette tribune, on mêle l’immigration et le droit d’asile au discours sécuritaire, on pratique l’amalgame et, d’une certaine façon, on abîme notre histoire. C’est une question de principe.

Le projet de loi relatif à la réforme de l’asile a pour objectif d’améliorer l’accès à une protection de ceux qui craignent avec raison des persécutions en cas de retour dans leur pays. Une réforme était nécessaire, en raison de l’insuffisance de l’hébergement, des carences administratives et de la concentration géographique des demandes avec, comme résultats, un accueil défaillant et des délais excessivement longs, voire insupportables.

Sur l’asile comme sur l’immigration, il nous faut combattre les idées reçues et les discours démagogues, et rappeler que la France est au huitième rang des pays européens les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme pour manquement à ses obligations. Il faut rappeler que la France est, parmi les cinq pays d’Europe rendant le plus grand nombre de décisions par an, celui qui accède le moins facilement aux demandes d’asile – celles-ci y ont reçu 17 % de réponses positives en 2013, contre plus de 26 % en Allemagne, plus de 38 % au Royaume-Uni et plus de 53 % en Suède.

Monsieur le ministre, il est difficile de croire que le pays des droits de l’homme attire si peu les vrais réfugiés politiques, moins que le Royaume-Uni, moins que l’Allemagne, sans parler de la Suède. Or, en indiquant que ce projet de loi permet d’écarter rapidement les demandes infondées et vise les personnes qui ont réellement besoin de protection, les « bons » demandeurs, on introduit cet esprit de suspicion funeste et l’idée que le détournement de la procédure d’asile serait aujourd’hui la règle. Ce n’est pas ma conviction et ce n’est pas la réalité. Comme vous l’avez rappelé, l’augmentation des demandes s’explique, pour l’essentiel, par la multiplication des conflits.

Ce projet de loi vise à transposer de nouvelles directives européennes, adoptées en juin 2013, avec, comme objectifs principaux, la possibilité de statuer rapidement sur les demandes d’asile – en parvenant à un délai moyen d’examen de neuf mois – et le renforcement des garanties des personnes ayant besoin d’une protection.

Le texte a pour ambition d’améliorer la protection de ces demandeurs d’asile. A cet égard, il faut reconnaître que vous apportez des améliorations : un enregistrement plus rapide des demandes, la possibilité de se faire assister d’un conseil lors de l’entretien avec l’officier de protection de l’OFPRA, la prise en compte du critère de vulnérabilité, l’introduction d’un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile pour certaines procédures accélérées et l’attestation permettant aux demandeurs au titre du « règlement Dublin » de se maintenir sur le territoire et d’accéder au dispositif d’accueil.

Sur ce point, il est regrettable que, contrairement aux dispositions de la directive, l’OFPRA ne soit pas saisi de la demande d’asile et ne soit pas non plus compétent pour examiner la demande, le préfet restant seul compétent pour déterminer l’État responsable.

Des améliorations ont néanmoins été apportées par la commission et le débat parlementaire devrait permettre d’autres avancées nécessaires à mes yeux, notamment concernant le dispositif d’hébergement directif.

Ce dernier répond tout autant à une exigence de gestion des flux qu’à une exigence d’accès à un hébergement avec un accompagnement de qualité. Soulignons en effet qu’en cas de refus de l’hébergement proposé, le demandeur perdra son droit aux allocations et que, en cas d’absence injustifiée, sa demande sera examinée en procédure accélérée. Le caractère contraignant de ce dispositif est un point de débat, nous l’avons dit en commission et nous mènerons ce débat ici, dans l’hémicycle.

Les conditions d’accueil constituent un autre point en débat. Aujourd’hui, seule la moitié des demandeurs est prise en charge malgré les 24 689 places en CADA et un nombre quasi-équivalent de places d’hébergement d’urgence. Au 1erjanvier 2014, 45 319 personnes étaient en attente d’une place en CADA, les demandeurs d’asile étant plus nombreux dans les hébergements qui ne leur sont pas destinés que dans ceux créés à leur intention. Les choix budgétaires du Gouvernement, vous ne l’ignorez pas, ne garantissent pas que cet hébergement de qualité que vous semblez souhaiter puisse voir le jour dans des délais rapides.

Je voudrais également mettre l’accent sur l’accélération des procédures. Il faut pouvoir assurer une difficile conciliation entre la volonté de statuer rapidement, dans un délai moyen de neuf mois, sur les demandes d’asile, et l’impératif du respect des droits et d’une bonne justice, les décisions rapides pouvant parfois être expéditives.

Considérant qu’une décision rapide est un avantage certain pour le demandeur, la réforme s’attaque à la collégialité de la Cour nationale du droit d’asile, pourtant ô combien nécessaire pour juger des situations diverses et complexes et tenir compte de la dimension protéiforme de l’exil. La collégialité est essentielle en matière d’asile. Ainsi l’assesseur nommé par le Haut-Commissariat aux réfugiés apporte une connaissance fine du terrain, des conflits et des situations géopolitique.

Je rappelle par ailleurs que l’article 15 de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale dispose que « les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale lorsqu’aucune décision en première instance n’a été rendue par l’autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur. »

La question du travail des demandeurs d’asile mérite d’être débattue. L’idée que l’octroi du droit de travailler aux demandeurs d’asile agit comme un facteur d’attraction supplémentaire, un « appel d’air », n’est nullement démontrée. C’est en effet l’Allemagne qui enregistre le plus grand nombre de demandeurs d’asile aujourd’hui, mais ce sont la Finlande, l’Espagne et la Suède qui autorisent les demandeurs d’asile à travailler avant la fin du délai de neuf mois.

Le travail est un vecteur fort d’intégration et de dignité. C’est pourquoi je proposerai un amendement visant à permettre aux demandeurs d’asile d’accéder à une formation et de travailler sans que la situation de l’emploi leur soit opposable.

Monsieur le ministre, j’ai souligné les améliorations et les avancées qu’introduit ce projet de loi dès le début de mon intervention, mais je ne peux faire abstraction du fait qu’il contient également des articles préoccupants.

En effet, le texte prévoit le maintien en zone d’attente des mineurs non accompagnés à titre exceptionnel. Pour ma part, un mineur non accompagné ne doit pas faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente, et ce sans aucune exception.

Le texte multiplie les hypothèses dans lesquelles les procédures peuvent être accélérées, même à l’égard de mineurs, et renforce le rôle joué par le préfet dans le déclenchement d’une telle procédure. Ainsi, l’inscription d’un pays sur la liste des pays d’origine sûrs établie par l’OFPRA, qui compte désormais seize États, a pour conséquence la mise en œuvre de la procédure accélérée à l’égard des demandeurs d’asile ressortissants de ces pays.

Je plaide comme d’autres pour la suppression de cette liste contestée et contestable, qui gère avant tout les flux, comme notre collègue Lellouche l’a rappelé. Il faut au moins renforcer les modalités d’établissement de cette liste mais aussi prévoir l’instauration d’un mécanisme permettant d’agir dans l’urgence. C’est l’objectif des amendements de repli que je proposerai, et des collègues socialistes proposeront des amendements similaires.

Les hypothèses relevant de la procédure accélérée sont nombreuses : réexamen de la demande à la suite d’un fait nouveau, refus de donner ses empreintes digitales en contradiction du règlement Eurodac, dissimulation d’identité, dépôt d’une demande après quatre-vingt-dix jours de séjour en France, demande déposée dans le but exclusif de faire obstacle à une mesure d’éloignement, menace grave à l’ordre public, demande sans pertinence ou manifestement infondée. En 2013, 25,6 % des demandes ont fait l’objet d’une procédure prioritaire, 17,3 % des premières demandes et 88 % des réexamens.

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nous devons garantir un exercice plein du droit d’asile et renforcer celui-ci : cela doit être l’objectif de nos débats. Le visage de l’asile a changé. Le demandeur n’est plus simplement ou plus seulement un combattant de la liberté persécuté par l’État dont il est originaire. Il peut s’agir aujourd’hui d’une femme en danger simplement en raison de son genre, d’un membre d’une minorité ou même d’un réfugié climatique.

Ce projet de loi ne répond pas de manière satisfaisante aux préoccupations majeures exposées précédemment et dénoncées à coup de rapports et de recommandations formulées, non seulement par les associations de défense des droits de l’homme, mais aussi par le Défenseur des droits et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui sont les institutions de promotion et de protection des droits de l’homme dans notre pays.

Notre groupe attend beaucoup des débats dans l’hémicycle et espère que la volonté de dialogue manifestée en commission par notre rapporteure, que je veux ici remercier, trouvera un très large écho au banc du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Chaynesse Khirouni. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Le droit d’asile est un principe fondamental de notre république auquel nous, les élus radicaux de gauche, sommes particulièrement attachés. Dès la Constitution du 24 juin 1793 dite de l’An I, le peuple français est reconnu comme « l’ami et l’allié naturel des peuples libres » donnant « asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pose aussi le principe que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Enfin, l’article 53-1 de la Constitution de 1958 précise que la France peut conclure avec des États européens des accords relatifs à l’examen des demandes d’asile. Cependant « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».

Nous pouvons être fiers d’appartenir à cette France qui, au nom du respect des libertés individuelles, apparaît aux yeux du monde comme une terre d’accueil des étrangers persécutés.

Par ailleurs, la convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie, définit la qualité de réfugié. Celle-ci s’applique à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Le droit européen s’est ensuite emparé de la question du droit d’asile en vue d’harmoniser les dispositions qui y ont trait dans les États membres de l’Union. Ont été adoptés trois directives et un règlement, avec lesquels la législation française doit se mettre en conformité d’ici à juillet 2015. C’est la mission qui nous est confiée aujourd’hui : redonner du sens au droit d’asile en rendant la procédure plus efficace et plus respectueuse de l’accès aux droits des demandeurs d’asile tout au long de la procédure.

Si nous sommes globalement favorables aux dispositions du texte que vous nous proposez, permettez-nous, monsieur le ministre, d’insister sur la nécessité de mettre en œuvre une politique européenne de l’asile conjointe, cohérente et solidaire. La situation dramatique des migrants à Calais illustre le manque de coordination entre les pays européens soumis à la convention de Schengen et ceux qui, à l’instar du Royaume-Uni, ne le sont pas. Il serait contre-productif de mener une politique isolée alors que sur ces questions les enjeux sont partagés. Nous ne ferons pas à terme l’économie de cette réflexion.

Tout comme d’autres États européens, la France fait d’ailleurs face depuis quelques années à un nombre de demandes d’asile en augmentation, une augmentation qui mérite toutefois d’être relativisée par la considération du nombre des demandeurs d’asile rapportée à la population totale. Pour la France, le rapport est de 985 demandeurs pour un million d’habitants, 1 575 pour l’Allemagne et 5 680 pour la Suède. Cet indicateur est intéressant en ce qu’il clôt le bec à ceux qui surfent sur les peurs et évoquent l’explosion des demandes.

Plus que le nombre, c’est l’organisation de notre système qui est en cause et un dispositif d’accueil sous-dimensionné et inadapté aux évolutions que la qualité et le statut des demandeurs d’asile ont connues. Si au départ la demande d’asile était en général le fait d’un homme seul, elle est désormais très souvent le fait d’une famille, ce qui nécessite une adaptation, non seulement des centres d’accueil mais aussi des mécanismes de prise en compte des demandeurs, en particulier des enfants.

Le constat n’est plus à faire : le système d’accueil des demandeurs d’asile manque d’efficacité. À bout de souffle selon diverses associations, le système de l’asile est décrié en raison de l’allongement des délais de traitement des demandes, délais qui ne sont supportables, ni du point de vue du respect des droits des demandeurs ni du point de vue des dépenses publiques.

Arnaud Richard et moi-même avons souligné ce problème dans le rapport que nous avons présenté devant le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : la durée moyenne d’une procédure oscille entre 19 et 26 mois. Or ces délais contribuent à la saturation des capacités d’hébergement, que ce soit en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, CADA, ou en hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, l’HUDA.

Nous notons avec satisfaction que le projet de loi de finances pour 2015 renforce le budget de l’OFPRA, chargé de traiter les demandes d’asile. Il est prévu d’augmenter la subvention pour charge de service public de l’Office de 6,7 millions d’euros par rapport à 2014, ce qui lui permettra de recruter cinquante-cinq agents supplémentaires au 1er janvier 2015. Nous saluons ce geste, qui doit permettre de réduire les délais de traitement et contribuera à atteindre l’objectif de quatre-vingt-dix jours de délai de traitement en 2017.

Nous nous étions aussi inquiétés du manque de places en CADA et de la sous-budgétisation de ces dispositifs. Le renforcement de 14,8 % des moyens alloués aux HUDA est un progrès, mais il nous semble nécessaire de rappeler que les CADA doivent être les lieux d’hébergement prioritaires.

Venons-en au projet de loi que vous soumettez à notre sagesse. Celui-ci vise à améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile en réduisant notamment les délais d’instruction des demandes, avec pour objectif une durée moyenne de traitement de neuf mois. À cet égard, nous sommes satisfaits de la suppression de l’obligation de domiciliation préalable, auparavant imposée aux demandeurs d’asile, et de l’ensemble des mesures qui contribuent à réduire les délais de traitement des demandes. Nous sommes tout aussi satisfaits de la mise en place d’un recours suspensif pour les demandeurs d’asile et du renforcement de leurs droits. La possibilité de se faire assister d’un conseil lors des entretiens de l’OFPRA, l’aide juridictionnelle accordée de plein droit auprès de la CNDA et le renforcement des aides sociales et juridiques accordées aux demandeurs sont de bonnes mesures.

Enfin, nous ne sommes pas opposés à la mise en place d’un schéma national d’hébergement des demandeurs d’asile visant à améliorer leurs conditions d’accueil. Nous avions conseillé dans notre rapport la mise en place d’un tel dispositif mais pour des raisons d’économies, nous n’avions pas écarté la possibilité d’être logé chez un proche pour le demandeur d’asile qui le souhaitait. Mais nous comprenons que le choix d’une solution plus contraignante a pour objet de ne pas vider le dispositif de sa substance. Par ailleurs, cette disposition est conforme à la directive « Accueil » qui, dans son article 7, le prévoit expressément.

En revanche, nous restons fermement attachés à la mise en place d’un système d’information et de suivi de la situation des demandeurs d’asile, placé sous le contrôle d’un magistrat et destiné à centraliser les informations relatives à la situation du demandeur d’asile et aux droits qui lui sont ouverts. De même, il nous apparaît nécessaire d’inscrire explicitement dans le projet de loi que l’attestation de demande d’asile vaut titre provisoire de séjour, afin que les détenteurs de cette attestation puissent bénéficier de l’ouverture des droits liés à leur séjour.

Enfin, nous souhaitons revenir sur la question du droit au travail des demandeurs d’asile. Il apparaît pertinent de s’interroger sur la possibilité d’ouvrir ce droit fondamental, vecteur d’émancipation, d’individualisation et gage de citoyenneté, aux demandeurs d’asile, afin de leur donner la possibilité, durant la période d’attente de l’instruction de leur demande, de subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens.

D’une manière plus générale, l’emploi est un aspect essentiel de l’intégration, renforçant le sentiment de dignité, de respect et d’estime de soi des individus et permettant d’accéder à l’indépendance et à l’autonomie financière. Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit d’ailleurs que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». C’est pour cette raison que nous avons déposé des amendements visant à ouvrir le droit au travail aux personnes en procédure de demande d’asile.

Pour finir, je souhaite soulever la question de la situation des déboutés du droit d’asile. Rien ne figure dans ce texte sur cette question, ce qui peut se comprendre. Les demandeurs qui ont épuisé tous les recours pour obtenir le statut de réfugié se retrouvent, de fait, en situation irrégulière sur le sol français. C’est donc dans le texte relatif aux droits des étrangers en France que nous évoquerons ce sujet. Il n’en reste pas moins que, pour nombre de familles séjournant en France, dont les enfants sont scolarisés depuis de nombreuses années, ce qui contribue à leur intégration et à leur socialisation, il est nécessaire de trouver une réponse plus appropriée que le renvoi dans le pays d’origine.

À l’heure où la situation économique et politique pousse nos concitoyens à se replier sur eux-mêmes, saisissons l’opportunité qui nous est donnée aujourd’hui de réaffirmer notre attachement aux valeurs de solidarité, de tolérance et d’humanisme en matière d’asile. Nous ne le répéterons jamais assez : derrière ces dossiers se joue le destin de femmes et d’hommes contraints de s’exiler, en quête de sécurité ou d’une vie meilleure. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Ne l’oublions jamais !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et monsieur les rapporteurs, chers collègues, depuis la révolution, le droit d’asile est profondément enraciné dans l’histoire et les valeurs de la République. Pourtant, en dépit de sa consécration conventionnelle et constitutionnelle, ce droit semble aujourd’hui à l’agonie tant les dysfonctionnements sont nombreux : manque de places en CADA, saturation des dispositifs d’urgence, procédures trop complexes, allongement des délais de traitement, manque d’accompagnement des demandeurs d’asile durant la procédure, faible intégration des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.

Indubitablement, notre système d’asile est défaillant. Il ne respecte d’ailleurs pas les normes européennes en la matière, du fait en particulier de l’absence d’un recours suspensif pour les demandeurs d’asile en procédure prioritaire, de conditions d’accueil indécentes ou du défaut de reconnaissance d’un statut spécifique aux personnes vulnérables.

C’est pourquoi les députés du Front de gauche plaident depuis de nombreuses années pour une réforme ambitieuse du système d’accueil des demandeurs d’asile qui allie simplicité et qualité, rapidité et solidarité ; une réforme qui tire un trait sur une approche sécuritaire et suspicieuse ; une réforme conforme à la tradition républicaine d’accueil et de protection des hommes et des femmes en danger. C’est à l’aune de ces objectifs que notre groupe entend examiner le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.

L’initiative d’une réforme de l’asile est positive. Cette réforme répond aussi à l’obligation de transposer d’ici juillet 2015 plusieurs directives du paquet « Asile » ayant pour objet de créer un régime d’asile européen commun.

Sur la forme, et cela n’étonnera personne, nous regrettons le recours à la procédure accélérée. Nous y sommes opposés par principe, puisqu’elle ne permet pas à la représentation nationale de travailler dans les meilleures conditions. Nous y sommes d’autant plus opposés que la garantie du droit d’asile est un sujet aussi complexe que sensible pour les droits et les libertés.

Sur le fond, nous partageons l’objectif de simplification et d’accélération des demandes d’asile afin d’améliorer la protection des demandeurs d’asile. Mais nous regrettons de manière générale que ce texte ne rompe pas suffisamment avec la confusion entretenue depuis des années entre asile et immigration.

Comme le souligne la commission nationale consultative des droits de l’homme, le caractère de droit fondamental du droit d’asile interdit de confondre les questions d’asile et d’immigration. L’asile est un droit, et en tant que tel ne saurait être soumis aux vicissitudes de la politique de l’immigration. Une politique de l’asile ne peut se limiter à une approche purement quantitative et économique, mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs ou l’accroissement des coûts.

S’agissant des causes de la crise du système, si le contexte extrêmement difficile lié aux conflits armés a entraîné une hausse significative des demandes d’asile ces dernières années, cette augmentation n’est pas la principale cause des dysfonctionnements et doit être relativisée « par rapport aux efforts consentis par d’autres pays ou à d’autres périodes de notre histoire récente », comme le souligne fort justement notre rapporteure Sandrine Mazetier.

Nos collègues Jeanine Dubié et Arnaud Richard affirmaient d’ailleurs dans leur rapport d’information sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile que « contrairement à une opinion répandue, la situation actuelle est loin d’être sans précédent dans l’histoire du droit d’asile en France ».

Si la défaillance de notre système d’asile ne résulte pas de la hausse de la demande de protection internationale, c’est qu’elle est avant tout structurelle. D’où la nécessité d’adopter une réforme qui soit ambitieuse.

Le projet de loi comporte des avancées indubitables, qui renforcent les garanties procédurales au bénéfice des demandeurs d’asile. Mais ces dispositions correspondent souvent à une transposition a minima des directives, alors même que celles-ci offrent aux États la possibilité d’adopter des dispositions plus favorables.

Concernant l’accès à la demande d’asile, nous saluons la consécration d’un droit au maintien sur le territoire français jusqu’à la décision définitive de l’OFPRA ou de la CNDA, au profit de tous les demandeurs, qu’ils soient placés en procédure normale, en procédure accélérée ou en procédure « Dublin ». Pour autant, les dérogations au droit de se maintenir sur le territoire sont largement plus étendues que celles définies dans la directive « Procédures », pourtant d’interprétation stricte.

Pour ce qui est des conditions d’examen de la demande, l’avancée la plus notable est certainement la consécration du principe de l’entretien individuel avec le demandeur d’asile et la possibilité pour celui-ci d’être assisté d’un tiers à l’occasion de cet entretien. Toutefois, nous regrettons que l’intervention du conseil soit cantonnée à la fin de l’entretien.

Nous saluons aussi une clarification des missions de l’OFPRA et une tentative de clarification de son positionnement, tout en regrettant que le principe de son autonomie ou de son indépendance n’ait pas été clairement affirmé.

En ce qui concerne les demandeurs d’asile relevant de la procédure « Dublin », l’accès aux conditions d’accueil et la création d’un recours spécifique contre la décision de transfert constituent des avancées. Mais le délai de recours nous semble trop bref : même s’il a été porté par la commission des lois de sept à quinze jours, il ne permettra pas d’assurer la mise en œuvre effective des droits de la défense et le respect du principe du contradictoire. Surtout, la possibilité d’assigner à résidence les demandeurs d’asile sous procédure « Dublin » nous paraît disproportionnée.

Nous notons par ailleurs la généralisation du recours suspensif devant la CNDA, excepté pour les décisions d’irrecevabilité, de clôture et de rejet d’une demande en rétention. L’octroi de plein droit de l’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile constitue une autre avancée.

La protection des personnes vulnérables est également renforcée, puisque le projet de loi prévoit l’identification des vulnérabilités et la prise en compte de la situation spécifique des mineurs isolés demandeurs d’asile. Leur demande pourra être examinée dans le cadre d’une procédure normale et des mesures de recherche de la famille pour les mineurs s’étant vu accorder une protection seront mises en place.

Nous ne pouvons qu’approuver la volonté du gouvernement d’héberger en CADA d’ici 2017 tous les demandeurs d’asile hors réexamen. Ceux-ci pourront ainsi bénéficier de bonnes conditions d’accueil. Mais cela suppose d’augmenter massivement le nombre de places en CADA, seuls la moitié des demandeurs étant aujourd’hui pris en charge.

Par contre, je ne vous cache pas que nous sommes très réservés quant à la mise en place d’un schéma d’orientation directif et contraignant. Celui-ci permettra en pratique d’organiser une véritable surveillance des demandeurs d’asile au sein des centres d’hébergement.

Nous sommes également opposés à l’augmentation des hypothèses permettant un placement en procédure accélérée aux garanties réduites, en particulier s’agissant des délais de dépôt de la demande et de recours.

Enfin, nous relevons plusieurs avancées renforçant l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Ainsi le droit à la réunification familiale des réfugiés, sans conditions de ressources et de logement, est réaffirmé, et la carte de séjour « vie privée et familiale », délivrée aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire pour une durée de deux ans, pourra être renouvelée.

Sans moyens suffisants, les garanties prévues dans ce texte ne seront jamais effectives. Je veux saluer les associations qui accompagnent quotidiennement les demandeurs d’asile tout au long de la procédure. Elles réalisent un travail considérable, dans des conditions extrêmement difficiles. C’est aussi pour leur permettre de remplir leurs missions dans de bonnes conditions qu’il convient de prévoir les financements adéquats.

À ce stade, madame la rapporteure, monsieur le ministre, nous portons une appréciation nuancée sur ce projet de loi. Notre appréciation définitive sera fonction des réponses qui seront apportées à nos interrogations durant la discussion et du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur certains bancs du groupe SRC.)

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à apporter des réponses durables à la crise du système d’asile, une crise que tous ses acteurs institutionnels et associatifs reconnaissent. Mais il vise d’abord à rendre au droit d’asile un sens qui s’était délité au cours des dernières années.

Plutôt que de crier au laxisme, la droite devrait avoir l’humilité de reconnaître que la situation qui nous conduit à ce texte est son œuvre ; c’est le résultat de quatre lois qui confondaient asile et gestion des flux migratoires. Tout en privant un demandeur d’asile sur trois du droit fondamental à un recours suspensif, la procédure prioritaire n’a pas permis de rendre effectif l’éloignement des déboutés, comme M. Ciotti le reconnait lui-même – j’invite M. Geoffroy à être plus attentif au constat que dresse M. Ciotti sur ce point ! Pire, la discrimination qu’elle introduit en matière d’accès à l’hébergement a contribué au regroupement communautaire, lequel pèse lourdement sur un petit nombre de collectivités et favorise le développement de réseaux qui exploitent la misère.

Au cours de nos débats, monsieur le ministre, l’opposition vous invitera à réduire toujours davantage les garanties procédurales en expliquant qu’au fond, le seul moyen de garantir le droit d’asile est de le dissuader. À l’heure où le monde traverse de graves crises régionales et alors que notre pays accueille vingt fois moins de réfugiés syriens que nos voisins allemands, ces discours n’ont pas simplement montré leur inefficacité : ils ne font honneur, ni à une tradition républicaine héritée de la révolution, ni à la convention de Genève.

Cependant, gardons-nous des faux débats : l’enjeu n’est pas de savoir si l’on accueille trop ou pas assez de réfugiés, mais d’apporter à chaque demandeur une réponse juste, rapide et effective.

Rendre son sens au droit d’asile, c’est réduire les délais de traitement tout en améliorant la qualité de décision, objectifs qui ne sont pas contradictoires, bien au contraire. Trop longtemps, la France est restée le seul pays d’Europe où l’on accordait plus de titres de réfugiés en appel qu’en première instance. Avec un taux proche de 90 %, le recours devant la Cour nationale du droit d’asile était devenu un goulot d’étranglement dans lequel s’enlisaient les procédures, ce qui empêchait de préparer l’insertion des réfugiés et le retour des déboutés.

Tel est le sens de la réforme engagée depuis dix-huit mois au sein de l’OFPRA, que le budget 2015 dotera de moyens supplémentaires et que ce projet de loi vient conforter dans son indépendance et sa seule mission : évaluer les besoins de protection. C’est sur cette seule considération que l’OFPRA décidera ou non d’engager la procédure accélérée ou de traiter en priorité les demandes des personnes les plus vulnérables. Et c’est pour favoriser l’expression des faits que les demandeurs y seront désormais assistés par un tiers.

Rendre son sens au droit d’asile, c’est adapter nos procédures à l’évolution de la demande d’asile et des persécutions qui touchent de plus en plus à l’intime, au sexe et à l’orientation sexuelle. Notre groupe est fier d’y avoir contribué en commission, qu’il s’agisse de la clarification des règles de l’entretien devant l’OFPRA, comme du huis clos devant la CNDA, ou encore de l’encadrement de la liste des pays d’origine sûrs qui ne peut plus être le simple reflet des histoires nationales mais doit reposer sur des faits objectifs qui permettent, à terme, de faire converger les politiques européennes.

Rendre son sens à l’asile, c’est enfin assurer à chacun des conditions d’hébergement dignes. Notre groupe soutient pleinement votre ambition de développer les capacités d’accueil en CADA, qui doivent devenir la norme.

Le schéma directif en est un corollaire qui ne doit pas, à nos yeux, être vécu comme une contrainte mais comme une garantie d’accès au droit et d’égalité de traitement. Là encore, l’examen du texte en commission a permis de clarifier la prise en compte des besoins tout en écartant les inquiétudes liées à l’autorisation administrative d’absence ou à la clôture du dossier qui nous semblaient, sinon disproportionnées, du moins de nature à troubler notre objectif. L’orientation des demandeurs d’asile sur le territoire est en effet la condition sine qua non pour désengorger le système. Elle repose sur le partenariat bien compris entre l’Office français de l’immigration et de l’intégration et les associations gestionnaires, sur l’association des collectivités locales, et sur son acceptation par les demandeurs eux-mêmes.

Voilà, monsieur le ministre, les quelques mots que je voulais prononcer avant d’entrer dans le débat des amendements. Je veux vous remercier, vous et madame la rapporteure, de la qualité de votre écoute et je ne doute pas que nos débats nous permettent de continuer à éclairer une réforme nécessaire et attendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Damien Abad.

M. Damien Abad. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues,

« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 rappelle un droit inscrit dans l’histoire de la France depuis la Révolution française. L’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés est une obligation pour l’État français, confortée par l’application de la convention de Genève du 28 juillet1951. Cependant, la législation sur le droit d’asile n’est plus adaptée à l’urgence de la situation.

En effet, la France est aujourd’hui la seconde terre d’asile dans le monde après les États-Unis et la première en Europe. Ainsi, le nombre de demandes d’asile, qui s’établissait autour de 35 000 en 2007, a progressé de 86,5 % en six ans pour atteindre plus de 66 000 demandes en 2013. Le dispositif d’accueil est aujourd’hui totalement saturé avec des recours abusifs aux hébergements d’urgence et l’explosion du nombre de nuitées hôtelières, pour un coût extrêmement élevé.

Cette situation est juridiquement instable et politique intenable. Elle est juridiquement instable car les délais de procédure sont d’environ deux ans et la plupart des demandeurs d’asile sont déboutés. Ainsi, plus de 30 000 dossiers s’empilent sur les bureaux de l’OFPRA.

Votre objectif de raccourcir les délais est louable mais il découle des prescriptions de deux directives européennes. Surtout, les nombreux amendements de la majorité aboutissent à complexifier la procédure et, par conséquent, à la rallonger. Là encore, vous créez un choc de complexification qui dénature l’objectif initial de votre projet de loi.

La situation est par ailleurs politiquement intenable car vous n’abordez pas les vrais enjeux qui sont, comme l’a rappelé notre excellent collègue Éric Ciotti dans son rapport sur les failles du système d’accueil des demandeurs d’asile en France, les coûts, les fraudes, les détournements de procédure, l’engorgement du système, les incohérences de la législation et l’absence de convergence sur la liste des pays d’origine sûrs entre les différents États de l’Union européenne. Ainsi, le montant des aides aux réfugiés a triplé et l’État dissimule les coûts. En outre, comment peut-on mettre sur le même plan les déboutés et les véritables demandeurs d’asile ? Comment concilier un droit fondamental à protéger et des dérives inacceptables ?

Même si nous avons compris qu’un prochain texte traiterait de l’immigration, nous regrettons que celui-ci n’aborde pas le sujet central des déboutés. Seulement 5 % des déboutés font l’objet d’une procédure d’éloignement. L’asile est devenu un moyen légal pour une immigration illégale et c’est dramatique.

M. Jacques Myard. C’est vrai.

M. Damien Abad. Ceci est tout simplement inacceptable et crée des situations de grande confusion sur le terrain.

J’en veux pour exemple ce qui s’est passé dans ma circonscription, à Hauteville, commune de moyenne montagne de 5 000 habitants, surtout connue jusqu’ici pour son centre d’entraînement national du biathlon. Le nombre de demandeurs d’asile y a explosé, car le préfet a dû répondre à l’obligation qui est la sienne d’assurer l’hébergement d’urgence des demandeurs. Cela a eu pour conséquence de briser le pacte social, de créer des situations de tension et de pousser à la démission un maire, socialiste, démuni devant un tel phénomène. Jusqu’à présent, il y avait toujours eu des demandeurs d’asile à Hauteville, mais grâce aux remarquables efforts de tous, associations caritatives, enseignants et habitants, les choses s’étaient bien passées mais l’arrivée massive et soudaine de nouveaux réfugiés a fait voler en éclats ce fragile équilibre.

La disproportion entre le nombre d’habitants et celui des demandeurs d’asile, la concentration et la mise à l’écart en surnombre d’une population étrangère ne correspondent pas à la tradition humaniste d’accueil de la France. Elles font le malheur des personnes qui accueillent et celui des personnes accueillies. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi visant à établir un ratio avec un taux maximum d’accueil pour les demandeurs d’asile dans les zones rurales et les villes de moins 5 000 habitants, afin que leur proportion ne dépasse pas 2,5 % de la population.

Vous l’avez compris, l’hébergement des demandeurs d’asile est devenu une charge insupportable avec des centres d’accueils débordés. C’est pourquoi il faut rénover, encadrer et durcir les conditions du droit d’asile français. On ne peut plus tolérer une telle situation.

Il faut notamment refuser systématiquement la protection subsidiaire à une personne s’il existe des raisons de penser qu’elle a commis, avant son entrée en France, un ou plusieurs crimes et, qu’elle n’a quitté son pays d’origine que dans le but d’échapper à des sanctions. De surcroît, la définition retenue par le projet de loi est beaucoup trop large et l’écriture proposée pourrait conduire à augmenter considérablement le nombre de demandeurs d’asile, aggravant du même coup les problèmes qui y sont liés.

Enfin, il faut encadrer et répartir harmonieusement sur le territoire français les demandeurs d’asile.

Votre projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis de notre monde. Nous le regrettons, comme bon nombre de nos concitoyens qui attendent autre chose de la République et de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, monsieur le président, chers collègues, c’est avec responsabilité et les yeux ouverts que je me présente devant vous, au nom du groupe UDI, en essayant modestement d’être à la hauteur de notre héritage républicain.

Honorer notre tradition d’asile, c’est être fidèle aux valeurs qui fondent notre République. C’est l’un de ces combats que nous devons mener ensemble, mes chers collègues. C’est respecter cette longue tradition républicaine inscrite dans notre Constitution qui veut que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ait droit d’asile sur les territoires de la République ».

Au-delà de ces principes fondamentaux, mes chers collègues, se révèle la réalité d’un système en crise, fragilisé par des carences manifestes, par des délais de traitement de plus en plus longs, des coûts budgétaires croissants, par une difficulté croissante à faire face à une hausse constante de la demande même si ce n’est pas tout à fait vrai pour ces derniers mois.

Ces insuffisances rendent notre dispositif inefficace, inégalitaire et incapable d’absorber les demandes d’accueil au titre d’un droit constitutionnel, reconnu par la Convention de Genève et la Convention des droits de l’Homme.

Nous nous trouvons aujourd’hui devant un étrange paradoxe : notre système d’accueil se voit contraint de traiter de nombreuses demandes qui n’aboutiront que rarement alors que les personnes qui auraient un réel besoin de protection ne s’adressent que peu à lui et sont bien mal traitées.

En un mot, y a-t-il de vrais ou de faux réfugiés ?

Notre capacité à accueillir dignement et efficacement les plus fragiles s’en trouve fragilisée.

Ce constat, nous le partageons tous. Il a été dressé par Valérie Létard et Jean-Louis Touraine à qui je tiens à rendre hommage.

Avec Jeanine Dubié, nous avons essayé d’esquisser la « radiographie » d’un système en crise, en avril dernier, au sein du comité d’évaluation et de contrôle et je remercie les collègues qui ont accompagné notre démarche.

Philippe Vigier et Éric Ciotti ont également souligné à juste titre, dans leurs rapports budgétaires, de lourdes difficultés. La nécessité d’une réforme n’est plus à démontrer, ce qui explique notre vote contre la motion de rejet et la motion de renvoi.

Une fois ce diagnostic posé, quelles solutions pouvons-nous apporter ? Le groupe UDI attend de cette réforme, monsieur le ministre, qu’elle redonne son sens au droit d’asile en revenant aux principes fondamentaux, qu’elle mette fin aux instrumentalisations et à des dérives qui nuisent aux demandeurs d’asile tout en mettant à rude épreuve l’ensemble des acteurs du droit d’asile, les personnels des préfectures, les travailleurs sociaux des plates-formes d’accueil ou encore les responsables des structures d’hébergement.

Avant tout, cette réforme doit réorganiser le premier accueil, l’hébergement, l’accompagnement des demandeurs et rénover les procédures.

La simplification du parcours du demandeur d’asile, en lui permettant d’accéder plus rapidement à la procédure devant l’OFPRA, avec à terme la création d’un « guichet unique », semble aller dans le bon sens.

En outre, la fin de la distinction entre l’« admission au séjour » et le « refus d’admission au séjour », devrait permettre d’améliorer la lisibilité du dispositif et de réduire les contentieux liés au refus. L’examen en commission, madame la rapporteure, a utilement complété ces dispositions en supprimant la condition préalable de domiciliation pour l’enregistrement de la demande.

Ce projet de loi vise par ailleurs à améliorer l’application des procédures particulières, qu’il s’agisse de l’asile à la frontière ou de la procédure Dublin.

Nous avons souligné dans notre rapport, avec Jeanine Dubié, la nécessité de redonner un sens à la procédure d’asile à la frontière. En effet, la procédure actuelle est très théorique et ne correspond pas à la réalité de la pratique constatée sur le terrain, puisqu’un grand nombre de personnes ayant présenté des demandes considérées comme manifestement infondées par l’OFPRA sont néanmoins libérées. Nous devons remédier à cette situation qui affaiblit considérablement la procédure en clarifiant la rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sur les conditions de prolongation du maintien en zone d’attente.

À ce titre, il serait judicieux d’inscrire dans la loi le fait que le juge des libertés et de la détention ne peut en aucun cas ordonner la libération d’un étranger en zone d’attente sur le seul fondement de l’existence de garanties de représentation.

On constate en effet, madame la rapporteure, que près de 22 % des étrangers placés en zone d’attente ont été libérés pour ce motif en 2013.

D’autre part, une réforme de l’asile doit nécessairement assurer un hébergement et un accompagnement adaptés aux demandeurs d’asile. Le projet de loi prévoit d’instaurer un schéma national des demandeurs d’asile et précise que ceux-ci, qu’ils soient accueillis en CADA ou dans le dispositif d’hébergement d’urgence, bénéficient d’un accompagnement juridique et social. Ce sont des mesures qu’il convient de saluer.

Pour autant, nous devons concrètement faire des CADA le dispositif central de l’hébergement, car une part importante des demandeurs est aujourd’hui accueillie dans les structures d’hébergement d’urgence, dont il faut pour ce faire clarifier le statut en garantissant une orientation prioritaire en CADA et en rattachant ces lieux d’hébergement d’urgence aux missions d’urgence telles que les définit le code de l’action sociale et des familles. Cet exercice sera difficile.

S’agissant des conditions d’accueil, le projet de loi prévoit le remplacement de la fameuse allocation temporaire d’attente, l’ATA, par une nouvelle allocation pour demandeurs d’asile qui sera gérée par l’OFII. Cette disposition devrait permettre de réduire le nombre d’acteurs impliqués dans le système de l’asile, et de confier enfin le versement de l’allocation à un opérateur familier des problématiques liées à l’asile.

En outre, pour dynamiser la procédure des demandes d’asile, nous devons avant tout, monsieur Myard, utiliser le potentiel des procédures accélérées, conformément au droit européen qui vous est si cher.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Très drôle !

M. Jacques Myard. Ce ne devrait être que l’exception, et non la règle !

M. Arnaud Richard. Par ce projet de loi, il pourrait être recouru à cette procédure non seulement dans les mêmes cas que pour la procédure prioritaire, mais aussi dans de nouvelles hypothèses qu’il faudra préciser, telles qu’une demande tardive ou une demande qui est à l’évidence dépourvue de crédibilité – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Je me félicite par ailleurs que la généralisation du recours suspensif devant la CNDA, que Mme Dubié et moi-même avions préconisée dans notre rapport, figure dans le projet de loi. S’agissant de l’article 6, néanmoins, nous sommes plusieurs à douter de l’opportunité d’inscrire dans la loi la définition des pays d’origine sûrs. La grande difficulté que présente cette notion consiste en effet à veiller à ce qu’elle corresponde à une réalité constatée sur l’ensemble du territoire concerné et applicable à l’ensemble de ses ressortissants et minorités ; rien n’est moins sûr. Le fait est qu’il n’existe pas de liste valable pour l’ensemble de l’Union européenne.

M. Jacques Myard. La France elle-même est-elle sûre ?

M. Arnaud Richard. Enfin, cette réforme comporte un aspect qu’il ne faut pas négliger, même s’il faut l’aborder avec précision : il s’agit de « l’après-asile ». Notre processus d’asile ne doit pas s’interrompre aux portes de l’acceptation ou du rejet de la demande d’asile. Le parcours ne s’arrête pas là pour les personnes protégées qui, à l’issue de ces procédures, rencontrent de nombreux obstacles à l’insertion. C’est la raison pour laquelle nous devons réfléchir aux moyens de favoriser l’intégration des personnes protégées, tant en matière d’hébergement que d’accès aux droits sanitaires et sociaux, de travail ou encore de formation professionnelle. De même, s’en remettre à la clandestinité ou à l’assignation à résidence dans un hébergement d’urgence dans l’attente aléatoire d’une régularisation ne constitue pas une politique, monsieur le ministre. Nous devons mettre en place une véritable politique d’accompagnement au retour des personnes déboutées et avoir un véritable débat républicain sur ce sujet.

S’agissant de l’évolution du texte en commission, madame la rapporteure, certaines dispositions introduites à votre initiative nous semblent aller à l’encontre des objectifs de ce projet de loi et s’éloignent parfois à l’excès du droit européen. Je pense notamment à la limitation des cas de procédure accélérée, ou au refus du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire. Sachez, monsieur le ministre, que le groupe UDI s’opposera résolument – vous devriez vous en réjouir – à tout ce qui pourrait dénaturer le projet de loi…

M. Jacques Myard. C’est déjà fait !

M. Arnaud Richard. …et proposera même par certains amendements de revenir à la version initiale du Gouvernement. En effet, le Gouvernement a su élaborer un texte relativement équilibré ; il ne faut pas le rompre dans un sens qui pourrait nuire à la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile ou, au contraire, qui encouragerait l’instrumentalisation et le détournement de la procédure d’asile – que l’on constate aujourd’hui – au risque que le système, déjà à bout de souffle, ne s’effondre totalement.

Le groupe UDI sera donc particulièrement vigilant quant aux évolutions qui seront apportées au texte tout au long de nos débats. Telle est, monsieur le président, la position du groupe UDI sur ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. Sergio Coronado. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure…

M. Julien Aubert. Mme la rapporteuse !

M. Denys Robiliard. Non : madame la rapporteure…

Mme Marie-Louise Fort. Si c’est cela, le féminisme…

M. Gilbert Collard. « Rapporteuse » est dans le Littré !

M. Denys Robiliard. Notre sujet est l’asile, chers collègues. Le présent projet de loi nous est annoncé alors que notre système d’asile serait en péril et « à bout de souffle », dit-on, en raison notamment de l’augmentation, ces dernières années, du nombre de demandeurs. Examinons donc quelle pression subit la France en la matière : on ne saurait évidemment pas comparer sa situation à celle du Liban, de la Jordanie ou même de la Turquie qui, du fait de la crise syrienne, accueillent dans des structures collectives des centaines de milliers de réfugiés, et qui fournissent de ce point de vue un effort considérable.

L’an dernier, la France a reçu 65 000 demandes. Je rappelle que ce n’est pas la première fois que la France connaît un tel volume de demandes, puisqu’elle en avait reçu 61 400 en 1989. À l’époque, l’OFPRA avait d’ailleurs réagi très rapidement, puisqu’il avait rendu 67 000 décisions au cours des neuf premiers mois de l’année 1990, soit davantage que le nombre de demandes reçues l’année précédente.

Comparons notre situation avec celle de nos voisins : contrairement à ce qu’a prétendu M. Abad, ce n’est pas la France qui reçoit le plus grand nombre de demandes d’asile. L’an dernier, l’Allemagne en a reçu 127 000 pour une population de 80 millions d’habitants. Par rapport à leur population respective, la France en reçoit donc moins que l’Allemagne.

M. Julien Aubert. Et par rapport au PIB ?

M. Denys Robiliard. Je vous épargne la comparaison avec la Suède qui, l’an dernier, a reçu 54 300 demandes d’asile pour une population de dix millions d’habitants. Le ratio par habitant est donc tout à fait différent.

Notre système d’asile est ancien, puisqu’il remonte à 1952, mais il est efficace – même si je reconnais que les délais ne sont pas satisfaisants. Un délai de deux ans n’est pas acceptable.

M. Guy Geoffroy. Ni efficace !

M. Denys Robiliard. C’est une simple question de décence vis-à-vis de personnes qui demandent une protection internationale ; de ce point de vue, il est vrai que nous pouvons faire mieux.

Il en va de même pour les conditions d’hébergement : un tiers des demandeurs sont hébergés en CADA, un tiers dans le dispositif d’hébergement d’urgence et un tiers dans la nature, si j’ose dire. Ce n’est pas satisfaisant. À cet égard, puisque nous sommes contraints de transposer les directives « Accueil » et « Procédure » avant le 25 juillet 2015, ce projet de loi est opportun et nécessaire.

M. Jacques Myard. Encore des directives à la con !

M. Denys Robiliard. Abréger les délais passe avant tout par des moyens. Je me félicite que M. le ministre ait pris la décision d’affecter cinquante officiers de protection supplémentaires à l’OFPRA : c’est la bonne façon de procéder et il faudra poursuivre en ce sens. Selon moi, toutefois, la difficulté consiste à dégager des moyens supplémentaires et à fixer des procédures efficaces – c’est précisément l’objet de ce projet de loi – tout en faisant en sorte que ces procédures permettent un examen complet des demandes d’asile par un organe indépendant et impartial qui prenne le temps de conduire une analyse inattaquable.

Je ne peux que me féliciter qu’avec la transposition de la directive, une assistance à l’entretien soit désormais prévue, sachant que l’entretien n’est pas si ancien, et que l’OFPRA organise un entretien systématique avec les demandeurs d’asile. C’est un progrès, et même un progrès au carré puisque cet entretien sera désormais assorti d’une possibilité d’assistance, laquelle ne sera pas forcément aisée à concrétiser dans la mesure où aucun financement n’est prévu et que le dispositif reposera donc sur le bénévolat, voire sur la fortune des demandeurs d’asile – laquelle, sauf exception, est généralement très faible.

Se posera alors la question du recours : un recours suspensif est prévu de manière systématique mais, dans un certain nombre de cas, il aboutira devant un juge unique. Or, compte tenu de la complexité d’une demande d’asile et des conséquences importantes qu’entraîne la décision judiciaire, la collégialité est pertinente à mon sens, d’autant plus qu’il existe une juridiction adéquate, la CNDA. La composition de cette instance est très particulière puisque le représentant en France du Haut-commissariat aux réfugiés propose – il ne le désigne plus – un de ses membres, dont la fine connaissance de la situation qui prévaut dans les pays d’origine est précieuse.

En matière d’accueil, nous pouvons faire mieux. N’ayant pas bien compris la réponse, je poserai de nouveau la question du financement du passage des 25 000 places d’accueil existant à 40 000 voire 50 000,  à demande d’asile constante. J’entends bien que l’on peut transformer une partie du dispositif d’hébergement d’urgence en CADA, mais il faut examiner la question du financement.

Je me félicite des décisions prises par la commission des lois en termes d’accueil, puisque l’on a clairement écarté tout ce qui pouvait s’assimiler ou laisser penser à une assignation à résidence. Nous avons clairement fléché le dispositif en direction des CADA et indiqué sans ambiguïté qu’il ne s’agit pas seulement d’un dispositif d’hébergement, mais bien d’un dispositif d’accueil. Il reste à étudier les marges de souplesse nécessaires pour tenir pleinement compte de la situation familiale de chaque individu.

J’estime donc que le débat en séance publique nous offrira d’autres possibilités d’améliorer ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, le droit d’asile, nous le savons, est un principe fondateur et sacré, comme l’a souligné Éric Ciotti tout à l’heure, de toute société et de toute civilisation qui place la dignité humaine au cœur de son existence, de son projet et je dirais même aujourd’hui de son logiciel. Ce principe, nous le partageons tous.

Votre projet de loi, qui se veut technique, en quelque sorte, vise à accélérer les procédures de traitement des demandes d’asile, dont la lourdeur, qui n’est plus à démontrer, pervertit le principe même du droit d’asile. Vous prévoyez le dépôt d’une demande sous 90 jours : cela m’étonne. Pourquoi la demande ne pourrait-elle pas être immédiate ? Pourquoi un réfugié politique devrait-il attendre 90 jours pour soudain prendre conscience qu’il peut demander l’asile ?

Votre projet n’en comporte pas moins plusieurs éléments intéressants : la création d’un guichet unique pour les demandeurs, la fusion des allocations en une seule allocation versée par l’OFII, l’hébergement directif vers les places en CADA disponibles au risque de perdre le bénéfice de l’allocation en cas de refus, la possibilité d’une procédure accélérée ou encore la mise à jour de la liste des pays sûrs.

Naturellement, le texte ne dit pas un mot sur la question des refoulés du droit d’asile.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Elle ne relève pas de ce texte !

M. Jacques Myard. Nous savons pourtant qu’ils sont nombreux, puisqu’ils représentent près de 80 % des cas.

Il y a bien pire, cependant. En commission, votre majorité a donné à plein dans l’idéologie et a refusé de regarder les réalités en face. Le délai de dépôt d’une demande passe de 90 à 120 jours : pourquoi ?

M. Arnaud Richard. C’est vrai !

M. Jacques Myard. L’hébergement directif a été supprimé : pourquoi ? On sait pourtant qu’il s’agit là d’un élément incontournable pour l’administration. Devant l’OFPRA, le demandeur pourra bénéficier d’un avocat, comme s’il s’agissait d’un véritable tribunal. Toute décision de rejet doit être motivée : certes, mais il s’agit de faits qui vont de soi. Le recours suspensif devant la Cour est généralisé avec une aide juridictionnelle : dont acte. L’attestation de demande d’asile donnera droit à une formation professionnelle : tiens donc ! Le droit à la réunification familiale est étendu aux enfants jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, même mariés, et aux concubins. Ne vous est-il pas venu à l’esprit, monsieur le ministre, qu’il peut se trouver dans une même famille un frère favorable au régime en place et un autre qui s’y oppose ? Pourquoi élargirait-on donc ce droit au regroupement familial ?

En clair, votre projet de loi, qui était responsable et réaliste, a été entièrement dénaturé. Allez-vous vous y opposer ? À l’évidence, non, puisque vous avez indiqué dans votre propos liminaire que, selon vous, cette évolution allait dans le bon sens. Si c’est le cas, pourquoi ne pas avoir proposé ces mesures plus tôt ? C’eût été faire preuve de logique.

En réalité, la question structurelle que pose le droit d’asile aujourd’hui n’est en rien résolue par votre texte. Le droit d’asile a été institué pour venir au secours de personnes prises dans leur individualité, voire au nom d’un groupe, comme cela s’est malheureusement passé pour les Juifs allemands, considérés en tant qu’individus appartenant à une ethnie et qui avaient subi des sévices dans leur pays. Sur la préservation de ce droit, nous sommes d’accord.

Mais pour paraphraser Hamlet, de Shakespeare, cité par le Général de Gaulle dans Le fil de l’épée, je voudrais simplement vous dire qu’il existe bien davantage de choses dans le monde d’aujourd’hui que n’en rêve votre projet de loi parfaitement limité.

Les choses sont simples : nous ne faisons plus face à une, à dix, à cent demandes, mais à un formidable déséquilibre démographique Sud-Nord, Sud-Sud, qui est le défi majeur et principal du XXIème siècle et que nous allons devoir relever dans les décennies à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilbert Collard. Bravo !

M. Jacques Myard. Nous assistons, monsieur le ministre, à une véritable Völkerwanderung – une migration de peuples –. Or, les chiffres montrent que votre procédure d’asile est l’un des moyens pour ces populations d’accéder au territoire national et d’y rester ad vitam aeternam.

En un mot, le droit d’asile paraît bien dérisoire face à la réalité de ce monde. Vous nous dites qu’un projet de loi va nous être présenté…

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Un projet de loi sur l’immigration !

M. Jacques Myard. …mais la cohérence d’une politique publique, et il s’agit bien de cela, consiste à recueillir tous les éléments afin de pouvoir juger de la bonne foi du Gouvernement, que, comme chacun sait, je ne saurais mettre en doute.

Plusieurs députés du groupe UMP. Sûrement pas !

M. Gilbert Collard. Ce serait malveillant !

M. Jacques Myard. Alors que devons-nous faire ? Premièrement, élaborer une politique globale et cohérente en matière de flux migratoires…

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Jacques Myard. …deuxièmement, afficher fermement que tout individu qui entre sur le territoire national sans y être invité et sans pouvoir se prévaloir de la Convention de Genève repart ; troisièmement, réformer Schengen et rétablir les contrôles à nos frontières qui sont devenues une véritable passoire, ce qui remet en cause le « vouloir vivre ensemble » avec un certain nombre de malfrats qui trafiquent dans tous les sens et grâce à qui, vous le savez comme moi, on trouve des Kalachnikov en vente libre un peu partout sur le territoire national.

Mme Pascale Crozon. Quel rapport avec le droit d’asile ?

M. Jacques Myard. Mais cela ne suffira pas ! Nous devons essayer de traiter véritablement les sources de ce déséquilibre. Je ne dis pas que cela est facile. Nous devons tenter de stabiliser l’Afrique, même si le sujet est éternel, ainsi que le Proche et le Moyen-Orient, et surtout enseigner dans ces pays le contrôle des naissances, car ils ne connaîtront pas de stabilité tant que les peuples conserveront une croissance démographique supérieure à deux ! C’est impossible !

M. le président. Je vous remercie de conclure, mon cher collègue !

M. Jacques Myard. Enfin, nous devons continuer à aider les États à l’origine de flux majeurs de réfugiés dus à la guerre comme la Jordanie.

Ne nous y trompons pas, il y a urgence, et voir cette question uniquement à travers le prisme du droit d’asile est un leurre et une faute. Le camp des saints de Jean Raspail ne sera plus un roman, certes prémonitoire, mais une tragédie pour tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, mesdames les rapporteuses – puisque Littré m’y autorise –, monsieur le ministre, la vraie question qui se pose est celle de la différence entre le vrai malheur et l’escroquerie au malheur. Nous sommes tous favorables au droit d’asile lorsqu’il s’agit du vrai malheur, mais nous voudrions tous avoir les moyens de nous y opposer lorsque nous sommes en présence de l’escroquerie au malheur.

80 % des demandeurs sont déboutés, mais 5 % sont réellement expulsés : tout est dit ! Les demandeurs d’asile, par ce biais, vont un jour s’installer dans notre pays et conforter une immigration. On peut aimer passionnément cette solution, mais on peut aussi craindre qu’un jour, à force de vouloir être bon, ce n’est pas un aéroport qu’on vendra mais deux, trois, voire quatre ! Et c’est la France qui, un jour, demandera le droit d’asile.

Il faut savoir ne pas faire trop de charité avec le bien de notre pays. Or votre texte ne tient aucun compte de l’extraordinaire déferlement migratoire qui se produit, un peu comme lorsque l’Empire romain voyait les limes céder.

M. Jean-Pierre Dufau. C’était l’empire, aujourd’hui c’est la République !

M. Gilbert Collard. Certains craignaient de voir les frontières craquer et de ne plus pouvoir gérer la situation, mais d’autres, d’après les textes, n’y croyaient pas et, de bonne foi, contestaient ces dires. Ce n’était pas une affaire d’honnêteté, de bonne conscience, mais de lucidité. Cette situation a fait l’objet de débats violents pendant la période du Bas-Empire romain, entre les belles âmes, convaincues qu’il fallait recevoir tout le monde, et les méchants, les vilains, qui disaient « Attention, un jour nous ne pourrons plus gérer la situation ! ».

Vous êtes animé par les meilleures intentions du monde, monsieur le ministre, car je ne crois pas que vous l’ayez rédigé avec méchanceté, mais avec les articles 16 et 19 de votre texte, qui portent sur la réunification familiale, les allocations, l’accès à l’emploi et au logement, vous créez une machine à légaliser des clandestins.

N’utilisez pas l’argument facile de la peur. Tout à l’heure, M. le ministre a évoqué une présentation mélodramatique du sujet. C’est faux ! En réalité, nous nous rendons compte que nous ne parvenons plus, parce que les frontières ne sont plus contrôlées, à maîtriser l’immigration.

Vous ne voulez pas l’admettre, mais un jour viendra où cette réalité vous prendra à la gorge et vous regretterez de ne pas l’avoir vue. Je sais, monsieur le ministre, que vous abordez cette question avec honnêteté. Je ne vous ferai aucun procès d’intention parce que vous êtes membre d’un Gouvernement, mais au poste que vous occupez, vous ne pouvez pas ne pas voir ce qui se passe. Quand vous allez à Créteil, quand vous allez sur les lieux où les drames se produisent, vous ne pouvez pas, en tant que ministre de l’intérieur, ne pas savoir qu’il existe dans notre pays un flux migratoire dangereux.

Ce projet de loi, malheureusement, ne règle pas le problème des refoulés du droit d’asile. C’est la question centrale, tous les orateurs qui sont intervenu l’ont dit, chacun à sa manière, avec sérieux, avec confiance. Vous ne voulez pas vous hisser au niveau du quotidien, mais le quotidien vous rattrapera, il vous éliminera ! Mais de grâce, qu’il ne nous élimine pas, nous, car ce n’est pas de notre responsabilité. Nous vous aurons suffisamment crié de faire attention et de prendre des mesures. Hissez-vous au niveau du quotidien et vous vous rendrez compte que ce texte est incomplet, insuffisant, et qu’il va malheureusement devenir une machine à légaliser des clandestins. Et lorsqu’il y a trop de clandestins sur un bateau, il coule !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, loin de la tradition antique de l’hospitalité, sauf peut-être dans son principe, l’asile offre aujourd’hui un visage tourmenté auquel la Convention de Genève, elle-même héritière de deux guerres mondiales, avait pourtant cru donner des contours définitifs.

Force est de constater, en ce début du XXIème siècle, sur fond d’élargissement de conflits régionaux et d’éclatement d’états-nations, que l’instabilité du monde, quelles qu’en soient les causes et quoi qu’on puisse penser des responsabilités, est aujourd’hui un véhicule puissant, parfois déconcertant, du déplacement des populations et de l’augmentation constante du nombre des réfugiés.

Contrairement à certaines idées reçues, dont nous venons encore d’entendre l’écho, ni l’Europe, ni, en son sein, la France, ne sont les principales zones destinataires du flux des demandeurs d’asile. Cette réalité doit être rappelée. Les déplacements de populations dans le monde touchent en premier lieu le continent asiatique.

S’agissant des réfugiés, l’Union européenne, avec 434 000 demandeurs d’asile en 2013, se situe au troisième rang des continents d’accueil. En Europe même, la France est le deuxième destinataire des réfugiés, très loin derrière l’Allemagne avec les 127 000 demandes d’asile recensées dans ce pays en 2013, et loin aussi derrière la Suède si l’on rapporte les 54 000 demandes d’asile que ce pays a enregistrées à sa population.

Quoi qu’il en soit, notre pays doit aujourd’hui prendre à bras le corps un problème dont la prise de conscience n’a que trop tardé. Les pics de demandes d’asile sont bien connus : le dernier remonte à 2007. Et force est de constater qu’aucun remède véritable, ou du moins énergique, n’a été apporté à une situation marquée par la profonde détérioration du rapport entre ce que j’appellerai, pour utiliser des termes qu’il faut me pardonner, le flux et le stock des demandeurs d’asile.

Aujourd’hui, grâce à une réforme ambitieuse de l’OFPRA, qui a déjà réussi à augmenter de manière sensible l’examen des demandes, grâce aux moyens nouveaux prévus dans le projet de loi de finances, grâce enfin, nous pouvons l’espérer, au présent projet de loi, la possibilité s’ouvre enfin d’améliorer la situation. Les directives européennes de 2003 et de 2004, dont la transposition avait pris elle-même un retard injustifiable, en sont l’occasion.

Le législateur ne se bornera pas à les transposer, chaque État restant libre d’ajouter un certain nombre de mesures qu’il estime utiles pour régler sa situation propre. Et, nous en sommes conscients, les principes qui régissent l’asile sont garantis par notre Constitution qui a une valeur supérieure aux traités internationaux.

Disons-le d’emblée, ces textes sont d’abord une excellente occasion pour notre pays de s’attacher enfin à définir des conditions d’accueil permettant un examen à la fois plus digne et plus rapide des demandes.

Faire plus vite et faire mieux : tel est l’impératif qu’il convient à notre pays de se fixer. Un accueil planifié, piloté plus qu’imposé, simplifié par une meilleure unification des procédures, tel est l’un des objectifs du présent projet de loi, largement inspiré par l’une des deux directives.

Simultanément, l’une de ces directives nous invite à revisiter notre droit d’asile. Ce point d’étape est une excellente occasion de jeter un regard sur un système juridique qui a été bâti en quarante années, depuis l’époque où la juridiction administrative a pris la mesure de l’augmentation de la demande d’asile, mais a aussi et surtout tenté de construire des solutions durables en donnant à la Convention de Genève toute sa portée.

Je tiens à le dire ici, nous ne devons pas avoir honte de la tradition juridique française en matière d’asile, tout particulièrement depuis quelques décennies. J’espère que le perfectionnement du droit, essentiellement procédural, auquel nous invite la directive et dont nous débattrons ensuite, sera regardé comme une avancée, dès lors qu’il ne sombre pas dans un excès de mesures pointillistes ou de précisions qui ne s’imposeraient pas.

Je crois, mes chers collègues, que nous allons parvenir à un résultat digne des enjeux : faire plus vite, faire mieux. J’entends bien ceux qui ont une approche défaitiste du sujet, nous en avons eu quelques échos ce soir, mais s’inquiéter du devenir des déboutés du droit d’asile sans se donner les moyens d’éviter leur multiplication, comme cela a été le cas dans un passé récent, est une attitude pour le moins singulière. Si nous voulons aborder le problème d’une manière digne d’un État comme le nôtre, c’est en tentant de le résoudre tel qu’il se pose aujourd’hui. Un État qui ne confond pas asile et immigration, qui, depuis quelques années, s’engage dans des enjeux particuliers face aux défis du temps. Les moyens que nous allons engager pour cela permettront à la France non de laisser survivre mais de faire vivre un principe profondément lié à sa tradition républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, réformer le droit d’asile est un vaste projet, même s’il s’agit surtout ici de transposer un certain nombre d’obligations en matière de garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile prévues par les directives européennes « Procédure » et « Qualification ». Mes amis politiques et moi-même approuvons les objectifs affichés du texte. Nous aussi souhaitons préserver la tradition d’accueil de la France, nous aussi souhaitons accélérer le traitement des demandes en renforçant les moyens et les modalités d’organisation de l’OFPRA et de la CNDA. Mais ce sont là nos seuls points d’accord car la mise en œuvre des dispositifs prévus par le projet de loi ne va pas sans poser de graves problèmes.

Ainsi, vous envisagez de généraliser les recours suspensifs y compris en cas de procédure accélérée, monsieur le ministre. Dans le cadre d’une procédure prioritaire, le recours n’était pas suspensif et l’administration avait la faculté d’éloigner le demandeur d’asile débouté, même si elle y parvenait rarement. Une fois le texte voté, ce ne sera plus le cas. Nous risquons bel et bien d’entrer dans le cercle sans fin des rejets, des demandes de réexamen et des recours suspensifs. Au lieu de raccourcir les délais de traitement des dossiers, une telle mesure risque fort de les rallonger. Le texte pose un autre problème majeur, il ne tient pas compte de la pratique administrative. Actuellement, près de 80 % des demandeurs d’asile sont déboutés de leur demande et à peine 5 % de ces déboutés sont éloignés de notre territoire selon l’inspection générale des finances, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale de l’administration. Il en résulte une perversion du système car il n’y a quasiment plus de distinction entre réfugiés et déboutés du droit d’asile.

En effet, s’il suffit de faire une demande d’asile pour être admis au séjour en France grâce à la régularisation, nous créerons une filière d’immigration clandestine évoluant vers une filière d’immigration régularisée et donc vers une augmentation des flux. Les mesures votées en commission, comme l’extension du droit à la réunification familiale ou l’accès à la formation professionnelle après neuf mois de présence sur le territoire, renforceront encore l’appel d’air. Enfin, quid du traitement des déboutés ? Il s’agit là d’une question majeure. Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de dire un mot de la ville de Sens dont je suis députée maire. Depuis le 1er février 2013, une borne Eurodac y est en fonction. Les demandeurs d’asile peuvent s’y rendre, y déposer leurs empreintes et remplir un dossier. Une première réponse validant ou non leur demande doit leur parvenir dans un délai de deux mois. S’ils sont déboutés, ils peuvent déposer un recours. Si celui-ci est négatif, ils sont priés de quitter le territoire. Durant ce laps de temps, ils sont pris en charge par des associations ou par des habitants ou encore logés dans les centres d’accueil et d’hébergement.

La borne a été installée à Sens car l’agglomération dijonnaise n’arrivait plus, semble-t-il, à faire face à l’afflux de populations immigrées issues pour la plupart d’Afrique subsaharienne. Le maire de Dijon de l’époque, monsieur Rebsamen, et le préfet ont alors demandé l’installation de deux nouvelles bornes en Bourgogne. Les communes de Mâcon et de Sens ont été choisies. Concrètement, la borne Eurodac crée un appel d’air à Sens. Or, avec 26 000 habitants, notre ville n’a pas les moyens financiers, humains ni matériels de gérer une telle situation. En un an, environ 900 personnes sont entrées dans le département de l’Yonne au titre du regroupement familial, d’un mariage avec un Français ou en raison d’une demande de titre de séjour. Quant aux demandeurs d’asile, leur nombre a été multiplié par quatre en un an. La sous-préfecture de Sens est débordée. En outre, la délinquance à Sens ne cesse d’augmenter. Depuis un an, les vols avec effraction ont augmenté de 53 % et les vols avec violence de 50 % !

M. Jean-Pierre Dufau. Et voilà !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Encore des raccourcis !

Mme Marie-Louise Fort. Les demandeurs d’asile déboutés, soit 80 % d’entre eux, sont invités à regagner leur pays d’origine, ce qu’ils ne font pas tous, tant s’en faut, comme chacun sait. Que faire alors de ces familles en situation de détresse ? Je vous ai interrogé à ce sujet en février dernier, monsieur le ministre. Vous m’aviez alors assuré qu’une réforme de l’asile serait menée et serait l’occasion d’imaginer des solutions nouvelles et efficaces. Or votre projet de loi ne propose aucune mesure d’éviction alors même qu’une grande partie des nuitées d’hébergement d’urgence est accordée aux demandeurs déboutés, ce qui représente un coût important pour la solidarité nationale. Le nombre de demandes d’asile dans notre pays a augmenté de près de 70 % depuis 2007 et 61 000 demandes ont été enregistrées en 2012 !

M. Jean-Pierre Dufau. Qu’avez-vous fait ?

Mme Marie-Louise Fort. Notre pays ne peut pas faire face à un tel afflux de migrants. Le manque de places d’hébergement, le développement de l’immigration clandestine et les inconvénients qui en découlent sont autant de facteurs d’implosion du système actuel. J’espère que notre débat aboutira à de véritables solutions, même si j’en doute à l’examen de votre texte remodelé par la commission des lois, monsieur le ministre. Nous, élus, avons pourtant la responsabilité de mener une politique d’accueil réaliste, sans angélisme ni dogmatisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Arnaud Richard. Bravo !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le mercredi 10 décembre 2014 à zéro heure cinq, est reprise à zéro heure dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Après en avoir discuté avec les différentes parties intéressées et afin que les choses soient claires pour tout le monde, je vous informe, mes chers collègues, que nous achèverons ce soir la discussion générale et entendrons les orateurs inscrits sur l’article 1er, dont nous ne discuterons aucun amendement.

La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, c’est l’histoire, l’honneur et la grandeur de la France que d’accueillir et offrir un recours à ceux qui, persécutés dans leurs pays, cherchent un refuge pour bâtir une nouvelle vie. L’accueil des demandeurs d’asile est un élément essentiel des traditions et des valeurs de notre République et non, comme l’a rappelé M. le ministre de l’intérieur, une action de générosité ni une forme de mauvaise conscience. Au cours des dix dernières années, nous assistons à une augmentation soutenue du nombre de demandeurs d’asile liée aux différents conflits à travers le monde et aux persécutions.

Force est de constater que la France n’est plus en capacité de proposer des conditions d’accueil dignes aux réfugiés. Il est donc temps de faire en sorte que tous ceux qui relèvent de l’asile en France y soient dignement accueillis. Nous regrettons que la droite n’ait pas pris en compte la mesure de l’enjeu en créant des places d’hébergement en CADA, en assurant un accompagnement des demandeurs ou en réduisant les délais de traitement des demandes. Au lieu de cela, la précédente majorité a cherché des boucs émissaires, comme trop souvent, et tenté de faire croire au déferlement massif de migrants !

M. Jean-Pierre Dufau. Elle continue !

Mme Chaynesse Khirouni. Nous sommes confrontés aujourd’hui à la saturation d’un système concentrant les difficultés sur certains territoires et ne garantissant plus les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. Une telle situation renforce la stigmatisation des réfugiés et de leurs familles.

Parce que souvent les femmes et les enfants sont les premières victimes, il était plus que temps de proposer une réforme globale du droit d’asile. Mais il fallait également se donner les moyens de mettre en œuvre une véritable politique d’accueil.

Rompant avec les pratiques passées, nous avons créé 4 000 places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, et je me réjouis, monsieur le ministre, de votre objectif d’en créer 5 000 nouvelles dans le courant de l’année 2015.

Parce que j’estime que l’accueil en CADA est une condition nécessaire à un accueil digne, je souhaite que nous confirmions, en séance, le nouvel article 16 bis, issu d’un amendement que j’ai proposé et qui, avec le soutien de notre rapporteure et de l’ensemble du groupe SRC, a été adopté en commission. En réintégrant les CADA dans le décompte des 25 % de logements locatifs sociaux de la loi SRU, nous levons les freins à la création de places d’accueil en CADA, nous faisons le choix du développement de l’hébergement pérenne plutôt que le recours à l’hébergement d’urgence. Cette incitation accrue permettra, en outre, de maîtriser les crédits dévolus au budget de l’allocation temporaire d’attente perçue par les demandeurs d’asile éligibles à l’hébergement en CADA et qui n’ont pas pu obtenir de places d’hébergement.

Ce projet de loi a donné lieu à une large concertation. De très nombreuses associations de terrain, en contact quotidien avec les demandeurs d’asile, se sont impliquées et attendent de nos débats parlementaires un certain nombre d’améliorations. Si, à l’évidence ce texte comporte des avancées indéniables sur la protection des personnes sollicitant l’asile, je souhaite que nous puissions avancer encore sur un certain nombre de points, notamment l’exercice effectif des droits et les délais de recours. Compte tenu des parcours de vie chaotiques et des stratégies de survie mises en œuvre par les demandeurs, l’écoute et l’empathie doivent guider les entretiens. Il nous faut surtout éviter la précipitation, la suspicion.

Enfin, je souhaite que nous puissions avoir un débat apaisé sur l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile. Nous le savons, c’est en 1991 que le droit de travailler a été supprimé pour écarter le risque d’un éventuel détournement de procédure par des migrants qui ne relèveraient pas du statut de réfugié. J’estime sincèrement que nous devons sortir de cette logique d’amalgame avec les questions d’immigration, entretenue depuis de longues années maintenant. Oui, il est temps de cesser de stigmatiser les demandeurs d’asile, que certains, à droite, considéreront toujours comme des fraudeurs, des profiteurs. On ne peut pas, en même temps, pleurer les 400 hommes, femmes et enfants morts à Lampedusa et condamner les migrants qui, pour fuir les conflits et les dictatures, tentent, au péril de leur vie, de rejoindre l’Europe.

L’article 15 de la directive « Accueil » reconnaît un droit pour les demandeurs d’asile d’accéder effectivement au marché du travail dans l’État d’accueil. Cette question est importante car l’emploi renforce le sentiment de dignité, de respect et d’estime de soi. Il permet d’accéder à l’autonomie financière, mais surtout, mes chers collègues, permettre un accès à l’emploi, c’est aussi permettre l’intégration dans notre pays de ceux qui ont fui le leur parce qu’ils étaient persécutés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de nos débats, je souhaite aborder une seule question : y a-t-il aujourd’hui une politique européenne de l’asile intelligente, c’est-à-dire capable de discerner ce qui relève de la protection nécessaire des réfugiés politiques, d’une part, et de la lutte non moins nécessaire contre l’immigration illégale, d’autre part ?

Pour y répondre, je ferai une série de remarques.

La première observation relève du constat : le nombre de demandes d’asile au sein de l’Union européenne explose. L’Europe a enregistré, en 2013, 100 000 demandes d’asile de plus qu’en 2012, pour atteindre un total annuel de 435 000 demandes. Cette tendance se confirme cette année, puisque le nombre de demandes a battu un nouveau record en septembre, avec près de 71 000 demandes.

Deuxième remarque : on peut parler d’un véritable échec de l’Europe de l’asile, et ce à partir de l’observation de trois réalités.

D’abord, les demandes sont extrêmement concentrées sur un très petit nombre de pays. Ainsi, en septembre dernier, 60 % des demandes ont été enregistrées par quatre pays : l’Allemagne, la France, la Suède et l’Italie. Or, à l’exception de l’Italie, ces États ne sont pas des pays de première ligne. Cela qui prouve l’importance des flux secondaires au sein de l’Union européenne et le caractère biaisé du débat récurrent sur le partage du fardeau.

Ensuite, le taux de reconnaissance d’un statut protecteur est toujours aussi disparate. En première instance, en 2013, il variait de 4 % en Grèce à 88 % en Bulgarie. C’est invraisemblable si l’on veut bien se rappeler que l’Union européenne est censée être une communauté juridique protégeant également les droits des personnes.

Enfin, les demandes de pays comme les Balkans occidentaux restent parmi les principales alors que ces États aspirent à rejoindre l’Union européenne. Le taux de reconnaissance de ressortissants de l’ancienne République yougoslave de Macédoine – 1 % –, de Serbie – 2 % – ou du Kosovo – 4 % – est naturellement très bas, mais cela n’empêche pas ces demandes abusives qui créent une embolie de nos systèmes d’asile.

Alors que faire pour que l’Europe de l’asile sorte de l’ornière, dans l’intérêt de la France ? Il faut en finir avec les ambiguïtés d’un système qui conduit à cumuler les inconvénients.

Notre devoir est d’organiser et d’assumer une politique de l’asile accueillant non plus des centaines de milliers de candidats à l’immigration vers l’Europe des prestations sociales mais de vrais réfugiés politiques, des « combattants de la liberté » menacés dans leur pays.

Bâtir une telle Europe de l’asile, efficace et lucide, était l’un des cinq engagements fondamentaux du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, négocié et adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne en 2008, mais les textes européens qui ont été négociés et acceptés par l’actuel gouvernement, transposés dans le projet de loi dont nous débattons ce soir, les textes d’application, au fond, ce paquet « Asile », sont globalement, je le dis clairement, contre-productifs, déséquilibrés et contradictoires.

Ainsi, on fixe un objectif de réduction des délais d’instruction, mais, dans le même temps, on accumule des procédures qui ne peuvent qu’aboutir à l’effet inverse, c’est-à-dire à un allongement des délais et à une paralysie du système avec l’élargissement déraisonnable, madame la rapporteure, de l’effet suspensif des recours, la réduction à la portion congrue des procédures accélérées et une conception extensive de la notion de vulnérabilité.

Ma conviction est qu’il faut renégocier radicalement les textes européens sur l’asile, sans doute à une échelle plus restreinte, d’ailleurs, que celle de l’Europe des Vingt-Huit, pour définir un système plus efficace, plus cohérent, plus homogène. Je pense par exemple à une liste commune substantielle de pays tiers d’origine sûrs, à des analyses communes des principaux pays d’origine pour réduire la disparité des décisions, ce que le bureau européen d’appui devrait proposer de façon plus directive, à une surveillance plus efficace de la transposition de l’acquis communautaire, comme en Grèce depuis quelques mois, ou par exemple pour s’assurer du bon enregistrement des demandeurs dans le fichier Eurodac et à une législation, puis une jurisprudence, qui facilitent les procédures accélérées, au lieu de les compliquer. Enfin et surtout, il faudrait parvenir à définir un nouveau principe au plan européen – nous avons commencé à l’esquisser lors de l’examen du texte en commission, monsieur le ministre –, selon lequel le rejet d’une demande d’asile vaut automatiquement décision d’éloignement et d’interdiction du territoire européen. Pour rendre effectif ce nouveau principe, les demandeurs d’asile seraient désormais placés dans des centres d’accueil fermés ou semi-fermés, permettant un examen diligent de leur demande et, en cas de rejet, l’organisation effective de leur éloignement.

Mes chers collègues, pour que l’asile politique retrouve son sens, il faut radicalement changer le système d’asile à l’échelle européenne comme au plan national. Votre projet de loi, monsieur le ministre, me paraît bien éloigné d’une telle rupture volontariste. C’est la raison pour laquelle, comme vous l’avez compris, je ne pourrai pas l’approuver. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la réforme de l’asile que nous examinons aujourd’hui traduit des engagements de François Hollande et de son gouvernement, tout en s’inscrivant dans le cadre des directives européennes du paquet « Asile ». En préambule, je tiens à saluer le rapport sans complaisance de nos collègues Létard et Touraine et celui du comité d’évaluation et de contrôle. Ils ont tiré le signal d’alarme face à un système d’asile en crise et à bout de souffle. Le constat est implacable et devrait inciter la droite à plus de modestie.

Le Gouvernement propose aujourd’hui une réforme globale du système à partir d’une large concertation avec les parties prenantes à la suite des rapports que je viens d’évoquer. Monsieur le ministre, ce texte, chacun en convient, est devenu une impérieuse nécessité. Ce projet de loi a été travaillé par les députés, notamment les membres de la commission des lois, et je tiens à remercier Sandrine Mazetier, notre rapporteure, pour son travail et son esprit de concertation, qui ont permis d’améliorer le projet initial, dans la meilleure tradition parlementaire.

Rapporteur spécial du budget sur l’asile, je souhaite limiter le champ de mon intervention aux deux points suivants : la réduction des délais de traitement des demandes d’asile et l’amélioration des conditions d’accueil.

En ce qui concerne le premier point, la réduction des délais, le Gouvernement, dans une période de budget contraint, a augmenté considérablement les moyens de l’OFPRA : création de 55 équivalents temps plein – il faut le souligner. Ainsi, l’objectif du projet de loi pourra être atteint et le délai de traitement des demandes réduit à neuf mois. Faut-il rappeler qu’aujourd’hui ce délai moyen est de dix-neuf mois pour l’ensemble de la procédure ? Et comme, avec la multiplication des crises, la demande d’asile est en augmentation constante – 35 520 demandeurs en 2007 et 66 251 en 2013 –, le délai devenait insupportable et le stock des dossiers à traiter de plus en plus élevé. Quelle incurie ! Il faut aujourd’hui rattraper le retard accumulé depuis une dizaine d’années. Ce n’est pas le moindre mérite du projet de loi que de s’être attaché à remplir cette mission.

Derrière ces dossiers se trouvent des hommes, des femmes, des enfants, persécutés, qui cherchent la sécurité et la protection à laquelle tout être humain a droit. Considérons-les comme tels. C’est pourquoi, aux termes du projet de loi, les procédures sont améliorées. La procédure dite « prioritaire » est abrogée. Elle privait en effet le demandeur concerné d’un recours suspensif devant la CNDA s’il était débouté par l’OFPRA. Enfin, le demandeur pourra être accompagné par un tiers à l’entretien de l’OFPRA, un amendement ayant précisé et élargi cette notion de tiers à plusieurs associations qui n’étaient pas mentionnées – je n’oublie pas, bien sûr, les avocats ou d’autres tiers.

J’en viens au deuxième point, l’amélioration des conditions d’accueil. Il s’agit encore d’un élément essentiel du droit d’asile. Depuis de longues années, l’offre d’hébergement en CADA ou en HUDA n’est pas à la hauteur des besoins. C’est pourquoi, là encore, le Gouvernement fait un effort important : 4 000 places en CADA en 2014 et 5 000 prévues en 2015. Cet effort doit être poursuivi. Atteignons rapidement l’objectif de 50 % au moins de placement en CADA, alors qu’aujourd’hui le taux est de 37 %. L’innovation introduite dans le projet de loi consiste à mettre fin à l’extrême concentration des demandeurs en région parisienne, lyonnaise ou frontalière pour mieux la répartir sur le territoire national. C’est une bonne chose qui va permettre un accueil plus équitable, en concertation avec les collectivités territoriales. Ainsi, le projet de loi institue un schéma national d’hébergement qui sera décliné dans chaque région en schéma régional. Il appartiendra à l’Office français de l’immigration et de l’intégration de piloter le schéma et de proposer des solutions d’hébergement – CADA ou HUDA. La mission de l’OFII est élargie et cet organisme doté de moyens supplémentaires.

Voilà qui pose la question de l’hébergement directif que dénoncent plusieurs associations au motif qu’il ne respecte pas le libre choix du demandeur. M. le ministre de l’intérieur a justement rétorqué, qu’un demandeur demande l’asile à la France, pas à la Corrèze ou la Manche ou la Lozère – il aurait pu ajouter les Landes. Cela dit, à titre personnel, je ne suis pas totalement opposé à ce que des exceptions puissent être envisagées pour des motifs impérieux et dûment établis, mais, par définition, une exception n’est pas un droit, encore moins une règle.

Au total, ce projet de loi est une véritable réforme du droit d’asile comme l’avait annoncé le Gouvernement il y a un an maintenant. Ce projet a été amendé par l’Assemblée nationale et constitue une avancée considérable en matière de droit et de moyens, sur la voie d’un droit d’asile plus juste, plus humain et mieux adapté aux besoins. C’est pourquoi nous pouvons être satisfaits du travail accompli et voter ce texte, même s’il n’est pas parfait – mais la perfection est-elle de ce monde ? Il redonne à la France les moyens et l’éthique de sa tradition d’accueil des réfugiés, qui remonte à la Révolution française, comme cela a été maintes fois rappelé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs se sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. « C’est le propre des Barbares de repousser les étrangers » : cette citation est de Grotius, et date de 1625.

M. Jean-Pierre Dufau. Elle date un peu !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Encore du Wikipedia !

M. Julien Aubert. Elle fonde toute notre tradition d’accueil des demandeurs d’asile.

Je me souviens d’avoir, en 2002, assisté à la création d’un CADA, un Centre d’accueil de demandeurs d’asile ; je ne sais pas si d’autres députés ont eu une telle expérience. J’avais, à l’époque, bataillé contre les élus locaux, car personne ne voulait accueillir ce centre. Certains de nos collègues soutiennent qu’il suffirait de modifier la loi SRU – loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains – pour faciliter l’installation des CADA : cela témoigne d’une vision idéaliste, éloignée des réalités du terrain ! Déjà, à l’époque, il y avait des problèmes de surpopulation, et donc un manque d’hébergements. En quatorze ans, la proportion de demandeurs d’asile a explosé, et le problème s’est aggravé.

Derrière tout cela, un problème de justice sociale se pose, dont nous n’avons pas beaucoup parlé. La France n’est pas à la hauteur de sa tradition en matière d’asile. En effet, les véritables demandeurs d’asile se retrouvent en fin de compte dépourvus de droits, inquiétés, parce qu’on les mélange avec des personnes qui, normalement, ne devraient pas être éligibles.

Il ne faut pas oublier la dimension humaine de ce problème, les drames qui y sont liés : il relève de notre responsabilité, à la fois économique et politique, de fortifier ce texte. À ce titre, j’espère que les amendements que nous avons déposés sur les articles du projet de loi seront acceptés.

Le problème a d’abord une dimension économique : plutôt que de créer des filtres et de définir des parcours, il faudrait allouer plus de moyens à l’OFPRA pour examiner les dossiers dans un délai restreint. Il faudrait aussi sacraliser le principe selon lequel les déboutés doivent être automatiquement éloignés du territoire. C’est la seule manière de désengorger le système, et cela coûtera beaucoup moins cher que de multiplier les centres d’hébergement. Nous savons bien, en effet, que sans les fausses demandes d’asile, nous n’aurions pas de problèmes d’hébergement !

Je vous invite donc à assumer la sélection, au nom même de notre tradition d’asile. Nous le devons aux véritables demandeurs d’asile. La France est dans une situation de saturation vis-à-vis de l’immigration : le meilleur service que nous pouvons rendre aux demandeurs d’asile, c’est de créer ce filtre, d’établir cette sélection.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, la réforme de l’asile est aujourd’hui indispensable – tout le monde l’a rappelé – tant le système est à bout de souffle. Le nombre de demandeurs a quasiment doublé depuis sept ans, et il faut deux ans d’attente avant d’obtenir une réponse. Or plus les délais de traitement des demandes sont longs, plus il est difficile, humainement, pour les autorités administratives, de faire appliquer les réponses négatives.

Cette réforme est donc indispensable pour réduire les délais et améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Notre pays est de longue date un refuge pour les victimes de persécutions ciblées ou de conflits généralisés. Je le sais bien, car je suis moi-même fils de réfugié politique. Le devoir de la France est donc de rendre plus efficaces les procédures, tout en veillant au respect de la dignité humaine de ces personnes. Aucun de nous ne sait combien il est difficile de laisser derrière soi une vie. Lorsqu’au bout d’un long – et souvent dangereux – périple ces personnes demandent l’asile et la protection de notre pays, nous devons traiter leur requête dans de bonnes conditions.

Cette réforme est équilibrée, car elle a pour objectif d’encadrer et de maîtriser de façon plus stricte les procédures, tout en prenant mieux en compte la situation personnelle des demandeurs d’asile, notamment lorsqu’un hébergement est proposé. C’est pourquoi il me semble important de rappeler qu’au cours de nos discussions, nous devrons éviter les amalgames malheureux. Il ne faut pas assimiler la question de l’asile à celle, ô combien complexe des migrants, que nous aurons à traiter ultérieurement.

Si le nombre de migrants augmente dans les années à venir, on ne pourra pas accuser les dispositions de ce texte d’avoir créé un appel d’air. Nous savons en effet que les demandes d’asile sont intrinsèquement liées à la situation de certains pays, qui pousse des femmes et des hommes à cet ultime recours qu’est le départ. Ce texte prépare la France à affronter ces enjeux, mais ils sont aussi européens : il faudra donc que l’Union européenne se saisisse de cette problématique avec plus de détermination.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile que vous nous présentez comporte des points positifs, mais aussi des écueils. Ces derniers ont d’ailleurs été bien aggravés lors de l’examen de ce texte en commission.

Parmi les points positifs, il y a la volonté de maintenir et d’améliorer ce droit fondamental qu’est le droit d’asile. Notre pays s’honore par l’accueil qu’il réserve aux opprimés et aux réfugiés, et ce depuis fort longtemps. Votre souhait de raccourcir et de simplifier la procédure, notamment en instaurant des guichets uniques, est lui aussi positif. Il est en effet anormal qu’il faille deux années pour qu’un dossier soit examiné ! Votre volonté de réduire le délai d’instruction des demandes à neuf mois est donc louable.

Il convient néanmoins de souligner les points négatifs de ce texte, qui sont importants. Notre pays doit faire face à une augmentation du nombre de demandeurs d’asile, dont les conséquences sont l’accroissement du coût de leur accueil et la saturation des hébergements d’urgence. Pour améliorer la situation, il n’y a que deux solutions : soit augmenter le budget consacré aux demandeurs d’asile, ce que l’état de nos finances publiques – bien détériorées depuis votre arrivée au pouvoir – ne permet pas, soit établir des limites pour éviter les abus – ce que ne fait pas ce texte.

Au contraire, ce projet de loi aggravera la situation, notamment à cause des amendements adoptés en commission. Les conditions du regroupement familial ont été élargies de manière inconséquente, l’hébergement directif ne l’est plus, le droit à une assistance juridique et linguistique va alourdir la procédure, l’allonger et augmenter son coût, sans oublier le droit à la formation professionnelle.

Nous aimerions accueillir une part de la misère du monde, mais nous ne le pouvons pas. Soyons donc responsables ! Nous savons qu’il existe des filières d’immigration qui détournent notre législation, nous savons aussi – tout comme ces filières – que la grande majorité des déboutés ne sont pas éloignés de notre territoire. En étant trop laxistes, vous créez un appel d’air dangereux, y compris pour les personnes qui ont réellement besoin de protection. S’il est urgent de garantir et d’améliorer le droit d’asile dans notre pays, il convient aussi d’éviter l’accroissement de l’immigration clandestine.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Je répondrai brièvement aux orateurs qui viennent de s’exprimer depuis les bancs du groupe UMP. Je suis d’accord avec eux pour ce qui est du constat, et de la nécessité de remédier aux problèmes.

L’un de ces orateurs a évoqué la date de 2002. C’était il y a douze ans, or sur ces douze années, les dix premières n’ont pas permis d’améliorations dans ce domaine. Il faut donc réfléchir à ce problème ensemble, avec modestie, et de façon constructive. Soyez cohérents : vous ne pouvez pas critiquer le projet sur lequel nous travaillons, et dans le même temps soutenir que pendant dix ou douze ans nous n’avons pas fait assez dans ce domaine, y compris pour ce qui concerne les places en CADA. Qui plus est, cette inaction que vous dénoncez a précédé la prétendue « dégradation des finances publiques » dont a parlé M. Chevrollier.

Deuxième point : il ne faut pas faire l’amalgame entre l’asile et l’immigration, qui sont deux sujets différents. Le texte que nous examinons traite du droit d’asile ; nous discuterons plus tard d’un texte sur l’immigration.

M. Guy Geoffroy. Il aurait fallu le faire en une fois !

M. Jean-Pierre Dufau. Comme le docteur Knock, qui voyait un malade en chaque personne en bonne santé, vous considérez que « tout réfugié débouté est un immigrant clandestin qui s’ignore ».

M. Guy Geoffroy. C’est à 95 % le cas !

M. Jean-Pierre Dufau. Je vous rétorquerai ceci : pendant plusieurs années, nous avons pratiqué une politique d’incitation au retour, accompagnée de primes conséquentes. Cette initiative ne s’est pas révélée très efficace, ni très bénéfique pour les finances publiques. Au contraire, des filières clandestines ont profité de cette mesure. Les gens qui empochaient l’aide au retour la rapportaient dans leur pays, et faisaient passer le tuyau à d’autres, qui venaient en France à leur tour.

M. Julien Aubert. C’est du co-développement !

M. Jean-Pierre Dufau. Vous devriez reconnaître, en toute honnêteté, que si nous avons abandonné cette politique, c’est parce qu’elle a échoué sur toute la ligne !

Il faut donc trouver d’autres moyens pour régler ces problèmes sérieusement. Je ne doute pas que vous saurez les chercher sérieusement, avec nous ; ce débat le montrera, à moins que je me trompe.

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, à quinze heures :

Questions au Gouvernement,

Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

La séance est levée.

(La séance est levée à minuit quarante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly