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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 08 octobre 2015

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Suppression des freins au développement des entreprises

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues visant à supprimer les freins au développement des entreprises posés depuis 2012 (nos 3030, 3088).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, notre président, Christian Jacob, et le groupe Les Républicains ont décidé de déposer et mettre en débat cette proposition de loi visant à supprimer les freins au développement des entreprises.

Ce n’est une surprise pour personne : le climat économique de notre pays n’est pas au beau fixe. Alors que le Président de la République annonce la reprise depuis trois ans, elle ne pointe timidement le bout de son nez qu’aujourd’hui. Selon le Gouvernement, la croissance sera de 1 % en 2015 et de 1,5 % en 2016. Ces prévisions semblent être atteignables, même si l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – a déjà baissé ses prévisions pour notre pays. Il est sûr, en tout cas, que cette croissance n’est pas suffisante pour relancer notre pays et, surtout, la création d’emploi. L’emploi, justement, est le premier objectif poursuivi par cette proposition de loi. C’est le premier objectif, car c’est la priorité absolue des Français.

Le travail est au centre de notre société, au centre de la vie des Français. C’est le travail qui fournit les moyens de vivre, de se loger et de développer sa vie familiale en toute indépendance. Et ce sont les cotisations du travail qui permettent une politique sociale de redistribution. Ce que je viens de dire semble tomber sous le sens mais il est toujours utile de le répéter. Il est d’autant plus utile de le répéter que le chômage continue chaque mois de progresser, battant ainsi des records dont personne ne peut se réjouir. Ainsi, le mois dernier, ce sont plus de 20 000 demandeurs d’emploi supplémentaires, sans aucun travail, qui se sont inscrits à pôle emploi. Notre pays compte dorénavant 5 726 300 demandeurs d’emploi toutes catégories confondues. C’est un triste record ! L’inversion de la courbe de chômage, maintes fois annoncée, n’est donc toujours pas d’actualité.

Pourtant, tous les voyants sont au vert : prix du pétrole bas, intervention des banques centrales, taux de change de l’euro équilibré, plan d’investissement de la Commission européenne, bonne croissance mondiale. Malgré tout cela, notre économie ne redémarre pas. L’une des principales raisons est le manque de confiance des entreprises, mais aussi des investisseurs étrangers. Même si quelques avancées ont été faites depuis un an – j’y reviendrai –, le climat n’est pas propice à la création d’emploi, et nombre d’employeurs, sans lisibilité fiscale et sociale, craignent de ne pouvoir assumer leurs responsabilités. En effet, je ne connais pas d’employeur qui licencie par plaisir. Mais, je l’ai dit, même s’il y a eu un changement de cap dans le verbe du Gouvernement depuis un an, il n’a toujours pas été traduit en actes au sein de la majorité. Par ailleurs, un grand nombre de mesures prises depuis 2012 plombe la confiance des entreprises. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a décidé de présenter cette proposition de loi, qui revient sur sept de ces mesures.

Notre groupe assume le fait que ce soit une proposition de loi de suppression de mesures. La raison est simple : dès que l’opposition met la majorité devant ses responsabilités, en faisant des propositions de bon sens, cette dernière fuit le débat. Je prendrai seulement deux exemples. Alors que nous avions présenté une proposition de loi comportant vingt-six mesures l’an dernier, la majorité a décidé d’adopter une motion de rejet, empêchant le débat. Ironiquement, certaines des mesures contenues dans cette proposition ont ensuite été discrètement reprises et votées. Second exemple, notre groupe propose des amendements lors des différentes discussions de projets de loi, et ce sans faire d’obstruction, comme cela a été souvent le cas par le passé. Seuls un peu plus d’un pour cent des amendements du groupe Les Républicains ont été adoptés depuis 2012.

Enfin, nous assumons également de revenir sur des mesures proposées par les partenaires sociaux. Ce n’est pas être contre les partenaires sociaux. Je n’ai d’ailleurs pas à prouver l’attachement que j’ai pour le dialogue social et le respect que j’ai pour ses acteurs. La loi de juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, qui porte mon nom, a été élaborée en partenariat avec les syndicats de salariés et les organisations patronales. De même, l’article L. 1 du code du travail, fondement du dialogue social, est à mettre au crédit de Gérard Larcher. Mais il appartient aux représentants du peuple, à la démocratie parlementaire, de tracer un cap pour l’avenir du pays. La démocratie sociale, qui est nécessaire, prépare les décisions qui doivent ensuite être prises par la démocratie politique, seule responsable devant le peuple. Le Parlement ne saurait être le greffier des partenaires sociaux, notamment parce que le mandat impératif est interdit par la Constitution.

L’article 1er propose de supprimer le compte de prévention de la pénibilité. Ce compte partait d’une bonne intention. La réforme des retraites de 2010 le prévoyait d’ailleurs, mais sur des critères médicaux. Aujourd’hui, le dispositif est bien trop complexe, ainsi que le Gouvernement l’a lui-même reconnu en supprimant la fiche individuelle, impossible à remplir par les entreprises, et en limitant le nombre des critères. En 2030, le coût supporté par les entreprises s’élèverait à 2,5 milliards d’euros, pour un montant de cotisations de 800 millions, soit un écart considérable. Il s’agit ni plus ni moins que de constituer, à terme, un nouveau régime spécial de retraite, ce qui va à contre-courant de ce qu’il faut faire. Ce compte se trouve désormais dissous, qui plus est, dans un « compte personnel d’activité ». Ces fluctuations incessantes sont cause d’une grande insécurité juridique et rendent notre système toujours plus complexe. Il nous semble que l’application des lois relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, de la réforme des retraites de 2010 ainsi que du dispositif des carrières longues, serait suffisante, moyennant quelques améliorations éventuelles, alors que le dispositif actuel ne fait que constituer un frein à l’emploi.

L’article 2 vise la suppression de la durée minimale hebdomadaire de 24 heures. Celle disposition résulte de l’accord national interprofessionnel – ANI – du 11 janvier 2013, et certains des signataires de l’accord ne cachent pas aujourd’hui leurs regrets. Elle constitue une barrière psychologique, alors que des dérogations existent déjà, notamment pour les étudiants de moins de vingt-six ans ou pour les métiers de l’aide à domicile, où les plages de travail sont souvent courtes et réparties dans la journée, ce qui va d’ailleurs à l’encontre de ce qui avait été souhaité.

L’article 3 tend à abroger plusieurs dispositions de la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange, qui était en fait la traduction d’un engagement du candidat François Hollande. Force est de constater qu’elle n’a pas empêché les fermetures d’entreprises et qu’elle pose même plus de problèmes qu’elle n’en résout, comme je peux le constater dans ma région. De plus elle constitue un obstacle psychologique aux investissements étrangers.

L’article 4 tend à abroger certaines dispositions, notamment en matière d’information obligatoire des salariés, de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, qui entravent la création d’entreprises de taille intermédiaire, comme le Gouvernement l’a d’ailleurs reconnu en revenant partiellement dessus dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, plus connue sous le nom de loi Macron.

L’article 5 tend à supprimer la majoration de la part patronale de la contribution d’assurance chômage pour les contrats à durée déterminée de courte durée. Cette part, normalement fixée à 4 %, alors que la part salariale est de 2,4 %, est en effet portée à 7 % pour les contrats d’une durée égale à un mois, à 5,5 % pour ceux d’une durée comprise entre un et trois mois et à 4,5 % pour les contrats d’usage d’une durée inférieure ou égale à trois mois. Certes, ces contrats présentent un risque de précarisation des salariés et nous ne contestons pas le principe, au demeurant retenu par l’ANI déjà mentionné, d’une modulation des cotisations destinée à faire supporter par les employeurs le coût social de leurs décisions, mais il convient, pour que de telles mesures aient une chance de provoquer un recours plus massif aux contrats à durée indéterminée, de libérer les entreprises des charges financières et administratives qui pèsent sur elles. Par ailleurs, il ressort des données fournies par l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce – UNEDIC – que les recettes effectives sont de 70 millions d’euros au lieu des 257 millions espérés, soit un gain sans commune mesure avec la complexité engendrée par le dispositif.

L’article 6 tend à lever les obstacles au financement de l’apprentissage créés par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui a restreint le nombre d’établissements éligibles au barème de la taxe d’apprentissage en fixant une liste limitative de catégories d’établissement susceptibles d’y prétendre. Certes, la régionalisation de la taxe a permis de renforcer les moyens des régions, passés de 1,529 milliard d’euros en 2012 à 1,653 milliard en 2015, mais la part de la taxe dite « barème » a été, quant à elle, diminuée en 2015 d’environ 50 millions d’euros supplémentaires par rapport à son évolution tendancielle, orientée à la baisse depuis 2011. Ont été ainsi exclus du financement les écoles et campus créés sur l’initiative des entreprises, soit 1 400 établissements privés formant chaque année 450 000 étudiants et employant 37 800 formateurs. Cet état de fait, comme l’a reconnu le Premier ministre, obère ce qui constitue une voie vers l’emploi.

L’article 7, enfin, tend à supprimer le plafonnement du nombre de stagiaires dans les entreprises. Un décret a certes été pris la semaine dernière, qui relève ce plafond de 10 % à 15 % de l’effectif d’une entreprise. Il me semble cependant que ce n’est pas une affaire de quotas, mais de responsabilité du chef d’entreprise, à charge pour l’Inspection du travail de contrôler les conventions de stage et leur respect. Cette mesure diminuera inévitablement le nombre total des stagiaires et induira une nouvelle insécurité juridique pour les entreprises, dont certaines prévoient déjà de ne plus prendre de stagiaires ou d’en prendre moins, alors que 1,6 million de conventions de stage sont signées chaque année en toute légalité dans le cadre d’un cursus scolaire ou universitaire.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est une traduction de l’appel au secours lancé par les entreprises dans notre pays. Notre priorité doit être la libération des forces créatrices d’emploi. Tous nos efforts doivent se diriger vers cette priorité. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’adopter cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de la proposition de loi visant à supprimer les freins au développement des entreprises posés depuis 2012. Cette question est l’illustration même des profonds désaccords entre l’opposition et le Gouvernement, comme en atteste le discours tenu à l’instant par le rapporteur.

Je le dis sans polémique, monsieur Cherpion :…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Moi non plus !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …je sais que vous êtes particulièrement engagé sur les questions d’emploi mais certaines de vos propositions sont de véritables remises en cause de notre modèle social et des droits des salariés. Elles ont une visée d’affichage politique, sans chercher l’intérêt des salariés ni celui des entreprises. En effet, sous couvert de simplifier le code du travail, il y a dans votre proposition de loi un détricotage de mesures auxquelles le Gouvernement a travaillé depuis trois ans, décidées en concertation avec les partenaires sociaux et votées par la représentation nationale.

Je souhaite revenir sur les dispositions dont certaines, sur la durée minimale du travail, sont contraires aux valeurs que nous défendons et à la politique en faveur de l’emploi que nous menons. D’abord, le compte de prévention de la pénibilité est un progrès social majeur. C’est un enjeu de justice sociale car il bénéficie aux salariés exposés à des travaux pénibles qui, pour beaucoup, arrivent à l’âge de la retraite dans des conditions physiques dégradées et dont l’espérance de vie est plus faible. Ce n’est pas acceptable. Après plus de dix ans de négociations inabouties et de tergiversations des gouvernements précédents, c’est une mesure de justice.

Vous réduisez le dispositif à une contrainte pour les entreprises mais, grâce au travail de votre collègue Christophe Sirugue et aux dispositions votées dans la loi relative au dialogue social, la procédure a été simplifiée, en particulier pour les TPE et les PME.

S’agissant ensuite du dispositif « loi Florange », vous proposez, aux articles 3 et 4 de votre texte, d’abroger les dispositions du code du travail relatives à l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement donnant lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi.

Le Gouvernement ne peut que s’opposer à l’abrogation d’un dispositif dont l’objectif est de trouver une alternative au projet de fermeture. Cette disposition permet par ailleurs d’anticiper les actions de reconversion de l’appareil de production, dans une logique de maintien de l’emploi et du potentiel de croissance à long terme du territoire concerné.

Vous le savez mieux que d’autres, mesdames et messieurs les députés, les entreprises et les établissements de grande taille jouent un rôle structurant dans les territoires. Leurs fermetures ont des répercussions qui dépassent le seul nombre d’emplois directement supprimés.

Or, dans certains cas, des opportunités de poursuite d’activité existent mais ne sont pas exploitées, faute de recherche de repreneur. Loin d’alourdir les contraintes administratives des entreprises, comme vous le pointez, monsieur Cherpion, le Gouvernement, grâce à l’investissement actif de mes services en région, s’attache à préserver l’emploi dans les territoires concernés.

C’est justement à partir des territoires que la politique de l’emploi doit être conçue. Et c’est la méthode que j’entends suivre en tant que ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je suis allée à la rencontre des habitants de ces territoires, en particulier des jeunes. Leur première préoccupation reste l’emploi.

Favoriser l’emploi des jeunes, c’est d’ailleurs le deuxième volet affiché de votre proposition de loi.

Quant à l’apprentissage, nous partageons un objectif commun : son développement. L’apprentissage est un enjeu de formation majeur et un moyen efficace pour s’insérer sur le marché du travail. J’ai eu l’occasion de le rappeler hier dans cet hémicycle : la mobilisation du Gouvernement et la majorité pour la formation professionnelle porte ses fruits.

Le plan de relance pour l’apprentissage, démarré en juin, connaît son meilleur résultat depuis quatre ans. 48 500 entrées ont été enregistrées de juin à août, soit 6,5 % de plus. Dans la fonction publique d’État, plus de 1 000 contrats ont déjà été signés et nous visons les 4 000. En trois mois, nous avons fait plus que toute l’année dernière.

M. Frédéric Reiss. Le niveau était si bas !

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’en viens à votre proposition. Vous voulez, à l’article 6, élargir le périmètre des établissements habilités à percevoir la fraction dite « hors quota » de la taxe d’apprentissage. Il me semble que vous méconnaissez la loi. En effet, les écoles d’entreprises, comme celles de Citroën, Michelin, Schneider ou encore Peugeot, bénéficient déjà de la taxe d’apprentissage, au titre du quota. Et la loi relative au dialogue social et à l’emploi, votée cet été, leur a permis de bénéficier de fonds attribués par les branches professionnelles. Par ailleurs, les écoles de production peuvent également recevoir de la taxe, au titre du hors quota.

Vous avez largement débattu de ce sujet lors de la discussion parlementaire relative à la formation professionnelle. L’objectif était bien de resserrer les crédits du hors quota au bénéfice des établissements de formation technique et professionnelle publics ou privés dès lors qu’ils sont sous contrat avec l’éducation nationale, et sur des formations certifiantes. Ces exigences de qualité ne sauraient être remises en cause.

Et c’est cette réforme qui, en soutenant davantage le développement de l’apprentissage, a permis de dégager dès cette année 200 millions d’euros supplémentaires.

Le Gouvernement a choisi d’agir par l’amélioration du cadre financier et la simplification des procédures, tout en sécurisant les parcours professionnels des apprentis, ce qui a redonné confiance aux entreprises – de nombreuses organisations professionnelles me le confirment –, les premiers résultats de la campagne de recrutement le montrent.

Vos pistes de travail sur l’apprentissage ne sont pas des solutions que je partage, pas plus que je ne partage votre proposition de supprimer le plafonnement du nombre de stagiaires dans les entreprises. Supprimer ce plafonnement revient à encourager les recours abusifs aux stages. Peut-on sérieusement penser qu’une entreprise qui emploie 20 à 30 % de son effectif en stage en assure la dimension pédagogique ?

Au contraire, l’introduction d’un plafond raisonnable renforce la dimension pédagogique des stages et cadre les conditions d’accueil et d’accompagnement nécessaires à la réussite d’un stage.

J’ajoute d’ailleurs, vous le savez, que ce n’est pas le moindre des problèmes de nos entreprises que la concurrence déloyale de celles qui abusent des stagiaires.

Monsieur le député, votre parti n’a de cesse de nous accuser de légiférer pour bloquer, pour créer des obstacles aux entreprises…

M. Christian Jacob. À juste titre !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …alors même que nous simplifions les procédures.

La méthode du Gouvernement, ma méthode en tant que ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, se fonde sur une vraie conviction : le dialogue social est à la fois une exigence démocratique et une exigence économique et sociale.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Oui.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le dialogue social, c’est la clé de réformes concertées, qui n’opposent pas performance économique et progrès social.

Ce sera cette méthode qui présidera à l’élaboration du prochain projet de loi relatif au travail. Cette réforme confortera la négociation collective dans l’entreprise, dans la branche et dans les territoires. Il n’y aura pas moins de garanties pour les salariés, mais plus de possibilités pour s’adapter aux spécificités du terrain.

L’intérêt de ceux qui travaillent est aujourd’hui protégé par le code du travail. Il peut certes manquer de lisibilité, tant pour les salariés que pour les chefs de petites et moyennes entreprises. Ce sont eux qui ont besoin de garanties et de protection. Je crois sincèrement que la complexité profite au plus puissant. Voilà pourquoi il faudra donner plus de lisibilité aux dispositions qu’il contient.

Le projet de loi relatif au travail, que je porterai en 2016, proposera une réforme ambitieuse visant à faire davantage confiance à la négociation et lui donner plus de place.

Nous devons accorder plus de souplesse et multiplier les possibilités pour les partenaires sociaux de créer, par accord, des droits mieux adaptés à chaque situation spécifique. Tout cela avec un principe : plus de souplesse, mais pas moins de protection.

Vous comprendrez, mesdames et messieurs les députés, monsieur le rapporteur, que, pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement est défavorable à cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Quel dommage.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, cher Gérard Cherpion, chers collègues, à l’initiative de notre président Christian Jacob, notre groupe Les Républicains a souhaité inscrire cette proposition de loi dans sa journée d’initiative parlementaire. Comme notre rapporteur Gérard Cherpion vient de l’exprimer, elle vise à lever un certain nombre de contraintes qui pèsent sur les entreprises. Elle a surtout pour objet de revenir sur nombre de mesures anti-entreprises qui ont été votées par votre majorité depuis mai 2012,…

M. Jean-Pierre Door. Il y en a un paquet !

Mme Isabelle Le Callennec. …avec les résultats que l’on sait.

Un million de chômeurs de plus, un chômage des seniors et un chômage longue durée qui augmente. Alors que la plupart de nos partenaires européens ont repris le chemin de la croissance, la France est en situation de décrochage économique, mais le Président Hollande, inlassablement, maintient le même cap.

Sans compétitivité retrouvée des entreprises, pas de croissance. Sans croissance, pas de création nette d’emplois.

Dès le début du quinquennat, trois erreurs majeures ont été commises par le Gouvernement, dont notre pays paie encore le prix fort.

La fin des heures supplémentaires défiscalisées qui offrait du pouvoir d’achat supplémentaire à 9 millions de salariés. Le matraquage fiscal des entreprises et des classes moyennes à hauteur de 90 milliards d’euros - depuis 2012, pas moins de cinquante-cinq hausses d’impôts ou créations nettes de taxe ont été décidées par le Gouvernement, qui a aujourd’hui beau jeu de sur-communiquer sur les deux petits milliards d’allégements fiscaux du projet de loi de finances 2016, qui ne profiteront même pas aux personnes matraquées fiscalement depuis 2012.

Enfin la suppression de la mise en œuvre de la TVA anti-délocalisation, dont le Président de la République a reconnu que c’était une erreur, mais sans en tirer les conséquences.

M. Gérard Sebaoun. Il n’a jamais dit cela !

Mme Isabelle Le Callennec. Mais si !

Plus généralement, entre les constats, les discours et les actes, il y a un immense fossé, à tel point que la parole publique a perdu toute crédibilité. Entre le « J’aime les entreprises » du Premier ministre et l’avalanche de contraintes dont les dirigeants des entreprises, quelle que soient leur taille, se plaignent au quotidien, il y a en effet un abîme.

Notre groupe Les Républicains aura bien tenté, n’est-ce pas chers collègues, de vous dissuader de mettre en œuvre des mesures anti-entreprises contenues dans toute une série de textes votés à grand renfort de communication depuis trois ans. La loi dite de « sécurisation de l’emploi » n’a pas empêché les faillites d’entreprises et les licenciements, la loi « croissance, activité, égalité des chances économiques », plus connue sous le nom de loi « Macron », n’est pas, de l’aveu même du Président de la République, la loi du siècle, la loi relative au dialogue social, qui crée les inutiles commissions mixtes paritaires régionales, n’est pas absolument pas à la hauteur de la refondation nécessaire de la démocratie sociale.

Nous pourrions ajouter à ces textes les mesures également anti-pouvoir d’achat contenues dans les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale que notre groupe a dénoncées en son temps. Je pense en particulier à la baisse du plafond du quotient familial, deux années de suite, qui a considérablement érodé le pouvoir d’achat des familles, à la disparition de la tranche à 5,5 % qui a mécaniquement augmenté l’impôt des classes moyennes, par l’abaissement du seuil de la tranche à 14 %, ou encore à la fiscalisation de la part « employeur » de la mutuelle qui a introduit un impôt sur un revenu non perçu.

En cumulé, la majorité sera restée sourde à nos arguments. La mise en œuvre du compte pénibilité représente bel et bien une contrainte et un coût pour les entreprises, évalué à 500 millions d’euros en 2020 et 2,5 milliards en 2040. La durée minimale des 24 heures est une mesure sur laquelle nous aurions aimé revenir mais j’ai cru comprendre que nous n’aurions pas de débat ce matin. La taxe sur les CDD, le coup porté à l’apprentissage – certes, plus 6 %, madame la ministre, mais après une baisse de 8 % en 2013 et 3 % en 2014 –, sont autant de mesures qui constituent clairement un frein au développement de l’emploi et pénalisent donc ceux qui, faute de souplesses accordée aux entreprises, restent aux portes de l’emploi. Pas moins de six millions de chômeurs dans notre pays !

M. Marc Le Fur. Eh oui, hélas !

Mme Isabelle Le Callennec. Avec cette proposition de loi qui compte sept articles, nous vous offrons l’opportunité de revenir rapidement sur quelques-unes de vos erreurs. J’ai cru comprendre en commission des affaires sociales la semaine dernière que vous ne le souhaitiez pas puisque vous avez déposé des amendements de suppression de chacun des articles ! Et en séance, vous défendrez une motion de rejet qui coupera court à nos débats. Cela prouve bien, s’il en était encore besoin, qu’il n’existe pas de majorité à l’Assemblée nationale pour favoriser la croissance, donc faire reculer le chômage dans notre pays.

M. Marc Le Fur. Quel constat !

Mme Isabelle Le Callennec. Notre rôle de législateur n’est pas de corseter toujours plus les entreprises, de faire peser toujours plus de charges sur leur activité, de complexifier à merveille leurs relations avec l’administration. Manifestement, vous n’avez toujours par admis qu’elles aspirent à ce qu’on les laisse travailler, produire, innover, exporter. Elles aspirent à de la stabilité dans la législation, dès lors que ces règles favorisent leur développement, et à une harmonisation des règles au niveau européen. Elles souhaitent enfin que la parole de l’État soit respectée. L’annonce du report de trois mois des baisses de charges patronales promises de longue date pour le 1er janvier 2016 est encore une preuve du décalage entre les annonces et la réalité des actes !

L’adoption de cette proposition de loi enverrait pourtant un signal positif aux entrepreneurs, aux salariés, aux apprentis, aux stagiaires,… Son vote par une majorité d’entre nous aurait rassuré les Français sur la propension du Gouvernement à reconnaître ses erreurs et les corriger, sans plus attendre. Il n’est jamais trop tard, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation économique de notre pays est aujourd’hui pour le moins déplorable. L’activité est au point mort, les entreprises sont asphyxiées et le taux de chômage, hélas ! est dramatiquement élevé malgré des espérances maintes fois exprimées et jamais concrétisées.

La France s’enfonce donc dans une crise économique et sociale sans précédent. Les entreprises françaises, déjà largement atteintes par la crise, ont été démesurément mises sous pression par le Gouvernement depuis l’arrivée de l’actuelle majorité au pouvoir, à travers des hausses d’impôts à répétition et la suppression d’une mesure pourtant très pertinente, la TVA compétitivité.

Prenons un critère objectif qui transcende les polémiques partisanes : en 2014, le taux de marge des entreprises s’établit à 29,4 %, soit son niveau le plus bas depuis 1985. C’est un fait ! Jamais autant d’entreprises n’ont été détruites : près de 60 000 chaque année. Et, derrière chaque faillite, nous savons bien qu’il y a des drames humains qui frappent nos territoires.

Les chiffres du chômage sont édifiants : 3,8 millions de personnes inscrites à Pôle emploi n’exercent aujourd’hui aucune activité.

Face à la détresse de tous ces hommes et femmes, le Gouvernement se doit d’être humble et de reconnaître ses erreurs. On se grandit toujours quand on reconnaît ses erreurs ! Nous nous devons de porter un discours volontaire face aux fermetures répétées d’usines dans nos territoires. Nous devons tous considérer que la désindustrialisation de notre pays n’est pas une fatalité à laquelle aucune politique ne saurait remédier. Selon les chiffres du rapport Gallois, l’emploi industriel en France représente 12 % de l’emploi total, alors qu’il atteint 15 %, même au Royaume-Uni et 26 % en Allemagne. Le vrai drame de notre pays, c’est également cela !

Quelles mesures le Gouvernement a-t-il annoncées pour faire face au phénomène massif de désindustrialisation ? Aucune !

La loi du 29 mars 2014, dite « loi Florange » ne fait qu’alourdir des contraintes qui pèsent déjà sur les entreprises.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Bien sûr !

M. Philippe Gomes. S’il nous semble légitime de défendre l’emploi dans les entreprises industrielles rentables, nous ne pouvons pas cautionner la mise en place de ces dispositions juridiquement fragiles, sources de contentieux. En outre, ce texte ne saurait être à lui seul la réponse au problème de la compétitivité en France.

S’agissant du texte de la proposition de loi proprement dit, je reviendrai brièvement sur certaines mesures que le groupe Les Républicains propose de supprimer. Est-il si inutile, mes chers collègues de la majorité, de réduire un code du travail que certaines grandes figures de gauche qualifient elles-mêmes d’obèse ?

M. Gérard Sebaoun. Elles se trompent !

M. Philippe Gomes. Au reste, les menus détails qu’il est proposé ici de retrancher ne devraient pas lui porter une grande atteinte !

Commençons par le compte pénibilité. En 2013, le Gouvernement a choisi de ne pas assumer une réforme structurelle des retraites. Il a reporté sine die les mesures susceptibles de bâtir un nouveau système juste et durable. Aucune réponse forte n’a été faite face aux inégalités criantes qui subsistent.

M. Gérard Sebaoun. Lisez les chiffres du PLFSS !

M. Philippe Gomes. Certes, le groupe UDI était favorable à l’idée d’aller plus loin dans la prise en compte de la pénibilité, notamment du point de vue de la santé au travail. Mais la mise en place du compte pénibilité a transformé ce dispositif en véritable usine à gaz, qui ajoute désormais de la complexité au système sans pour autant le rendre plus équitable.

Concernant la durée minimale du temps de travail, notre position sur le projet accord-emploi était a priori favorable, mais y nous mettions une condition : l’exclusion des services à la personne du dispositif. Or aucune dérogation n’a été prévue pour les secteurs d’activité qui ont recours au temps partiel de façon structurelle du fait de la nature et des spécificités de leur activité – je pense ici aux services à la personne et à l’aide à domicile.

Ces emplois constituent pourtant, le groupe UDI ne cesse de le répéter, un atout précieux pour la lutte contre le drame du chômage en France : accessibles à tous, ils ne sont pas délocalisables, ils peuvent être créés facilement et ils peuvent constituer un facteur de maintien de la population dans des zones en déclin démographique. Aujourd’hui ce sont 2,2 millions de professionnels qui agissent sur l’ensemble du territoire national auprès de 4,5 millions de familles françaises. Et pourtant, en juillet, pour le douzième trimestre consécutif, le nombre d’heures déclarées par les employeurs de salariés à domicile est en recul.

Enfin, nous avons alerté le Gouvernement à plusieurs reprises sur les effets néfastes de l’instauration d’un nombre maximal de stagiaires en fonction des effectifs salariés. Ce dispositif a pour seule conséquence de pénaliser le milieu hospitalier, les petites et moyennes entreprises ou encore les start-up, et surtout les jeunes. Le groupe UDI souhaite depuis plusieurs années mieux encadrer les stages et mieux protéger les stagiaires. La loi du 31 mars 2006 avait permis de réaliser de vrais progrès en faveur de l’égalité des chances. Sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo, le principe du versement obligatoire d’une gratification pour tous les stages en entreprise d’une durée supérieure à deux mois consécutifs avait été instauré.

Des abus existent, certes, et il nous faut les combattre afin de protéger les stagiaires. Mais les contraintes pesant sur les entreprises s’avèrent aujourd’hui totalement contre-productives. Vous n’êtes pas sans savoir que de plus en plus de jeunes peinent à trouver des stages alors même que ces derniers sont obligatoires afin de valider leur cursus. Comment pouvez-vous penser qu’accroître les contraintes sur les entreprises va les inciter à accueillir davantage de stagiaires ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Il est évident que ce sera le contraire !

M. Philippe Gomes. Certes, les mesures économiques prises par le Gouvernement depuis 2012 ne sont pas toutes contestables. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que le groupe UDI prend régulièrement ses responsabilités pour voter, aux côtés de la majorité, les textes, hélas trop peu nombreux pour infléchir le cours des choses, qui vont dans la bonne direction.

Je conclurai en rappelant l’attachement du groupe UDI à la démocratie sociale et au dialogue social, qui constituent à n’en pas douter des leviers puissants pour moderniser la France et réformer son marché du travail. Ces outils de négociation, de compromis, permettent de privilégier une approche globale des questions soulevées par les imperfections de notre système et de prendre en compte toutes les dimensions de ces problématiques.

La lutte contre la précarité, la protection des salariés, la sécurisation de leurs parcours professionnels, l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises, l’anticipation de mutations économiques et sociales, sont autant d’enjeux qui doivent trouver des réponses. Le champ d’intervention du paritarisme doit aujourd’hui prendre de l’ampleur. Nous considérons que la concertation est la seule méthode susceptible d’établir un climat de confiance – confiance que ce gouvernement trahit, une nouvelle fois, avec le report au 1eravril des baisses de cotisations prévues sur les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC.

Le groupe UDI est très heureux d’avoir pu ouvrir l’immense chantier du paritarisme au sein de notre Assemblée. Cette mission est importante et elle suscite déjà de grandes attentes.

Vous l’aurez compris, nous estimons que cette proposition de loi, même si elle ne constitue qu’une réponse incomplète et partielle à la question de la relance de la compétitivité en France, va dans le bon sens, et nous la voterons. Si le dialogue social doit constituer la pierre angulaire des réformes à venir, la libération des verrous qui entravent le marché du travail passe également par la suppression de plusieurs mesures prises par cette majorité depuis 2012. Le redressement du pays se fera à cette condition.

M. Frédéric Reiss. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai écouté attentivement le rapporteur.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. J’espère bien !

Mme Chaynesse Khirouni. Ainsi donc, mon cher collègue, le développement de nos entreprises, l’investissement et la création d’emplois seraient entravés par les mesures que notre majorité a prises depuis 2012 ?

M. Philippe Gomes. Eh oui !

M. Frédéric Reiss. C’est une réalité !

Mme Chaynesse Khirouni. En soutenant ce propos, vous exonérez la droite de ses responsabilités quant à l’état de faillite dans lequel elle a laissé le pays et qu’il nous faut redresser depuis trois ans. Souffrez que je vous rappelle le constat sans appel du rapport Gallois en 2012.

M. Lionel Tardy. Voilà trois ans que vous êtes au pouvoir ! Qu’avez-vous fait ?

Mme Chaynesse Khirouni. Quelques chiffres seulement : la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale est passée de 18 % en 2000 à 12,5 %, en 2011 ; dans le même temps, 750 000 emplois ont été perdus dans les secteurs industriels ; la part de marché des exportations françaises en Europe est passée de 12,7 % en 2000 à 9,3 % en 2011 ; le solde de la balance commerciale est passé, quant à lui, d’un excédent de 3,5 milliards d’euros en 2002 à un déficit de 71,2 milliards en 2011.

Durant dix ans, qu’avez-vous fait pour répondre aux défis auxquels notre pays est confronté ?

M. Frédéric Reiss. Nous sommes en 2015 !

Mme Chaynesse Khirouni. Quelle a été votre stratégie industrielle ? Qu’avez-vous mis en œuvre pour la transition énergétique ou pour répondre à la mutation numérique ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Et vous ?

Mme Chaynesse Khirouni. Qu’avez-vous fait pour orienter le flux de financement vers le tissu industriel, les TPE, les PME et les ETI ?

Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, vous nous démontrez que la droite n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis auxquels notre pays est confronté. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Philippe Gomes. Franchement, il y a de l’abus !

Mme Chaynesse Khirouni. Oui, force est de constater que cette proposition de loi, s’apparente plus à un tract caricatural qu’à de réelles solutions pour répondre aux difficultés de nos concitoyens. On y retrouve tous les chiffons rouges agités depuis de très nombreuses années par les élus de droite.

Depuis plus de dix ans, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), vous ne cessez de fustiger les corps intermédiaires, les syndicats de salariés, tout en vantant, en même temps, les accords d’entreprises.

M. Lionel Tardy. Parlez-nous de vos trois ans au pouvoir ! C’est cela qui intéresse les Français !

Mme Chaynesse Khirouni. Aujourd’hui, on peut légitimement s’interroger sur votre conception du dialogue social. Celle d’une stratégie de la tension permanente ? Celle où l’on cherche à opposer les catégories de salariés les unes aux autres ?

Les exemples récents de l’actualité sociale – je pense notamment au référendum organisé par la direction de Smart à Hambach, ou plus récemment à la gestion du conflit social à Air France – nous démontrent les limites de cette méthode. Oui, le risque est grand pour la cohésion des entreprises lorsque l’on cherche à opposer le cadre à l’ouvrier de la chaîne de production ou lorsque l’on recherche des boucs émissaires pour entamer une négociation sociale.

Je le rappelle haut et fort : il n’y a pas d’efficacité économique sans efficacité sociale ! Le véritable moteur du progrès économique et social doit être la démocratie sociale. Il nous faut plus que jamais la renforcer.

Respectons les acteurs sociaux ! Je crois sincèrement que lorsque les entreprises sont des lieux de démocratie sociale, de coopération, l’engagement des salariés y est plus fort. Il ne faut pas avoir peur du dialogue social car il renforce les performances de nos entreprises.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Mais je n’en ai pas peur !

Mme Chaynesse Khirouni. Or, les deux principales dispositions de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, remettent en cause des accords pourtant négociés et signés par les partenaires sociaux. C’est le cas notamment de la remise en cause du principe d’un socle minimal de vingt-quatre heures de travail hebdomadaire pour les salariés à temps partiel. Cette durée minimale est un élément central de lutte contre la précarité et le temps partiel subi qui, nous le savons, touche particulièrement les femmes. Elle a été voulue par les organisations patronales et syndicales signataires de l’ANI du 11 janvier 2013. Avec la loi du 14 juin, le législateur a adapté les dispositions de cet accord au plus près de la réalité économique, en permettant des dérogations collectives et individuelles en fonction de la réalité des entreprises et de la volonté des salariés. Vous voulez supprimer cette disposition. Cela relève tout simplement de l’idéologie !

Vous souhaitez également supprimer le dispositif de modulation des contributions à l’assurance chômage voulu par les partenaires sociaux. Il prévoit, d’une part, une majoration des contributions patronales pour les contrats à durée déterminée en fonction de leur durée et du motif de recours, d’autre part, un principe d’exonération des contributions au titre de l’embauche d’un jeune de moins de vingt-six ans en contrat à durée indéterminée. Les partenaires sociaux ont donc voulu inciter les entreprises à sécuriser les parcours professionnels de leurs salariés et à limiter le recours aux contrats précaires. Il était de notre responsabilité, en tant que législateur, de retranscrire dans la loi cette volonté partagée que vous souhaitez aujourd’hui remettre en cause.

Vous cherchez aussi à revenir sur la création du compte pénibilité,…

M. Lionel Tardy. Bien sûr ! Nous sommes les seuls au monde à imposer un tel système !

Mme Chaynesse Khirouni. …qui représente à nos yeux un progrès social majeur pour les salariés exposés à des travaux pénibles. Notre collègue Gérard Sebaoun reviendra plus longuement sur cette mesure. Mais faut-il vous rappeler, une fois encore, les écarts d’espérance de vie qui illustrent les inégalités face à la mort ? 6,3 années : c’est l’écart d’espérance de vie entre les hommes cadres et les ouvriers. Il nous fallait agir. C’est une question de justice et de solidarité nationale envers les travailleurs qui exercent des métiers pénibles.

Les articles 4 et 5 de cette proposition de loi visent, quant à eux, à supprimer pour les entreprises de plus de 1 000 salariés l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement ainsi que le droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise.

J’évoquais au début de mon propos l’absence, ces dix dernières années, de stratégie industrielle. Là encore, fallait-il se résoudre à la fatalité ? Chaque année, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui disparaissent dans des entreprises saines, faute de repreneur. Nous le savons, les salariés sont attachés à leur entreprise. J’ai vu des hommes et des femmes, plutôt que de subir la situation, se mobiliser pour sauver leur outil de travail et pérenniser l’activité économique. C’est une fierté pour eux. Alors, oui, contrairement à vous, nous estimons que si la reprise d’une entreprise par ses salariés est un nouveau droit social, elle constitue d’abord et avant tout l’une des solutions pour sauver ou créer des emplois.

Votre proposition de loi comporte également deux mesures qui concernent l’apprentissage et les stages en entreprises.

M. Lionel Tardy. Le travail, oui !

Mme Chaynesse Khirouni. Notre majorité est convaincue, comme vous, que l’apprentissage est l’un des chemins de l’accès à l’emploi. Nous avons activé d’autres mesures qui constituent des leviers d’intervention qui nous paraissent plus efficaces.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Les contrats aidés.

Mme Chaynesse Khirouni. Je pense notamment aux leviers fiscaux, avec l’aide jeune apprenti TPE pour inciter les TPE à recruter davantage, ou encore l’aide de 1 000 euros versée aux entreprises de moins de 250 salariés qui recrutent un apprenti supplémentaire.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Vous avez supprimé tout le reste !

Mme Chaynesse Khirouni. Ce plan de relance de l’apprentissage et d’aide aux jeunes apprentis commence à redonner confiance aux entreprises ! Madame la ministre l’a rappelé, les derniers chiffres publiés montrent qu’entre juin et août, plus de 48 500 entrées en apprentissage ont été enregistrées, soit une progression de 6,5 % dans le secteur privé ! Ces résultats sont encourageants.

Une nouvelle fois, vous tentez de revenir sur l’une des dispositions de la loi du 10 juillet 2014, tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires. Comme je l’ai dit en commission, monsieur le rapporteur, nous n’avons pas la même vision des stages.

M. Christian Jacob. Pour sûr !

Mme Chaynesse Khirouni. C’est un désaccord de fond.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Eh oui !

Mme Chaynesse Khirouni. Vous intégrez d’ailleurs les stages dans une proposition de loi visant à supprimer les freins au développement des entreprises. Mais le stage est un outil de formation, pas un sous-contrat de travail !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Personne n’a dit le contraire !

Mme Chaynesse Khirouni. C’est pourquoi la loi de 2014 a introduit un élément essentiel, celui du plafonnement maximal du nombre de stagiaires en fonction des effectifs salariés dans les entreprises et les organismes d’accueil. Il s’agit de renforcer la dimension pédagogique et les conditions d’accueil et d’accompagnement nécessaires à la réussite d’un stage. Le suivi qualitatif par un tuteur au sein de l’entreprise n’est possible que si le nombre de stagiaires est limité.

D’autre part, vous le savez, il existe des abus, certaines entreprises ayant recours à des stagiaires en substitution des salariés.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est illégal.

Mme Chaynesse Khirouni. Nous devons lutter contre ces abus, pour les jeunes bien sûr, mais aussi pour les entreprises vertueuses qui subissent parfois une concurrence déloyale. Je souhaiterais surtout que nous témoignions de notre confiance en notre jeunesse : c’est notre responsabilité !

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste, républicain et citoyen soutiendra la motion de rejet qui sera présentée par notre collègue Denys Robiliard. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, cher Gérard Cherpion, chers collègues, la crise économique a commencé en 2008, mais ses effets sur les petites entreprises non-exportatrices ont commencé à se faire sentir en 2011. Depuis, beaucoup de nos entreprises connaissent des difficultés sans précédent, qui risquent de s’amplifier avec la baisse prévisible de la commande publique – l’activité du BTP, par exemple, en dépend à 70 %.

Aux charges administratives déjà lourdes se sont ajoutées, depuis l’élection de François Hollande, de nouvelles obligations, souvent dogmatiques, qui doivent être détricotées. Elles l’ont été, ou le seront.

Tout chef d’entreprise, notamment dans les petites et moyennes entreprises, a eu à subir au moins une de ces mesures néfastes depuis 2012. Je vous invite, chers collègues de la majorité, à demander aux entrepreneurs de votre circonscription leur sentiment sur la politique économique depuis 2012. La plupart d’entre eux sont marqués par l’instabilité juridique et fiscale. Nous avons tous notre part de responsabilité dans cette instabilité, et l’éviter autant que possible est un impératif.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est certain.

M. Lionel Tardy. Ils ne manqueront pas d’évoquer le compte pénibilité, s’il s’agit d’entreprises du BTP, les dispositions de la loi Hamon, s’ils ont envisagé de céder leur entreprise, ou les difficultés qu’ils ont à embaucher des apprentis, s’ils avaient l’habitude de recourir à l’apprentissage.

Nous avons combattu chacune de ces mesures. Je me souviens avoir expliqué en vain, lors de l’examen de la loi sur l’économie sociale et solidaire, en mai 2014, que si le salarié d’une entreprise est son meilleur repreneur, le contraindre à des obligations formelles, inadaptées à l’environnement concurrentiel, est une erreur. Mes amendements ont été balayés d’un revers de main.

Alors quand j’ai vu ces mesures largement modifiées dans la loi Macron, et lu le rapport de Fanny Dombre-Coste qui propose de les détricoter, je n’ai pas été surpris !

Avec cette proposition de loi, nous vous aidons, chers collègues… Nous vous aidons à annuler dès à présent des mesures que seules des personnes déconnectées de l’entreprise peuvent avoir prises. Nous vous aidons à éviter de devoir faire des rapports et des amendements, une fois que vous vous serez rendu compte qu’il faut revoir les choses – encore plus que vous ne l’aviez envisagé.

Si j’en crois les amendements que vous avez déposés, vous refusez cette aide, et surtout, vous refusez d’entendre les entreprises.

Je vous l’accorde cependant : cette proposition de loi a un seul défaut, celui d’avoir été déposée en juillet. Depuis, vous avez eu le temps d’instaurer d’autres mesures pénalisantes pour les entreprises ! Bravo, votre rapidité, en la matière, est étonnante !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vrai !

M. Lionel Tardy. La loi Rebsamen a instauré les fameuses commissions interrégionales pour les TPE. Puis l’ACOSS – agence centrale des organismes de Sécurité sociale – a produit une lettre circulaire datée du 22 juin 2015, selon laquelle le statut de jeune entreprise innovante – JEI –, et les exonérations de charges qui en découlent, ne s’applique plus aux collaborateurs consacrant moins de 50 % de leur temps de travail à la recherche et développement – un nouveau coup dur pour les JEI. J’aimerais savoir quand le Gouvernement reviendra sur cette décision pour le moins cavalière.

Quant au plan « Tout pour l’emploi » de juin 2015, c’est un pas salutaire, mais il est malheureusement constitué de mesures de court terme destinées à enrayer la hausse continue du chômage avant les échéances électorales de 2017, sans aucune réflexion globale.

Toutes ces mesures prises depuis 2012 sont étonnantes, tant l’ensemble des dirigeants politiques semblent partager le constat que les TPE et les PME sont la fibre névralgique du tissu économique français.

Encore faudrait-il que le Gouvernement agisse, en termes de simplification, sur le flux de normes, autant que sur le stock. Cela n’est malheureusement par le cas. Je le dirai dans cet hémicycle autant que nécessaire : il n’est plus tenable qu’à partir d’une quinzaine de salariés, un dirigeant de société passe le plus clair de son temps à faire des démarches administratives, en sus de la gestion des ressources humaines et du dialogue social – autant d’heures qu’il n’emploie pas à développer son entreprise et à embaucher. Le jour où vous aurez compris cela, chers collègues, nous aurons fait un grand pas ! Mais 2017 approche, et vous continuez d’être dans le déni.

Le rejet annoncé de cette proposition de loi en est la preuve. Pour ma part, je ne cesserai de la soutenir. L’avenir nous donnera sans doute raison, comme cela a été le cas pour plusieurs mesures. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les débats sur le niveau des cotisations sociales, la création d’emplois et le chômage, nos protections sociales, la pénibilité, la précarité ou la formation sont permanents et légitimes, et je n’ose imaginer que notre collègue rapporteur Gérard Cherpion, fin connaisseur de ces sujets, puisse être favorable à moins de protections, et davantage de pénibilité et de précarité !

Nous suivons tous avec attention les indicateurs macro-économiques, sans jamais perdre de vue que, derrière les chiffres et les courbes, il y a la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans nos circonscriptions et permanences, nous sommes confrontés à des situations difficiles – ici, une entreprise qui ferme, là, des chômeurs de longue durée qui se désespèrent, des jeunes en mal de stage. La liste, hélas, n’est pas exhaustive.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Jusque-là, nous sommes d’accord !

M. Gérard Sebaoun. Je lis et j’écoute les déclarations des leaders de Les Républicains…

M. Christian Jacob. Au moins cela vous inspire-t-il ! (Sourires.)

M. Gérard Sebaoun. Elles alimentent une vision catastrophiste de notre pays, qui n’a qu’un seul objet : faire peur à nos concitoyens.

Cela est également vrai des mots qui reviennent en boucle – « compétitivité », « marges », « rentabilité », « flexibilité », « assouplissement », « simplification ». Loin de moi l’idée de nier ces questions et les réalités qu’elles sous-tendent, mais il est inacceptable que certains caricaturent toute notre histoire sociale, patiemment construite au prix de luttes, de lois et des compromis nécessaires, en s’appuyant, par exemple, sur le nombre de pages du code du travail – omettant bien sûr toute la jurisprudence qu’il contient !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. 700 pages tout de même...

M. Gérard Sebaoun. Les protections sociales et les conditions de travail méritent beaucoup mieux. Elles ne sont pas des obstacles à la bonne marche et à la rentabilité de nos entreprises, bien au contraire. Toutes les études qui lient amélioration des conditions de travail et résultats économiques le prouvent.

Je ne sais, monsieur le rapporteur, si nous pouvons partager une partie du diagnostic…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Nous la partageons.

M. Gérard Sebaoun. … mais à coup sûr, nous divergeons frontalement, et sur la méthode, et sur les solutions. Vous proposez un choc radical en supprimant plusieurs lois ou mesures que notre majorité a prises depuis 2012. J’en déduis qu’il s’agit malheureusement, comme l’a excellemment dit Chaynesse Khirouni, d’un programme préélectoral.

Sans revenir en détail sur les articles de la proposition de loi, je veux m’arrêter un instant sur le premier d’entre eux : vous entendez supprimer d’un trait de plume le compte de prévention de la pénibilité, qui est déjà partiellement actif pour 4 facteurs de risque et le sera pleinement en 2016, avec la totalité des points acquis pour l’année.

Chacun doit assumer son choix sur ce sujet majeur et, comme je m’y attache, être attentif aux décrets d’application. Je considère qu’il s’agit là d’un bel exemple des réalisations de la gauche aux responsabilités depuis 2012, de sa capacité à faire avancer la protection sociale.

Pour votre part, vous assumez de revenir à la seule réparation des conséquences de la pénibilité, qui ne bénéficiait, je vous le rappelle, qu’à quelques milliers de salariés, et encore, sur strict avis médical. Les données statistiques des enquêtes SUMER – surveillance médicale des expositions aux risques professionnels – ou SIP – santé et itinéraire professionnel –, nous rappellent, hélas, l’ampleur du phénomène et donc de la prévention à mettre en œuvre.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Absolument !

M. Gérard Sebaoun. 18 % des salariés seraient exposés à au moins un facteur de risque professionnel sur les 10 identifiés et, sans prendre l’exemple du bâtiment, toujours cité, 30 % de la population active des branches des transports et du nettoyage pourrait être touchée. Ces chiffres figurent dans le rapport Issindou sur le projet de loi relatif au système de retraites.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je le cite.

M. Gérard Sebaoun. Quatre décrets ont été pris et les autres ne sauraient tarder, selon le ministère du travail. Après le vote de la loi, les travaux se sont poursuivis, avec les propositions de Michel de Virville, de Christophe Sirugue et le récent rapport d’Hervé Lanouzière, le directeur de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail – ANACT –, pour faciliter concrètement l’application du texte. Sur le travail répétitif, grand pourvoyeur de pénibilité entre tous, celui-ci précise les éléments à retenir, préconise des référentiels ou des cartographies de métiers à risque par branche, comme la loi le prévoit.

Est-ce vraiment trop demander que soit reconnue la possibilité, pour les salariés les plus exposés, d’acquérir progressivement des droits, leur permettant de choisir entre une période de temps partiel, un temps de formation-reconversion, ou encore une retraite anticipée ?

Monsieur le rapporteur, je connais votre appétence à l’égard de ces questions, mais je constate que votre formation est porteuse d’un message simpliste.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est faux.

M. Gérard Sebaoun. Avec cette proposition de loi, vous assumez l’idée fausse que le travail coûterait toujours trop cher ! Vous détricotez notre protection sociale, anticipant peut-être la fin du salariat, le nouvel horizon, semble-t-il, des ultras libéraux – mais c’est un autre débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Solère.

M. Thierry Solère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise économique que connaît notre pays, les chiffres du chômage, si désespérants – et, au delà des chiffres, nous pensons tous aux hommes et aux femmes qui sont touchés –, l’absence de croissance dans notre pays, alors que celle-ci revient dans toute la zone euro, nous obligent, me semble-t-il, à réagir, et même à réagir fortement.

Il est urgent de rétablir la confiance dans l’initiative entrepreneuriale. Il y a quelque temps, le Premier ministre a affirmé : « My government is pro-business ! » Quels actes concrets celui-ci a-t-il mis en œuvre ?

A-t-il allégé les contraintes ? Tous les entrepreneurs le répètent matin, midi et soir : la majorité leur en impose plus que jamais, au contraire.

M. Denys Robiliard. C’est faux !

M. Thierry Solère. A-t-il réduit les charges, sachant que c’est la compétitivité des entreprises qui permettra demain de se sortir du chômage de masse ? Non, il a ponctionné ces dernières de plus de 9 milliards en leur imposant des charges nouvelles, et la compétitivité n’a fait que se dégrader.

Je ne citerai qu’un exemple : comment voulez-vous que les éleveurs soient compétitifs, quand, en France, le niveau des charges sociales est supérieur à celui qui s’applique en Allemagne, en Espagne et en Angleterre ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très juste !

M. Thierry Solère. Enfin, les mesures prises depuis trois ans traduisent l’absence d’une politique cohérente. Vous faites en permanence le choix de l’idéologie et des statuts.

En matière d’emploi, vous ne regardez pas les réalités. Le chômage de masse recouvre notre pays. En outre, plus de 80 % des personnes embauchées l’an dernier l’ont été en CDD. Or un salarié en CDD ne peut pas souscrire à la banque un emprunt pour acheter son logement. Il a même du mal à en louer un.

M. Gérard Sebaoun. Cela n’a pas commencé en 2012 !

M. Thierry Solère. Pourquoi le Gouvernement ne met-il pas fin à cette situation aberrante ?

À travers la proposition de loi, l’opposition vous donne l’occasion, au delà des mots, de prendre des mesures concrètes qui vous permettraient instantanément de lever de la contrainte, de diminuer la charge qui pèse sur nos entreprises et de les aider à gagner en compétitivité.

Ce sont probablement des priorités pour le Gouvernement, en parole du moins. Et en actes ? C’est à vous d’en juger. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, à l’évidence, la proposition de loi a valeur de symbole.

En premier lieu, elle montre une forme de mépris à l’égard du dialogue social. Il s’agit là d’une notion que chacun brandit comme un étendard, mais il ne suffit pas de proclamer qu’on y est attaché pour la faire vivre.

Pour que ce soit le cas, il faut une démocratie sociale appuyée sur ces acteurs essentiels que sont les partenaires sociaux. C’est sur cette base que nous devons travailler, parfois pour faire évoluer les relations à l’intérieur de l’entreprise, parfois pour préserver des éléments qui nous sont chers, enfin pour prendre en compte des enjeux économiques devenus extrêmement complexes.

La proposition de loi a valeur de symbole parce qu’elle nie par principe l’ensemble des accords qui ont été négociés. C’est sans doute un indicateur sur vos positions, au cas où vous reviendriez aux affaires, qui intéressera l’opinion publique.

En deuxième lieu, le texte montre l’importance que vous accordez au code du travail, ainsi qu’aux relations à l’intérieur de l’entreprise. Je suis toujours surpris de constater qu’on considère les accords sociaux et les éléments qui encadrent le dialogue social comme des freins à l’entreprise et à l’emploi.

Tant que vous ne reconnaîtrez pas qu’une entreprise possède, outre un chef d’entreprise qui obéit à des considérations économiques, des salariés, sans lesquels elle ne pourrait pas fonctionner, nous n’aurons évidemment pas la même approche, et nous ne partagerons pas la même appréciation sur la nécessité d’adapter le monde de l’entreprise aux enjeux actuels.

La négation pure et simple de ce que les salariés peuvent apporter à leur entreprise est un deuxième symbole attaché à la proposition de loi.

Un troisième symbole tient à la manière dont vous traitez l’évolution du monde et du marché du travail, de la compétitivité et de la concurrence à laquelle les entreprises sont confrontées.

Certains d’entre vous pensent que le code du travail a pour fonction de relever des défis économiques ; sa mission est avant tout d’assurer la protection des salariés. Nous devons évidemment le faire vivre et le faire évoluer, car il n’y a pas de dogme ni de bible en la matière, mais il y a des documents importants. Et c’en est un.

Si une évolution doit être apportée à ce code, c’est non dans le sens que vous suggérez, en lui faisant porter une responsabilité qui n’est pas la sienne, car ce code ne constitue pas à lui seul un obstacle à la compétitivité des entreprises.

Enfin, sortant de la dimension symbolique, la proposition de loi constitue presque une négation du travail parlementaire.

Un projet de loi arrivera bientôt en discussion. Je salue à cet égard le travail de Mme la ministre. Ce texte nous permettra d’avancer sur l’adaptation des entreprises aux évolutions du monde, du marché et de la confrontation économique. Nous allons tous y travailler, chacun à notre place, mais après une concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux.

Notre approche n’est pas de considérer que, tout seuls, par la loi, nous pourrions nier certaines décisions déjà prises au cours du mandat et soutenues par les élus de la majorité. Nous pensons au contraire que la confrontation et la concertation sont nécessaires.

Une conférence sociale se tiendra dans quelques jours. Il est utile d’attendre ses conclusions et de travailler sur le fond, pour retenir certaines perspectives d’évolution dont nous ne nions pas l’importance.

Autant de raisons pour lesquelles nous ne voterons pas la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. Gérard Cherpion, rapporteur.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je remercie Mme Le Callennec d’avoir rappelé à juste titre les décisions ayant arrêté immédiatement un mouvement qui aurait pu conduire au développement du travail dans notre pays : suppression des heures supplémentaires défiscalisées, augmentation inconsidérée des impôts, suppression de la TVA anti-délocalisation.

L’intervention de M. Gomes s’inscrit dans la même veine et sa connaissance d’un terrain où la vie est difficile lui a permet d’analyser tous les freins.

Mme Khirouni a commencé son propos en expliquant que tout était de la faute des autres. Je veux bien assumer en partie la responsabilité de la situation. Voilà trente ans, en effet, que nous connaissons un chômage de masse. Pendant cette période, différentes majorité se sont succédé. Mais on ne peut pas incriminer uniquement les autres, lorsqu’on est aux responsabilités depuis trois ans et que les textes qu’on a fait voter ne sont pas ceux qui étaient attendus.

Notre collègue nous reproche de n’avoir pas formulé de propositions. Pourtant, en octobre 2014, j’avais déposé une proposition de loi, qui avait été rejetée, et dont j’ai plaisir à retrouver certains éléments dans la loi de finances pour 2016.

On y trouve, à l’article 4, une disposition tendant à limiter les effets de seuil dans les TPE-PME, en relevant les seuils de neuf à onze salariés, proposition que nous avions formulée l’année dernière.

Le projet de loi reprend une autre de nos propositions, aux termes de laquelle le recrutement de nouveaux salariés par les entreprises de moins de cinq ans effectué avant la fin de l’année 2018, qui entraîne pour la première fois le franchissement d’un seuil, n’emporte pas pendant les trois années suivantes la perte d’avantages ou l’assujettissement à de nouveaux prélèvements.

En somme, tout en rejetant nos textes, vous y picorez certaines mesures à même de résoudre les problèmes.

L’article 8 tend à supprimer des taxes à faible rendement, comme la taxe générale sur les activités polluantes, dont je conviens qu’elle est complexe, la taxe sur les premières ventes de produits cosmétiques, qui rapportait environ 7 millions d’euros, et une taxe administrative pesant sur les opérateurs de communications électroniques, qui représentait quelque 5 millions d’euros.

Dès lors, pourquoi ne pas supprimer aussi pas la taxe sur les CDD, qui ne constitue pour le Gouvernement qu’une recette de poche ? Il serait logique de traiter de la même manière toutes les taxes à faible rendement.

Concernant les vingt-quatre heures, arrêtez de nous faire dire que nous sommes favorables à la précarité !

M. Denys Robiliard. Si !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. La loi tend au contraire à limiter celle-ci. Le problème vient des dérogations, qui concernent essentiellement les femmes. On sait que les aides à domicile en milieu rural correspondent à des temps de travail courts, répartis sur la journée, ce qui est facteur de précarité.

Sur l’apprentissage, vous vous targuez d’avoir réintroduit une aide de 1 000 euros aux TPE. D’abord, le problème n’est pas là. Ensuite, le taux de l’aide ainsi rétablie est inférieur à celui qui s’appliquait précédemment. Enfin, vous avez supprimé le crédit d’impôt, de sorte que nous sommes loin du compte. Les chiffres, hélas, parlent d’eux-mêmes. L’apprentissage est en constante diminution. Je souhaite cependant pouvoir constater un sursaut cette année.

Les stages, quoi que vous en disiez, sont parfaitement réglementés, puisqu’ils doivent faire l’objet d’une convention et s’inscrire dans le cursus scolaire ou universitaire. Qu’on ne prétende donc pas que les entreprises utilisent les stagiaires de manière abusive !

D’ailleurs, qui a inscrit dans la loi le fait que le stagiaire figure dans les registres du personnel, alors que le texte de 2011, dont j’étais le rapporteur, stipulait qu’il existait un registre spécial des stagiaires ? C’est vous qui avez transformé ceux-ci en présalariés !

Bon connaisseur de l’entreprise, M. Tardy a bien posé le problème en rappelant que la crise avait commencé non en 2012 mais en 2008.

Je conviens, monsieur Sebaoun, que nous sommes en débat permanent. Cependant, nous partageons le souci de lutter contre la précarité. Je ne reviens pas sur les vingt-quatre heures, mais j’appelle votre attention sur un article paru ce matin dans Les Échos : selon un sondage, 77 % des Français, soit des millions de salariés, sont favorables à la déréglementation. Ils pensent qu’il faut sortir d’un système trop fermé.

Au lendemain de la loi Macron, le personnel de Sephora s’est prononcé pour l’ouverture des magasins jusqu’à minuit.

M. Jean-Pierre Door. Ceux sont eux qui ont raison !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Dans ce domaine, on va dans le bon sens.

J’ai entendu votre argumentation sur le compte pénibilité. Sur ce point, nous ne sommes pas si éloignés. Vous souhaitez que l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) intervienne. Certes ! Cela signifie que nous devons faire de la prévention. Nous proposons justement de passer du système répressif qui s’applique actuellement à un système préventif. Si nous y parvenons, nous serons tous d’accord.

Quant à Thierry Solère, il a bien expliqué les choses. Je citerai à nouveau Les Échos, dont l’édition du jour est très intéressante : un article indique qu’il y a eu une explosion des CDD depuis quelques années.

M. Gérard Sebaoun. Depuis longtemps déjà !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Oui, depuis 2000. Accordez-moi au moins le crédit de l’honnêteté, monsieur Sebaoun ! Depuis cette date, les CDD de moins d’un mois ont progressé de 146 %. Cela veut bien dire quelque chose, cela montre que le contrat de travail constitue en soi un problème.

Monsieur Sirugue, le fait que le CDI soit aussi rigide, aussi difficile à mettre en œuvre, entraîne automatiquement un recours au CDD. Je partage votre préoccupation : il faut que l’on arrive à diminuer le nombre de CDD. Or, on n’y parvient pas : la courbe continue à progresser. Le code du travail, qui n’est pas, nous en sommes d’accord, le seul rempart contre cette précarisation, concerne les gens qui sont au travail. Or, à l’heure actuelle, 4,75 millions de personnes ne sont pas dans l’emploi. Le code du travail, en son état actuel, est un frein à l’accès de ces gens à l’emploi, il faut impérativement en prendre conscience.

Quant au mépris dont je ferais prétendument preuve à l’égard du dialogue social, je regrette de devoir vous rappeler que vous n’étiez pas là lorsque j’ai présenté le texte. S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas me reprocher, c’est de ne pas recourir au dialogue social et de ne pas y être favorable. J’entretiens des contacts permanents avec l’ensemble des organisations syndicales, qu’elles soient salariales ou patronales, et j’ai toujours travaillé dans cet esprit. Je considère en effet que la démocratie sociale est extrêmement importante dans notre pays et qu’elle a pleinement son rôle à jouer, mais j’affirme, dans le même temps, que la démocratie politique doit savoir prendre ses responsabilités. La démocratie sociale peut conduire à une forme de consensus voire, parfois, à la conclusion d’arrangements – on s’aide un peu par-ci, par-là –, ce qui est le principe même du compromis. Mais, lorsqu’il apparaît que ce compromis n’est pas dans l’intérêt du pays, nous devons nous y opposer, et c’est ce que nous faisons aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Door. Très bien !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Aussi, j’espère que nous pourrons examiner le texte dans le détail, article par article, pour revenir sur les erreurs que vous avez commises. Si tel n’était pas le cas, je récidiverai l’année prochaine, car nous devons continuer à nous battre pour que nos entreprises puissent vivre, pour que nos entreprises puissent être libérées d’un certain nombre de contraintes ; nous recommencerons donc. Nous sèmerons certainement des pierres pour un avenir meilleur, que j’espère dès 2017. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le rapporteur, je vous félicite pour votre travail ; de fait, on connaît votre engagement dans cette commission, votre implication sur les questions d’emploi et vos rapports avec les partenaires sociaux.

Madame Le Callennec – dont je tiens à saluer, également, l’implication dans le travail de la commission –, vous dénoncez le principe du vote d’une motion de rejet préalable. Toutefois, vous n’étiez pas élue au cours de la précédente législature ; il me faut vous dire que, le jeudi, lors de l’examen des propositions de loi de l’opposition d’alors, à laquelle j’appartenais, il n’y avait pas de débat, car tous les votes étaient bloqués – oui, vous m’avez bien entendue, tous les votes étaient bloqués.

M. Gérard Sebaoun. Eh oui !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Seuls un ou deux députés de la majorité d’alors étaient présents. Il n’y avait aucun vote. Aujourd’hui, sous la présidence de Claude Bartolone, on joue le jeu de la démocratie, et cela mobilise la majorité pour aller jusqu’au vote. Monsieur le président Jacob, vous qui avez connu cette période, vous ne pouvez que le reconnaître.

M. Christian Jacob. Les textes étaient mauvais, à l’époque ! (Rires.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame Le Callennec, vous dénoncez également une politique anti-pouvoir d’achat, mais comment pouvez-vous dire cela ?

Mme Isabelle Le Callennec. En écoutant les Français !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Vous avez lu comme nous le bilan de l’INSEE, fin 2013…

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas l’INSEE qui m’intéresse, ce sont les vraies gens !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …qui tient compte des mesures qui ont été mises en œuvre depuis notre arrivée aux responsabilités. Ce document atteste une baisse de la pauvreté parmi les chômeurs…

Mme Isabelle Le Callennec. On ne rencontre pas les mêmes !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …qui sont 14 % à être en dessous du seuil de pauvreté – contre 70 % en Allemagne –, une baisse de la pauvreté chez les moins de 30 ans et une baisse de la pauvreté chez les moins de 18 ans, qui s’observe particulièrement dans les familles monoparentales, où le taux de pauvreté avait baissé de 3,6 %. Nous avons prévu une majoration progressive de 50 % du complément familial pour les allocataires modestes : excusez-nous de porter particulièrement l’effort sur les gens modestes ; c’est inscrit dans notre ADN.

Mme Isabelle Le Callennec. La baisse du plafond du quotient familial frappe surtout les classes moyennes !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ce complément familial sera majoré de 50 % en sus de l’inflation pour les familles nombreuses, très pauvres ou très modestes. De surcroît, nous avons augmenté l’allocation de rentrée scolaire dès notre arrivée et nous avons revalorisé de 25 % l’allocation de soutien familial.

Que dit ce rapport de l’INSEE ? Que le niveau de vie a légèrement augmenté – je dis bien « légèrement », tout triomphalisme serait évidemment déplacé – dans le bas de l’échelle et diminué dans le haut.

Mme Isabelle Le Callennec. Mais aussi pour la classe moyenne !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. L’évolution générale décrite par l’INSEE ne me choque pas. Le niveau de vie médian est par ailleurs resté le même : 20 000 euros par an, soit 1 667 euros par mois.

Mme Isabelle Le Callennec. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je rappelle que les données de l’INSEE ont été corrigées en fonction des mesures que nous avons prises. Je ne peux donc pas vous laisser dire que l’on prend des mesures anti-famille et anti-pouvoir d’achat : c’est irrecevable.

Monsieur le rapporteur, vous entendez supprimer des dispositions du code du travail introduites par la loi de sécurisation de l’emploi qui instaurent une durée minimale du travail de 24 heures hebdomadaires, mais vous oubliez de mentionner le nombre de dérogations existantes à ces 24 heures.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Justement !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ces dérogations existent en faveur des étudiants de moins de 26 ans, pour qu’ils puissent poursuivre leurs études.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je l’ai indiqué dans mon rapport !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Par ailleurs, tout salarié faisant une demande écrite et motivée afin de travailler moins de 24 heures obtient gain de cause ; cette modification fait l’objet d’un avenant à son contrat de travail. J’espère d’ailleurs que beaucoup de parlementaires ont tenu compte des directives qui leur ont été adressées s’agissant de leurs collaborateurs qui ne souhaitent pas travailler plus de 24 heures.

Mme Isabelle Le Callennec. Bien sûr !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. En êtes-vous certaine ? Pour ma part, je n’en suis pas si sûre. La possibilité de travailler moins de 24 heures concerne aussi les associations intermédiaires et les entreprises de travail temporaire, dans le cadre d’un dispositif d’insertion. De surcroît, un accord collectif de branche ou une convention collective peut prévoir une durée minimale du travail inférieure à 24 heures au sein de la branche concernée. Cessez donc de dire, monsieur le rapporteur, que les dispositions relatives à la durée minimale de travail verrouillent le monde du travail et empêchent la fluidité en son sein. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, peut-on tirer des enseignements de la proposition de loi de M. Jacob ?

Mme Isabelle Le Callennec et M. Gérard Cherpion, rapporteur. Oui !

M. Denys Robiliard. Je partage votre avis. D’abord, un enseignement sur la conception du temps parlementaire par le groupe Les Républicains. En effet, cette proposition de loi vise à défaire une partie de ce que nous avons fait au cours des trois années qui viennent de s’écouler et à revenir sur des débats que nous avons déjà eus. Il s’agit là d’une conception circulaire du temps, qui n’est pas dénuée d’intérêt, que l’on pourrait qualifier d’asiatique. Je ne sais pas si cela vous permet d’atteindre le nirvana parlementaire (Sourires.), mais toujours est-il que cela revient, à un moment donné, à tourner en rond…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est ce que vous avez fait !

M. Denys Robiliard. …ce qui n’est pas ma conception du temps parlementaire.

J’entends, sur les bancs des Républicains, que j’ai consommé une minute pour rien. En réalité, je crois que tout le temps consacré à cette proposition est pour rien (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) puisque, comme disait M. Jacob, le texte est mauvais ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Je parlais évidemment de vos textes !

M. Denys Robiliard. M. Jacob pense que tout ce qu’il fait est bon ; je n’affirme pas, pour ma part, que tout ce qu’il fait est mauvais mais, en l’occurrence, c’est très mauvais. On a même entendu certains de nos collègues revenir sur la question de la fiscalisation des heures supplémentaires. Parlons donc de cette mesure, que nous avons prise tout de suite. Je rappelle, puisque vous nous reprochez toujours de ne pas faire assez d’économies, que le dispositif de la défiscalisation, qui engendrait un coût de 4,5 milliards par an, consistait à subventionner des heures supplémentaires dans un contexte de chômage très élevé. Or, vous avez évidemment voté contre cette mesure d’économies. Mais ce système était inefficace. Vous le saviez, tous les rapports l’ont montré : il coûtait plus cher qu’il ne rapportait…

M. Gérard Sebaoun. Absolument !

M. Denys Robiliard. …et n’a créé ni emplois ni travail supplémentaire. Il n’est pas jusqu’au rapport d’information de M. Gorges qui n’ait reconnu que ça ne marchait pas.

M. Gérard Sebaoun. Eh oui !

M. Denys Robiliard. Le problème vient du fait que vous aviez intoxiqué la société en subventionnant des heures supplémentaires en direction d’un certain nombre de salariés. Nous avons pris la responsabilité de désintoxiquer la société de ce qui jamais n’aurait dû lui être donné, en maintenant simplement, pour les entreprises de moins de vingt salariés, l’abattement de 1,50 euro par heure supplémentaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) J’entendais Mme Le Callennec en parler ce matin.

Mme Isabelle Le Callennec. J’ai évoqué la question du pouvoir d’achat !

M. Denys Robiliard. Je crois que Mme Lemorton vient de vous répondre à ce sujet mais, si vous le souhaitez, nous pouvons aller au bout des choses. Dans l’un des rapports qui ont été consacrés aux heures supplémentaires, figurait une donnée proprement stupéfiante : pour les 1 000 contribuables les plus avantagés par le système des heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées…

M. Éric Woerth. Vous parlez des enseignants ?

M. Denys Robiliard. Non, je ne parle pas des enseignants, quoiqu’ils en aient aussi bénéficié. Dans le cadre de ce dispositif, les salariés disposant des plus hauts revenus – car, comme vous le savez, tous les cadres ne sont pas rémunérés en forfait-jours, tous ne sont pas de direction et certains d’entre eux effectuent des heures supplémentaires –, ceux qui ont le plus bénéficié du système, ont réalisé une économie fiscale de l’ordre de 8 000 euros.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce sont des gens qui consomment !

M. Denys Robiliard. Ce dispositif était inégalitaire, puisqu’il avantageait ceux qui gagnaient déjà davantage, et, de surcroît, inefficace. Alors que vous ne saviez pas comment vous en dégager, nous avons pris la responsabilité d’y mettre fin et, pourtant, vous nous critiquez.

M. Jean-Pierre Door. Il y a des millions de personnes qui vous le reprochent !

M. Denys Robiliard. Telle est votre conception de la responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Sebaoun. Annoncez donc que vous rétablirez le dispositif, mesdames, messieurs, de l’opposition !

M. Denys Robiliard. Ce n’est pas le seul enseignement de la proposition de loi de M. Jacob. J’entendais M. Cherpion affirmer qu’il était très attaché au dialogue social, ce que je ne mets pas en doute. Néanmoins, monsieur Cherpion, cette proposition de loi dénote une singulière conception du dialogue social.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Non !

M. Denys Robiliard. Vous avez, dans votre intervention liminaire, cité l’article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, dont vous vous félicitez, et que nous n’avons pas remis en cause.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Heureusement !

M. Denys Robiliard. Comme vous le savez, cet article a un pendant, qui n’est autre qu’un protocole relatif à la consultation des partenaires sociaux sur les propositions de loi, qui a été adopté par la conférence des présidents, sous la présidence de M. Accoyer, le 16 février 2010. Or, une fois encore, vous ne l’avez pas mis en œuvre : votre président de groupe, auteur de la proposition, n’a pas saisi le président de la commission d’une demande tendant à ce qu’il consulte les partenaires sociaux. Or, si vous l’aviez fait, je pense que ceux-ci l’auraient eu saumâtre. Mais vous ne pouvez, à la fois, vanter l’article L. 1 de la loi Larcher et vous essuyer les pieds sur le protocole que notre assemblée a adopté, sur l’engagement unilatéral qu’elle a contracté à l’égard des partenaires sociaux : cela dénote, me semble-t-il, un manque de respect évident.

Lorsque j’analyse le détail des abrogations que vous appelez de vos vœux, j’observe que vous revenez sur deux dispositions non négligeables de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Si ce n’était pas le cas, on ne déposerait pas de texte !

M. Denys Robiliard. J’entends très bien que le Parlement n’est pas le greffier des partenaires sociaux : ils proposent et, à un moment donné, nous décidons ; il revient au Parlement de définir ce qu’est l’ordre public social. Cela étant, l’accord du 11 janvier 2013 a été mis en œuvre par une loi du 14 juin 2013, sur laquelle vous revenez deux ans à peine après son adoption.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Il vous arrive de revenir sur des lois moins d’un an après leur adoption !

M. Denys Robiliard. Troisième enseignement de votre proposition de loi : vous pensez, chez les Républicains, que la précarité, l’organisation et la généralisation de la précarité, est un moyen de lutte contre le chômage.

Mme Isabelle Le Callennec. Caricature !

M. Denys Robiliard. Ce n’est pas une caricature ! Les partenaires sociaux s’étaient entendus en instituant un bonus-malus, consistant à taxer la précarité et à détaxer – ou, du moins, à diminuer la taxe – en cas d’embauche de jeunes de moins de 26 ans en CDI. C’est un dispositif important.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Ça ne marche pas !

M. Denys Robiliard. Regardez les chiffres de 2014 : la taxation a concerné 772 000 recrutements de salariés en CDD, et 205 000 jeunes de moins de 26 ans embauchés en CDI ont bénéficié du bonus.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Donnez les chiffres financiers !

M. Denys Robiliard. Je vous donne les chiffres, monsieur Cherpion !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Les chiffres financiers !

M. Denys Robiliard. Je ne vous ai pas interrompu. Je comprends que les chiffres et leur analyse, qui me paraît objective, vous soient désagréables, mais celle-ci doit pouvoir être donnée.

Les CDD sont un point important. Les partenaires sociaux ont décidé de cette taxation.

Mme Isabelle Le Callennec. Pas tous !

M. Denys Robiliard. Mais si ! Tous les organismes représentatifs du patronat étaient signataires ! Ce n’est pas parce que la CGPME a commencé à discuter de sa signature d’un accord dont l’encre était à peine sèche qu’elle ne l’a pas signé.

Mme Isabelle Le Callennec. Les PME réalisent 80 % des embauches !

M. Denys Robiliard. L’accord national interprofessionnel a donc été signé.

S’agissant de la disposition instaurant une durée minimale de vingt-quatre heures de temps de travail, je vous entendais dire, monsieur Cherpion, que vous étiez d’accord avec son esprit, mais vous avez une curieuse façon d’exprimer votre accord, puisque concrètement vous en demandez la suppression.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Une dérogation permanente !

M. Denys Robiliard. Dans certains domaines, je me poserais quant à moi la question du message qui est ainsi adressé. Le dispositif de la durée minimale de vingt-quatre heures est intéressant, même s’il est, peut-être, insuffisant. Je vous rappelle d’ailleurs que des dérogations sont possibles,…

Mme Isabelle Le Callennec. Heureusement !

M. Denys Robiliard. …par une simple lettre, par un accord collectif. Vouloir remettre en cause ce qui est le marqueur d’une volonté partagée des partenaires sociaux de lutter contre la précarité en dit long sur la façon dont vous entendez lutter contre le chômage.

Mme Isabelle Le Callennec. Travailler moins pour gagner moins !

M. Denys Robiliard. Très clairement, votre moyen, c’est la généralisation de la précarité.

Sur les stages, votre disposition vise à encadrer le nombre de stagiaires en proportion des effectifs de l’entreprise, donc par rapport à la capacité de celle-ci à encadrer les stages. Or, les stages, nous sommes tous d’accord sur ce point, ne sont pas un faux contrat de travail. Ils ont une vertu pédagogique et s’insèrent dans un processus de formation. Quand on est en stage, c’est pour être formé, bien que l’on puisse considérer que le fait de travailler est en soi formateur.

M. Gérard Sebaoun. Absolument !

M. Denys Robiliard. Cependant, les stagiaires sont aussi des personnes qui, ne trouvant pas d’emploi, travaillent quasiment gratuitement, au vu du montant de l’indemnité minimale légale versée, et ce, pendant une durée assez longue. À nouveau, votre proposition de suppression rendrait possible une forme d’exploitation de la précarité de certains jeunes.

Mme Isabelle Le Callennec. Voulez-vous tarir la source des stages ?

M. Denys Robiliard. Je tire un quatrième enseignement de votre proposition de loi. Vous ne cessez d’affirmer qu’il faut lutter contre le chômage. Nous mettons en place, avec ce que vous appelez la loi « Florange », deux dispositifs à cette fin. Lutter contre la fermeture d’établissements rentables, n’est-ce pas lutter contre le chômage ? À l’évidence, oui. Vous demandez pourtant l’abrogation de cette disposition. De même, alors que 50 000 salariés par an perdent leur emploi à la suite de la fermeture d’une entreprise qui n’a pu être reprise ou cédée, donner aux salariés la possibilité aux salariés d’être associés à la reprise de leur entreprise, si elle est fiable et qu’elle dégage des bénéfices, constitue un bon moyen d’éviter de telles fermetures. Je constate donc que vous demandez donc l’abrogation de deux dispositifs qui visent très clairement à lutter contre le chômage.

J’en viens aux deux dispositions sur le financement de l’apprentissage. Il faudrait prendre garde de ne pas dire tout et son contraire. Vous demandez que les règles soient stabilisées,…

Mme Isabelle Le Callennec. Quand elles sont bonnes !

M. Denys Robiliard. Elles le sont ! Acceptez donc la stabilisation.

M. Christian Jacob. On voit que c’est efficace !

M. Denys Robiliard. Pour vous, il est évident que le nombre d’apprentis ne dépend que de la réglementation et absolument pas de l’état de la situation, par exemple dans le bâtiment, car cela est parfaitement indifférent, bien entendu.

Mme Isabelle Le Callennec. Entre-temps, des dizaines de milliers d’entreprises ont disparu !

M. Denys Robiliard. Revenons-en à une discussion de bonne foi.

M. Christian Jacob. Pour cela, il faudrait changer d’orateur !

M. Denys Robiliard. Des règles ont été fixées après avoir été discutées de manière exhaustive, il faut maintenant les laisser s’appliquer, se décliner à l’échelle régionale. On doit pouvoir aller plus loin. Remettre en cause les règles qui viennent d’être adoptées n’est ni sage ni sain pour le développement de l’apprentissage.

Reste enfin la question de la pénibilité des conditions de travail. Au départ, nous avions été critiqués pour avoir simplement évoqué cette notion.

M. Gérard Sebaoun. Absolument !

Mme Isabelle Le Callennec. C’est de la mauvaise foi !

M. Denys Robiliard. Je l’ai pourtant entendu, chère collègue ! Pour ma part, j’assume le mot, et ne vous critique pas pour l’avoir introduit dans le code du travail. Ne nous critiquez donc pas pour lui avoir donné une autre portée législative.

Dans le dispositif que vous aviez imaginé, il fallait que la maladie soit déclarée, ou plus exactement que les conséquences de la pénibilité soient déclarées avant la fin du contrat de travail.

Mme Isabelle Le Callennec. Nous avions mis en place un fonds de prévention pour la santé au travail !

M. Denys Robiliard. Autrement dit, votre conception du régime de pénibilité ressemblait étrangement à celle de la garantie décennale dans le domaine de la construction, selon laquelle si des dommages surviennent après l’expiration du délai de dix ans, c’est tant pis pour le propriétaire du bâtiment. Vous appliquiez une logique similaire pour les salariés : si les conséquences de la pénibilité de leur travail sur leur santé survenaient après leur départ en retraite, c’était tant pis pour eux.

Le dispositif juste me semble au contraire de prendre pour point de départ la situation telle que nous la connaissons : à l’âge de 35 ans, un ouvrier a six ans d’espérance de vie en moins qu’un cadre. Essaie-t-on, oui ou non, de remédier à cette situation ?

Mme Isabelle Le Callennec. Mais pas de cette façon !

M. Denys Robiliard. Vous nous opposez que ce n’est pas un dispositif de prévention, mais vous avez tort : un compte pénibilité a un coût, vouloir le réduire incite donc à la prévention. Par ailleurs, au sein de ce dispositif, 20 % des points acquis doivent être consacrés à la formation, précisément pour sortir de la pénibilité ; il s’agit donc bien également d’un mécanisme de prévention.

M. Jean-Pierre Door. C’est vraiment tortueux !

M. Denys Robiliard. Concernant les difficultés de mise en œuvre du compte pénibilité, je vous renvoie au rapport de MM. de Virville et Sirugue et à la loi Rebsamen. À cet égard, nous avons tenu compte des critiques qui ont été adressées.

Mme Isabelle Le Callennec. Il en reste encore à faire !

M. Denys Robiliard. Certains trouvent même que nous avons été trop loin de ce point de vue.

En tout état de cause, dans l’ensemble, il n’y a pas lieu de discuter davantage des dispositions de cette proposition de loi dont le principe est de revenir sur ce qui vient d’être fait. Toutefois, sur le détail, monsieur Cherpion, votre texte me paraît avoir la vertu d’être un pense-bête de ce que nous avons fait de bien, (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) même si la liste n’est pas exhaustive à mes yeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Tout d’abord, je tiens à remercier l’ensemble des oratrices et des orateurs qui se sont exprimés. Monsieur le rapporteur, je salue le travail que vous avez mené, même si j’ai eu l’occasion à la tribune d’exprimer toutes mes réserves et ma ferme opposition à certaines des dispositions que vous défendez. Je voulais également remercier les députés Denys Robiliard, Christophe Sirugue, Gérard Sebaoun, Chaynesse Khirouni pour les propos qu’ils ont tenus et les éléments qu’ils ont apportés au débat.

Ce qui me paraît essentiel pour lutter contre le chômage, c’est de ne pas dévaloriser notre pays,…

Mme Isabelle Le Callennec. Mais cela ne suffira pas !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …de ne pas tenir ce discours dépréciatif qui prend parfois des allures de rengaine. Sur l’apprentissage, précisément, nous avons levé un à un les freins financiers et non financiers.

Mme Isabelle Le Callennec. Après les avoir posés un à un !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Répéter sans cesse qu’il y a une trop grande complexité n’est vraiment pas utile à notre pays, car pendant ce temps, des apprentis cherchent des employeurs alors même que les organisations professionnelles estiment que le plan fonctionne, comme le disait voilà deux jours encore dans mon bureau l’Union professionnelle artisanale.

Il me paraît également essentiel aujourd’hui de retrouver un climat de confiance. Le climat des affaires n’a jamais été aussi bon depuis 2011, nous avons des créations nettes d’emplois, le chômage des jeunes a reculé pour retrouver son niveau de la fin de l’année 2012.

Mme Isabelle Le Callennec. Et les seniors ? Et les chômeurs de longue durée ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’ai eu l’occasion de le dire ici, les derniers chiffres ne sont en effet pas satisfaisants, mais un climat favorable est en train de s’installer. La problématique de la complexité et des difficultés pour les entreprises, à laquelle vous revenez sans cesse, ne correspond absolument au discours que l’on me tient sur le terrain.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est pourtant ce que vivent les Français ! Il ne faut pas mener la politique de l’autruche et les endormir !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ce climat est aussi essentiel si nous voulons lutter contre le chômage.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. Je voudrais répondre à Mme la ministre sur plusieurs points.

Tout d’abord, il y a une vraie différence entre nous, madame la ministre. Après avoir entendu votre intervention et celles de plusieurs orateurs de la majorité, je constate que nous n’avons pas la même conception de la valeur travail. Pour notre part, nous considérons qu’il faut replacer celle-ci au sein du pacte républicain. On a au contraire en vous écoutant le sentiment que le travail est un mal nécessaire ou une contrainte.

M. Gérard Sebaoun. Mais non !

M. Christian Jacob. Dans le propos que vous avez tenu lors de votre intervention en début de discussion, vous avez affirmé que la méthode du dialogue social présiderait à l’élaboration du prochain projet de loi relatif au travail. Or, le projet de loi d’un ministre du travail doit avoir pour fin que l’on puisse de nouveau embaucher, que les entreprises retrouvent des points de compétitivité. Sur ce sujet, nous sommes à des centaines de lieues les uns des autres ! Votre logique est celle du partage, de la répartition, des contraintes pour les entreprises, alors qu’il faut au contraire redonner à celles-ci la capacité d’embaucher.

Plusieurs mesures ont été évoquées tout à l’heure. Vous avez notamment supprimé à votre arrivée aux responsabilités la défiscalisation des heures supplémentaires ; parlons-en ! Cette disposition a permis d’abaisser le coût du travail pour les entreprises, qui ont regagné des points de compétitivité, et de redonner du pouvoir d’achat aux salariés.

M. Gérard Sebaoun. Aux salariés qui travaillaient !

M. Christian Jacob. Comme vous êtes contre cette logique du travail, vous avez supprimé cette mesure à votre arrivée, ce qui s’est traduit par une baisse très nette du pouvoir d’achat des salariés – 9 millions de salariés l’ont subie un mois après votre arrivée au pouvoir – et par une augmentation du coût du travail pour les entreprises. Vous avez continué ensuite de suivre cette logique.

Il en a été de même pour la TVA compétitivité, qui visait à élargir l’assiette de la TVA et à affecter une partie de son produit au financement de la protection sociale, afin que celui-ci ne repose pas uniquement sur le coût du travail.

M. Gérard Sebaoun. Vous ne l’avez pas appliquée !

M. Christian Jacob. En effet, l’augmentation de la dépense sociale entraîne mécaniquement une hausse des cotisations, qui fait baisser le salaire net des salariés et augmente le coût du travail pour les entreprises. Une fois encore, vous considérez le travail comme une contrainte, alors qu’il faudrait adopter la logique inverse. J’ai notamment regretté que vous n’ayez pas dit un mot de l’entreprise et de la compétitivité dans votre intervention liminaire, madame la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. C’est faux !

M. Christian Jacob. Avant de parler de dialogue social, encore faudrait-il qu’il y ait du travail ! Telle devrait être votre préoccupation.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et ça l’est !

M. Philip Cordery. Quelle caricature !

M. Christian Jacob. Nous nous sommes employés à mettre en avant dans cette proposition de loi toutes les contraintes supplémentaires que vous avez créées en trois ans.

M. Bruno Le Roux. C’est long ! Il ne devait parler que deux minutes !

M. Christian Jacob. Et si aujourd’hui la courbe du chômage ne s’inverse pas alors que son niveau diminue chez à peu près tous nos partenaires européens, c’est précisément parce que depuis trois ans vous taxez les entreprises, parce que vous les handicapez.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Christian Jacob. Cela se traduit inévitablement chaque mois par des chômeurs supplémentaires. Voilà le bilan de M. Hollande ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Christophe Borgel. N’importe quoi ! Quelle caricature !

M. le président. Monsieur le président Jacob, je vous ai laissé vous exprimer un peu plus longuement que ne le prévoit le règlement parce que M. le rapporteur, qui appartient au même groupe que vous, a eu l’amabilité de se retirer. Cela me paraissait donc constituer un équilibre à la fois élégant et correct.

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. L’Assemblée ayant adopté la motion de rejet préalable, la proposition de loi est rejetée. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Bérengère Poletti. Il n’y aura pas de débat !

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas très sportif !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Modifier les dispositions relatives à l’accueil et l’habitat des gens du voyage

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Annie Genevard et plusieurs de ses collègues visant à modifier les dispositions relatives à l’accueil et l’habitat des gens du voyage (nos 2687, 3095).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Yannick Moreau, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, chers collègues, ma chère collègue Annie Genevard, députée du Doubs, et moi-même avons déposé cette proposition de loi au nom des centaines de maires de France qui subissent chaque année des occupations illicites de terrains par des gens du voyage et, à défaut de disposer des moyens pour lutter efficacement contre ces pratiques, ne peuvent qu’en constater l’impunité. Exaspérés, nos concitoyens en viennent donc à considérer que certains groupes de Français, en particulier certains groupes de gens du voyage, seraient « plus égaux que d’autres ».

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est une certitude !

M. Yannick Moreau, rapporteur. Une telle situation est inacceptable. À la suite des dizaines d’incidents recensés cet été, qui heureusement ne sont pas tous devenus des accidents ni des drames, le droit en vigueur doit être modifié afin d’équilibrer les droits et les devoirs entre les groupes de gens du voyage et les collectivités qui les accueillent. Celles-ci n’ont actuellement que le droit de subir l’occupation illégale de terrains sans pouvoir réellement s’y opposer ni y mettre un terme pendant une dizaine de jours au moins. La proposition de loi qu’Annie Genevard et moi-même avons déposée vise précisément à rééquilibrer les droits et les devoirs, objectif que la proposition de loi déposée en juin par M. Raimbourg et M. Le Roux n’a pas atteint.

En effet, ce sont les gens du voyage, y compris ceux qui s’installent illégalement sur des terrains, qui bénéficient aujourd’hui de la protection de la loi. Nous voulons que, demain, les collectivités et les Français sédentaires en bénéficient eux aussi contre les occupations illégales de terrains.

Dressons un rapide inventaire du droit en vigueur. En contrepartie d’une obligation d’accueil des communes, le législateur a prévu deux régimes réprimant l’installation de campements illicites sur le terrain d’autrui, consacrant ainsi le principe selon lequel la liberté des uns s’arrête là où commence la propriété des autres. Défendue par Louis Besson, la loi du 5 juillet 2000 procède de la recherche d’un équilibre entre la liberté d’aller et venir, le droit à un logement décent et le droit de propriété.

Ses dispositions sont articulées en trois volets. Le premier prévoit l’aménagement en quelques années d’un nombre d’aires suffisant pour faire face aux besoins en imposant notamment aux communes de plus de 5 000 habitants un délai pour réaliser les investissements nécessaires et en prévoyant que l’État se substitue à elles en cas de carence. Le deuxième comporte plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes en matière de réalisation et de gestion des aires d’accueil. Le troisième renforce les moyens juridiques de lutte contre les occupations illicites. Selon une logique de donnant-donnant, cette loi a introduit un principe clair selon lequel seules les communes respectant leurs obligations peuvent interdire le stationnement sauvage et faire respecter cette interdiction. En pratique toutefois, la complexité des procédures nécessaires pour obtenir une évacuation de résidences mobiles rend cette possibilité largement théorique, ce qui a mené à la modification de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 par la loi du 5 mars 2007.

Le préfet s’est ainsi vu attribuer le pouvoir de mettre en demeure les propriétaires des résidences mobiles des gens du voyage stationnant irrégulièrement sur des terrains publics ou privés de mettre un terme à cette occupation. Il prend cette décision à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain. Sa décision est immédiatement exécutoire moyennant un délai qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Cette procédure suppose toutefois que certaines circonstances soient réunies : le terrain occupé illégalement doit être situé sur le territoire d’une commune respectant ses obligations et l’occupation illicite doit être de nature à porter atteinte à l’ordre public, c’est-à-dire à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité.

À l’issue du délai fixé par l’arrêté de mise en demeure, le préfet est autorisé à procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles. Toutefois, les occupants, le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain ont le droit de contester la mise en demeure devant le tribunal administratif. Ce recours a un caractère suspensif mais le président du tribunal administratif ou son délégué doit se prononcer dans les soixante-douze heures.

Or un tel régime de police administrative n’a pour objectif que la fin du trouble à l’ordre public et la restauration de la tranquillité publique – résultats qui, s’agissant de l’installation d’un campement sauvage, seront obtenus par l’éviction ou, dans la plupart des cas, le départ volontaire des occupants à l’heure et au moment qu’ils auront choisi. Il n’offre pas la possibilité de sanctionner ceux qui se sont rendus coupables de ces agissements, même en cas de récidive, ni de réparer les dégâts qu’ils ont causés ou le préjudice subi par ceux dont le bien a été illégalement occupé.

La sanction et la réparation relèvent toujours du régime pénal. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a introduit dans le code pénal l’article L. 322-4-1 réprimant de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende l’installation en réunion et sans autorisation sur le terrain d’autrui en vue d’y établir une habitation même temporaire. L’infraction est constituée lorsqu’elle a lieu sur un terrain privé ou appartenant à une commune qui n’est pas inscrite au schéma départemental ou qui respecte les obligations fixées par celui-ci en matière d’installation d’aires d’accueil. Si l’installation a eu lieu au moyen de véhicules automobiles, le code pénal prévoit qu’il peut être procédé à leur saisie immédiate en vue de leur confiscation – à l’exception des véhicules destinés à l’habitation – et à la suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus. Malheureusement, comme on le constate chaque année dans des centaines de communes de France, ce dispositif ne permet pas d’obtenir l’éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Voilà le problème !

M. Yannick Moreau, rapporteur. Concrètement, un groupe de gens du voyage indélicat désireux de s’installer dans une commune, sur un terrain public ou privé, le fera en général le dimanche après-midi, lorsque la vigilance des services municipaux et des élus est la plus faible. Installé pour une durée préalablement déterminée – sept, dix ou quinze jours –, il y demeurera jusqu’à son départ volontaire, sans que la loi ne donne au maire, pourtant responsable de l’ordre public dans sa commune, le moyen de procéder à son éviction ou de prononcer des sanctions à son égard.

M. Frédéric Reiss. Voilà la réalité !

M. Yannick Moreau, rapporteur. De fait, les sanctions pénales sont peu appliquées par le juge pénal.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Et même pas du tout !

M. Yannick Moreau, rapporteur. En 2012, cinquante-sept condamnations seulement ont été prononcées sur le fondement de l’article L. 322-4-1 du code pénal pour des centaines d’infractions constatées chaque année sur le territoire national ! C’est dire l’impunité qui prévaut en la matière !

Mme Annie Genevard. Très juste !

M. Yannick Moreau, rapporteur. La procédure administrative d’éviction n’est pas plus satisfaisante, faute d’un délai suffisamment bref imposé au préfet pour prendre un arrêté de mise en demeure. A contrario, le délai dans lequel un recours peut être effectué contre cet arrêté est trop long, d’autant que le recours n’a pas d’effet suspensif. Concrètement, cela signifie que les gens du voyage indélicats peuvent s’installer illégalement sur un terrain pour la durée de leur choix sans jamais courir le moindre risque de subir une sanction !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

M. Yannick Moreau, rapporteur. C’est inacceptable ! L’exaspération monte ! Si nous voulons pacifier les relations entre les Français sédentaires et les gens du voyage, il faut donner plus de droits aux communes et plus de moyens juridiques à leurs élus afin d’équilibrer les droits et les devoirs des gens du voyage d’une part et ceux des communes d’autre part. Tel est précisément l’objet de notre proposition de loi, élaborée avec Annie Genevard et un certain nombre de nos collègues parlementaires.

Rappelons brièvement ses objectifs. Il s’agit d’abord de faciliter l’accueil des gens du voyage en les obligeant à s’annoncer, c’est-à-dire à déclarer un grand passage au lieu de s’installer au dernier moment en signalant a posteriori leur arrivée.

Notre proposition de loi vise ensuite à renforcer les sanctions pénales et leur application, notamment en prévoyant le doublement des peines prévues en cas d’occupation sans titre d’un terrain appartenant à autrui pour y installer son habitation, la majoration de l’amende infligée au-delà de trente-six heures d’occupation illégale ainsi que la saisie des véhicules concernés. Elle vise également à raccourcir et systématiser la mise en œuvre de la procédure administrative d’éviction forcée. Ainsi, pour éviter la reconstitution d’un campement à faible distance, l’arrêté d’expulsion s’appliquerait non seulement sur la parcelle concernée, mais également sur l’ensemble du territoire de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale. Le texte introduit par ailleurs la notion de trouble à l’activité économique et supprime le caractère suspensif du recours. En outre, il oblige les préfets à mettre en demeure les occupants dans un délai de vingt-quatre heures suivant la saisine et à mobiliser les effectifs de forces de l’ordre nécessaires.

La proposition de loi vise enfin à préciser la responsabilité de l’État dans le bon déroulement des grands passages et rassemblements et à assurer la tarification juste et équitable des aires d’accueil. À cet égard, je m’étonne que le groupe majoritaire, qui a d’abord adopté l’article concerné en commission après que son oratrice a fait part de son soutien au principe dont il procède, se soit déjugé quelques minutes plus tard en rejetant le texte ainsi élaboré par la commission des lois.

Mes chers collègues, le Sénat ne s’est pas saisi de la proposition de loi de MM. Raimbourg et Le Roux et a peu de chances de le faire car celle-ci n’est pas de nature à améliorer la situation ni à rééquilibrer les droits et les devoirs de part et d’autre. Elle ne peut donc satisfaire les élus locaux que représentent justement les sénateurs. C’est la raison pour laquelle Annie Genevard et moi-même ainsi qu’un certain nombre de nos collègues avons déposé une proposition de loi. La liberté de circulation des uns s’arrête là où commence la propriété des autres. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis une nouvelle fois pour examiner une proposition de loi de visant à modifier les dispositions relatives à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.

Une nouvelle fois, en effet, puisque nous avons déjà débattu de ce sujet dans cet hémicycle il y a à peine quatre mois, le 9 juin. Nous examinions alors la proposition de loi du député Dominique Raimbourg. L’Assemblée nationale avait adopté ce texte au terme d’un important travail, effectué tant en commission qu’en séance.

Je veux rappeler que vous aviez été très nombreux sur ces bancs, et au sein de chacun des groupes parlementaires, à témoigner d’un réel intérêt pour ce débat.

Ce fut aussi le cas lors de l’examen du texte en commission des lois. Je remercie particulièrement son président ainsi que la députée Sandrine Mazetier pour la qualité de son travail et l’attention avec laquelle elle a examiné chacune des dispositions de ce texte.

Je me réjouis de l’intérêt que l’accueil des gens du voyage suscite car – vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur – c’est un sujet important et qui, c’est vrai, préoccupe les élus locaux. C’est d’ailleurs le sens de la proposition de loi de Dominique Raimbourg que de prendre en compte les attentes de nos élus, en particulier des maires…

Mme Sophie Rohfritsch. Non !

Mme Sylvia Pinel, ministre. …et de les conjuguer avec celles, tout aussi légitimes, des gens du voyage, par exemple en ce qui concerne les papiers d’identité, qui doivent cesser de stigmatiser une population, l’accès universel des enfants à l’école publique gratuite – il ne doit pas connaître d’exception dans notre République, celle de Jules Ferry, de Jean Zay et de tant d’autres qui se sont battus pour l’égal accès au savoir de tous, quelles que soient leur condition ou leur classe sociale –, ou encore la définition de l’habitat et l’accompagnement à la sédentarisation des gens du voyage, une demande forte et une réalité que nos élus locaux connaissent parfaitement.

Votre proposition, monsieur le rapporteur, n’aborde pas ces sujets.

Au contraire, vous proposez la création ou le renforcement de mesures répressives, coercitives, de nature à jeter le discrédit sur une population qui est française et ne demande rien d’autre que la reconnaissance de ce fait dans la loi.

Vous proposez un cumul de dispositions qui, pour la plupart d’entre elles, sont excessives et parfois même inapplicables. Je m’étais déjà exprimée, au nom du Gouvernement et notamment de mes collègues Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira, sur l’ensemble de vos propositions puisqu’elles avaient fait l’objet d’amendements déposés et défendus par votre groupe au moment de l’examen de la proposition de loi de Dominique Raimbourg.

Le débat sur ces propositions a donc déjà eu lieu et le Gouvernement n’entend pas changer de position.

La création d’une saisie automatique des véhicules en stationnement illégal depuis plus de soixante-douze heures, dans la mesure où elle s’appliquerait à des véhicules d’habitation, remet en cause le principe d’inviolabilité du domicile. Une telle disposition est, de ce fait, inconstitutionnelle.

Vous proposez en outre d’imposer au préfet, saisi d’une demande de mise en demeure des occupants illicites d’un terrain, de mettre en œuvre une procédure d’évacuation dans un délai qui ne peut être supérieur à vingt-quatre heures.

Vous souhaitez ainsi encadrer la marge d’appréciation et d’action du préfet en lui imposant de répondre à la sollicitation du maire ou du propriétaire du terrain dans un délai extrêmement bref.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est l’objectif !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Je peux vous assurer que les préfets font aujourd’hui le maximum pour donner suite aux demandes des maires ou des propriétaires dans des délais très courts, lorsque les conditions juridiques sont remplies…

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas la réalité !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ils n’en ont pas les moyens !

Mme Sylvia Pinel, ministre. …et qu’ils le font dans le cadre d’un dialogue actif avec les maires concernés.

Votre proposition comporte en revanche un risque en cas de dépassement du délai par le préfet, celui de fragiliser la validité juridique d’une mise en demeure intervenue au-delà de ce délai. Ce serait donc tout à fait contraire à l’objectif recherché.

Vous proposez aussi d’imposer un délai de six heures pour l’exécution d’une mise en demeure lorsque les occupants concernés ont déjà procédé à un stationnement illicite, au cours de l’année écoulée, dans la même commune ou le même département. Je rappelle que la loi Besson fixe déjà un délai minimal de vingt-quatre pour l’exécution de la mise en demeure.

Ce délai est tout à fait adapté pour envisager un départ dans des conditions sereines. C’est aussi sur ce délai d’exécution que s’appuie le délai ouvert aux occupants pour exercer un recours contre la décision de mise en demeure. Il ne me paraît ni raisonnable, ni respectueux pour les personnes concernées de fixer un ultimatum sous six heures, ce qui, au-delà même des difficultés pratiques s’attachant à une telle mesure, priverait de fait ces dernières de la possibilité d’exercer un recours.

J’ajoute, et j’en terminerai là, que votre proposition paraît difficilement applicable. En effet, comment savoir si les personnes concernées ont déjà procédé à un stationnement illicite au cours de l’année écoulée ? Cela supposerait de constituer une base de données, ce qui, pour des raisons juridiques et constitutionnelles, est inenvisageable.

Je crois, monsieur le rapporteur, que nos concitoyens aspirent à vivre dans une société plus apaisée et respectueuse des attentes des uns et des autres. Cela ne veut pas dire que les infractions ne doivent pas être sanctionnées – comme, par exemple, en cas d’occupation illicite de terrain. Mais cela veut dire que nous devons agir dans un esprit constructif et dans un souci d’équilibre des droits et des devoirs de chacun. Il s’agit d’un enjeu fort pour notre cohésion nationale.

Nous ne devons pas nier les problèmes qui sont posés aux collectivités. Il nous appartient d’y apporter des réponses concrètes, mais aussi humaines. La proposition de loi qui garantit davantage de moyens d’action aux maires, tout en mettant fin à un régime administratif spécifique et discriminant, c’est celle que cette assemblée a adoptée le 9 juin dernier.

C’est elle qui permettra de mieux organiser le stationnement de groupes nombreux à l’occasion de rassemblements traditionnels, mais aussi de tenir compte des besoins de la majorité des voyageurs souhaitant s’installer durablement sur un territoire, grâce à l’inscription des terrains familiaux locatifs dans les schémas départementaux d’accueil des gens du voyage.

C’est elle, encore, qui renforce les procédures d’évacuation à disposition des élus en prévoyant que, lorsqu’une caravane procède, dans un délai de sept jours, à un stationnement, en violation d’un même arrêté d’interdiction sur le territoire de la commune ou de l’intercommunalité, et qui porte la même atteinte à l’ordre public, la mise en demeure continue de s’appliquer. Le délai laissé au président du tribunal administratif pour statuer sur un recours contre une mise en demeure a en outre été réduit à quarante-huit heures.

C’est en prenant ce texte pour fondement que le Gouvernement souhaite avancer sur ces sujets de manière concrète et pragmatique. C’est pourquoi la proposition de loi du député Raimbourg sera inscrite à l’ordre du jour du Sénat début 2016. Plusieurs sénateurs, qui d’ailleurs n’appartiennent pas tous à la majorité gouvernementale, ont d’ores et déjà manifesté leur souhait de travailler à nos côtés sur ce texte. Et je sais pouvoir compter sur la mobilisation de l’ensemble des groupes parlementaires en vue de participer à ce débat de manière constructive et apaisée.

Voilà pourquoi, monsieur le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à l’adoption de votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons ce matin notre proposition de loi visant à modifier les dispositions relatives à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.

Votre proposition de loi, discutée il y a quelques semaines, a-t-elle épuisé le sujet ? Je ne le crois pas.

M. Jacques Myard. Certainement pas !

Mme Annie Genevard. En premier lieu, ce qui sous-tend votre approche est l’idée que les gens du voyage sont victimes de discriminations et que la priorité consiste à réduire celles-ci. Cette idée inspire d’ailleurs les premiers articles de votre proposition de loi.

Nous, nous voulons une loi plus ferme, qui s’applique plus fermement, afin de mettre fin aux agissements délictueux de certains groupes de gens du voyage qui, vous le savez, posent d’énormes problèmes de comportement. Qui peut le nier aujourd’hui ? Quel député ici, à quelque famille politique qu’il appartienne, peut affirmer qu’il n’a jamais été alerté par des élus de sa circonscription sur les désordres qu’engendrent les occupations illicites, les intimidations à l’égard des représentants de l’ordre public, de la population, les dégradations de biens publics ou privés ?

Je suis même prête à parier que ceux-là même qui s’insurgent ici contre nos demandes de fermeté à l’égard de tels comportements sont les premiers à compatir aux difficultés de leurs élus locaux, lesquels sont en première ligne pour gérer les problèmes.

M. Jacques Myard. C’est évident ! C’est le règne de l’hypocrisie !

Mme Annie Genevard. Je crois qu’il faut en la matière retrouver la raison et faire de la loi un outil mieux adapté à combattre ces agissements que nos populations supportent de moins en moins.

M. Jacques Myard. Des sanctions !

Mme Annie Genevard. C’est d’abord, et j’y insiste, une nécessité pour les gens du voyage eux-mêmes. En ne sanctionnant pas les comportements délictueux de certains, on compromet l’image de tous et la perception que peut en avoir la population. Là est la véritable source de la discrimination, quand on impute à tous les fautes de quelques-uns.

La loi, aujourd’hui, soit n’est pas adaptée, soit n’est pas appliquée, en raison de la complexité des procédures, de leur lenteur…

M. Jacques Myard. Où est la promptitude dans l’application de la loi ?

Mme Annie Genevard. …de la difficulté de mobiliser les forces de police ou de gendarmerie qui hésitent, à juste titre, à intervenir dans les camps s’ils ne sont pas en nombre. Et cela n’est pas près de s’arranger ! Souvenez-vous du drame de Roye, en août dernier dans la Somme, qui a coûté la vie à un gendarme.

Quant aux maires, officiers de police judiciaire, ils sont régulièrement pris à parti, menacés et même parfois molestés. Où est la force du droit ? N’êtes-vous pas interpellés par la multiplication de ces incidents ?

C’est pourquoi nous faisons un certain nombre de propositions dont les principales mesures consistent en un élargissement du champ d’application de l’arrêté d’expulsion rendu par le préfet. Nous proposons que celui-ci s’applique non seulement à une parcelle cadastrée mais à l’ensemble du territoire de l’établissement de coopération intercommunale qui, depuis l’adoption de la loi NOTRe, loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, a désormais compétence. Nous aurions aimé, par voie d’amendement, préciser le délai de validité d’un tel arrêté, porté à un mois.

Dans ma commune, alors que je dispose d’une aire de accueil et d’un terrain familial, voilà ce que nous avons subi : installation forcée sur l’aire d’accueil après intimidation des précédents occupants ; destruction des bornes électriques et branchements sauvages ; obstruction et dégradations des sanitaires ; occupation illicite des propriétés voisines ; utilisation sanitaire des espaces environnants et des bords de route. Rouverte depuis peu, l’aire a dû à nouveau fermer en août, après que les mêmes dégradations ont été causées au cours de l’été par les mêmes familles.

M. Jacques Myard. Ils sont aveugles !

Mme Annie Genevard. En dehors de l’aire d’accueil, plusieurs occupations illicites ont bloqué ou dégradé les espaces publics de ma commune entre mai et septembre. Des commerçants et des habitants ont été intimidés. Chacune a été précédée ou suivie d’autres occupations illicites sur le territoire de l’intercommunalité.

Tout cela est le fait d’un seul et même groupe de quelques familles qui, à elles seules, par des agissements délibérément provocateurs, agressifs et répétés, ont suscité dans la population une exaspération durable – qui est nouvelle, car jusqu’alors nous ne connaissions pas de difficultés majeures, hormis quelques problèmes récurrents sans gravité.

Et je ne parle pas des services municipaux, administratifs et de nettoyage, des services de gendarmerie et des personnels préfectoraux qui ont dû intervenir pour différentes tâches, de jour comme de nuit, en semaine comme le week-end, dimanche et jours fériés compris. Que d’énergie et de temps perdus !

M. Jacques Myard. Eh oui !

Mme Annie Genevard. La proposition de loi de M. Raimbourg et de M. Le Roux n’est pas à notre sens suffisamment explicite quand elle vise – selon l’exposé des motifs d’un amendement sur le sujet – à empêcher la reconstitution des campements « à faible distance ». Ce n’est pas assez précis ! Nous pensons qu’il faut mentionner explicitement dans le texte l’interdiction d’installation sur l’intégralité du territoire de la collectivité compétente, et ce pour une durée de trente jours. Et sachez, madame la ministre, que je suis tout à fait prête, quand le texte reviendra devant nous, à travailler sur ces sujets.

La réitération des faits doit également être prise en compte : la récidive, sur un même territoire, par des personnes connues, est un fait aggravant. C’est pourquoi nous proposons un alourdissement des peines.

Une autre disposition vise à insérer une référence directe, dans la prise en compte du trouble causé, aux intrusions illégales des gens du voyage sur les propriétés des entreprises.Ces atteintes très fréquentes paralysent durablement l’activité économique des entreprises et créent un préjudice financier qui ne peut être réparé. Aussi convient-il de rendre la procédure administrative applicable à de telles situations. Monsieur le rapporteur Raimbourg, vous avez introduit par amendement une proposition de cette nature, preuve que notre idée est justifiée, tout comme la réduction des délais de procédure que nous préconisons et à laquelle vous souscrivez également.

Vous le voyez, madame la ministre, notre démarche est claire et dictée par des principes simples : réprimer plus fermement ce qui est délictueux pour rétablir un climat paisible entre la population qui aspire légitimement à la tranquillité et ceux des gens du voyage qui y aspirent également ; redonner force à la loi en simplifiant les procédures ; sanctionner plus lourdement la récidive ; mieux prendre en compte les préjudices économiques ; bref, donner aux élus des outils efficaces pour réprimer les délits. Il n’y a là rien qui puisse heurter les consciences. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la problématique de l’accueil et de l’habitat des gens du voyage témoigne de la réalité des enjeux auxquels les élus locaux sont confrontés chaque jour, lorsqu’il s’agit d’assurer une cohabitation harmonieuse entre les différents modes de vie d’une population. En matière d’accueil et d’habitat des gens du voyage, de nombreux problèmes subsistent : la mise en place insuffisante des aires d’accueil, l’émergence de nouvelles tensions liées aux grands passages ou encore la scolarité des enfants.

Trop souvent, comme l’a souligné Mme Genevard, les élus locaux, maires et présidents d’établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – ont le sentiment d’être démunis face au stationnement illicite de caravanes, en petit comme en grand nombre, stationnement qui, à mesure qu’il se prolonge, crée des situations conflictuelles avec les populations locales. Les nombreux textes écrits et discutés sur le sujet démontrent combien il est difficile de légiférer sur ce thème. Depuis 2012, nous en avons débattu à de nombreuses reprises. En juin dernier, nous avons examiné la proposition de loi du groupe SRC, relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.

Cette proposition de loi, encore en navette, comportait quelques dispositions que nous jugions nécessaires. L’abrogation de la loi du 3 janvier 1969 visait à mettre fin au régime spécifique des gens du voyage. Elle supprimait ainsi des mesures aussi discriminatoires que le carnet de circulation, considéré par le Conseil constitutionnel comme une atteinte à l’exercice de la liberté d’aller et venir, ou encore l’obligation de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour permettre une inscription sur la liste électorale. On peut en effet considérer que ces dispositions procèdent d’une juste réintégration des gens du voyage dans le droit commun de la République.

Toutefois, si une adaptation de la loi du 5 juillet 2000 est nécessaire, elle doit se faire dans le respect d’un juste équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des collectivités territoriales et des gens du voyage. Alors que nous reprochons à la proposition de loi du groupe SRC de renforcer les droits tant des gens du voyage que des collectivités sans s’assurer en contrepartie que chacun ait bien conscience de ses devoirs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui semble davantage respectueuse de cet équilibre.

Elle prévoit en effet de renforcer la procédure et les sanctions pénales, de faciliter la mise en œuvre de la procédure administrative d’éviction forcée, de réaffirmer le rôle de l’État dans la gestion du bon ordre des grands passages, d’assurer une juste tarification des aires d’accueil et de favoriser l’intégration scolaire des enfants des gens du voyage. Juste contrepartie de l’obligation d’accueil des communes, elle prévoit deux régimes réprimant l’installation de campements illicites sur le terrain d’autrui.

La mise en œuvre du régime de sanction pénale et du régime de police administrative ne permet pas d’obtenir une éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants, chacun le sait ici. En effet, la voie pénale reste sous-utilisée et la procédure administrative n’est pas assez effective. L’article 1er permet ainsi de renforcer les sanctions pénales en doublant les peines encourues pour installation illicite en réunion d’une habitation sur un terrain appartenant à autrui. Il s’agit ainsi d’instaurer un dispositif plus dissuasif alors que la procédure se révèle coûteuse et lente à mettre en œuvre.

La proposition de loi prévoit également de raccourcir et de systématiser la mise en œuvre de la procédure administrative d’éviction forcée. Plusieurs articles modifient cette procédure permettant au maire ou au président de l’EPCI à fiscalité propre, au propriétaire ou à l’usager du terrain occupé, de demander au préfet de mettre en demeure les occupants d’évacuer les lieux et de procéder à cette éviction.

Enfin, cette proposition de loi a le mérite d’évoquer la problématique des grands passages. Confondant encore largement aires d’accueil et aires de grand passage, la loi n’a pris en compte cette problématique que de façon partielle et progressive. Or nous sommes tous d’accord pour reconnaître que l’accueil de quelques véhicules et caravanes n’est en rien comparable à l’afflux de plusieurs dizaines ou même centaines de véhicules qui se produit lors de grands rassemblements. Un simple schéma départemental n’est pas en mesure de répondre à cette problématique. La proposition de loi confie ainsi explicitement à l’État et à son représentant la responsabilité du bon ordre pour les grands passages ainsi que pour les grands rassemblements occasionnels ou traditionnels des gens du voyage.

Enfin, le texte prévoit plusieurs mesures qui vont dans le bon sens et qui figurent également dans la proposition de loi du groupe SRC. Je pense à celle qui permet au propriétaire d’un terrain affecté à une activité économique dans une commune non inscrite au schéma départemental de demander au préfet de mettre en demeure les occupants d’un campement illicite d’évacuer les lieux. En effet, le droit en vigueur ne lui permet que d’avoir recours à une procédure en référé devant le tribunal de grande instance.

Je pense également à la mesure visant à assurer que la tarification des aires d’accueil soit juste et équitable, en harmonisant ces tarifs sur l’ensemble du territoire national. Aujourd’hui, les écarts de tarifs d’une commune à l’autre peuvent être très importants, certaines communes pratiquant des coûts importants pour dissuader les gens du voyage de s’installer dans l’aire d’accueil. La présente proposition de loi va d’ailleurs plus loin que le texte adopté en juin dernier à l’Assemblée puisqu’elle fait de l’uniformisation de cette tarification un principe législatif.

Enfin, nous saluons la disposition qui permet l’inscription des enfants des gens du voyage dans plusieurs établissements scolaires. La reconnaissance de ce droit est une juste contrepartie aux devoirs rappelés dans ce texte.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, en raison de l’équilibre qu’elle instaure et des avancées qu’elle prévoit, la majorité des députés du groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, s’agissant de la situation des gens du voyage, nous partageons au moins un constat : c’est celui de la difficile application de la loi, notamment de la loi Besson, qui avait essayé de promouvoir l’aménagement des aires d’accueil pour les gens du voyage. À ce jour, en effet, 70 % des aires ont été construits et 50 % des terrains de grand passage. Nous partageons également le constat de la difficulté que nous rencontrons à faire respecter la réglementation sur le stationnement sauvage et à réprimer les différents délits qui, dans certains cas, peuvent être associés à ce stationnement sauvage : dégradations des terrains, voire violences et différentes mesures d’intimidation.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, madame Genevard, nous avons tous connu de telles situations en tant que députés dans nos circonscriptions et, lorsque nous le sommes également, comme élus locaux. Malheureusement, votre proposition de loi ne présente pas les qualités nécessaires pour y remédier, et ce pour trois raisons : elle est déséquilibrée, elle est inefficace et elle est inutile.

Elle est déséquilibrée, monsieur le rapporteur, parce que vous ne prévoyez aucune mesure visant à mettre fin au fait que 30 % des communes ne disposent pas d’aire d’accueil, ce qui est une situation anormale. Comment pouvez-vous prétendre équilibrer les droits et les devoirs sans répondre à cette question, alors que la loi Besson a été adoptée il y a déjà quinze ans ?

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas le problème.

M. Dominique Raimbourg. Elle est inefficace puisque vous augmentez les pénalités tout en apportant des arguments à mon propos en constatant que cinquante-sept condamnations ont été prononcées à ce jour pour des stationnements illicites sur le terrain d’autrui. En quoi le doublement de la pénalité permettra-t-il de sanctionner davantage ? Nous sommes confrontés à une difficulté d’application de la loi : ce n’est pas le montant de la sanction qui rend difficile son application.

Mme Annie Genevard. Il faut donc trouver des solutions !

M. Dominique Raimbourg. De plus, vous prévoyez des délais qui ne sont assortis d’aucune sanction. On peut toujours affirmer que le préfet doit répondre dans les vingt-quatre heures ou que la force publique doit arriver dans les dix minutes, aucune sanction n’est prévue si la force publique arrive dans le quart d’heure suivant ou si le préfet met deux jours à réagir. C’est un souhait, une intention, une prière ou un vœu, ce n’est pas une disposition législative.

Enfin, monsieur le rapporteur, cette loi est inutile puisque nous avons déjà discuté d’un texte dont j’ai été le rapporteur le 9 juin. Je n’ai aucune susceptibilité d’auteur et suis prêt à adopter toute mesure qui pourrait renforcer l’efficacité de ce texte et permettrait de trouver les moyens de pacifier les relations entre un groupe de la population française qui vit de façon nomade et un groupe largement majoritaire qui vit de façon sédentaire.

Mme Sophie Rohfritsch. C’est l’occasion !

M. Dominique Raimbourg. Nous n’avons pas d’approche victimaire mais voulons simplement pacifier, ce qui implique d’instaurer l’équilibre des droits et des devoirs. Or l’équilibre est absent de votre proposition de loi, je suis au regret de devoir le souligner, monsieur le rapporteur.

Mme Annie Genevard. L’équilibre, c’est de faire respecter la loi !

M. Dominique Raimbourg. Je vous appelle, mes chers collègues de l’opposition, à faire preuve de la sagesse dont vous êtes tout à fait capables…

Mme Annie Genevard. Quelle condescendance !

M. Dominique Raimbourg. …parce que vous êtes des grands législateurs, comme nous tous.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Probablement !

M. Dominique Raimbourg. Je vous appelle à la sagesse de deux façons. Tout d’abord c’est à l’unanimité – je tiens à le rappeler –, qu’ont été adoptées, le 9 juin dernier, les dispositions de la proposition de loi concernant le statut discriminatoire des gens du voyage en matière de titre de circulation. La loi de 1969 a été abolie. C’est une décision sage qui honore notre république et a tendance à montrer que nous sommes capables de travailler ensemble.

La seconde mesure de sagesse, monsieur le rapporteur, c’est vous qui en avez fait preuve, en vous adressant à M. Besson pour lui demander son avis sur votre proposition de loi. Celui-ci vous a répondu, tout en vous avisant qu’il m’adressait copie de sa réponse : il vous y rappelle avec justesse qu’aucune loi ne sera efficace si elle n’est pas équilibrée. Or il craint, en substance, que votre texte ne le soit pas parce qu’il ne statue pas sur les manquements que subissent les gens du voyage.

Je vous appelle donc à faire preuve de sagesse en retirant votre proposition de loi qui me semble inefficace. (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ce ne serait pas raisonnable !

M. Dominique Raimbourg. Nous allons bien voir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch, pour le groupe Les Républicains.

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi déposée par Annie Genevard et Yannick Moreau, qui vise à modifier les dispositions relatives à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dans le cadre de la niche parlementaire de notre groupe Les Républicains.

Contrairement à ce qu’a affirmé l’orateur précédent, je pense, pour ma part, que cette proposition de loi tend à apporter des solutions particulièrement efficaces et durables à une situation qui s’est révélée particulièrement compliquée, notamment cet été. Le cadre législatif s’est révélé totalement inefficace et incomplet, et l’équilibre entre les communes et les gens du voyage, entre les droits et devoirs de chacun, a été, lui aussi, totalement rompu.

Ce n’est pas l’adoption, le 9 juin dernier, en première lecture, d’une proposition de loi sur les gens du voyage qui peut rassurer les maires et les communes, puisque, comme cela a été démontré précédemment, ce texte ne répond pas au renforcement des obligations et des devoirs des gens du voyage lorsqu’ils stationnent illégalement dans une commune qui a rempli ses obligations en matière d’accueil.

Je souhaite témoigner, non seulement en tant que députée, mais également en tant qu’élue locale, du moins pendant que j’en ai encore les pouvoirs – c’est bientôt terminé en dépit de l’utilité de cette dernière fonction qui nous maintient en contact avec la réalité du terrain –, des épisodes particulièrement affligeants que j’ai vécus cet été, notamment dans une commune voisine de la mienne, dont le maire a été molesté, pris à partie, violenté, sous les yeux des forces de l’ordre, et alors que le cabinet du préfet avait donné l’ordre à la gendarmerie présente de ne pas intervenir.

J’ai déjà évoqué cet incident en commission des lois la semaine dernière. Certains collègues ont pensé que je fabulais ou que je racontais une histoire romancée. Je tiens à votre disposition les articles de la presse quotidienne régionale qui relataient les événements.

J’ai également évoqué cet incident à l’assemblée générale de l’association des maires du Bas-Rhin, en présence du préfet. Nous avons adopté, tous ensemble, une motion de soutien au maire molesté. Le préfet a reconnu qu’il avait été, en l’occurrence, incapable d’agir, et qu’il l’était d’ailleurs de manière générale. Tenez-vous bien : il nous a même recommandé, à nous, parlementaires, de veiller à ce que les textes soient modifiés ! C’est pourquoi nous sommes réunis ce matin,…

Mme Annie Genevard. Exactement !

Mme Sophie Rohfritsch. …et c’est pourquoi j’insiste sur ce texte, qui est particulièrement bienvenu. Comme l’ont démontré Annie Genevard et Yannick Moreau, il rétablit un équilibre, il replace l’État au centre du dispositif et lui redonne un rôle absolument essentiel. Il rassure les communes dans leur mission de maintien de l’ordre, notamment celles qui ont respecté leurs obligations d’accueil – c’était le cas de la commune du maire molesté.

Je le répète : ce texte est particulièrement bienvenu. Il rétablit l’équilibre que nous attendons. Il permet d’aggraver les sanctions contre les auteurs des infractions lorsque les communes sont en situation régulière et d’évacuer les résidences mobiles des gens du voyage en stationnement illégal sur l’ensemble des terrains de la commune. C’est la raison pour laquelle il est bien fondé. Tous les maires sont derrière nous.

Je ne vois pas, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles vous suivriez quiconque vous inciterait à rejeter cette proposition de loi ou à en demander le retrait. Elle est fondamentale pour rétablir l’équilibre entre les droits des uns et les devoirs des autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Yannick Moreau, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le respect des droits et devoirs de chacun est essentiel à la bonne intégration des gens du voyage dans notre société. En obligeant les communes de plus de 5 000 habitants à mettre en place des aires d’accueil tout en interdisant les campements sauvages, la loi Besson du 5 juillet 2000 a posé les bases d’un équilibre entre le droit au logement pour les populations nomades et le droit de propriété.

Pourtant, dans les faits, cet équilibre est très précaire, car le droit de propriété est loin d’être respecté. Combien de propriétaires et d’élus se retrouvent-ils mis devant le fait accompli d’une installation illicite sans avoir réellement les moyens de faire respecter l’interdiction ? Comment, dès lors, obliger ces élus à mettre en place des aires d’accueil quand certains membres de la communauté des gens du voyage ne respectent pas leur partie du contrat ?

La proposition de loi socialiste adoptée par l’Assemblée nationale le 9 juin dernier creuse encore ce déséquilibre en élargissant les possibilités d’accueil des gens du voyage sans pour autant renforcer les obligations de respect de la loi qui leur incombent. Je remercie nos collègues Annie Genevard et Yannick Moreau d’en avoir pris le contre-pied en proposant de modifier les dispositions actuelles, que nous considérons insuffisantes s’agissant des sanctions applicables en cas d’occupation illicite d’un terrain.

Face à une situation aussi complexe que l’occupation illicite d’un terrain, où les droits fondamentaux sont en jeu, mon expérience d’élu local m’a appris que la prévention est la meilleure arme. Afin d’éviter au maximum de telles situations, il convient de considérer le problème en amont en dissuadant les installations en campement sauvage. Je m’adresse à vous, monsieur Raimbourg ! Vous semblez oublier l’importance de la dissuasion. Et c’est bien le sens des mesures avancées dans cette proposition de loi.

Le doublement des sanctions encourues, en portant à un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende la peine réprimant le délit d’occupation illicite, refrénera certainement les potentiels contrevenants. L’instauration d’une peine complémentaire au prorata des journées d’occupation illicite au-delà de trente-six heures limitera le délai de résolution du problème si celui-ci n’a pu être évité. Enfin, la saisie des véhicules utilisés dans le cadre de l’occupation illicite n’est que la réponse légitime à la prise de possession du terrain sans autorisation.

En adoptant ces mesures, nous faciliterons le travail des maires, des préfets et des juges des référés. Nous retrouvons un équilibre entre le droit des gens du voyage à être logés décemment sur les aires d’accueil et le respect de la propriété des habitants de nos communes.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Yannick Moreau, rapporteur. À l’issue de la discussion générale, je souhaite revenir sur quelques points et répondre notamment à mon collègue Raimbourg. Non, nous ne retirerons pas notre texte, car il est d’utilité publique.

M. Dominique Raimbourg. Oh !

M. Yannick Moreau, rapporteur. À vrai dire, je n’ai pas bien reconnu la proposition de loi qu’Annie Genevard et moi-même avons déposée dans la description faite par Mme la ministre et M. le député Raimbourg.

Vous avez dit, monsieur Raimbourg, que notre proposition de loi n’était pas raisonnable. Mais est-il raisonnable que des collectivités publiques qui investissent chaque année des dizaines de milliers d’euros dans les réparations des aires permanentes d’accueil et dans l’aménagement d’aires de grand passage n’aient aucun moyen de lutter sur leur territoire contre des occupations illégales, c’est-à-dire des privatisations d’espaces publics ou privés ? Où est la raison ?

Vous avez dit que notre proposition de loi était répressive, excessive. En réalité, on touche là le fond du problème. Vous nous expliquez que peu de sanctions sont prononcées, que c’est bien la preuve qu’on ne peut pas sanctionner ces agissements, et qu’on ne doit donc pas les sanctionner. Eh bien non ! Vous caractérisez là la politique pénale du Gouvernement et de Mme Taubira.

M. Daniel Boisserie. C’est excessif !

M. Yannick Moreau, rapporteur. La réalité, c’est que nous parlons de délits. Certains groupes de gens du voyage commettent des infractions qualifiées de délits : nous parlons donc de personnes qui sont délinquantes. Or, face à des délits, la réponse pénale de la société et du Gouvernement ne peut pas être l’impunité. Le rôle de la loi est de réaffirmer le caractère délictuel de ces occupations illégales et de donner aux magistrats les moyens de sanctionner le non-respect de la loi. Je demande au Gouvernement de donner au parquet l’instruction de poursuivre les occupations illégales – ce que, la plupart du temps, le parquet ne fait pas. Si la loi réaffirme le caractère délictuel de ces occupations illégales, alors nous avancerons dans le sens d’une plus grande dissuasion et d’un juste équilibre.

Enfin, vous avez décrit notre proposition de loi en la présentant de manière très déséquilibrée. Pour ma part, je retiens de la proposition de loi Raimbourg-Le Roux adoptée en juin des avancées en matière de droits nouveaux pour les gens du voyage et de petites avancées pour les collectivités. Certaines de ces avancées ont d’ailleurs été piochées dans le catalogue de dispositions proposées dans ma première proposition de loi de septembre 2014 et dans le second texte que j’ai déposé avec Annie Genevard. Tant mieux ! Mais concrètement, votre proposition de loi adoptée en juin ne donnait aux maires aucun nouveau moyen technique ou juridique pour lutter efficacement, dans un délai raisonnable – c’est-à-dire immédiat –, contre les occupations illégales. C’est tout l’intérêt de notre proposition de loi.

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 30 septembre dernier, en commission des lois, le groupe socialiste, républicain et citoyen a voté contre la proposition de loi du groupe Les Républicains visant à modifier les dispositions relatives à l’accueil des gens du voyage.

Nous venons tous d’évoquer la raison principale de ce rejet : notre assemblée a adopté, le 9 juin dernier, une excellente et très attendue proposition de loi du groupe SRC relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, à l’initiative de notre collègue Dominique Raimbourg. Ce texte important, fruit d’un authentique travail parlementaire, inscrit dans la durée, est à ce jour engagé dans la navette parlementaire et attend son inscription à l’ordre du jour du Sénat. Nous vous remercions, madame la ministre, d’avoir précisé qu’il serait très certainement examiné par le Sénat au début de l’année 2016.

Il est regrettable que nos collègues du groupe Les Républicains ne tiennent strictement aucun compte des débats fournis que nous avons eus à cette occasion sur de nombreux points.

Mme Annie Genevard. Nous y avons participé !

Mme Sandrine Mazetier. La proposition de loi Raimbourg-Le Roux a été examinée et adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 27 mai, après l’examen de cinquante-quatre amendements, puis en séance publique le 9 juin, après l’examen de cent amendements pendant plusieurs heures.

Son fil à plomb, c’est l’égalité de tous les citoyens français, qu’ils soient nomades ou sédentaires, sur tout le territoire de la République.

Son objectif, c’est de répondre concrètement aux difficultés que rencontrent d’une part les maires confrontés à des stationnements illicites, et d’autre part nos concitoyens gens du voyage.

Sa méthode, c’est d’assurer la solidarité des territoires, d’encourager les bonnes pratiques et de garantir le respect de la loi partout et par tous.

Le texte de notre collègue Dominique Raimbourg ne fait l’impasse sur aucun sujet, aucune difficulté. C’est pour cela que nombre de nos collègues députés-maires ont participé au débat et contribué à enrichir les solutions concrètes qui ont été adoptées.

Mme Annie Genevard. Elles sont insuffisantes !

Mme Sandrine Mazetier. Ils sont maires de communes de tailles très différentes, dans des territoires très différents, et ils ont beaucoup apporté à nos débats. Je pense à Olivier Dussopt, maire d’Annonay, à Hugues Fourage, maire de Fontenay-le-Comte, à Pierre Aylagas, maire d’Argelès-sur-Mer, à Yves Goasdoué, maire de Flers, à Michel Vergnier, maire de Guéret, à Joaquim Pueyo, maire d’Alençon, ou encore à Daniel Boisserie, maire de Saint-Yrieix-la-Perche, que je vois devant moi.

Mme Annie Genevard. Ils sont tous socialistes !

M. Frédéric Reiss. Il y a aussi des maires chez Les Républicains !

Mme Sandrine Mazetier. Rien de tel dans votre proposition de loi. Pas un mot sur le régime administratif spécifique et le statut dérogatoire au droit commun imposé aux gens de voyage à travers l’existence du livret de circulation, survivance du carnet anthropométrique de sinistre mémoire. Pas un mot sur la limite à l’exercice du droit de vote que constituent l’obligation de rattachement à une commune et l’interdiction de rattachement de plus de 3 % de gens du voyage à la même commune.

Cette législation discriminatoire a été condamnée par de nombreuses organisations et instances : la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – HALDE – en 2007, la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – en 2008, le comité des droits de l’homme de l’ONU, le Défenseur des droits et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en 2014. Cette législation discriminatoire, nous avons décidé de l’abroger, mais vous la trouvez parfaitement acceptable au point de n’en rien dire.

Votre partialité et votre déni du réel se lisent aussi dans l’autre grande lacune du texte : l’absence de disposition tirant les conséquences de l’application très incomplète des lois Besson de 1990 et de 2000, qui créent une inégalité criante entre les communes et pénalisent les territoires qui ont respecté l’obligation qui pèse sur les communes de plus de 5 000 habitants de construire une aire d’accueil destinée aux gens du voyage. Beaucoup de nos collègues maires avaient indiqué à quel point l’application incomplète de la loi Besson…

Mme Annie Genevard. À vous entendre, ce sont les maires qui sont les délinquants !

Mme Sandrine Mazetier. …créait des difficultés aux communes qui, elles, l’avaient appliquée. Vous n’en dites rien : rien sur la réalisation tout à fait imparfaite des aires d’accueil, rien sur l’absence de plus d’une aire de grand passage sur deux. Quinze ans après son adoption, il est temps que la loi s’applique, car c’est un fondement de notre pacte républicain.

Non, votre proposition de loi n’a pas de mémoire. Elle n’a ni la mémoire des heures les plus sombres de notre histoire (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants),…

M. Luc Belot. Exactement !

Mme Annie Genevard. Cela n’a rien à voir ! C’est délirant !

Mme Sandrine Mazetier. …ni celle du travail parlementaire, du rapport transpartisan pourtant rédigé en 2011 par des collègues membres de votre groupe – Charles de La Verpillière, Didier Quentin –, auxquels s’était associé Dominique Raimbourg, qui était alors dans l’opposition. Elle ne tient pas compte non plus du rapport rendu en 2013 par le préfet Derache, qui est pourtant plus récent et qui formule des recommandations dont on ne trouve strictement aucune trace dans votre proposition de loi.

Mme Virginie Duby-Muller. Vous faites preuve d’angélisme !

Mme Sandrine Mazetier. Vous vous êtes contentés de redéposer sous forme de proposition de loi, avec une sorte de paresse ou – plus grave – de mépris pour nos travaux et, au passage, pour nos concitoyens (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants),…

Mme Annie Genevard. C’est vous qui êtes méprisante !

Mme Isabelle Le Callennec. Le mépris, ce n’est pas vraiment ce qui caractérise notre collègue Annie Genevard !

Mme Sandrine Mazetier. …des amendements qui ont tous été examinés et longuement débattus en commission et en séance publique il y a seulement quelques semaines, et auxquels Dominique Raimbourg comme Mme la ministre ont déjà répondu.

Vous parlez de réitération des mêmes faits. Mais quant à vous, vous réitérez les mêmes discours incomplets, niant le réel.

Mme Annie Genevard. Vous ne connaissez rien à la réalité du terrain !

Mme Sandrine Mazetier. Vous vous contentez d’une pseudo-fermeté de pur affichage en doublant les sanctions, les pénalités financières, en éliminant le caractère suspensif de recours contre des décisions d’évacuation au point qu’on cherche désespérément les dispositions relatives à « l’accueil et à l’habitat » des gens du voyage dans votre texte.

Mme Annie Genevard et Mme Virginie Duby-Muller. Venez sur le terrain !

M. le président. Vous aurez la parole, madame Genevard.

Mme Sandrine Mazetier. Vos propositions violent des principes constitutionnels, Mme la ministre vient de le rappeler. Vous ignorez même l’attention que l’on doit porter aux enfants, au suivi de leur scolarisation par l’éducation nationale.

Et même en considérant votre texte pour ce qu’il est et en prenant au sérieux les intentions qui sont les siennes – aucunement liées à l’accueil et à l’habitat, mais principalement ciblées sur l’évacuation rapide des campements illicites, qui au demeurant est une préoccupation partagée par l’ensemble des élus, le respect de la loi s’imposant à tous –, sanctionner des infractions au stationnement, cela suppose des moyens. Des moyens de droit dont vous vous préoccupez peu, mais aussi des moyens pour la puissance publique, c’est-à-dire des moyens en faveur de la justice, de la police, de la gendarmerie. Bref, des moyens permettant d’appliquer la loi.

Et je n’entends vos multiples candidats aux primaires que promettre des coupes de centaines de milliards dans le budget de l’État (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Isabelle Le Callennec. Ça faisait longtemps !

Mme Sandrine Mazetier. … : c’est-à-dire moins de magistrats, moins de gendarmes, moins de policiers pour exécuter les décisions de justice, sans parler des enseignants, des personnels de santé qui jouent tous un rôle essentiel dans l’accueil des gens du voyage, comme dans la vie de nos concitoyens sédentaires.

Pour toutes ces raisons, d’inconstitutionnalité notamment, et parce que vous n’avez pas répondu à l’appel très mesuré de Dominique Raimbourg vous demandant de retirer votre proposition de loi très déséquilibrée, inefficace, voire dangereuse (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) parce qu’elle fragilise la possibilité pour le préfet d’agir à la demande des maires, le groupe SRC propose à l’Assemblée de rejeter votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yannick Moreau. Votre propos à vous n’est pas très modéré, ni mesuré !

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Monsieur le président, les bras m’en tombent !

Mme Annie Genevard. À nous aussi !

M. Yannick Moreau. Notre proposition de loi serait dangereuse ! Mais le danger serait de ne rien faire, de ne rien dire, et de laisser les choses aller comme elles vont, ce qui n’est pas acceptable. Vous célébrez la liberté de circulation des gens du voyage. Mais où serait l’absence de liberté dans le fait de demander aux groupes de gens du voyage de déclarer leur venue avant d’arriver dans un département et dans une commune ?

Où serait l’absence de liberté dans le fait de pouvoir inscrire ses enfants dans plusieurs communes et de permettre une multiscolarisation ? Où serait l’absence de liberté dans le fait d’uniformiser sur le territoire national les tarifs d’accès aux aires d’accueil des gens du voyage ?

Vous célébrez l’égalité, mais où est l’égalité lorsque l’on constate et que l’on admet, les bras ballants, que des centaines de groupes indélicats de gens du voyage commettent des délits qui ne sont pas sanctionnés ?

On touche là le fond du problème. C’est peut-être ce qui explique les propos méprisants et pour le moins excessifs que vous avez tenus à notre égard. En fait, vous n’assumez pas votre responsabilité dans le fait de ne pas poursuivre les délits commis par certains groupes de gens du voyage.

Tant que certains groupes de gens du voyage s’installent illégalement sur des terrains, sans jamais se heurter à la moindre sanction pénale, c’est le sentiment d’impunité qui prévaut. Ce n’est pas ainsi que l’on règle le problème.

Vous célébrez la fraternité à l’égard des gens du voyage, mais où est la fraternité à l’égard des collectivités publiques qui investissent chaque année des millions d’euros dans l’aménagement d’aires de grand passage ou d’aires permanentes d’accueil et auxquelles vous ne donnez aucun moyen concret de lutter contre les occupations illégales ?

Le Gouvernement et la majorité qui le soutient se trouvent face à leurs responsabilités, face à une façon de faire un peu angélique, un peu naïve, un peu laxiste à l’égard de certains groupes de gens du voyage qui ne respectent pas la loi pénale et qui contribuent à dégrader largement le climat dans notre pays, ce qui exaspère nos concitoyens.

Mme Annie Genevard. Absolument.

M. Yannick Moreau. Si vous ne faites rien et si notre proposition de loi ne suscite que le mépris affiché dans vos discours, madame Mazetier, vous ne rendez pas service à notre pays et vous ne servez pas le bien commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe Les Républicains.

M. Christophe Borgel. On sent que cela sera modéré !

Mme Annie Genevard. J’ai entendu des choses extrêmement choquantes. (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Monsieur Raimbourg, vous reconnaissez que la loi n’est pas appliquée. Or pour illustrer votre propos, vous parlez des maires et pas de certains groupes de gens du voyage, qui dégradent, qui agressent, qui compromettent l’image de toute la communauté des gens du voyage. Non, ce sont les maires que vous citez, qui ne rempliraient pas leurs obligations.

M. Luc Belot. C’est le cas.

Mme Annie Genevard. Je rappelle d’une part que la majorité d’entre eux remplissent leurs obligations et que, d’autre part, ceux-là mêmes qui les remplissent font l’objet des troubles auxquels notre proposition de loi entend répondre.

Deuxièmement, vous dites, aussi bien vous que Mme la ministre ou Mme Mazetier, que la solution, c’est l’équilibre. Il faut donner des droits supplémentaires pour exiger des devoirs de la part des gens du voyage.

Mme Sandrine Mazetier. Des droits égaux, pas supplémentaires. Nous demandons l’égalité.

Mme Annie Genevard. Je ne sache pas que la loi de M. Besson ou que la proposition de loi Le Roux-Raimbourg ait amélioré en quoi que ce soit la situation que nous vivons sur le terrain. C’est précisément tout le contraire, les problèmes se multiplient aujourd’hui.

Mme Virginie Duby-Muller. Exactement.

M. Yannick Moreau, rapporteur. C’est tristement vrai.

Mme Annie Genevard. Votre surdité, votre aveuglement idéologique vous empêche de les voir. Nous, ce que nous voulons, c’est que la loi soit efficace et qu’elle puisse s’appliquer.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Tout à fait.

Mme Annie Genevard. Qu’y a-t-il de scandaleux à cela ?

Madame Mazetier, quand vous convoquez l’histoire, excusez-nous, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, soyons sérieux ! Il s’agit de voir comment on peut donner par la loi les moyens aux maires de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent quotidiennement sur le terrain.

Mme Sandrine Mazetier. Qu’est-ce vous proposez dans votre texte, à cet égard ?

Mme Annie Genevard. Je déplore que la motion de rejet préalable que vous avez déposée nous prive d’une discussion sur un sujet extrêmement important, à savoir l’accueil et l’habitat des gens du voyage. Quel signal donnez-vous aux populations régulièrement confrontées à ces agissements ? Quel signal donnez-vous aux entreprises qui chaque année voient des gens du voyage s’installer chez elles, privant leur clientèle d’accéder à leurs commerces ?

M. Pascal Popelin. On ne cherche pas à donner des signaux. On cherche l’efficacité !

Mme Annie Genevard. Quel signal donnez-vous à ces bénévoles associatifs, obligés de nettoyer et de réparer les dégâts sur les terrains de sport (Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) suite à des occupations illicites ? C’est la réalité, chers collègues ! Cette réalité que vous ne connaissez pas !

M. Christophe Borgel. Nous la vivons tous les jours !

Mme Annie Genevard. Quel signal donnez-vous aux élus locaux, confrontés eux aussi à tous ces problèmes ? Vous donnez un signal de laxisme insupportable.

M. Christophe Borgel. Vous donnez le signal d’une France fermée !

Mme Annie Genevard. Les maires ne trouvent pas dans vos propos la juste récompense de leur engagement sur le terrain pour résoudre les problèmes.

M. le président. Merci...

Mme Annie Genevard. Vous êtes aveugles et cet aveuglement est coupable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. J’ai été particulièrement choqué par l’affirmation selon laquelle la proposition de loi qui a été déposée était dangereuse.

Mme Annie Genevard. C’est inadmissible en effet de prétendre cela !

M. Philippe Gomes. Certes, le débat peut parfois être caricatural dans cette assemblée. Mais en l’espèce, cela a dépassé les bornes. Ce qui est dangereux aujourd’hui dans notre pays, c’est de laisser des collectivités locales trop souvent démunies face aux gens du voyage et face à un certain nombre de situations.

Mme Annie Genevard. Bien sûr.

M. Philippe Gomes. Ce qui est dangereux aujourd’hui dans notre pays, c’est de laisser trop souvent le sentiment d’impunité se développer.

Mme Annie Genevard et M. Frédéric Reiss. Absolument.

M. Philippe Gomes. Ce qui est dangereux aujourd’hui dans notre pays, c’est de laisser le bien d’autrui être occupé sans pouvoir réagir en temps et en heure, dans des délais raisonnables. Ce qui est dangereux dans notre pays, c’est que les procédures administratives ou contentieuses ne sont pas aussi efficaces et aussi adaptées qu’elles devraient l’être pour permettre de répondre aux agissements de certains gens du voyage.

Ce qui est dangereux dans notre pays, c’est, au bout du compte, de laisser une part de nos concitoyens de plus en plus exaspérés face à certains comportements. Cela, c’est dangereux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Pour ces raisons, le groupe UDI votera contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Raimbourg. Ce qui est dangereux, mes chers collègues, c’est de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les tensions entre les communautés. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Annie Genevard. C’est votre laxisme qui est dangereux !

M. Frédéric Reiss. Vous ignorez la réalité !

M. Dominique Raimbourg. Ce qui est dangereux, c’est de faire croire qu’en changeant la loi, on va permettre son application.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est qu’il y a un problème, alors.

M. Dominique Raimbourg. Cette application est difficile dans les deux sens.

Ce qui est dangereux, c’est de faire croire qu’il y a d’un côté les gens qui sont en contact avec la réalité et que les autres sont déconnectés.

Mme Annie Genevard. C’est pourtant bien le cas !

M. Dominique Raimbourg. Nous connaissons tous des difficultés dans nos circonscriptions : 380 caravanes à Saint-Herblain dans l’agglomération de Nantes ; un adjoint au maire frappé à Saint-Aignan-Grandlieu dans ma circonscription ; …

M. Philippe Gomes. Ah !

M. Dominique Raimbourg. …ailleurs, un champ envahi par 200 caravanes, etc.

Mme Sophie Rohfritsch et Mme Isabelle Le Callennec. On ne fait rien alors ?

M. Dominique Raimbourg. Nous connaissons tous de telles situations. La proposition de loi du 9 juin est plutôt équilibrée pour essayer de pacifier les relations. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Luc Belot. Exactement.

M. Dominique Raimbourg. C’est pourquoi nous ne voulons pas souscrire à votre proposition de loi et que le groupe SRC votera la motion de rejet préalable.

Je vous invite, parce qu’il faut conclure par des paroles pacificatrices et unificatrices, à travailler au Sénat sur des amendements pour les intégrer à notre proposition de loi.

Mme Virginie Duby-Muller. Caricature !

M. Dominique Raimbourg. Si jamais vous trouviez le moyen de rendre la loi plus applicable et plus efficace, nous sommes preneurs et le pays ne s’en portera que mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Isabelle Le Callennec. Quel aveu !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Proposition de loi visant à garantir l’isolement électronique des détenus et à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire ;

Proposition de loi visant à rétablir pour les mineurs l’autorisation de sortie du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly