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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 10 décembre 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Professions juridiques réglementées

M. Sébastien Huyghe

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Projet de loi pour la croissance et l’activité

M. Germinal Peiro

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Régulation de l’économie mondiale

M. Jean-Noël Carpentier

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Épidémie de peste à Madagascar

Mme Huguette Bello

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Lutte contre l’optimisation fiscale

M. Éric Alauzet

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Réformes

M. Xavier Bertrand

M. Manuel Valls, Premier ministre

Relance de la croissance et de l’activité

M. Michel Zumkeller

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Politique de la France

M. Gérald Darmanin

M. Manuel Valls, Premier ministre

Concessions autoroutières

M. Jean-Paul Chanteguet

M. Manuel Valls, Premier ministre

Aide publique au développement

M. Jean-Marie Tetart

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Soutien à la viticulture dans le Sud suite aux intempéries

M. Pierre Aylagas

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Entraves à l’activité

M. Jean-Charles Taugourdeau

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Lutte contre l’antisémitisme

M. Meyer Habib

M. Manuel Valls, Premier ministre

Lutte contre les mères porteuses

M. Philippe Gosselin

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Rapport de l’Observatoire national du suicide

M. Gérard Sebaoun

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

2. Réforme de l’asile

Discussion des articles (suite)

Article 1er (suite)

Après l’article 1er

Amendement no 325 rectifié

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 101 , 114 , 278 , 294

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères

Amendement no 46

Article 2

Mme Catherine Coutelle

Amendements nos 285 , 290 , 116 , 102 , 170 , 440 , 108 , 373 , 110 , 374 , 437

Article 3

Amendements nos 262 , 111 , 351 , 113 , 427 , 460 , 117 , 466 , 465 , 375

Article 4

Amendements nos 376 , 462 , 377 , 27 , 336 , 431

Après l’article 4

Amendements nos 263 , 302 , 308 rectifié

Article 5

Amendements nos 210 , 211 , 47 , 171 rectifié , 378 , 172 , 173 , 487 (sous-amendement) , 48 , 469 , 481, 482 (sous-amendements) , 379 , 477

Suspension et reprise de la séance

Article 5 bis

Amendements nos 270, 271 , 1

Après l’article 5 bis

Amendement no 28

Article 6

Amendements nos 174 , 130 , 279 , 303

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Professions juridiques réglementées

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Emmanuel Macron, ministre de l’économie.

Monsieur le ministre, ce matin, vous avez présenté en conseil des ministres votre texte prétendument relatif à la croissance et à l’activité. Aujourd’hui, 50 000 représentants de six professions juridiques réglementées sont dans la rue pour manifester leur réprobation vis-à-vis de votre texte. Aujourd’hui, 50 000 représentants de six professions juridiques réglementées sont dans la rue pour défendre notre modèle juridique de droit continental, copié dans le monde entier car plus protecteur de nos concitoyens que le système de droit anglo-saxon dont vous vous inspirez. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Aujourd’hui, 50 000 représentants de six professions juridiques réglementées sont dans la rue pour manifester leur attachement au maillage territorial, qui est la garantie de l’égal accès au droit de chacun de nos concitoyens.

Aujourd’hui, 50 000 représentants de six professions juridiques réglementées sont dans la rue pour dire que le droit n’est pas une marchandise et que le sort de ces professions n’a pas à relever des divagations de Bercy, mais qu’ils sont sous la tutelle directe du ministère de la justice qui, bien mieux que vous, les connaît et comprend la nature de leurs missions.

Aujourd’hui, 50 000 représentants de six professions juridiques réglementées sont dans la rue pour manifester qu’ils ne bénéficient en aucun cas de rentes de situation, comme vous l’avez suggéré, mais qu’ils sont des professionnels dévoués et compétents assurant un haut niveau de protection juridique à nos concitoyens.

Pour tenter de justifier votre réforme, vous avez jeté à la vindicte populaire – en d’autres temps, certains auraient dit aux chiens –, alors que vous n’étiez pas le mieux placé pour le faire, des niveaux de revenus qui n’ont rien à voir avec ce que gagnent la grande majorité de ces professionnels.

Le Conseil d’État ne s’y est pas trompé, et vous a obligé à réécrire en catastrophe une grande partie de votre texte.

Ma question sera donc simple, monsieur le ministre. Alors que nos concitoyens ont tout à perdre avec votre réforme, pourquoi vous évertuez-vous à mettre en pièces un système qui fonctionne bien, alors qu’il y a tant à faire pour améliorer le fonctionnement de la justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Sébastien Huyghe, merci de défendre le champ de compétence de la chancellerie. Je vous connais assez pour savoir que ce n’est pas un hommage à ma personne (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.), mais il est vrai que tous ceux qui exercent des responsabilités politiques se grandissent à préserver les fondements de l’organisation de l’État.

Il n’y a pas lieu d’inquiéter les professions juridiques réglementées, monsieur le député. Les principes que vous avez rappelés sont ceux que le Gouvernement porte et énonce depuis plusieurs semaines, plusieurs mois – et très clairement, depuis notre prise collective de responsabilités.

Puisque je viens de saluer votre souci de la responsabilité de l’État, je dois vous dire qu’en revanche, je suis surprise de la mise en cause personnelle du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique à laquelle vous vous livrez. Il n’y a pas lieu de le faire ; il n’y a pas de métier honteux ; il n’y a pas à mettre en cause qui que ce soit en raison de sa profession ; on peut éventuellement le faire pour un acte ou une action, mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas pour M. Emmanuel Macron.

M. Christian Jacob. C’est un enterrement de première classe !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’y a pas lieu d’entretenir l’inquiétude de ces professions. Nous avons dit très clairement, monsieur le député, que nous préservions la sécurité juridique des actes, le maillage territorial, et donc l’accès au droit et à la justice sur l’ensemble du territoire, et que nous veillions à ce que les tarifs soient accessibles à tous les citoyens. Nous cherchons bien à faire en sorte que tous les citoyens puissent accéder au droit sur l’ensemble du territoire.

Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Compte tenu de l’évolution du texte, les professions concernées pouvaient, il est vrai, s’interroger ces derniers temps. Il n’y a plus lieu de le faire, après que le texte a été adopté en conseil des ministres. Et ne doutez pas de votre capacité à faire la loi ici ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Projet de loi pour la croissance et l’activité

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Germinal Peiro. Monsieur le ministre de l’économie, vous avez présenté ce matin en conseil des ministres un projet de loi qui, de toute évidence, réveille la passion française pour le débat. De quoi s’agit-il ? Ce texte recense, dans de nombreux secteurs économiques, les potentialités de croissance et d’activité. Il combat la rente et le monopole, qui pénalisent la création d’emploi et la libération des énergies. Il place une fois de plus l’emploi et la croissance au cœur de l’action de notre majorité.

Réforme des professions réglementées, élargissement des ouvertures des commerces – avec, bien évidemment, des compensations pour les travailleurs, fin des retraites chapeaux, remise en cause des abus dans l’exploitation des autoroutes, développement du transport en autocar, lutte contre la position dominante de certaines grandes chaînes de distribution et contre les marges excessives, développement de l’épargne salariale, modernisation de la justice commerciale : oui, ce projet de loi permet de puiser à de nouvelles sources de croissance.

Vous affirmez que c’est une loi de mouvement, de progrès et de liberté, qui produira ses premiers effets durant l’été 2015. C’est ce qu’attendent de nous tous les Français, qui voient depuis des années croître sans cesse le chômage.

Monsieur le ministre, le débat parlementaire va avoir lieu et notre groupe y prendra toute sa place.

M. Christian Jacob. Ça nous rassure !

M. Germinal Peiro. Nous veillerons à ce que les fruits de cette nouvelle croissance soient justement répartis, qu’ils servent les consommateurs et les travailleurs.

Monsieur le ministre, ma question est simple : quels sont les objectifs du projet de loi présenté ce matin ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Quels avantages…

M. Jacques Myard. Allô ?

M. Germinal Peiro. …peut-on attendre pour l’économie française, l’emploi, les consommateurs et les travailleurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous l’avez dit, ce projet de loi vise avant tout à accroître l’activité et la croissance dans notre pays.

M. François Sauvadet. Ce n’est pas fait !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il vise, de manière pragmatique, partout où cela a été possible, et de manière identifiée, à redonner des accès, redonner des possibilités de créer, de travailler, d’innover et de développer de l’activité en France. Bref il a pour objet de redonner des opportunités, de manière extrêmement concrète, sur de petits comme sur de grands sujets.

Ce projet de loi va favoriser l’activité et l’égalité des chances économiques, pour que chaque Française et chaque Français qui veut faire davantage, travailler et investir, puisse le faire.

Il repose sur trois piliers. Le premier consiste à ouvrir, à libérer. Je tiens à le dire ici : je comprends les sensibilités qui peuvent s’exprimer, mais ce projet ne vient en rien retirer des droits, il vient en donner à d’autres, il vient donner des opportunités, de nouvelles options à des Françaises et des Français qui n’en ont pas ! C’est important. Il permettra, vous l’avez dit, d’ouvrir des possibilités dans de nombreux secteurs d’activité, comme les transports, d’ouvrir l’accès à certaines professions, de rendre plus transparents les tarifs, d’ouvrir des secteurs régis par le monopole et qui sont aujourd’hui sous-efficaces.

En deuxième lieu, ce projet de loi va permettre d’innover et d’investir, en associant davantage les salariés au capital des entreprises, pour les faire participer à la réussite de ces dernières. Il vise à motiver, inciter, et permettre aussi à l’État de mieux s’organiser dans ses participations publiques pour réinvestir sur ses priorités les plus fondamentales. Il s’agit aussi d’aller plus vite en matière de logement, d’investissement public, là où c’est possible.

Il doit enfin permettre à celles et ceux qui le veulent de travailler mieux, de reprendre des opportunités, de bénéficier, lorsqu’ils doivent aller au travail le dimanche (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), de compensations et d’encadrements. L’objectif est, lorsque c’est possible, de travailler davantage, d’avoir plus de visibilité, d’avoir de nouvelles opportunités.

Bref, c’est une loi de progrès et d’égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Meunier. Menteur !

Régulation de l’économie mondiale

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le ministre des finances, le recul européen d’hier sur la taxation des transactions financières est bien regrettable. C’est une illustration supplémentaire des difficultés à mettre en place un système de régulation de la finance et, plus largement encore, de la mondialisation.

Pourtant, la crise économique internationale est toujours là. Elle fait des ravages partout dans le monde. Chaque jour, elle creuse les inégalités et peut même encore s’aggraver, comme le disent les experts.

On le voit, le laisser-faire, le laisser-aller ne marchent pas. D’ailleurs, un peu partout sur la planète, beaucoup demandent que la globalisation de l’économie soit mieux régulée. C’est l’homme qui fait l’économie et non l’inverse.

Monsieur le ministre, depuis le début de la crise, la coopération internationale destinée à prévenir les risques financiers n’a pas fourni de résultats probants. Il faut donc hâter le pas. L’efficacité, dans ce domaine, exige des accords internationaux nouveaux afin d’encadrer la mondialisation par des règles d’éthique universelle. Pour ma part, je ne vois qu’une autorité en mesure d’y parvenir : l’Organisation des Nations unies, dont il faut, bien sûr, élargir les compétences aux domaines économiques et financiers.

Monsieur le ministre, je n’ignore pas la complexité de la tâche, ni le temps qu’il faudra pour l’accomplir, mais ne pensez-vous pas que la France, compte tenu de son rang dans le monde, pourrait prendre une initiative en ce sens auprès de l’ONU pour favoriser une mondialisation économique plus soucieuse des droits humains ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et quelques bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, merci pour cette question qui souligne que si les effets les plus monstrueux de la dernière crise financière de 2008-2009 se sont légèrement estompés, les causes elles-mêmes n’ont pas encore disparu. Nous ne devons pas perdre de vue qu’aujourd’hui encore, il faut mettre en œuvre une régulation de la finance mondiale et aussi – nous le faisons, je vous dirai comment – appliquer des mécanismes de lutte contre l’ensemble de ces agissements qui échappent à toute forme d’éthique, de quelque nature que ce soit, et qui aboutissent, par exemple, à encourager la fraude ou l’optimisation fiscale.

Monsieur le député, vous avez raison, c’est effectivement au niveau international que nous devons agir car, s’agissant d’une mondialisation de cette nature, s’agissant des mouvements de capitaux, c’est le seul niveau qui permette d’être efficace.

Vous le savez, ce qui a été choisi par la communauté internationale, c’est de travailler au niveau du G20, qui rassemble les vingt plus grandes puissances économiques du monde, à savoir bien entendu les puissances d’Europe et d’Amérique du nord, mais aussi toutes les grandes puissances émergentes, notamment d’Asie, qui nourrissent également cette volonté de régulation.

De fait, nous continuons la régulation mondiale. C’est fait dans le domaine bancaire : par exemple, en Europe, nous avons adopté hier le dernier dispositif nécessaire à la mise en place d’une union bancaire, afin de couper le fil reliant la responsabilité des banques aux budgets nationaux, aux budgets à la charge de l’ensemble des contribuables.

Il faut aller plus loin, en particulier dans la lutte contre l’optimisation fiscale. Nous le faisons avec plusieurs organismes, tel l’OCDE, qui ont fait des propositions en la matière. J’ai d’ailleurs proposé avec mes collègues italien et allemand que 2015 soit l’année de la mise en œuvre effective, aux niveaux européen et mondial, des grands principes de la lutte contre l’optimisation fiscale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. Allez chercher le SAMU !

Épidémie de peste à Madagascar

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Huguette Bello. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé. Elle porte sur la recrudescence d’une maladie que l’on croyait éradiquée mais qui, depuis vingt ans, fait de plus en plus de victimes dans le monde. Non, la peste n’est pas une pathologie du passé. Elle réapparaît dans les zones de conflit et dans les pays les plus pauvres.

Madagascar est devenu le pays le plus touché et les raisons de s’inquiéter sont, cette année, plus sérieuses que jamais. Pour commencer, l’épidémie s’est déclarée plus tôt dans l’année : 40 morts sont déjà à déplorer et 119 cas ont été recensés. En outre, la capitale n’est plus épargnée. Antananarivo compte une victime et un cas déclaré.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le risque de développement de la maladie est à présent réel en raison de la haute densité de la population et des faiblesses du système de santé. La Grande Île est confrontée aux deux formes de la maladie : la peste bubonique, transmise par les puces des rongeurs infectés, et, surtout, la peste pulmonaire, très contagieuse, transmissible par voie aérienne et dont l’incubation ne dure que quelques heures. La grande majorité des malades sont aujourd’hui atteints par la forme la plus grave qui, si elle n’est pas traitée à temps, peut provoquer la mort en moins de trois jours.

Déforestation rapide, augmentation des températures, mondialisation des échanges, résistance de la bactérie aux antibiotiques : tous ces facteurs se conjuguent pour une propagation encore plus rapide de la maladie.

Afin que le scénario dramatique d’Ebola ne se renouvelle pas, la France ne devrait-elle pas, madame la ministre, prendre une initiative forte au plan européen, voire international, pour lutter contre une maladie dont la vitesse de transmission est sans équivalent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, madame la députée Huguette Bello, depuis le début du mois de novembre, Madagascar est confronté à une nouvelle flambée épidémique de peste.

Il faut souligner que la peste recule partout dans le monde, mais que l’Afrique reste le continent le plus concerné et que Madagascar concentre 30 % des cas identifiés à l’échelle mondiale. Nous avons déjà 40 morts à déplorer pour 119 cas identifiés.

Il y a deux formes de peste. La première, la peste bubonique, se transmet à l’homme par les puces et se caractérise par l’apparition de ganglions tuméfiés. Si le diagnostic est posé rapidement, le traitement peut se faire avec succès par les antibiotiques. La seconde, la peste pulmonaire, est l’une des maladies les plus dramatiques qui soient, puisqu’elle peut tuer en moins de vingt-quatre heures. Elle se déclare lorsque la maladie atteint les poumons, se transmet d’homme à homme lorsque le malade tousse. Il s’agit d’une forme très grave, mais rare, puisqu’elle ne concerne que 2 % des cas enregistrés.

Face à cette situation, des mesures fortes ont été prises. Tout d’abord, plusieurs acteurs français et internationaux sont pleinement mobilisés : la Croix-Rouge, l’Institut Pasteur et l’Organisation mondiale de la santé. Un appui technique et des ressources humaines sont apportés. Des équipements de protection individuels, des insecticides, des pulvérisateurs et des antibiotiques ont été mis à disposition.

L’Organisation mondiale de la santé ne recommande pas de restrictions au voyage ou au commerce, mais il est évidemment conseillé d’éviter tout contact avec des rongeurs dans les zones urbaines.

Enfin, les experts ont estimé que les touristes pouvaient continuer à se rendre sur place et qu’il n’y avait pas de résistance aux antibiotiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Alain Marsaud. On n’ira pas !

Lutte contre l’optimisation fiscale

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre des finances, le G 20, l’OCDE, le Gouvernement, vous, moi, tous ensemble, nous disons qu’il est inacceptable que les entreprises s’implantent dans les paradis fiscaux pour ne plus payer ou payer très peu d’impôts.

Ces dizaines de milliards qui s’évaporent creusent la dette, pèsent sur la croissance et représentent une concurrence déloyale pour de nombreuses petites et moyennes entreprises, une injustice fiscale et un péril démocratique.

Or, trois faits récents viennent entacher la crédibilité de la France dans sa volonté de mettre fin à ces pratiques désastreuses. Hier soir, au journal de 20 heures de France 2, on apprenait que l’entreprise EDF détenait 99,8 % du capital de la société de réassurance Océane Ré basée au Luxembourg, ainsi que 4 % du capital de la réassurance de Total, dont le siège est situé aux Bermudes, où l’impôt n’existe pas. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ce week-end, c’était l’annonce de la cession par l’État d’une participation majoritaire dans l’aéroport de Toulouse-Blagnac à un groupe sino-canadien immatriculé dans les paradis fiscaux, aux Îles Vierges et aux Îles Caïman, et que des concurrents, même français, y soient aussi implantés ne change rien au problème. (Mêmes mouvements.)

M. Jacques Myard. C’est la gauche au pouvoir !

M. Marc Le Fur. Elle est belle la gauche en effet !

M. Éric Alauzet. Enfin, la semaine dernière, le projet de loi de finances rectificative pour 2014 actait un régime fiscal dérogatoire pour l’organisation en France de l’Euro 2016, résultat d’une entente fiscale entre le gouvernement précédent et l’UEFA, l’Union européenne des associations de football. Le fait que l’actuel gouvernement propose malheureusement d’étendre à l’ensemble des manifestations sportives internationales d’ici à 2017 une telle entente, dans la veine des négociations scandaleuses qui ont été opérées au Luxembourg entre les multinationales et le gouvernement Juncker, nous inquiète.

Ces trois exemples, auxquels le Gouvernement est étroitement lié, sont en contradiction avec nos objectifs.

M. Christian Jacob. Démission !

M. Éric Alauzet. Dans ce contexte de doute, monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que la France prendra dès 2015 les décisions nécessaires pour concrétiser les mesures du projet dit BEPS – base erosion and profit shifting, c’est-à-dire l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices – du G 20 et de l’OCDE contre les abus fiscaux des multinationales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Karine Berger M. Jean-Marc Germain et M. Yann Galut. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député Alauzet, je vous remercie de cette question, qui va me permettre de préciser très exactement les choses.

Il peut y avoir des raisons techniques, des raisons d’ordre juridique ou commercial pour qu’une entreprise, même publique, ait des implantations à l’étranger.

Un député UMP. Et la morale ?

M. Michel Sapin, ministre. Cependant, et je vous le dis très clairement, je ne tolérerai aucune implantation qui serait réalisée en vue d’une optimisation fiscale. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.) Et cela, le ministre de l’économie et moi-même l’affirmons auprès de l’ensemble des entreprises publiques dans lesquelles, évidemment, l’État est présent. Il nous sera rendu compte très exactement des implantations éventuelles ainsi que des raisons pour lesquelles celles-ci ont eu lieu et, à partir de ces informations, les décisions qui s’imposent seront prises, le cas échéant, pour mettre fin à des mécanismes d’optimisation fiscale.

Je veux que le secteur public soit exemplaire, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), afin que la France soit exemplaire et puisse porter à l’échelle européenne – nous le faisons d’ores et déjà – comme à l’échelle mondiale cette volonté, qui doit être efficace et effective, de lutter contre l’optimisation fiscale.

M. Charles de La Verpillière. Farceur !

M. le président. Monsieur de la Verpillière, je vous en prie !

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas parce que, d’un côté de cet hémicycle, des décisions permettant l’optimisation fiscale ont été prises que nous sommes tenus de poursuivre dans la même voie aujourd’hui. Je le dis clairement et simplement, parce que cette bataille contre l’optimisation fiscale est absolument indispensable si nous voulons à la fois respecter les individus, les citoyens qui veulent que l’impôt soit juste, justement réparti et effectivement perçu, et garantir le bon fonctionnement de notre économie.

Mme Laure de La Raudière. Et Cahuzac ?

M. Michel Sapin, ministre. À défaut, cela crée des distorsions de concurrence entre les entreprises qui respectent et la loi et la morale, et elles sont très nombreuses, et celles qui ne le font pas.

Mme Laure de La Raudière. À qui la faute ?

M. Michel Sapin, ministre. Telle est ma priorité, notre priorité. Au cours de l’année 2015, monsieur le député, nous aurons avancé concrètement en Europe pour lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale que vous dénoncez à juste titre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Réformes

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Xavier Bertrand. Monsieur le Premier ministre, François Hollande avait promis le changement. Le seul qu’il ait réussi à changer, c’est vous !

M. Jean-Yves Caullet. Quel niveau !

M. Xavier Bertrand. Où est le Manuel Valls qui, à cette tribune, promettait des réformes en profondeur ? Où est le Manuel Valls qui s’engageait à supprimer rapidement les conseils généraux ? Où est le Manuel Valls qui, il y a deux mois à peine, expliquait dans L’Obs qu’il y avait une erreur de diagnostic initial et qu’il ne voulait plus de cette gauche passéiste encore présente sur certains bancs ?

M. Pascal Popelin. Lamentable !

M. Xavier Bertrand. Où est le Manuel Valls qui se disait courageux et admirateur de Clemenceau ? Où est ce Premier ministre ? Ce n’est pas lui, en tout cas, que nous avons vu dimanche soir. Nous pensions regarder Manuel Valls à la télévision, et c’est François Hollande que nous avons vu ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Laurent Baumel. Pathétique !

M. Xavier Bertrand. Monsieur le Premier ministre, vous avez en charge le gouvernement de la France. Vous mesurez combien la situation est grave. Vous pouvez, vous devez réformer. Mais aujourd’hui, parce que vous êtes entré dans le moule des politiciens, vous avez choisi de rester et de durer, plutôt que de faire et de réformer.

M. Pascal Popelin. Posez votre question !

M. Xavier Bertrand. Vous avez une responsabilité, vous montrer à la hauteur de votre modèle dont vous inscriviez une citation sur votre carte de vœux de ministre de l’intérieur en janvier 2013 : « Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l’énergie de le faire. » Ce que vous voulez, c’est durer. Vous n’avez même plus le courage de dire. Quant à faire, nous l’avons compris, il ne se passera rien.

Monsieur le Premier ministre, vous avez expliqué dimanche que vous n’étiez pas un déserteur. Alors il faut réformer maintenant, réformer vraiment. Ou alors, nous aurons compris que c’est le courage qui vous a déserté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. Pascal Popelin. Zéro pointé.

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Xavier Bertrand, pardon de parler à la troisième personne mais Manuel Valls est là, et bien là, à la tête du Gouvernement ! Je veux vous répondre avec courtoisie et attention, car le débat doit exister entre le Gouvernement, la majorité et l’opposition.

Je ne reviendrai pas sur le diagnostic et sur la nécessité des réformes : j’ai eu l’occasion d’en parler lors de mon discours de politique générale au mois d’avril. Mais votre question me permet de donner un contenu au mot « réformes ».

M. Guy Geoffroy. Ah, ben on va avancer !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Si nous pouvons nous retrouver sur l’idée qu’il faut avancer et réformer, nous divergeons sur le sens de ces réformes.

M. Guy Geoffroy. Les divergences sont à l’intérieur de la gauche !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Aujourd’hui même, nous présentons un projet de loi qui vise à soutenir la croissance et l’activité. Emmanuel Macron vous en a parlé il y a un instant. Mais alors que nous faisons montre de cette volonté réformiste pour débloquer la société française, vous vous placez du côté de ceux qui manifestent contre cette réforme, du côté des conservatismes et des blocages. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Yves Nicolin. Vous voulez parler de Martine Aubry ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous sommes tous d’accord pour réduire la dépense publique. Mais là où nous divergeons, c’est que nous considérons qu’il faut le faire en préservant l’État providence, les services publics, ce qui est au cœur du pays et de la République, quand vous, vous présentez un programme qui tourne le dos à l’idée que l’on se fait de l’État, des services publics et de la République.

M. Guy Geoffroy. La République est à tout le monde !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Continuons sur la question de la réforme, nous toucherons ainsi à quelque chose d’essentiel. Je rappelais dimanche, et je l’ai dit dans cet hémicycle, que nous nous trouvons à un moment clé pour le quinquennat et le pays. Soit nous écoutons les nostalgiques et nous privilégions une vision passéiste de la France, soit nous choisissons d’armer notre pays pour qu’il relève les défis futurs, en apportant une réponse qui soit celle de la République, de l’école, de l’avenir. Et vous, vous ne soutenez pas les réformes que nous menons en faveur de l’école, de la jeunesse.

M. Philippe Meunier. Ce n’est pas une réforme !

Plusieurs députés du groupe UMP. Baratin ! Blabla ! Pipeau !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Lorsque vous proposez de remettre en cause le code de la nationalité, ce qui fait le fondement même de la nationalité française, alors non, nous ne sommes pas dans le même camp ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.) Nous n’avons pas la même vision de la France, nous n’avons pas la même vision de la République !

M. Philippe Meunier. C’est certain !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est là où il y a une différence entre la droite et la gauche : nous ne nous faisons pas la même idée du passé et de l’avenir, nous ne nous faisons pas la même idée de la réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Relance de la croissance et de l’activité

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Zumkeller. Monsieur le Premier ministre, vous avez présenté ce matin un projet de loi sur la croissance et l’activité, censé « libérer la France de la défiance, de la complexité et du corporatisme ».

Lorsque vous parlez de relance de la croissance et de l’activité, le premier impératif qui nous vient à l’esprit est le retour de la confiance, une confiance qui s’est délitée depuis deux ans au point que ce climat de défiance n’est plus supportable.

Lorsque vous parlez de relance de la croissance et de l’activité, nous pensons au retour, désormais urgent, de la compétitivité, une compétitivité trop souvent bafouée par votre gouvernement et votre majorité depuis deux ans.

Lorsque vous parlez de relance de la croissance et de l’activité, nous pensons au retour du pouvoir d’achat, tant attendu par les Français. Le prédécesseur d’Emmanuel Macron estimait que ce projet de loi devait permettre de restituer 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français. Qu’en est-il aujourd’hui ? Où sont ces 6 milliards ?

Si nous avons besoin d’obtenir ces réponses, c’est que l’heure est grave, trop grave pour continuer à présenter des petites réformes ou de simples mesurettes sans vision d’avenir.

Le texte fourre-tout que vous nous présentez aujourd’hui ne fait que confirmer cette tendance, en évitant de poser les bonnes questions qui apporteraient pourtant des réponses concrètes à la baisse du pouvoir d’achat des Français. Comment retrouver le chemin de la croissance sans parler du temps de travail, par exemple ?

Comme vous, monsieur le Premier ministre, nous souhaitons avancer sur cette voie de la croissance et de l’activité, mais nous ne pouvons que constater que vous n’apportez pas les bonnes solutions, sauf à accepter de vous séparer d’une partie de votre majorité…

Pour sa part, le groupe UDI saura adopter une démarche constructive pour faire des propositions qui changeront le quotidien des Français. Monsieur le Premier ministre, lors l’examen de ce texte en janvier, vous ne pourrez plus vous défausser ! Pour libérer, comme vous dites, les énergies, il vous faudra choisir entre le dogmatisme socialiste ou l’intérêt supérieur du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, la défiance, la complexité, le manque d’investissements ne se régleront pas en un jour. Mais depuis le premier jour de ce quinquennat, la volonté du Président de la République a été de restaurer la confiance.

M. Yves Nicolin. Mais ça ne marche pas !

M. Emmanuel Macron, ministre. Après le pacte de responsabilité, le CICE, les mesures de simplification, les lois qui ont mis fin à certains monopoles comme la loi consommation…

M. Dominique Dord. Tout ça n’est pas sérieux !

M. Emmanuel Macron, ministre. …le projet de loi présenté ce matin consiste, compte tenu de l’urgence économique et de la situation du pays, à rouvrir des secteurs, à redonner des possibilités, à améliorer la transparence partout où c’est possible.

Très honnêtement, monsieur le député, je ne comprends pas le mauvais procès que vous me faites lorsque vous qualifiez ce texte de « fourre-tout ».

M. Yves Nicolin. Vous ne comprenez pas la France, c’est tout !

M. Emmanuel Macron, ministre. Étant donné l’urgence, nous refusons justement la posture, « l’idée magique », pour aborder tous les leviers qui pourraient avoir un impact concret.

Il est faux de dire que revenir sur les 35 heures réglerait le problème de la France, et vous le savez bien ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Gérard Sebaoun. Tout à fait.

M. Emmanuel Macron, ministre. Une mission d’information a été conduite, des travaux ont été menés. La flexibilité existe déjà sur le terrain.

La réalité de la France, aujourd’hui, n’est pas celle-ci. Des mesures de simplifications sont nécessaires, le dialogue social doit être amplifié : c’est le sens de cette loi. Oui, il est vrai que, dans tous ces secteurs, nous devons aller plus loin, ouvrir encore, être concrets.

Monsieur le député, je vous appelle donc à être concret, à faire preuve de bonne volonté, à rejoindre la volonté du Gouvernement. Pour que les Français vivent mieux demain et que la croissance reprenne, apportez des idées concrètes, des idées de progrès, d’égalité, d’activité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique de la France

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le Premier ministre, voilà déjà deux ans que les Français ont réalisé qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion présidentiel.

M. Jean-Claude Perez. Chihuahua !

M. Gérald Darmanin. Xavier Bertrand a raison, cela en est fini du Premier ministre courageux : vous avez été touché par le hollandisme, monsieur le Premier ministre, un fléau qui empêche les hommes politiques d’agir.

Vous avez perdu 155 communes aux élections municipales en mars dernier. Vous avez perdu les élections sénatoriales en septembre dernier. Vous avez perdu toutes les élections législatives partielles en métropole – même pas cinq candidats maintenus au premier tour. Dimanche dernier, votre candidat a réuni à peine 14 % des voix.

M. Christian Jacob. C’est la cote de François Hollande !

M. Gérald Darmanin. Monsieur le Premier ministre, vous êtes tétanisé par les prochaines élections départementales et régionales. Le parti socialiste, nous pouvons tous le constater, disparaît de la carte électorale. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Comme vous ne pouvez rien faire pour inverser la courbe du chômage, comme vous ne pouvez pas renforcer la sécurité des Français, comme vous avez renoncé à relancer l’économie, vous remettez sur la table la proportionnelle et le droit de vote des étrangers.

En bon disciple de François Mitterrand, vous allez jouer avec le Front national pour le faire entrer dans l’hémicycle. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Hier, la réponse que vous avez apportée à Bernard Accoyer était bien floue mais comme on dit dans le Nord, « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ».

Aujourd’hui, le premier secrétaire du parti socialiste propose d’accorder le droit de vote aux étrangers : plutôt que de faire votre petite soupe sur votre petit feu, pourquoi touchez-vous encore les institutions de la Ve République ? Vous qui invoquez Clemenceau et la République, avez-vous mesuré le risque que vous faites courir à la France pour 2017 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Darmanin, j’ai déjà eu l’occasion d’appeler l’attention des uns et des autres, y compris lorsque j’étais dans l’opposition car je m’applique également cette critique, sur la manière dont nous parlons du Président de la République. Je la trouve, aujourd’hui, inconvenante. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP - Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, on écoute la réponse.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Faisons attention car, monsieur Darmanin, je ne sais pas si j’ai été touché par le hollandisme mais en revanche, vous avez été, vous, touché par le sarkozysme, n’en déplaise à Xavier Bertrand. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ne soyez pas péremptoires, les thèmes que vous avez évoqués sont source de polémiques. Prenons garde à ce qui se passe dans notre pays. Nous avons déjà connu une telle situation mais le vrai danger, pour vous comme pour nous, comme pour l’idée que nous nous faisons de la République, est précisément le Front national. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Si vous continuez à le nourrir en abordant ainsi tous ses thèmes de prédilection, vous prenez un risque.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est le parti socialiste qui est troisième aujourd’hui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vais tenter de répondre à votre question fourre-tout, monsieur le député : pour avoir l’honneur de servir le Président de la République, je puis vous assurer que, tant en matière de politique intérieure que de politique économique ou de politique internationale et de défense, ne vous en déplaise, il y a un pilote dans l’avion.

Plusieurs députés du groupe UMP. Ah bon ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je suis fier d’être le Premier ministre, comme l’a été Jean-Marc Ayrault, d’un Président de la République qui a fait le choix d’envoyer les armées pour lutter contre le terrorisme au Mali, au Sahel. (Interruptions continues sur les bancs du groupe UMP.) Je suis fier que, grâce à ce Président, nos armées soient accueillies comme elles le sont en Afrique. Je suis fier d’un Président de la République qui a pris la décision de participer à une coalition en Irak pour lutter contre Daech. Je suis fier d’un Président de la République qui renoue, au nom même de la France et de l’Europe, un dialogue avec la Russie parce que nous avons besoin de la paix en Europe. (Mêmes mouvements) Je suis fier, monsieur le député, de servir un Président de la République qui fait une priorité du redressement de notre pays, dans le respect des principes de justice, et je suis fier d’être le Premier ministre d’un Président de la République qui conduit la France avec la volonté d’élever le débat, et non de le rabaisser comme vous le faites. (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent, longuement - Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Concessions autoroutières

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le Premier ministre, la privatisation des autoroutes, décidée en 2006 par le gouvernement de Dominique de Villepin, a conduit à l’époque une immense majorité des dirigeants politiques, quelles que soient leurs appartenances partisanes, à se montrer extrêmement critiques vis-à-vis d’un choix qui portait, selon eux, atteinte à l’intérêt général.

En effet, l’État, en déléguant à des sociétés privées l’exploitation d’autoroutes, déjà largement financées par les impôts des citoyens et les péages des automobilistes, se privait ainsi pour de nombreuses années d’importantes ressources pérennes. Au fil des ans, cette gestion a continué à susciter des interrogations suffisamment graves pour que la Cour des comptes puis l’Autorité de la Concurrence soient saisies d’une demande de rapport par la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Ces deux études, publiées l’une le 24 juillet 2013 et l’autre le 18 septembre 2014, ont fait prendre conscience à tous, sur la base d’éléments factuels, précis et incontestables, de l’évolution excessive du montant des péages et du retour financier exceptionnel pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Par ailleurs, la puissance publique, confrontée à une dette de 2000 milliards d’euros, ne peut plus aujourd’hui financer ses infrastructures de transport, qu’il s’agisse de les maintenir en bon état ou d’en créer de nouvelles, plus adaptées à notre obligation de lutte contre le réchauffement climatique.

Ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, que le moment est venu pour l’État de se donner les moyens de gérer autrement le réseau autoroutier, sur de nouvelles bases plus conformes aux priorités de la Nation, c’est-à-dire au bénéfice de l’intérêt général, qui ne peut être confondu avec l’intérêt des actionnaires des actuelles sociétés concessionnaires ?

L’État peut-il, dans ce domaine, recouvrer sa pleine souveraineté sur le service public autoroutier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Chanteguet, nous connaissons votre implication sur ce sujet, notamment en tant que rapporteur de l’actuelle mission d’information parlementaire présidée par votre collègue de l’UDI, Bertrand Pancher, relative à la place des autoroutes dans les infrastructures de transport.

Le constat est partagé sur de nombreux bancs : la privatisation des autoroutes en 2006 par le gouvernement de Dominique de Villepin était une erreur…

M. Rémi Pauvros. On peut le dire !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …qui a coûté cher au pays en privant l’État de recettes et d’investissements qui, aujourd’hui, manquent. Vous êtes nombreux à faire cette analyse.

M. Dominique Dord. Et l’aéroport de Toulouse ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’Autorité de la concurrence et la Cour des comptes ont appelé à un rééquilibrage des relations entre les sociétés concessionnaires et l’État. Le Parlement s’est également saisi de ce dossier important et vous avez adopté, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, un amendement pour supprimer un avantage fiscal des sociétés d’autoroutes, ce qui rapportera 60 millions d’euros à l’État chaque année.

Le Gouvernement est déterminé à agir pour remédier à cette situation.

M. Marc Dolez. Nationalisez ces sociétés !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous voulons tout d’abord améliorer la régulation des péages afin de mettre un terme aux surprofits des sociétés d’autoroutes – cela vaut notamment pour la hausse des tarifs prévue pour 2015 – et imposer une participation des sociétés d’autoroutes au financement des infrastructures de transport. Vous le savez, des négociations avec les sociétés d’autoroutes ont été engagées sous l’égide de Ségolène Royal, Alain Vidalies et Emmanuel Macron. Je souhaite qu’elles aboutissent avant la fin de l’année.

Toutes les propositions pour améliorer la situation seront mises sur la table. Croyez-moi, nous nous appuierons sur votre rapport, dont nous connaîtrons les conclusions la semaine prochaine, et nous y associerons le Parlement.

Vous avez raison, l’intérêt général de la nation doit être pris en compte. En attendant votre rapport et le résultat des discussions et en espérant que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités, aucune solution ne doit être exclue.

M. Marc Dolez. Y compris la nationalisation !

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’État est prêt à faire valoir l’intérêt de la nation, celui des Français. Aucune solution n’est écartée. Une remise à plat totale s’impose car il en va précisément de l’intérêt de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Aide publique au développement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Marie Tetart. Monsieur le Premier ministre, ma question porte sur la dégradation de notre politique d’aide au développement, dont nous pouvions pourtant être fiers autrefois. Avec les acteurs de l’aide publique au développement, je suis en effet inquiet du désengagement français, car une réduction de 89 millions d’euros est prévue en 2015. Je suis encore plus inquiet de la dégradation croissante de l’aide en santé, alors que l’épidémie d’Ebola devrait nous conduire à l’accroître et aussi que nous nous apprêtons à célébrer le deuxième anniversaire de la résolution de l’ONU sur la couverture universelle, défendue par la France. Je suis inquiet aussi de la récupération, comme variable d’ajustement budgétaire, de la « taxe Chirac » consacrée à la tuberculose, au paludisme et au sida. Enfin, je m’inquiète de l’avenir des programmes Muskoka, dédiés à la santé maternelle et infantile, et des programmes GAVI, consacrés à la vaccination.

La France est pourtant le quatrième contributeur souverain au programme GAVI pour la période 2011-2015, avec 360 millions d’euros. GAVI est unanimement reconnu pour son impact sur la santé des mères et des enfants, car il permet une réduction drastique du prix des vaccins. Les résultats sont probants : le prix du vaccin pentavalent a été réduit de 65 % par rapport à 2003, et Sanofi Pasteur a investi 25 millions d’euros pour doubler la production du vaccin contre la fièvre jaune suite à une sollicitation de GAVI. Au mois de janvier prochain sera fixée la reconstitution des ressources pour la prochaine période quinquennale, afin de vacciner 300 millions d’enfants, majoritairement dans des pays qui sont des bénéficiaires prioritaires de l’aide française.

Nous vivons donc un moment crucial pour la santé mondiale. Dès lors, qu’attendre de la France ? Honorera-t-elle en 2014 son solde d’engagement de 27 millions d’euros envers GAVI ? Prendra-t-elle de nouveaux engagements pour la période 2016-2020, et à quelle hauteur ? Qu’attendre d’elle pour la poursuite du programme Muskoka après 2015 ? Moins d’argent pour la santé aujourd’hui, c’est davantage de dépenses pour l’urgence et l’aide au développement demain. Pensez-y, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Vous avez vous-même indiqué avec force, monsieur le député, que la France développe des programmes sanitaires extrêmement importants en faveur des pays du Sud. L’aide au développement consiste pour l’essentiel en programmes en matière de santé. Vous en avez évoqué plusieurs, j’aurais pu en ajouter d’autres.

De ce point de vue, vous me permettrez de saluer la très grande qualité de la coopération interhospitalière qui est par exemple menée par le groupement d’intérêt public Esther, qui permet à des praticiens d’hôpitaux français de se rendre dans les pays du Sud afin de soutenir le développement d’hôpitaux, en particulier en Afrique mais aussi ailleurs.

Une épidémie d’Ebola touche actuellement l’Afrique de l’Ouest. L’engagement de la France est tout à fait exemplaire : elle est l’un des pays qui se trouvent à la pointe de ce combat. En Guinée, où le Président de la République s’est rendu il y a peu, ce sont 170 millions d’euros qui sont engagés pour faire en sorte que la maladie recule et que les associations – je salue tout particulièrement la Croix-Rouge et Médecins sans frontières – soient pleinement soutenues. Nous mettons en place des centres de traitement et des centres de formation pour les soignants.

Les engagements pris par la France sont mondialement reconnus, monsieur le député, et vous pourriez vous réjouir de cette implication. Ces engagements seront tenus. L’aide au développement et ses objectifs seront respectés par notre pays. Je veux vous dire, monsieur le député, qu’à ce moment difficile pour la France sur le plan financier, nous assumons nos engagements vis-à-vis des pays du Sud et respectons l’exigence de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Soutien à la viticulture dans le Sud suite aux intempéries

M. le président. La parole est à M. Pierre Aylagas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Pierre Aylagas. Monsieur le ministre de l’agriculture, j’appelle votre attention sur la situation tragique des viticulteurs des Pyrénées-Orientales et, notamment de la Côte Vermeille, suite aux intempéries qui se sont produites il y a dix jours.

Le vignoble de la Côte Vermeille incarne l’identité de tout un territoire, d’autant que c’est la seule activité agricole qui peut être exercée sur ces terrains difficiles. Vous le savez, ce sont des vignobles agrippés à la montagne et cultivés en terrasses, ce qui interdit toute mécanisation. Tout se fait manuellement. Ils s’appuient sur des murs traditionnels de pierre sèche qui soutiennent les terrasses sur lesquelles pousse la vigne.

Hélas, la tempête a tout ravagé. Le ruissellement a provoqué des glissements de terrain et les vignobles sont dévastés. Pour beaucoup, ils ont même tout simplement disparu. Tranchées sinistrées, terrains devenus paysages de désolation : c’est une calamité pour nos viticulteurs et pour toute la Côte.

L’étendue des dégâts n’est pas encore quantifiable, tant elle est importante. Cependant, nous savons déjà qu’il faudra des années pour rebâtir ce qui a été si difficilement et héroïquement entretenu depuis des générations. Oui, c’est une viticulture « héroïque » que nous avons sur la Côte Vermeille ! Aujourd’hui cette viticulture héroïque est désespérée.

J’ajoute que ces vignobles, qu’entretiennent habilement nos viticulteurs, permettent aussi de limiter les incendies dans une zone à risque.

Monsieur le ministre, il faut nous aider à remettre sur pied ce terroir qui donne des crus uniques comme le Collioure et le Banyuls. En outre, nous vous sollicitons pour parvenir à classer les vignobles de la Côte Vermeille en vignoble de montagne, comme c’est le cas pour d’autres régions – le Piémont en Italie, par exemple. Cela leur apporterait un soutien considérable dans le cadre des politiques agricoles communes.

Je vous demande donc quelles sont les mesures que vous entendez mettre en place pour que nos viticulteurs puissent sauver le vignoble de la Côte Vermeille. Sans votre aide, ce sera la fin de ce patrimoine ancestral ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Comme vous, je sais que les inondations récentes ont touché dans de nombreux endroits l’agriculture et, dans votre région, en particulier la viticulture, à commencer par les appellations Banyuls et Collioure.

Deux types de mesures doivent être prises. Les premières, concernant les cultures en terrasses, portent sur ce que l’on appelle les pertes de fond : lors d’événements climatiques tels que celui-là, les pertes ne concernent pas seulement la récolte de l’année en cours, mais peuvent aussi affecter les années suivantes. Mme la préfète s’est rendue sur place et les services de l’État procèdent actuellement à l’évaluation de la situation. Les compensations nécessaires seront accordées afin de reconstituer le capital de production de ces vignobles.

Ensuite, s’agissant de l’année qui vient et des difficultés économiques qui naîtront de cette inondation, nous devons adopter les procédures déjà en vigueur dans d’autres endroits touchés eux aussi – je pense à l’Aude, frappée par la grêle – concernant à la fois les allégements de charges, le report des cotisations versées à la MSA ou le report de la taxe sur le foncier non bâti. Ce sont autant de dispositions qui seront mises en œuvre dans votre département, monsieur le député.

Enfin, j’irai dès le mois de janvier prochain avec vous faire le point en préfecture sur l’ensemble de ces dispositions afin d’apporter la meilleure réponse aux intempéries qui ont touché votre département. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Entraves à l’activité

M. le président. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le Premier ministre, mille emplois sont détruits chaque jour dans notre pays, mais jamais on ne parle des milliers d’emplois qui ne sont pas créés à longueur d’année. Vous savez pourquoi, mais vous cachez la vérité cruelle aux Français car elle n’est pas compatible avec les dogmes d’une partie de votre majorité.

En France, des milliers d’emplois pourraient être créés à condition d’imprégner de bon sens nos codes et nos normes. Encore ce matin, vous souhaitiez « réenchanter le rêve ». Pourtant, en France, nous vivons un cauchemar car il n’est plus possible de lancer de grands projets d’entreprise.

Quand bien même nos entrepreneurs, et même l’État, obtiendraient, après des mois, voire des années d’attente interminables, l’autorisation de démarrer leur projet d’entreprise, alors ils se trouveraient nez à nez avec des activistes – barrage de Sivens, projet de Center Parcs en Isère, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et j’en passe. Imaginez qu’un grand projet se situe à Paris : laisserait-on l’esplanade des Invalides occupée ? Bien sûr que non ! Y aurait-il deux France, monsieur le Premier ministre ? Une France rurale et une France parisienne ? Quand ferez-vous évacuer ces zones occupées, devenues de véritables zones de non-droit ?

Où est la liberté de travailler lorsqu’un avocat et un huissier, venus effectuer des relevés de terrain à Notre-Dame-des-Landes, doivent être accompagnés par le GIGN en armes ? Où est la liberté de travailler lorsque des occupants menacent telle ou telle entreprise en passe de répondre à un appel d’offres public ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, cessez de faire croire que vous êtes mobilisé pour l’emploi alors que, sur le terrain, l’État abandonne l’intérêt général. Souhaitez-vous vraiment développer la croissance et l’emploi ? Si oui, cessez de stigmatiser les entreprises !

Je vous prie d’excuser cette question un peu « fourre-tout », mais elle est finalement comme le projet de loi Macron.

Mme Valérie Boyer. Excellent !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ma question est simple : quand rétablirez-vous le droit dans ces zones occupées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, il est difficile de répondre à votre question (Rires sur les bancs du groupe UMP.) tant elle recouvre de nombreux thèmes. Mais compte tenu de la gravité de la situation économique que vous évoquez et de la souffrance que beaucoup de chefs d’entreprises éprouvent sur le terrain en raison du contexte actuel, je tiens à vous apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, des mesures ont été prises, en termes d’allégements de charges et de fiscalité, en faveur des entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Par ailleurs, ce matin même, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres, qui contient des mesures concrètes en mesure de répondre aux préoccupations des entreprises.

M. Philippe Le Ray. Répondez à la question !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vous invite, avant de stigmatiser ce texte, à le lire. Vous verrez qu’en matière de logement intermédiaire, nous avons, avec Sylvia Pinel et Thierry Mandon, fait des propositions concrètes en vue de construire davantage, plus vite et de façon plus simple. Des mesures concrètes ont également été prises de façon que les innovations mises en œuvre et les simplifications apportées lors de grands projets, en Île-de-France et ailleurs, puissent être généralisées.

Lisez ce texte et vous verrez qu’il répond aux préoccupations que vous avez évoquées.

Mais le progrès économique ne peut faire fi de certaines réalités sur le terrain, non plus que de certaines préoccupations qui s’y expriment et qui sont parfois celles que vous évoquez.

M. Philippe Le Ray. Nous voulons une réponse à propos des « zadistes » !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ces difficultés sont gérées de manière concrète par Ségolène Royal et l’ensemble des membres du Gouvernement. Ne vous livrez donc pas à des stigmatisations trop simplistes.

Monsieur le député, faites donc des propositions concrètes pour améliorer la vie des chefs d’entreprise sur le terrain. (« C’est à vous d’en faire ! » sur les bancs du groupe UMP.) Faites des propositions concrètes ! (Mêmes exclamations.) Et lorsque, dans certaines enceintes ou dans certaines collectivités locales, des projets comme la construction d’une tour sont proposés, votez pour ! Votez pour l’activité économique ! Malheureusement, dans de tels cas, vous ne savez pas le faire.

Prenez vos responsabilités jusqu’au bout. Les nôtres, nous les avons prises ce matin et nous les prendrons pendant le débat. Nous prendrons des mesures justes qui permettent aux chefs d’entreprise de soutenir des projets sans réduire les droits de quiconque. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC - Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Le Ray. Vous n’avez pas répondu à la question !

Lutte contre l’antisémitisme

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Meyer Habib. Monsieur le Premier ministre, Jean-Paul Sartre écrivait, dans ses Réflexions sur la question juive : « Pas un Français ne sera en sécurité tant qu’un Juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie ». Sartre ne parlait pas simplement du mal causé aux Juifs mais aussi de ce cancer qu’est pour tous les Français l’antisémitisme. Parce que cette haine de l’autre s’attaque aux fondements de notre République, à ses valeurs, ces mots conservent toute leur force.

La semaine dernière, après l’affaire Ilan Halimi, après Toulouse, après Bruxelles, un couple de jeunes Juifs a été agressé et la jeune fille violée dans leur modeste domicile de Créteil parce qu’ils étaient juifs.

Pourtant, vous le rappeliez hier, nous n’étions pas plus de 1 500, dimanche, pour soutenir les victimes, et à peine 450 après l’égorgement sauvage d’Hervé Gourdel par des djihadistes. Des chiffres désolants quand on pense que les manifestations pro-Hamas qui ont eu lieu cet été à Paris, et au cours desquelles a été scandé « Mort aux Juifs », ont réuni plus de 30 000 personnes.

Monsieur le Premier ministre, vous-même et le ministre de l’intérieur avez eu des paroles fortes, sincères et rassurantes. Mais après ces paroles, il est temps de passer aux actes.

Les statistiques sont alarmantes, vous l’avez rappelé. De plus en plus de nos compatriotes juifs, malgré leur attachement à la France, ne s’y sentent plus en sécurité et quittent massivement notre pays.

Quelles mesures concrètes pensez-vous prendre ?

Quelques pistes : l’éducation, le renforcement de la pénalisation, l’application rigoureuse des sanctions, mais surtout l’arrêt de la diabolisation d’Israël. Il existe chez nous une obsession d’Israël, surtout à votre gauche. C’est vous, Manuel Valls, qui avez justement rappelé que l’antisionisme était la nouvelle forme de l’antisémitisme. Hasard malheureux, le crime de Créteil a eu lieu la veille du vote contre-productif d’une reconnaissance unilatérale qui nous éloigne de la paix. Nous avons alerté sur le risque d’importation du conflit et sur la légitimité que ce vote apportait au Hamas, et 151 d’entre nous, pour la plupart favorables à un État palestinien, l’ont compris.

Quand comprendrez-vous que dans cette partie du monde ce n’est pas une question de territoire, monsieur le Premier ministre ? La lutte contre l’antisionisme effréné n’est-elle pas elle aussi un chantier essentiel de la lutte contre l’antisémitisme ? (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, je comprends votre colère, votre passion et vos préoccupations. Nous pouvons tous nous retrouver, non seulement autour de la condamnation sans équivoque de ce qui s’est passé la semaine dernière, et en appeler à la mobilisation, outre celle déjà engagée des pouvoirs publics, mais de toute la société.

Oui, il y a du racisme, de la xénophobie, de la violence dans notre société. Oui, il y a de l’antisémitisme, cette vieille haine du Juif, qui a changé de proportion. Elle existe à l’extrême-droite mais aussi, nous l’avons souvent dit, dans nos quartiers populaires. Ce nouvel antisémitisme, particulièrement préoccupant, se développe aujourd’hui sur Internet, soutenu par des personnes venues d’horizons divers.

Il faut lutter avec la plus grande détermination contre ces appels au meurtre, car ce sont bien des appels au meurtre, contre cet antisionisme qui, c’est vrai, se retrouve souvent dans la haine d’Israël et du sionisme.

Mais en même temps, et je vous en conjure, monsieur le député, face à la situation que nous connaissons, nous voyons bien que certains cherchent à exploiter ce qui se passe au Proche-Orient – vous le rappeliez vous-même en faisant référence aux manifestations qui ont eu lieu cet été et que le Gouvernement, notamment le ministre de l’intérieur, avaient interdites.

En revanche, nous le savons tous ici, vous-même le premier, nous avons besoin, et la France doit y participer pleinement car c’est son rôle et sa mission, que l’Europe soit encore davantage présente sur les questions relatives au Proche-Orient.

La paix est indispensable. Tant que la paix ne sera pas faite entre Israéliens et Palestiniens, tant que n’existeront pas deux États côte à côte, un État palestinien et un État israélien, sûrs à l’intérieur de leurs frontières et en sécurité (Applaudissements sur de nombreux bancs), il nous faudra rester vigilants car, nous le savons, certains essaieront en permanence de nourrir la haine d’Israël et des Juifs.

Nous pouvons nous retrouver sur l’essentiel : la condamnation de l’antisémitisme, l’engagement contre l’antisémitisme, qui prend des proportions différentes et qui justifie, je le redis, l’indignation la plus totale de notre société.

M. Claude Goasguen. Tout à fait !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez raison, monsieur le député, vous n’étiez pas assez nombreux à Créteil, autour du député-maire Laurent Cathala et du ministre de l’intérieur. Mais vous-même, en tant que parlementaire français qui représentez certains de nos compatriotes établis à l’étranger, vous pouvez nous aider à nous retrouver et à faire en sorte que la France soit forte et fasse entendre sa voix pour la paix et la lutte contre l’antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ainsi que sur de nombreux autres bancs.)

Lutte contre les mères porteuses

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et j’y associe l’Entente parlementaire pour la famille. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Certes, l’actualité du jour porte surtout sur le texte de M. Macron et la confiance disparue – ce n’est pas un hasard si les manifestants sont si nombreux dans la rue, et nous les soutenons fermement. Néanmoins, je dois noter que l’Assemblée nationale, qui aurait dû examiner hier la proposition de loi Léonetti de lutte contre les mères porteuses, ne l’a pas fait. En effet, cette majorité qui est la vôtre, monsieur le Premier ministre, l’a rejetée dès jeudi en séance, en maniant le double langage. Ainsi, vous prétendez être opposé « à la commercialisation des êtres humains et la marchandisation du corps des femmes », mais votre majorité tue dans l’œuf tout débat sur l’aggravation des sanctions ! Il s’agissait pourtant de lutter contre le développement du trafic et de nouveaux marchés, qu’il s’agisse d’ailleurs de couples hétéros ou homosexuels.

Quel double langage, aussi, de ne pas interjeter appel des deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ! Quel double langage d’affirmer par opportunisme début octobre que la jurisprudence sera appliquée au cas par cas : mais sur quels critères ? Comment opérer la distinction ? N’est-ce pas une forme de discrimination ? Je me pose vraiment la question !

Nous pourrions tomber d’accord sans polémique, monsieur le Premier ministre. En effet, de tous côtés, la prise de conscience se développe, comme le montrent la tribune publiée au mois de juillet par MM. Jospin et Delors et Mmes Roudy, Notat ou encore Buffet ici présente dans l’hémicycle ainsi que la lettre du 23 septembre signée par dix de nos collègues socialistes, membres de votre majorité.

Alors, oui ou non la France prendra-t-elle la tête d’une action internationale ambitieuse comme vous l’avez annoncé début octobre ? Tirera-t-elle oui ou non les conclusions des arrêts de la CEDH, et comment le cas par cas sera-t-il géré ? Enfin, quelle est votre position ? Sortez, je vous en prie, de l’ambiguïté et du double langage ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Notre droit prohibe la gestation pour autrui, comme vous le savez, monsieur le député. Cette prohibition est inscrite dans le code civil sans la moindre ambiguïté. Elle est d’ordre absolu.

M. Claude Goasguen. Sans quoi ce ne serait pas une prohibition !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’un refus très clair réaffirmé par le Président de la République dans le cadre du combat pour l’indisponibilité du corps humain et contre l’exploitation du corps des femmes. Il n’y a pas d’ambiguïté à ce sujet.

M. Claude Goasguen. Si, dans le code pénal !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Notre code pénal est très clair aussi. L’entremise en vue de la gestation pour autrui est sanctionnée par les articles 227-12 à 227-14 du code pénal.

M. Claude Goasguen. Mais non !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quant aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, je vous sais assez attentif à ces questions, monsieur le député, pour penser que vous les avez lus attentivement. Ils distinguent bien la situation des parents du sort des enfants et ne remettent donc absolument pas en cause la prohibition absolue de la gestation pour autrui ni sa sanction pénale. Il n’y a nul double langage, monsieur le député ! Nous n’avons jamais dissimulé la nécessité de prendre en compte la situation des enfants. Vous qui vous préoccupez constamment de l’intérêt supérieur de l’enfant, vous conviendrez que celui-ci tient à la situation réelle des enfants, et non à l’enfant en tant qu’abstraction !

M. Claude Goasguen. Le problème, ce n’est pas l’enfant mais les parents !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La prohibition demeure donc absolue. La preuve en est qu’une société est venue tenir une conférence sur l’entremise en vue de la gestation pour autrui, en ces murs, au mois de juillet 2011, sans aucune suite pénale. La même société est revenue au mois de septembre 2013. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pénale au mois de mars 2014 et nous restons vigilants quant à la tenue de conférences de ce type.

M. Claude Goasguen. Pas les sociétés, les parents !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La position du Gouvernement est donc très claire.

M. Claude Goasguen. Non !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La gestation pour autrui fait l’objet d’une prohibition absolue mais nous ne dissimulons pas la nécessité de prendre en compte la situation des enfants. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Rapport de l’Observatoire national du suicide

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Sebaoun. Ma question s’adresse à Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et porte sur les travaux de l’Observatoire national du suicide, qui vient de remettre son premier rapport. L’observatoire pluridisciplinaire et indépendant que vous avez créé au mois de septembre 2013, madame la ministre, aborde toutes les dimensions du suicide : humaine, sociale, clinique et éthique. En France, un décès sur cinquante est un suicide. C’est dire si la question nous concerne tous ! De 2000 à 2010, près de 118 000 suicides ont été enregistrés, dont 73 % concernent des hommes. En 2011, on comptait 11 400 décès par suicide en France métropolitaine et environ 190 000 admissions aux urgences pour tentative de suicide, dont une majorité de femmes. Malgré une tendance à la baisse, la France affichait en 2010 un taux de suicide élevé dans l’Union européenne, les pays baltes étant les plus touchés et les taux les plus faibles s’observant dans les pays du Sud mais aussi au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

Si la prévalence du suicide augmente avec l’âge, il n’en est pas moins la deuxième cause de décès des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans, à hauteur de 16 %, après les accidents de la circulation. Le rapport aborde également la question des inégalités face au suicide : inégalité sociale car le risque est trois fois plus élevé pour les employés et surtout les ouvriers que les cadres, inégalité régionale car le risque est plus élevé dans la moitié nord du pays, et inégalité entre personnes car certains groupes sont particulièrement vulnérables comme les personnes détenues, sans domicile ou encore harcelées ou discriminées en raison de leur orientation sexuelle.

Enfin, les études portant sur la relation entre suicide et travail confirment l’existence d’un risque accru dans certaines professions : citons, sans être exhaustif, les surveillants de prison, les professionnels de la santé et de l’action sociale ou encore les exploitants agricoles. Madame la ministre, nous sommes face à un enjeu de santé publique dont les facteurs sont identifiés. Quelles suites comptez-vous donner à ce rapport ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Vous avez, monsieur le député, dressé un tableau complet et précis du suicide dans notre pays, qui est une cause de mortalité plus importante qu’il ne l’est dans d’autres pays européens. Chaque année en effet, 11 000 personnes meurent à la suite d’un suicide et on dénombre près de 200 000 admissions aux urgences hospitalières, comme vous l’avez rappelé.

Afin de mieux comprendre un phénomène plus complexe qu’il ne paraît de prime abord, l’ensemble des acteurs concernés réclamait depuis plusieurs années la création d’un observatoire national du suicide. Je l’ai donc créé il y a un an. Il est composé d’associations, de professionnels de santé, de personnalités qualifiées, de parlementaires et de représentants de sept ministères, car de nombreux services de l’État sont concernés. Ses membres ont effectué au cours de l’année écoulée un travail très intéressant et m’ont remis la semaine dernière un rapport faisant état d’ailleurs de leur grande satisfaction collective de l’avoir mené.

Ils aboutissent à des résultats mettant en évidence les inégalités territoriales, sociales et entre hommes et femmes que vous avez évoquées, monsieur le député, et recommandent de lancer des recherches. Un appel à recherche sera donc lancé au cours de l’année 2015. Ils souhaitent par ailleurs approfondir certains points. Je leur ai donc demandé de se pencher plus particulièrement sur les mesures à prendre en faveur des personnes âgées, dont nous savons qu’elles ont tendance à recourir au suicide.

Comme vous le voyez, monsieur le député, il s’agit d’un enjeu de santé publique majeur. La création de l’Observatoire national du suicide constitue une avancée dont nous pouvons collectivement nous réjouir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

2

Réforme de l’asile

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la réforme de l’asile (nos 2182, 2407, 2357, 2366).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant après avoir entendu les orateurs inscrits sur l’article 1er.

Article 1er (suite)

(L’article 1er est adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements portant article additionnel après l’article 1er.

La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n325 rectifié.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure de la commission des lois, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, cet amendement s’inscrit dans une série visant à préciser le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en ce qui concerne le statut d’apatride. Ces amendements ne changeraient pas le droit positif, mais le rendraient plus lisible.

Il s’agit, en l’espèce, de modifier l’article L 111-10 du CESEDA pour que l’information donnée annuellement par le Gouvernement au Parlement sur l’évolution de l’immigration contienne des précisions sur le nombre d’apatrides et le nombre de cas dans lesquels le statut d’apatride a pu être conféré.

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La commission a donné un avis favorable. Ce sont en effet des données qui manquent aujourd’hui et qui enrichiraient ce rapport.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Cet amendement vise à faire mieux connaître et mieux comprendre le statut d’apatridie et les difficultés qui s’y attachent. Il apporte des progrès non négligeables. Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.

(L’amendement n325 rectifié est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 101, 114 et 278, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 114 et 278 sont identiques.

La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n101.

M. Gabriel Serville. Avant de le défendre, je voudrais dire à l’Assemblée qu’il ne faut pas se méprendre sur le sens des amendements que j’ai déposés : je suis originaire de la Guyane, où la situation, de plus en plus explosive, doit nous conduire à utiliser de nouveaux instruments, y compris en nous plaçant en dehors du droit commun. Voilà pourquoi nous sollicitons régulièrement un régime dérogatoire – mais j’aurai l’occasion d’y revenir ultérieurement.

Cet amendement vise quant à lui à rappeler que l’égalité est une valeur fondatrice et inaliénable de la République. Dans de nombreux pays, les personnes qui combattent en sa faveur font l’objet de lourdes persécutions. Il s’agit donc tout simplement de leur reconnaître la qualité de réfugié, pour mieux souligner l’importance de leur combat, ce qui revient d’ailleurs à inscrire dans la loi ce que la jurisprudence a déjà admis.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n114.

M. Sergio Coronado. Nous avons évoqué hier les différents visages pris par l’exil : parmi les demandeurs d’asile, on peut rencontrer des combattants de la liberté persécutés par leur État, mais aussi des personnes persécutées en raison de leur sexe, de leur genre ou simplement de leurs choix de vie.

Cet amendement vise à inclure les persécutions qui frappent les personnes combattant en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les motifs qui peuvent ouvrir la reconnaissance de l’asile. Cela est déjà prévu par la jurisprudence, mais pas dans la loi et il me semble nécessaire de faire ce pas pour s’adapter aux nouvelles formes de persécution et faire en sorte qu’elles puissent motiver l’octroi de l’asile.

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier, pour soutenir l’amendement n278.

Mme Maud Olivier. M. Coronado vient de le dire, dans plusieurs cas d’espèce, la jurisprudence a reconnu une acception assez large du terme de « liberté », en prenant en compte les actions en faveur des droits des femmes et de l’égalité. La Cour nationale du droit d’asile a reconnu la qualité de réfugié à un militant actif des droits de femmes, connu pour combattre des pratiques patriarcales et fondamentalistes confinant la femme dans un statut social inférieur. C’est pourquoi cet amendement pourrait compléter la loi de manière judicieuse en faisant référence à l’égalité entre les hommes et les femmes.

J’ajouterai que la jeune Malala Yousafzai, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, est un exemple criant et – heureusement – vivant des persécutions dont sont victimes les femmes : ce cas nous montre à quel point il est nécessaire de mener des actions dans ce domaine, en commençant par l’éducation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La commission propose le retrait de ces amendements, même si elle partage les préoccupations exprimées par M. Serville, M. Coronado et Mme Olivier.

Ajouter « et l’égalité », ou « et l’égalité entre les hommes et les femmes » part d’une bonne intention, mais votre demande est parfaitement satisfaite par l’état du droit : Mme Olivier, d’ailleurs, y a fait allusion.

Ajouter ces mots à l’article L. 711-1 du CESEDA pourrait même avoir, en réalité, des effets néfastes. En effet, cet article ne cite pas tous les motifs de l’asile. Une précision pourrait donc, a contrario, servir de prétexte à refuser l’asile pour d’autres motifs que ceux mentionnés dans l’article, ce qui n’est absolument pas l’intention des auteurs et signataires de ces amendements. Je les invite donc à les retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ces trois amendements ne sont pas tous identiques, mais ils répondent à une préoccupation commune sur laquelle je voudrais dire quelques mots.

Le Gouvernement partage la conviction de l’ensemble des parlementaires qui se sont exprimés à travers ces amendements : l’égalité entre les femmes et les hommes constitue une valeur essentielle, cardinale, de la République. D’ailleurs, le présent projet de loi en témoigne, en transposant la directive « Qualification » qui réserve, ainsi que vous le savez, une place centrale à ce combat.

Je pense qu’il est nécessaire de conserver la définition historique, directement reprise du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel l’asile est accordé aux personnes persécutées pour leur « action en faveur de la liberté ». Cette définition comprend bien entendu, comme le reconnaissent la doctrine et la jurisprudence de façon constante depuis 1946, tous ceux qui, de par le monde, agissent, parfois au péril de leur vie, en faveur de cette égalité fondamentale entre les femmes et les hommes. Par conséquent, ce que prévoient ces amendements est, dans l’ordre juridique français et au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, reconnu et d’ores et déjà satisfait.

Par conséquent, dans la mesure où vos préoccupations sont partagées et satisfaites en l’état du droit, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de retirer ces amendements. À défaut, nous serons obligés de donner un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne veux pas dire moins bien ce qu’ont très bien dit Mme la rapporteure et M. le ministre. Il y a quelque chose d’historique dans la reconnaissance du combat en faveur de la liberté. Or la jurisprudence a effectivement intégré de longue date le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes ; elle l’a même fait avant que la Constitution intègre cette notion.

Le mieux étant, en l’espèce, l’ennemi du bien, nous risquerions d’affadir une partie des combats menés pour l’égalité en voulant apporter une extension – qui entraînerait a contrario une restriction – au beau concept de liberté.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Je comprends tout à fait vos arguments, madame la rapporteure, mais je les regrette, en tant que militante des droits des femmes. Par cet amendement de principe, le groupe socialiste entendait rappeler que l’égalité entre les hommes et les femmes est devenue un principe fondamental de notre République, et qu’elle découle de notre conception de la liberté. Au vu de la pratique, que Maud Olivier et Sergio Coronado ont rappelée, cette précision n’était pas tout à fait inutile.

Je comprends cependant bien les motivations qui vous poussent à rejeter cet argument.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle. Il est dommage que Mme la rapporteure demande de retirer cette mention, qui rappelle que l’égalité entre les femmes et les hommes doit participer à la lecture du droit d’asile en France.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. J’avais retiré, en commission, un amendement identique à celui-ci, en précisant que je reviendrais à la charge dans l’hémicycle. En effet, comme vous le savez, madame la rapporteure, vos explications ne sont pas entièrement convaincantes.

Depuis 2008, les demandes d’asile présentées par des femmes ont explosé. Cependant, celui-ci est octroyé davantage au titre de la protection subsidiaire que de l’asile conventionnel. Ainsi, même si la jurisprudence consacre la possibilité de reconnaître les questions liées à l’égalité entre hommes et femmes, et considère que les femmes appartiennent à un groupe social, leur permettant ainsi de bénéficier des avancées de l’article 10 de la directive « Qualification », elle constitue non un texte de loi, mais une simple pratique. Or je préfère que la pratique soit consacrée par la loi. C’est pourquoi je maintiens l’amendement n114.

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Bien souvent, la privation de liberté découle de la négation de l’égalité entre les individus. C’est la raison pour laquelle je considérais qu’il était important de faire figurer le terme « égalité » dans le texte. Si cet ajout pose problème, cependant, je retire l’amendement n101.

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier.

Mme Maud Olivier. Même remarque. Faire référence à la « liberté » n’équivaut pas à évoquer des persécutions et des droits bafoués dans le monde entier. Je considère donc qu’il est dommage de ne pas ajouter ces mentions. Il aurait également été possible de remplacer, dans l’amendement, les mots : « et l’égalité » par les mots : « et l’égalité ». Je consens cependant à retirer l’amendement n278.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je rejoins pour ma part les auteurs de ces amendements, qui insistent sur le caractère spécifique des violences faites aux femmes.

Nous avons longuement discuté hier, y compris lors de l’examen de ma motion, de l’évolution de la notion d’asile en fonction des problèmes géopolitiques du moment. Le droit d’asile a été largement inspiré, du moins dans la période contemporaine, d’abord par la Révolution française – il fallait que la France reste ouverte aux « combattants de la liberté », non aux « tyrans » –, puis par le préambule de la Constitution de 1946 et par la convention de Genève, très marquée par le contexte de guerre froide ainsi que par les tentatives des réfugiés de la Seconde Guerre mondiale d’échapper aux totalitarismes nazi et soviétique.

Aujourd’hui, la condition des femmes dans certains pays est telle que ces dernières cherchent à s’exiler. L’une d’entre elles, Malala Yousafzai, une authentique réfugiée, est récompensée aujourd’hui par le prix Nobel de la paix, à Oslo, pour son combat pour l’éducation et la liberté des femmes. Ces femmes, qui ont été martyrisées dans leur pays d’origine parce qu’elles étaient femmes, se qualifient au statut de réfugiées.

Cette idée, qui semble bienvenue, vient donc actualiser le préambule de la Constitution de 1946. Certes, M. le ministre a raison de rappeler que, dans la hiérarchie des normes, le préambule est rédigé de manière suffisamment large pour englober ces notions, mais, si l’Assemblée nationale veut envoyer ce signal aux femmes qui souffrent – après tout, le comité Nobel a agi de la sorte aujourd’hui même –, elle pourrait sans dommage adopter ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le raisonnement du Gouvernement sur ce sujet n’est pas orthogonal à celui qui a été exprimé à l’instant, notamment par Sergio Coronado et Pierre Lellouche, pour l’opposition.

Nous nous préoccupons avant tout d’utiliser des notions juridiques suffisamment inclusives et placées au bon endroit de la hiérarchie des normes, afin d’être certains de couvrir toutes les situations susceptibles de se présenter, notamment celles des femmes, compte tenu du sort qui leur est réservé dans certains pays. En tant que législateurs, nous devons veiller à ce que les principes que nous énonçons couvrent toutes les situations se présentant à nous. C’est déjà le cas, puisque les principes constitutionnels, inclus dans le préambule de la Constitution, hérités de la Constitution de 1946, assurent une telle protection.

Il n’est donc pas nécessaire d’affaiblir ces éléments de portée générale, qui ont une grande force constitutionnelle, par des éléments de portée législative, qui pourront nous conduire ensuite, dans le débat, à des interventions sur des catégories particulières. En effet, à force de vouloir préciser par la loi le contenu de principes constitutionnels à forte portée générale, nous affaiblirons ces principes eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle, reprenant vos préoccupations et les croisant avec des considérations de nature juridique, j’estime qu’il est beaucoup plus pertinent, pour répondre à ce que vous souhaitez, de ne pas toucher à l’état actuel du droit, lequel est très explicite et permet de couvrir tout le champ des interrogations formulées par les parlementaires.

Je me permets donc de demander à nouveau le retrait de ces amendements, qui sont pleinement satisfaits par l’état actuel du droit.

(Les amendements nos 101 et 278 sont retirés.)

(L’amendement n114 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, pour soutenir l’amendement n294.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Cet amendement vise à définir les modalités de l’asile consacré par le quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui ne précise pas ce qu’il faut entendre par une « action en faveur de la liberté ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Comme nous l’avons dit précédemment, entrer dans le détail d’une définition, c’est risquer que des motifs ou des actions ne soient pas couverts, et que certaines personnes, qui ont besoin de protection, en subissent les conséquences dévastatrices. Je vous invite donc, madame la rapporteure pour avis, à retirer cet amendement.

De plus, pour apaiser les inquiétudes de M. Coronado, si elles subsistent, je rappellerai que la commission a adopté de nombreuses dispositions permettant une meilleure reconnaissance des femmes. Celles-ci seront notamment mieux entendues, dès l’enregistrement de leur demande : une audience à huis clos devant la Cour nationale du droit d’asile leur permettra de faire état des persécutions qu’elles ont subies.

Ces dispositions sont toutes inspirées par les propositions de la délégation aux droits des femmes et par celles de nombreux collègues. Elles sont mieux à même de garantir la protection et l’attribution du statut de réfugié aux femmes, que le fait d’accoler l’expression « l’égalité entre les femmes et les hommes » au terme « liberté », qui est une référence au préambule de la Constitution de 1946 – un texte extrêmement fort.

(L’amendement n294 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n46.

M. Sergio Coronado. Ce sujet, comme le précédent, a été longuement débattu en commission.

Pour répondre aux arguments qui viennent de m’être opposés, je dirai qu’il ne s’agit pas d’ajouts venant affaiblir des principes généraux. Comme l’a très bien exprimé M. Lellouche, c’est une forme de nouvelle frontière : partout dans le monde, l’une des plus graves formes de violence s’exerce à l’encontre des femmes. Or, même si la jurisprudence a intégré cette dimension, ces victimes bénéficient d’abord de la protection subsidiaire plutôt que de l’asile conventionnel.

Par ailleurs, parmi les différentes persécutions auxquelles les femmes sont soumises, les violences liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre priment dans certains pays, y compris ceux où l’État de droit semble avoir été instauré et bien fonctionner. Par exemple, en Colombie, un pays démocratique d’Amérique latine, certaines personnes sont victimes de crimes de haine – qui existent aussi aux États-Unis. Des femmes sont parfois mutilées ou aspergées d’acide ; des transsexuels, des gays ou des bisexuels sont massacrés en pleine rue.

Ces situations doivent faire l’objet d’une prise de conscience. Il faut que l’identité de genre, notamment, soit appréhendée comme une question sociale, concernant un groupe social, et reconnue comme telle dans le texte de loi. Nous ne mesurons pas la violence concrète de ces situations.

Il s’agit, je le sais, d’une préoccupation du Gouvernement, mais qui suppose que nous passions un cap, sans nous contenter du fait que la jurisprudence accepte, entend, comprend et prend en compte ces considérations pour octroyer la protection. Aussi, je pense nécessaire d’inscrire dans la loi que ces victimes doivent bénéficier de l’asile conventionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La commission formule une nouvelle demande de retrait. Non seulement, monsieur Coronado, nous ne nous satisfaisons pas de la jurisprudence, même si elle suffirait à vous répondre, mais nous avons étayé le texte avec des dispositions incluant ces motifs de persécution et l’émergence d’un groupe social, persécuté en tant que tel, à toutes les étapes.

Ainsi, la commission des lois a prévu que le tiers qui accompagne le demandeur d’asile lors de son entretien à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides – l’OFPRA – puisse être un représentant d’une association de défense des droits des femmes ou de défense contre les persécutions liées à l’orientation sexuelle. Nous avons également introduit cette préoccupation au sein du conseil d’administration de l’OFPRA et prévu une sensibilisation de ses agents à ces dimensions. Enfin, selon ces dispositions, le requérant bénéficie de droit du huis clos devant la Cour nationale du droit d’asile.

La commission des lois a donc fait largement avancer ces sujets. Les dispositions évoquées apportent davantage de garanties que cet amendement, que je vous invite à retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je ne suis pas du tout convaincu par les arguments de Mme la rapporteure. En effet, l’amendement va bien au-delà des dispositifs d’audition d’un demandeur d’asile, qui peut ou non être accompagné d’un représentant de telle ou telle association, ce que le texte prévoit de toute façon. M. Coronado propose, comme dans son amendement précédent, d’ouvrir la catégorie des personnes martyrisées, qui subissent toutes sortes de persécutions, aux femmes, qui ne sont pas évoquées en tant que telles dans la convention de Genève, ainsi qu’à des personnes en fonction de leur orientation sexuelle.

On sait que, dans de nombreux pays du monde, les femmes sont persécutées parce qu’elles sont femmes et les homosexuels parce qu’ils sont homosexuels.

Il n’est pas inutile de revenir au texte de la convention de Genève, telle qu’elle a été rédigée en 1951, à la sortie de la guerre, alors que les populations visées avaient été persécutées pour d’autres raisons : est considérée comme réfugiée toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race » – on raisonne encore avec ce concept, et pour cause, on sort de la Shoah –, « de sa religion » – toujours la Shoah –, « de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social » – l’Union soviétique est visée ici – « ou de ses opinions politiques ». Il n’est donc pas question de genre, ni d’orientation sexuelle, sujets que nous découvrons après la mondialisation et la décolonisation.

Ces droits ne sont pas reconnus, alors que des gens viennent en Occident demander refuge pour ces raisons.

Je suis quant à moi très favorable à l’idée d’envoyer un signal de liberté, précisément en direction de ceux qui sont martyrisés pour ces motifs mais cela soulève un problème, monsieur le ministre : il me semble difficile pour l’Assemblée nationale de réécrire à elle seule la convention de Genève.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Assurément !

M. Pierre Lellouche. Or c’est ce que vise à faire cet amendement.

Je suggère au Gouvernement de reprendre cette idée dans le cadre d’une initiative menée au sein du Conseil de l’Europe afin de modifier la convention de Genève en y ajoutant ce paragraphe, ce qu’il est difficile de faire, je le répète, dans le cadre d’une loi nationale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Encore une fois, il n’existe aucun désaccord sur ce sujet entre nous. Nous nous apprêtons à transcrire en droit français la directive « Qualification » qui, sur ces questions, donne toute satisfaction à vos demandes : le simple effet de la transcription nous garantit que toutes les préoccupations que vous venez d’exprimer seront introduites dans le droit français.

Outre cette directive, qui aura donc une portée législative lorsque nous l’aurons transposée, le préambule de la Constitution de 1946 nous conduit mécaniquement à accueillir tous ceux qui sont persécutés dans leur pays en raison – notamment – de leur orientation sexuelle.

Vous avez d’ailleurs eu connaissance de l’exécution par Daech, il y a vingt-quatre ou quarante-huit heures, dans des conditions abjectes et épouvantables, d’un jeune garçon homosexuel – c’était soit en Irak soit en Syrie –, ce qui montre bien combien cette question est prégnante.

Dès lors que le traitement réservé à ces personnes est criminel, la France doit être capable de les accueillir rapidement et de leur accorder sa protection, ce que garantissent la transcription de la directive et le préambule de la Constitution de 1946.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je souscris aux propos de nos collègues Coronado et Lellouche. Cela dit, je me range à l’avis du Gouvernement.

Je suis éminemment d’accord avec les arguments qui viennent d’être énoncés mais on fragiliserait le dispositif en allant dans le sens préconisé. Il faut en effet être très prudent, quelle que soit la qualité des idées qui ont été exprimées par nos collègues. Sur cette affaire, je pense qu’il convient de suivre le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Personne ne pense que le Gouvernement serait hostile à la reconnaissance des droits de ces personnes…

M. Arnaud Richard. Personne, en effet !

M. Sergio Coronado. …simplement, nous ne partageons pas la même analyse quant à la façon de les prendre en compte et à la nécessité d’envoyer un message.

Je rappelle simplement, parce que cela me semble illustrer la nature de nos débats, que Denys Robiliard et moi-même avions eu la même discussion face à Mme la rapporteure sur la question du huis clos, dont vous assuriez qu’il est de droit.

Non, il n’est pas de droit : les femmes doivent en effet faire état de violences, de viol ou de tortures.

Vous savez aussi que, lorsque l’on est victime de telles violences, leur mise en mots, leur mise en discours constituent déjà un pas très important pour sortir du statut de victime, mais cela ne va pas de soi.

Nous avions demandé le huis clos parce que nous pensions qu’il était nécessaire et qu’il ne fallait pas contraindre celles et ceux qui le veulent à faire état devant des personnes de la situation qu’ils ont subie, ce qui pourrait les mettre mal à l’aise. Vous ne nous avez pas suivis sur ce point. Or notre débat d’aujourd’hui est un peu comparable : nous pensons que ces violences méritent en soi la reconnaissance au titre de l’asile conventionnel. Je maintiens donc mon amendement.

(L’amendement n46 n’est pas adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, inscrite sur l’article 2.

Mme Catherine Coutelle. L’article 2, relatif aux conditions d’octroi de l’asile, porte sur les actes et motifs des persécutions.

Il renvoie principalement aux articles 9 et 10 de la directive européenne « Qualification » et précise les motifs de persécution figurant à l’article 1er de la convention de Genève relative au statut de réfugié. Il n’est pas question de la réécrire mais de la préciser en fonction de l’évolution du monde et de ses dangers.

Les auditions et le travail de la délégation aux droits des femmes ont permis d’approfondir cette question, de constater – nul ne le conteste – une féminisation de la demande d’asile – 35 % des demandes en 2013 – et de mettre en lumière une interprétation restrictive, avant ce texte, des violences de genre dans les conditions d’octroi de l’asile en France.

Nous nous appuyons en la matière sur un travail d’enquête réalisé dans le cadre d’un projet européen visant à améliorer la prise en compte des droits des femmes dans l’asile en Europe. Il a été financé par la Commission européenne dans dix pays de l’Union européenne.

Cette étude sur le droit d’asile au féminin constate la frilosité du cadre législatif et des pratiques en France, en estimant que notre pays fait office de mauvais élève et qu’aucune « ligne directrice n’a été adoptée et qu’aucune disposition législative sensible au genre n’a été prise, ou ne semble être envisagée » – ce texte a été écrit, bien sûr, avant que le présent texte ne soit présenté devant notre assemblée.

Pour corriger ce retard, Maud Olivier et moi-même avons présenté seize recommandations en nous appuyant sur le rapport du Haut Conseil à l’égalité. Aussi, nous présentons deux amendements à cet article visant à intégrer spécifiquement les aspects liés au genre dans la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social, et à s’assurer que l’interprétation de chaque motif de persécution prévu par la convention de Genève – la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social, ou encore l’opinion politique – prend bien en compte les questions de genre.

En France, l’appartenance à un groupe social constitue le motif principal auquel se réfèrent les autorités pour discuter le statut de réfugiée des femmes persécutées pour des raisons liées au genre, cette notion, je l’ai dit, faisant l’objet d’une interprétation restrictive.

Le contexte politique et historique de l’adoption de la convention de Genève – nous l’avons répété les uns et les autres – est lié à la sortie de la guerre et concernait un réfugié type, opposant politique ou religieux de sexe masculin.

Or, le HCR a publié à partir dans les années 2000 une série de principes directeurs relatifs à la protection des demandeurs d’asile invoquant des persécutions liées au genre, avec une définition plus large et non cumulative – j’insiste sur ce point – des conditions d’appartenance à un groupe.

La directive « Qualification » de 2011 précise qu’il convient de prendre en considération des aspects tels que l’identité de genre aux fins de la reconnaissance à un certain groupe social.

Enfin – et je tiens particulièrement à l’amendement qui touche à cet aspect, monsieur le ministre – la convention d’Istanbul, dont nous avons discuté récemment, qui a été adoptée, que nous avons transcrite et qui s’impose aux États européens depuis le mois d’août 2014 invite les États, dans son article 60, à interpréter les demandes d’asiles fondées sur le genre à partir des cinq motifs de la convention de Genève, comme je viens de le dire, afin d’accorder le statut de réfugié.

La jurisprudence française a évolué sur trois types de violences : mutilations sexuelles, mariages forcés, prostitution, avec des avancées mais aussi des reculs. La frontière entre la reconnaissance de l’appartenance à un groupe et le conflit à caractère social reste ténue quand il s’agit d’accorder aux femmes un statut de protection.

M. le président. Nous en arrivons aux amendements à l’article 2.

La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l’amendement n285.

Mme Catherine Coutelle. Je défendrai simultanément l’amendement n290, monsieur le président.

M. le président. Je vous en prie, ma chère collègue.

Mme Catherine Coutelle. L’amendement n285 vise à faire explicitement référence, dans le texte de loi, à la convention d’Istanbul à la fin de l’alinéa 3. L’objectif de l’amendement n290 est un peu plus limité puisqu’il vise à transposer la directive « Qualification » dans le cas de l’appartenance à un groupe social.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Madame la présidente Coutelle, la commission a repoussé ces amendements car ils sont satisfaits. Vous-même avez cité la directive « Qualification », qui elle-même prend en compte la convention d’Istanbul, que vous avez également citée. L’article 2 renvoie explicitement au paragraphe de la directive « Qualification » dont vous venez de nous donner lecture. Dans ces conditions, je vous propose de retirer ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Même si ces amendements ne devaient pas être adoptés, je tiens à me féliciter de la prise de conscience de la représentation nationale dont ils témoignent. C’est en effet un progrès considérable que des parlementaires de plusieurs groupes déposent des amendements allant dans le même sens.

Nous-mêmes, membres du groupe écologiste, convergeons pleinement avec les choix de la délégation aux droits des femmes en la matière et avons d’ailleurs déposé des amendements ayant le même objet.

Si la délégation aux droits des femmes maintient ces amendements, le groupe écologiste les votera – contrairement à vous, d’ailleurs, qui n’avez pas souhaité voter les nôtres.

M. le président. Ces amendements sont-ils maintenus, madame la présidente Coutelle ?

Mme Catherine Coutelle. Nous avons ferraillé de la même manière en commission, monsieur le ministre, sur la question de la vulnérabilité. Pendant longtemps, on nous a expliqué que, comme on cite déjà les textes consacrés à cette question, il était inutile de mentionner la vulnérabilité ou de la définir à nouveau, alors qu’il nous semblait important de le faire et de revoir la liste de l’ensemble des critères.

Lorsque nous nous rendons dans les instances internationales, on nous dit souvent que la France se réfère insuffisamment à ces grands textes internationaux dans ses projets de loi alors qu’elle les signe et qu’elle porte de tels messages elle-même, dont celui de la convention d’Istanbul, très grande convention dans l’arsenal de lutte contre les violences faites aux femmes et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je ne vois pas en quoi le rappel de cette convention à cet endroit du texte, dans l’article 2, serait aussi redondant que l’on nous l’assure. Je maintiens donc ces amendements.

(Les amendements nos 285 et 290 sont successivement adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n116.

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit d’insérer une réserve d’interprétation en faveur des personnes relevant du mandat d’une autre organisation des Nations unies que le HCR. Sont particulièrement concernés, par exemple, les réfugiés palestiniens relevant du mandat de l’United Nations Relief and Works Agency, l’UNRWA.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis défavorable ; cet amendement est satisfait. L’alinéa 7 indique en effet que le statut de réfugié n’est pas accordé à une personne qui relève notamment de la clause d’exclusion prévue à la section D de l’article 1er. En d’autres termes, si la personne n’en relève plus, le statut peut lui être accordé. Le complément que vous suggérez n’apporte rien de plus et complique même plutôt la rédaction. Je vous suggère donc de retirer votre amendement. Dans le cas contraire, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, votre amendement vise à compléter l’article 2 s’agissant de l’application des dispositions de la convention de Genève interdisant aux Palestiniens bénéficiant de la protection d’avoir le statut de réfugiés.

Le Gouvernement est évidemment sensible à la situation des réfugiés palestiniens : je profite de cet échange pour le dire avec beaucoup de clarté. Les Palestiniens de Syrie déplacés en Égypte et en Jordanie ont ainsi été accueillis dans le cadre de l’opération humanitaire décidée par le Président de la République, laquelle se poursuivra d’ailleurs tout au long de l’année 2015.

Comme vient de l’expliquer Mme Mazetier, le point que vous soulevez est déjà totalement pris en compte par l’état du droit. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État prend en compte cette problématique en accordant la protection de la convention de Genève aux personnes démontrant que la protection de l’UNRWA n’est pas effective. Votre préoccupation étant ainsi satisfaite par les dispositions en vigueur, je vous invite à retirer votre amendement, si vous en êtes d’accord, comme la rapporteure vous y a également invitée.

M. le président. Maintenez-vous votre amendement, Mme Bonneton ?

Mme Michèle Bonneton. Nous le retirons.

(L’amendement n116 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 102 et 170.

La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement n102.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, compte tenu des explications qui viennent d’être données, je retire mon amendement, qui a le même objet.

(L’amendement n102 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n170.

M. Denys Robiliard. La même analyse va m’amener à la même conclusion. Mais je m’interroge sur le sens qu’il y a, dans ces conditions, à reprendre les dispositions de la convention de Genève dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il est bien évident que l’OFPRA ne va pas ne pas appliquer la convention de Genève et qu’il n’accordera pas le statut de réfugié à une personne relevant des clauses d’exclusion prévues par cette convention, tout simplement parce que la convention de Genève l’interdit.

J’ai du mal à comprendre pourquoi vous ne reprenez pas intégralement dans le CESEDA le passage de l’article 1er de la convention de Genève relatif à cette question. Il faut tout reprendre, ou rien, sinon les choses sont incompréhensibles.

Je retire mon amendement, mais il me semble que, par cohérence, le Gouvernement pourrait s’interroger sur l’opportunité de supprimer le nouvel article qui, objectivement, en droit constant, n’apporte rien, puisqu’il suffit d’appliquer la convention de Genève.

(L’amendement n170 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n440.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Cet amendement de bon sens a pour ambition de faire passer un message clair, à savoir que l’on ne peut pas se moquer des institutions et des juridictions françaises. Un étranger coupable de fausse déclaration ne doit pas pouvoir se maintenir sur le territoire, ni renouveler une demande. Ce projet de loi ne permet pas d’expulser sur-le-champ un demandeur d’asile faisant de fausses déclarations, ce dernier pouvant être placé en procédure accélérée. C’est ainsi l’administration qui se trouve discréditée, et le système d’asile soumis aux pressions de l’immigration irrégulière.

Ce système pernicieux entraîne la création de filières frauduleuses, qui font de l’asile une organisation internationale, alimentée par des migrants qui paient des passeurs en échange de faux documents. Le système doit trier les demandes, car les trop nombreuses demandes d’ordre économique noient les véritables opprimés dans un flot d’arrivants qui empêche de distinguer les cas désespérés. À force d’allonger les demandes, vous incitez au dépôt de demandes abusives. Ces fraudeurs restent sur le territoire et bénéficient de la circulaire Valls, qui permet aux étrangers irréguliers ayant un enfant scolarisé de se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Il est donc impératif d’éloigner sans délai ces fraudeurs.

Cet amendement propose d’en faire une obligation, et non une simple possibilité, comme c’est le cas dans le texte.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Défavorable.

Vous nous entraînez, madame Maréchal-Le Pen, sur des terrains qui ne sont pas liés à la question de l’asile. Et si vous croyez décrire ce qu’est aujourd’hui la réalité de l’asile, c’est que vous méconnaissez la situation de nombre de personnes qui fuient les persécutions sans avoir nécessairement sur elles un passeport ou un sauf-conduit, et qui ont parfois besoin d’une identité d’emprunt pour sortir du pays dans lequel elles sont persécutées.

Mme Catherine Coutelle et Mme Marie-Anne Chapdelaine. Bien sûr ! Elles n’ont pas toujours leurs papiers !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Si le fait d’avoir une identité d’emprunt était un motif de rejet a priori des demandes d’asile, bon nombre de personnes n’auraient pas obtenu protection, alors même qu’elles méritaient l’asile. La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Pardonnez-moi, mais mon amendement a un lien direct avec l’asile, puisque les alinéas 10 à 12 de l’article 2 indiquent : « L’office peut également, à l’initiative de l’administration ou de sa propre initiative, mettre fin à tout moment au statut de réfugié qu’il a accordé s’il est constaté que […] la décision de reconnaissance du statut de réfugié a résulté d’une fraude. »

Mon amendement concerne donc très directement le droit d’asile : je parle des fraudes en général, et pas uniquement des faux documents d’identité. Je vous propose de faire de cette possibilité laissée à l’Office une obligation, afin d’envoyer un signal clair.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Eh bien, non !

(L’amendement n440 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n108.

M. Pierre Lellouche. Cet amendement vise à changer un seul mot, à l’alinéa 9 de l’article 2, et à indiquer que l’Office « doit » – et non qu’il « peut » – mettre fin à tout moment au statut de réfugié qu’il a accordé, dans les deux cas qui sont retenus par cet article. Le premier cas concerne les personnes relevant des sections D, E et F de la convention de Genève, c’est-à-dire des personnes étant déjà protégées, ou ayant commis un crime de droit commun, un crime contre l’humanité, ou un acte contraire aux principes des Nations unies. Quelqu’un qui a commis un acte particulièrement grave doit être déchu de ce statut de réfugié.

Le second cas retenu par l’article 2 concerne les personnes qui se sont vu octroyer le statut de réfugié par la fraude.

Pour résumer, je propose que, dans les cas où une personne s’étant vu reconnaître par l’OFPRA le statut de réfugié se révèle avoir commis un crime de guerre, un acte contraire aux principes des Nations unies, ou avoir fraudé pour obtenir ce statut, l’OFPRA doive – et non pas puisse – mettre fin à ce statut de réfugié. Autrement dit, je propose que la décision soit automatique lorsqu’il y a eu crime ou fraude, car elle semble alors s’imposer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je suis tout à fait sensible à la nécessité de lutter contre l’impunité, et je crois que la commission, par ses propos et ses amendements, a montré qu’elle partageait aussi cette préoccupation. Je suis donc vraiment heureuse que M. Lellouche soit, lui aussi, très soucieux de la lutte contre l’impunité. Pour autant, je ne serai pas favorable à son amendement.

M. Pierre Lellouche. Le contraire m’aurait étonné !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. C’est le premier d’une longue série d’amendements demandant de remplacer « peut » par « doit », or l’un des nombreux mérites de cette réforme, et non le moindre, est de consacrer l’autonomie fonctionnelle de l’OFPRA. Alors même que nous consacrons cette autonomie en adoptant ce texte – je souhaite en tout cas que vous le votiez, monsieur Lellouche –, ce serait un paradoxe de formuler des impératifs catégoriques à l’égard de l’OFPRA, à qui il faut faire confiance. Ses officiers de protection et ses collaborateurs sont tout à fait capables d’agir comme il convient de le faire. Ils contribuent d’ailleurs eux-mêmes à la lutte contre l’impunité, mais surtout à la protection des personnes qui relèvent de l’asile ou de la protection subsidiaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mme la rapporteure vient de dire excellemment les choses, et je n’ai qu’un point à ajouter : il ne faut pas oublier que nous transposons là la directive de décembre 2011, dite « Qualification ». Or l’article 11 de cette directive comporte des éléments qui ne permettent pas d’adopter votre amendement, car celui-ci leur est orthogonal. La directive prévoit en effet de maintenir une autonomie de décision pour l’OFPRA, lequel, dans le cas où il y aura eu fraude – et je réponds aussi par là à Mme la députée Maréchal-Le Pen – en tirera mécaniquement les conséquences.

Le principe de l’article 11 de la directive de décembre 2011, je le répète, est de laisser à l’OFPRA son autonomie de décision. Comme nous procédons à la transposition de cette directive, nous ne pouvons pas adopter un amendement qui est totalement orthogonal à son contenu.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je suis, moi aussi, très respectueux du droit, monsieur le ministre, madame la rapporteure, et je comprends bien votre lecture du droit européen et la supériorité des directives par rapport au droit national. Permettez-moi néanmoins de vous dire que j’ai avec vous un double désaccord.

Un désaccord philosophique, d’abord, s’agissant de cette fameuse autonomie de décision de l’OFPRA, de la Cour et du juge administratif. J’ai dit hier, et je le répète, que la puissance publique doit prendre le contrôle de sa politique migratoire, et que l’asile fait partie intégrante de la politique migratoire, vu le nombre de déboutés – 80 % de déboutés, des dizaines de milliers de personnes chaque année ! Il faut que le Gouvernement prenne ses responsabilités vis-à-vis de ceux qui fraudent et qui méritent d’être déboutés. Il s’agit d’une responsabilité régalienne et il faut que l’État arrête de se défausser sur je ne sais combien de dizaines, voire de centaines, d’organismes indépendants de tout poil.

Après cette remarque générale, je veux en venir au fond, au droit. Relisez la convention de Genève de 1951, monsieur le ministre : elle est absolument claire et elle s’impose en droit français. L’asile n’est pas accordé en cas de crime ou de fraude ; c’est écrit dans la convention. Or vous écrivez autre chose dans cette loi, puisque vous êtes en train de dire que même lorsqu’une personne qui a obtenu le statut de réfugié a commis un crime ou a fraudé pour obtenir ce statut, c’est à un organisme indépendant – aussi respectable soit-il, au demeurant, et dont le directeur sait qu’il jouit de mon plus grand respect – qu’il revient de décider si cette personne a le droit de rester sur notre territoire. Ce n’est pas pensable !

Juridiquement, votre raisonnement ne tient donc pas la route. Relisez la convention de Genève – je la tiens à votre disposition si cela vous intéresse. Elle est très précise et énumère un certain nombre de motifs d’exclusion : les crimes et les fraudes. Ces motifs devraient s’appliquer de droit, et non faire l’objet de discussions ou de supputations, sans compter que les décisions prises par l’OFPRA sont susceptibles d’appel, madame la rapporteure, vous le savez bien.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Ça, c’est vrai !

M. Pierre Lellouche. L’OFPRA peut autoriser une personne ayant commis un crime à rester sur notre territoire, sous prétexte, par exemple, qu’elle y demeure depuis longtemps – on a déjà vu de tels cas se produire. L’OFPRA peut aussi décider de retirer le statut de réfugié parce qu’il y a eu fraude. Mais que se passera-t-il dans ce cas ? La personne concernée va se pourvoir devant la Cour, puis devant le juge administratif.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Elle le fera de toute façon !

M. Pierre Lellouche. Quand on écrit que l’OFPRA « doit », cela veut dire ce que cela veut dire ! S’il y a eu fraude, s’il y a eu crime, la personne concernée perd son statut de réfugié ; c’est ce que prévoit la convention de Genève, et c’est ce que je vous demande d’écrire dans cette loi.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. J’entends les arguments de Mme la rapporteure sur l’autonomie de décision de l’OFPRA, mais je crois que le ministre Pierre Lellouche a entièrement raison dans cette affaire.

J’entends aussi, monsieur le ministre de l’intérieur, votre argument selon lequel cet amendement serait orthogonal à la directive. Eh bien, soit ! Je pense qu’il faut que nous nous donnions les moyens juridiques, en termes de puissance publique, d’exercer dans de bonnes conditions le droit qui est lié aux réfugiés. Et je pense que ces moyens, quelles que soient les qualités du directeur général de l’OFPRA et de celui qui lui succéderont, doivent être donnés à l’Office.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous faites preuve, monsieur Lellouche, dans la manière dont vous posez le problème, d’une très grande confusion. Vous confondez en effet le fond du droit, tel qu’il est défini par la convention de Genève, laquelle énumère les cas où le statut de réfugié n’est pas mérité et où il doit être retiré, d’une part, et la procédure, d’autre part.

Il est d’usage constant – je dirais même immémorial – dans notre pays que, lorsque l’autorité administrative – or l’OFPRA en est une – doit octroyer ou, le cas échéant, retirer, symétriquement, un certain nombre de droits, on écrive qu’elle « peut » le faire. Cela ne veut absolument pas dire qu’elle ne doit pas le faire ; c’est l’écriture administrative habituelle.

M. Pierre Lellouche. Merci à vous pour ce cours de droit, chère collègue !

M. Patrick Mennucci. Vous en avez bien besoin !

M. Pierre Lellouche. J’ai l’impression de revenir en première année à la faculté de droit !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je vous engage à relire l’ensemble du CESEDA, puisque vous aimez beaucoup confondre les questions d’immigration et d’asile – ce qui est bien fâcheux, selon moi. À toutes les pages du CESEDA, vous lirez que telle autorité « peut » faire telle chose ; s’agissant des pouvoirs du préfet, désigné comme autorité administrative, il est toujours écrit qu’il « peut » octroyer, ou qu’il « peut » refuser ceci ou cela. On ne dit jamais autre chose : c’est la tradition administrative française.

M. Pierre Lellouche. En l’occurrence, l’OFPRA « doit » !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si vous l’ignorez, c’est bien fâcheux, mais en tout cas il ne faut pas confondre cela avec la réalité du droit.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. C’est précisément à cause de ce type de raisonnements qu’on a aujourd’hui totalement perdu la maîtrise de la politique migratoire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Entre la jurisprudence supranationale, européenne – je pense notamment à la Cour de justice de l’Union européenne – et la jurisprudence nationale, d’une certaine manière, c’est le pouvoir public qui est soumis au droit, et ce n’est plus le droit qui est au service du pouvoir politique.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous ne faites pas assez confiance à l’État !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Alors j’ai envie de vous demander : à quoi servons-nous ?

M. Patrick Mennucci. À faire des emprunts russes ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marion Maréchal-Le Pen. À quoi servons-nous, si nous ne faisons que retranscrire, sans aucune marge de manœuvre, des directives venues de l’Union européenne ? Ces directives, censées donner des orientations, sont en réalité des textes extrêmement précis et détaillés.

Je vous accorde que vos eurodéputés, ainsi que les eurodéputés de l’UMP, ont voté cette directive. Mais il est tout de même un peu désolant que nous, représentants du peuple, nous ne puissions même pas donner des orientations ou des consignes aux juges.

Plusieurs députés du groupe SRC. Aux juges ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Absolument, car nous définissons aussi le cadre de la loi, et le juge est là pour appliquer la loi. Son rôle est d’appliquer la loi que définissent les représentants du peuple, que nous sommes censés être, nous qui siégeons dans cet hémicycle.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Je vous rappelle que la justice est indépendante !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, le jour où le Parlement donnera des consignes aux juges, c’est qu’il y aura un dysfonctionnement majeur de nos institutions et qu’un certain nombre de principes républicains ne seront plus respectés.

Mme Catherine Coutelle. Ce sera presque un coup d’État !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne souhaite pas que le Parlement, ni l’exécutif, donne des consignes aux juges. Je souhaite que le Parlement vote la loi, sur le fondement de laquelle le juge, ensuite, statue et fait son travail.

Cela étant dit, je voudrais à présent vous répondre sur les sujets qui ont été évoqués à l’instant par Pierre Lellouche et par vous-même.

Monsieur Lellouche, vous développez une argumentation à laquelle j’accède volontiers en indiquant que la convention de Genève prévoit d’ores et déjà que, dans telles et telles conditions, le statut ne peut pas être accordé. Aux termes de l’article 11 de la directive de 2011, il doit être laissé à l’OFPRA, dans le cadre des principes de droit définis par la convention de Genève et le législateur, la possibilité d’examiner si les conditions de refus sont bien réunies avant de les notifier. Par conséquent, quand on croise la convention de Genève à laquelle vous faites référence, l’article 11 de la directive de 2011 et le texte que nous sommes en train d’examiner, toutes les conditions de droit sont mécaniquement réunies pour que l’objectif que vous poursuivez, Mme Maréchal-Le Pen et vous, soit satisfait. Il n’est donc pas nécessaire d’aller au-delà – Mme Bechtel a d’ailleurs dit des choses extrêmement précises et justes sur ce point.

Ne profitons pas de ces débats sur l’asile pour préempter le droit à des fins politiques en ajoutant des alinéas là où ce n’est pas nécessaire, en présentant des amendements qui alourdiraient les textes et en complexifieraient le contenu, parce que, à la fin, nous perdrons en lisibilité, en cohérence et en force.

Mme Nathalie Nieson. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. J’ai naturellement le plus grand respect pour les compétences juridiques de Mme Bechtel, mais j’en reviens au fond du droit.

Le texte est clair : l’Office « doit » retirer le statut de réfugié quand il y a eu fraude ou crime. Il n’y a aucune liberté d’appréciation. Qui plus est, en l’espèce, on est dans le domaine régalien, car l’Office n’est rien d’autre qu’une agence représentant l’État.

Si vous écrivez qu’il « peut » mettre fin au statut de réfugié, cela rend possible une décision allant dans le sens opposé, mais aussi une procédure d’appel ; c’est précisément ce que je veux éviter, parce qu’il y a suffisamment de fraudes concernant l’asile en France pour que quelque chose d’aussi manifeste qu’une fraude ayant permis d’obtenir le statut de réfugié ou la commission d’un crime soient sanctionnées.

Envoyez, comme nous vous le proposons, ce signal à l’opinion publique. Arrêtez de vous cacher derrière des arguments de procédure alors que nous sommes d’accord sur le fond. Encore une fois, la convention de Genève ne dit rien d’autre.

Je pourrais presque retirer à l’avance mon amendement suivant puisque c’est le même sujet, mais c’est une question de fond. Je voudrais que l’État assume ses responsabilités. Il n’y a aucune espèce de liberté possible avec notre procédure juridique. J’ai un peu étudié le droit administratif moi aussi. Dans une affaire qui relève de l’ordre public, c’est interdit par la convention. S’il y a eu fraude, il n’y a aucune raison d’avoir une discussion pour savoir si on écrit « peut » ou « doit ».

À mon sens, cette discussion montre que vous n’êtes pas sérieux. Si vous continuez à donner de tels arguments, c’est que vous voulez que des gens ayant violé le droit restent sur notre territoire. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Envoyez le signal inverse.

(L’amendement n108 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n373.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je vais défendre en même temps l’amendement n374, monsieur le président, qui est à peu près le même.

La commission des lois, de manière justifiée, a amendé l’article 2 du projet de loi pour préciser que l’OFPRA pouvait mettre fin, dans certains cas précis, au statut de réfugié, à l’initiative de l’administration ou de sa propre initiative. Le terme « administration » est extrêmement vague. Seules certaines autorités administratives pourront solliciter l’OFPRA ; elles seront définies par voie réglementaire.

(L’amendement n373, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n110.

M. Pierre Lellouche. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il me semble que nous sommes en réalité tous d’accord.

Si j’ai bien compris, M. le ministre est d’accord pour considérer qu’en pareil cas, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides serait en situation de compétence liée pour retirer le statut de réfugié, c’est-à-dire que, dès lors que les conditions seraient réunies, il retirerait la protection.

Si l’on écrit que l’Office « peut » mettre fin au statut, c’est une faculté, avec un pouvoir discrétionnaire de l’administration. Si c’est une compétence liée, il vaudrait mieux, à la limite, écrire que l’Office « met fin au statut » : dans ce cas, l’indicatif vaut obligation. On ne va pas faire un débat de commission ou de section de l’intérieur du Conseil d’État, mais, puisque nous sommes tous d’accord, sur tous les bancs, une telle rédaction serait préférable.

Mme Nathalie Nieson. Après un cours de droit, voilà un cours de grammaire !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Larrivé, votre argumentaire est extraordinairement subtil, mais revenons aux éléments de droit.

La convention de Genève, à laquelle vous faites référence, s’applique en droit français. Par conséquent, la disposition que vous voulez faire prévaloir est déjà dans l’ordre juridique français. Pourquoi voulez-vous inscrire en droit français des choses qui s’y trouvent déjà ? Vous avez vous-même donné la réponse en disant que vous voulez envoyer des signaux, pour des raisons politiques.

Ce n’est pas ma conception du droit et du travail législatif. Pour moi, il n’est pas nécessaire de rappeler ce que le droit contient déjà, en ajoutant des alinéas destinés à envoyer des appels. Nous sommes d’accord sur le contenu des dispositions législatives qui ont été introduites en droit français ; il n’est pas nécessaire de les intégrer à nouveau.

L’OFPRA n’applique pas la convention de Genève en compétence liée. Il regarde, au cas par cas, si les conditions qui doivent présider au rejet, au regard de la convention de Genève, sont bien réunies. Il a toute liberté d’appréciation pour examiner méthodiquement chaque dossier et voir si l’on peut répondre favorablement à celui qui demande l’asile.

Tel est l’état du droit, c’est extrêmement précis. L’OFPRA peut exercer ses missions, comme toujours dans le respect scrupuleux de la convention de Genève, qui est déjà inscrite en droit français et qu’il n’est pas nécessaire de réinscrire de nouveau par des amendements, qui seront d’ailleurs moins précis et moins bien rédigés que la convention elle-même.

(L’amendement n110 n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n374 a déjà été défendu par Mme Mazetier.

(L’amendement n374, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n437.

M. Arnaud Richard. J’entends déjà Mme la rapporteure ou M. le ministre me répondre que c’est orthogonal au texte, mais la sûreté de l’État est importante, et prévoir un pouvoir discrétionnaire en la matière, en allant au-delà de ce qui est prévu à l’article 2, nous paraîtrait de bon aloi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je vous invite, monsieur Richard, à retirer cet amendement, qui est contraire à la convention de Genève, même si les préoccupations que vous exprimez ne sont pas totalement illégitimes, loin de là.

Il s’agit en l’occurrence, dans cette partie de l’article, des clauses de cessation ou d’exclusion de la protection. Il arrive effectivement que l’on refuse la protection ou que l’on retire celle qui a été accordée à un réfugié parce qu’il est concerné par l’une des clauses de cessation prévues par la convention de Genève. Je tiens à le préciser car, vu la manière dont nos débats se déroulent, on peut avoir l’impression que chacun bénéficie à vie d’une protection, quoi qu’il ait fait, quand bien même il s’agirait d’un crime.

Nous sommes dans la partie de l’article qui concerne l’exclusion ou la cessation de la protection. Vous proposez que l’OFPRA mette fin au statut de réfugié d’un individu qui constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État. Ce serait contraire aux clauses prévues par la convention de Genève. En revanche, un tel individu peut être mis en prison et même expulsé vers un autre État où sa vie ne serait pas en danger mais où il ne constituerait plus une menace grave pour l’État.

Voilà des éléments pour apaiser vos inquiétudes, si vous en aviez, et éviter que vous ne proposiez un amendement contraire à la convention de Genève. Je sais que ce n’est pas votre état d’esprit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame Mazetier, avec le respect infini que je vous porte, je vous serais reconnaissant de relire les paragraphes D, E et F de l’article 1er de la convention de Genève. Il y est écrit que le statut de réfugié ne peut pas être accordé à quelqu’un qui a commis un crime dans son pays d’origine, par exemple, ou un acte contraire aux principes des Nations unies. Ce n’est pas du tout ce dont parle M. Richard.

Si quelqu’un ayant le statut de réfugié politique et habitant en France décide par exemple, au hasard, de devenir djihadiste et de commettre certains actes…

Plusieurs députés du groupe SRC. Au hasard !

M. Pierre Lellouche. Il y a cinq ou six Français qui partent chaque semaine faire la guerre en Syrie et en Irak. Prenons donc, au hasard, quelqu’un ayant le statut de réfugié en France qui décide de commettre un attentat chez nous, ou qui est soupçonné de vouloir commettre un attentat, ou à l’encontre duquel il y a une procédure. M. Richard propose avec raison que le statut de réfugié lui soit enlevé. C’est du droit, et c’est un signal pour ceux qui veulent faire du mal à nos concitoyens.

Oui, dans ce cas, il faut une clause de ce genre et je soutiens à fond cet amendement. Je ne comprendrais pas que les républicains que vous êtes ne soutiennent pas un amendement qui est au service de la sécurité nationale. Le statut de réfugié, oui, mais pas pour des gens qui vont commettre un crime ou un attentat dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je comprends l’argument de Mme la rapporteure sur le droit, mais nous ne sommes pas au pays des Bisounours.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Ça, c’est sûr !

M. Arnaud Richard. Il ne s’agit pas de s’attaquer aux réfugiés, vous comprenez bien l’état d’esprit qui est le nôtre en la matière, et je respecte totalement la convention, mais, dans un certain nombre de situations évoquées par M. Lellouche, il faut un pouvoir discrétionnaire, pour la sûreté de l’État.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je pense que chacun, dans cette assemblée, est d’accord pour considérer qu’un individu de nationalité étrangère, quel que soit son statut juridique, doit être expulsé du territoire national lorsqu’il menace très gravement l’ordre public.

J’aimerais donc, monsieur le ministre, que, pour lever certains malentendus, vous précisiez que le bénéfice du statut de réfugié politique ne fait pas obstacle au pouvoir que vous avez d’expulser pour motif d’ordre public un étranger qui porterait gravement atteinte à la sécurité nationale.

Au fond, la seule réserve que nous ayons, c’est l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui précise que l’on ne peut pas exposer à un traitement inhumain ou dégradant la personne que l’on expulse.

Je crois, mes chers collègues, sous réserve de ce que précisera le ministre, que le droit actuel nous permettrait d’ores et déjà, et c’est heureux, d’expulser un réfugié politique en dehors du territoire national, pour un motif d’ordre public grave, sans qu’y fasse obstacle la carte de réfugié dont il bénéficie.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Pour une fois, je serai presque d’accord avec M. Larrivé.

Si l’amendement de M. Richard n’est pas acceptable, ce n’est pas par rapport au droit au séjour, c’est par rapport à la reconnaissance du statut.

La reconnaissance du statut, c’est l’application de l’article 1er de la convention de Genève : on est réfugié ou on ne l’est pas. Les risques graves pour l’ordre public ne font pas partie des clauses d’exclusion mentionnées aux E et F de l’article 1er.

M. Pierre Lellouche. C’est pour cela que l’amendement de M. Richard est utile !

M. Guillaume Larrivé. Il faut donc adopter l’amendement !

M. Denys Robiliard. Aux termes de l’article 33 de la convention, l’obtention du statut de réfugié empêche le refoulement : un réfugié ne peut pas être renvoyé dans un pays où il serait en danger, qu’il s’agisse de son pays d’origine ou de tout autre pays d’où il pourrait être expulsé vers ce dernier. En revanche, l’obtention du statut de réfugié n’empêche pas les problèmes relatifs au droit au séjour. Il faut bien distinguer les deux aspects, ce que ne fait pas l’amendement n437, où il y a un amalgame entre la reconnaissance du statut de réfugié et le droit au séjour.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement n437 vise à permettre à l’OFPRA de mettre fin au statut de réfugié d’un migrant dont la présence constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État. On voit bien dans quel contexte il s’inscrit et quelle est la préoccupation de ses auteurs.

Comme Mme Mazetier l’a dit à juste titre, cette disposition serait contraire à la convention de Genève,…

M. Pierre Lellouche. Non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais elle ne s’oppose pas à l’objectif que nous poursuivons et que vous proposez d’atteindre, puisqu’un réfugié dont la présence constitue une menace extrêmement grave à l’ordre public peut faire l’objet, à tout moment, d’une mesure d’expulsion. Celle-ci peut être mise à exécution à destination d’un pays tiers, dans le respect de nos engagements internationaux de protection des droits de l’homme, notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit de renvoyer un étranger dans un pays où il serait exposé à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

Cet amendement vise donc à nous protéger d’un risque dont l’état actuel du droit permet déjà de nous protéger. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je suis extrêmement surpris d’entendre M. le ministre de l’intérieur affirmer que cet amendement contreviendrait à la convention de Genève. La convention dit exactement le contraire, puisque son article 2 stipule : « Tout réfugié a, à l’égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public. » En d’autres termes, toute personne ayant le statut de réfugié doit respecter les lois de notre pays et l’ordre public.

À travers son amendement, M. Richard propose qu’un individu ayant obtenu le statut de réfugié et constituant une menace pour l’ordre public perde ce statut. Parallèlement, il pourra aussi faire l’objet de mesures d’éloignement ou de condamnations, le cas échéant, mais en tout cas, il perdra le statut de réfugié. Je ne comprends pas que M. le ministre de l’intérieur puisse expliquer qu’une telle disposition contreviendrait à la convention de Genève : au contraire, elle s’inscrit exactement dans l’esprit de la convention.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, c’est précisément parce que la convention de Genève comporte les stipulations que vous venez de citer qu’un tel individu peut être expulsé.

M. Pierre Lellouche. Moi, je veux lui retirer le statut de réfugié !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. C’est l’objet de l’amendement, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En vertu de l’article 2 de la convention de Genève, certains manquements de la part d’un réfugié nous ouvrent la possibilité de procéder à son expulsion. Mais cela ne signifie pas qu’il est possible de lui retirer son statut de réfugié : il y a donc une nuance entre ce que vous venez de dire et ce qu’il est juridiquement possible de faire.

L’article de la convention de Genève que vous avez lu justifie que nous puissions expulser un réfugié dès lors qu’il cause un trouble grave susceptible de porter atteinte à la sûreté de l’État ou aux intérêts supérieurs de l’État. Cela ne signifie pas que la convention de Genève nous autorise, si les conditions d’une atteinte grave portée à la sûreté de l’État sont réunies, à lui retirer le statut de réfugié. Ce que j’ai dit est donc extrêmement précis et tout à fait conforme à l’état du droit.

M. Pierre Lellouche. Non, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Évidemment, M. le ministre a juridiquement raison mais, malheureusement, il a politiquement tort, à l’inverse de notre collègue Coronado qui avait tout à l’heure politiquement raison mais juridiquement tort.

J’entends bien votre argument, monsieur le ministre, mais je maintiens mon amendement. Je me doute qu’il ne sera pas adopté, mais comprenez aussi notre raisonnement !

(L’amendement n437 n’est pas adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour soutenir l’amendement n262.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si j’ai déposé cet amendement, c’est surtout pour obtenir des éclaircissements sur l’état du droit qui résultera de l’adoption du présent projet de loi.

Comme vous le savez, la protection subsidiaire est accordée aux personnes qui ne peuvent pas bénéficier du statut de réfugié mais qui subissent des menaces suffisamment graves pour obtenir une protection. Elle est inférieure au statut de réfugié mais permet à ceux qui en bénéficient de rester sur le territoire avec un certain nombre de garanties.

Le bénéfice de la protection subsidiaire est exclu, notamment, lorsque la personne a commis un crime grave. Or l’expérience montre que certaines personnes vulnérables, en particulier des femmes, ont été victimes de très grandes violences, parfois même de viols dans leur quartier, sans pouvoir être protégées par la police ou la justice de leur pays. Il me semble donc que le crime grave qu’elles auraient commis en état de légitime défense devrait être exclu de l’exclusion, c’est-à-dire qu’on ne devrait pas pouvoir exclure de la protection subsidiaire un individu ayant commis un crime grave en vue de se protéger contre une violence extrême alors même que ni le système policier ni le système judiciaire ne lui accordaient de protection.

J’ai procédé à quelques recherches sur cette question, et il me semble que la jurisprudence actuelle permet de ne pas lire la restriction que j’apporte ici à l’exclusion de la protection subsidiaire comme ayant des a contrario, c’est-à-dire qu’elle n’empêchera pas le juge de faire, dans d’autres cas, une exception qui pourrait être tout aussi légitime.

J’ai déposé cet amendement pour que les travaux préparatoires puissent confirmer que la jurisprudence actuelle permet d’exclure de l’exclusion de la protection subsidiaire le cas d’un crime grave commis, pour aller vite, en cas de légitime défense par des personnes particulièrement vulnérables.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Madame Bechtel, je vous propose de retirer votre amendement, lequel est satisfait, comme vous le pressentiez, par la pratique de l’OFPRA et la jurisprudence. Vous pouvez vous référer à un arrêt du Conseil d’État du 7 avril 2010, Hassan Ahmed contre OFPRA.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je le lirai avec plaisir !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement a pour objet principal de prévoir que, dans les cas où les systèmes de police ou de justice sont défaillants dans le pays d’origine, une personne n’ayant pas eu d’autre choix que de commettre un crime pour se défendre ne doit pas être visée par la cause d’exclusion de la protection subsidiaire applicable en cas de crime grave.

Madame Bechtel, votre préoccupation est tout à fait légitime et nous la partageons. Toutefois, il ne paraît pas souhaitable de prévoir dans la loi des exceptions aux clauses d’exclusion d’ores et déjà établies, qui sont déjà, en tout état de cause, d’interprétation stricte. De telles exceptions pourraient nourrir des demandes reconventionnelles relatives à d’autres cas d’exclusion, ce qui mettrait en danger l’unicité d’application de la convention de Genève.

Surtout, la jurisprudence et la pratique de l’OFPRA, que vous connaissez bien, vont dans le sens que vous souhaitez : si l’état de nécessité ou de légitime défense est attesté, la clause d’exclusion applicable en cas de crime grave ne sera pas opposée. Cette pratique s’inscrit dans le cadre de l’évaluation approfondie à laquelle se livre l’OFPRA, sous le contrôle de la CNDA et du Conseil d’État, avant de rejeter une demande de protection subsidiaire par application de la clause d’exclusion.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, votre amendement me paraît satisfait. Je vous propose donc de le retirer.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ayant moi-même souligné tout à l’heure qu’il ne fallait pas codifier la jurisprudence dans la loi, j’aurais mauvaise grâce, au regard des explications très claires données par Mme la rapporteure et M. le ministre, de ne pas retirer cet amendement. C’est ce que je fais très volontiers.

M. Guillaume Larrivé. Quelle sagesse !

(L’amendement n262 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n111.

M. Pierre Lellouche. Je crains de devoir rouvrir le débat sur la compétence liée. Nous parlons là de crimes commis par le demandeur dans son pays, avant son arrivée en France, et qui, aux termes de l’alinéa 11, « seraient passibles d’une peine de prison s’ils avaient été commis en France » ; le demandeur a fui son pays précisément parce qu’il avait commis ces crimes de droit commun.

Dans cet amendement cosigné par un certain nombre de mes collègues du groupe UMP, je propose de lier la compétence de l’OFPRA qui, dans le cas que je viens d’évoquer, « doit » – et non « peut » – retirer la protection subsidiaire à la personne en cause.

Je ne répéterai pas les arguments que j’ai déjà exposés. Manifestement, nous parlons là de criminels de droit commun qui se sont échappés de leur pays pour des raisons n’ayant rien à voir avec l’asile politique, lequel est sacré dans notre droit et qui fait l’objet de ce texte. Il s’agit non pas de combattants de la liberté, mais de combattants du crime, de criminels qui viennent se réfugier en France alors qu’ils devraient être mis en prison. Dans ce cas, l’OFPRA doit leur retirer leur statut et leur ôter toute chance de bénéficier de la protection subsidiaire. L’utilisation du verbe « doit » relève du bon sens : j’espère donc, mes chers collègues, que vous allez nous suivre et voter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Sur la question du « peut » et du « doit », mon avis est le même que tout à l’heure : défavorable.

Mais je veux évoquer avec vous, monsieur Lellouche, la situation visée par l’arrêt du Conseil d’État que j’ai cité il y a quelques instants, en réponse à Mme Bechtel.

L’histoire est tragique. Sur cette planète, certains individus, parfois très jeunes, vivent des vies tragiques. L’arrêt que je viens d’évoquer concerne un adulte qui avait sollicité la protection subsidiaire et à qui on était susceptible de la refuser parce qu’il avait été complice d’un crime dans son pays d’origine. Si l’on suivait votre proposition, monsieur Lellouche, cet individu adulte n’aurait jamais obtenu la protection. Or on a pu établir qu’il avait 15 ans au moment des faits – il était donc mineur – et qu’il n’avait aucun moyen d’échapper à la complicité de ce crime. De ce fait, une protection lui a été accordée. Vous le voyez, sur notre planète, l’histoire est compliquée et la vie des individus peut être tragique.

(L’amendement n111, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 351 et 113, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n351.

M. Arnaud Richard. En la matière, madame la rapporteure, toutes les situations sont difficiles. J’entends bien votre argument, mais nous n’allons pas légiférer pour telle ou telle situation. Nous sommes là pour établir le droit !

M. Pierre Lellouche. Merci de le dire !

M. Arnaud Richard. On nous a suffisamment reproché, en des temps immémoriaux, de légiférer à la suite de faits divers. Il est vrai que toutes les situations sont difficiles.

Indéniablement, nous sommes tous d’accord : il s’agit d’envoyer un message qui, juridiquement, ne tient peut-être pas. Pour autant, nous devons être très volontaristes. Nous discutons d’un sujet sur lequel les contentieux sont très nombreux : les pays transcrivent les directives avec une liberté d’appréciation qui existe heureusement. Rassurez-vous, la France sera sans doute attaquée pour défaut de transcription, puisque nous ne faisons pas les choses parfaitement à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous sommes là avant tout pour envoyer un message politique.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n113.

M. Pierre Lellouche. M. Richard a dit ce que je voulais vous répondre, madame Mazetier. On ne va pas écrire des lois, sur des sujets aussi graves, en s’appuyant sur un seul exemple. Bien sûr que l’histoire est tragique – mon vieux maître Raymond Aron avait d’ailleurs reproché au président Valéry Giscard d’Estaing de l’avoir oublié.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Goethe a dû dire la même chose !

M. Pierre Lellouche. Vous, madame la rapporteure, vous l’avez compris, mais cela ne vous empêche pas de tenir des propos juridiquement contestables.

Le présent amendement vise à modifier l’alinéa 13 de l’article 3, aux termes duquel l’« Office français de protection des réfugiés et apatrides peut […] mettre fin au bénéfice de la protection subsidiaire » lorsqu’il apporte la preuve « que les circonstances ayant justifié l’octroi de cette protection ont cessé d’exister ou ont connu un changement suffisamment significatif et non provisoire pour que celle-ci ne soit plus requise. »

Cela signifie que la protection subsidiaire n’a plus lieu d’être. Il est précisé qu’il revient à l’OFPRA d’apporter la preuve que la protection n’est plus justifiée. Que la charge de la preuve pèse sur l’administration française me choque. Or dans ce cas non plus l’OFPRA n’est pas lié : il a la possibilité de dire que la protection est conservée, même si elle n’est plus justifiée.

Monsieur le ministre, nous sommes d’accord sur le constat : notre système du droit d’asile prend l’eau de toutes parts. Il est archi-saturé, il est « perverti » – le terme figure dans l’exposé des motifs du texte – par toutes sortes d’abus et de contournements. Compte tenu du contexte, monsieur le ministre, je vous en prie : envoyez un signal clair. Ceux qui trichent, ceux qui ont commis des crimes, ceux qui n’ont plus de raison d’être protégés ne doivent plus l’être ; c’est tout ce que nous vous demandons.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est déjà ce que prévoit l’état du droit !

M. Pierre Lellouche. Il s’agit donc de dire très clairement que, dans ce cas, l’OFPRA « doit » retirer la protection et le statut de protection subsidiaire ne s’applique pas.

C’est clair, c’est français. À mon avis, cela peut être compris par nos concitoyens. Votre vote contraire le sera d’ailleurs lui aussi !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. L’avis est défavorable pour les mêmes raisons que précédemment. Laissez aux professionnels la faculté de juger en connaissance de cause.

M. Pierre Lellouche. Ce ne sont pas des juges, madame !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Ne leur imposez pas un impératif catégorique qui n’existe d’ailleurs que dans votre esprit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements qui visent à inscrire dans le droit français ce qui s’y trouve déjà.

M. Pierre Lellouche. Non !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne reprends la parole que parce que cela fait trois fois que nous avons le débat sur le « peut » et le « doit ». Je peux être d’accord avec vous, monsieur Lellouche : on n’aurait jamais dû écrire qu’il revient à l’OFPRA d’apporter la preuve. Vous avez raison, on n’est pas à la barre : il s’agit d’un établissement public qui doit apprécier un certain nombre de situations. Cette rédaction est donc quelque peu malheureuse.

Pour autant, je suis en désaccord avec vous quant à la philosophie qui sous-tend l’ensemble de vos interventions. Que veut dire le texte ? La convention de Genève définit des règles de fond que les États ont le devoir d’appliquer. En France, nous avons, dans le passé, créé l’OFPRA, établissement public d’État, chargé d’appliquer la convention de Genève. Nous lui octroyons la compétence de le faire.

M. Pierre Lellouche. C’est une compétence liée !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est tout ce que veut dire le mot « peut ». En France, c’est l’Office français de protection des réfugiés et apatrides qui « peut » accorder le statut ou « peut » le retirer. Il a le pouvoir de le faire, selon les indications fournies par la convention, laquelle précise les cas d’octroi et les cas de retrait.

Voilà comment il faut comprendre les choses, mais je ne sais pas si nous serons d’accord sur ce point. En tout état de cause, avec la lecture que vous en faites, vous tordez le droit : le texte ne signifie pas que l’Office fait ce qu’il veut.

M. Pierre Lellouche. Avec la rédaction actuelle, si !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cela veut dire qu’il a le pouvoir, en France, d’appliquer la convention de Genève, que cela soit pour l’octroi ou le retrait du statut.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. J’avoue, monsieur le ministre, n’avoir pas bien saisi, ou peut-être trop bien, ce que vous venez de dire. Vous avez fait valoir à M. Lellouche que sa proposition n’avait pas lieu d’être inscrite dans la loi, car cela relève du droit existant.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet !

M. Guy Geoffroy. Or l’amendement vise à modifier une disposition du droit existant. Comment peut-on se prévaloir du droit existant alors que le texte que l’on défend diffère du droit existant ? Je souhaiterais obtenir des précisions à ce sujet.

S’il est un lieu où l’on écrit le droit, c’est bien le Parlement. Aussi, rétorquer qu’il ne saurait prendre l’initiative d’écrire ou de modifier le droit me semble quelque peu incongru.

(Les amendements nos 351 et 113, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n427.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n427, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n460.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. C’est également un amendement rédactionnel.

(L’amendement n460, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n117.

M. Pierre Lellouche. Lorsque j’ai découvert l’alinéa 14 de l’article 3, je suis, comme on dit, tombé de la chaise… Je vais le lire avec délectation à l’intention de ceux qui ne l’ont pas encore goûté : « Il ne peut être mis fin à la protection subsidiaire en application du premier alinéa lorsque son bénéficiaire peut invoquer des raisons impérieuses tenant à des atteintes graves antérieures pour refuser de se réclamer de la protection de son pays. »

La protection subsidiaire est, comme son nom l’indique, la catégorie secondaire des protections offertes par la convention de Genève. En l’espèce, on donne le pouvoir à l’autorité administrative d’y mettre fin, mais la personne concernée peut invoquer le fait que, dans le passé, il y a eu des atteintes graves et refuser, pour cette raison, de retourner dans son pays.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Mais oui !

M. Pierre Lellouche. Combien y a-t-il, à votre avis, d’États dans lesquels il n’y a jamais eu d’atteintes graves, maintenant ou dans le passé ? Même le nôtre n’a pas toujours été parfait. Combien y a-t-il de pays qui puissent être à ce point paradisiaques qu’aucune personne ne puisse ne pas vouloir y retourner du fait d’atteintes graves dans le passé ?

Cette rédaction ouvre la porte à toutes sortes d’abus. Si nous voulons être sérieux en matière de gestion du droit d’asile – ce que nous souhaitons tous les deux, monsieur le ministre – en distinguant les vrais des faux, les gens qui méritent protection parce qu’ils ont été persécutés pour des raisons – qu’il s’agisse de leur combat pour la liberté ou d’autres motifs – reconnues dans le préambule de la Constitution de 1946 ou par nos traditions, faisons en sorte de ne pas rédiger de tels textes qui permettent à des avocats, des associations, des militants professionnels de faire dire n’importe quoi à notre droit. Le texte actuel ouvre la porte à toutes sortes de dérapages et n’est pas de nature à faciliter la vie du directeur général de l’OFPRA.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis défavorable car cette garantie est prévue par l’article 16, paragraphe 3, de la directive « Qualification ». En outre, vous occultez le contenu effectif de l’alinéa que vous voulez supprimer, à savoir les causes de retrait de la protection subsidiaire.

Il est des cas pour lesquels il vaut mieux ne pas retirer la protection subsidiaire, même si elle n’est pas aussi protectrice que le statut de réfugié. Même si on envisageait de retirer cette protection pour un individu parce que la situation dans son pays d’origine a changé, il peut exister des raisons individuelles le conduisant à ne pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. C’est pourquoi il faut les prévoir dans la loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je reprends volontiers à mon compte les arguments qui viennent d’être développés à l’instant par Mme Mazetier. Si je comprends votre raisonnement, monsieur Lellouche, c’est la rédaction de cet alinéa qui vous gêne.

M. Pierre Lellouche. Oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais cette rédaction n’est rien d’autre que la transposition, mot pour mot, d’une directive de 2011, négociée par le gouvernement auquel vous apparteniez et dont je n’exclus pas que vous ayez vous-même été le rédacteur, compte tenu du temps de rédaction des directives. (Sourires.) Vous avez été ministre des affaires européennes suffisamment longtemps pour avoir trempé votre plume dans l’encre avec laquelle cet alinéa a été rédigé. Vous n’en appréciez plus le contenu aujourd’hui, mais je redoute que vous en ayez été le rédacteur.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est donc vous le fautif !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je reconnais bien là le sens de l’humour de mon ami Bernard Cazeneuve.

M. Jean-Luc Laurent. Il touche juste !

M. Pierre Lellouche. Bien qu’il soit membre d’un gouvernement qui n’est de ma famille politique, je reconnais qu’il a de nombreux talents, dont un sens de l’humour à froid. Bernard Cazeneuve, c’est Fluide glacial ! (Sourires.)

Permettez-moi d’apprendre à nos collègues qui n’ont pas encore été ministre et qui aspirent à l’être, surtout aux affaires européennes, quel est le processus de production d’une directive. Puisque vous siégez au Conseil, vous le savez sans doute, monsieur le ministre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai été quelque temps ministre des affaires européennes !

M. Pierre Lellouche. Ce sont les ministres de l’intérieur ou de la justice qui ont en charge ce type de directives. Savez-vous qui les écrit ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il y a des réunions avec les administrations !

M. le président. Veuillez poursuivre votre intervention, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Si on doit jouer à ce petit jeu, monsieur le ministre, je vous invite à réviser les textes européens et à expliquer à nos collègues quels sont les auteurs des directives. Elles sont le produit d’un travail en commission. Elles passent ensuite devant le Parlement européen, puis les États interviennent par la suite.

Je ne prétends pas que toutes les directives sont magnifiquement écrites, même celles prises sous le quinquennat précédent. Quoi qu’il en soit, de tels traits d’humour ne sont pas dignes de vous, monsieur le ministre. Ils sont surtout le signe que vous n’avez pas d’argument sur le fond. Vous mettez en cause une mauvaise rédaction. Nous sommes donc d’accord. Inutile de dire que j’en suis l’auteur. Non, je ne l’ai pas écrite, cette directive, monsieur le ministre. Et je ne suis pas fier d’avoir appartenu à une équipe gouvernementale qui a laissé passer des textes aussi « débiles », si vous me permettez ce qualificatif.

Voilà l’occasion de les corriger ! Faisons-le, puisque nous sommes d’accord sur le fait que cela ne tient pas la route. Cela rendra même service à l’OFPRA, car personne ne pourra se référer à un paragraphe qui ne veut rien dire. La directive était mal rédigée, je le concède, mais on en trouve bien d’autres, y compris parmi celles adoptées sous votre gouvernement.

M. Jean-Luc Laurent. Il y a des ministres qui donnent des directives pour interpréter les directives et d’autres qui ne font rien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est vrai que ces directives sont examinées lors des conseils justice et affaires intérieures. Il est tout à fait possible que le ministre de l’intérieur de l’époque et l’un de vos collègues parlementaires, ici présent, qui appartenait à son cabinet, aient participé à la rédaction de ce texte. Comme je ne veux pas faire de peine aux parlementaires UMP présents en séance aujourd’hui, je m’en tiendrai là.

Quant à la réponse sur le fond, je vous renvoie aux propos de Mme Mazetier auxquels je n’ai pas éprouvé le besoin de rajouter quoi que ce soit parce que son argumentation a été, comme d’habitude, excellentissime. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Si M. le ministre m’y autorise, je voudrais revenir à quelque chose de plus basique qu’on appelle l’orthographe et la grammaire françaises. Dans l’alinéa 14 figure une incongruité – cela m’avait échappé, comme à beaucoup. La négation s’indique par « ne […] pas ». Or le « pas » est absent : « Il ne peut être mis fin à la protection ». Il faudrait trouver le moyen de rectifier, peut-être au cours de la navette parlementaire. C’est une remarque de nature grammaticale, mais écrire la loi en des termes corrects ne me semble pas inutile.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Telle qu’elle est, cette phrase est tout à fait française !

(L’amendement n117 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n466.

M. Arnaud Richard. Il s’agit d’exiger que le bénéficiaire de la protection subsidiaire fournisse la preuve qu’il peut encore en bénéficier en justifiant les raisons impérieuses, dans le souci de ne pas déséquilibrer la procédure.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La commission a repoussé cet amendement, mais j’ai un léger remords. Le début de l’amendement me conviendrait, tout en maintenant la possibilité pour la personne d’invoquer des raisons impérieuses.

Je retiendrais donc quant à moi le début de votre amendement, monsieur Richard : « Par dérogation au premier alinéa, la protection subsidiaire est maintenue lorsque son bénéficiaire » peut invoquer des raisons impérieuses.

Si vous acceptiez cette rectification, monsieur Richard, j’accepterais cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la rapporteure s’égare, je le crains ! (Sourires.) Si je donnais satisfaction à cette proposition de Mme la rapporteure et de M. Richard, je dirais l’exact contraire de ce que je dis depuis maintenant près d’une heure sur chaque amendement. Je dois donc rester cohérent avec tout ce que j’ai dit de désagréable jusqu’à présent et, avec toute la tristesse que cela m’inspire de ne pas être d’accord avec vous, madame la rapporteure, je ne puis vous suivre. Avis défavorable, donc.

(L’amendement n466 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n465.

M. Arnaud Richard. Je le retire.

(L’amendement n465 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n375.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de clarification.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

(L’amendement n375 est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 4

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n376.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. L’amendement est rédactionnel.

(L’amendement n376, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n462.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Cet amendement est également rédactionnel.

(L’amendement n462, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n377.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il s’agit encore d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n377, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 27, 336 et 431, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n27.

M. Éric Ciotti. Nous avons déjà abordé cette question hier, lors de la discussion générale et des explications de vote sur les motions. Cet amendement tend à ce qu’une décision de refus d’admission au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire puisse valoir automatiquement obligation de quitter le territoire français. Son adoption permettrait de répondre à l’objectif que vous avez affiché dans ce texte, sans vous en donner les moyens, à savoir celui de raccourcir le délai d’examen des dossiers – ce qui est un impératif pour diminuer le nombre des dossiers en stock et la saturation des centres d’accueil de demandeurs d’asile et des centres d’hébergement d’urgence. Nous sommes donc là au cœur du débat : si vous voulez réellement, monsieur le ministre, réduire les délais d’examen des demandes d’admission au statut de réfugié – objectif qui figure du reste dans les directives européennes que nous transposons, lesquelles fixent un délai maximal de six mois pour l’examen de ces demandes –, il faut adopter cet amendement.

Vos arguments ne m’ont pas convaincu hier soir. Vous avez balayé les nôtres d’une manière assez péremptoire, évoquant notamment une « incongruité juridique ». Je rappelle cependant que cette proposition procède du rapport de trois inspections : l’inspection générale de l’administration, qui dépend de votre ministère et dont c’est la proposition 11 – je vous renvoie à ce rapport, car je vous vois contester cette affirmation –, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances. Au-delà de ce rapport de 2013, elle est également issue d’un rapport de M. Pierre Mazeaud, éminent juriste qui a été président du Conseil constitutionnel – et vous parlez d’« incongruité juridique » ! En annexe à ce rapport de M. Mazeaud, la présidente de la cour administrative d’appel de Nancy soutenait une argumentation juridique justifiant que cette décision vaille obligation de quitter le territoire français.

Je vous invite donc sereinement, monsieur le ministre, à ouvrir ce débat et à ne pas le balayer par des réponses trop rapides.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour soutenir l’amendement n336.

M. Arnaud Richard. Il est défendu.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n431.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il est également défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis défavorable : la commission a repoussé ces amendements. L’obligation de quitter le territoire français doit demeurer une décision administrative distincte, avec son régime et ses garanties propres, et ne saurait se confondre avec une décision de l’Office français de protection des réfugiés et a fortiori avec une décision de la Cour nationale du droit d’asile. Je sais que vous aimez créer de la confusion et des amalgames, mais la Cour nationale du droit d’asile n’a pas à émettre d’OQTF, mais des avis sur la protection qui doit être accordée ou refusée. J’invite donc les auteurs de ces amendements à les retirer, à défaut de quoi je maintiens cet avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Ciotti, je tiens à reprendre votre argumentation, car je redoute que nous nous soyons mal compris hier. D’abord, je n’ai jamais contesté que ce que vous dites figurer dans le rapport y figurât, mais la pertinence et l’applicabilité de cette proposition devaient faire l’objet d’une analyse approfondie de la part du Gouvernement. C’est chose faite : un rapport mobilisant trois inspections a formulé des propositions au Gouvernement, qui les a analysées et a conclu qu’elles ne pouvaient juridiquement pas être mises en œuvre.

Pourquoi ? C’est là une question centrale qui touche à la conception du droit d’asile et à la différence qui doit exister entre ce qui relève respectivement du droit d’asile et du droit au séjour – lequel peut être lié à des éléments qui vont bien au-delà de ceux que recouvre le droit d’asile. Lorsque vous inférez du fait qu’une personne ne relève pas du droit d’asile qu’elle doit immédiatement faire l’objet d’une OQTF, vous considérez qu’il n’y a pas lieu d’évoquer les autres motifs susceptibles de justifier son maintien en France, relatifs à sa situation familiale ou à son état de santé.

Avec cette proposition, vous voulez rendre impossible ce qui est aujourd’hui possible, à savoir qu’une personne ne relevant pas du droit d’asile en France puisse être maintenue en France pour des raisons légitimes. Cela ne nous paraît pas souhaitable, pour des raisons juridiques. Nous pensons en effet que les instances qui examinent le droit au séjour – l’OFPRA et la CNDA – doivent être distinguées de celles qui prononcent une OQTF, car d’autres raisons que le droit d’asile peuvent justifier du maintien en France de ressortissants étrangers.

Nous sommes là au cœur du sujet. Depuis le début de notre discussion, vous êtes en effet tentés de préempter la question spécifique de l’asile pour l’intégrer au droit des étrangers et à la politique de l’immigration, alors qu’il s’agit de deux questions différentes.

M. Éric Ciotti. Mais elles sont bel et bien liées !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est du reste la raison pour laquelle nous avons souhaité présenter devant le Parlement deux textes différents.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Monsieur Ciotti, cet amendement introduit une notion d’automaticité qui renvoie au débat que nous avons eu lors de l’examen, en 2010, de la proposition de loi sur les violences faites aux femmes, dont la rédaction initiale prévoyait que la décision de justice liait l’autorité administrative et que, par conséquent, l’étrangère victime de violences dont l’auteur était définitivement condamné devait obtenir un titre de séjour. Le Gouvernement de l’époque s’était opposé à cela, avec Mme Morano, et il me semble, monsieur Ciotti, que vous étiez, vous aussi, intervenu pour rappeler au respect de la liberté d’appréciation du préfet, sans laquelle, disiez-vous, « nous bouleverserions les équilibres de notre politique d’intégration ». Je vous appelle aujourd’hui à la même sagesse et à la même confiance que vous faisiez alors, aveuglément, à l’autorité préfectorale.

M. Éric Ciotti. Aveuglément ?

Mme Pascale Crozon. Nous l’avons bien vu hier, vous rêvez d’un monde en noir et blanc, où il y aurait d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Le monde est malheureusement – ou heureusement – plus complexe que cela.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Excellent !

M. Guillaume Larrivé. C’est très faible !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. J’ai cosigné l’amendement de M. Ciotti et nous sommes là, monsieur le ministre, au cœur du désaccord entre le Parti socialiste et nous. Pour vous, sur ces questions, le droit positif ne doit pas changer et vous défendez une conception très classique selon laquelle un étranger qui demande l’asile a toujours la faculté, alors même que sa demande d’asile a été rejetée, d’exciper d’un autre motif pour essayer d’obtenir le droit au séjour. Il s’agit là du droit positif, qui constitue la doctrine administrative et celle, bien connue, des juridictions françaises sur ces questions. Peut-être aurions-nous déjà dû le changer, mais nous sommes en 2014 et peut-être pouvons-nous encore évoluer.

Nous pensons, quant à nous, qu’il faut faire bouger les lignes car, à l’épreuve des faits, nous constatons des abus, auxquels sont confrontés les préfets sur le terrain – nul besoin de rappeler ici l’affaire Leonarda Dibrani, qui avait ému notre pays et qui est caractéristique de ce qui se passe dans la réalité. Bien souvent, il s’agit de personnes qui excipent d’abord de la qualité de réfugié politique : après un refus de l’OFPRA et de la CNDA, elles font une nouvelle demande, qui essuie un nouveau refus. Elles font ensuite une demande de séjour au titre de la vie privée et familiale, qui se heurte à un refus du préfet, puis du tribunal administratif. Elles font alors appel devant le Conseil d’État. C’est un cercle infini, qui explique que les centres d’accueil de demandeurs d’asile soient débordés et que les déboutés du droit d’asile maintenus sur le territoire se comptent par dizaines de milliers.

Ce que nous pensons, à la suite de ce que M. Mazeaud avait esquissé dans un rapport dont on pourrait du reste discuter d’autres conclusions, c’est qu’il faut faire bouger les lignes juridiques. Peut-être notre amendement n’est-il pas pleinement conforme aux canons du droit actuel, mais c’est précisément une raison pour changer ce droit, en France comme sur le plan européen. Tel était en effet le sens de mon intervention d’hier dans la discussion générale : vous devriez prendre votre bâton de pèlerin pour aller convaincre nos partenaires européens de bouger. Lorsqu’on est débouté du droit d’asile, on doit quitter le territoire national.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Mme la rapporteure observe à juste titre que l’amendement n’est juridiquement pas au point. Il faut assurément distinguer le droit d’asile du droit des étrangers, comme on l’a vu encore hier au cours de la discussion générale ou dans la défense des motions de procédure. Ce sont là deux sujets différents et je ne jouerai pas à ce jeu.

Il existe en revanche des dérives, comme l’a très bien exprimé M. Larrivé. Peut-être l’a-t-il fait un peu rapidement, car il est difficile d’évoquer les situations que vivent les hommes et les femmes qui demandent le statut de réfugiés – sans compter le cas, qu’il a oublié, des étrangers malades –, mais ce n’est pas une raison pour faire de nous des méchants réactionnaires, face à vous qui auriez le cœur sur la main en arborant la convention de Genève ! La question n’est pas là. Le problème est que les dérives sont très nombreuses. Ce n’est pas dû à la mauvaise foi des hommes et des femmes qui se trouvent dans ces situations, mais aux réseaux qui les y maintiennent. Je n’incrimine pas les hommes et les femmes qui s’engagent dans ces procédures auprès de la CNDA, de l’OFPRA et du tribunal administratif, mais ils sont manipulés. Il faut y mettre le holà, avec humanité.

Monsieur le ministre, peut-être allez-vous nous informer de l’état de l’application ou de la non-application des OQTF. En effet, bien que cette question ne soit pas liée directement au texte que nous examinons, il s’agit d’un enjeu républicain sur lequel nous devons avoir un débat.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Comme l’ont rappelé les deux précédents orateurs, la question est de savoir comment mettre fin à un système qui exploite la misère humaine. Je comprends votre argumentation juridique, qui est excellente, parfaite. L’Assemblée nationale n’est cependant pas le Conseil d’État et nous ne sommes pas ici pour bâtir des constructions juridiques parfaites, mais pour résoudre des problèmes concrets.

Nous avons un problème concret, monsieur le ministre, et vous ne le niez d’ailleurs pas : si on accepte votre vision de cet amendement, si on affirme que l’on n’est pas automatiquement reconduit hors du territoire lorsqu’on est débouté, alors comment réglez-vous concrètement, pratiquement, ce problème ?

Pour notre part, nous avons mis sur la table une solution, qui pèche peut-être par son automaticité et peut éventuellement être contestée d’un point de vue juridique, mais qui permet d’une part d’envoyer un signal à tous ceux qui exploitent la misère humaine et, d’autre part, de désengorger les structures d’hébergement.

Le maintien de votre position ne serait en réalité qu’une forme de paravent, d’écran de fumée, vous permettant de dire qu’il faut tout changer pour que rien ne change ; car, dans les faits, rien ne changera : quatre cinquièmes des personnes déboutées continueront à rester sur le territoire, avec moins de 5 % des personnes déboutées le quittant effectivement. Dans les faits, vous le savez très bien, il existe des professionnels de l’abus de droit ; et c’est de cela qu’il s’agit !

Ce problème se pose non seulement dans ce secteur, mais également dans bien d’autres domaines ! Combien de gens savent exploiter la richesse et la complexité de tous les recours juridiques que nous avons établis, afin de contourner la loi ? C’est bien là le problème ! À un moment donné, il faut prendre position. J’ai bien entendu votre argumentation juridique : elle serait parfaite au Conseil d’État ! Mais je vous pose une seule question : quelle contre-proposition faites-vous maintenant pour régler le problème ?

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Ce n’est pas le sujet !

M. Julien Aubert. Quand le nombre d’immigrants irréguliers ou clandestins profitant du statut de demandeur d’asile se chiffre à plusieurs centaines de milliers, on nie la possibilité pour la France d’accorder l’asile dans des conditions honnêtes et respectables.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Reprenons ces sujets les uns après les autres et essayons de cheminer ensemble vers des solutions pragmatiques – de vraies solutions !

Tout d’abord, vous parlez de l’immigration irrégulière, monsieur Aubert : mais nous ne l’avons jamais autant combattue ! Le nombre de filières de l’immigration irrégulière démantelées en France au cours de l’année 2014…

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais si, monsieur Ciotti : c’est vrai ! Il y a des statistiques, tout de même ! Je comprends que quand elles sont bonnes, elles ne vous arrangent pas, mais elles n’en sont pas pour autant fausses quand elles ne vous arrangent pas !

M. Éric Ciotti. Elles sont d’autant plus justes qu’elles sont les vôtres !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le nombre de filières de l’immigration irrégulière démantelées en France a augmenté de 30 % en 2014, et c’était pareil en 2013.

M. Julien Aubert. Je ne crois aux statistiques que si je les ai moi-même falsifiées !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ces statistiques, je les tiens à votre disposition ; elles sont élaborées selon les mêmes critères et principes qu’auparavant et ne sont donc pas contestables.

M. Éric Ciotti. Elles ont été élaborées par votre cabinet !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, pas par mon cabinet : par le service statistique ministériel, vous le savez bien ! Pourquoi dites-vous des choses pareilles ? On peut faire preuve d’honnêteté intellectuelle dans ces sujets !

M. Julien Aubert. Alors bravo !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. On n’est pas obligé de dire des choses fausses, même si ces choses fausses sont la seule possibilité d’avoir raison ! Aujourd’hui, des statistiques sont élaborées par le ministère selon des critères que M. Larrivé connaît parfaitement bien puisqu’il a été lui-même dans ce ministère en situation de responsabilité, où il a excellé.

M. Éric Ciotti. Cela marchait mieux à l’époque !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il sait donc comment on fait les statistiques ; la méthode d’élaboration de ces statistiques n’a pas changé. Il y a 30 % de plus de filières de l’immigration irrégulière qui ont été démantelées en 2014 par rapport à 2013.

Le député Arnaud Richard disait tout à l’heure que nous ne sommes pas drapés dans la Convention de Genève face à des parlementaires qui seraient sans cœur. Je veux vous renvoyer le compliment : vous n’êtes pas pragmatiques et réalistes face à des écervelés inconséquents qui voudraient, sans en mesurer les conséquences, ouvrir tout grand les frontières de notre pays : ce n’est pas cela, la réalité !

M. Arnaud Richard. Me voilà rassuré !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La réalité, c’est qu’il y a un problème et qu’il serait souhaitable, face à ce problème, que nous essayons de cheminer ensemble pour trouver les bonnes solutions.

M. Julien Aubert. Alors allons-y !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà pour l’immigration irrégulière.

Ensuite, sur le fond, on peut toujours faire des déclarations ici qui sont des impasses politiques, sous prétexte qu’on n’a pas besoin, pour faire de la politique, de faire du droit : j’en conviens ! Mais on n’est pas non plus obligé, pour faire de la politique, de faire systématiquement du tordu ! (Sourires sur divers bancs du groupe SRC.)

Je veux donc apporter quelques précisions sur ce point et dire très exactement ce que je pense en disant cela : il y a des directives européennes ; or, vous le savez parfaitement pour ceux d’entre vous qui sont passionnés et de politique et de droit, nous ne pouvons pas prendre de dispositions en droit français qui soient totalement orthogonales de ce qu’est le droit européen.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même si on le voulait, ce ne serait pas possible parce que si nous le faisions, nous n’aurions apporté aucune solution politique au problème que vous soulevez : nous aurions créé des conditions de contentieux qui appelleraient des amendes, des astreintes, etc.

Je prends un exemple très concret : vous proposez de mettre en place un dispositif dans lequel, dès lors que la personne est déboutée du droit d’asile, cela vaut obligation de quitter le territoire français. Or l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que même lorsqu’on est débouté du droit d’asile et que des raisons tenant à la situation de la famille justifient qu’on soit maintenu sur le territoire national, le droit européen doit s’appliquer.

Quand vous aurez pris vos dispositions, monsieur le député Larrivé, et que l’Union européenne vous répondra que vous êtes bien gentil mais que vos dispositions ne sont pas conformes au droit européen,…

M. Guillaume Larrivé. Il faut changer le droit européen !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et pour des raisons qui tiennent à ce qu’est le droit européen, on vous appliquera telle ou telle amende.

M. Julien Aubert. Il faut changer le droit européen, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien sûr ! Vous avez tout à fait raison, monsieur Aubert : il faut changer le droit européen, et c’est bien la raison pour laquelle nous avons pris des initiatives européennes cet été qui, concernant les migrations en Méditerranée centrale, ont changé la donne. Plutôt que de préconiser que l’on prenne en droit français, sous prétexte qu’il faut envoyer des signaux qui sont des impasses politiques, des dispositions qui n’auront aucune issue, je préfère qu’on se batte pour changer le droit européen, ce qui est notre doctrine.

Ensuite, vous faites comme si je ne vous avais pas déjà dit à maintes et maintes reprises – je l’ai déjà dit cent fois à M. Ciotti : il l’entendra donc une cent-unième fois ! – qu’une loi sur l’immigration va vous être soumise ! Que dit cette loi sur l’immigration dans son contenu ? Elle traite du recours contre l’OQTF après le rejet de la demande d’asile, puisque c’est votre préoccupation, celle exprimée fort justement par M. Larrivé sur les recours multiples que l’on peut faire, qui induisent des délais très longs, « embolisent » le système et empêchent de régler le problème.

M. Éric Ciotti. J’ai beaucoup de choses à vous répondre, monsieur le ministre : vous venez de progresser dans la dernière partie de votre réponse…

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous rappelle donc que dans la loi relative à l’immigration qui sera proposée à la délibération de votre assemblée, après le rejet de la demande d’asile, l’OQTF sera jugée, si l’Assemblée adopte le texte proposé par le Gouvernement, dans des délais très stricts : une semaine de recours, un mois pour le juge unique qui statuera. Par conséquent, le problème que vous évoquez est un problème que le Gouvernement règle ! Donc ne faites pas comme si on ne réglait pas ce problème : il est réglé !

M. Éric Ciotti. Non, il ne l’est pas ! Pas encore !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est réglé dans le texte qu’on vous présente ! Je vous rappelle, monsieur Ciotti, qu’il y a deux textes que vous n’avez pas présentés lorsque vous étiez en situation de responsabilité : un texte sur l’asile, qui définit très précisément ce qu’est l’asile et son contenu, et un texte sur l’immigration, qui intervient immédiatement après et qui répond à toutes les questions que vous posez ! Ces textes seront examinés par le Parlement dans une même séquence parlementaire.

M. Éric Ciotti. Rien ne s’oppose, dans notre Constitution ou dans nos engagements conventionnels, à ce que nous exprimions la volonté du législateur, ce qui est en notre pouvoir aujourd’hui, pour modifier notre droit positif afin de gagner du temps et de faire gagner du temps à l’ensemble des procédures : ainsi, le système de l’asile ne serait plus « embolisé ».

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne demande pas que les sujets que vous évoquez soient balayés d’un revers de main comme des non sujets ; je demande simplement qu’on les analyse et qu’on les traite avec la plus grande rigueur intellectuelle entre nous, c’est-à-dire que vous conveniez, puisque je viens de vous l’annoncer, que nous prenons toutes dispositions en ces matières et que les craintes que vous exprimez ne sont plus fondées. Dès lors qu’elles continuent à s’exprimer, elles relèvent de ce que l’on appelle un procès d’intention !

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’ai pas progressé !

M. Éric Ciotti. …puisque vous nous indiquez que le projet de loi va prendre en compte la préoccupation qui est la mienne alors que, jusqu’à présent, vous l’aviez balayée d’un revers de main et que vous l’aviez même qualifiée d’incongruité. L’incongruité devient donc opportunité ; je m’en réjouis, monsieur le ministre !

Cela étant, votre projet de loi sur l’immigration sera débattu et examiné par notre assemblée, au mieux, au printemps – on parle du mois de juin – et ne sera donc vraisemblablement pas promulgué, compte tenu des navettes, avant la fin de l’année 2015. Nous sommes en débat, votre projet de loi sera vraisemblablement adopté, monsieur le ministre : ne perdons pas une année supplémentaire !

Je reprendrai un de vos arguments, monsieur le ministre : vous nous avez dévoilé tout à l’heure le fond de votre motivation en disant que l’asile n’avait rien à voir avec l’immigration. Oui, monsieur le ministre, l’asile est détourné par des filières d’immigration illégale : vous le savez très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous les combattons !

M. Éric Ciotti. Aujourd’hui, 78 % en moyenne des demandes d’asile sont refusées par l’OFPRA ou par la CNDA ; et 95 % des déboutés se maintiennent définitivement sur notre territoire ! C’est donc un problème d’immigration illégale, que vous refusez de traiter à ce stade pour des raisons idéologiques, que je conteste !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je vais retirer mon amendement, monsieur le président, et je voudrais en expliquer brièvement les raisons. Nous examinons un texte sur l’asile, qui n’est pas le texte sur l’immigration ; nous en sommes tous plus ou moins convaincus, mais c’est une réalité juridique. Est-ce une réalité politique ? C’est un autre problème.

Je vais retirer mon amendement, tout d’abord parce que je pense qu’il ne tient pas juridiquement, chacun l’a dit ; mais il avait pour objectif que ce débat ait lieu.

De plus, nous examinerons un peu plus loin l’amendement n477 qui pourrait faire le lien entre les deux textes en prévoyant l’établissement d’un état des lieux du taux de reconduite à la frontière, qui éclairerait les parlementaires pour le prochain texte. Il permettrait ainsi de délier les deux sujets et de disposer d’un état des lieux de cette situation, qui pose quand même problème.

(L’amendement n336 est retiré.)

(Les amendements nos 27 et 431, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 4, amendé, est adopté.)

Après l’article 4

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n263.

M. Denys Robiliard. On poursuit avec les amendements qui portent sur l’apatridie. Il s’agit en l’occurrence de préciser dans le CESEDA le statut d’apatride de façon à ce qu’une personne à laquelle ce statut a été reconnu puisse, après avoir obtenu la carte de résident de dix ans, bénéficier de la carte portant la mention « résident de longue durée » de l’Union européenne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable. Je vous suggère de retirer votre amendement car notre collègue Chantal Guittet a déposé un amendement n308 rectifié relatif au statut de l’apatridie qui recouvre un certain nombre de situations et de préoccupations que vous et d’autres collègues du groupe SRC avez exprimées en commission. Je propose donc que nous nous ralliions à l’amendement n308 rectifié de notre collègue Chantal Guittet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. J’ai parfaitement compris que vous ne m’ayez pas donné la parole sur le précédent amendement puisque nombre de mes collègues, et notamment les auteurs de ces amendements, avaient souhaité s’exprimer. Mais avant que nous ne nous éloignions, en passant à l’article 5, du sujet que nous venons d’évoquer, je voudrais, monsieur le ministre, vous dire très simplement ceci : nous prenons acte de ce que vous avez dit, à savoir que dans le texte sur l’immigration sera évoqué – je ne sais si cela sera traité comme nous le souhaitons – le sujet que nous souhaitons voir traiter dès la présente loi.

Si nous prenons acte de cela, acceptez de prendre acte du fait que quand vous affirmez, vous et la majorité, qu’il y a deux sujets complètement différents – d’un côté l’asile et de l’autre l’immigration irrégulière –, vous êtes un peu dans l’erreur. Vous ne pouvez pas en effet faire le constat que nous avons raison sur la préoccupation qui est la nôtre de voir que quatre personnes sur cinq qui demandent l’asile ne l’obtiennent pas, puis s’installent, pour 95 % d’entre elles, dans un statut irrégulier sur notre territoire, vous ne pouvez pas avec nous faire ce constat pour ensuite dire que nous faisons de l’amalgame quand nous disons qu’il y a, à partir de l’asile, de vrais problèmes d’immigration irrégulière dans notre pays. Voilà ce que disaient certains de nos collègues, Julien Aubert en particulier.

Nous sommes très attachés à ce que ces questions soient traitées dans un calendrier le plus rapproché possible parce que, derrière cela, se joue la crédibilité de la puissance de notre politique d’asile, et rien d’autre.

Si nous avons pris acte de ce que vous nous avez dit, prenez acte de nos bonnes dispositions intellectuelles, juridiques et politiques sur le sujet, dont je crois constater que nous le partageons.

M. le président. Monsieur Robiliard, retirez-vous l’amendement n263 ?

M. Denys Robiliard. Je le retire au profit de l’amendement n308 rectifié de Mme Guittet.

(L’amendement n263 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier, pour soutenir l’amendement n302.

Mme Maud Olivier. Nous avons constaté que l’OFPRA a fait des progrès très significatifs en matière de formation de son personnel. Nous jugeons essentiel que tous les acteurs et actrices reçoivent cette formation à l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu’aux persécutions et aux violences dont sont victimes les femmes. Des actions de formation nous semblent donc nécessaires pour l’ensemble de ces acteurs et actrices.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il y a là de très saines préoccupations qui ne m’étonnent pas de votre part, madame Olivier, mais qui sont infralégislatives. Je vous invite donc à retirer cet amendement, en contrepartie de l’engagement que je prends – et que prendra aussi volontiers, je n’en doute pas, mon collègue co-rapporteur pour l’application de ce texte – de vérifier que vos préoccupations sont bien prises en compte dans la formation et la sensibilisation des personnels.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est du même avis. Permettez-moi simplement de compléter la réponse de Mme la rapporteure sur quelques points. Cet amendement vise à compléter le titre Ier du livre VII du code par un chapitre IV qui prévoit que les agents des préfectures, de l’OFII, de la CNDA, de l’OFPRA et des centres d’accueil pour demandeurs d’asile bénéficient d’une formation relative à l’égalité entre les hommes et les femmes et aux violences faites aux femmes. Le Gouvernement partage la préoccupation qui sous-tend cet amendement ; elle est d’ailleurs déjà intégrée dans le plan de l’OFII, qui sera renforcé en 2015 par des formations offertes aux agents appelés à assurer des entretiens dans le cadre du diagnostic de la situation personnelle et familiale des demandeurs d’asile. La préoccupation que vous exprimez à travers cet amendement me semble donc satisfaite, et je vous invite à mon tour à le retirer.

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier.

Mme Maud Olivier. Je retire l’amendement, monsieur le président.

(L’amendement n302 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 308 rectifié et 265, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement n308 rectifié.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Cet amendement, que Mme la rapporteure vient d’évoquer, a pour objet de reprendre les différents amendements relatifs aux apatrides adoptés par la commission des affaires étrangères. Je tiens à remercier M. le ministre et les membres de son cabinet pour la compréhension dont ils ont fait preuve à cet égard. Ce nouvel amendement insère au livre VIII un nouveau titre Ier bis, qui précise les conditions dans lesquelles est reconnue la qualité d’apatride, en faisant référence à la convention de New York. Il consacre au plan législatif la compétence de l’OFPRA, tant en matière de reconnaissance de la qualité d’apatride qu’en matière de protection administrative. Il étend aux bénéficiaires du statut d’apatride le droit à la réunification familiale dans les conditions prévues pour les réfugiés, et aux mineurs apatrides non accompagnés les dispositions concernant la nomination d’un représentant légal.

En conséquence, tous les amendements relatifs à l’apatridie qui avaient été adoptés par la commission des affaires étrangères seront retirés.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n265.

M. Denys Robiliard. Je le retire au profit de l’amendement n308 rectifié.

Je profite de cette intervention pour formuler une observation à l’attention du Gouvernement, dans la perspective de l’examen du texte au Sénat – et sous réserve, bien entendu, qu’il soit favorable à l’amendement de Mme Guittet. Je ne suis pas sûr que le deuxième alinéa de l’article L. 811-12, tel qu’il résulte de l’amendement, soit nécessaire. Il dispose qu’ « aucune décision sur une demande de statut d’apatride ne peut naître du silence gardé par l’office ». Cette disposition existe s’agissant du statut de réfugié ; je n’en vois pas l’utilité s’agissant de celui d’apatride. Si l’OFPRA ne prenait pas de décision, il faudrait cependant que le demandeur de reconnaissance du statut d’apatride puisse saisir le juge – qui ne sera pas la CNDA, mais le juge du droit commun, à savoir le tribunal administratif. C’est en effet un principe que l’administration ne peut indéfiniment garder le silence sans faire naître une décision qui permette de saisir un juge.

(L’amendement n265 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n308 rectifié ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. L’amendement ne fait pas référence à la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Est-ce volontaire ? Y a-t-il une explication à cette absence ?

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il ne me paraît pas nécessaire que l’amendement fasse référence à cette convention, qui lie de toute façon la France, laquelle n’est pas censée – malgré les efforts de certains de vos amis – créer des situations nouvelles d’apatridie.

(L’amendement n308 rectifié est adopté.)

Article 5

M. le président. L’amendement n210 est donc retiré, Mme la rapporteure pour avis ?

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n210 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement n211.

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. Le texte prévoit que l’OFPRA ne reçoit aucune instruction dans l’exercice de ses missions. Il nous semble également important que la notion d’impartialité figure explicitement dans la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je précise que le groupe UDI avait déposé un amendement identique, qui n’est pas défendu ce soir. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n211 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement n47.

Mme Véronique Massonneau. Cet amendement vise à revenir sur un amendement adopté en commission à l’initiative de notre collègue Éric Ciotti, qui prévoit une transmission automatique par l’autorité judiciaire à l’OFPRA de toute indication du caractère frauduleux d’une demande d’asile. Cela semble en effet contraire à l’indépendance de la justice, d’autant que n’est prévue que la transmission automatique des éléments à charge. Par ailleurs, le champ des documents concernés par ce transfert est extrêmement large, le concept de « toute indication » restant flou.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Cet amendement revient sur une disposition adoptée par la commission, que j’ai soutenue car elle participe de la lutte contre l’impunité. Je suis donc très défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement tend à modifier les alinéas 12 et 13 de l’article 5 pour rendre facultative la communication par l’autorité judiciaire à l’OFPRA de toutes les informations relatives à une éventuelle clause d’exclusion ou à une fraude. Le projet initial du Gouvernement était rédigé en ce sens, mais la commission des lois a estimé utile d’en modifier la rédaction au terme d’un travail approfondi, qui a fait une large place au débat et à l’expression de toutes les sensibilités. Le Gouvernement considère que ce travail a été positif et a permis un enrichissement du texte. Pour cette raison, et bien que l’amendement vise à revenir à la rédaction initiale, par respect aussi pour le travail de la commission, qui a contribué à convaincre le Gouvernement de la pertinence de la modification apportée, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de retirer cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je suis un peu surpris par cet amendement, qui ouvre en fait à des magistrats assermentés qui seraient informés d’une demande d’asile frauduleuse la possibilité de ne pas communiquer ces informations à l’OFPRA. On se demande d’ailleurs pour quelle raison, alors que l’article 40 du code de procédure pénale fait obligation aux fonctionnaires ayant connaissance d’une infraction de la signaler.

L’argument de l’indépendance de la justice ne tient pas, le législateur étant tout à fait habilité à imposer certaines règles de fonctionnement. Et sur le fond, on voit mal quelles pourraient être les circonstances dans lesquelles la justice choisirait de dissimuler en toute connaissance de cause une infraction à la loi.

M. le président. Maintenez-vous l’amendement, madame Massonneau ?

Mme Véronique Massonneau. Je le retire.

(L’amendement n47 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n171 rectifié.

M. Denys Robiliard. Il s’agit d’un problème de terminologie. Je propose de substituer au terme « toute indication » celui de « tout élément », qui me paraît plus large et plus conforme au vocabulaire dont nous avons l’habitude : nous parlons d’éléments à charge et à décharge, d’éléments de preuve… Vous me direz qu’on peut avoir des indications à charge et à décharge. Certes, mais un procès-verbal ou une pièce à conviction qui donnent des indications ne constituent pas pour autant une indication en soi, alors que le mot « élément » appartient à un vocabulaire habituel et plus sûr.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. L’observation est tout à fait juste. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n171 rectifié est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n378.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Il est rédactionnel.

(L’amendement n378, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n172.

M. Denys Robiliard. Cet amendement vise à équilibrer un peu les choses, ou plus exactement à s’assurer que la communication des éléments par l’autorité judiciaire soit complète. Je ne doute pas de sa loyauté, mais mieux vaut l’écrire. S’il est légitime que l’autorité judiciaire informe l’OFPRA des éléments faisant suspecter qu’une personne relève des clauses d’exclusion, il me semble important qu’elle communique simultanément les éléments susceptibles de minorer cette suspicion. Bref, il faut que l’ensemble des éléments – et pas seulement ceux qui sont à charge ou alimentent la suspicion – soient communiqués.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises, monsieur Robiliard. Franchement, je ne comprends pas cet amendement. Soit la justice a en sa possession des éléments qui lui font soupçonner qu’il faut signaler quelque chose à l’OFPRA, et elle le fait, soit elle a des doutes sur sa propre suspicion, et elle ne transmet aucun élément. J’avoue ne pas comprendre cette sorte de symétrie entre éléments à charge et à décharge… Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Je n’ai pas de préventions particulières contre la justice de mon pays. Simplement, je regarde ce qui est écrit, puisque le juge applique la loi. L’article 5 prévoit que « l’autorité judiciaire communique au directeur général de l’office et au président de la Cour nationale du droit d’asile, sur demande ou d’office, toute indication qu’elle peut recueillir de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d’une demande d’asile. » Autrement dit, on demande à la justice de communiquer les éléments à charge, mais non les éventuels éléments à décharge dont elle pourrait disposer. Certains magistrats communiqueront spontanément l’ensemble des éléments, à charge et à décharge ; mais d’autres ne communiqueront que ce qui leur est demandé. Ce n’est pas le juge qui est déloyal, mais bien le texte, pour peu qu’on en ait une lecture trop stricte, qui incite à procéder à une communication déloyale.

(L’amendement n172 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n173, qui fait l’objet d’un sous-amendement n487.

La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement.

M. Denys Robiliard. Nous étions jusqu’ici dans l’hypothèse où l’autorité judiciaire a connaissance d’éléments pouvant intéresser l’OFPRA ou la CNDA. Mais l’inverse peut aussi se produire : lorsque l’OFPRA ou la CNDA applique la clause d’exclusion de la section F de l’article 1er de la Convention de Genève, donc constate qu’une personne qui a l’audace de demander le bénéfice de la protection subsidiaire ou le statut de réfugié a commis des crimes graves qui l’excluent de la protection assurée par la Convention de Genève, il est important que l’office puisse communiquer l’information à l’autorité judiciaire. Nous sommes ici dans le cadre de la lutte contre l’impunité.

On peut se demander si l’office ne serait pas tenu de le faire au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Néanmoins, il est permis de douter de la possibilité pour l’Office d’appliquer cet article.

Pourquoi ? Parce que dans une décision du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a jugé que les éléments dont l’office avait connaissance étaient confidentiels et qu’il existait une protection constitutionnelle de la confidentialité au bénéfice des demandeurs d’asile. Toutefois, le Conseil constitutionnel statuait sur la possibilité pour des officiers de police d’accéder au fichier dactyloscopique de l’OFPRA. Nous sommes là dans une espèce complètement différente. Si l’OFPRA a connaissance d’éléments qui indiquent qu’une personne a commis un crime, et compte tenu du mécanisme de compétence universelle qui permet au juge français de juger un crime commis à l’étranger, il semble important de confirmer dans la loi que l’OFPRA peut transmettre à l’autorité judiciaire les informations dont il dispose.

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement et pour soutenir le sous-amendement n487.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il s’agit de remplacer les mots « les dossiers des étrangers auxquels le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé parce qu’ils relevaient » par les mots : « tout renseignement utile relatif au dossier d’un étranger auquel le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé parce qu’il relevait ». Moyennant cette modification rédactionnelle, qui ne change ni l’objectif ni le contenu de l’amendement, le Gouvernement sera favorable à la proposition de M. Robiliard.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La transmission de l’intégralité du dossier était peu conforme au principe constitutionnel de confidentialité. Le sous-amendement du Gouvernement vient lever la seule difficulté que posait cet amendement. Sous réserve de l’adoption du sous-amendement, je suis très favorable à cet amendement qui participe de la lutte contre l’impunité.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. J’accepte ce sous-amendement qui est de nature à limiter le risque – très éventuel, selon moi – d’inconstitutionnalité.

(Le sous-amendement n487 est adopté.)

(L’amendement n173, sous-amendé, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n48.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement précise notre amendement précédent et va dans le sens de l’amendement n172 de M. Robiliard. Il s’agit d’un amendement de repli, qui vise à préciser qu’il ne peut y avoir de transmission de documents si d’éventuelles poursuites sur le caractère frauduleux d’une demande d’asile ont abouti à un non-lieu ou à une relaxe. En effet, il serait anormal que cette transmission automatique s’effectue malgré la fin de la procédure judiciaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Défavorable. L’issue d’une procédure judiciaire ne saurait conditionner l’issue d’une procédure d’examen d’une demande d’asile. Il revient à l’OFPRA d’apprécier les éléments transmis. Qu’il y ait relaxe ou pas, cela a peu de chose à voir avec l’appréciation de la protection qu’il convient d’accorder.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n48 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n469 qui fait l’objet de deux sous-amendements, nos 481 et 482.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement a pour objet de préciser les conditions et limites dans lesquelles l’OFPRA peut recueillir et utiliser les informations nécessaires à l’instruction des demandes d’asile dont il est saisi. Dans l’intérêt des demandeurs d’asile, il est proposé de consacrer dans la loi le principe de confidentialité des éléments d’information contenus dans leur demande. Il permet en particulier de prévenir toute démarche qui consisterait à saisir les autorités de l’État d’origine du demandeur pour vérifier ses allégations, ce qui pourrait être de nature à compromettre sa sécurité et celle de ses proches restés dans le pays.

Ce principe de confidentialité a été reconnu par le Conseil constitutionnel comme une garantie essentielle du droit d’asile dans la décision n97-389 du 22 avril 1997. L’article 30 de la directive « Procédures », que nous devons transposer, le mentionne. Il importe donc de l’inscrire dans la loi.

Par ailleurs, l’amendement organise la protection et l’anonymat des sources de l’OFPRA, dans le seul cas où leur divulgation risquerait de mettre en danger les personnes qui auraient renseigné l’office. En vertu de la convention de Genève et des directives européennes, l’OFPRA peut être amené à refuser une protection aux personnes qui se sont rendues coupables de crimes extrêmement graves – crimes contre l’humanité, crimes contre la paix, agissements contraires aux buts et principes des Nations unies.

Toute personne qui a connaissance d’informations permettant d’établir ces crimes doit pouvoir les communiquer à l’OFPRA sans crainte d’encourir des représailles de la part du demandeur ou de son entourage. C’est la raison pour laquelle il apparaît opportun de prévoir que ces informations ne seront pas communiquées aux demandeurs. Cette dérogation est toutefois strictement encadrée et limitée aux cas où les craintes pour la sécurité de la source sont caractérisées.

Un autre amendement du Gouvernement, à l’article 10, prévoit en outre que, même dans une telle situation, le demandeur pourra, à l’occasion de son recours devant la Cour nationale du droit d’asile, accéder à un résumé anonymisé des informations sur lesquelles s’est fondé l’OFPRA.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir les deux sous-amendements, nos 481 et 482, pouvant faire l’objet d’une présentation groupée.

M. Denys Robiliard. Le sous-amendement n481 vise à supprimer, au deuxième alinéa de l’amendement du Gouvernement, les mots : « qui seraient de nature à compromettre la sécurité du demandeur ou des membres de sa famille ». L’objectif est d’éviter toute interprétation a contrario de cette disposition. En effet, la collecte par l’office d’informations nécessaires à l’examen d’une demande d’asile pourrait avoir pour effet de divulguer aux auteurs présumés de persécutions ou d’atteintes graves l’existence d’une demande d’asile, voire l’identité du demandeur. Il y aurait alors atteinte au principe de confidentialité, qui est une garantie constitutionnelle du droit d’asile. L’office peut, bien sûr, rechercher des informations. Mais qu’il puisse prendre le risque de communiquer une information sur le fait qu’une personne demande l’asile, même sans en communiquer l’identité, m’inquiète. Peut-être l’auteur de la persécution arrivera-t-il facilement à l’identifier. Il me semble que la suppression de la dernière proposition de l’alinéa permet d’éliminer ce risque.

Le sous-amendement n482 vise à supprimer l’alinéa 3 afin de respecter le principe du contradictoire. La directive prévoit que les éléments ayant servi à la décision de l’office peuvent être communiqués au demandeur d’asile. Bien sûr, cela peut s’avérer problématique lorsque des renseignements ont été pris par le réseau consulaire et je suis prêt à admettre qu’une adaptation législative soit nécessaire.

Cependant, la rédaction de cet amendement, ainsi que le lien que vous faites avec l’article 10, monsieur le ministre, ne laisse pas de m’inquiéter : cela aboutirait à admettre que des éléments dont disposerait la Cour nationale du droit d’asile pourraient ne pas être transmis au demandeur d’asile qui a formé un recours. Qu’il s’agisse de la justice judiciaire ou de la justice administrative, les hypothèses dans lesquelles des pièces ne sont pas communiquées sous le contrôle du juge sont rarissimes ! Qu’en est-il du principe du contradictoire ? Depuis 1952, date de création de l’OFPRA, il n’a jamais été nécessaire de prendre une telle disposition. Je comprendrais mal que ce soit nous qui la votions !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La commission n’a examiné ni l’amendement ni les sous-amendements. Je m’exprimerai donc à titre personnel. Je suis favorable à l’amendement du Gouvernement. Je suis défavorable au sous-amendement n481, qui vise à supprimer la proposition précisant que les informations qui ne doivent pas être divulguées par l’OFPRA sont celles qui seraient de nature à compromettre la sécurité du demandeur ou des membres de sa famille, alors que c’est là tout l’objet de la disposition prévue par l’amendement du Gouvernement. Il serait tout à fait fâcheux d’adopter ce sous-amendement.

Je suis également défavorable au sous-amendement n482. Les dispositions qu’il tend à supprimer visent pourtant à protéger des personnes qui fournissent des informations tout à fait décisives et qui, parfois, risquent leur vie pour cela. Il faut pouvoir conserver l’équilibre entre le respect du principe du contradictoire devant la Cour nationale du droit d’asile, la protection de la confidentialité, des demandeurs et de leur famille, et la protection des sources.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les deux sous-amendements ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le sous-amendement n481 nous semble compatible avec l’objectif des dispositions proposées, qui visent à protéger tant le demandeur d’asile que les sources dans le recueil d’informations et de données confidentielles utiles à l’instruction. Avis favorable.

Le sous-amendement n482 tend à supprimer la possibilité pour l’office de ne pas divulguer les informations recueillies auprès des sources lorsque leur communication porterait atteinte à la sécurité de ces organisations ou personnes. Le Gouvernement ne souhaite pas priver l’office d’un instrument indispensable à la bonne mise en œuvre de la lutte contre l’impunité, objectif que je partage avec un grand nombre de parlementaires. Avis défavorable.

(Le sous-amendement n482 n’est pas adopté.)

(Le sous-amendement n481 est adopté.)

(L’amendement n469, sous-amendé, est adopté.)

M. le président. L’amendement n379 de Mme la rapporteure est rédactionnel.

(L’amendement n379, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement n477.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, cet amendement vise à prévoir la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement sur l’état précis des taux de reconduite à la frontière. Le rapport traiterait également des moyens qui pourraient utilement être mis en œuvre pour réduire le contentieux de masse en matière de droit d’asile.

J’ai été amené à m’intéresser à cette question en tant que rapporteur spécial pour la commission des finances de la mission « Conseil et contrôle de l’État ». Lors d’un contrôle sur pièces et sur place effectué à Melun, j’ai été alerté par les magistrats sur l’inflation du nombre de dossiers, dont vous êtes parfaitement informé, monsieur le ministre. Pour la seule année 2013, près de 34 000 dossiers ont été soumis à la CNDA. Il semble donc que la procédure actuelle n’est pas satisfaisante.

Chacun a quelques exemples en tête, le plus édifiant étant celui de l’affaire Leonarda : dix-sept jugements, quatre décisions prises par l’OFPRA et six par plusieurs préfets. En tout état de cause, cet encombrement de la juridiction présente une vraie difficulté.

Ce rapport n’a pour but que de suggérer des pistes pour améliorer le traitement du contentieux. Monsieur le ministre, il était de mon devoir, et je l’avais déjà fait dans le rapport spécial susmentionné, d’interpeller le Gouvernement au sujet de l’inquiétude des magistrats quant à leur capacité de traiter ces dossiers dans de bonnes conditions. Ce problème me paraît bien relever davantage d’un texte sur l’asile que d’un texte traitant exclusivement des problèmes d’immigration.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Si M. le président de la commission des lois était encore dans l’hémicycle, il vous rappellerait la « jurisprudence Urvoas », qui vise à mettre fin à la prolifération de rapports.

M. Marc Dolez. Eh oui !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. De surcroît, un délai de trois mois après la promulgation d’une loi, pour la remise d’un rapport, me paraît un peu serré. Guy Geoffroy et moi-même serions néanmoins heureux que vous participiez à la présentation des conclusions du rapport que nous serons chargés d’établir sur l’application de la présente loi.

Je suis également un peu surprise du sujet du rapport que vous demandez : 100 % du contentieux traité par la CNDA est relatif à l’asile, puisque la Cour a précisément pour mission de traiter les recours formés contre les décisions de l’OFPRA. On ne peut donc pas reprocher à cette juridiction d’être encombrée par le contentieux de l’asile.

Cela étant dit, monsieur Vigier, la publication du rapport annuel sur les orientations de la politique de l’immigration – il s’agissait auparavant du rapport annuel du comité interministériel de contrôle de l’immigration, mais son intitulé a été modifié – devrait être l’occasion d’un débat sans vote. Ce n’est qu’une suggestion, puisque, comme vous, je ne peux pas enjoindre au Gouvernement de faire quoi que ce soit. Ce serait cependant tout à l’honneur du ministre de prévoir cet échange annuel autour de chiffres qui font toujours polémique et que l’on manipule dans tous les sens. Il me semble que c’était un peu l’objet de votre amendement, que je vous proposerai de retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Ce que vient de dire notre rapporteure est extrêmement intéressant.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous sommes ravis de vous l’entendre dire !

M. Guy Geoffroy. Mme la rapporteure aurait en effet pu limiter son propos à la mention de ce qu’elle appelle la « jurisprudence Urvoas » ; la messe eût été dite et nous serions immédiatement passés au vote de l’amendement. Elle a cependant tenu à donner une somme assez intéressante d’explications pour justifier, nonobstant la prétendue jurisprudence Urvoas, qu’il n’était pas nécessaire de produire un tel rapport, avançant, entre autres arguments, que le délai prévu était un peu court.

J’ai tendance à penser que, d’une manière générale, la procédure consistant à demander au Gouvernement, de législature en législature, d’alternance en alternance, la remise de rapports vise à mettre en difficulté le pouvoir en place, du moins c’est ce que croient ceux qui l’utilisent. En l’occurrence, au regard de tout ce que nous nous sommes dit tout à l’heure, la demande apparaît extrêmement pertinente.

En effet, le Gouvernement, et je remercie à nouveau le ministre de cette précision, tient à ce que l’asile et l’immigration soient traités dans deux projets de loi distincts, bien qu’il y ait un lien entre les deux sujets puisque 75 à 80 % des demandeurs sont déboutés du droit d’asile et que 95 % des déboutés s’installent ensuite dans l’immigration irrégulière. Le ministre a ainsi pris l’engagement – c’est du moins ce que j’ai cru comprendre – que la question serait traitée, sans préciser comment elle le serait, dans la loi traitant de l’immigration. On nous dit que cette loi pourrait être promulguée dans huit, dix, voire douze mois.

En attendant un tel texte, il ne faut pas se priver de glaner des informations sur le sujet. Je souhaite donc que cet amendement soit voté. À défaut, il serait bon que le ministre et derrière lui tous les services et toutes les institutions qui travaillent sur ces sujets prennent aujourd’hui l’engagement que Mme la rapporteure et moi-même puissions disposer de tous les éléments qui nous permettront d’établir le rapport d’application de la loi sur l’asile. En particulier, nous devons pouvoir déterminer dans quelle mesure cette loi aura permis d’avancer sur le règlement de la question fondamentale et délicate de l’immigration irrégulière générée par un nombre important de déboutés du droit d’asile sans attendre le vote de la loi sur l’immigration.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Guy Geoffroy. Je voterai donc cet amendement, mais s’il n’était pas adopté, nous devrions pouvoir disposer des éléments qui auraient dû être publiés dans ledit rapport afin d’avancer lorsque nous examinerons ce problème dans le cadre du projet de loi sur l’immigration.

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Madame Mazetier, le délai de trois mois est bien entendu indicatif ; il pourrait tout aussi bien être fixé à six ou neuf mois. Dans le cadre de mes travaux de rapporteur spécial, j’ai réfléchi un certain temps sur cette question et sur la façon dont on pouvait aider les magistrats dans leur tâche quotidienne. Ces derniers m’ont en effet adressé un message fort : les moyens dont ils disposent sont encadrés, pardonnez-moi de le dire, et c’est le cas pour toutes les juridictions.

Au Conseil d’État, par exemple, le nombre d’équivalents temps plein et le nombre de magistrats sont parfaitement limités, et vous le savez aussi bien que moi. Il y a en outre un problème d’attractivité du métier, notamment au sein de la CNDA. Par conséquent, madame la rapporteure, il serait souhaitable que dans le cadre du rapport que vous aurez l’honneur de rédiger avec Guy Geoffroy sur l’application de la présente loi vous aidiez le Gouvernement à traiter ce problème de l’accumulation d’un contentieux de masse. Ce rapport viendra en outre apporter des éléments susceptibles de venir renforcer les avancées du projet de loi.

Une telle demande ne me paraît franchement pas vindicative, et nous serions bien sûr prêts à accepter le délai que le ministre souhaitera. Ne nous privons pas de ces éléments d’information : ce rapport n’a pas pour but de critiquer ou d’approuver le texte qui nous est soumis aujourd’hui mais simplement d’améliorer la situation existante. Voilà deux ans que j’alerte le Gouvernement sur cette question-là,… 

M. Jean-Pierre Dufau. Vous auriez pu le faire durant les dix années qui ont précédé les élections de 2012 !

M. Philippe Vigier. …et je saisis l’occasion de l’examen de ce projet de loi sur l’asile pour le faire avec un peu plus d’insistance cette année au travers du présent amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle. Je voulais me féliciter de l’adoption de l’amendement précédent, monsieur le président, l’amendement n379, qui visait à préciser que le rapport d’activité annuel de l’office comprend des données sexuées et des données relatives à la formation des personnels ; c’était précisément ce que nous avions demandé tout à l’heure.

Quant au présent amendement, il pourrait prévoir que le rapport inclue des données sur les motifs de refus de l’OFPRA en fonction du sexe des déboutés, car nous disposons de peu de données sur les raisons des jugements, qu’ils soient positifs ou négatifs.

M. Philippe Vigier. Très bien !

(L’amendement n477 n’est pas adopté.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 5 bis

M. le président. Je suis saisi de trois amendements nos 270, 271 et 1 pouvant faire l’objet d’une discussion commune.

Les amendements nos 270 et 271 peuvent faire l’objet d’une présentation groupée. Je donne la parole à Mme Michèle Bonneton, pour les soutenir.

Mme Michèle Bonneton. Un amendement adopté en commission a élargi la représentation de l’État au conseil d’administration de l’OFPRA, ce dernier passant de sept à neuf membres.

Nous souhaiterions que l’OFPRA évolue vers un statut d’autorité administrative indépendante et présenterons d’ailleurs un amendement à l’article suivant pour garantir l’indépendance du président de l’OFPRA.

Si nous comprenons la volonté de diversifier la représentation de l’État, il ne faut pas que cela déséquilibre encore plus la composition du conseil d’administration de l’OFPRA. Il nous semble donc utile d’élargir cette représentation à d’autres instances, et notamment à la représentation parlementaire. Actuellement, une députée, une sénatrice et une députée européenne y siègent. Nous souhaiterions doubler le nombre de parlementaires présents, ce qui permettrait de garantir la parité et, surtout, la représentation de l’opposition.

Nous proposons également, dans notre amendement n270, que la Commission nationale consultative des droits de l’homme soit représentée au conseil d’administration. La question des libertés étant centrale, cette présence nous semblerait bienvenue.

Notre amendement n271, qui est un amendement de repli, ne propose pas que la CNCDH ait un représentant au conseil d’administration de l’OFPRA.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n1.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à prendre en compte les modifications qui ont été apportées en commission des lois sur la composition du conseil d’administration de l’OFPRA. En effet, huit représentants de l’État sont désormais désignés en son sein. Il convient de renforcer la présence des parlementaires en prévoyant qu’ils seront quatre au lieu de deux aujourd’hui.

M. Guy Geoffroy et M. Sergio Coronado. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je partage la préoccupation de mes collègues d’élargir la représentation parlementaire et, surtout, d’assurer une représentation paritaire, ce que ne permet pas l’actuel chiffre « trois ».

En revanche, je n’approuve pas l’option qui viserait à faire évoluer le statut de l’OFPRA vers celui d’une autorité administrative indépendante, ni à y faire entrer un représentant de la CNCDH.

Dans cette discussion commune, ma préférence va à l’amendement n271 de M. Coronado ou à l’amendement n1 de M. Ciotti.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements pour des raisons qui tiennent au fait qu’il relève de la compétence du Gouvernement et du pouvoir réglementaire que de déterminer la composition de l’OFPRA. Par conséquent, si nous adoptions cet amendement, nous remettrions en cause la séparation entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir législatif déterminée par les articles 34 et 37 de la Constitution.

M. Pierre Lellouche. Je suis d’accord avec le ministre !

M. le président. Madame la rapporteure, il faut que vous m’indiquiez sur quel amendement – l’amendement n271 ou l’amendement n1 – vous émettez un avis favorable, puisqu’ils sont en discussion commune.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je suis favorable à l’amendement n271.

M. le président. Monsieur Coronado, retirez-vous l’amendement n270 au profit de l’amendement n271 ?

M. Sergio Coronado. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n270 est retiré.)

(L’amendement n271 est adopté et l’amendement n1 tombe.)

(L’article 5 bis, amendé, est adopté.)

Après l’article 5 bis

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n28.

M. Éric Ciotti. Au cours du débat que nous avons eu tout à l’heure sur l’obligation de quitter le territoire français, le ministre a exposé ses arguments pour refuser que les décisions de refus prises par la CNDA vaillent obligation de quitter le territoire français.

Cet amendement s’inscrit dans une logique un peu différente mais vise à faire en sorte que nous appliquions mieux les obligations de quitter le territoire français puisque, finalement, l’essentiel est là. Pour que nous maintenions l’acceptabilité de ce système d’asile, je redis – c’est le cœur de ce débat même si vous le refusez, monsieur le ministre – que les déboutés doivent quitter le territoire français dans les meilleurs délais.

Vous allez sans doute me répondre que cet amendement pourrait trouver sa place dans le texte sur l’immigration, mais nous considérons, pour notre part, que nous devons adopter cette mesure dès maintenant. L’obligation de quitter le territoire français dans le cadre du délai de départ volontaire, conformément à nos engagements conventionnels, peut être contestée dans les trente jours suivant la notification de la mesure. Le présent amendement a pour objet de porter ce délai à sept jours, en parfaite conformité avec les directives européennes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Défavorable. Cet amendement n’a pas sa place dans ce texte.

M. Guy Geoffroy. Si, il y a sa place !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. En effet, les obligations de quitter le territoire français ne concernent pas spécifiquement les demandeurs d’asile.

M. Éric Ciotti. Les demandeurs d’asile déboutés sont à l’origine des trois quarts des contestations de l’obligation de quitter le territoire !

M. Guy Geoffroy. Même davantage !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Par ailleurs, vous réduiriez excessivement les délais permettant de contester de manière effective une OQTF.

Je ne l’ai pas dit tout à l’heure mais je veux préciser que la proposition visant à mélanger les décisions de l’OFPRA avec des décisions administratives – des notifications d’obligation de quitter le territoire français – n’a pas de sens.

M. Éric Ciotti. Au contraire, c’est essentiel, vous faites semblant de ne rien comprendre !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Elle participe de cette vision qui agrège, amalgame des sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

La semaine dernière, nous visitions avec le ministre un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Nous y avons vu une dame qui, le matin même, avait reçu une notification de l’OFPRA lui refusant le statut de réfugié. Il se trouve que cette dame était maman d’un enfant français, né en France, de père français. Même si elle ne s’est pas vu reconnaître le statut de réfugié par l’OFPRA, cette dame a probablement un droit au séjour en France, même si cela vous ennuie.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame Mazetier, je crois que, dans l’intérêt général, et afin de mener à bien ce que nous essayons de faire, il faut arrêter de dire que ce texte n’a rien à voir avec l’immigration. Ce n’est simplement pas possible ! Dites que vous ne voulez pas éloigner les gens, ce qui est d’ailleurs le cas aujourd’hui, puisque vous le faites au compte-gouttes : à peine 5 % des déboutés sont éloignés.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Personnellement, je n’éloigne personne !

M. Pierre Lellouche. Mais ne dites pas que ça n’a rien à voir : le ministre lui-même l’a dit, le travail en commission l’a démontré. Nous sommes tous d’accord là-dessus : le système est débordé, saturé de toutes parts. C’est devenu un moyen de régulariser les illégaux. Ne dites donc pas qu’il n’y a pas de problème et que ça n’a rien à voir. Notre collègue Ciotti propose de raccourcir les délais : je souhaiterais que l’on réponde sur le fond, et non pas que l’on dise que ça n’a rien à voir.

Pour notre part, nous pensons que ce texte ne peut fonctionner que sur deux jambes. Les réfugiés, à qui l’on donne des droits, ont toute vocation à être sur notre sol, parce que ce sont des combattants de la liberté, au sens du préambule de notre Constitution. Tous les autres, qui sont des réfugiés économiques, n’ont rien à voir avec la procédure du droit d’asile. Ceux-là n’ont pas à rester sur le territoire une fois qu’ils ont été déboutés : c’est cela qui vous est demandé.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Vous n’avez pas du tout écouté mes explications !

M. Pierre Lellouche. Je ne comprends pas que vous fassiez un texte qui soit à ce point déséquilibré. Ne comprenez-vous pas que vous affaiblissez vous-même, de la sorte, la notion d’asile ? Vous dites vouloir que l’asile soit soutenu par nos concitoyens et que nous conservions cette tradition. Je remarque au passage que, contrairement à ce qu’a dit le ministre, cette dernière n’a pas existé de tout temps : on ne peut pas dire que, dans les années 1930, y compris sous des gouvernements de gauche, nous ayons été particulièrement généreux. Le dialogue que vous citiez hier entre Camille Chautemps et Jules Moch n’est pas formidable pour cette tradition à laquelle vous voulez vous référer. En réalité, nous nous référons à une tradition qui date en partie de la Révolution française et en partie d’après 1945.

Si vous voulez que votre texte soit soutenu par les Français, à une époque où notre pays ne se porte pas très bien et où beaucoup de migrants pénètrent sur notre territoire, faisons en sorte qu’il soit équilibré. C’est dans votre intérêt que nous essayons de l’améliorer en traitant du sujet des déboutés, pas pour nous livrer à je ne sais quel exercice qui serait sans rapport avec le projet.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Madame la rapporteure, comment pouvez-vous prétendre que ce dispositif n’a rien à voir avec ce texte ? Je sais bien que ces propos ne vous ont pas échappé et que vous les avez au contraire tenus sciemment. Ils traduisent en effet votre approche très idéologique de la question. Comment le sujet de l’asile pourrait-il n’avoir rien à voir avec celui de l’immigration alors que 75 % des demandeurs d’asile deviennent des étrangers en situation irrégulière ? Vous refusez de traiter ce problème dans ce texte alors que c’est le problème majeur ! Il est fondamental ! En offrant à des étrangers en situation irrégulière d’entrer facilement sur notre territoire et de s’y maintenir, nous faisons exploser notre système de l’asile. Et vous dites que ça n’a rien à voir ! Comment pouvez-vous faire preuve d’un tel aveuglement ? Tout est dit, monsieur le ministre, madame la rapporteure : vous continuez à ignorer cette réalité fondamentale. Si vous voulez apporter des solutions tangibles, efficaces, concrètes, à la faillite de notre système d’asile dont nous avons tous dressé le constat, vous devrez vous attaquer au problème de l’éloignement des personnes déboutées. Vous vous y refusez une fois de plus.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Comment se fait-il que dans le paysage apocalyptique qui vient d’être décrit, la France soit le pays qui n’a pas, et de loin, le plus grand nombre de demandeurs d’asile en Europe ?

M. Éric Ciotti. Nous occupons la deuxième place !

Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis. La neuvième !

M. Jean-Pierre Dufau. Que penser alors de pays que vous prenez en modèles par ailleurs ?

(L’amendement n28 n’est pas adopté.)

Article 6

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement de suppression n174.

M. Denys Robiliard. Cet amendement tend en effet à supprimer l’article 6 qui offre une définition de la notion de pays d’origine sûr, introduite en droit français par une loi de décembre 2003. Je sais bien que cette définition découle de la transposition d’une directive européenne mais il ne s’agissait, en vertu de l’article 37 de la directive « Procédures » du 26 juin 2013 que d’une simple faculté. Il n’était pas obligatoire de transposer en droit français cette partie de la directive.

Cet article me paraît contraire à la Convention de Genève dont l’article 3 énonce qu’elle doit être appliquée sans discrimination quant au pays d’origine. Or, en dressant une telle liste, nous admettons que des demandeurs d’asile, selon leur pays d’origine, pourraient être soumis à des procédures différentes qui n’offriraient pas exactement les mêmes garanties.

Par ailleurs, force est de constater que ce système ne fonctionne pas bien. Les pays de l’Union européenne ne sont jamais parvenus à se mettre d’accord sur une liste commune. Notre liste est différente de celle de la Belgique. Un pays qui se retrouverait sur la liste de la Belgique pourrait ne pas figurer sur la nôtre.

Surtout, des décisions d’inscription de pays, prises par le conseil d’administration de l’OFPRA, ont été annulées par le Conseil d’État. Je pense à l’Albanie, au Niger, à la Turquie, à Madagascar, au Mali, au Bangladesh, au Kosovo – et je ne suis pas exhaustif. Tous ces éléments montrent que cet outil est d’un maniement délicat.

L’opposition se demande pourquoi nous ne voulons pas traiter des problèmes d’immigration. Dans la logique de l’immigration, on raisonne en flux, en choisissant qui on veut et qui on ne veut pas recevoir. Au contraire, la politique du droit d’asile obéit à une logique de protection : on admet qu’une personne a été persécutée et on l’accepte sur notre territoire. La liste des pays d’origine sûrs s’inscrit dans une logique de flux, qui est celle de la politique d’immigration.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis défavorable car la commission a largement encadré cette notion. C’est vrai, et je reconnais que c’est étrange, nous ne disposons pas d’une liste commune mais nous avons un régime d’asile européen commun. Peut-être en établirons-nous une à terme.

La commission, ou en tout cas la majorité de celle-ci, a pris des mesures pour que cette liste soit révisée régulièrement et que des dispositifs d’urgence permettent de radier ou de suspendre l’inscription d’un pays de cette liste. Le conseil d’administration de l’OFPRA peut ainsi être saisi par les parlementaires, par les présidents des commissions des affaires étrangères ou des affaires européennes ou par les associations.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avis très défavorable. Si nous voulons mener une politique de l’asile efficace, soutenable et qui nous permette d’accueillir en France tous ceux qui peuvent y prétendre, nous devons avoir une idée précise de la situation des pays d’origine. L’OFPRA doit ainsi pouvoir actualiser régulièrement la liste de ces pays. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent que nous puissions, en France, accueillir dans des conditions correctes ceux qui relèvent de l’asile parce qu’ils sont originaires de pays où se commettent des persécutions, des exactions, des exécutions. Je ne souhaite pas du tout que l’on revienne sur le dispositif actuel sauf à prendre le risque de rendre l’asile en France tout à fait insoutenable.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur Robiliard, vous ne pouvez pas dire que l’asile obéit à une logique de protection en vertu de laquelle nous accepterions de reconnaître ou non qu’une personne a été persécutée tandis que la politique de l’immigration conduirait à déterminer a priori qui l’on accepte ou non sur notre sol. Ici, nous sommes en fait entre les deux. Les personnes déboutées ont voulu venir vivre chez nous parce qu’elles s’estimaient victimes des pires sévices et qu’elles n’étaient plus libres dans leur pays. Si nous considérons qu’elles ne relèvent pas de notre droit d’asile, nous devons nous poser la question de savoir qu’est-ce que nous allons en faire ?

J’ai participé aujourd’hui à un déjeuner d’anciens – c’est la saison. Leur ayant déclaré que je ne pourrais pas m’attarder avec eux en raison du débat sur l’asile, ils m’ont demandé quelles mesures nous allions prendre. J’ai alors pris la défense du Gouvernement en leur expliquant qu’il s’agissait de réduire les délais de traitement des demandes d’asile pour savoir plus rapidement qui en relevait ou non. Tout naturellement, ces personnes, qui n’étaient en aucune manière des réacs, en ont déduit que les personnes déboutées quitteraient plus vite notre pays.

Nos concitoyens sont fiers de notre politique d’asile qui fait l’honneur de notre pays à condition que ceux qui ne peuvent en bénéficier ne puissent séjourner régulièrement dans notre pays. Nous reprendrons forcément ces questions à l’occasion de la loi relative à l’immigration. La dichotomie opérée artificiellement par M. Robiliard entre asile d’un côté et immigration irrégulière de l’autre confine au ridicule.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. J’essaierai dans quelques instants de préciser la notion de pays d’origine sûr. Ce système, totalement baroque et dont on ne comprend pas bien l’articulation avec l’Europe, est fondé sur une distinction intellectuelle qui divise les 198 pays de notre planète entre les pays d’origine sûrs et les autres. M. Robiliard nous déclare que la liste des pays d’origine sûrs serait presque infamante, d’une part parce que certains pays qui figurent sur cette liste ne sont pas sûrs du tout, et d’autre part parce que l’Europe n’a pas été capable de dresser une liste commune.

Cette distinction entre pays sûrs et pays qui ne le sont pas est très étrange. Elle ne fait pas l’objet d’un consensus européen et, surtout, l’établissement de la liste semble avoir été délégué en partie aux autorités européennes. Qui décide de l’inscription sur la liste ? Est-ce vous, monsieur le ministre, par le biais d’instructions données à vos représentants au conseil d’administration de l’OFPRA ou est-ce en lien avec la liste européenne ? Il serait utile de le savoir. Je note par ailleurs certaines incongruités dans la liste. Ainsi, la Turquie, qui nous fait régulièrement condamner par la CEDH, n’est pas considérée comme un État sûr par un certain nombre de pays. L’Albanie est un pays sûr pour certains, pas pour d’autres. Cette situation était dénoncée en son temps par Franco Frattini, lorsqu’il était responsable de ces questions à la Commission et parlait d’« asylum shopping ». Selon que vous êtes albanais ou kosovar, vous serez admissible dans tel pays mais pas dans tel autre.

Tout ce dispositif repose sur une analyse assez curieuse et semble enfermé dans une bulle juridique en total décalage avec la réalité géopolitique. Je souhaiterais, en tout cas, que le Gouvernement précise qui rédige cette liste.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Cette liste de pays d’origine sûrs est toujours sujette à caution car personne n’est totalement satisfait. Il n’y a pas de liste européenne mais une liste par pays, qui peut varier selon les circonstances car il n’y a jamais de certitude en l’espèce.

Cela étant, la suppression de l’article permettrait-elle de clarifier la situation ? Non. Si cette définition n’est sans doute pas parfaite, on en n’a pas trouvé d’autre.

Par sagesse, nous devrions nous en tenir à l’avis de la rapporteure et du Gouvernement tout en réfléchissant à améliorer cette définition. La notion de pays sûr ou pas nous ramène à notre propre condition : tout est relatif.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. J’approuve l’amendement de M. Robiliard. Nous avons eu ce débat en commission des lois, et il m’a même semblé entendre Mme la rapporteure reconnaître le caractère insatisfaisant de la liste. Et pour cause : tout d’abord, il n’existe pas de liste européenne et les listes des différents pays sont parfois contradictoires – un pays sûr ici ne l’est pas forcément là. Ne nous voilons pas la face : ces listes s’apparentent souvent à un outil de gestion des flux.

Ensuite se pose la question de l’établissement de la liste. Il est très étrange, voire choquant, que ce soit l’instance chargée de traiter la demande qui établit la liste. Il y a là un problème. C’est pourquoi je crois que cet amendement n’est pas entièrement infondé. Je rappelle d’ailleurs que lors de l’adoption de la directive « Procédures » en 2003, plusieurs acteurs internationaux, dont l’Organisation des Nations unies, avaient appelé l’Europe à revenir sur cette décision. Lorsque la France, pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, avait assumé la présidence de l’Union européenne, Amnesty International lui avait également demandé de tout faire pour que l’Europe abandonne la notion de « pays sûr ». Le débat n’est donc pas sans fondement. Je rappelle d’ailleurs que le droit d’asile et la Convention de Genève étaient respectés avant 2003, et l’on s’en sortait bien sans liste de pays sûrs. En effet, la question qui se pose est plutôt celle des critères définis par la Convention ou par l’asile constitutionnel.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’estime que cet amendement est trop radical même si, à titre personnel et par pratique, j’ai toujours éprouvé de grands doutes quant à la notion de pays sûr. Cela étant, je crois que certains des amendements proposés l’amélioreront. Cette notion est désormais installée dans le paysage, et il serait quelque peu déstabilisant de retirer brutalement le tapis de sous les pieds – si vous me permettez cette expression familière – de l’Office et de la Cour en la supprimant.

C’est une notion évolutive, car nous vivons dans un monde qui connaît de profonds changements géopolitiques, ou parfois des changements à moindre échelle dans telle ou telle zone – je pense en particulier aux Balkans, où la notion de pays sûr change pour les uns et les autres au gré des créations de telle ou telle petite république.

De surcroît, la définition donnée par la directive – et bien sagement reprise dans le présent texte – est si précise et exigeante que peu de pays seraient susceptibles de franchir la barre.

M. Pierre Lellouche. Évidemment !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je la cite : « il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ».

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Les États-Unis ne seraient pas admis dans cette liste !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous m’ôtez les mots de la bouche, cher collègue : avec une pareille définition, les États-Unis ne pourraient pas être considérés comme un pays sûr.

M. Pierre Lellouche. C’est ce que j’ai dit hier !

M. Guy Geoffroy. Hélas, nous ne pourrons plus accueillir de réfugiés américains…

Mme Marie-Françoise Bechtel. La notion de pays sûr, en outre, ne s’applique pas seulement au pays d’origine, mais aussi au pays d’où peut venir le réfugié, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Il existe tout de même un verrou essentiel qui permet d’écarter cette notion, soit dans le cadre de la procédure de l’OFPRA, soit dans celui du recours devant la Cour. Comme nous le verrons lorsque nous examinerons la procédure accélérée, la notion de pays sûr peut toujours être écartée par l’Office d’une part et par le juge de l’autre, afin de procéder à un examen individuel.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Très juste !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il me semble donc qu’il convient de ne pas déstabiliser le système à l’excès. Comme je l’ai dit lors de ma première intervention, le mieux est parfois l’ennemi du bien – ou du moyen.

(L’amendement n174 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n130.

M. Pierre Lellouche. Cet amendement traite du même sujet que celui que vient d’aborder Mme Bechtel, mais à l’envers. M. Robiliard a raison de nous dire que cette liste est tout à fait arbitraire et qu’elle n’est pas agréée en Europe. Ce point est capital, monsieur le ministre ; vous avez eu la gentillesse de rappeler mes anciennes fonctions européennes, mais vous aussi, vous avez été ministre des affaires européennes ! Comment pouvez-vous donc laisser passer une telle contradiction ? D’un côté, une liste qui n’est pas admise par les Européens et, de l’autre, le règlement de Dublin : comment conciliez-vous ces deux éléments ? Il y a là comme une légère contradiction…

D’autre part, M. Robiliard propose de supprimer cette liste arbitraire, qui n’est pas agréée et qui est presque infamante pour les pays en question. Je suis plutôt de cet avis. À défaut de la supprimer, lisons donc ce qui s’y trouve, comme Mme Bechtel vient en partie de le faire : « Un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne ». Quel est donc le pays au monde qui correspond à cette définition ? La France elle-même n’a-t-elle jamais pratiqué la torture, jamais connu de problèmes internes ? Comment fait-on ?

C’est pourquoi j’ai proposé de résumer ces éléments de définition au moyen de la notion de pays démocratique, par un amendement plus modeste qui permettrait peut-être, d’ailleurs, d’ouvrir la liste. À conserver une rédaction aussi restrictive que celle que je viens de lire, la France devrait se préparer à accueillir 6,5 des 7 milliards d’humains parce qu’ils sont susceptibles d’être maltraités ou torturés. Mme Bechtel l’a dit : même les Américains, lorsqu’ils sont noirs, se font tirer dessus par la police, sans parler des tortures que la CIA vient d’admettre ! Existe-t-il un seul pays vraiment démocratique qui corresponde à cette définition ? Qui a écrit ce texte ? Sans doute serait-il temps de vous pencher sur la question, monsieur le ministre !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis défavorable. Puisque vous avez le texte en main, monsieur Lellouche, je vous invite à lire l’alinéa qui suit celui que vous avez cité, car il répondra à la question que vous posiez de savoir qui fixe la liste des pays sûrs. Cette liste est fixée par le conseil d’administration de l’OFPRA dans sa composition telle qu’elle a été modifiée par la commission des lois puis par l’Assemblée lors de la présente séance.

M. Guy Geoffroy. C’est un problème !

M. Pierre Lellouche. M. le ministre ne m’avait pas répondu sur ce point.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre amendement, monsieur Lellouche, tend à modifier l’alinéa 4 de l’article 6 afin de rendre la définition des pays d’origine sûrs moins exigeante que ce que prévoit le projet de loi. Vous venez de justifier cet amendement par le risque que la définition actuelle prévue dans le texte rende difficile, voire impossible toute inscription sur la liste et puisse par conséquent entraîner une augmentation du nombre de demandes infondées.

Je vous rappelle tout d’abord que la définition du pays d’origine sûr est prévue par la directive « Procédures » que nous transposons.

M. Pierre Lellouche. Elle n’est pas obligatoire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Notre texte ne peut donc s’en exonérer. La définition retenue par la loi se réfère à cette norme européenne et répond aux exigences de protection des personnes, qui impliquent une définition rigoureuse du pays sûr échappant à toute considération migratoire. C’est la raison pour laquelle je ne souhaite pas réserver un avis favorable à votre amendement.

D’autre part, vous évoquez une contradiction entre le règlement de Dublin et la liste des pays d’origine sûrs : ces deux sujets n’ont rigoureusement rien à voir l’un avec l’autre. La liste des pays d’origine sûrs vise des pays tiers à l’Union européenne – comme l’Albanie ou la Géorgie, par exemple – dont les ressortissants peuvent déposer une demande d’asile qui fera l’objet d’une procédure accélérée, ce qui ne préjuge en rien du fond du dossier. Le règlement de Dublin, comme vous le savez, vise les pays de l’Union européenne qui sont compétents pour connaître d’une demande d’asile afin d’éviter que l’on ne puisse déposer plusieurs demandes d’asile dans différents pays de l’Union. Ce sont donc deux sujets disjoints, sur lesquels je ne partage pas non plus votre approche.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je ne saurais accepter votre premier argument pour toutes les raisons que j’ai précédemment indiquées, monsieur le ministre, mais je n’y reviendrai pas.

J’en viens au deuxième point. Imaginons qu’un État membre de l’Union européenne reconnaisse tel ou tel État – l’Arménie ou le Kosovo, par exemple – comme pays sûr, il refusera l’asile à ses ressortissants. Si son voisin, la France par exemple, estime que le pays en question n’est pas sûr, il acceptera l’asile pour ses ressortissants. Comme je l’ai dit, les demandeurs d’asile vont donc se livrer à un asylum shopping en fonction des listes des uns et des autres.

Tout cela n’a rien d’abstrait pour ceux qui, jusqu’à une date récente, entraient en France comme réfugiés politiques en provenance d’Arménie et du Kosovo, et qui ne peuvent plus le faire puisque leur pays ne figure plus sur la liste.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Mais si !

M. Pierre Lellouche. Vous savez comme moi que toute personne bénéficiant du statut de Dublin est considéré comme réfugié politique dans un État voisin, mais plus en France ! La question de l’harmonisation de cette liste avec l’idée d’une frontière commune et d’un droit d’asile commun n’est donc pas seulement théorique. Il est tout à fait contradictoire de disposer de deux listes et deux régimes différents.

Ainsi, soit on supprime cette liste, comme l’a proposé M. Robiliard, en considérant qu’elle n’est pas une obligation – ce qu’elle n’est d’ailleurs pas aux termes de la directive –, soit on considère qu’il s’agit d’une liste commune à tous les États européens, mais alors il faut l’établir – et, par là même, abdiquer votre pouvoir de contrôle sur l’immigration, monsieur le ministre.

M. Sergio Coronado. Il a raison !

M. Pierre Lellouche. C’est pourquoi je vous ai demandé qui décide de la composition de la liste : est-ce vous, le ministre de l’intérieur et des migrations, ou bien déléguez-vous cette tâche à une autorité « indépendante », puisque c’est ce que prévoit le texte ? Dans ce cas, vous perdez le contrôle du processus et il n’existera aucune cohérence européenne en la matière. Loin d’être légers, ces sujets sont des sujets de fond dont vous ne sauriez vous tirer par une pirouette, même élégante !

M. Sergio Coronado. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Je voudrais dissiper plusieurs confusions. La liste des pays d’origine sûrs distingue en fait entre deux procédures différentes : les demandes, qu’elles émanent de personnes venues d’un pays sûr ou non, seront toutes examinées.

M. Pierre Lellouche. Pas dans les mêmes conditions !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. En effet, l’ancienne procédure prioritaire, qui entraînait en cascade des conséquences désastreuses pour les demandeurs d’asile, est remplacée par une procédure accélérée qui n’a aucun impact sur le fond de l’entretien avec l’officier de protection. Que l’on suive une procédure accélérée parce que l’on vient d’un pays réputé sûr ou que l’on suive une procédure normale, on a droit au même entretien et à l’accompagnement par un tiers.

M. Pierre Lellouche. Les délais ne sont pas les mêmes !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Les délais d’instruction sont resserrés pour les personnes provenant d’un pays d’origine sûr, mais l’instruction du dossier et l’attention portée au demandeur restent identiques.

Quant aux personnes relevant du statut de Dublin – les « dublinés » –, leur demande ne relève pas de la compétence de la France. En conséquence, elles auront le droit de séjourner sur le territoire français jusqu’à ce qu’elles puissent être transférées dans le pays responsable du traitement de sa demande de protection.

M. Pierre Lellouche. La moitié des demandeurs arméniens se voient brutalement refuser la procédure !

(L’amendement n130 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Maud Olivier, rapporteure, pour soutenir l’amendement n279.

Mme Maud Olivier, rapporteure. Cet amendement vise à ajouter les mots « pour les hommes et pour les femmes » après le mot « uniformément » à l’alinéa 4 de l’article. Il convient en effet d’assortir la notion de pays sûr d’indicateurs et de critères relatifs à la situation des femmes dans les pays concernés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis favorable. J’en profite pour préciser qu’un pays a autrefois pu être considéré comme sûr parce qu’il était doté d’institutions – notamment policières et judiciaires – démocratiques, alors qu’il ne l’était pas pour les femmes. Je pense au Mali qui, parce que c’est une grande démocratie, a pu être considéré avant la guerre comme un pays d’origine sûr alors même que les femmes y risquaient l’excision. L’ajout proposé par cet amendement est donc tout à fait important.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sagesse.

(L’amendement n279 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon, pour soutenir l’amendement n303.

Mme Pascale Crozon. Cet amendement vise simplement à permettre au directeur général de l’office d’exercer un droit de responsabilité sur la liste des pays sûrs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Avis tout à fait défavorable. C’est au conseil d’administration de l’OFPRA qu’il appartient de fixer la liste, et certainement pas à son directeur général. On pourrait sinon le soupçonner d’inscrire des pays en masse pour accélérer les procédures. Au contraire, nous avons beaucoup œuvré pour diversifier le groupe des personnes chargées d’établir cette liste et d’en radier certains pays.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même si le directeur de l’OFPRA avait la volonté de prendre tous les pouvoirs – ce qui, fort heureusement, n’est pas le cas –, nous sommes très défavorables à cet amendement, pour les raisons que vient d’évoquer Mme la rapporteure. La définition des pays d’origine sûrs doit être établie par le conseil d’administration de l’OFPRA afin qu’aucune suspicion ne puisse peser sur le directeur, qui ne peut ainsi faire le choix de tel ou tel pays pour des raisons relevant d’autres considérations que celles qui doivent guider le statut de l’asile en France.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je sais que la procédure ne le permet pas, mais il est dommage que nous ne puissions discuter en même temps d’un amendement de M. Coronado, que nous allons examiner dans quelques instants et qui, lui aussi, s’interroge sur l’autorité à qui il revient de fixer cette liste, qu’il s’agisse de l’État ou de toute autre institution. Doit-elle être juge et partie ?

L’amendement de Mme Crozon est cohérent avec le texte dans son état actuel, mais pour ma part je suis favorable à l’amendement de M. Coronado. Lorsqu’on indique que le conseil d’administration adopte la liste sur proposition du directeur général de l’OFPRA, cela ne veut pas dire que les membres du conseil votent, le doigt sur la couture du pantalon, ce que souhaite le directeur général. Le directeur général propose, et le conseil d’administration dispose.

Au point où nous en sommes, que je ne partage pas, seul l’amendement de Mme Crozon est susceptible de donner un peu de corps au texte tel qu’il est rédigé. La solution proposée par M. Coronado a le mérite de la clarté. Il est vrai que le Conseil d’État a annulé des décisions au motif qu’elles avaient été établies à partir d’une définition peu fiable des pays sûrs. Laissons le Conseil d’État être partie prenante d’un décret qui définira la liste des pays sûrs.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. La liste des pays sûrs et la manière dont elle est établie nous amènent à nous poser un certain nombre de questions, d’ailleurs celles qu’a posées Pierre Lellouche n’ont pas obtenu de réponse. Nous avons, au groupe écologiste, déposé plusieurs amendements en vue de réactualiser le projet de loi. En commission, Mme la rapporteure s’est dite favorable à un amendement visant à ce que les commissions parlementaires puissent saisir le conseil d’administration de l’OFPRA pour lui permettre d’être plus réactif et de s’adapter aux évolutions géopolitiques et aux conflits.

Reste une question fondamentale. Si, comme vous l’indiquez, le directeur de l’OFPRA propose et le conseil d’administration dispose, l’amendement de Mme Crozon est plutôt cohérent. J’aimerais savoir, et je pose la question de façon très franche, si les représentants de l’État reçoivent des instructions. Il est vrai que pendant une grande partie des débats en commission des lois, la rapporteure a cherché à diminuer le poids du ministère de l’intérieur en ouvrant à d’autres ministères la possibilité de faire partie du conseil d’administration.

Mme la rapporteure n’a pas tout à fait tort, mais je ne suis pas tout à fait convaincu par ces stratégies qui reposent sur l’idée que le ministre de l’intérieur se situe à part des autres membres du Gouvernement. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si les représentants de l’État et ceux du ministère de l’intérieur reçoivent des instructions concernant la liste des pays sûrs. Sommes-nous certains que le ministre ne donne aucune instruction à ses représentants au sein du conseil d’administration concernant l’établissement de la liste des pays sûrs ?

M. Guy Geoffroy. Ce serait étonnant !

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. Après en avoir discuté avec M. Brice, le directeur général de l’OFPRA, je me propose de retirer cet amendement, que j’ai déposé parce qu’il me semblait important d’entendre le Gouvernement sur la question qu’il soulève. Il a pu arriver par le passé que certains pays soient inscrits sur la liste contre l’avis de l’OFPRA – je pense en particulier au Mali, pays où se pratique l’excision. J’avais interrogé à l’époque l’OFPRA et le Gouvernement : tous se renvoyaient la responsabilité de cette inscription.

Dès lors que c’est l’OFPRA et non plus l’autorité administrative qui a le pouvoir de classer et de déclasser les demandes d’asile en procédure accélérée, il me semblait légitime que l’Office soit pleinement associé à la définition de cette liste. Cela dit, compte tenu des arguments que vous avez développés, madame la rapporteure, je retire mon amendement.

M. Guy Geoffroy. C’est dommage !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai une position extrêmement claire sur cette question et je vais l’exprimer afin qu’elle figure au compte rendu des débats.

La politique de l’asile n’est pas une politique de convenance qui permettrait au Gouvernement de décider que tel ou tel pays doit être inscrit sur telle ou telle liste parce que nous avons envie de voir diminuer tel ou tel flux. Si nous agissions ainsi, nous serions très loin de ce que doit être la politique de l’asile dans sa philosophie, ses principes et les valeurs qu’elle représente.

Ce qui conduit à la détermination de la liste, et c’est la raison pour laquelle je souhaite que le conseil d’administration conserve ses capacités d’en débattre de façon plurielle, c’est la situation des pays d’origine au regard des critères qui président, à un moment donné, à l’attribution de l’asile en France.

Cette dimension collégiale de la décision par le conseil d’administration de l’OFPRA est juste parce que le conseil est la structure qui connaît parfaitement la situation de l’asile. Sa vision géopolitique planétaire, du fait du grand nombre de dossiers traités, nous garantit contre une politique discrétionnaire que pourrait mener telle ou telle administration ou tel ou tel ministre à partir de critères liés à la politique migratoire. Notre politique doit être inconditionnée dès lors que les principes qui président à l’attribution du statut de demandeur d’asile sont satisfaits.

C’est un élément auquel je tiens car il correspond à la philosophie profonde de l’asile en France : à partir du moment où les conditions sont réunies, le statut de réfugié est accordé. Je souhaite qu’il y ait un débat concernant les caractéristiques de tel ou tel pays pour décider de le placer ou non sur la liste des pays d’origine sûrs. Il est important qu’une confrontation ait lieu pour que nous soyons assurés que c’est après une délibération collective que la liste a été stabilisée, et non à la convenance, notamment, du ministre de l’intérieur.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons rien à redouter de la présence des membres du ministère de l’intérieur au conseil d’administration de l’OFPRA. Ils sont en effet habités par cet état d’esprit. Placés sous ma responsabilité, ils seraient morigénés de la même manière, comme on dit dans les pièces de Molière, s’il leur venait à l’esprit d’agir différemment. Et comme ils se trouvent devant moi, ils en sont avertis.

(L’amendement n303 est retiré.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly