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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 21 janvier 2015

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Lutte contre le terrorisme

M. Philippe Gosselin

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Lutte contre le terrorisme

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Contrôle des passagers aériens

M. Rudy Salles

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Nucléaire

M. Denis Baupin

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Lutte contre le terrorisme

M. Laurent Wauquiez

M. Manuel Valls, Premier ministre

Moyens des forces armées

Mme Marie Récalde

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

État des logements de la gendarmerie

M. François de Mazières

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Inégalités

M. Nicolas Sansu

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Emprunts toxiques

Mme Isabelle Le Callennec

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Lutte contre le terrorisme

M. Yann Galut

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Traité transatlantique

Mme Jeanine Dubié

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Chasse aux oies grises

M. Marc Laffineur

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Taxe sur les transactions financières

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Filière laitière

Mme Nicole Ameline

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Projet de loi santé

Mme Bernadette Laclais

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Suspension et reprise de la séance

2. Débat sur la fin de vie

M. Manuel Valls, Premier ministre

M. Jean Leonetti

M. Michel Piron

M. François de Rugy

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Mme Jacqueline Fraysse

M. Alain Claeys

M. Xavier Breton

Mme Véronique Massonneau

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

M. Olivier Falorni

M. Bernard Roman

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Bernard Debré

Mme Michèle Delaunay

M. Hervé Mariton

M. Philippe Gosselin

M. Jean-Louis Touraine

M. Jean-Frédéric Poisson

M. François de Mazières

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé un certain nombre de mesures nouvelles pour lutter contre le terrorisme. Nous prenons acte de ces mesures, qui sont dictées par la gravité des événements. Elles sont attendues et nécessaires.

Au reste, une partie de ces mesures avaient été proposées depuis longtemps par le groupe UMP et vous les aviez écartées voilà quelques mois. Mais c’était l’an dernier, et je me réjouis de la realpolitik d’aujourd’hui.

Cependant, je m’interroge, et nombre de mes collègues avec moi, sur leur financement à budget constant. Comment comptez-vous mettre en œuvre ces mesures ? Nous savons d’ores et déjà, par exemple, que le budget de la défense ne sera pas tenu : des hypothétiques recettes exceptionnelles, le financement des opérations extérieures, des reports de charges… Plus de 5 milliards d’euros manquent déjà au budget ! Sur quelles économies allez-vous gager ces nouvelles dépenses ? Nous ne pouvons évidemment accepter un simple système de vases communicants.

En effet, on peut se demander si les moyens que vous proposez sont à la hauteur de l’événement. D’un point de vue technique, tout d’abord, étaler sur trois ans les emplois nouveaux et les mesures budgétaires paraît inapproprié au degré de la menace, laquelle n’a jamais été aussi élevée et immédiate. Ensuite, concernant le montant, vous proposez 233 millions d’euros sur trois ans pour le ministère de l’intérieur et 181 millions d’euros pour la justice. Permettez-moi de rappeler incidemment, sans vouloir faire d’amalgame, que 179 millions d’euros ont été budgétés en 2015, sur une seule année, pour l’organisation de la conférence sur le climat.

Un projet de loi de finances rectificative s’impose, monsieur le Premier ministre. Sachez que nous soutiendrons toutes les mesures qui pourront aller dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’une plus grande fermeté dans la lutte contre le terrorisme. Mais nous serons extrêmement vigilants quant à leur traduction législative et budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, je vous remercie de votre question et du soutien que vous apportez au Gouvernement et à la demande de l’ensemble des Français pour plus de sécurité.

Je vous rappelle que la sécurité était déjà au cœur des priorités budgétaires de ce gouvernement, qui a créé des postes notamment dans la police et dans la gendarmerie – à raison de 1 000 postes supplémentaires par an – alors que, disons-le simplement, les pratiques des gouvernements précédents dans ce domaine n’étaient pas de même nature.

M. Luc Belot. Très bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous nous interrogez sur les moyens de financer, pour les années 2015 et suivantes, l’ensemble des mesures qui ont été annoncées après le conseil des ministres de ce matin. D’ailleurs, d’autres mesures sont actuellement à l’étude – nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler cet après-midi – qui concernent les moyens de nos forces militaires, tant pour leur engagement dans les opérations extérieures que pour leur participation au maintien de la sécurité dans notre pays, deux aspects que le Président de la République a soulignés dans son discours aux armées.

Pour l’année 2015, le budget a été voté par les assemblées, par le Parlement. Il sera procédé à un examen très attentif de l’ensemble des lignes budgétaires, car la solidarité que l’ensemble de notre pays a témoignée envers les forces de sécurité et les forces militaires doit aussi trouver sa traduction dans nos décisions budgétaires.

Il n’y a pas lieu, à court terme, de prévoir de loi de finances rectificative. Nous travaillons actuellement avec l’ensemble des ministres, l’ensemble du Gouvernement, et nous le ferons notamment samedi prochain, à la formalisation des décisions budgétaires, auxquelles le Parlement sera pleinement associé et dont il sera en tout état cause informé rapidement, notamment au sein de la commission des finances.

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Monsieur le président, ma question s’adresse au Premier ministre. Après les attentats qui ont endeuillé la France et le sursaut républicain et populaire qui les a suivis, le temps des décisions, en matière de politiques publiques, est venu. Notre réponse doit être globale, inscrite dans la durée et à la hauteur des enjeux auxquels nous faisons face.

Sans limiter notre réflexion à ce champ, l’objectif premier, c’est la sûreté et la sécurité. Combattre la menace terroriste, assurer la sécurité de nos concitoyens, lutter contre les phénomènes de radicalisation et démanteler les filières, telles sont les priorités.

Depuis 2012, plusieurs mesures permettant de mieux répondre à ces objectifs ont été prises, parmi lesquelles le renforcement des moyens humains et matériels des forces de sécurité et de la justice, deux lois antiterroristes dont la dernière date du 13 novembre 2014, un plan de lutte contre la radicalisation et les filières terroristes, présenté en conseil des ministres le 23 avril dernier, la réforme et la consolidation des services de renseignement, incluant notamment la création de la direction générale de la sécurité intérieure.

Au plan international, notre pays est aux avant-postes du combat contre la barbarie terroriste. Sur tous les bancs, nous saluons l’engagement et le dévouement des forces de sécurité et des fonctionnaires qui effectuent leur mission au service de la République dans un contexte particulièrement difficile. Nous saluons également la mobilisation exceptionnelle de moyens décidée par le Gouvernement, dont le déploiement de 10 500 militaires sur le territoire national dans le cadre du dispositif Vigipirate.

Mes chers collègues, à l’occasion du conseil des ministres, des mesures très fortes en matière de sécurité ont été annoncées aujourd’hui. Elles concernent tant les moyens matériels que les effectifs et représentent un effort de 736 millions sur trois ans, dont 246 millions pour 2015. Nous tenons à les saluer. Elles sont à la hauteur de l’enjeu.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous détailler devant la représentation nationale les mesures décidées ce matin et les effets que vous en attendez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la députée, vous rappelez à juste titre l’importance des mesures arrêtées par le Gouvernement et annoncées ce matin par le Premier ministre. Elles viennent en appui de ce que le Gouvernement a déjà décidé depuis 2012. Ainsi, la direction générale de la sécurité intérieure, qui, suite au rapport du député Urvoas, s’est substituée à la direction centrale du renseignement intérieur et a été rattachée directement au ministre de l’intérieur, a été confortée, avec 432 emplois supplémentaires et 12 millions d’euros destinés à améliorer ses capacités technologiques.

Le plan annoncé ce matin constitue un effort exceptionnel dans trois domaines, au premier rang desquels les moyens humains. Les administrations de l’intérieur et de la justice recevront des effectifs supplémentaires pour mieux armer leurs services devant la menace terroriste et pour renforcer les volets du renseignement et de la prévention : 500 emplois à la direction générale de la sécurité intérieure, 500 emplois au service du renseignement territorial, des emplois en nombre répartis entre les juridictions, l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.

Il convient aussi d’armer nos services juridiquement, pour leur permettre d’être plus efficaces. C’est l’objet du projet de loi sur le renseignement, qui sera élaboré conjointement avec le Parlement et devra être examiné en procédure accélérée au cours du premier trimestre 2015.

Enfin, l’organisation des services, la circulation de l’information entre eux doit être encore améliorée, notamment au ministère de l’intérieur. C’est ainsi que nous obtiendrons des analyses du risque plus fines et que la surveillance des personnes sera mieux ciblée. Des modifications seront apportées par le ministère de l’intérieur aux structures et aux méthodes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Contrôle des passagers aériens

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Rudy Salles. Monsieur le ministre de l’intérieur, à la suite des événements que notre pays a traversés il y a quelques jours, et après l’attentat de ce matin à Tel-Aviv – et je veux que nous ayons une pensée pour nos amis israéliens –, toutes les initiatives visant à renforcer la sécurité et la traçabilité des transports, notamment aériens, doivent être prises en considération.

En octobre 2006, la mise en place du Code frontières Schengen a entraîné la suppression programmée du contrôle systématique des personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes ou aéroportuaires entre les 26 États membres Schengen. Le 30 mars 2008, les contrôles aux frontières aériennes ont été levés.

Il y a deux ans, le contrôle des identités à l’embarquement des avions sur les vols intérieurs était encore systématique. Pour les compagnies aériennes, cela permettait de vérifier que le nom du passager indiqué sur la carte d’embarquement correspondait bien à son identité. Bien sûr, les contrôles de sécurité sont maintenus avec les portiques, la palpation aléatoire ainsi que le visionnage des bagages à main. Cela présente un certain nombre de garanties quant aux ports d’armes ou d’explosifs. En revanche, un passager peut acheter un billet d’avion sur internet, imprimer sa carte d’embarquement et prendre place à bord d’un avion, sans que son identité ne soit vérifiée.

Cette opportunité permet éventuellement de voyager sous le nom d’un tiers, de se déplacer rapidement sur plusieurs centaines de kilomètres, sans risque d’être suivi. Elle peut faciliter, par exemple, la fuite de certains terroristes.

Alors, ma question est une proposition, monsieur le ministre : rétablissez sans tarder la présentation d’une pièce d’identité lors des embarquements dans les avions, sur l’ensemble des vols. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je partage en tout point les préoccupations que vous venez d’exprimer et l’objectif que vous proposez d’atteindre. Je veux vous rendre compte des initiatives que nous avons prises ces dernières semaines.

Effectivement, un règlement de l’Union européenne, en application depuis 2008, a supprimé le contrôle obligatoire des documents d’identité des passagers circulant au sein de l’espace Schengen. La lutte contre le terrorisme implique que l’on soit toujours en situation de retracer les parcours des passagers. C’est parce que nous avons conscience des problèmes que pose cette disposition que nous avons saisi, notamment avec mon homologue allemand, la Commission européenne, afin qu’elle modifie ce règlement. Nous attendons également que la Commission accepte qu’il puisse être procédé à des contrôles systématiques sur un certain nombre de destinations et de provenances, de manière à garantir la sécurité que vous appelez de vos vœux. Nous sommes dans l’action, nous avons fait des propositions et le dialogue avec la Commission est fructueux : nous allons aboutir.

Par ailleurs, comme vous l’avez remarqué à la lecture des dépêches publiées ces dernières heures, les institutions européennes prennent conscience de la nécessité d’avancer vite sur le Passenger Name Record, le PNR. Je me rendrai devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures – LIBE – du Parlement européen le 4 février, afin d’ expliquer les raisons pour lesquelles nous avons besoin de cet outil et les contreparties que nous pouvons afficher en matière de protection des données. Il doit y avoir plus de sécurité sans qu’il y ait moins de liberté.

M. Pierre Lellouche. Les socialistes ont voté contre au Parlement européen !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Enfin, la ministre de l’écologie, Mme Royal, le secrétaire d’État aux transports, M. Vidalies, et moi-même finalisons un décret pour améliorer le contrôle des bagages jusqu’à l’embarquement, pour un certain nombre de passagers. Ce décret sera présenté au Conseil d’État et pris dans les meilleurs délais pour assurer la sécurité des trafics dans l’espace aérien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nucléaire

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Madame la ministre de l’écologie, vous avez déclaré la semaine passée que la France devrait programmer une nouvelle génération de réacteurs nucléaires.

M. Jacques Myard et M. Bernard Accoyer. Bravo !

M. Denis Baupin. Au moment où la filière nucléaire française accumule échecs industriels et faillites financières, je ne vous cache pas que cette déclaration nous a laissés pour le moins dubitatifs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Certes, vous avez cassé un tabou en relevant que tous les vieux réacteurs ne seront pas prolongés, …

M. Julien Aubert. Votre mandat non plus !

M. Denis Baupin. …ce que le président de l’Autorité de sûreté a d’ailleurs confirmé hier.

Par ailleurs, en évoquant une génération nouvelle de réacteurs, vous tirez la conclusion logique du fiasco de l’EPR. Au vu de la multiplication par trois des budgets et des retards gigantesques accumulés, cet enterrement est une décision de bon sens.

Nos voisins britanniques s’interrogent, eux aussi, sur la pertinence du projet EPR d’Hinkley Point, tellement coûteux que l’électricité y serait 30 % à 50 % plus chère que l’éolien terrestre.

Dans ces conditions, madame la ministre, puisque le nucléaire neuf n’est pas compétitif, ne serait-il pas temps d’ouvrir un grand débat sur la meilleure façon de remplacer le vieux nucléaire ?

En 2014, deux tiers des installations nouvelles de production d’énergie dans le monde étaient renouvelables et la part du nucléaire dans le mix électrique mondial ne cesse de chuter. Au moment où le monde entier se tourne vers l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, notre pays a-t-il éternellement vocation à s’isoler ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Au moins la réponse est-elle claire de ce côté de l’hémicycle !

Nous n’avons pas le droit de nous tromper une nouvelle fois en nous entêtant à produire des minitels quand le monde passe à internet ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Avant toute décision, donnons la parole aux Français. Pour remplacer le vieux nucléaire, veulent-ils une technologie coûteuse, dangereuse et qui représente une impasse industrielle ? Ou préfèrent-ils les filières d’avenir qui permettront de relancer la compétitivité et de créer les emplois d’aujourd’hui et de demain ? Ce choix est crucial pour notre pays et pour notre industrie.

M. Bernard Accoyer. Scandaleux !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, le débat que vous demandez s’est tenu à l’occasion de l’examen de la loi de transition énergétique qui a permis de poser très clairement l’idée selon laquelle nous ne devions pas, en France, opposer les énergies les unes aux autres.

M. Guy Geoffroy et M. Bernard Accoyer. Très bien !

Mme Ségolène Royal, ministre. C’est ce que nous avons fait avec ce texte qui a été adopté à l’Assemblée nationale, auquel vous avez d’ailleurs contribué, et qui a mis en valeur deux points sur lesquels je voudrais insister. Nous devons, tout d’abord, rééquilibrer notre modèle énergétique. C’est ce que nous faisons puisque la loi prévoit de réduire la part du nucléaire dans la consommation finale d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 contre 75 % aujourd’hui. Nous devrons dès lors faire un effort considérable pour que les énergies renouvelables montent en puissance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Frédéric Reiss. C’est de la folie !

M. le président. Calmez-vous, économisez votre énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre. Nous devrons ensuite assurer la sécurité et l’indépendance énergétique de notre pays. C’est vrai, certains pays amis et voisins ont renoncé au nucléaire, comme l’Allemagne et l’Italie.

M. Bernard Accoyer. Pour des raisons politiques et ils polluent davantage !

Mme Ségolène Royal, ministre. Force est de constater cependant que l’un d’eux a rouvert des mines de charbon,…

M. Marc Dolez. C’est vrai !

Mme Ségolène Royal, ministre. …ce qui n’est sans doute pas le modèle énergétique que vous souhaitez. Ils achètent de surcroît en France de l’électricité d’origine nucléaire puisque nous vendons 15 % de notre production. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Voilà la réalité.

Nous devons anticiper dans tous ces domaines y compris en matière nucléaire puisqu’en 2025 l’âge moyen de nos réacteurs nucléaires sera de quarante ans et ils ne pourront être prolongés qu’avec l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire. C’est pourquoi nos entreprises EDF, AREVA et le CEA investissent dans l’innovation et la technologie des nouveaux réacteurs qui tiendront compte du retour d’expérience des troisième et quatrième générations. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP, applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Pierre Lellouche. Encore des réacteurs, madame la ministre !

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez.

M. Laurent Wauquiez. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

L’unité nationale face au terrorisme islamique est nécessaire, et l’UMP y tient toute sa place. Cette période suppose que chacun pèse ses mots car les mots ont leur importance. Vous avez parlé hier, monsieur le Premier ministre, d’un apartheid dont seraient victimes les quartiers en France.

Mme Valérie Boyer. Scandaleux !

M. Laurent Wauquiez. Un apartheid ! C’est-à-dire le racisme d’État, la ségrégation des populations noires par la population blanche en Afrique du Sud. Nous serions donc responsables. La France serait-elle raciste selon vous ? Monsieur le Premier ministre, la France n’est pas Soweto, la France n’est pas l’apartheid. En disant cela vous affaiblissez nos valeurs alors qu’il faut les défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Il faudrait, selon vous, encore plus de moyens dans les quartiers pour faire reculer l’intégrisme et le terrorisme. C’est une profonde erreur. Vous pourrez mettre des milliards d’euros, que vous ne changerez rien, si vous ne commencez pas par rétablir l’autorité républicaine. En disant cela, vous expliquez l’inexplicable. C’est cette culture de l’excuse qui conduit à cautionner la violence. Les jeunes seraient victimes de la France et il serait donc normal qu’ils se retournent contre la République ? Non ! Bien sûr, il y a des difficultés mais rien n’excuse l’intégrisme islamique et la priorité n’est pas de donner davantage de moyens ou de prendre de nouvelles mesures sociales, mais de remettre de l’autorité et de sortir du laxisme qui a régné depuis trop d’années. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous dites qu’il ne faut plus parler d’intégration et d’assimilation. Nous pensons au contraire qu’il faut réaffirmer l’autorité du pacte républicain. Toutes les personnes, quelle que soit leur origine, doivent respecter les règles communes et s’intégrer. La France n’est pas et ne sera jamais le communautarisme. Nous tenons à l’intégration, nous tenons à l’assimilation.

Il faut des actes. Vos propos ne sont pas compatibles avec l’unité nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) La République n’a pas à s’excuser. La réponse attendue est une réponse d’autorité et de fermeté pour réaffirmer les valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. La question s’adressant très clairement à moi, je vais y répondre bien volontiers. Je l’ai déjà dit, l’unité nationale ne doit pas empêcher le débat et il est normal que vous me posiez toutes les questions nécessaires pour que nous cherchions des solutions, avec modestie toutefois car nous sommes face à des défis considérables. C’est tout simplement ce que j’ai voulu dire.

Je le dis modestement, avec mon expérience, non pas de Premier ministre ou de ministre de l’intérieur, mais d’élu de la banlieue parisienne, de maire d’Évry pendant onze ans : les mots que j’ai utilisés hier, en parlant de processus de ségrégation, de ghettoïsation, d’apartheid territorial, social, ethnique, pour un certain nombre de quartiers, je les ai toujours employés car, comme d’autres, ici, sur tous les bancs, j’ai vécu directement les situations qu’ils désignent. Je les utilise justement parce que je suis profondément républicain, comme vous tous, (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et UDI) et parce que la réponse réside dans l’État, l’ordre républicain, la République. Tout comme vous, monsieur Wauquiez, je ne peux accepter que dans un certain nombre de quartiers de ce pays que j’aime comme vous, l’on entasse les mêmes populations avec les mêmes origines et aujourd’hui la même religion. Ce n’est pas cela, la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Moi, je veux une réponse et je veux que cette réponse soit apportée par l’État, l’ordre républicain, que je défends comme beaucoup ici depuis des années. Cette réponse est aussi celle des moyens car ils sont nécessaires. Nous avons commencé à en donner les premiers éléments la semaine dernière mais plus particulièrement ce matin, après les mesures que nous avons présentées en conseil des ministres, car on lutte contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical en donnant encore plus de moyens à la police, à la gendarmerie et aux renseignements. Nous le faisons depuis deux ans et nous allons continuer parce que cette priorité nous unit tous.

M. Christian Jacob. Non ! Ce n’est pas ce que vous faites depuis deux ans !

Mme Claude Greff. Et pourquoi parler d’apartheid ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’autre réponse est bien plus compliquée. C’est la réponse républicaine. Beaucoup a été fait depuis des années, en particulier au niveau de la politique de la ville dont le président de l’Assemblée nationale a été un maillon important. Il y a encore quelques semaines, nous avons célébré avec Jean-Louis Borloo le dixième anniversaire de l’Agence nationale de rénovation urbaine. Pas moins de 5 milliards ont encore été annoncés.

Mme Claude Greff. La rénovation urbaine, c’est nous, pas vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Depuis trente ans, la politique de la ville, la rénovation urbaine, les moyens accordés sont accompagnés de politiques publiques qui sont similaires.

M. Franck Gilard. Ça ne marche pas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Reconnaissons cette forme de continuité mais aussi les échecs.

N’oublions pas qu’avant ces terribles événements se posaient déjà la question des fractures territoriales – qui ne concerne pas, d’ailleurs, les seuls territoires urbains –, celle d’un sentiment de relégation plus général,…

M. François Sauvadet. Ça, c’est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …une crise d’identité, une crise de confiance à l’égard des responsables publics mais aussi des élites. Toutes ces données demeurent et se trouvent même accentuées malgré la formidable réponse du peuple français.

M. Sylvain Berrios. C’est vous qui avez créé les ghettos !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Face à cela, je veux qu’on dise clairement les choses. Les solutions pourront parfois nous séparer mais ne nous livrons pas à de faux débats, monsieur Wauquiez. La République, l’ordre républicain, l’État, les services publics, la lutte contre les inégalités, les moyens que nous donnons, et qu’il faudra amplifier, à l’école de la République pour recréer une espérance : voilà ce que je veux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur Wauquiez, vous ne me trouverez pas, ni sur le terrain de la polémique, ni sur celui des faux débats car le moment est trop important pour rompre l’unité nationale que je veux porter et incarner. Elle est en effet plus que jamais nécessaire. C’est ce que les Français attendent de nous et nous devons nous mettre au niveau de leurs exigences. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Moyens des forces armées

M. le président. La parole est à Mme Marie Récalde, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie Récalde. Monsieur le ministre de la défense, à la suite des événements tragiques qui ont endeuillé notre pays en ce début d’année, je tiens d’emblée à rendre à mon tour un hommage appuyé à nos forces de sécurité et à saluer leur professionnalisme sans faille en ce moment de crise extrême. Je tiens également à saluer l’importante contribution que nos forces armées ont apportée sans délai aux forces de sécurité publique afin de garantir la sécurité de nos concitoyens.

Lors de ses vœux aux armées, le 14 janvier dernier, le Président de la République a annoncé un ralentissement du rythme de réduction des effectifs du ministère de la défense afin de donner aux armées les moyens humains nécessaires pour lutter contre la menace terroriste sur le territoire national.

Actuellement, 19 000 hommes au total qui sont engagés sur le territoire français et dans les opérations militaires extérieures. La décision de notre chef des armées d’engager nos forces au Sahel et, désormais, en Irak, dans la lutte contre le terrorisme était une décision courageuse et ô combien nécessaire, non seulement pour la sécurité de ces régions et de leurs populations, mais aussi pour la nôtre. Aujourd’hui, nous le mesurons avec davantage encore de gravité.

Monsieur le ministre, sans remettre en cause la loi de programmation militaire dont une mise à jour est d’ores et déjà prévue avant la fin de l’année, comment comptez-vous renforcer nos capacités de protection du territoire national, ainsi que nos capacités de renseignement et de lutte contre les cyberattaques ? Pouvez-vous nous indiquer quelles décisions, notamment budgétaires, ont été arrêtées ce matin lors du conseil de défense qui s’est tenu autour du Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Je vous remercie, madame la députée, d’avoir souligné la contribution importante que les forces armées ont apportée en appui aux forces de sécurité, de police et de gendarmerie au cours des événements tragiques que nous venons de vivre. Il s’agit d’une mobilisation exceptionnelle de plus de 10 000 hommes réunis en moins de trois jours : c’est remarquable. En ce moment même, ils contribuent à préserver la sécurité de nos concitoyens, et je tiens à les saluer avec le plus grand respect. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Vous l’avez rappelé, madame la députée, le Président de la République m’a demandé de lui présenter des propositions concernant l’étalement de la déflation des effectifs du ministère de la défense prévue dans la loi de programmation militaire. Ce matin, il a présidé un conseil de défense au cours duquel il a d’abord décidé que l’actualisation de la loi de programmation militaire qui, aux termes de l’article 6 de ladite loi, devait avoir lieu en fin d’année, aurait lieu dès le printemps, afin que le Parlement, en particulier la commission de la défense, puisse s’en saisir et y collabore, et que le texte soit examiné en séance publique avant l’été. Nous pourrons ainsi réexaminer l’état des menaces et les nouvelles capacités à déployer.

D’autre part, suite à un travail mené par le chef d’état-major des armées et mes principaux collaborateurs, le Président de la République a retenu la proposition qui lui a été faite non seulement d’étaler, mais aussi d’alléger la réduction des effectifs militaires prévue dans la loi de programmation. Cet allégement concernera 7 500 postes à partir de maintenant, dont 1 500 postes préservés en 2015 par rapport à la réduction prévue.

Ces effectifs maintenus permettront de renforcer la protection intérieure, le renseignement et la cybersécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

État des logements de la gendarmerie

M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. François de Mazières. Monsieur le Premier ministre, nous avons rendu un hommage unanime aux forces de police et aux forces de gendarmerie et, avec M. le ministre de l’intérieur, vous avez vous-même témoigné, la semaine dernière, de cette solidarité nationale.

Sans doute est-il désormais temps de la traduire dans les faits. Vous connaissez bien le plateau de Satory, monsieur le Premier ministre : il s’agit de la plus grande concentration de gendarmeries de France. Six escadrons mobiles y sont stationnés, ainsi que le très célèbre GIGN qui a une nouvelle fois été remarquable ces jours derniers.

Or, vous savez que les conditions matérielles de vie des gendarmes sur le plateau de Satory ne sont pas satisfaisantes. Leurs logements sont parfois indignes. Il ne le disent pas, car ils ont la pudeur de vous demander avant tout des crédits servant au fonctionnement de leurs unités, mais leurs logements méritent d’être aménagés !

En répondant à l’instant à notre collègue Laurent Wauquiez, vous avez évoqué les crédits de l’ANRU. Ne pensez-vous que l’on pourrait, dans un geste de solidarité nationale que nous saurons tous ici approuver, divertir une partie de ces crédits pour que sur ce plateau comme dans d’autres campements militaires, les logements retrouvent quelque dignité ? Vous devriez examiner cette proposition ; nous attendons une réponse positive de votre part ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je tiens, monsieur le député, à vous apporter sur-le-champ la réponse positive que vous attendez légitimement, compte tenu des efforts consentis par les gendarmes et par les policiers ces dernières semaines (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Commençons par quelques chiffres car, sur de tels sujets, la précision est de rigueur. Le parc immobilier de la gendarmerie comporte près de quatre mille casernes, dont quelque six cents sont domaniales – soit plus de 31 000 logements de gendarmes. Il s’agit donc d’un sujet considérable.

Entre 2008 et 2012, les crédits alloués aux logements des gendarmes ont diminué de 17 % environ. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sylvain Berrios. C’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a confirmé il y a peu un arbitrage qu’il avait proposé lorsqu’il était ministre de l’intérieur en vue d’augmenter de 22 % les autorisations d’engagement et de 9 % les crédits de paiement, ce qui se traduit en 2015 – cela ne manquera pas de vous rassurer tout à fait, monsieur le député – par une enveloppe de 79 millions d’euros allouée au renouvellement des logements des gendarmes, dont 70 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation très significative.

D’autre part, puisque nous considérons qu’il nous faut aussi nous mobiliser sur d’autres sujets en faveur de la gendarmerie, nous avons décidé d’augmenter de 40 millions d’euros par an les crédits alloués au renouvellement du parc de véhicules de la police et de la gendarmerie, ce qui permettra de financer deux mille véhicules neufs par an. En matière de logement comme en matière de véhicules, les attentes que la gendarmerie exprime depuis longtemps seront donc satisfaites.

Enfin, pour assurer la modernisation de nos forces, nous avons décidé d’allouer 108 millions d’euros sur les trois prochaines années à l’équipement numérique et à la modernisation de la police et de la gendarmerie dans le cadre du plan 3.0.

Tous ces crédits seront abondés de manière significative, conformément aux décisions prises ce matin et annoncées par le Premier ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Inégalités

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le Premier ministre, les tragiques attentats de ce début d’année et la mobilisation citoyenne qu’ils ont entraînée exigent que nous fassions vivre nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.

Ces valeurs universelles sont la grandeur de la France, à un moment où les tensions se nourrissent du culte de la concurrence, de la compétitivité et de la guerre économique – préludes à la guerre tout court…

Dans ce contexte, un rapport de l’ONG Oxfam confirme ce que chacun ressent, à savoir l’aggravation sans précédent des inégalités. En 2016, les 1 % les plus riches de la planète posséderont le même patrimoine que les 99 % restants. Déjà, les 85 personnes les plus fortunées possèdent autant que les 3,5 milliards de personnes les plus pauvres. Enfin, l’Organisation internationale du travail prédit 10 millions de chômeurs en plus dans le monde dans les cinq années à venir.

Ces inégalités indécentes ont leur source dans ce que le capitalisme financier a de plus destructeur : l’exploitation des femmes et des hommes et l’épuisement des ressources naturelles.

Ces inégalités croissent également en Europe sous l’effet des politiques récessives qui oublient les valeurs d’égalité et de fraternité. Elles entraînent la relégation de territoires entiers et le déclassement de nombre de nos concitoyens, trop jeunes, trop vieux ou victimes de discriminations.

Si nous voulons que le bonheur redevienne une idée neuve en Europe, nous devons, plutôt que de proposer à nos jeunes de devenir milliardaires en écrasant la majorité des autres, refonder le pacte républicain autour de ce qui nous rassemble et ce qui fait l’identité de la gauche, à savoir la solidarité et la justice sociale.

En effet, comme le disait Condorcet, « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle ».

Monsieur le Premier ministre, alors qu’aux États-Unis Barack Obama annonce des mesures majeures de justice fiscale destinées à collecter, en dix ans, 320 milliards de dollars auprès des plus hauts revenus et des établissements financiers, quelles initiatives comptez-vous prendre pour promouvoir une répartition plus juste des richesses dans notre pays et dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le député, votre question évoque le rapport de l’ONG Oxfam portant sur l’accroissement des écarts entre les riches et les pauvres. Cette étude, sachez-le, est basée sur des données d’une banque, le Crédit Suisse, qui publie un rapport annuel sur la richesse mondiale.

Le Gouvernement est totalement engagé dans la lutte contre les inégalités.

Vous le savez, les inégalités ne sont pas une fatalité. Nous pouvons les combattre par des choix politiques et c’est ce que nous faisons, chacun et chacune d’entre nous, au quotidien.

En France, le taux de pauvreté est trop élevé, chacun le reconnaît, mais il n’augmente pas, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays.

M. Nicolas Sansu. Si !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Car reconnaissez-le, monsieur le député, notre système de solidarité permet de protéger le plus grand nombre contre les situations de dénuement extrême.

M. Yves Censi. C’est notre pays qui est dans le dénuement !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Tous les jours et dans tous les ministères, nous luttons contre la pauvreté. Quand nous augmentons le RSA de 2 % chaque année, quand nous augmentons le nombre des bénéficiaires de la CMU et de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, quand nous augmentons l’allocation de rentrée scolaire, quand nous augmentons le complément familial,…

M. Christian Jacob. Et le quotient familial ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. …quand nous augmentons l’allocation de soutien familial, quand nous voulons instaurer le tiers payant généralisé, oui, nous luttons contre la pauvreté !

Quand nous concentrons tous les moyens à l’école de la République, nous luttons contre la pauvreté ! Quand nous transformons le RSA activité en prime d’activité pour le rendre plus simple et plus accessible, nous luttons contre la pauvreté !

M. Camille de Rocca Serra. Tout va très bien, madame la marquise !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Nous entrerons très prochainement dans la deuxième phase du plan de lutte contre la pauvreté et, je peux vous l’assurer, nous annoncerons de nouvelles mesures dans tous les domaines, car au Gouvernement c’est tous les jours que nous combattons les inégalités, avec un objectif clair : que la pauvreté ne soit plus héréditaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Emprunts toxiques

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Isabelle Le Callennec. Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics. Elle n’est pas polémique (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), mais appelle juste une réponse concrète, une réponse qui intéresse la ministre en charge des collectivités locales puisqu’elle concerne les communes – plus de mille – de droite comme de gauche, qui ont souscrit des emprunts dits toxiques.

Depuis jeudi, la situation financière de ces communes s’est dangereusement aggravée suite à la décision de la Banque nationale suisse d’abandonner le taux plancher de conversion de sa monnaie. Les maires de ces communes se retrouvent de fait dans l’incapacité totale de faire face aux intérêts de leur dette et de construire un budget crédible.

Si certains d’entre eux paient leur imprudence, d’autres paient celle de leurs prédécesseurs, qui s’étaient bien gardés de dire la vérité à leurs concitoyens avant les élections municipales.

Je pourrais citer plusieurs exemples, dont celui de notre collègue Sylvain Berrios, député-maire de Saint-Maur-des-Fossés, mais, pardonnez-moi, j’en choisirai un au hasard, celui de Bruz, commune de 18 000 habitants située dans le département de l’Ille-et-Vilaine, qui a vu le taux d’intérêt de son prêt de 4 millions, contracté en partie en francs suisses, bondir en quelques jours de 15 à 27 % ! Résultat, un million d’euros de frais financiers à rembourser et une indemnité de sortie de ce prêt littéralement asphyxiante puisqu’elle est comprise entre 11 et 15 millions d’euros.

Un fonds de soutien de 1,5 milliard d’euros a été dégagé en faveur des collectivités concernées. Avant même d’être consommé, il n’est déjà plus à la hauteur des sommes colossales en jeu suite à l’envolée du franc suisse.

Les collectivités ont jusqu’au 30 avril pour émarger à ce fonds. Vous avez annoncé, monsieur le ministre, une concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Ma question est donc simple : quand comptez-vous les réunir, que comptez-vous précisément leur proposer et quel calendrier avez-vous retenu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Jacques Myard. Ou de ce qu’il en reste !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la députée, ma réponse ne sera pas plus polémique que votre question.

Cette question est légitime. Elle concerne près d’un millier de collectivités et plusieurs dizaines d’hôpitaux qui ont, eux aussi, souscrits ou se sont vu « fourguer » – pardonnez-moi cette expression familière – des emprunts dits toxiques.

M. Jean-Marc Germain. Tout à fait !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Il est difficile de faire la part des choses entre ceux qui l’ont fait en responsabilité et en connaissance de cause et ceux qui ont été abusés, essentiellement par un organisme bancaire, la banque Dexia.

Les emprunts toxiques ont été logés, à l’initiative de gouvernements précédents, dans une structure, la SFIL, Société de financement local, qui dispose de la garantie de l’État.

Je ne suis pas certain qu’un autre gouvernement aurait choisi une solution différente, c’est pourquoi ma réponse ne sera pas polémique. Le Gouvernement a mis en place un fonds de soutien de 1,5 milliard sur dix ans, alimenté à parité par l’État et l’ensemble des organismes bancaires. Pourquoi ? Parce que certains ont mis en cause la responsabilité de l’État qui, en tant qu’organisme de contrôle des collectivités, aurait manqué de vigilance dans l’exercice de ce contrôle.

M. Pierre Lellouche et M. Étienne Blanc. C’est vrai !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le Gouvernement a naturellement observé les évolutions que vous avez signalées. Nous avons besoin d’évaluer l’ampleur des effets de cette brutale envolée du franc suisse, qui pourraient atteindre plusieurs milliards d’euros. Dans les tous prochains jours, nous réunirons l’ensemble des parties prenantes. Nous avons déjà commencé à travailler en ce sens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Yann Galut, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yann Galut. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Il y a très exactement quinze jours, notre pays a été plongé dans l’horreur et la stupéfaction par les attaques terroristes dont il a été victime face auxquelles notre République a su relever la tête et le Président de la République comme le Gouvernement répondre immédiatement à la menace. La mobilisation historique qui a suivi les actes terroristes montre que nos concitoyens veulent réaffirmer nos valeurs. Le Président de la République, le Premier ministre et vous-même avez dès les premiers jours annoncé des mesures extrêmement fortes sur le plan humain comme sur le plan des moyens. Le terrorisme pose à notre pays un défi opérationnel considérable face auquel nous devons renforcer les nouvelles dimensions de notre organisation de sécurité.

Le Premier ministre a présenté ce matin un plan d’ensemble détaillant les mesures visant à traiter la situation. Nous examinerons très prochainement, début mars, un projet de loi relatif au renseignement qui adaptera le cadre légal de l’action des services et améliorera la prise en compte de l’émergence d’internet. Le texte devra conjuguer le renforcement des moyens des services et la protection des libertés publiques avec un contrôle indépendant. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, il faut surveiller 3 000 personnes. La loi permettra de remplir cette mission dans les meilleures conditions. Par ailleurs, le Gouvernement propose un dispositif de lutte contre la radicalisation et l’endoctrinement qui se déploiera dans les territoires par le biais de la protection judiciaire de la jeunesse, en prison et bien évidemment sur Internet. Le forum international de la cybersécurité s’est ouvert hier à Lille et nous mesurons pleinement la nécessité d’intensifier nos efforts en la matière. Pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser les modalités pratiques de mise en œuvre des mesures annoncées par le Gouvernement ?

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Nous sommes, il est vrai, confrontés à un nouveau défi, celui du rôle des moyens numériques dans les actions terroristes et dans l’engagement de ressortissants vulnérables consultant des sites et des blogs appelant et provoquant au terrorisme. En effet, 90 % de ceux qui s’engagent dans des opérations terroristes le font après avoir consulté des sites sur internet. On trouve également sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux, un grand nombre de propos racistes et antisémites tenus hors de toute régulation, ce qui crée un contexte et un climat de haine susceptibles d’inciter un certain nombre de ressortissants à s’autoradicaliser et commettre des actes. Après la tragédie des 7, 8 et 9 janvier, nous avons dénombré sur la plateforme Pharos 1 300 cyberattaques émanant de groupes terroristes et 25 000 signalements de personnes dont le comportement et les propos appellent au terrorisme.

Des moyens puissants sont donc nécessaires, dont d’abord l’application de la loi du 13 novembre 2014 prévoyant le blocage administratif et le déréférencement des sites. Nous avons travaillé avec la Commission européenne afin que tous les textes d’application soient publiés au 1er février prochain. Deuxièmement, le plan annoncé prévoit le renforcement des moyens de la direction centrale de la police judiciaire et en son sein de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité par des emplois destinés à conforter la plateforme Pharos et l’ensemble des moyens technologiques dont nous avons besoin pour l’intervention par pseudonyme de nos services, les cyberpatrouilles et les perquisitions à distance dans les ordinateurs. En outre, un véritable travail reste à mener pour préparer et peaufiner la loi sur le renseignement qui doit être examinée en urgence au cours des prochaines semaines. Enfin, nous devons travailler avec les opérateurs internet, dans le cadre des institutions européennes, afin d’aboutir rapidement à un résultat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Traité transatlantique

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que le projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Europe et les États-Unis ou TTIP suscite parmi nos concitoyens de nombreuses inquiétudes et de nombreuses interrogations en raison de l’opacité des négociations. Si l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule que la politique commerciale est une compétence exclusive de l’Union européenne, il ne nous en semble pas moins indispensable d’associer davantage les représentants de la nation au processus de négociation.

Il semble désormais acquis que le projet de traité relève de compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres et devra donc recueillir l’assentiment de l’ensemble des parlements nationaux. Nous aimerions donc en savoir plus sur le calendrier et les modalités de ratification du partenariat. Des négociations réussies sont des négociations faisant l’objet de communications régulières afin de garantir la meilleure information des citoyens. Ma question est donc simple. Pouvez-vous dire, monsieur le ministre, si le projet de traité devra obtenir l’accord de tous les Parlements nationaux pour être adopté et quand le Parlement français sera sollicité ? Par ailleurs, un comité stratégique de suivi consacré aux négociations, rassemblant des parlementaires et des représentants de la société civile a été institué. Quelles sont sa feuille de route et sa marge de manœuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Mme Laurence Abeille. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Merci de votre question qui constitue une occasion de faire le point, madame la députée, Mathias Fekl, que j’ai chargé de suivre le dossier, n’étant malheureusement pas là.

Sur le fond, les États-Unis sont l’un de nos principaux partenaires. Si nous pouvons exporter davantage en direction des États-Unis et élaborer des règlements communs, à condition qu’il n’en résulte pas un amoindrissement de nos protections, c’est une bonne chose, mais il faut juger sur pièces. Vous vous interrogez sur le contrôle du processus. Une consultation publique sur les mécanismes d’arbitrage entre États et investisseurs a été lancée par la Commission européenne qui vient d’en publier les résultats la semaine dernière, peut-être en avez-vous pris connaissance.

Par ailleurs, M. Fekl a en effet mis en place à ma demande un comité de suivi stratégique rassemblant des représentants de la société civile et des élus. Il a déjà été réuni à plusieurs reprises et M. le secrétaire d’État est à votre disposition pour le réunir à nouveau. Quant à la date, je ne peux par définition dire quand la négociation sera bouclée mais je peux confirmer, car tel est le sens de votre question, que nous jugerons bien sûr les résultats sur pièces et que vous aurez le dernier mot, mesdames et messieurs les députés, car l’accord, je vous le confirme, sera soumis à la ratification du Parlement français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RRDP.)

Chasse aux oies grises

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Marc Laffineur. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Madame la ministre, les chasseurs de gibier d’eau ont le sentiment d’être encore une fois les victimes d’un accord entre le Parti socialiste et les écologistes. Le 16 janvier dernier, vous avez adressé un courrier au président de la Fédération nationale des chasseurs afin de lui notifier votre refus de reporter la date de clôture pour la chasse aux oies grises.

Les chasseurs sont des passionnés responsables, de véritables écologistes et des défenseurs engagés de l’environnement. Comme vous le savez, cet engagement des chasseurs contribue significativement à la préservation des espèces et de leur développement. C’est d’ailleurs grâce au plan de chasse que le nombre de cervidés est en augmentation constante depuis vingt ans.

Aussi, votre décision de leur interdire de pratiquer leur passion dans le respect du monde cynégétique apparaît incompréhensible, quand on sait que 150 000 de ces oies qui migrent vers les Pays-Bas seront gazées au printemps, pour un coût de 22 millions d’euros, avec des subventions de l’Union européenne et en pleine période de nidification, dans le but de protéger les cultures agricoles et d’assurer la sécurité du trafic aérien.

M. Patrick Ollier. Scandaleux !

M. Marc Laffineur. Les députés du groupe UMP vous ont adressé hier un courrier pour vous poser, au nom des chasseurs, une question très simple : allez-vous signer la dérogation pour autoriser que la chasse aux oies soit prolongée jusqu’à la fin du mois de février ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, je commencerai par un rappel de droit, avant de faire une proposition pour essayer d’avancer et pour répondre à la passion des chasseurs que vous évoquez.

Je rappelle que chaque fois que des arrêtés de dérogation et de prolongation ont été pris, ils ont été annulés par le Conseil d’État. Je ne reprendrai donc pas cet arrêté de dérogation…

M. Denis Baupin. Très bien !

Mme Ségolène Royal, ministre. …car je ne suis pas pour l’hypocrisie. Je pourrais en effet très bien le prendre pour faire plaisir aux chasseurs et attendre que le Conseil d’État l’annule.

En revanche, vous avez soulevé un point important. Il existe des incohérences entre les différents pays : si la France arrête la chasse aux oies cendrées au 31 janvier, ailleurs, dans d’autres pays où cette espèce prolifère, comme aux Pays-Bas, on assiste à des destructions massives, puisque la chasse y est également interdite. Nous devons donc progresser dans la réflexion sur la cohérence entre les réglementations d’un pays à l’autre. Une réunion aura lieu avec les chasseurs et les associations de protection de la nature le 27 janvier prochain ; j’espère qu’elle nous permettra d’avancer.

Par ailleurs, la Commission européenne autorise une flexibilité des dates de chasse pour les espèces en voie d’extension. Je l’ai donc interrogée pour savoir si cette dérogation pourrait s’appliquer aux oies cendrées, compte tenu de la réalité de cette ressource. J’aurai la réponse très prochainement, et je la communiquerai aux fédérations de chasseurs et aux associations de protection de la nature, afin que nous puissions prendre des décisions cohérentes, de bon sens, respectueuses de la nature et respectueuses de la passion des chasseurs.

Taxe sur les transactions financières

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Régulièrement, et plus encore depuis 2008, des stratégies de profits financiers à court terme ont plongé nos sociétés et nos États dans une crise profonde. Par ailleurs, la menace de déflation, renforcée par la baisse du prix du pétrole, est encore présente sur notre continent.

Mais il semble qu’aujourd’hui, certaines des idées et mesures politiques défendues par la France puissent se concrétiser en Europe. Il y avait déjà le plan d’investissements européens décidé fin 2014 ; il y aura, demain, la taxe sur les transactions financières et le rachat de titres souverains.

Car c’est la France, avec son président, François Hollande, qui a permis de rassembler onze pays de l’Union européenne dans une coopération renforcée pour lancer la création d’une taxe sur les transactions financières.

Je suis convaincue, comme je l’exprimais avec 140 parlementaires dans une lettre adressée au Premier ministre fin décembre, qu’il faut se doter de cet outil adapté pour réguler les crises financières, assurer plus de transparence dans le secteur, participer au redressement des comptes publics et permettre des investissements utiles à la solidarité internationale. C’est pourquoi cette taxe doit s’appliquer à tous les produits de la finance, comme l’a rappelé François Hollande le 5 janvier dernier, confirmant ainsi son engagement de campagne.

Par ailleurs, autre idée soutenue par la France, la Banque centrale européenne s’apprête à procéder au rachat de titres souverains. L’objectif est ici double : éviter la déflation et faire baisser l’euro.

Il semble donc bien que l’Europe accepte enfin d’assumer un sens politique à sa construction, pour libérer les États membres de la gestion à court terme des marchés financiers et leur permettre de s’inventer un avenir.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser les prochaines étapes de ce changement, que nous appelions de nos vœux comme autant de signes de la réorientation de la construction européenne ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Mesdames et messieurs les députés, madame la députée Clergeau, nous avons aujourd’hui deux priorités en Europe. La première est de retrouver plus de croissance pour plus d’emplois. Il faut donc, nous le demandons depuis de nombreux mois, réorienter certaines politiques européennes, afin que la nécessaire diminution des déficits budgétaires ne pèse pas trop sur la croissance. Certains pays, comme le nôtre, doivent continuer à faire des efforts, d’autres, comme par exemple l’Allemagne, ont des capacités pour investir.

Nous devons aussi saluer, soutenir et encourager la Banque centrale européenne, qui prend, a pris et va prendre des décisions extrêmement favorables à la croissance et à l’emploi, avec des taux bas et une valeur de l’euro beaucoup plus conforme à la réalité par rapport à une monnaie comme le dollar.

Mais nous ne devons jamais oublier que si la crise de 2008-2009 a fait des dégâts qu’il faut réparer – faible croissance, trop fort chômage –, elle avait aussi des causes. Et parmi ces causes, il y a cette finance, qui calculait uniquement des gains de court terme, en prenant des risques considérables, supportés ensuite par l’ensemble des populations, et des populations les plus vulnérables.

M. François Rochebloine. C’est facile !

M. Michel Sapin, ministre. Parmi les outils nécessaires pour assurer davantage de régulation, il y a la taxe sur les transactions financières.

M. François Rochebloine. Donneur de leçons !

M. Michel Sapin, ministre. C’est, à l’origine, une proposition française, une proposition du Président de la République. Pendant des mois et des mois, nous avons, mon prédécesseur et moi-même, cherché à négocier. D’une certaine manière, nous n’avons pas réussi, parce que nos partenaires n’ont pas voulu nous accompagner.

Nous prenons donc une nouvelle initiative, qui est une initiative franco-autrichienne : nous avons, mon collègue autrichien et moi-même, adressé une lettre à nos partenaires. Dès lundi ou mardi prochain, nous allons donc y travailler avec nos collègues des finances.

M. Yves Censi. Nous voici rassurés !

M. Michel Sapin, ministre. Il faut une base large, et sans doute un taux faible. Mais engageons-nous enfin, et que cette belle idée devienne réalité !

Filière laitière

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Nicole Ameline. Mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, nous le savons tous : le moment est important pour la France. Le défi premier est bien de renforcer notre défense collective contre la menace terroriste. Le groupe UMP est évidemment, résolument engagé sur cette voie.

Mais n’oublions pas le reste, tout le reste, les immenses défis sociaux liés à la montée inexorable du chômage – qui condamne la croissance –, l’augmentation des inégalités et la déstabilisation de secteurs entiers de notre économie, qui sont autant de risques pour notre cohésion sociale.

Je prendrai l’exemple de l’agriculture, dont on parle trop peu. Confrontés à la fin des quotas laitiers le 31 mars prochain, les producteurs se retrouvent seuls face à l’industrie laitière, parfois même sans relations contractuelles établies.

Actuellement, une action collective oppose l’organisation de producteurs Normandie Ouest à la société Lactalis. Nous voyons bien l’inquiétude de ces producteurs, confrontés à un marché mondial dont les perspectives 2015 sont à la baisse, et à une marge de négociation collective – et a fortiori individuelle – extrêmement limitée.

Quelle médiation et, au-delà, quel type d’accompagnement l’État compte-t-il apporter à cette profession essentielle aux yeux des Français en termes de qualité de production, profession qui représente aussi une composante majeure de l’industrie agroalimentaire ?

L’agriculture, notamment laitière, est l’une des professions les plus contraintes et les plus exposées, en raison de contraintes administratives, environnementales et, aujourd’hui, de revenus. La lourdeur des charges d’exploitation et de structures n’est pas suffisamment prise en compte dans le prix du lait.

Malgré les dispositions européennes du paquet « lait » de 2012, il n’existe pas, aujourd’hui, d’organisation de producteurs suffisamment puissante, y compris à l’échelle européenne.

Quelles mesures supplémentaires à court terme comptez-vous prendre pour accompagner la restructuration de l’élevage français dans cette transition difficile et que peut-on attendre de l’observatoire européen créé en 2014 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Martine Carrillon-Couvreur M. Yannick Favennec et M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, vous avez évoqué la question de la filière laitière, qui est concernée par plusieurs sujets.

Premièrement, la sortie des quotas laitiers sera effective cette année. Je rappelle que ce choix avait été fait en 2008. Il faut à présent trouver des solutions pour l’avenir. Je ne peux pas dire que, dans les discussions que nous avons eues jusqu’ici, les autres pays européens aient fait preuve de beaucoup de volontarisme pour trouver des mécanismes de régulation. La France a proposé des solutions à deux reprises et a envoyé un nouveau « papier » à ce sujet, qui sera discuté en plusieurs étapes sous présidence lettonne. Notre objectif est de forcer l’ensemble des pays européens à être plus coopératifs dans le domaine du lait. La création d’un observatoire des prix est une très bonne chose, mais observer les prix en Europe sans tenir compte de ce qui se passe sur le marché mondial serait une erreur. En effet, les baisses des prix viennent d’abord des grands marchés de poudre de lait à l’échelle internationale.

Deuxièmement, vous avez évoqué les possibilités données aux organisations de producteurs de contester l’inapplication des contrats qu’ils ont eux-mêmes signés avec les laiteries. Je voudrais vous rappeler que la loi d’avenir, adoptée le 11 septembre 2014, dispose que les producteurs peuvent engager des actions collectives pour contester l’application des contrats. Cette disposition fait écho à celle de la loi Hamon relative aux class actions.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. J’insiste donc sur le fait que les procédures menées actuellement à l’encontre de la laiterie que vous avez citée sont pleinement intégrées dans la loi.

Troisièmement, comment prévient-on les situations conflictuelles ? La loi d’avenir comporte également des dispositions sur la médiation, qui nous avait permis de dégager en faveur des producteurs, en 2013, vingt-cinq euros supplémentaires pour mille litres de lait collectés.

Il faut travailler avec l’ensemble de la grande distribution – ce qui a d’ailleurs déjà commencé – pour éviter que la pression ne porte sur les prix et les producteurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Projet de loi santé

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Bernadette Laclais. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, vous allez prochainement présenter devant le Parlement un projet de loi visant à réformer notre système de santé, pour le rendre plus efficace, moins coûteux et pérenne. Tous les Français sont concernés par les avancées que vous proposerez. Ce projet de loi de santé vise à faciliter les parcours de soins et à lutter contre les inégalités dans l’accès aux soins. Il est axé autour de la prévention et ce dès le plus jeune âge. Cela signifie que, dès l’école, nous devons accentuer la prévention contre, par exemple, le surpoids ou le tabac. Cela signifie aussi que tous les Français doivent avoir facilement accès à l’information.

Cela signifie surtout que les difficultés financières que peuvent rencontrer nos compatriotes ne doivent pas être un frein aux soins. Vous avez annoncé la généralisation du tiers payant : les patients n’auront donc plus à avancer de frais pour se faire rembourser ensuite par la Sécurité sociale.

Nous devons aussi mettre fin aux démarches administratives longues, coûteuses et fastidieuses pour chacun.

Mais la réforme portée par la future loi de santé ne doit pas se faire sans les médecins. Nous en sommes tous convaincus et, d’ailleurs, il n’en a jamais été question. Vous avez renforcé le dialogue par la création de groupes de travail avec les professionnels concernés pour que l’application de la loi se fasse dans les meilleures conditions.

Depuis plusieurs semaines, madame la ministre, vous faites l’objet d’attaques personnelles extrêmement brutales, et on peut même parler de dérapages graves, que nous ne pouvons accepter. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme Brigitte Allain et Mme Valérie Boyer. Très bien !

Mme Bernadette Laclais. Je tiens ici à vous assurer du soutien de la majorité et de notre volonté d’examiner le projet de loi et d’en débattre dans les conditions les plus sereines possible, avec le souci que le débat parlementaire soit utile pour tous.

Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce que le projet de loi santé que vous nous proposez va changer dans le quotidien des Français et quels seront la place et le rôle des groupes de travail que je viens d’évoquer ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, oui, le projet de loi de santé a été élaboré pour les Français, pour faciliter leur relation avec les professionnels, l’hôpital, les structures de prévention. C’est une loi qui marquera un avant et un après pour nos concitoyens. Il y aura davantage de prévention, un médecin traitant pour l’enfant, un accès facilité à un hôpital public conforté. Le texte permettra également de lutter contre les déserts médicaux et les obstacles financiers, notamment à travers le tiers payant.

Mais, comme vous le dites, madame la députée, cette loi pour les Français se fait avec les médecins. Des points très identifiés dans ce texte créent des difficultés aux professionnels de santé, qui expriment en même temps une inquiétude quant à l’avenir de leur métier et de leurs conditions d’exercice. Je n’ai cessé de dialoguer avec leurs représentants et, dès aujourd’hui, se met en place une série de groupes de travail, qui doivent nous permettre de trouver des points de convergence et d’aller de l’avant dans l’intérêt des Français. Je crois en effet que nous avons collectivement intérêt à faire en sorte que la santé, qui est un élément fondateur de notre pacte social, soit au cœur des politiques de la République.

Je vous remercie, madame la députée, du soutien que vous m’apportez, car cette discussion doit se faire de manière sereine, afin que l’on parvienne aux avancées utiles et nécessaires par la voie du dialogue.

M. Christian Jacob. Vous parlez d’or !

Mme Marisol Touraine, ministre. Jamais les injures et les insultes – aujourd’hui moins que jamais – ne peuvent prendre la place du débat démocratique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Débat sur la fin de vie

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la fin de vie.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs, l’existence de chaque femme, de chaque homme, de chacun d’entre nous est ponctuée de grandes questions. Parmi celles-ci, il en est une profondément intime, éminemment complexe : c’est celle de la fin de vie – la sienne, celle des autres, celle de ses proches. Si nous sommes amenés à en débattre dans cet hémicycle, c’est parce que cette question interpelle au plus haut point notre société. Ce n’est pas nouveau. Le rôle du législateur est donc de s’en saisir, comme il l’a fait par le passé.

La discussion qui s’ouvre s’articule autour d’un constat et d’une réflexion.

Le constat, c’est que l’espérance de vie a progressé. Aujourd’hui, on vit mieux, plus longtemps, et nous devons bien sûr nous en réjouir. Le combat pour la vie, le combat pour faire reculer la maladie, est un combat qui ne doit jamais faiblir. A cet égard, nous apportons tout notre soutien à nos scientifiques, qui sont à la pointe de la recherche médicale. Nos efforts dans ce domaine doivent être et seront poursuivis.

Le corollaire de ces progrès thérapeutiques, c’est le changement des conditions de la fin de vie. Cette dernière intervient souvent en milieu médical, à l’issue de périodes plus ou moins longues, plus ou moins douloureuses de traitement. Dans ce contexte, l’individu, le patient, a développé des attentes et des revendications légitimes : le droit au respect, à l’information, à l’autonomie ; le droit, aussi, de limiter autant que possible la douleur, tant physique que psychique. Nous devons prendre toute la mesure de cette demande, mais aussi de la détresse dans laquelle des milliers de personnes meurent chaque année. C’est une réalité qu’il faut savoir affronter.

Face à ces douleurs, les patients revendiquent aujourd’hui la possibilité de faire un choix, certes délicat : celui de dire que c’en est assez, celui rester maître de son existence jusqu’à la fin, de faire respecter sa dernière volonté. C’est en quelque sorte un droit à la dignité que les patients demandent.

La détresse, c’est aussi celle des familles et des proches. Nous la connaissons tous, car nous avons tous été confrontés au drame personnel que constitue la perte d’un être cher. Ce sont des moments difficiles, où les décisions et les choix se font plus lourds, où l’émotion peut prendre le pas sur le discernement.

Dernier élément de constat, la détresse des patients, des proches, est souvent rejointe par celle du corps médical. Les équipes de soins sont placées dans une situation toujours délicate, entre le risque de faire preuve d’acharnement thérapeutique, parfois à l’encontre de la volonté des patients et des familles, et celui de se voir reprocher de ne pas avoir tout fait pour sauver ou prolonger la vie du malade. La médecine curative ne doit jamais se transformer en violence médicale. Mais à qui donner raison ? Où fixer la limite entre soigner coûte que coûte et accepter de laisser partir ?

Mesdames, messieurs les députés, le constat que je viens de dresser nous amène à une réflexion partagée : le débat sur la fin de vie est un débat nécessaire. Sur cet enjeu, nous devons savoir nous rassembler, trouver les consensus nécessaires, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, ignorer les situations délicates liées à la fin de vie serait refuser de prendre ses responsabilités. Comment concevoir que des proches aient à prendre la lourde décision d’arrêter les traitements alors que des décisions auraient pu être prises en amont par les patients eux-mêmes ? Comment tolérer qu’on en vienne à envisager de soulager soi-même les souffrances intolérables de l’un de ses parents atteint d’une maladie incurable ? De même, comment rester insensible à ces personnels soignants, à l’écoute des malades et des proches, qui souffrent d’être démunis devant l’agonie d’un patient, face à la souffrance et à la mort ?

Ignorer ces situations délicates liées à la fin de vie, c’est également laisser se développer des inégalités intolérables car aujourd’hui tout le monde n’est pas égal face à la mort.

M. Jean Glavany. C’est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette inégalité existe, bien sûr, à l’échelle européenne, si bien que certains ne trouvent pas d’autre issue que de se rendre à l’étranger pour mourir dans la dignité à laquelle ils aspirent. Mais nous devons également être lucides devant les inégalités de fait qui existent dans nos hôpitaux, face à la douleur, face aux conditions de soins, face à l’accès aux soins palliatifs. Nous ne pouvons nous satisfaire de cela.

Enfin, ignorer ces situations délicates liées à la fin de vie, c’est oublier et même nier que la fin de vie relève avant tout du droit de l’individu, du droit de chacun de nous. Il faut commencer par là ; il faut commencer par dire que la fin de vie doit être considérée comme une ultime phase de la vie – je dis bien : « de la vie », c’est-à-dire un moment où l’individu conserve le droit de décider, d’être au centre des choix qui le concernent en premier lieu. Nous devons affirmer ce droit essentiel, qui n’est pas toujours facile à traduire ou à faire comprendre. Disons-le ainsi : il s’agit d’un droit ultime.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à l’une de ces questions qui disent beaucoup sur ce que nous sommes, sur nos valeurs. Un citoyen est un individu libre au début, au milieu et à la fin de sa vie. Soutenir le droit à mourir dans la dignité, c’est asseoir pleinement nos droits fondamentaux, c’est apporter aussi une part d’humanité supplémentaire à notre société.

La loi ne doit pas décider à la place des patients. Il ne s’agit pas de s’immiscer dans la conscience de chacun, de dicter une conduite à l’entourage, pas plus que de se substituer à l’éthique des personnels soignants. La loi doit apporter des solutions là où l’incertitude engendre de véritables souffrances – c’est son rôle, même si le chemin est étroit.

Sur ce sujet, je le disais, nous devons nous rassembler, ce qui n’interdit pas, bien évidemment, le débat – un débat nourri, fructueux, mais un débat apaisé. Il est nécessaire d’apporter des réponses concrètes, efficaces et mesurées. Il ne s’agit pas pour vous, pour nous, de devenir éthiciens ou philosophes. Cette étape a déjà été franchie par d’autres. Leurs réflexions ont déjà beaucoup nourri la nôtre et doivent continuer à le faire. Il faut également entendre les réflexions qui émanent de la société, de militants sincères, d’associations, de malades, de parents, de responsables publics, de médecins, d’autant que c’est sans doute l’un des débats qui engagent le plus grand nombre de nos concitoyens.

Cette question de la fin de vie est entourée de beaucoup d’émotion, pour ne pas dire de passion. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? Mais le rôle du législateur est d’essayer, sans pour autant faire preuve de froideur, de s’extraire un instant de l’émotion, qui est mauvaise conseillère, pour décider avec discernement.

À ceux qui doutent, à ceux qui pensent que le texte qui nous sera proposé comporte des dangers, notamment celui d’aller, comme je l’entends parfois affirmer – à tort – vers l’instauration d’un suicide assisté, je réponds que le vrai, le seul danger est celui du statu quo.

Le débat que nous avons aujourd’hui est le prolongement d’un processus entamé il y a bientôt dix ans. Un premier pas a été fait en 2005, avec la loi Leonetti, adoptée, à votre initiative, monsieur le député…

M. Jean Glavany. C’est une loi de la République !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et à l’unanimité. Il arrive parfois, cher Jean Glavany, que le nom d’un député et celui de la République se confondent !

Cependant, ce texte, venu compléter la loi Kouchner de 2002 sur le droit des malades, reste inégal, imparfait, fragile dans son application. Je l’avais moi-même souligné en 2009, en tant que rapporteur d’une proposition de loi qui n’avait pas été adoptée. Depuis plusieurs propositions de loi, issues de différents groupes parlementaires, ont été déposées et débattues, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Durant la campagne présidentielle, le chef de l’État avait pris un engagement, l’engagement n21, qui avait eu un écho très fort dans l’opinion. Depuis deux ans, la réflexion est engagée. Le Président de la République a, en effet, fait le choix de laisser le temps à la préparation du débat législatif : reconnaissons que c’est la meilleure voie pour rechercher et trouver, si possible, le consensus.

Ce travail préparatoire a connu différentes étapes : je veux les rappeler rapidement.

La commission présidée par le professeur Sicard a rendu son rapport en décembre 2012 – tout le monde a salué la qualité de ses travaux. En juin 2013, le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, a émis un avis, avant d’organiser à travers toute la France un débat citoyen dont les enseignements ont fait l’objet d’un rapport en octobre dernier.

Enfin, en décembre 2014, Alain Claeys et Jean Leonetti ont transmis au Président de la République et au Gouvernement les conclusions de la mission parlementaire que je leur avais confiée. Ces conclusions sont le fruit, à la fois d’un « équilibre » et d’un « dépassement », pour reprendre les mots de vos collègues, d’un travail d’écoute et de propositions mutuelles. Je tiens à les remercier pour la qualité de leur réflexion et pour leur volonté constante de présenter un constat et des propositions convergents.

Comme vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement partagent les orientations qu’ils proposent. Cet ensemble de réflexions et de propositions nous permet de mieux mesurer les différentes attentes qui se sont exprimées. S’en dégage d’abord le souci d’un respect absolu des directives anticipées, afin de permettre au personnel soignant d’appliquer les consignes du patient sans autre considération que la volonté de ce dernier. Les attentes portent également sur le droit à la sédation profonde jusqu’au décès, accompagnant l’arrêt de tous les traitements visant à maintenir le malade en vie, pour ne pas prolonger artificiellement et contre sa volonté la vie d’un patient atteint d’une maladie incurable.

Aujourd’hui, avec ce débat, nous entamons une nouvelle étape. Mais ce n’est pas pour autant que nous abandonnons les initiatives prises par ailleurs en matière de soins palliatifs, bien au contraire : conformément au souhait clairement exprimé par le Président de la République, nous allons continuer de renforcer l’offre de soins palliatifs en améliorant la formation des personnels médicaux et en relançant le plan triennal de développement des soins palliatifs, tant dans le milieu hospitalier que dans le secteur de l’hospitalisation à domicile. À ce titre, je rappelle que d’ores et déjà le projet de loi de santé déposé au Parlement fait – enfin ! – des soins palliatifs une des missions des établissements de santé, au même titre que les soins curatifs.

Le débat sur les droits des malades en fin de vie doit avoir lieu. Il est aussi attendu que nécessaire. La présente discussion en est une première étape. Dans une seconde étape, vous serez invités à  vous prononcer plus précisément sur une ou plusieurs des propositions de lois déjà déposées.

Faire le choix des conditions de sa mort lorsqu’elle est là, proche, imminente : ces mots, même s’ils sont durs à entendre, traduisent les attentes fortes de nos concitoyens, pour lesquels nous devons établir un cadre juridique sécurisant. Place, donc, au débat, au dialogue. Faisons en sorte, mesdames et messieurs les députés, qu’il soit riche, digne et responsable.

Je n’ai aucun doute, au vu de la qualité de celles et ceux qui interviendront sur cette question, au vu du sujet lui-même, que ce débat permettra d’avancer, conformément à la volonté du Gouvernement, vers la consécration d’un droit nouveau : celui de mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UDI, RRDP, écologiste, et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le problème de la fin de vie est aussi ancien que l’humain, puisque la conscience de la finitude de l’homme est concomitante de la pensée et du langage. Le passage de l’animal à l’état d’homme résulte  précisément de la double conscience de sa finitude et de l’existence de l’Autre.

En effet, la mort c’est, toujours, l’Autre. Ma mort étant une expérience impossible, je ne peux que l’imaginer ou la fantasmer à partir d’une expérience, le plus souvent celle de la perte d’un être cher. C’est elle qui structure alors ma pensée et ma conception de la fin de vie.

Chaque société aussi a sa propre vision de la mort. La mort antique est un destin ; la mort chrétienne est un salut. Quelle est-elle pour notre société et, puisque « chaque société a la mort qu’elle mérite », selon un des sociologues que nous avons auditionnés, que nous dit-elle du sens que nous donnons à la vie ?

Dans la société actuelle, l’individu prime sur le collectif et son autonomie s’est accrue. L’immédiat l’emporte sur la durée et la réaction sur la réflexion. Privés de repères pérennes, la majorité de nos concitoyens ne structurent plus leur pensée autour d’un au-delà possible ou de lendemains qui chantent : c’est ici et maintenant que tout se joue. Pour beaucoup, la mort est donc insensée – elle n’a littéralement plus de sens – voire, malheureusement, impensée. Le déni et le tabou de la mort n’ont jamais été aussi présents que dans notre société moderne.

Parallèlement, grâce aux progrès de la science, la mort s’est peu à peu médicalisée. Elle intervient le plus souvent à l’hôpital, perdant ainsi son caractère familial et familier.

La médecine française a fait le choix, légitime, de la performance et de la médecine qui sauve et qui guérit, mais parfois aux dépens de la médecine qui accompagne et qui soulage. Il en résulte que la médecine fait naître quelquefois des situations d’une rare complexité et qui entraînent des souffrances importantes, voire insupportables pour le patient, pour son entourage et pour la société toute entière.

Qu’il soit le fruit de la culture médicale ou qu’il vise à satisfaire la demande du malade, l’acharnement thérapeutique, qualifié d’obstination déraisonnable par la loi, doit être combattu, tout ce qui est techniquement possible n’étant pas nécessairement humainement souhaitable.

Enfin, malgré les progrès considérables de la médecine palliative, l’offre de soins dans ce domaine est encore trop insuffisante, puisque 80 % des Français n’y ont pas accès. Elle intervient par ailleurs trop tard, le palliatif prenant le relais du curatif au lieu de s’y associer en amont. Il en résulte une médecine palliative presque exclusivement orientée vers l’extrême fin de la vie alors que cette médecine d’accompagnement et de soulagement devrait imprégner tous les actes médicaux.

La fin de vie est un sujet complexe, tributaire de valeurs médicales, sociales, personnelles, philosophiques et spirituelles. Elle recouvre en outre une immense variété de situations particulières, du nouveau-né dont la réanimation pose question, au grand vieillard qui meurt dans la souffrance.

Nous devons donc aborder ce débat en acceptant le conflit de valeurs qu’il suppose. Il ne s’agit pas du combat du bien contre le mal, ni de celui de la morale établie contre le progrès. Il s’agit d’un combat du bien contre le bien, d’un conflit opposant des valeurs fondamentales pour notre pays : une éthique de l’autonomie ayant pour référence la liberté et la défense de l’individu contre le groupe, et une éthique de la vulnérabilité, qui fait primer la solidarité et les valeurs collectives. Ces valeur doivent se réconcilier plutôt que s’affronter au chevet du mourant.

Dans ce contexte, les lois de 1999, 2002 et 2005 affirment avec force notre fraternité, qui s’exprime par le refus de l’abandon, de la souffrance et de l’acharnement thérapeutique, mais aussi par l’affirmation du principe d’autonomie. Respecter la parole du souffrant est un devoir pour le soignant.

Cependant, malgré ces différents textes législatifs, le « mal mourir » persiste en France. Douze pour cent de nos concitoyens meurent dans des douleurs physiques réfractaires, sans parler des souffrances qui ne se résument pas à la douleur physique. Ainsi l’étouffement n’est, dans huit cas sur dix, pas pris en compte en fin de vie.

Cicely Saunders, qui initia les soins palliatifs au début du XXsiècle, définissait la fin de vie comme une souffrance globale, physique et psychique, appelant une prise en charge globale.

Certains de nos voisins ont ouvert un droit à la mort. Or on constate qu’en Suisse, dans 30 % des cas, la mort est donnée à des personnes qui, loin de souffrir d’une maladie incurable, sont simplement âgées et lasses de vivre. En Belgique, ce droit est désormais ouvert aux mineurs et aux malades mentaux. Enfin, selon une étude menée conjointement par l’Institut national des études démographiques, l’INED, et l’Observatoire national de la fin de vie, les morts données à des malades qui n’ont pas demandé à mourir sont trois fois plus nombreuses en Belgique qu’en France. Comme Didier Sicard le souligne dans son rapport, « toute transgression appelle une transgression supplémentaire ». C’est la théorie bien connue de la rupture de digue consécutive à l’érosion des barrières éthiques.

Par ailleurs donner la mort  apparaît en contradiction avec nos pratiques et nos valeurs communes. Sur le plan médical, en France du moins, la mort n’est pas la poursuite du soin mais l’interrompt. Sur le plan social, la médecine a le devoir de réanimer ceux qui ont tenté de mettre fin à leur jour, la société luttant contre le suicide qui, à ses yeux, traduit la désespérance plus que la liberté individuelle.  

Enfin, comme le soulignait Robert Badinter, la faculté de se donner la mort à titre personnel devrait être considérée comme un droit-liberté, par opposition à un droit fondamental : le droit à la vie, qui est un droit-créance c’est-à-dire opposable à la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Vautrin M. Patrice Martin-Lalande et M. François Rochebloine. Très bien !

M. Jean Leonetti. Devons-nous, pour autant, nous contenter de la loi actuelle, alors qu’elle reste mal connue, mal appliquée…

M. François Rochebloine. C’est dommage !

M. Jean Leonetti. …et, surtout, que les Français nous demandent plus d’écoute et moins de souffrance ?

Après un débat citoyen approfondi, qui a abouti à deux rapports fondamentaux, celui de la commission Sicard et celui du Comité consultatif national d’éthique, le Président de la République a voulu que nous avancions sur ce sujet de manière consensuelle. J’approuve cette démarche car je pense que, sur les sujets de société, comme sur toutes les questions qui relèvent de nos valeurs communes, nous devons être unis. Il est de l’honneur de la politique, non de trouver de petits arrangements entre nous, mais de dépasser nos oppositions pour réconcilier les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !

M. Jean Leonetti. Didier Sicard souligne avec force le caractère particulièrement dramatique des inégalités qui entourent la fin de vie. Il rappelle également l’exigence d’appliquer résolument la loi actuelle, et combien il est utopique d’imaginer qu’une loi puisse régler l’ensemble des problèmes liés à la diversité des situations de fin de vie. Enfin, il met en garde contre le danger de franchir la barrière d’un interdit.

Dans son avis n121, le CCNE estime que la légalisation du suicide assisté n’est pas souhaitable. Il considère en effet que le maintien de l’interdiction faite aux médecins de « provoquer délibérément la mort » protège les personnes en fin de vie, et qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent contribuer à « donner la mort ». Il estime par ailleurs dans son dernier rapport que l’assistance au suicide ne peut en aucun cas remédier à l’absence de soins palliatifs ou d’un accompagnement réel.

Dans le cadre de la mission que vous nous avez assignée, monsieur le Premier ministre, Alain Claeys et moi-même avons, en décembre dernier, soumis au Président de la République des propositions, qu’il a faites siennes. Elles visent à donner une valeur contraignante aux directives anticipées, afin d’assurer le respect de la parole du malade, et à reconnaître au malade en phase terminale un droit à la sédation profonde jusqu’au décès, autrement dit le droit, qui paraît bien légitime, de dormir avant de mourir, pour ne pas souffrir.

Nous avons acquis la certitude que ces propositions, au-delà de nos convictions personnelles, permettaient de répondre à la demande de nos concitoyens. Cette étape significative s’inscrit dans la continuité des lois précédentes : au devoir des médecins répondra désormais le droit des malades.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la mort ne se résume pas à un problème médical. Ce sujet, intime et douloureux, ne saurait être entièrement réglé par le droit. Sans une formation des futurs médecins aux sciences sociales et humaines, sans un développement des soins palliatifs et, surtout, sans une appropriation par l’ensemble de nos concitoyens du problème de la mort, toute loi restera d’application difficile.

Notre débat ne peut pas non plus se réduire à l’opposition entre partisans et adversaires de l’euthanasie, mais doit englober des problématiques telles que celles de la dépendance, de la solitude, du handicap et du sort des personnes âgées dans notre pays.

Cependant, la loi est aussi un marqueur symbolique et normatif ; elle doit permettre une amélioration de la situation concrète de nos concitoyens en fin de vie, pour l’heure insatisfaisante.

Intime et complexe, le sujet de la fin de vie interroge aussi nos valeurs fondamentales. Comme le souligne le CCNE, une société indifférente aux plus vulnérables –  et qui est plus vulnérable qu’un mourant ? – perd son humanité.

Mme Michèle Delaunay. Bravo !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

M. Jean Leonetti. Comme Ulysse sur l’île de Calypso, soyons capables de refuser le rêve prométhéen de l’immortalité et de la maîtrise absolue de notre mort. A l’instar d’Albert Camus, acceptons notre humanité sans oublier « la fierté de l’homme, qui est fidélité à ses limites ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, SRC, UDI et RRDP).

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le sujet de notre débat reprend un questionnement universel et singulier : universel, puisque la mort est inéluctable,  partout et pour tous ; singulier parce qu’elle est, à chaque fois, la fin d’un être unique.

Ce débat soulève aussi la question de l’évolution de la perception de la mort par notre société. Hier bien présente dans l’espace privé et public – qu’on songe aux convois funèbres –, la mort est aujourd’hui comme ignorée, occultée, transformée, par une approche toujours plus médicalisée voire technicisée, en une abstraction qui, à vrai dire, n’est pas totalement nouvelle.

« La mort n’est rien » selon l’exorcisme d’Épictète, « puisque, quand elle est, je ne suis plus et que, quand je suis, elle n’est pas ». Fuite de notre société devant la question de la mort ? Peut-être, sans doute, et qui explique, au moins partiellement, le si faible nombre de directives anticipées.

Quoi qu’il en soit, cette évolution sociétale, cette ignorance, subie ou volontaire, de notre finitude ne fait que rendre plus ardue encore la tâche de mettre les mots justes sur un sujet si difficile, un sujet si lourd de choix et de conséquences qu’on pourrait d’abord se demander s’il faut encore légiférer après la loi Leonetti de 2005…

M. François Rochebloine. Eh oui.

M. Michel Piron. Celle-ci préconisait déjà une triple prise en compte : celle des malades, dont la demande évolue souvent avec les soins eux-mêmes, celle des soignants, dont les responsabilités se sont accrues et complexifiées pour les mêmes raisons, celle des proches, qui prennent ou apportent leur part dans cette relation.

Et si ce que recèle l’attente des malades, conscients ou inconscients, fait pour partie l’objet d’un droit en fin de vie et d’un droit à la fin de vie dans des conditions strictement définies qui ont été abondamment décrites, c’est tout autant le besoin de soins palliatifs et l’obligation de satisfaire celui-ci qui devraient retenir notre attention et être l’objet de notre vigilance.

À cet égard, il reste tant reste à faire pour combler le déficit de formation des soignants d’une part, le manque cruel d’unités de soins d’autre part, malgré des initiatives et des dévouements individuels admirables.

La réflexion à laquelle nous sommes conviés aujourd’hui s’inscrit dans la suite de ces interrogations. Comment faire en sorte qu’il n’y ait ni souffrance, ni abandon, ni acharnement ? Comment mieux respecter, non seulement des directives  avérées, mais des « volontés dernières » dont le caractère ultime peut être si difficile à déterminer ? Est-ce en effet à la souffrance de la personne en fin de vie que je vais mettre un terme ou à ma propre souffrance de ne pouvoir endurer la sienne ? On mesure ici l’importance, reconnue par tous sur tous ces bancs, de la collégialité d’une telle décision, que confirme le texte qui sera soumis à notre examen.

Il est vrai que la loi Leonetti a laissé des zones d’ombre, notamment en ce qui concerne la sédation du malade en fin de vie, que le rapport Claeys-Leonetti essaie d’éclairer sans y parvenir totalement. Mais comment le pourrait-il dans le respect de cet espace, de ce rapport chaque fois singulier entre soignant et soigné et qui ne saurait être entièrement prédéfini, formalisé, encore moins formaté ? Cette part d’ombre, d’incertitude, même réduite par la science, n’est-elle pas en définitive celle que réclame, qu’exige, au-delà du savoir, le respect de la vie et de sa fin comme énigme ou comme mystère ? Ne peut-on aussi, au nom de la dignité, assumer cette incertitude ?

Et c’est pour cela qu’en légalisant le « suicide assisté », il me semble que l’on consentirait à la société, fût-elle représentée par le médecin, un droit sur l’existence même de chacun qui outrepasse largement le respect, pourtant souhaité par tous, de chaque personne. C’est aussi pour cela, mes chers collègues, que nous ne suivrons pas une telle proposition et que nous n’irons pas au-delà des dernières préconisations du rapport de MM Claeys et Leonetti. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je suis certain que chacun ici partage la volonté d’aborder avec précaution une question aussi essentielle, au sens propre du terme, que la fin de vie. Mais dans le même temps, chacun voit bien à quel point la législation actuelle, par les imprécisions qu’elle contient et les difficultés d’interprétation qu’elle génère, est loin de garantir le respect de l’intimité.

Les pires violations de l’intimité, ce sont ces procédures judiciaires autour de malades maintenus artificiellement en vie, ce sont ces douleurs et ces interrogations jetées sur la place publique, ce sont ces vies devenues le centre de toutes les attentions, de tous les voyeurismes.

Il y a aussi des violations moins visibles, mais tout aussi insupportables, quand les médecins légitimement hésitent, quand les familles et les proches se déchirent autour de patients en fin de vie dont on tente d’interpréter la volonté, faute de directives anticipées, faute de désignation d’une personne de confiance – je rappelle que seuls 2 % de nos compatriotes ont rédigé des directives anticipées.

En se saisissant de ces questions, en confiant à nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys le soin de produire un rapport qui doit servir de base à notre travail de législateur, le Président de la République a décidé de regarder ces réalités en face et d’agir, non pas pour codifier l’intime, mais précisément pour protéger l’intimité de chacune et de chacun.

Je tiens à dire ici, au nom du groupe écologiste, que nous saluons la volonté du Président de la République d’avancer enfin sur ces questions. De même, malgré nos différences et nos oppositions, qui n’ont pas changé, je tiens à saluer le fait que notre collègue Leonetti ait enfin reconnu que la situation actuelle n’est pas satisfaisante, et que les difficultés des patients en fin de vie ne tiennent pas seulement à la méconnaissance de la loi de 2005, mais bien à son inadaptation ou à ses manques.

M. Yannick Moreau. Ce n’est pas très correct.

M. François de Rugy. Il est incontestable que les propositions formulées par nos collègues Claeys et Leonetti et retenues par le Président de la République sont susceptibles d’améliorer la situation actuelle et de satisfaire des demandes aujourd’hui sans réponse.

Nous ne les jugeons pas pour autant suffisantes. Pouvons-nous sérieusement traiter la question de la fin de vie sans aborder celles de l’euthanasie et de l’aide active à mourir ? Là encore, les écologistes entendent les réticences et les hésitations. Mais combien de temps encore pourrons-nous ignorer des questions auxquelles nos homologues de nombreux pays ont su apporter des réponses, certes diverses mais dont nous pourrions tirer des enseignements plutôt que de les balayer d’un revers de main ?

C’est tellement vrai que, lorsque nous étions dans l’opposition, nous avions été nombreux à soutenir la proposition de loi sur la fin de vie présentée par le groupe socialiste, et que vous aviez à l’époque défendue avec talent et conviction, monsieur le Premier ministre. Cette proposition de loi organisait la liberté de choisir sa fin de vie, y compris par l’euthanasie et l’aide active à mourir.

Et si nous avons entendu la volonté du Président de la République de créer le consensus le plus large possible et un certain apaisement sur cette difficile question en n’intégrant pas ces éléments dans le cadre de la loi à venir, je veux dire ici que nous ne nous résoudrons pas à voir encore une fois le débat et les décisions reportés ou escamotés.

Nous considérons en effet que ce serait une erreur politique et un manquement vis-à-vis des Français. Ce serait une erreur politique, parce que, dans notre pays, aucune réforme de société n’a été le fruit d’un consensus a priori. Les grandes lois de liberté, telles que la loi Veil, l’abolition de la peine de mort, ou plus récemment la loi sur le mariage pour tous…

M. François Rochebloine. Ce ne fut pas une réussite.

M. François de Rugy. …ou encore la loi de 1905, dont tout le monde se réclame aujourd’hui, toutes ces lois ont été le fruit de débats parlementaires vifs, de controverses vigoureuses et ont eu à surmonter des oppositions virulentes.

Ne commettons pas la faute de laisser tant d’hommes et tant de femmes privés de la garantie que leur volonté sera respectée et qu’ils pourront maîtriser, autant que cela est possible, les conditions de leur fin de vie.

Tels seront les principes qui seront ceux des écologistes dans ce débat, qui doit avoir lieu, et aller jusqu’à son terme. L’examen la semaine prochaine par notre assemblée de la proposition de loi du groupe écologiste, défendue par Véronique Massonneau, et notre participation active à l’élaboration de la loi annoncée par le Gouvernement y contribueront. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, permettrez-vous à un radical de citer L’Ecclésiaste ?

M. Jean Glavany. Non ! (Sourires.)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. « Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir. »

M. François Rochebloine. Eh oui.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Ce temps-là doit être lui aussi un temps de dignité, d’humanité. Choisir sa mort devrait être la dernière liberté. Pourtant, ce droit reste souvent refusé aux patients en phase avancée ou terminale d’une affection incurable, génératrice de souffrances intolérables et qui ne peuvent être apaisées.

C’est là une atteinte à la liberté de décision du malade en fin de vie, atteinte qui n’est pas compatible avec le respect de la volonté de chacun et avec le droit de mourir dans la dignité, revendiqué dès 1978 dans une proposition de loi du sénateur Henri Caillavet.

Dans ce même but, notre groupe a déposé dès le 26 septembre 2012 une proposition de loi « relative à l’assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité », soit la traduction exacte du vingt et unième des « soixante engagements » de la campagne présidentielle de 2012.

Certes, depuis quinze ans, des progrès ont été accomplis, et d’abord par le recours accru aux soins palliatifs. La possibilité de bénéficier de ces soins étant alors très rare, j’avais déposé en mars 1999, avec les députés radicaux de gauche, une proposition de loi « visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ». Ce texte est devenu, sous ce même intitulé, la loi du 9 juin 1999. Dans certains cas cependant, les soins palliatifs ne parviennent pas  à soulager la douleur du patient.

La seconde avancée fut la loi Leonetti, qui consacre le droit du patient de refuser ou d’arrêter un traitement, même si cela met sa vie en danger, et l’obligation pour le médecin de respecter sa volonté. Cette loi admet donc le « laisser mourir » par l’arrêt des traitements. Mais elle continue à interdire le « faire mourir », le fait de donner la mort par une démarche active et non plus passive…

M. François Rochebloine. Heureusement.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …bien que la distinction soit rendue très ténue par la notion d’« effet secondaire », qui figure dans le texte de M. Leonetti.

Il faut sortir de cette situation ambiguë en reconnaissant, dans ce cas, le droit d’obtenir une véritable assistance médicalisée permettant de terminer sa vie dans les meilleures conditions possibles.

Actuellement, le droit pénal assimile l’aide active à mourir, selon les circonstances, à un assassinat, à un meurtre ou à un empoisonnement. Même si, en fait, les condamnations sont assez rares, le législateur ne peut se défaire ainsi de ses responsabilités. Il ne peut s’en remettre à l’appréciation, aléatoire et variable, de juridictions statuant cas par cas et coup par coup.

Le droit de mourir médicalement assisté doit, bien sûr, être strictement encadré. Mais l’impératif est clair : respecter la volonté du malade ; respecter le libre choix par chacun de son destin : en un mot, respecter le droit des patients à disposer d’eux-mêmes, ultime espace de liberté et de dignité.

La proposition de loi de MM Claeys et Leonetti admet ce qu’elle appelle « une sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Mais, en réalité, quelle différence y a-t-il, quant à l’issue finale, entre une forte utilisation de produits sédatifs jusqu’au décès et le recours à des substances létales ? Comme le Pr Sicard le concède dans son rapport, « la frontière entre l’euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler poreuse. »

Par ailleurs, la sédation en phase terminale s’accompagne de l’arrêt des traitements et des soins, tels que l’alimentation et l’hydratation artificielle, entraînant souvent des effets très pénibles : faim, soif, phlébites, escarres, infections. Une telle situation peut se prolonger pendant une semaine, parfois plus.

Le terme d’agonie vient du grec agônia, qui veut dire lutte, angoisse. Faudrait-il nécessairement partir dans la détresse et la douleur ? L’agonie ne doit pas être une étape obligée avant la mort. L’objectif est au contraire de permettre au mourant de partir sans souffrir davantage.

Changer la mort : tel est le tire du livre publié en 1977 par le professeur Léon Schwartzenberg et qui plaidait pour une fin de vie apaisée et digne, pour une médecine secourable. Assister ceux qui sont arrivés au bout du chemin et qui souffrent intensément, cela relève de la compassion, de l’humanité, de la fraternité. La vraie fraternité, celle qui continue jusqu’au dernier instant. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Au nombre de ses soixante engagements pour la France, le candidat Hollande proposait que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». C’est dans cette perspective que le Président de la République a chargé les députés Alain Claeys et Jean Leonetti de lui remettre un rapport sur la fin de vie, assorti d’une proposition de loi qui pourrait être examinée au printemps prochain.

Paradoxalement, la fin de vie est une préoccupation récente puisqu’il a fallu attendre 1999 pour qu’une loi ouvre l’accès aux soins palliatifs, loi complétée par celle de 2002 sur les droits des patients et celle de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui proscrit l’acharnement thérapeutique.

La situation actuelle n’est cependant pas satisfaisante. J’en veux pour preuve l’étude intitulée Mort à l’hôpital, publiée en 2008, selon laquelle plus des deux tiers des infirmiers considèrent les conditions de fin de vie des personnes qu’ils soignent et qu’ils accompagnent comme inacceptables pour eux-mêmes. Nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti abondent en ce sens quand ils font le constat d’un accès trop restreint aux soins palliatifs, de fortes inégalités territoriales, d’inégalités dans l’accès aux soins palliatifs selon les services hospitaliers, d’une offre insuffisamment développée dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, de la quasi-absence de soins palliatifs à domicile, d’une formation insuffisante des médecins et d’un cloisonnement entre les soins curatifs et palliatifs.

Face à cette situation, ils proposent des précisions, qui recoupent du reste les propositions du Comité consultatif national d’éthique et que, globalement, nous partageons – je pense notamment à l’administration d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, qui doit devenir un acte obligatoire pour le médecin dans trois situations clairement définies, ou encore aux directives anticipées, actuellement non opposables et renouvelables tous les trois ans, qui s’imposeront désormais au médecin et ne seront plus limitées dans le temps. Nous sommes ouverts à ces propositions d’amélioration de la législation actuelle.

Cependant, ce qu’il est urgent de faire évoluer – comme le confirment tous les travaux sur ce sujet, y compris le rapport de nos collègues – n’est pas tant la loi que notre approche de la notion de soins palliatifs et les conditions de leur mise en œuvre. En effet, les soins palliatifs s’adressent par définition à tous les patients atteints d’une maladie grave et incurable, ce qui dépasse largement la notion de fin de vie et, dans le même temps, a une incidence directe sur elle dans un délai variable dont la durée, si elle peut être déterminée en moyenne, reste néanmoins inconnue pour chacun, ce qui ajoute à l’anxiété du malade et de son entourage.

Les soins palliatifs concernent donc, je le répète, des personnes atteintes de maladies incurables, graves, évolutives ou en phase terminale. Selon ces critères, le docteur Ferrand, responsable de l’unité mobile de soins palliatifs à l’hôpital Foch de Suresnes et chercheur en bioéthique, avec lequel j’ai longuement échangé, considère qu’entre les personnes en perte d’autonomie, les malades graves et incurables et les personnes en fin de vie à proprement parler, la part des patients suivis dans son établissement susceptibles de relever des soins palliatifs se situe autour de 40 %, avec bien sûr des différences d’un service à l’autre.

Dans la mesure où les soins palliatifs se définissent comme l’accompagnement psychologique, thérapeutique et social d’un patient auquel on vient d’annoncer qu’il est atteint d’une maladie grave, incurable et en cours d’évolution, leur mise en œuvre doit être immédiate, dès le diagnostic porté et annoncé, car c’est dès ce moment que les personnes malades et leurs proches ont besoin d’accompagnement et de soutien pour surmonter cette annonce et ce qui va suivre. Ils ont aussi besoin d’informations, tant sur les traitements envisagés que sur l’évolution prévisible de la maladie.

Plus les soins palliatifs sont mis en œuvre tôt, plus la survie est longue et de qualité, plus les conditions sont acceptables, et plus la fin de vie est douce, progressive. La culture palliative doit donc, non seulement être mise en œuvre dans tous les services hospitaliers, mais aussi sortir de l’hôpital et s’étendre à la médecine de ville, ainsi qu’aux établissements médico-sociaux.

C’est là, entre autres, l’objet des réseaux de soins palliatifs, qui sont pour la médecine de ville le pendant des unités mobiles dans les hôpitaux et qui interviennent auprès des médecins généralistes, des EHPAD et des maisons d’accueil spécialisées ou au domicile des personnes, y compris en fin de vie. Le rôle de ces réseaux, qui permettent de diffuser la culture palliative en la faisant sortir de l’hôpital, est insuffisamment connu et reconnu. Par ailleurs, lorsqu’ils existent, non seulement ils ne sont pas financés à la hauteur des besoins, mais ils voient leurs moyens subir une baisse constante. Parfois de tels réseaux n’existent même pas : c’est par exemple le cas dans le centre des Hauts-de-Seine – soit Boulogne, Suresnes, Rueil-Malmaison et une partie de Nanterre – où plusieurs centaines de milliers d’habitants ne peuvent s’appuyer sur aucun réseau de soins palliatifs en dehors de l’hôpital.

Les maisons de retraite et les EHPAD sont particulièrement concernés par cette question de la fin de vie, puisque 90 000 résidents décèdent chaque année en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, faisant de ces établissements, selon l’Ordre national des infirmiers, les plus grands centres improvisés de soins palliatifs.

Pourtant, 86 % des EHPAD ne disposent pas de personnel infirmier la nuit et 75 % d’entre eux n’ont pas la possibilité de joindre un professionnel infirmier en cas de complications. Or, l’absence d’un infirmier la nuit empêche de laisser fonctionner les pompes à morphine, par exemple, comme l’affirme le président de l’Ordre national des médecins dans un courrier que nous avons sans doute tous reçu.

Il conviendrait donc de rendre obligatoire la présence, le cas échéant mutualisée, d’un infirmier de garde dans ces établissements – qui se définissent, ne l’oublions pas, comme des maisons de retraite « médicalisées ».

Enfin, pour diffuser la culture palliative, deux impératifs s’imposent : revoir la formation des médecins et mieux évaluer les pratiques, notamment en milieu hospitalier. En effet, trop peu sensibilisés à cette problématique, les chefs de service font intervenir trop tard les unités mobiles de soins palliatifs – à supposer même qu’ils le fassent.

C’est pourquoi l’évaluation de la mise en œuvre de la loi Leonetti est essentielle, notamment celle des lits identifiés, qui répondent à un cahier des charges strict, mais très insuffisamment voire pas du tout évalué. Comme cela a été fait dans le domaine de la lutte contre les maladies nosocomiales, dont on a pu mesurer l’utilité, il est indispensable de mettre en place des outils d’évaluation afin de faire connaître ces pratiques et, le cas échéant, de les faire évoluer concrètement.

Faut-il aller au-delà des recommandations du rapport qui vient d’être remis au Président de la République en légalisant l’acte de donner la mort,…

M. François Rochebloine. Et voilà !

Mme Jacqueline Fraysse. …comme le suggèrent nos collègues et amis du groupe EELV ? Personnellement je ne le crois pas…

M. Guy Geoffroy et M. Philippe Gosselin. Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse. …et c’est, à mon sens, prendre le problème à l’envers, car la demande d’euthanasie est moins une volonté profonde de ceux qui en expriment le désir que l’effet de souffrances insoutenables dues aux conditions indignes dans lesquelles on meurt en France.

L’euthanasie peut être vue comme l’une des options qui s’offrent à notre société et il est juste d’en débattre. L’autre option, proposée par le Comité national d’éthique, prend en compte la globalité de la personne humaine et préconise « la prise en charge financière et l’accompagnement humain des personnes malades et handicapées, l’accès équitable aux soins palliatifs, non seulement en fin de vie, mais chaque fois qu’un besoin de soulagement s’exprime, la mise en place des soins palliatifs à domicile, le développement de la formation des médecins et de la recherche dans le domaine de la fin de vie, l’attention portée à la place des personnes âgées dans la société et la vigilance à l’égard de leurs droits, et l’aide aux aidants familiaux et aux proches ».

C’est cette dernière approche que je partage et que je soutiens. J’ai conscience que le choix de tout mettre en œuvre pour que les personnes en fin de vie n’en soient pas réduites à souhaiter que l’on précipite leur mort est l’option la plus courageuse. C’est la plus exigeante et la plus coûteuse en termes financiers, mais c’est la plus digne et la plus humaine, pour chacun d’entre nous comme pour la société tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Claeys, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Alain Claeys. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chers collègues, nous vivons aujourd’hui un drame et un paradoxe. Le drame, c’est qu’un Français sur dix seulement bénéficie en fin de vie de soins palliatifs. Le paradoxe, c’est que, treize ans après l’adoption de la loi Kouchner, nos compatriotes bénéficient de droits que, dans la majorité des cas, ils ne peuvent faire valoir.

Je me félicite du débat sans vote que nous avons aujourd’hui, car il permet à l’Assemblée nationale de s’exprimer dans sa diversité sur ce sujet difficile. C’est dans ce cadre que j’ai souhaité m’inscrire pour évoquer devant vous le travail que Jean Leonetti et moi-même avons réalisé.

Notre rapport n’a pas vocation à épuiser le débat nécessaire et légitime sur la fin de vie. Il s’inscrit du reste dans la longue lignée des textes qui l’ont précédé, notamment du premier d’entre eux : la loi Kouchner de 2002, qui pour la première fois affirmait clairement le droit des malades.

En 2005, Jean Leonetti a fait voter la loi qui porte désormais son nom et qui a permis, outre l’institution des directives anticipées, de tenter de mettre fin à l’acharnement thérapeutique. Cependant, cette loi, mal connue, a été mal appliquée.

C’est dans ce contexte que, lors de sa campagne électorale de 2012, le président François Hollande avait appelé à aller plus loin, proposant que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Le Président de la République a depuis lors demandé au professeur Sicard de rédiger un rapport, puis au Comité consultatif national d’éthique d’émettre un avis et d’organiser un débat citoyen.

C’est forts de ces analyses et des nombreuses auditions que Jean Leonetti et moi-même avons menées que nous souhaitons voir notre législation se recentrer sur les nouveaux droits des malades, et non plus seulement sur le devoir des médecins, dans une filiation assumée et revendiquée avec la loi de 2002.

Il n’est pas, dans ce domaine, de vérités. Culture, histoire, convictions philosophiques ou religieuses font et défont les opinions collectives, mais aussi individuelles.

Ce débat, je l’ai eu avec Jean Leonetti tout au long de notre mission. Il est médecin et je ne le suis pas ; il est sur les bancs de l’opposition et je ne le suis pas.

M. Jean Leonetti. Ça peut s’arranger ! (Sourires.)

M. Alain Claeys. C’est de nos différences, bien plus que de nos concordances, que notre réflexion s’est enrichie. Le rapport que nous avons rédigé n’est pas un compromis. N’y figure ni concession, ni demi-mesure. Cette convergence est au contraire le fruit d’un dépassement, dépassement de nous-mêmes et de nos préventions, qui nous a amenés à ces conclusions, à ce progrès nécessaire.

Elle vise aujourd’hui à rattraper notre retard collectif. Oui, mes chers collègues, la société nous a devancés ; son rapport à la mort nous oblige à aligner la loi sur la demande de nos concitoyens. Ce mouvement, inéluctable, est la résultante tout à la fois de bouleversements historiques et de progrès techniques.

La fin des grands conflits, la disparition des grandes épidémies grâce aux progrès de la médecine ont contribué à nous éloigner de la mort. De massifiée, elle est devenue individuelle, sans être, paradoxalement, moins anonyme parfois. Parallèlement, la mort, au travers de la montée en puissance de la société de l’image, s’est en quelque sorte virtualisée.

Le mouvement de baisse de la mortalité, quant à lui, s’il n’est pas récent, continue de se poursuivre. Ainsi avons-nous compté en 2013 exactement le même nombre de décès que quarante années plus tôt. Dans le même temps, la population française s’est enrichie de quelque 13 millions d’habitants.

Mais, chers collègues, repoussant la mort dans son avènement, nous l’avons également éloignée de notre quotidien. Du lit familial, elle est passée au lit d’hôpital, où décèdent aujourd’hui près de 60 % de nos compatriotes.

Cette moindre confrontation à la mort a eu pour pendant de rendre plus techniques les derniers moments. Confiée aux "sachants", croisant moins souvent le chemin des vivants, la mort s’est trouvée, au fil des dernières décennies, non seulement repoussée, mais reléguée. C’est de ce sentiment d’abandon qu’est né dans notre société le besoin légitime de faire appliquer jusqu’au bout sa volonté.

Parallèlement, notre rapport à la douleur s’est trouvé modifié : de salutaire, celle-ci est devenue condamnable. À la volonté profonde de disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment est ainsi venue s’adjoindre la demande d’une mort apaisée.

Voilà ce qu’aujourd’hui nous demandent nos concitoyens et voilà ce dont ils ne bénéficient que trop rarement. Je l’affirme en effet devant vous : il existe malheureusement encore trop souvent un « mal mourir » en France. De fortes inégalités perdurent entre régions, villes et campagnes, entre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD – et structures hospitalières, et souvent au sein même de celles-ci.

Combien de nos concitoyens meurent aujourd’hui tel qu’ils le souhaiteraient, entourés de l’affection des leurs, pris en charge par des équipes de soins spécialement dédiées à la fin de vie ? Il s’agit malheureusement d’une minorité. Nous connaissons tous, en revanche, le cas de personnes hébergées en EHPAD dont l’état de santé se dégrade fortement un week-end et qui arrivent in fine aux urgences pour y mourir.

Près d’un Français sur quatre décédant à l’hôpital meurt dans un service de réanimation, de soins intensifs ou continus, c’est-à-dire dans un lieu où le temps  manque pour accompagner le patient dans sa fin de vie. À l’inverse, seuls 20 % des malades qui meurent à l’hôpital bénéficient de soins palliatifs financés : il s’agit, dans plus de 80 % des cas, de cancéreux.

Le chemin à parcourir est donc long. La première étape sera de faire évoluer le rapport à la mort et, par là même, aux soins palliatifs, de l’ensemble des équipes de soins.

Le Président de la République a annoncé le 12 décembre dernier que, dès la prochaine rentrée universitaire, l’accompagnement des malades ferait l’objet d’un enseignement spécifique et intégré à toutes les formations sanitaires, aussi bien pour les diplômes d’État que pour les études de médecine. Cet enseignement sera obligatoire et commun à tous les étudiants.

Il faut effectivement que cessent de s’opposer soins curatifs et palliatifs. Cela n’a pas de sens : il s’agit des deux faces d’une même pièce. La culture palliative doit imprégner tout le corps médical, quelle que soit la spécialité en cause. Mais le progrès de la médecine, c’est aussi de faire cohabiter très en amont soins curatifs et palliatifs et de faire prendre presque insensiblement le relais de l’un par l’autre pour accompagner le patient jusqu’au bout de son chemin.

Cet accompagnement, je ne l’oppose pas à l’aide à mourir présente dans le rapport remis en décembre dernier par Jean Leonetti et moi-même au Président de la République et à vous, monsieur le Premier ministre.

À la demande des Français de bénéficier d’une fin de vie apaisée, nous apportons donc, je le crois, la réponse idoine : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie. Un patient encore conscient, atteint d’une affection grave et incurable qui lui cause une souffrance réfractaire aux traitements, pourrait ainsi, lorsque son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il jugera inutile de prolonger sa vie finissante, demander à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’à son décès. Elle serait naturellement accompagnée de l’arrêt de tout traitement de maintien en vie.

De même, un malade atteint d’une affection grave et incurable qui souhaiterait arrêter les traitements qui le maintiennent en vie pourrait bénéficier de ce même traitement à visée sédative et antalgique, provoquant une altération profonde et continue de la vigilance et ce jusqu’à son décès.

Enfin, et ce sont les cas les plus connus de nos concitoyens, les malades en état végétatif pourraient également bénéficier de ce traitement à visée sédative. II faudrait pour cela que leur volonté en ce sens ait été recueillie. Elle pourrait l’être au travers des directives anticipées qu’ils auraient antérieurement rédigées et qui s’imposeraient dès lors au médecin.

C’est là une avancée majeure vers ce que nous réclament tous nos concitoyens : le droit d’être entendus jusqu’à leur ultime moment, de voir leur volonté prise en compte, y compris lorsqu’ils se retrouvent dans l’incapacité de l’exprimer.

Révocables à tout moment car valables sans limite de temps, signalées sur la carte Vitale et donc rapidement identifiables, ces directives anticipées prendraient désormais la forme d’un document à renseigner. Notre espoir est que cela permette de faire sensiblement progresser le nombre de nos concitoyens y ayant recours.

Je voudrais à ce propos rassurer ceux qui s’inquiètent du caractère perpétuel de l’effectivité des nouvelles directives anticipées. C’est justement parce qu’elles seraient révocables à tout moment qu’elles prendraient le mieux en compte la fluctuation des souhaits et donneraient réellement corps aux volontés de la personne.

Naturellement, la possibilité pour chacun, au cas où il serait un jour dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, de désigner une personne de confiance dont l’avis prévaudra sur tout autre avis non médical, doit perdurer.

Tout au long de la rédaction de ce rapport, nous avons simplement cherché à mettre des mots sur des gestes, à qualifier des actes. Je sais combien le débat sur la fin de vie crée naturellement de passions. J’ai toujours pensé qu’il fallait au contraire l’aborder sereinement, sans posture a priori, sans idéologie, en tâchant simplement de partir de la volonté de nos concitoyens.

Leur volonté ne se réduit pas à un mot. C’est davantage à l’esprit, au sentiment profond de nos compatriotes et à leurs souhaits qu’il faut nous attacher.

Ce progrès, nous le leur devons. En fin de vie, toute personne est vulnérable. Chaque fois qu’elle laisse mal mourir quelqu’un, la société perd en humanité.

Alors certains nous diront que nous sommes allés trop loin, ou pas assez ; l’essentiel n’est pas là car il ne s’agit pas seulement d’accorder de nouveaux droits aux malades, mais avant tout de mettre en place les conditions dans lesquelles ils y auront accès.

Et si nous ne sommes pas tous d’accord, dans cet hémicycle, sur les solutions à leur apporter, je sais qu’au moins – et sur ce point je mesure le chemin parcouru – nous partageons tous la volonté de permettre à nos compatriotes une fin que certains qualifieront de digne, mais que vous me permettrez de résumer en trois mots : autonomie, apaisement, humanité. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP ainsi que sur divers bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, chers collègues, tous les sujets n’ont pas la même gravité : dans ce débat sur la fin de vie, nous avons une responsabilité particulière. Ce sujet est en effet à la fois complexe et très sensible ; il renvoie chacun d’entre nous aux expériences qu’il a vécues, aux conceptions de la vie et de la personne qui l’animent.

C’est avec beaucoup de prudence et même de modestie que nous devons entamer ce débat. Nous pouvons, à ce propos, nous féliciter du caractère serein, apaisé et dépassionné de nos échanges. Trop souvent en effet, ce sujet n’est débattu que lorsqu’un cas douloureux occupe l’actualité.

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Xavier Breton. Il faut rappeler le contexte de notre débat. Il s’inscrit dans la suite de la loi de 2005, dite loi Leonetti, qui a défini un cadre juridique, médical et éthique adapté à la plupart des cas rencontrés et que de nombreux pays nous envient. Cette loi avait été adoptée à l’unanimité – unanimité dont il est bon de rappeler qu’elle était fondée sur le devoir de prendre soin de la personne en fin de vie de sorte qu’elle ne souffre pas.

Alors que cette loi avait seulement sept ans, ce qui est peu s’agissant d’un tel sujet, la campagne présidentielle a amené le candidat François Hollande à s’engager, sans doute imprudemment,…

M. Yannick Moreau. Absolument !

M. Xavier Breton. …à faire évoluer cette législation. C’est dans ce contexte que différentes contributions ont été rédigées, notamment le rapport Sicard et les avis du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE.

De ses réflexions se dégage avant tout la volonté très forte de garantir le respect de la dignité humaine, respect qui implique le soulagement de la souffrance, le refus de l’obstination déraisonnable, l’interdiction de l’euthanasie et la prévention de tout suicide.

À la suite de ces réflexions, une mission a été confiée à nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti, qui a abouti à la rédaction d’un rapport et d’une proposition de loi. À ce stade, je souhaite insister sur trois points cruciaux de ces textes : la culture palliative tout d’abord, les directives anticipées ensuite et la sédation terminale enfin.

Développer une culture palliative est une nécessité : nous ne pouvons tolérer plus longtemps le scandale – c’est le terme employé par le CCNE – que constitue l’abandon où sont laissées l’immense majorité des personnes en fin de vie.

Comme l’indique le rapport de MM Claeys et Leonetti, 20 % seulement des personnes qui devraient en bénéficier ont accès aux soins palliatifs. De plus, l’offre de soins palliatifs est caractérisée par de très fortes inégalités territoriales.

Il est donc urgent de promouvoir une politique publique ambitieuse en termes de soins palliatifs et de culture palliative. Cela passe notamment par un plan de développement des soins palliatifs, ambitieux dans ses objectifs mais surtout par les moyens humains et financiers qui seront dévolus à sa mise en œuvre.

Le développement d’une culture palliative passe aussi par la formation, tant initiale que continue, des personnels soignants. Il suppose également, comme le rapport Sicard le souligne, un exercice de la médecine qui en appelle à une conception unifiée et continue du soin, intégrant curatif et palliatif. Cela passe enfin par une réflexion sur l’évolution de notre politique de soins, qui doit intégrer les actes d’accompagnement dans la tarification médicale.

S’agissant des directives anticipées, j’ai quelques interrogations. Comment ne pas enfermer une personne dans une volonté qui peut varier au cours du temps et en fonction des circonstances ? Comme le souligne le rapport Sicard, des sursauts de volonté de vivre peuvent toujours se substituer à un renoncement anticipé. Il est en effet extrêmement difficile de rédiger ses directives alors qu’on est en bonne santé.

M. Yannick Moreau. Très juste !

M. Xavier Breton. Peut-on vraiment se mettre à la place du malade que l’on sera quand on ne l’est pas encore ? Que savons-nous de ce que nous penserons, de ce que nous ressentirons lorsque nous vivrons réellement le moment de quitter ce monde ?

Ne risque-t-on pas, par ailleurs, en rendant ces directives trop contraignantes, de compliquer et d’altérer le dialogue indispensable entre le médecin, d’une part, et le malade et sa famille, d’autre part ?

Plus largement, nous devons aussi nous interroger sur la toute-puissance qui serait ainsi accordée à la volonté individuelle. Nous le savons, l’éthique de l’autonomie, quand elle n’a pas de limite, peut étouffer l’éthique de la vulnérabilité, cette éthique de la vulnérabilité qui nous conduit à penser et à agir en fonction de nos fragilités et non d’une conception abstraite de l’individu.

Je voudrais, pour terminer, évoquer ce point crucial qu’est la sédation préconisée par nos collègues. En effet, la « sédation profonde et continue jusqu’à la mort » va plus loin que le seul soulagement des souffrances du patient. Elle risque de nous faire basculer de la faculté de « soulager jusqu’à la mort » à celle de « donner la mort ».

Les propos de notre collègue Alain Claeys, tels qu’ils ont été rapportés par un quotidien en novembre dernier, sont à cet égard édifiants : « Nous proposons la possibilité d’une sédation profonde et terminale jusqu’au décès et dans un délai non déraisonnable. » Et il ajoutait : « Pour la première fois, nous parlons d’une sédation forte dans le but d’aider à mourir. » On le voit bien, l’intention ne serait plus de soulager le patient, au risque d’affaiblir son organisme et donc d’accélérer son décès, mais elle serait à la fois de soulager le patient et d’abréger sa vie, donc de donner la mort.

Il est indispensable que le texte de la proposition de loi précise l’objectif de l’acte de sédation, en rétablissant clairement la notion de double effet reconnue par la loi de 2005, mais évacuée dans le texte que nous devrions examiner dans quelques semaines.

On le voit, les débats que nous aurons permettront sans doute de clarifier les intentions contenues dans le texte qui nous sera proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste.

Mme Véronique Massonneau. Enfin !

Enfin, monsieur le Président ! Enfin, monsieur le Premier ministre ! Enfin, madame la ministre, enfin, mes chers collègues !

Si l’intimité est le face-à-face avec soi-même ; si l’intimité est le partage de l’essentiel avec ses plus proches, alors, il n’y a sans doute pas de moment plus intime que ce moment où le souffle s’arrête, où la vie s’en va : cet ultime rendez-vous avec soi-même dont on ne sait finalement rien mais où, pour reprendre la belle expression de François Mitterrand, « enfin, on sait ».

(Mme Sandrine Mazetier remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme Véronique Massonneau. Alors que nous abordons ce débat intime qui engage les convictions de chacun, ma pensé va en premier lieu à celles et à ceux qui nous regardent en ce moment.

Je pense à ces Françaises et à ces Français que je rencontre depuis des mois, lors des nombreux débats ou conférences auxquels je participe, qui me demandent, par courrier, postal ou électronique, ou sur les réseaux sociaux, de porter leur voix au Parlement. Ces personnes me rappellent chaque jour le sens de mon engagement. Je tiens à les en remercier.

Ce matin, en commission des affaires sociales, nous examinions la proposition de loi sur laquelle je travaille depuis deux ans, pour laquelle j’ai auditionné juristes, médecins, infirmiers, sociologues, associations de toutes obédiences. C’est vous dire à quel point je salue la tenue de ce débat aujourd’hui, à quel point je suis satisfaite de voir l’engagement n21 du Président de la République sur la voie de recevoir enfin une traduction législative.

Cependant, comme mon collègue François de Rugy et beaucoup d’entre vous, j’ai la conviction que la proposition qui nous est faite est incomplète.

Parmi les arguments échangés ce matin en commission à l’occasion de l’examen de la proposition de loi qui sera discutée ici jeudi prochain, il en est un qui m’a paru particulièrement choquant : notre collègue Dominique Dord a déclaré que la proposition de la mission Claeys-Leonetti constituait « une ligne de crête entre deux dogmatismes ».

Nous ne pouvons pas engager la discussion sur de telles bases.

M. Bernard Roman. Bien sûr que non !

Mme Véronique Massonneau. Car s’il est dogmatique de vouloir interdire à autrui, au nom de ses propres convictions, l’exercice d’une liberté, l’exigence du respect de la liberté de chacun n’est pas un dogmatisme : c’est une exigence républicaine.

Belge de naissance, je sais d’expérience ce qu’est choisir l’euthanasie ; je sais d’expérience ce que signifie aller au bout des soins palliatifs et refuser toute aide active à mourir. Ces deux choix sont également respectables et je ne milite pas pour que l’un soit préféré à l’autre. L’honnêteté intellectuelle appelle d’ailleurs chacune et chacun d’entre nous à reconnaître que, face à cette ultime échéance, nous ignorons quelle serait notre propre décision. Mais il est une chose dont cette expérience personnelle m’a instruite : ce qui compte, c’est que chacun puisse avoir le choix.

Reconnaissons que les annonces du Président de la République sur le développement des soins palliatifs, que les préconisations de MM Claeys et Leonetti en ce qui concerne la sédation terminale ou le caractère contraignant des directives anticipées, sont susceptibles de garantir une meilleure prise en charge de la fin de vie de celles et de ceux qui décident vivre leur vie jusqu’à son terme naturel. Mais aux autres, celles et ceux qui souhaitent décider du moment et de la manière, que propose-t-on ? Ces hommes, ces femmes sont ignorés par notre législation, qui ne leur reconnaît pas le droit à disposer de leur corps.

Beaucoup dénoncent très justement les inégalités qui existent entre les Français face à la fin de vie, entre ceux qui ont les bonnes relations et les moyens de se rendre en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, tels des clandestins, et ceux qui n’ont pas le choix. Mettre fin à cette situation intolérable ne serait pas favoriser une manière de concevoir sa fin de vie aux dépens une autre : ce serait garantir la possibilité de choisir, ce serait permettre à la France, pays des libertés, de consacrer enfin notre ultime liberté.

Mes chers collègues, nous sommes des responsables politiques. Nous savons que l’idéal pour lequel nous nous battons – et cela vaut pour tous les idéaux – ne s’atteint pas en un jour. Faisons en sorte que chaque décision que nous prenons nous rapproche de notre but.

C’est parce que les propositions qui nous sont faites vont permettre de mourir moins mal en France que nous les soutiendrons.

Mais c’est aussi parce que nous savons qu’elles ne résolvent pas toutes les situations, qu’elles ne répondent pas à toutes les questions, et parce qu’elles répugnent toujours à aborder la question de l’aide active à mourir que nous ne devons pas nous en satisfaire.

Puisqu’il s’agit de faire en sorte qu’on meure plus dignement en France, nous disons oui, mille fois oui. Mais n’oublions jamais qu’il n’y a pas de dignité sans liberté, qu’il n’y aura pas de dignité ultime sans ultime liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Olivier Falorni. Notre démocratie a su conquérir, une à une, toutes les libertés.

Toutes, sauf une. L’ultime. Celle qui nous concerne toutes et tous : la liberté de choisir sa mort, le droit enfin reconnu à chaque citoyen majeur et responsable d’éteindre la lumière de son existence lorsque sa vie n’est plus qu’une survie, artificielle et douloureuse.

Oui, il en faut du courage, pour affronter des tabous multiséculaires, des conceptions d’un autre âge, qui nient les réalités du temps présent. Oui, il en faut du courage, pour franchir le Rubicon des conservatismes, comme il en a fallu à Simone Veil, ici, il y a quarante ans, pour défendre le droit à l’avortement au milieu des huées fanatiques.

Or le courage ne semble pas au rendez-vous de l’attente de nos concitoyens. Depuis deux ans et demi, nous avons été baladés, trimbalés, bringuebalés, de rapports en missions, de jurys citoyens en avis d’experts. Et à nous, parlementaires, législateurs, on concède deux heures de débat sur un sujet d’une telle importance. C’est totalement insuffisant, pour ne pas dire consternant.

Quant au rapport de nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti, s’il contient quelques petites avancées, il s’acharne à défendre l’obstination déraisonnable en faveur du statu quo.

Le jésuitisme des mots ne soulagera jamais la douleur des maux que subissent tant de malades. Car on continue à mal mourir dans notre pays, malgré les progrès des soins palliatifs, dont le bénéfice doit certes être élargi, mais qui atteignent à un moment leurs limites face à la souffrance extrême.

Le « laisser-mourir » ne peut pas rester le viatique hypocrite de notre dernier départ. Est-il possible, dans ce pays, de regarder la mort les yeux ouverts ? Est-il acceptable de prolonger des agonies de peur d’enflammer le débat public, en refusant d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire de respecter simplement l’engagement n21 du candidat François Hollande ?

Est-il tolérable que des Français soient obligés, à condition d’en avoir les moyens et de pouvoir se déplacer, de partir à l’étranger pour bénéficier d’une aide active à mourir, comme il y a quarante ans, les femmes qui voulaient avorter devaient franchir nos frontières ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

La Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, qui pratiquent le suicide assisté ou l’euthanasie active, sont-ils des pays moins civilisés que le nôtre ?

Chaque jour des situations humaines dramatiques démontrent que notre loi n’est plus adaptée. Doit-on continuer de faire l’autruche devant toutes ces euthanasies pratiquées dans le secret, dans la clandestinité, dans l’illégalité, alors qu’elles sont une geste d’humanité ? Ou bien doit-on condamner l’humanité ? Même les tribunaux ne le font plus.

Il faut aujourd’hui une loi qui plonge ses racines dans le meilleur de notre République ; une loi qui donne la liberté ; une loi qui permette l’égalité ; une loi qui incarne la fraternité.

Personne, pas même un médecin, ne doit pouvoir nous confisquer le droit de choisir nous-mêmes les conditions de notre propre mort. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Car, mes chers collègues, si la vie nous est donnée, la mort ne doit pas nous être volée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste, et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Roman, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bernard Roman. Notre débat n’est pas anodin, il n’est pas banal, il n’est pas ordinaire, parce qu’il s’agit de la mort. La mort nous concerne tous. Elle nous interpelle tous, dans notre vie, dans notre histoire, dans notre conscience.

Si ce débat n’est pas ordinaire, c’est aussi parce qu’il a pour base les travaux d’un député de gauche et d’un député de droite, M. Claeys et M. Leonetti, qui, à la demande du Président de la République, ont consacré un rapport à un sujet de société qui n’est ni de droite, ni de gauche, mais un sujet de conscience.

Il s’agissait, conformément à l’engagement pris par François Hollande pendant la campagne électorale, de définir le droit à une assistance médicalisée en vue de terminer sa vie dans la dignité.

Qu’on y soit favorable ou non, force est de reconnaître que ce rapport comporte deux avancées majeures.

La première vise à garantir le respect des décisions du malade, en plaçant le patient, et non plus le médecin, au cœur du dispositif. En effet, dans l’état actuel du droit, les directives anticipées ne s’imposent pas au corps médical. Elles auront désormais un caractère contraignant : c’est la première avancée.

La seconde, c’est l’apaisement des souffrances par la sédation profonde et continue jusqu’à la mort. C’est une réponse. En conscience, elle me semble positive mais insuffisante au regard des aspirations qui sont celles d’un certain nombre de nos concitoyens face à la perspective de la mort.

Je souhaiterais à cet égard que notre débat nous permette d’examiner, au-delà de cette réponse qu’est la sédation profonde et continue, d’autres voies pour légaliser l’aide active à mourir dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Il s’agit de le faire non pour tous, mais pour ceux qui le demandent. Il n’est pas question d’enlever un droit ou d’imposer un devoir à ceux qui ne le demandent pas, mais de permettre à ceux qui le demandent de pouvoir y accéder.

M. Olivier Falorni. Absolument.

M. Bernard Roman. Je parle volontairement d’« aide active » par pudeur car certains mots, en raison de leurs connotations ou de leur histoire, peuvent choquer ou bloquer – tel est le cas du mot « euthanasie » et, sans doute encore davantage, de la formule dite à tort de « suicide assisté ».

Devant la mort et face aux deux questionnements qui nous préoccupent aujourd’hui – celui de la dignité et de la liberté – ces mots prennent pourtant tous leur sens et ne doivent pas être tabous.

On le dit rarement, mais le Conseil consultatif national d’éthique, en 2000, a émis un avis n63 dans lequel il envisageait l’exception d’euthanasie dans la loi. Dans ce même avis, il estimait qu’il n’était pas encore possible de le dire, faute que cela soit « émotionnellement concevable » même si ce l’était éthiquement, légalement et législativement. Nous, législateurs, devons essayer de dépasser cette situation.

Les questions de l’euthanasie et, plus encore, du suicide assisté, ne doivent pas être, à mon avis, écartées de notre débat. Nous autoriserons ou non ces pratiques mais il faut que nous soyons capables de soulever les questions qu’elles posent. Pourquoi ?

Un rapport de l’INED paru au mois de décembre consacré notamment au nombre de décès dans notre pays en 2012 précise que plus de 4 500 personnes sont mortes suite à l’administration de médicaments pour mettre délibérément un terme à leur vie.

Il n’est pas possible de fermer les yeux sur ce que M. Falorni vient d’appeler les « euthanasies frauduleuses », même si je n’emploierai pas quant à moi la même formule. C’est aujourd’hui une réalité ; certes, on peut faire comme si cela n’était pas le cas, mais cela existe bel et bien.

Je ne reprendrai pas les termes du débat philosophique que certains ont évoqué, dont M. Léonetti, mais permettez-moi tout de même de citer deux philosophes : Nietzsche, qui demandait le droit de mourir à temps, et Montesquieu, qui considère la mort volontaire comme un remède entre ses mains. Ce débat existe depuis longtemps. J’y fais allusion puisque M. Léonetti l’a lui-même évoqué.

Nous ne pouvons pas non plus ne pas prendre en compte un certain nombre de témoignages importants dans notre histoire collective. De grands hommes, des femmes célèbres ont choisi, en se donnant la mort, de témoigner de leur volonté de maîtriser leur départ. Ce ne sont pas n’importe qui ! Certains d’entre eux ont siégé au Parlement, certains ont dirigé la France. Ils se sont exprimé, oralement ou par écrit ; ils ont témoigné.

Je pourrais naturellement citer Stefan Zweig ou Freud mais c’est aussi le cas de Montherlant, d’Hemingway, de Malraux, de Bruno Bettelheim, de Claire et Roger Quillot, lequel siégea sur ces bancs voilà quelques décennies.

C’est une réalité ! Ils ont voulu revendiquer et témoigner ! Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’avait pas existé.

À la lumière de ce débat séculaire, de nos histoires, de notre histoire personnelle, je compte parmi ceux qui, en conscience, souhaitent, au-delà des propositions du rapport – que j’approuve – que la possibilité du suicide assisté et d’une exception d’euthanasie, parfaitement définies et encadrées – soit rendue possible par la loi.

C’est une question lourde, mais quand il n’est plus possible de vivre dans la dignité, fût-ce en dormant, quand plus rien n’est possible sur un plan médical, quand on n’a pas envie de décliner par dignité aux yeux des autres, aux yeux des siens, aux yeux de ceux que l’on aime, ne doit-on pas se poser la question de savoir si la loi ne doit pas donner le moyen de partir à ceux qui le souhaitent ?

C’est une question dont nous ne pouvons pas faire l’économie et c’est d’ailleurs à l’honneur du Parlement de ne pas l’éluder. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, Écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, chers collègues, le rapport, comme l’article premier de la proposition de loi à venir déclare que « toute personne a le droit à une fin de vie digne et apaisée ».

Comment définir juridiquement ces notions ? Où s’arrête et où commence la dignité ? Sera-ce au juge, demain, de définir l’état de dignité d’un homme en cas de conflit entre le médecin et la famille du malade ? Quel degré de handicap ou de souffrance nous fait passer de la dignité à l’indignité ? Ce sujet est bien évidemment à haut risque.

Depuis deux ans, l’exécutif multiplie les avis derrière lesquels il pourrait se retrancher : celui de l’association pour le droit à mourir dans la dignité, pro-euthanasie évidemment, et dont le président s’est félicité de votre nomination, monsieur le Premier ministre ; le rapport Sicard et l’avis de Terra Nova qui préconisent tous deux le suicide assisté via l’assistance pharmacologique.

L’éviction des représentants des religions au sein du Comité consultatif national d’éthique, lesquels condamnent bien entendu l’euthanasie, révèle bien que vous ne souhaitez favoriser que les avis allant dans votre sens.

La Loi Léonetti de 2005, bien qu’imparfaite, répond à la plupart des cas qui se posent.

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Aujourd’hui, 70 % des Français meurent à l’hôpital quand, au début des années soixante, 70 % mouraient à leur domicile. Pourtant, 80 % des médecins ne sont pas formés aux techniques de soins palliatifs. Neuf ans après son entrée en vigueur, la loi Léonetti continue d’être mal connue : la médecine l’ignore dans 90 % des cas et seuls 2,5 % des Français ont rédigé leurs directives anticipées.

La priorité des pouvoirs publics devrait donc être axée sur une meilleure formation et information des médecins.

François Hollande déclarait au mois de juillet 2012 : « Je souhaite donc, et j’en prends l’engagement, que nous développions la diversité et l’offre de soins palliatifs. Ce sera une réforme qui sera engagée dans les prochains mois. » Où en est la réforme promise ? Les engagements du Président sont comme d’habitude à géométrie variable.

La loi Léonetti souffre actuellement de quelques interprétations alarmantes que le rapport préconise malheureusement de graver dans le marbre.

L’exposé des motifs de cette loi de 2005, confirmé par une décision du Conseil d’État, introduisait déjà l’idée que l’alimentation et l’hydratation par voies artificielles devaient être considérées comme des traitements et non comme des soins.

Ce choix n’est pas anodin car les traitements, contrairement aux soins, peuvent être interrompus si le patient en a émis le souhait ou si le médecin l’a décidé après concertation collégiale.

Dans l’affaire Vincent Lambert, c’est ce point ambigu de la loi Léonetti qui a été exploité pour autoriser la mise à mort du patient tétraplégique. On ne peut moralement accepter que nourrir quelqu’un soit considéré comme une obstination médicale déraisonnable.

Jusqu’où ira demain cette logique infernale ? Une personne handicapée moteur incapable de se nourrir seule risque-t-elle de voir un jour considérer son assistance à l’alimentation comme de l’acharnement thérapeutique ?

Osons dire les choses : arrêter l’hydratation et l’alimentation entraîne une agonie de plusieurs jours, totalement inhumaine. Il ne s’agit ni plus ni moins que de laisser mourir ces personnes de faim et de soif.

Ces affaires médiatiques conduisent aujourd’hui à ouvrir de nouveaux débats, avec à l’horizon, la sombre perspective de l’euthanasie.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est vraiment n’importe quoi !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Le dernier rapport en date, celui de MM. Claeys et Leonetti, ne suggère pas directement l’euthanasie mais la proposition de loi à venir fait pourtant un pas en avant feutré vers une telle pratique en généralisant la sédation dite « profonde et continue » sur simple demande du patient et non plus comme ultime recours après décision collégiale.

Cette sédation terminale sera obligatoirement associée à l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation pour ne pas, je cite, « prolonger inutilement la vie ».

Une fois de plus, comment définir juridiquement l’utilité d’une vie humaine ? Faut-il associer cette notion d’utilité à celle de dignité citée plus haut ?

Les efforts législatifs ne sont pas ciblés pour mieux accompagner la personne, l’écouter, la soulager dans cette période difficile, mais pour savoir comment s’en débarrasser au plus vite et comment la faire taire en profitant de son extrême vulnérabilité.

La généralisation de la sédation, la simplification de son utilisation nous font entrer dans une logique euthanasique par une manœuvre dangereuse, ultime étape avant de sortir l’euthanasie de sa clandestinité et de rejoindre la triste réalité de l’affaire Bonnemaison, médecin récemment acquitté après avoir pris la décision, seul, de tuer sept personnes sans même parfois l’avis de sa victime ou de la famille de celle-ci. Ce fut là un véritable droit de tuer encensé, de plus, par la presse.

M. François de Rugy. Il a été acquitté, vous l’avez dit.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. De quel droit un médecin a-t-il légitimement droit de vie ou de mort sur ses patients ?

Pour preuve de cette hypocrisie, la remarque des deux députés auteurs du rapport justifiant la reprise dans le texte de la décision du Conseil d’État cité plus haut. Je cite : « Nous ne pouvons que reprendre le sens de cette décision qui devrait contribuer à mettre fin à des pratiques malheureusement encore répandues de sédation avec maintien de la nutrition, ou, plus souvent encore, de l’hydratation. »

Entendez bien la logique : une sédation n’entraînant pas la mort en raison du maintien de l’alimentation et de l’hydratation est donc une pratique malheureuse.

Plus de doute possible : l’association obligatoire de la sédation terminale et de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation révèle que l’objectif est moins de soulager la souffrance du patient que de permettre de le tuer en masquant les effets de la faim et de la soif.

Sinon, comment expliquer que l’on ne puisse plonger une personne dans le coma tout en continuant de la nourrir jusqu’à son décès naturel, la personne étant censée être en phase « avancée et terminale » ?

Ce rapport et la loi qui l’accompagne sont une légalisation de l’euthanasie qui ne dit pas son nom. Je ne peux défendre ses préconisations, non plus que celles de la loi à venir qui ne seront bien sûr qu’une première étape vers d’inquiétantes dérives, dont le suicide assisté.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, nous évoquons aujourd’hui un sujet éminemment difficile qui, cela a été dit, n’est ni de gauche, ni de droite. Il serait d’ailleurs dramatique de vouloir lui accoler une étiquette.

Cependant, il convient de bien définir les termes employés car, trop souvent, on s’abrite derrière eux et l’on se trompe.

Première formule qui mérite explication, l’ « acharnement thérapeutique ». C’est une mauvaise formule : c’est d’ « acharnement médical » dont il faut parler, lequel est en effet inacceptable.

Comment s’octroyer le droit de traiter, d’administrer un traitement à quelqu’un qui est en train de mourir parce que la mort gagne et que la maladie n’est plus guérissable ? Cet acharnement médical n’est pas acceptable, les médecins doivent le comprendre !

Certes, il faut bien entendu utiliser la sédation ou les traitements antalgiques afin d’éviter la douleur. Or, quelle est la différence entre eux ? J’ai essayé de comprendre… Un produit antalgique, par définition, « endort » la douleur. Je suis évidemment tout à fait d’accord pour que les médecins puissent utiliser la sédation !

Lorsque cela se fait pour empêcher que le malade en fin de vie ne souffre, on sait parfaitement bien que la sédation augmentera à proportion de la douleur. On sait bien aussi que cette sédation ou cette administration de produits antalgiques accéléreront la survenue de la mort mais l’intention est bien de donner les produits nécessaires pour que la mort soit douce et sans douleur et non de tuer immédiatement le malade dans une démarche d’euthanasie.

Oui, je suis ici afin d’expliquer le sens de certains mots ! L’acharnement médical est inacceptable mais l’acharnement thérapeutique est tout autre ! Ceux qui en bénéficient, ce sont les malades que l’on voit en réanimation, ce sont ceux qui sont parfois atteints de maladies graves mais qui ont l’espoir de guérir ! Comment nos lois peuvent-elles utiliser les termes d’acharnement thérapeutique ?

Ensuite vient la culture palliative, qui est aujourd’hui fondamentale. Or, elle n’a jamais été enseignée suffisamment et les unités de soins palliatifs ne sont pas assez nombreuses.

Il est pourtant nécessaire, et même fondamental, pour nous autres médecins, de pouvoir offrir à un patient ou à une patiente en fin de vie une place dans une unité de soins palliatifs. Aujourd’hui, seuls 2 % des patients en fin de vie ont accès à une unité de soins palliatifs. Il faut absolument les développer.

J’en arrive à la question des directives anticipées. Il importe évidemment que chacun puisse donner de telles directives lorsqu’il est en bonne santé. Mais ces directives sont-elles impératives pour l’équipe médicale ? Je me pose la question, et d’autres se la sont posée.

Que faire lorsqu’on voit arriver un homme ou une femme qui se trouve dans le coma à la suite d’une tentative de suicide ? Dans 80 % des cas, les tentatives de suicide sont des appels à l’aide lancés par des personnes qui sont seules, qui ont des problèmes ou des troubles, parfois d’une faible gravité. Croyez-vous que le médecin de garde qui recevra l’une de ces personnes aux urgences ne la soignera pas, sous prétexte qu’elle aura laissé une directive ou une lettre dans laquelle elle demande à ne pas être réanimée ? Croyez-vous qu’une jeune femme qui vient de faire une tentative de suicide ne sera pas réanimée parce qu’elle a rédigé une directive anticipée ? Je me pose la question…

M. Yannick Moreau. C’est une bonne question !

M. Bernard Debré. …parce qu’il m’est arrivé, en tant que médecin, de réanimer quantité de jeunes femmes et de jeunes hommes, mais aussi des personnes plus âgées, qui avaient tenté de se suicider et qui, une fois réanimées, m’ont tout simplement remercié, en me disant que leur passage à l’acte était un appel à l’aide. Faut-il laisser ces personnes mourir, parce qu’elles ont écrit une lettre ? Je n’en suis pas sûr.

M. François de Rugy. Vous mélangez tout ! Cela n’a rien à voir !

Mme la présidente. Merci de conclure, cher collègue.

M. Bernard Debré. La fin de vie, ce n’est pas seulement le stade terminal d’un cancer. La fin de vie, c’est aussi cette femme qui a tenté de se suicider et qui est en fin de vie si l’on ne fait rien.

Je voudrais, pour finir, tenter de définir la « dignité ». C’est très difficile ! Un homme en train de mourir dans un service qui n’est pas adapté peut évidemment perdre sa dignité…

Mme Michèle Delaunay. Absolument !

M. Bernard Debré. …mais s’il est accueilli dans une unité de fin de vie, il retrouve sa dignité.

Mme la présidente. Merci de conclure.

M. Bernard Debré. Je voudrais, pour finir, réagir à des propos que j’ai entendus tout à l’heure. Une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer est-elle digne ? Est-ce qu’il reviendra un jour à la société de se prononcer sur cette question et de trancher si tel malade est digne ou non ? Cela ouvrirait la voie à une fin de vie dans la dignité décidée par l’État. Les malades d’Alzheimer sont-ils indignes ? Je vous laisse réfléchir à cette question. Ils sont 800 000 en France, et seront bientôt 1 million. Faudra-t-il tous les qualifier d’indignes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat nous donne l’occasion de partager ce que nous savons, ou pensons savoir, de ce propre de l’homme qu’est l’appréhension de sa mort.

Je sais pour ma part que les grands âgés, qui sont les premiers concernés, hors des états de dépression, d’ailleurs fréquents, ne veulent pas mourir. Du reste, les déprimés eux-mêmes se suicident plus souvent qu’ils ne demandent à mourir. Je sais plus encore que ces grands âgés meurent le plus souvent là où ils ne devraient pas : dans les services d’urgence, qui sont faits pour sauver in extremis, et non pour accompagner la mort.

Je sais qu’on meurt aujourd’hui dans la douleur, bien souvent comme au temps de Louis XIV, d’escarres, d’artérites, de plaies chroniques, qui devraient être accompagnées beaucoup plus tôt par des attitudes et des thérapeutiques palliatives. Comme Bernard Debré, je sais que les suicidés d’une balle dans la bouche, quand des mois d’hospitalisation et de reconstruction permettent de les sauver, ne récidivent jamais, ce qui démontre la labilité des décisions à l’épreuve des épreuves.

Je sais que les malades gravement atteints demandent d’abord à être guéris, et que ceux qui disaient qu’ils se tueraient si on leur découvrait une métastase sont bien souvent, après qu’ils ont appris la nouvelle, les plus ardents combattants pour tenter d’en guérir. Je sais de manière certaine qu’on ne connaît le courage du soldat que sur le champ de bataille.

Je sais que, comme nous ignorons le jour et l’heure de notre mort, nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est rien, de ce que nous serons nous-mêmes, de ce que nous penserons ou voudrons ce jour-là, à cette heure-là. Je sais que s’il ne s’agit pas aujourd’hui d’écrire une loi à destination des médecins et des soignants, ce sont eux qui, très majoritairement, « feront le job », lorsque ce jour et cette heure seront venus. Or ils ne peuvent être contraints par des directives qui ne correspondent en rien à ce qu’ils ont connu du malade au cours des dernières semaines et des derniers mois, c’est-à-dire dans le feu de l’ultime combat.

Je sais qu’il n’est pas humain de mourir seul, et que le droit à l’accès aux soins palliatifs devrait être réaffirmé, et surtout rendu possible, afin que chacun puisse en bénéficier, où qu’il se trouve. Nous sommes loin du compte, et sans doute cela devrait-il nous inciter à ne pas légiférer trop radicalement.

Je sais surtout, comme le vieil Aristote, que je ne sais pas grand-chose, et que nous devons avancer à pas mûrement réfléchis, en poussant à son maximum la recherche de consensus, même si certains voudraient aller plus vite et plus loin. L’ensemble de ces éléments est pris en compte dans la proposition de nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti, à laquelle je souscris, à quelques nuances près. Ces nuances, la maturation en commission permettra sans doute de les effacer, s’agissant en particulier de la prise en compte de l’attitude, et bien sûr de la parole du patient, au cours des dernières semaines.

Les mesures proposées dans ce texte sont équilibrées et respectueuses. Le droit à une sédation profonde et continue, associée à l’arrêt des traitements, permet d’assurer une mort apaisée et sans souffrance. La mise en place, dès 2015, d’un plan triennal pour les soins palliatifs répond à une attente et à un besoin. Ce besoin est aujourd’hui rendu urgent par l’arrivée dans le champ de l’âge des fortes générations des boomers. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui précède d’autres débats qui auront lieu dans les semaines à venir, concernant la proposition de loi de notre collègue Véronique Massonneau et celle, très différente dans son approche, de nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys. Le débat d’aujourd’hui est donc utile, puisqu’il permet de nous interroger sur la raison d’être des initiatives à venir.

Celle de Mme Massonneau dénote certes de vraies convictions, mais dont nous sommes très éloignés, ainsi que de son approche. Celle de nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys, qui est le fruit d’un long travail, cherche sans doute à répondre à un certain nombre de questions de principe et de situations concrètes. Mais elle suscite des interrogations, si bien qu’il est difficile de se prononcer immédiatement et aisément sur les orientations qu’elle propose.

Le débat sur la fin de vie est parfois posé d’une manière curieuse. Nombreux sont ceux qui, tout en approuvant la loi Leonetti et le développement des soins palliatifs, prétendent, ce qui me paraît curieux après tant d’années, que cette loi n’est pas assez connue. Est-elle insuffisamment appliquée ? Je le pense. Les moyens mis en œuvre pour développer et organiser des soins palliatifs sont-ils insuffisants ? Sûrement, et cela a été largement documenté. Cela étant dit, il me semble que l’argument d’autorité consistant à dire qu’il faut absolument voter une nouvelle loi, au motif que la loi antérieure ne serait pas connue, est un brin contradictoire en logique stricte, et par ailleurs peu conforme à la réalité.

M. François de Rugy. Ce n’est pas ce que nous disons !

M. Hervé Mariton. Le cadre législatif qui existe aujourd’hui doit-il être précisé ? Faut-il aller plus loin ?

Mme Véronique Massonneau. Oui !

M. Hervé Mariton. La sédation terminale est pratiquée aujourd’hui, comme chacun sait. Il s’agit toujours d’une décision, d’un choix, d’un dialogue difficiles, entre le patient, son entourage et le médecin. Faut-il, et jusqu’où, préciser et expliciter les choses ? Jusqu’à quel point faut-il préciser le droit ? Et à quel moment considère-t-on que nous sommes dans des matières humaines si délicates que c’est au patient, quand il le peut, à son entourage et à son médecin que revient l’ultime responsabilité ?

Quel est exactement le droit du malade ? Parle-t-on d’ailleurs ici d’un droit du malade ou d’un droit du médecin ? Le droit du médecin doit-il être totalement codifié ? Et quelle est la part de responsabilité que, parfois, on ne peut pas écrire ? La même question se pose à propos de la directive anticipée : quand doit-elle être rédigée ? Dans quel délai ? À quel intervalle ? Pour tenir compte de l’évolution possible, du cheminement du patient, il faudra assurément beaucoup de délicatesse et de compréhension.

Certains mots employés par mes collègues – et je le leur ai dit – peuvent par ailleurs surprendre, voire blesser, même s’ils appartiennent peut-être à un vocabulaire technique reconnu. Je songe notamment à la notion de « prolongement inutile ». Entendez, chers collègues, que l’adjectif « inutile » puisse ne pas être compris.

Au fond, je crois que nous avons là une recherche, un travail et une proposition sincères, utilement éclairés par notre débat d’aujourd’hui. Mais il y a dans cette sincérité une ambiguïté, qui est source d’interrogations et d’inquiétude. S’agit-il de tenir un engagement du Président de la République, qui a pu être compris, à un moment donné, comme un pas vers les militants de l’euthanasie ? Que signifient par ailleurs les déclarations de responsables de l’exécutif, et du Président de la République lui-même, sur la notion d’étape ? Une loi, puis une autre loi ? Une étape vers quoi ? Une étape sur quel chemin ? Pourquoi une étape ? Faut-il nécessairement, en ces matières, faire mouvement ?

S’il y a sur nos bancs une très large unanimité, un très large consensus au sujet de la loi Leonetti, telle que nous la connaissons ; si chacun d’entre nous peut comprendre qu’une loi peut toujours être mieux expliquée et exiger les moyens d’une application concrète, conforme à l’esprit et au contenu de la loi ; si des précisions peuvent être apportées, je fais partie de ceux qu’inquiète le sens de cette étape, qu’il nous sera sans doute proposé de franchir. Cette étape est-elle indispensable ? Où nous mène-t-elle ? Il y a là beaucoup de questions et d’interrogations. De la sincérité, assurément ; des inquiétudes, aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie est une question qui intéresse évidemment chacun de nous. Nul ne détient la solution, la réponse absolue au savant mélange d’aspects juridiques et éthiques, qui fait aussi appel aux convictions, aux valeurs, mais également aux doutes.

Soyons à l’écoute des souffrances et des plaintes, ne manquons pas d’humanité ni d’humilité sur un tel sujet. Méfions-nous des projecteurs qui sont braqués régulièrement sur tel ou tel cas particulier. Je pense à Chantal Sébire, à Vincent Humbert, et plus proche de nous, à Vincent Lambert, ballotté entre le Conseil d’État, la Cour européenne des droits de l’homme et sa famille déchirée. Ce sont des situations fortement médiatisées qui ont suscité des vagues d’émotion et en retour, des initiatives visant à modifier notre législation sur la fin de vie, telles que celle dont le député Valls fut rapporteur en son temps, ou celle du groupe écologiste que nous évoquerons la semaine prochaine.

Entre ces propositions Claeys-Leonetti, celle de la semaine prochaine et d’autres, il s’agit sans doute d’un test pour voir comment la majorité pourrait gérer un certain nombre de contradictions. Mais je ne cherche pas à cliver ou à provoquer de polémique, je crois que nous devons nous rassembler et rester sereins sur cette question qui, forcément, peut déclencher des passions.

Pour ma part, je reste très attaché à la loi Leonetti de 2005 – et je salue évidemment son auteur présent dans l’hémicycle. C’est une loi qui me paraît équilibrée, qui vise à prendre en compte l’ensemble des situations de fin de vie en proscrivant l’obstination déraisonnable. Elle autorise déjà l’arrêt des traitements dans l’intention de soulager, même lorsqu’une telle intervention risque d’abréger la vie du patient ; c’est ce que l’on a appelé la doctrine du « double effet ». Elle prévoit aussi déjà une sédation d’accompagnement encadrée.

Cet attachement à la loi Leonetti a été rappelé dans le rapport rendu par le Professeur Sicard en 2012 et par le CCNE dans son avis de juin 2013. Dès lors, parce que c’est une loi équilibrée, il me semble que les dispositions qu’elle prévoit, les mesures qu’elle autorise, doivent être pleinement appliquées, et c’est là que le bât blesse. Nous en sommes loin. En effet, dix ans après son adoption, force est de constater que la connaissance de cette loi a encore du chemin à faire, et nous le savons tous. Il faut absolument développer les soins palliatifs, faire de ces soins une grande cause nationale qui bénéficierait enfin de véritables moyens, pas comme nous le voyons aujourd’hui. Je souhaiterais que ce soit une grande cause nationale, à l’instar du plan cancer.

Notre pays, vous le savez, accuse un retard considérable. Huit Français sur dix n’ont toujours pas accès aux soins palliatifs, et les chiffres cités par notre collègue Fraysse sont éloquents. Nous devons garantir un égal accès pour tous aux soins palliatifs sur l’ensemble de notre territoire, ce qui est loin d’être le cas. Il faut bien sûr des lits supplémentaires, des moyens en faveur de la formation initiale ou continue.

Plus largement, il faut également renforcer la culture du soin palliatif. Il faut enfin sensibiliser nos concitoyens à la possibilité, déjà ouverte par la loi mais qui est le plus souvent ignorée, de rédiger des directives anticipées. Seulement 2,5 % de nos concitoyens le font, ce qui est évidemment très insuffisant.

Il faut sans doute revenir sur ces éléments de directives anticipées, peut-être les faire mieux connaître, mais je m’interroge sur l’opportunité de modifier le régime qui leur serait applicable pour les rendre impératives, opposables. Bien sûr, comme nos collègues Claeys et Leonetti, je constate que nos concitoyens n’utilisent pas la possibilité de laisser ces directives anticipées, mais j’y vois une difficulté semblable à celle que nous rencontrons avec le don d’organes. Peu de personnes pensent à indiquer de leur vivant à leurs proches s’ils sont favorables ou non au don d’organes. Au fond, j’ai le sentiment que pour la fin de vie comme pour le don d’organes, il est difficile de se positionner de son vivant, car cela implique d’envisager sa propre mort, et sans doute Éros est-il plus sexy que Thanatos !

Il faut communiquer sur l’intérêt de ces directives anticipées, mais sans enfermer l’équipe médicale dans un veto absolu, en lui laissant une part d’autonomie. Et quel poids ferions-nous peser sur le tiers de confiance qui se verrait confier le précieux message ! Voilà mes interrogations sur l’opportunité de l’opposabilité et du caractère contraignant donné à ces directives.

Gardons aussi en tête l’ambivalence du malade. Il est toujours très facile d’avoir des points de vue lorsque l’on va bien, confortablement calé dans son fauteuil. Ces points de vue peuvent être différents avec une fragilité psychique, physique, psychologique, lorsque la maladie vous atteint.

Quelques mots enfin sur la sédation profonde et continue en phase terminale. Je m’interroge là aussi : la vocation initiale de soulagement et d’apaisement ne risque-t-elle pas de glisser vers une forme d’euthanasie ? À plus forte raison si l’alimentation et l’hydratation sont arrêtées. À plus forte raison encore si la loi présume le consentement des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté. Oui, prenons garde à ce que cette volonté de prendre en compte le cas par cas ne glisse vers un droit général, et que ce glissement ne nous amène à penser que la loi pourrait tout résoudre, en oubliant les cas singuliers de chaque vie.

Bien sûr, il n’est pas question à ce stade de légalisation de l’euthanasie. Bien sûr, il n’y a pas d’ambiguïté cher Jean Leonetti, mais prenons garde à la rédaction retenue pour que les mots ne dérapent pas. Dans tous les cas, je me réjouis qu’à ce stade le suicide assisté ne figure pas dans ce texte, il en ira sûrement autrement lors de l’examen de la proposition de loi de nos collègues écologistes la semaine prochaine.

Mme Véronique Massonneau. Sûrement !

M. Philippe Gosselin. Ce serait un chiffon rouge, et pour tout dire une sortie de route tout à fait inacceptable. Efforçons-nous de promouvoir une culture de vie du début jusqu’à la fin. L’équilibre de la société dépend aussi de la place que l’on accorde aux plus faibles, à l’accueil que nous faisons à la mort. La question est de savoir si nous voulons une société solidaire, y compris à la fin de la vie, ou bien une société qui abandonne celui qui souffre. Vous avez compris que je fais le choix de la solidarité et de l’accompagnement de la souffrance.

Nous sommes prêts à rester dans l’unité et à trouver un bon équilibre, mais pas à n’importe quel prix, vous l’avez compris. Gardons toujours à l’esprit qu’il faut avoir la main tremblante sur ces questions de société, et comme Jean Bodin, affirmons qu’il n’est de richesse que d’hommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, au moment où l’on s’échange quotidiennement des vœux de santé, nous sommes sollicités pour l’analyse d’un texte sur la fin de vie.

Derrière cet apparent paradoxe, nous sommes en réalité exhortés à reprendre une réflexion philosophique ancestrale qui préoccupe les humains depuis la nuit des temps. L’homme a la conscience claire de la finitude de sa vie et, si notre civilisation moderne fait une place plus réduite que les sociétés antiques à la méditation sur la mort, elle n’en exprime pas moins le désir d’une fin de vie dans la dignité.

Or le mal mourir persiste en France aujourd’hui. Nos concitoyens expriment le désir d’une fin de vie paisible, à domicile, avec leurs proches autour du lit et sans acharnement thérapeutique ou obstination déraisonnable. La réalité est toute autre : la plupart des personnes décèdent à l’hôpital, souvent même dans un service d’urgence, avec une atmosphère caractérisée par le bruit ambiant, le stress, et non propice à des propos intimes et affectueux. Quant à ceux qui relèvent légitimement de soins palliatifs, seuls 20 % d’entre eux peuvent y accéder, et cela pendant une période souvent bien trop courte de deux à trois semaines.

Le texte proposé apporte nombre d’améliorations et il faut rendre hommage à Alain Claeys et Jean Leonetti pour les multiples auditions effectuées, pour le travail de synthèse et pour la recherche d’une convergence. Point important, il met la personne concernée au centre des diverses mesures législatives préconisées et non plus les soignants, les médecins notamment.

La proposition de loi apporte des droits supplémentaires : le droit à être entendu – la volonté de chacun, exprimée dans les directives anticipées, doit être suivie ; le droit à ne pas souffrir grâce à une application étendue des traitements antalgiques et sédatifs ; le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; le droit à bénéficier effectivement de soins palliatifs sur tout le territoire national.

Tout ce travail et ces avancées complètent la loi dite Leonetti du 22 avril 2005. Des réflexions nombreuses ont été conduites depuis cette date. Je n’en citerai que quelques-unes : la proposition de loi Ayrault-Valls dont j’étais également signataire en 2009, l’engagement formel du Président de la République lors de la campagne présidentielle de 2012, la commission Sicard, l’avis du Comité consultatif national d’éthique, les débats dans toute la France ou encore la conférence des citoyens.

La proposition du Président de la République était, je le rappelle, que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Cette réflexion ne s’arrête pas aujourd’hui. Elle se prolongera certainement au-delà du texte législatif et, dès maintenant, elle va conduire à enrichir la proposition de loi qui nous sera prochainement soumise.

De l’avis des auteurs, certaines situations ne sont pas prises en compte : les maladies avec dégénérescence neurocérébrale et la réanimation néonatale en particulier. J’ajoute que les situations où la fin de vie est fortement réclamée avant la phase absolument terminale sont également exclues, de même que les situations où la période agonique se prolonge exagérément, accompagnée de troubles très pénibles pour tous, telles des suffocations prolongées.

Enfin, la souffrance n’est pas définie. Or si l’on sait aujourd’hui le plus souvent calmer les douleurs physiques, il n’en est pas de même des souffrances psychiques beaucoup plus rebelles, toujours plus difficiles à apaiser. Sera-t-il considéré partout, dans chaque domicile et dans chaque hôpital, que de telles souffrances psychiques graves justifient une intervention ? Laquelle ? Comment organiser la décision conjointe de la personne concernée et d’un collège d’experts ?

Toutes ces questions pourraient faire l’objet de discussions, puis de compléments à un texte dont la nature consensuelle ne sera pas remise en cause. L’Assemblée nationale et le Sénat, inspirés par un esprit de raison, de pragmatisme et d’une laïcité si importante dans notre pays, trouveront le chemin de l’élargissement du droit et des libertés. Le respect de la volonté individuelle primera sur le désir d’imposer au patient un point de vue extérieur à sa personne. L’hétérogénéité des pratiques ne sera plus dictée par les différences de philosophie entre les médecins, mais par les choix individuels des patients. Idéalement, il ne devrait plus rester de situations où des mesures sont prises en catimini faute d’avoir été anticipées et prévues par la loi.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Jean-Louis Touraine. À titre personnel, comme beaucoup de médecins, je serai soulagé et fier d’exercer mon activité au service des malades et selon leur volonté, à toutes les phases de leur vie et de leur mort, sans avoir à rechercher des subterfuges ou des solutions hypocrites. Ceux qui, comme moi, ont affronté les agonies douloureuses des jeunes malades du sida dans les années quatre-vingts, des patients cancéreux ou des enfants atteints de maladies mortelles partageront, j’en suis sûr, ce vœu d’apaiser et de préserver la dignité du patient jusqu’à la fin de sa vie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, madame le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, lorsque le Parlement a adopté la loi de 2005 à l’unanimité, il l’a certainement fait en imaginant que ce serait davantage un point d’arrivée qu’un point de départ, ou quelque chose qui nous amènerait vers une étape supplémentaire.

Même si je n’étais pas sur ces bancs pour la voter, j’ai compris cette intention et je l’ai partagée, tout en étant par ailleurs convaincu – sans manquer de respect à notre collègue Leonetti – que les trous dans la toile qui subsistaient sur la nutrition et l’hydratation poseraient de toute façon, et de manière récurrente, un certain nombre de problèmes auxquels sont confrontées aujourd’hui les équipes soignantes et les familles.

Comme l’on dit les orateurs précédents, il y a dans notre société une angoisse injuste à l’égard de la mort. Elle n’est pas injuste parce qu’elle serait inégalement partagée ; malheureusement, chaque mort est singulière et la difficulté que nous avons à nous projeter dans la nôtre nourrit cette angoisse. Mais lorsque les institutions en général, la santé publique, se montrent peu capables d’y répondre et de rassurer une population entière sur les conditions dans lesquelles chacun d’entre nous pourrait être amené à passer de vie à trépas, cette angoisse est nourrie.

S’agissant des directives anticipées, je fais partie de ceux qui sont très dubitatifs à leur propos. Pour tout vous dire, sur l’invitation d’un de mes amis, j’ai commencé voilà quelques jours l’exercice consistant à en écrire pour moi-même ; c’est impossible.

On peut bien sûr écrire que si l’on était sur un lit d’hôpital avec le cerveau en bouillie, il faudrait tout arrêter, mais à part cela, que peut-on dire ? Comment se projeter dans un événement qu’on ne veut pas voir se réaliser, qu’on peine à imaginer, qu’on ne peut, par définition, expérimenter ? Comment imaginer les circonstances dans lesquelles on se trouvera au point d’être capable de préciser aux personnes qui s’occuperont de nous ce qu’il faudra faire dans tel ou tel cas ? Et d’ailleurs, comment imaginer ce que seront ces cas ? C’est impossible !

Et l’on voudrait que, sur cette base, les équipes qui entourent les patients prennent des décisions et respectent les volontés exprimées par eux, à supposer qu’elles aient été déclinées de manière complète ? Cela vise sans doute à faire en sorte que la responsabilité qui repose aujourd’hui majoritairement sur le corps médical soit, d’une certaine façon, transférée vers le patient. J’y vois le signe d’une volonté de la part du corps médical non pas de se défausser, car chacun connaît la capacité du personnel soignant à accompagner les patients en fin de vie, mais de ne plus se retrouver devant un tribunal pour avoir pris une décision contestable, comme cela a pu arriver voilà quelque temps.

Notre responsabilité dans cette affaire est de maintenir, voire de renforcer la confiance que la société entière place dans le corps médical. Et parce qu’il est le seul à disposer de l’expérience, de la science et de l’art médical suffisants pour estimer les situations, le corps médical doit rester le pivot de ce moment particulier de la fin de vie, même si cela comporte un risque, car personne n’est infaillible et que certains cas sont insolubles.

Il y eut dans l’histoire de la médecine en France, durant la période extrêmement trouble des années vingt et trente, ce qu’on a appelé la querelle des « incurables » : l’hôpital faisait alors le tri parmi les malades atteints de cancer entre ceux qu’il pouvait soigner et ceux qu’il ne pouvait pas soigner. Des médecins se sont opposés, en particulier à Toulouse et à Bordeaux, où le cancer a commencé d’être soigné. On triait ainsi les patients, un peu comme l’ont fait, dans des circonstances tout aussi brutales, les médecins de guerre dans les hôpitaux de campagne, lorsqu’ils décidaient de ne pas consacrer de temps à un malade qui n’avait aucun espoir de guérison pour se concentrer sur ceux qui pouvaient survivre. C’était l’hôpital des années trente pour les malades du cancer.

Petit à petit, malheureusement, la domination de la science, d’une pratique très scientifique de la médecine a sans doute déshumanisé la relation entre l’institution hospitalière et les patients. Mes chers collègues, les soins palliatifs ne sont pas seulement l’affirmation d’un droit pour tous ; ils sont aussi une forme de réponse à ce côté un peu trop scientifique et déshumanisé qui a dominé la pratique au sein des institutions médicales ces dernières décennies. Les soins palliatifs sont une tentative de rendre à nouveau plus humaine une pratique qui, par excellence, doit être empreinte de la plus profonde humanité.

Par conséquent, le texte qui nous est proposé aujourd’hui, à supposer que le futur projet de loi gouvernemental s’en inspire, présente trois risques à mes yeux, au-delà du fait que la question de la nutrition et de l’hydratation demeure, et constitue à mon sens une limite infranchissable quant aux situations dont nous débattons.

Premièrement, est-on en mesure de garantir que la sédation terminale profonde ne dérivera pas vers une pratique à caractère euthanasique, au sens de la volonté affirmée de mettre fin, quelles que soient les circonstances, à la vie d’un patient ?

Deuxièmement, je le répète, ce texte sera-t-il l’occasion de réaffirmer la confiance accordée par le corps social au monde médical ? Celui-ci doit pour cela prendre à son compte, et il faudra prévoir les moyens nécessaires à cette fin, l’essor, la propagation de cette culture palliative qui est la seule façon, de mon point de vue, de répondre de manière humaine, c’est-à-dire par l’accompagnement, à ces situations de fin de vie.

Troisièmement, je crains que la facile substitution de la pratique de la sédation aux soins palliatifs n’aboutisse purement et simplement à ce que la nécessité de propager la culture palliative dans le système de soins français ne se fasse plus sentir. Si tel devait être le cas, mes chers collègues, nous perdrions beaucoup, c’est-à-dire non pas dix ou vingt ans, mais cent quarante, cent cinquante, cent soixante ans par rapport aux débuts de la culture palliative, qui ont permis que ces disciplines soient aujourd’hui bien identifiées, très nourries et documentées, et que de nombreux bénévoles dans tout le pays y prennent part.

Si l’adoption d’un texte sur le sujet devait avoir pour conséquence une telle perte, mes chers collègues, alors nous réglerons peut-être quelques problèmes techniques, et permettrons, çà et là, à quelques-uns de nos concitoyens de terminer leur vie dans des conditions plus humaines qu’auparavant, mais nous perdrons la très grande richesse que représente la culture palliative en France, ce que je ne souhaite pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Madame la présidente, madame la ministre, aujourd’hui, notre débat doit nous conduire à nous interroger sur la pertinence d’une nouvelle réforme de la législation sur la fin de vie.

Chacun d’entre nous ici a bien conscience de l’importance exceptionnelle de cette interrogation. Toucher à la mort, c’est en effet poser la question du sens de la vie. La mort « transforme la vie en destin », écrivait Malraux, et le poète François Cheng, dans ses Cinq méditations sur la mort, nous invite à repenser nos vies à partir de cette inéluctable issue de l’homme.

Tous, nous avons vécu l’expérience de la mort de proches ; tous, nous avons été profondément marqués par ces heures où un être très cher s’en va. Parce qu’il s’agit du très intime, penser pour la collectivité est sans aucun doute l’un des plus grands défis pour les législateurs que nous sommes. Dans le pays des droits de l’homme, il nous faut en effet avoir le souci de respecter toutes les convictions, toutes les croyances, avoir le souci de celui qui part mais aussi de ceux qui restent pour ne pas alourdir leur peine.

Posons d’abord la question de l’utilité de la modification législative que nous proposent nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys. Les trois principes affirmés par la loi de 2005 – je ne t’abandonne pas, je ne te laisse pas souffrir, je ne m’obstinerai pas de manière irraisonnable – constituent une synthèse équilibrée entre les deux défis apparemment contradictoires que présente la fin de vie : d’un côté, la préservation de la vie, de l’autre, le désir d’éviter la souffrance lorsque la fin est proche. Cette dualité constitue le moteur même de la vocation du personnel des centres de soins palliatifs – Jean-Frédéric Poisson le rappelait à l’instant – ainsi que des très nombreux bénévoles discrets et formidablement engagés dans ces centres.

Or, nombre d’entre eux sont inquiets de l’atteinte qui pourrait être portée au caractère quasiment sacré du principe de la vie. « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Lorsque des personnes sont dans un état quasi végétatif, la seule raison de les maintenir en vie au regard de l’utilité sociale est la ferme conviction que la vie est une valeur supérieure à toutes les autres. Fragiliser ce principe en instituant un droit à la sédation profonde, c’est poser des cas de conscience terribles aux proches et au corps médical.

Aujourd’hui, la loi de 2005 permet d’accompagner dignement les personnes dans leurs derniers jours. Cependant, une différence fondamentale subsiste – Bernard Debré l’a exprimée tout à l’heure en tant que médecin avec beaucoup de clarté – entre, d’une part, devoir utiliser pour lutter contre la douleur des doses de morphine si élevées qu’elles entraînent un arrêt cardiaque et, d’autre part, l’article 3 de la proposition de loi de nos collègues, qui dispose que la sédation terminale ne peut être dispensée qu’accompagnée d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du patient. On comprend bien qu’il ne s’agit plus seulement de soulager la douleur du patient et que le but est de provoquer son décès.

Vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur Jean Leonetti, ce que nous craignons, c’est la rupture d’une digue, rupture qui mènerait directement au suicide assisté.

Philippe Pozzo di Borgo, dont l’histoire a inspiré le film Intouchables, implore ainsi notre société de ne pas ouvrir cette porte, car il sait mieux que quiconque que la souffrance peut à certains moments vous pousser à tout abandonner, y compris votre bien le plus précieux, votre vie, alors qu’à d’autres moments la force de vie reprend le dessus.

Quand les familles bénéficient d’une écoute attentive dans un service compétent, la question de l’arbitrage entre la souffrance et la mort ne se pose plus du tout dans les mêmes termes. C’est pourquoi nous insistons tous sur la nécessité de réaffirmer l’urgence de doter notre pays de structures de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire.

Posons la question des dangers de la réforme qui nous est proposée. Sauf à vouloir nier la vérité, les risques de l’ouverture d’un droit à la sédation sont réels, et ce, quelles que soient les précautions que nous prendrons.

Combien de fois les familles, les personnels et bénévoles des EHPAD, des établissements qui prennent en charge les personnes en situation de forte dépendance, entendent « je veux en finir », et lisent dans le même temps dans le regard et les mains qui se cramponnent : « surtout ne m’abandonnez pas, je ne veux pas encore mourir. » Cette même angoisse, ces mêmes aller-retour de la conscience fragilisée du grand malade qui souffre poseront toujours au corps médical une interrogation fondamentale quant à la vie qu’aura ce dernier.

Ainsi, si vous me permettez d’utiliser une telle expression, le bilan coûts-avantages de cette réforme me semble clairement pencher vers le maintien de la législation actuelle. Je le pense d’autant plus que nous sommes entrés, depuis ces attentats terribles du début de l’année, dans une ère nouvelle. Nous ne sommes plus dans une période suffisamment sereine pour aborder ce sujet.

En effet, ces drames ont mis au premier plan deux piliers de notre socle républicain, la fraternité et la liberté, deux piliers du vivre ensemble dans une France composite, constituée d’agnostiques, de croyants, d’anarchistes, de conservateurs, tous différents mais tous unis par le même respect fondamental de la vie d’autrui. Cette belle unité, nous savons combien elle est fragile et combien il est pourtant nécessaire, aujourd’hui, dans ce moment de crise économique porteuse de chômage doublée d’une crise identitaire, de se rassembler.

Quand le mal de notre pays est la montée des communautarismes, pourquoi ajouter à la discorde ? Pourquoi cette frénésie de tout codifier, y compris l’intime ?

M. François de Rugy. Quelle frénésie ? Il y a peu de sujets sur lesquels un tel consensus se dégage dans notre société !

M. François de Mazières. Pourquoi porter ainsi atteinte à la liberté de croire ou de ne pas croire, qui est une liberté importante garantie par notre démocratie ?

M. François de Rugy. Ouvrez les yeux ! N’ayez pas peur !

M. François de Mazières. Pourquoi ignorer que cette volonté de tout maîtriser de la vie, y compris la mort, est la porte ouverte à une vision terriblement utilitaire de l’homme ? Quand les digues des fondements de la médecine sautent, Le Meilleur des mondes n’est pas très loin.

Chers collègues, je suis conscient que chacun d’entre nous parle aujourd’hui avec sa propre expérience de la vie et sa propre expérience de la mort de ses proches, et je respecte nos différences sur un sujet aussi personnel. Permettez-moi cependant de conclure mon propos en citant Etty Hillesum : « […] sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée méritant à peine le nom de vie. » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime en effet devant vous au titre de ma fonction de présidente de la commission des affaires sociales, mais le sujet est si personnel que je préfère m’exprimer en tant que citoyenne, et vous faire part de ma réflexion sur le sujet, qui a beaucoup, beaucoup évolué depuis que je suis parlementaire.

À l’instar de la plupart des orateurs qui m’ont précédée dans cet hémicycle depuis le début de ce débat, je vais vous parler en toute humilité. Le sujet dont il est question relève de l’intime, de la conscience de chacun : il s’agit de la fin de vie, celle que l’on souhaite pour soi ou pour ses proches, selon les circonstances, même si l’on ne peut présager de ce que sera notre réaction le moment venu, si tant est que nous soyons encore capables de réagir alors.

Traiter de la fin de vie, c’est traiter d’un sujet grave qui renvoie chacun à sa propre mort. Le sujet est tout sauf politique ; il est philosophique. Dans ce domaine, rien n’est certain. Il est impossible de trouver l’unanimité, alors on cherche le consensus, c’est-à-dire l’approbation du plus grand nombre. C’est bien pour cela qu’il est extrêmement compliqué de légiférer.

Je voudrais saluer Véronique Massonneau, dont la proposition de loi a fait l’objet d’un débat ce matin en commission des affaires sociales. Au terme des discussions, nous avons pu constater que certains ont voté pour, certains contre, tandis que d’autres se sont abstenu ; j’étais de ceux-là.

Le débat d’aujourd’hui permet d’exprimer dans l’hémicycle nos convictions, nos doutes, nos interrogations et personne n’aura raison ou tort, quels que soient ses choix.

Il s’agit aussi de concrétiser la proposition n21 du candidat François Hollande : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Quand nous la relisons, nous pouvons nous dire que tout est possible.

Ce débat est une étape dans un processus de réflexion qui trouvera prochainement, sans doute début mars, une issue législative. Mais j’en reviens à la proposition de loi de Véronique Massonneau, qui sera examinée en séance publique le 29 janvier. Il s’agit ici de répondre à des situations de souffrances insoutenables, qui ont aussi des répercussions sur l’entourage et la communauté soignante – j’ai beaucoup entendu parler de médecins ; parlons de la communauté soignante, dans son ensemble.

Face à ces drames, la réponse n’est évidemment pas de droite ou de gauche. Elle émergera de la rencontre de nos convictions et de nos consciences. Tout le monde l’a dit, il est nécessaire de faire évoluer la loi actuelle, qui ne garantit pas suffisamment le droit des personnes à être soustraites à l’obstination déraisonnable et à l’ingérence d’autrui.

La mort, je le répète, est une affaire intime. À chacun son parcours, ses convictions, son rapport à la vie, à la souffrance, son environnement affectif et familial. Face à la fin de vie se révèlent les inégalités et les accidents d’un parcours de vie : accès ou non aux soins en temps et en heure ; connaissance ou ignorance du parcours de soins optimal ; vie isolée ou non ; vie affective riche ou pauvre ; personne entourée ou seule.

Comme l’ont dit presque tous les intervenants, faire évoluer la législation sera d’autant plus fondé que nous donnerons les moyens d’appliquer le droit en vigueur en matière de soins palliatifs. Pour le coup, ce constat fait l’unanimité !

La proposition de loi de nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti est une base de travail. Je me réjouis des avancées qu’elle augure, notamment la possibilité de demander une sédation profonde et continue et le renforcement des dispositions relatives aux directives anticipées – encore faudra-t-il bien communiquer pour que chacun, dans son parcours de vie, ait connaissance de cette possibilité.

Pour autant, la recherche du consensus n’est pas une fin en soi ; rien n’interdit d’aller au-delà. C’est pourquoi il me semble nécessaire de demeurer ouvert à des évolutions répondant à quelques-unes des problématiques suivantes : comment traduire dans la fin de vie l’attachement de notre civilisation à la liberté de l’individu ? Ne peut-on pas lui permettre d’organiser davantage les conditions de sa fin de vie lorsqu’il n’y a plus d’espoir médical, au point, non plus d’accompagner cette fin, mais bien de la décider ? Ces sujets sont ouverts ; nous devons les aborder ensemble.

Des sondages, sur lesquels certaines associations s’appuient, disent que 94 % des Français souhaitent mourir dans la dignité. Mais c’est de 100 % des Français qu’il faut parler : chacun doit avoir accès à la fin de vie qu’il juge digne pour lui-même !

Mon intime conviction est que nous trouverons notre équilibre, non pas en sacralisant le consensus, mais en discutant, en écoutant et en votant conformément à notre conscience.

Mme Véronique Massonneau. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je voudrais faire mienne cette citation de Corinne Pelluchon, philosophe : « Au lieu de parler de consensus, ne pourrait-on pas parler de désaccord raisonnable ? » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les députés, nous arrivons au terme d’un débat dont je veux d’abord saluer la très grande qualité. Ce débat, non suivi d’un vote, a permis à chacun, par-delà son appartenance politique, d’exprimer des convictions, des perspectives, des engagements.

Nous le sentons bien, beaucoup l’ont dit : notre société évolue. De ce point de vue, il n’y a pas de loi immuable. La loi de 2005 a marqué une avancée que personne ne conteste. Mais la loi reflète l’état d’une société, et une société se transforme, évolue. Il appartient à la représentation nationale de se positionner par rapport à ce qu’expriment nos concitoyens. Et ce qu’ils expriment, de façon parfois confuse, mais toujours très forte, c’est leur volonté que la liberté de la personne humaine puisse s’exprimer jusqu’au dernier moment. Ce n’est pas parce qu’elle devient malade que ses droits doivent disparaître.

Les discussions, les débats, les rapports qui se sont succédé – je salue MM. Claeys et Leonetti ici présents – sont là pour proposer une avancée décisive et répondre ainsi aux attentes et aux préoccupations de nos concitoyens. Telle est notre responsabilité.

Il nous appartiendra de déterminer la manière d’aller de l’avant. Nous avons entendu cet après-midi des positions qui sont souvent convergentes ; elles s’interrogent sur la manière de fixer des limites, de déterminer ce qui doit être possible et ce qui ne peut l’être, d’entendre la parole des patients sans pour autant ouvrir l’infini des possibles.

Le rapport Claeys-Leonetti comporte la perspective d’une transformation fondamentale : entendre la demande et la volonté des patients, des personnes. Il y est proposé de se situer dans le prolongement de la loi de 2002 sur les droits des patients et de ne pas en rester à la réflexion – celle de 2005 – sur ce que sont les devoirs des professionnels de santé et des médecins. Il me semble qu’il y a là matière à réflexion, à approfondissement et à débat. Ce rapport, et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est très attentif, marque une avancée décisive, en ce sens que le point de vue est désormais celui du patient, non plus celui de la communauté soignante.

Certains ont dit aujourd’hui vouloir aller au-delà de ce qui est proposé dans le rapport. Dès la semaine prochaine, nous poursuivrons ce débat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de Véronique Massonneau, qu’elle a anticipé en quelque sorte, en commission ce matin et à la tribune cet après-midi. Mme Massonneau exprime une position très forte, très respectable, celle d’une partie importante de cet hémicycle peut-être, de la société sans doute.

Plus que jamais, sur des sujets aussi difficiles que celui-ci, parce que très intimes, le fait de cheminer ensemble doit être valorisé, sans pour autant, comme Mme la présidente de la commission l’a très bien dit, sacraliser le consensus.

Le Gouvernement a été très attentif à ce qui s’est dit, et salue la très grande qualité de ce débat qui s’est déroulé dans un climat serein, apaisé, constructif. Je souhaite que nous puissions le poursuivre dans le même esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification de la convention de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées ;

Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Azerbaïdjan relatif à la création et aux conditions d’activités des centres culturels ;

Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly