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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 09 février 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Prime de naissance

M. Gilles Lurton

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie

Prime d’activité

Mme Lucette Lousteau

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Dégressivité des allocations chômage

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Travailleurs saisonniers

M. Joël Giraud

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Déficit public

M. Charles de Courson

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Politique de l’emploi

M. Bernard Perrut

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Soutien à l’élevage

M. Daniel Boisserie

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Diversification énergétique

M. Denis Baupin

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Crise de l’agriculture

M. Jean-Claude Bouchet

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Vallourec

M. Laurent Degallaix

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Situation des agriculteurs

M. Dino Cinieri

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Baccalauréat professionnel

Mme Colette Langlade

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Protection contre le terrorisme

M. Gilbert Collard

M. Manuel Valls, Premier ministre

Baisse des investissements des collectivités territoriales

M. François Vannson

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Accessibilité universelle

Mme Annie Le Houerou

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Réduction des déficits

Mme Arlette Grosskost

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Suspension et reprise de la séance

2. Fixation de l’ordre du jour

3. Protection de la Nation

Discussion des articles (suite)

Article 2 (suite)

M. André Chassaigne

M. Jean-Jacques Candelier

Mme Isabelle Attard

M. Michel Pouzol

M. Christophe Léonard

Mme Barbara Romagnan

Mme Colette Capdevielle

M. Lionel Tardy

M. Denys Robiliard

M. Arnaud Richard

M. Gabriel Serville

M. Noël Mamère

M. Jean Lassalle

M. Patrick Devedjian

M. Bertrand Pancher

M. Éric Woerth

M. Patrick Mennucci

M. Philippe Vigier

M. Philippe Folliot

Mme Pascale Crozon

M. Laurent Marcangeli

M. Claude Goasguen

Mme Jacqueline Fraysse

M. Jean-François Lamour

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

M. Patrice Verchère

M. Pouria Amirshahi

M. François Loncle

M. Jean-Claude Perez

M. Manuel Valls, Premier ministre

Amendements nos 18 , 19 , 22 , 24 , 72 , 73 , 75 , 80 , 81 , 83

Rappel au règlement

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Article 2 (suite)

Amendements nos 88 , 89 , 93 , 98 , 107 , 119 , 126 , 129 , 130 , 131 , 167 , 183 , 193 , 195 , 200 , 205 , 206 , 210 , 217

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Rappel au règlement

M. Pierre Lellouche

Article 2 (suite)

Amendements nos 180, 173 , 221 , 207 , 220

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendements nos 79 , 190 , 71 , 202, 204, 236 , 222 , 211 , 219 , 50

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Prime de naissance

M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.

M. Gilles Lurton. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, au cours de la discussion parlementaire du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, nous vous avons demandé d’inscrire dans la loi le versement de la prime de naissance avant l’arrivée de l’enfant, alors que vous avez décidé l’année dernière qu’elle ne serait versée que trois mois après la naissance.

Cette prime, dont le montant de 923 euros n’a pas été revalorisé en 2015, permet aux familles, notamment les plus modestes, d’acheter les équipements rendus indispensables par l’arrivée d’un nouveau bébé. Nous savons tous ici que la majorité des familles procède à ces achats avant l’arrivée de l’enfant. Or, depuis votre décision, force est de constater que la filière puériculture a vu son activité reculer très significativement.

En outre, les derniers chiffres démographiques de l’INSEE montrent un recul important de la natalité dans notre pays. Nous vous avons alertée à maintes reprises sur les conséquences désastreuses de votre politique familiale : réduction de plus de 300 euros du quotient familial, réduction et modulation en fonction des ressources de la prestation d’accueil du jeune enfant et, en 20014, modulation du montant des allocations familiales. Ce sont, au bas mot, 8 millions d’euros que vous avez retirés aux familles.

Face à la baisse de la natalité, nous devons tout mettre en œuvre pour rendre l’arrivée d’un enfant plus facile pour ses parents. Ma proposition sur la prime de naissance peut avoir un effet immédiat. Vous m’avez répondu, madame la ministre, que cela relevait non pas de la loi, mais d’un décret. Envisagez-vous de signer ce décret afin que les parents perçoivent la prime de naissance avant l’arrivée de leur enfant ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le député, lorsque le Président de la République a engagé la France dans le redressement de ses comptes publics(Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), ce qui, je crois, nous rassemble tous ici, car c’est une condition du redressement productif et économique, la branche famille, qui accusait à l’époque un déficit de plus de 2,5 milliards d’euros, a également été appelée à contribuer au redressement des comptes publics.

La prime de naissance que vous évoquez est versée à chaque naissance, celle du premier enfant comme du deuxième et du troisième, pour couvrir des dépenses qui, elles, ne se répètent pas toujours. Nous avons néanmoins choisi de continuer à la verser pour chaque naissance tout en opérant un décalage. Elle est désormais versée non plus au septième mois de grossesse, mais deux mois après la naissance de l’enfant.

Cette mesure est étudiée par les caisses d’allocations familiales avec bienveillance et dans un souci de justice sociale. Le conseil d’administration a en effet donné instruction de verser aux familles les plus vulnérables la prime de naissance en avance, dès le septième mois de grossesse, pour éviter à ces familles d’être dans l’impossibilité d’assumer certaines dépenses. Par ailleurs, cette prime de naissance est versée à 85 % des familles – toutes ne sont pas vulnérables. Elle s’inscrit dans une politique de redressement des comptes publics et surtout une politique de la famille ambitieuse permettant à la France de conserver un fort taux d’activité professionnelle des femmes, un taux de natalité parmi les plus élevés d’Europe et qui garantit l’engagement du Gouvernement auprès de toutes les familles, y compris les plus vulnérables. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Prime d’activité

M. le président. La parole est à Mme Lucette Lousteau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Lucette Lousteau. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. La prime d’activité voulue par notre majorité parlementaire est entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Depuis vendredi 5 février, les bénéficiaires perçoivent leur premier versement. Deux millions de Français sont concernés, dont 225 000 jeunes de moins de vingt-cinq ans auparavant exclus du RSA activité. Dès sa mise en place, grâce aux modalités de déclaration simples et opérationnelles, le taux de recours à ce nouveau dispositif atteint 50 %. D’ores et déjà, le niveau de recours au RSA activité est dépassé de plus de 700 000 personnes.

La prime d’activité est un coup de pouce très efficace pour le pouvoir d’achat des travailleurs aux revenus modestes. De quoi s’agit-il ? Une prime mensuelle est versée jusqu’à 1,2 SMIC. À titre d’exemple, elle s’élève à 132 euros par mois pour un célibataire et à 245 euros pour un couple avec deux enfants.

De toute évidence, la prime d’activité instaurée par notre majorité de gauche est un progrès social majeur issu de la conjugaison des efforts du Gouvernement et des travaux des parlementaires, notamment nos collègues Christophe Sirugue et Dominique Lefebvre. Outre les dispositifs de soutien à l’emploi et de lutte contre la pauvreté, soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes était indispensable. En supprimant la première tranche de l’impôt sur le revenu, ce qui a réduit l’impôt de six millions de foyers fiscaux, et en instaurant la prime d’activité, nous avons engagé des initiatives bienvenues et appréciées. Quels résultats attendez-vous de la prime d’activité, madame la ministre ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. La prime d’activité est en effet un succès, madame la députée. Elle a d’ores et déjà apporté un complément de revenu à environ deux millions de Français qui travaillent et perçoivent un revenu modeste. Toute personne célibataire dont le revenu mensuel est inférieur à 1 500 euros par mois peut prétendre au bénéfice de cette prime d’activité. Ce dispositif a mieux fonctionné en un mois que ne l’a fait le RSA activité pendant des années. Nous avons supprimé ce dernier car il était trop compliqué et imposait de remplir trop de paperasses. La prime d’activité est simple et de nombreux bénéficiaires l’ont demandée directement en ligne. Je me réjouis de cette avancée.

J’appelle celles et ceux qui pensent pouvoir en bénéficier, en particulier les plus jeunes, à en faire la demande par internet. S’ils font cette demande dans les semaines à venir, ils percevront en effet la prime rétroactivement à compter du 1er janvier 2016 car nous voulons donner à celle-ci toutes les chances d’être connue. En un mois, nous avons d’ores et déjà atteint l’objectif que nous nous étions fixé pour l’année. Nous pensons donc que le taux de recours à cette prime sera important. Nous allons travailler à simplifier encore le dispositif afin que davantage de Français en bénéficient. Dès que la CNAF aura connaissance du salaire, elle versera automatiquement et directement la prime d’activité. Comme vous le voyez, madame la députée, le Gouvernement est engagé. Je salue toutes les équipes de la CNAF qui ont fait en sorte que cette prime soit versée en temps et en heure à nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Dégressivité des allocations chômage

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la ministre du travail, les règles d’indemnisation du chômage seront renégociées dans les prochains jours par les syndicats de salariés et le patronat. Début 2014, le Président de la République avait affirmé : « Ce n’est pas à un moment où il y a un taux de chômage élevé qu’il faut réduire les droits des chômeurs ». C’était une bonne intention. Mais alors, la courbe du chômage se serait-elle inversée à notre insu pour que vous plaidiez en faveur de la dégressivité des allocations chômage ?

Hélas non ! Au contraire, le chômage a atteint depuis le début de ce quinquennat un niveau record, et ne cesse d’augmenter. L’argument selon lequel la dégressivité des allocations chômage encouragerait les chômeurs à chercher un emploi est faux. Vous l’avez vous-même reconnu, et toutes les études le démontrent.

Si le but recherché par le Gouvernement est uniquement de réduire les déficits sur le dos des demandeurs d’emploi, ne faites pas croire à nos concitoyens qu’il s’agit de faire baisser le chômage !

Et s’il s’agit de réaliser des économies, pourquoi ne pas remettre en cause le CICE, qui a largement démontré son inefficacité et qui coûte chaque année 20 milliards d’euros d’argent public, sans que la promesse patronale de créer un million d’emplois ait jamais été tenue ?

Vous avez beau demander que l’on regarde les choses de manière dépassionnée, il n’en reste pas moins qu’avec cette mesure, vous cultivez l’idée inacceptable qu’une partie de nos concitoyens bénéficieraient d’une assurance chômage trop généreuse quand, je le rappelle, un demandeur d’emploi qui gagnait le SMIC perçoit 890 euros par mois pour vivre.

Madame la ministre, allez-vous abandonner l’hypothèse de la dégressivité des allocations chômage, inefficace en matière de retour à l’emploi et extrêmement pénalisante pour les intéressés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la députée, comme vous l’avez dit, la négociation sur l’assurance chômage relève des partenaires sociaux. La convention qui a été signée en 2014 arrivera à son terme le 30 juin, et c’est aux partenaires sociaux, qui commenceront les négociations à la fin du mois, qu’il reviendra de fixer les conditions d’affiliation et d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Il est important de rappeler ici qu’il n’y a pas de coupable désigné. Depuis le début de la crise en 2008, les recettes diminuent tandis que les dépenses d’indemnisation augmentent. Cette situation financière est connue de tous, y compris des partenaires sociaux. Je leur fais pleinement confiance pour trouver des modalités permettant d’assurer la pérennité financière du système. Mais la logique budgétaire ou financière ne saurait être la seule à guider la négociation. Je souhaite, et je le répète devant vous, que le dialogue social débouche sur un accord.

Permettez-moi aussi de dire à cette assemblée qu’en 2014, les partenaires sociaux ont réussi à faire des économies en matière d’assurance chômage tout en accomplissant une avancée sociale, avec les droits rechargeables, conjuguée à l’accélération du retour à l’emploi. C’est aussi cela le dialogue social, et il est important de le souligner.

Quelles sont les attentes en ce qui concerne la convention d’assurance chômage ? Le premier objectif est de maintenir la fonction protectrice de l’assurance chômage : les chômeurs doivent conserver un niveau de vie décent. Le deuxième objectif est d’accélérer le retour à l’emploi et d’encourager les comportements favorables à l’emploi des employeurs. Vous l’avez dit, la dégressivité n’a pas apporté satisfaction.

Travailleurs saisonniers

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme la ministre du travail. Le 4 février 2015, j’ai posé à votre prédécesseur une question sur des travailleurs de l’ombre qui sont souvent oubliés, sauf lorsque le système de chauffage bricolé d’un camion provoque un incendie ou l’asphyxie de ses occupants : je veux parler des travailleurs saisonniers. Un drame vient à nouveau de se produire il y a quelques semaines, emportant un jeune couple dans une quasi-indifférence.

Un groupe de travail a été créé à l’issue de cette intervention en séance publique.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Joël Giraud. J’y participe en tant que président de la commission permanente du Conseil national de la montagne, aux côtés de la sénatrice Annie David et des députées Marie-Noëlle Battistel et Bernadette Laclais, laquelle se joint à moi pour appeler une nouvelle fois votre attention sur le sujet.

Les saisonniers sont des précaires. Cette forme de travail est plus qu’utile à l’économie des régions touristiques, mais aussi d’autres régions, les aléas de production rendant saisonnières des activités qui ne l’étaient pas autrefois.

M. Bernard Accoyer. C’est exact.

M. Joël Giraud. Nous souhaitons donc que le travail saisonnier soit clairement défini dans le code du travail, que la clause de reconduction automatique, telle qu’elle existe dans les remontées mécaniques, soit la règle des contrats longs, et qu’à défaut, la prime de précarité leur soit appliquée.

Les règles doivent être les mêmes, que l’employeur soit une structure publique ou privée : aujourd’hui, les saisonniers du public ne peuvent être indemnisés et ne sont même pas embauchés !

Enfin, il faut promouvoir et faciliter l’accès aux formes de tiers employeurs, afin de permettre la consolidation du temps de travail sur un temps complet à durée indéterminée, et faciliter l’accès à la formation en intersaison.

La question du logement est encore et toujours posée. Les règles actuellement applicables aux précaires ne le sont pas aux saisonniers, en raison de la durée de leur séjour. Il convient donc de renforcer les prérogatives des préfets sur les territoires touristiques et de mettre en place une offre adaptée, y compris dans les territoires non soumis à la loi SRU. Dans le projet de loi de finances pour 2016, nous avons réussi à étendre aux saisonniers les avantages fiscaux de la location par les résidents permanents ; pourquoi ne pas le faire pour les résidences secondaires ?

Madame la ministre, dans quels délais et par quel véhicule législatif pourrons-nous enfin faire sortir de la précarité les travailleurs saisonniers, en nous appuyant sur les conclusions du groupe de travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, je veux tout d’abord avoir une pensée pour ces deux travailleurs et pour leurs familles. Ce n’est hélas pas la première fois que survient un drame de ce type.

Il est en effet essentiel que nous avancions sur le sujet du contrat saisonnier, mais aussi sur celui du logement. Les salariés saisonniers permettent à des secteurs entiers de notre économie de fonctionner. Votre question nous rappelle à juste titre les difficultés qu’ils peuvent connaître pour obtenir le renouvellement de leur contrat, accéder à une formation ou à un logement.

Plusieurs propositions, issues du groupe de travail, trouveront un écho favorable dans le projet de loi que je présenterai en conseil des ministres le 9 mars. Plusieurs sujets y sont abordés, en premier lieu la définition du travail saisonnier. Le principe de la reconduction du contrat saisonnier doit d’abord être négocié par les branches qui n’ont pas de disposition conventionnelle. Si la négociation n’aboutit pas, des dispositions plus engageantes pour les branches et les entreprises seront prises. Le projet de loi donnera également l’occasion de débattre du développement des groupements d’employeurs, qui permettent de consolider les temps de travail sur toute l’année. D’autres sujets, comme l’accès à la formation professionnelle, impliqueront la mobilisation de l’ensemble des partenaires sociaux, des collectivités et des acteurs économiques.

S’agissant de l’offre de logement, un problème bien identifié, je demanderai aux préfets, en lien avec ma collègue Sylvia Pinel, d’être vigilants, notamment dans l’élaboration des documents d’urbanisme, et d’accompagner les élus locaux dans la mobilisation des dispositifs existants. D’autres actions doivent être envisagées, qu’elles soient fiscales ou réglementaires. Nous ferons des propositions avec Action Logement. Nous agissons concrètement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Déficit public

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre des finances et des comptes publics, dans ses prévisions économiques d’hiver publiées jeudi dernier, la Commission européenne prévoit pour la France des déficits publics de 3,4 % du produit intérieur brut pour 2016 et de 3,2 % pour 2017, bien loin des 2,8 % de déficit en 2017 sur lesquels votre Gouvernement s’est engagé devant ses partenaires européens.

Or, la France a déjà obtenu, pour la deuxième fois, un délai supplémentaire de deux ans afin de ramener ses déficits publics en 2017 sous la barre des 3 % du produit intérieur brut, ce que n’a pas manqué de rappeler, avec humour, le commissaire européen Pierre Moscovici, ancien ministre de l’économie de ce gouvernement, qui a souligné le 3 février que « l’effort demeure faible sur le déficit structurel ».

Le groupe UDI rappelle que la France appartient, avec l’Espagne et le Portugal, aux trois seuls pays sur dix-neuf de la zone euro, à avoir, en 2016, des déficits publics supérieurs à 3 % du produit intérieur brut !

Monsieur le ministre, l’engagement numéro 9, pris en 2012 par le candidat François Hollande, selon lequel « le déficit public sera réduit à 3 % du produit intérieur brut en 2013 » sera-t-il tenu avant le fin de son mandat ? En effet, le groupe UDI a beau examiner nos lois de finances successives depuis 2012, il n’y trouve pas les mesures courageuses qui permettraient de redresser nos comptes publics ! D’ailleurs le vice-président de la Commission européenne chargé de la zone euro estime que la France « ne délivre pas les efforts structurels qui lui avaient été réclamés par le Conseil de l’Union européenne et que le pays devra faire plus d’efforts structurels en 2017 pour corriger son déficit excessif. Cela aurait été plus facile si plus d’efforts avaient été réalisés en 2015 et 2016 ».

Le groupe UDI partage ces inquiétudes et vous pose la question suivante : quelles réformes structurelles le Gouvernement compte-t-il engager rapidement pour qu’enfin la France tienne ses engagements européens et reste un leader économique en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, vous êtes trop assidu, attentif, expert en matière financière pour laisser croire que la France ne respecterait pas ses engagements budgétaires, non seulement auprès du Parlement, puisqu’exécuter une loi de finances, c’est d’abord respecter les autorisations données par le Parlement, mais aussi auprès de ses partenaires européens – vous y avez fait allusion. Pour la deuxième année consécutive, la France atteint ses objectifs en matière de déficit public.

Vous prétendez, monsieur le député, que la situation serait meilleure si des réformes et des efforts budgétaires avaient été consentis plus tôt. Mais je vous rappelle qu’en 2010, le déficit du budget de l’État s’élevait à 148,8 milliards d’euros et qu’il sera, en 2015, de 70,5 milliards, soit moins de la moitié ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Est-ce suffisant ? Nous devons aller plus loin, et nous le ferons. C’est l’objectif que nous nous sommes fixé. Les prévisions et les commentaires récents de la Commission ne prennent pas en compte les nouvelles décisions que le Parlement a prises. La trajectoire de nos finances publiques est respectée. Plutôt que de jouer sur les peurs, reconnaissez avec nous que depuis 2010, malgré la crise, le déficit de notre pays a été divisé par deux. Vous pouvez en contester le volume, les méthodes, les moyens, mais vous ne pouvez en contester la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Perrut. Monsieur le Premier ministre, tout début d’année est propice au bilan et aux projets, mais le bilan est triste pour le Gouvernement dans beaucoup de domaines et les Français s’interrogent sur vos priorités à l’heure où le chômage n’a jamais été aussi important : 250 000 demandeurs d’emploi de plus en 2015. Il s’accroît chaque jour, sans que vous preniez les mesures qui s’imposent !

C’est le chômage qu’il faut alléger, monsieur le Premier ministre, pas l’orthographe ! C’est le code du travail qu’il faut réformer, pas les horaires d’ouverture de Pôle emploi dans nos communes. C’est l’apprentissage, que vous avez massacré, qu’il faut soutenir, pas les seuls contrats aidés qui ne conduisent pas à une formation et à un vrai emploi. Les jeunes, trop nombreux à galérer, désespèrent.

Donner l’impression d’agir sans rien changer sur le fond ne suffit pas ! Lancer le grand chantier de la réforme du droit du travail sans toucher au contrat, au licenciement, au temps de travail ne convainc pas !

Pourquoi ne pas réformer comme l’ont fait nos partenaires européens qui réussissent, et faire confiance aux chefs d’entreprise, artisans, commerçants qui veulent moins de charges et de normes, plus de souplesse pour plus d’activité et plus de commandes ?

L’emploi ne se décrète pas ! En affirmant vouloir former 500 000 personnes sans qu’il y ait 500 000 emplois, vous trompez les Français, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

En renvoyant vos grands chantiers de réforme, vous sapez la confiance car il y a pour vous urgence, toujours urgence à agir plus tard : pour la baisse de charges pérennes, comme pour le nouveau code du travail, ce sera pour 2018 !

Monsieur le Premier ministre, entendez-vous la désespérance de vos concitoyens, et qu’allez-vous faire ?

M. Éric Straumann. Rien !

M. Bernard Perrut. Qu’allez-vous faire pour favoriser la croissance et soutenir l’économie ? Telle est notre demande, sur ces bancs. Telle est la demande de tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, quand nous annonçons que nous allons réécrire les 125 pages du code du travail pour réformer le temps du travail, sujet très concret pour les employeurs et les salariés, vous considérez qu’il s’agit d’une réforme a minima. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Quand nous décidons de restructurer les 700 branches professionnelles, alors que cela fait trente ans que l’on en parle, pour passer à 400 d’ici à la fin de l’année et à 200 d’ici à deux ans, cela ne vous convient pas non plus alors que vous n’avez rien fait.

Quand nous proposons de changer radicalement d’approche, pour laisser plus de place à la négociation collective de branche et d’entreprise, vous dites que nous n’allons pas assez loin.

M. Claude Goasguen. Rendez-nous Rebsamen !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Vous voyez bien qu’aucun Gouvernement n’a jamais proposé une réforme d’une telle ampleur ! Le travail de la commission qui sera chargée de réécrire totalement le code du travail sera colossal. C’est un travail essentiel qui prendra deux ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sylvain Berrios. Cela fait quatre ans que vous êtes là !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Une première étape a été franchie avec le rapport Badinter. Dès lors, nous développons tout le champ de la négociation. Je présenterai mon projet de loi en conseil des ministres le 9 mars et nous aurons l’occasion d’en débattre ici.

S’agissant par ailleurs de l’apprentissage, beaucoup de réformes ont été menées, mais quand vous dites ici qu’un apprenti boucher ne peut pas tenir un couteau, qu’un jeune ne peut pas monter sur une échelle, qu’un apprenti boulanger ne peut pas travailler dès 4 heures du matin, c’est faux ! De tels propos ne sont pas de nature à donner envie aux employeurs de s’engager dans le cadre de l’apprentissage !

Des décrets ont été pris depuis deux ans pour régler ces questions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Continuez à dire de telles choses et les apprentis resteront sur le carreau ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) À cause de ce type de propos, ils ne trouveront pas d’employeur !

Nous avons donc engagé des réformes conjoncturelles, en instaurant le plan de formation, mais aussi des réformes structurelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Soutien à l’élevage

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Daniel Boisserie. Ma question, à laquelle M. Michel Vergnier a souhaité s’associer, s’adresse à M. le ministre de l’agriculture.

L’agriculture, en Limousin, c’est avant tout l’élevage. Neuf exploitants sur dix y survivent en produisant l’excellente race limousine. Leur revenu est un des plus bas de France.

J’ai reçu plusieurs délégations d’éleveurs de différents syndicats. Les éleveurs ne remettent pas en cause votre plan de soutien à l’élevage de juillet 2015, monsieur le ministre, même s’ils n’acceptent ni la frilosité des banques ni les atermoiements et les lenteurs de l’administration pour reconnaître la calamité sécheresse. Ils sont conscients que l’État ne peut tout régler au sein de la filière pour assurer une juste répartition des marges de l’amont jusqu’à l’aval.

Ils ne remettent pas non plus en cause l’évolution agroécologique que vous avez initiée, mais ils sont révoltés après la volte-face sur les MAEC – mesures agro-environnementales et climatiques – en zone herbagère, qui ont évolué après la contractualisation.

Un député du groupe Les Républicains. Démission !

M. Daniel Boisserie. Ils ne comprennent plus la Commission européenne, qui ignore la crise, et ils partagent le sentiment de « trop peu, trop tard » exprimé par le Premier ministre, sentiment qu’illustre le retard inexplicable du versement des aides au titre de la politique agricole commune. Ils n’acceptent plus la prolifération des normes communautaires, qui viennent s’empiler sur celles que la France avait inventées généreusement et augmenter les coûts de production.

En outre, ils se sentent stigmatisés et dénoncent la part belle faite aux lobbies anti-viande. Depuis trop longtemps, les liquidations succèdent aux redressements. Ils revendiquent donc une baisse des cotisations sociales, et il leur est insupportable d’être critiqués régulièrement sur la question du bien-être animal au mépris du mal-être qui est le leur.

Monsieur le ministre, quelles mesures pouvez-vous prendre dans l’urgence pour sauver les éleveurs qui ont aujourd’hui accumulé toutes les crises ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. (« Le Foll, ça suffit ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous mettez en regard à la fin de votre propos la question du mal-être des éleveurs et celle du bien-être animal. Vous indiquez aussi que les éleveurs peuvent se trouver montrés du doigt, notamment dans certaines émissions.

Sachez que dans toutes les émissions auxquelles j’ai participé, j’ai défendu l’élevage et les éleveurs face à ceux qui ont tendance – il s’en trouve même à l’Assemblée ! –  à privilégier les repas végétariens dans les cantines, par exemple. Le ministre de l’agriculture a toujours été là pour l’élevage.

S’agissant du plan de soutien, 20 000 dossiers ont été traités à ce jour, pour un montant de 69 millions d’euros.

M. Philippe Le Ray. Que faites-vous pour soutenir les prix ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce travail se poursuit pour répondre à une urgence. Il ne s’agit pas d’aides, il s’agit simplement d’aider les éleveurs à passer la période difficile. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Vous avez également évoqué les MAEC, notamment une MAEC spécifique au Limousin qui vise à permettre l’engraissement des gros bovins à l’herbe. Cette mesure a été discutée après une visite de deux jours que j’ai faite dans le Limousin. Elle a été ajustée dans une discussion avec les éleveurs. N’est restée pendante qu’une question technique sur les fréquences de traitement, qui a modifié légèrement la mesure afin de la faire accepter. L’objectif, néanmoins, est resté celui que les éleveurs avaient demandé, à savoir une mesure spécifique pour l’élevage dans le Limousin. Cette mesure est là, elle est disponible et nous en ajusterons les éléments.

M. André Chassaigne. Et le plan sécheresse ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. S’agissant de la sécheresse, 140 millions d’euros ont d’ores et déjà été débloqués pour venir en aide aux éleveurs touchés. Reste à effectuer des ajustements dans certains départements. Le 15 février, après une mission d’expertise, nous compléterons ces premières mesures afin de venir en aide à tous les éleveurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Diversification énergétique

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.

M. Denis Baupin. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la COP21 a été un formidable succès. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) De nombreux accords internationaux ont été signés en parallèle, auxquels vous avez pris une part active. Ils sont au moins aussi structurants pour notre avenir.

C’est le cas de l’Alliance solaire internationale, que vous avez concrétisée en Inde en janvier avec le Président de la République et le Premier ministre Modi. L’énergie solaire connaît un formidable développement. Ses prix baissent à une vitesse que personne n’aurait imaginée. D’ici à 2030, on en pronostique une nouvelle division par deux et une multiplication par cinq de la puissance installée. Cette révolution traverse tous les pays. Combinée au numérique et à l’efficacité énergétique, elle va modifier fondamentalement nos systèmes énergétiques, en organisant un pilotage fin et décentralisé et en facilitant l’accès à l’électricité de millions de personnes qui en sont privées.

Notre pays ne peut rester à l’écart de ce formidable potentiel, d’autant que nous disposons de pépites technologiques de pointe dans le solaire à haut rendement, les énergies marines, la route solaire, les turbines éoliennes, le stockage, les réseaux intelligents. C’est dans ces domaines que le CEA – Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – dépose dorénavant le plus de brevets.

Madame la ministre, le Gouvernement va publier une première programmation pluriannuelle de l’énergie qui se doit d’être ambitieuse. Mais nous ne parviendrons pas à nos fins sans une politique industrielle volontariste tournée vers l’avenir, qui dépasse les énergies du passé, centralisées, coûteuses et dangereuses.

Pouvez-vous nous confirmer, au moment où des choix stratégiques majeurs doivent être faits et où nos moyens ne peuvent être dispersés, que l’État actionnaire compte peser de tout son poids auprès des entreprises publiques d’énergie pour qu’elles soient enfin les leviers, et non des freins, pour la diversification et la transition énergétiques qui sont dorénavant la feuille de route de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Comme vous le savez, monsieur le député, la représentation nationale a voté un objectif ambitieux fixant à 40 % en 2030 la part de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables. Les résultats que viennent de publier les entreprises de ce secteur montrent que la France a connu en 2015 une augmentation de 25 % de sa production d’énergies renouvelables, avec 1 000 mégawatts de nouvelles capacités éoliennes et 900 mégawatts de nouvelles capacités solaires. Les entreprises sont très mobilisées et nous continuerons à les encourager. Mon objectif est une nouvelle augmentation de 25 % en 2016.

Nous y parviendrons de trois façons.

D’abord, nous continuerons à simplifier les procédures. J’ai ainsi créé le permis unique, non seulement pour l’éolien mais aussi pour la méthanisation, ce qui a réduit les délais de construction de plus de six mois.

Ensuite, nous lançons des appels d’offres très ambitieux. Nous avons doublé le volume de l’appel d’offres relatif aux grandes installations photovoltaïques. Sur tous vos territoires, je vois s’installer des entreprises de ce secteur. Nous avons également doublé le budget du Fonds chaleur.

Enfin, les 400 territoires à énergie positive se mobilisent pour faire monter en puissance les énergies renouvelables.

Nous devons continuer dans cette voie. L’État pousse en avant les entreprises dont il est actionnaire pour accélérer la transition énergétique. Pas plus tard que ce matin, nous avons mis en place, avec Emmanuel Macron, la Green Tech, qui est un appel à projets auprès des start-up…

M. Jacques Myard. Parlez français !

Mme Ségolène Royal, ministre. …concernant tous les nouveaux objets liés à la transition énergétiques. Les nouvelles technologies et les jeunes pousses – pour éviter de parler de « start-up », monsieur Myard – bénéficieront ainsi de moyens supplémentaires apportés par le ministère chargé du développement durable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Michèle Bonneton. Très bien !

Crise de l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Bouchet, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Claude Bouchet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, nos agriculteurs et nos éleveurs traversent une crise majeure et sont en train de mourir. Ils n’ont d’autre choix que d’être à nouveau dans la rue. Aujourd’hui ce sont les éleveurs, mais demain ce seront les arboriculteurs et les maraîchers qui seront aussi dans la rue pour être entendus.

Cette crise qu’ils traversent n’a que trop duré. Le problème est vaste, lié à des différences de charges, de normes, de réseaux de distribution, de prix… Tout, je dis bien tout, est à revoir.

Trouvez-vous normal, monsieur le Premier ministre, que l’Allemagne soit devenue, à la place de la France, le jardin de l’Europe ?

Je relaie ici le cri d’alarme de ces hommes et de ces femmes qui travaillent notre terre, qui nous nourrissent quotidiennement, qui entretiennent nos espaces. Demain, si rien ne change, nous n’aurons plus de ruralité.

À cette crise s’ajoutent des problèmes climatiques et environnementaux qui obligent nos agriculteurs à faire face à de nouvelles menaces. Je parle d’un puissant ravageur, appelé communément mouche de la cerise, qui sévit dans les vergers du sud de la France. Je rappelle à ce propos que mon département, le Vaucluse, représente plus de 30 % de la production nationale de cerises.

Pour endiguer ce fléau, les arboriculteurs ont pour seule arme le diméthoate, mais ce produit homologué devrait être interdit prochainement, ce qui menace purement et simplement l’ensemble de la production de cerises françaises, sachant que ce ravageur commence à s’étendre à la vigne. Or certains pays européens, notamment l’Italie et la Grèce, ont choisi d’en maintenir l’usage.

Monsieur le Premier ministre, cela ne vous pose-t-il pas de problème de laisser sacrifier notre production au bénéfice d’autres pays européens ? Notre agriculture est en train de mourir d’être la meilleure élève de l’Europe, celle qui respecte le mieux les normes. Notre ruralité disparaît : comment pouvez-vous accepter cela ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Terrasse. Quelles sont vos propositions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous évoquez le problème spécifique posé par une mouche que vous n’avez pas nommée : il s’agit de la drosophila suzukii. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Voilà pour l’information de tous les parlementaires.

M. Christian Jacob. Il mérite le prix d’excellence !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il se trouve que l’an dernier, lors d’une visite dans le Vaucluse, nous avons évoqué la question de cette mouche qui s’attaque effectivement aux cerises ainsi qu’aux olives et qui nécessite l’utilisation d’un produit, le diméthoate. J’avais alors proposé de diminuer les doses de celui-ci et de fixer des limites maximales d’utilisation avant la vente, ce qui avait recueilli l’accord des arboriculteurs.

M. Guénhaël Huet. Ce n’est pas un ministre, c’est un laborantin !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais suite à une enquête et un rapport de l’ANSES –Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – s’est posée à nouveau la question de ce produit, substance dangereuse qui nécessite que l’on réévalue son utilisation.

Une réunion s’est tenue la semaine dernière au ministère de l’agriculture pour réévaluer cette question. Il se trouve que l’entreprise qui produit une telle substance n’a pas souhaité déposer un nouveau dossier qui nous permettrait d’étudier les conditions de l’utilisation du diméthoate.

Je ferai tout, monsieur le député, pour trouver des solutions, en particulier en incitant la production à prendre des engagements collectifs, et imaginer des alternatives. Nous allons inciter l’entreprise à déposer son dossier et étudier les méthodes et la manière dont nous pourrons utiliser en toute sécurité ce produit afin que la production de cerises et d’olives perdure en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vallourec

M. le président. La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Laurent Degallaix. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, le Valenciennois gronde. Les annonces du groupe Vallourec sont inadmissibles et inacceptables, et les salariés, qui jusqu’alors étaient exemplaires, sont maintenant révoltés, avec derrière eux un territoire qui, vous le savez, a déjà beaucoup souffert.

Monsieur le ministre, une autre issue est possible. Le groupe Vallourec n’a de cesse d’invoquer les difficultés conjoncturelles, que nous ne nions pas, mais il occulte volontairement ses propres erreurs stratégiques, notamment quelques investissements hasardeux, en particulier au Brésil. Il n’y a pas de fatalité à l’échec et, dans ce dossier, le Valenciennois a l’impression de s’être fait entuber, mais il ne se laissera pas laminer.

Je vous demanderai solennellement trois choses.

D’abord, surseoir à la fermeture du laminoir, qui ne manquerait pas d’entraîner dans sa chute, inexorablement, la totalité de l’usine, y compris l’aciérie.

Ensuite, faire en sorte que, lors de l’assemblée générale des actionnaires, aucun dividende ne soit versé – c’est une idée que vous aviez évoquée – et que cet argent serve – pourquoi pas ?– à accompagner l’unique potentiel repreneur du site de Vallourec à Saint-Saulve.

Enfin, puisque l’État actionnaire va s’engager dans la recapitalisation de Vallourec à hauteur de 550 millions d’euros, qui correspondent d’ailleurs au montant dont nous avons besoin et que l’État n’arrive pas à débloquer pour enfin lancer le fameux projet du canal Seine-Nord qui, lui, serait créateur de dix mille emplois, je vous demande que cette somme de 550 millions d’euros soit utilisée pour la réindustrialisation des sites concernés et non pas pour payer un enterrement de première classe aux salariés.

Monsieur le ministre, derrière ce dossier il y a la volonté politique de votre gouvernement de maintenir un vrai savoir-faire et une production industrielle sur notre territoire. Je vous sais, à titre personnel, attaché à ce dossier. Je vous sais aussi pragmatique et ambitieux pour l’économie de notre pays. Le dossier Vallourec est l’occasion pour vous d’en faire la démonstration. (Applaudissements sur les bancs de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous avez rappelé la dignité avec laquelle, depuis les premières annonces du groupe Vallourec, l’ensemble des salariés et des élus se comportent et accompagnent le groupe.

Vous avez posé trois questions précises, auxquelles j’apporterai trois réponses précises.

S’agissant, tout d’abord, de la fermeture du laminoir, il serait irresponsable de ma part, aujourd’hui, de vous dire que l’on peut y surseoir ou y renoncer. L’objectif est de ne fermer aucun site et pour ce faire nous devons prendre en compte la situation qui est durablement celle du groupe qui, pendant au moins dix-huit à vingt-quatre mois, doit faire face à une sous-utilisation des capacités de production.

Aujourd’hui, seulement 50 % des sites productifs de Vallourec sont utilisés. Si nous ne prenons pas en compte cette situation, ce ne sont pas un ou deux laminoirs que nous fermerons mais des sites entiers, voire tout le groupe.

Je ne vous mentirai donc pas. Oui, aujourd’hui, dans le cadre du plan d’ensemble, il faut fermer un laminoir à Saint-Saulve et un laminoir à Déville-lès-Rouen, nous le savons, pour ne pas avoir à fermer les sites et pour nous montrer très exigeants à l’égard du groupe quant à la situation des autres sites. Sur ce point, vous me trouverez à vos côtés.

J’en viens à votre deuxième question. Oui, je suis opposé à tout versement de dividendes tant que la situation n’est pas réglée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) et ce n’est pas de la démagogie. Le capitalisme a ses règles, tout comme le marché a ses règles. Quand une situation est particulièrement difficile et qu’un groupe se restructure, on demande des efforts à tout le monde. On en demande aux salariés avec la fermeture des deux laminoirs, comme on en demande aux actionnaires en ne versant pas de dividendes et en procédant à une recapitalisation. C’est ce que nous avons fait puisque l’État, à travers la Banque publique d’investissements, participe à la recapitalisation de Vallourec. Nous irons jusqu’au bout et nous ne verserons pas de dividendes.

Quant à votre troisième question, oui, nous demanderons au groupe d’accompagner le réinvestissement sur ces sites pour engager avec l’État, tant pour les deux laminoirs que pour l’ensemble des emplois industriels, une revitalisation à la mesure des défis de ces territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Situation des agriculteurs

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour le groupe Les Républicains.

M. Dino Cinieri. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, et j’y associe l’ensemble des parlementaires de mon groupe.

La situation des agriculteurs est intenable et, pendant ce temps, votre ministre de l’agriculture répète inlassablement que tout va bien… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. S’il vous plaît…

M. Dino Cinieri. Partout en France, des rassemblements ont lieu quotidiennement pour dénoncer la complexité des contrôles, les retards de versement des soldes des aides de la PAC, ainsi que ceux de la totalité des aides décidées à la suite des catastrophes climatiques de l’été, comme la sécheresse qui a dévasté les monts du Forez.

Que faites-vous face à la détresse du monde agricole ? Que faites-vous pour faire remonter rapidement les prix, notamment du lait, alors que certaines enseignes de la grande distribution demandent actuellement de baisser certains tarifs de 10 % ?

Qu’attendez-vous pour mettre en place des règles de commerce équitable permettant de soutenir les produits issus de l’agriculture française en garantissant un juste prix pour le producteur ? Pourquoi refusez-vous la mise en place d’une TVA rurale pour réduire les charges sociales des agriculteurs non éligibles au CICE ?

La semaine dernière, votre ministre de l’agriculture a annoncé le dépôt d’un mémorandum sur lequel nous n’avons pas eu le moindre détail, et s’est engagé à ce que le dossier des prix agricoles soit abordé lors du sommet Hollande-Merkel du week-end. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces deux points ? Où en sommes-nous avec l’embargo russe ?

M. Guy Geoffroy et M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Dino Cinieri. Enfin, quand les enveloppes du Fonds d’allégement des charges, la prise en charge des cotisations sociales ou encore l’année blanche annoncées par le ministre le 26 janvier seront-elles notifiées aux directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt, à la direction départementale des territoires et à la Mutuelle sociale agricole, de façon à éviter un passage à vide entre les aides de 2015, qui n’ont pas encore toutes été versées, et celles de 2016 ?

Toutes ces « rustines », comme les appelle Xavier Beulin, sont indispensables et urgentes, mais malheureusement elles ne constituent pas la réponse aux problèmes structurels que nous appelons de nos vœux et que votre majorité a rejetée jeudi dernier dans cet hémicycle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, selon vous, j’aurais dit que tout va bien dans l’agriculture ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pascal Terrasse. Tout dans la nuance !

M. Pascal Popelin. C’est un procès d’intention !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il y a là ou une méprise ou une erreur. Par définition, si nous avons annoncé des mesures, le Premier ministre et moi-même, en juillet et en septembre, et si nous mettons en œuvre un plan de soutien, c’est bien parce que nous jugeons nécessaire d’aider les agriculteurs, et que nous avons pris la mesure de ce qui se passe aujourd’hui.

Je vous l’ai dit : 20 000 dossiers sont déjà traités, 69 millions d’euros sont versés. Pour compenser la sécheresse, notamment celle des monts du Forez, 140 millions d’euros sont d’ores et déjà versés. Je l’ai dit, le 15 février, nous compléterons, en fonction des expertises, pour les zones qui n’ont pas encore été éligibles.

M. André Chassaigne. Et il y en a !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous parlez, ce qui est important, des négociations commerciales et de la manière dont on pourrait agir directement sur les prix. Mais je vous rappelle que nous vivons dans un cadre législatif issu de la loi de modernisation de l’économie, que vous avez votée, il fut un temps, ainsi que votre majorité.

Il va falloir aujourd’hui corriger ces éléments.

M. Yves Censi. Il s’agit de les corriger !

M. André Chassaigne. En tenant compte le coefficient multiplicateur !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Hier, avec le Premier ministre, nous avons rencontré des représentants de la grande distribution. C’est là que se nouent les enjeux : entre la grande distribution, les industriels et les producteurs. C’est pourquoi, avec le Premier ministre, nous avons organisé dans la semaine une réunion avec Emmanuel Macron, afin qu’une discussion tripartite ait lieu entre eux.

Ce n’est pas simplement une discussion entre industriels et grands distributeurs. Il faut tenir compte des prix pour la production. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Baccalauréat professionnel

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Colette Langlade. Madame la ministre de l’éducation nationale, il y a trente ans était institué en France le diplôme du baccalauréat professionnel, formation de qualité qui offre à des jeunes la possibilité de se former tôt à un métier, tout en bénéficiant d’un niveau de diplôme reconnu et sécurisant.

Depuis trente ans a été construit en France un réseau important de lycées professionnels représentant la grande diversité des métiers et industries de nos territoires : l’électrotechnique dans un lycée parisien que vous avez visité, l’agriculture dans les lycées agricoles de très nombreux départements ruraux en France, ou encore les métiers du bois à Thiviers, en Dordogne.

Cette offre de formation bénéficie, chaque année, à 700 000 jeunes et permet à deux tiers d’entre eux une insertion professionnelle réussie, dans les trois mois suivant le bac, car l’enseignement professionnel est non une formation de seconde zone, mais une filière d’excellence, qui conjugue l’acquisition de savoirs généralistes à la précision de l’apprentissage d’un métier.

C’est une vraie réponse à l’insertion professionnelle des jeunes sur le marché du travail, qu’il convient de valoriser et de mettre davantage en avant dans le processus d’orientation.

Ce message, vous l’avez développé à l’occasion des journées nationales portes ouvertes des lycées professionnels, qui se sont tenues le 29 janvier partout en France. Vous l’avez fait tout d’abord en accordant un droit à l’erreur dans l’orientation aux lycéens, afin que cette filière ne soit plus jamais une impasse, mais toujours une source d’opportunités, ensuite en annonçant un renforcement des postes d’enseignants en lycées professionnels, afin de continuer à développer l’offre de formation.

Pour poursuivre ces annonces, pouvez-vous développer aujourd’hui les projets que prévoit votre ministère pour réussir la revalorisation de l’enseignement professionnel ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, voilà des années que l’on parle de la nécessité de revaloriser, ou tout simplement de valoriser l’enseignement professionnel dans notre pays, et pour cause : il permet chaque année à plusieurs centaines de milliers de jeunes d’exercer les métiers d’ouvriers, de techniciens et d’ingénieurs dans de très nombreux secteurs.

Nous avons décidé, nous, de passer des paroles aux actes. Je tiens à vous remercier, au même titre que les nombreuses autres personnalités qui ont accepté d’être ambassadrices des lycées professionnels un peu partout en France.

Nous avons retenu quatre axes pour passer des paroles aux actes. Le premier, c’est l’excellence. Vous l’avez dit : on rencontre celle-ci dans les lycées professionnels. Depuis 2012, nous avons développé les campus des métiers et des qualifications, qui permettent de mettre en lien ces lycées avec des laboratoires de recherche et des universités sur des secteurs spécifiques, et de tirer tout un territoire vers le haut.

Le deuxième axe, je l’ai annoncé : nous allons développer 500 nouvelles formations aux métiers de demain, accompagnées de 1 000 postes d’enseignants, qui exerceront en lycées professionnels dans des secteurs dont on sait qu’ils auront besoin de main-d’œuvre.

En troisième lieu, le maître mot, c’est le choix. Le lycée professionnel doit être non un lieu de relégation, mais un lieu choisi par les élèves. C’est la raison pour laquelle il faut le leur faire découvrir le plus tôt possible, notamment au collège, dans le cadre du parcours avenir, dès la classe de sixième. Nous voulons aussi que les élèves de seconde des lycées professionnels aient la possibilité, jusqu’à la Toussaint, de décider qu’ils se sont trompés dans leur premier choix, et de se réorienter. Cette mesure s’appliquera à partir de la rentrée de 2016.

Un dernier maître mot est l’alternance. Le lycée professionnel permet une expérience au cours de laquelle les jeunes, il ne faut jamais l’oublier, passent vingt-deux semaines en entreprise. Il faut donc leur permettre de trouver une entreprise chaque fois que c’est nécessaire. C’est pourquoi nous avons installé 330 pôles de stages partout sur le territoire, pour aider les jeunes à en trouver, et nous avons voulu qu’il y ait une semaine de préparation au monde de l’entreprise avant le démarrage du stage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Protection contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard, au titre des députés non inscrits.

M. Gilbert Collard. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, qui n’est pas là, mais peu importe ! Vous le savez, dans l’indifférence, hélas, générale, l’État islamique vient de faire du Front national sa cible de choix. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Gilbert Collard. Si le fait que l’État islamique vise les Français et les frappe, cela vous fait rire, je ne peux avoir pour vous que mépris ! (Exclamations sur divers bancs.)

M. Jean Launay. Vous l’avez déjà !

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Allez faire votre cirque ailleurs !

M. le président. Poursuivez, monsieur Collard !

M. Gilbert Collard. Je vous le dis très clairement : si l’un d’entre vous – socialiste, communiste – était menacé par l’État islamique, cela ne me ferait pas rire, et je ne huerai pas.

Ma question est la suivante : aura-t-on droit à la protection que l’on mérite ? Ici, on nous a comparés à l’État islamique ; ici, on a dit que l’on faisait la propagande de l’État islamique. S’il nous arrive quelque chose, vous serez complices !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, le ministre de l’intérieur présente en ce moment au Sénat le texte qui vise à proroger l’état d’urgence pour trois mois et qui sera soumis dans quelques jours à l’Assemblée nationale. L’État islamique a fait de la France sa cible. Nous le savons, et les Français le savent tout particulièrement, puisque 130 personnes ont payé de leur vie, le 13 novembre, cette volonté de l’État islamique de s’attaquer à ce que nous sommes, à nos valeurs, à notre jeunesse, à notre art de vivre. Ce n’est pas seulement dû au fait que nous intervenons en Syrie et en Irak – je veux saluer, encore une fois, l’engagement de nos forces armées et, plus particulièrement, de nos pilotes – ; c’est d’abord pour ce que nous sommes. Au moment où nous parlons, vous le savez, on dénombre des centaines de blessés, dont certains luttent tout simplement pour retrouver de la force et regarder la vie avec optimisme.

Nous sommes tous engagés dans cette lutte, nous sommes en guerre, parce que le terrorisme nous fait la guerre. Vous avez, ici, presque tous voté, l’ensemble des dispositifs qui vous ont été soumis depuis plus de trois ans, en particulier deux lois antiterroristes et deux lois sur le renseignement. Par ailleurs, une nouvelle loi sera présentée dans quelques jours à l’Assemblée nationale par le garde des sceaux pour donner encore plus de moyens aux policiers, aux gendarmes et, bien sûr, aux magistrats. La France est ciblée, et tous ceux qui sont ciblés, d’une manière ou d’une autre, ont droit à la protection. Il s’agit, d’abord, de nos compatriotes : s’il n’y a pas de risque zéro, il y a un engagement de tous pour les protéger. Il s’agit aussi, bien sûr, des institutions. Nous savons bien que, malheureusement, le terrorisme a aussi frappé en la matière : je pense aux écoles, aux synagogues, aux institutions de confession juive. Il faut protéger également les mosquées…

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Les églises !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Laissez-moi aller jusqu’au bout ! …les mosquées, disais-je, qui peuvent être l’objet de différentes attaques. Les églises…

M. Marc Le Fur. Ah, tout de même !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …doivent être protégées ; elles ont été visées dans un attentat à Villejuif, chacun s’en souvient. Mais, précisément, plutôt que d’égrener ceux qui peuvent être visés, il faut parler de l’ensemble de la communauté nationale, …

M. Jean-Claude Perez. Eh oui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pas des communautés ou des institutions en particulier. Et toutes les formations politiques doivent recevoir protection.

Aussi, je vous le dis, monsieur Collard, le Front national, ses dirigeants, comme tous ceux qui exercent une responsabilité ou un mandat, dans ce pays, ont droit à la protection. Il ne sert à rien de diviser : dans ces moments-là, il faut protéger et rassembler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Baisse des investissements des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. François Vannson, pour le groupe Les Républicains.

M. François Vannson. Madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, les collectivités territoriales représentent 70 % de l’investissement public local. Il va donc sans dire que le plan triennal de baisse de 30 % des dotations des collectivités, cumulé à la hausse des dépenses sociales, a un impact substantiel sur les capacités d’investissement des collectivités territoriales. D’ici à 2017, ce sont 11 milliards d’euros qui ne seront pas investis dans le tissu local.

Comme l’ont souligné récemment la Cour des comptes et les associations d’élus, cette situation entraîne des conséquences dramatiques pour les entreprises vivant essentiellement de la commande publique. L’application de ces dispositions n’est pas sans générer de vives inquiétudes, notamment chez les TPE et les PME du secteur du bâtiment et des travaux publics, qui sont les premières touchées, et dont le chiffre d’affaires est déjà fortement impacté par ce plan. L’investissement public représente en effet 50 % du chiffre d’affaires de ces entreprises, soit un emploi sur deux.

De plus, cette baisse des investissements a des effets préjudiciables sur l’entretien des réseaux publics. Retarder les investissements conduira à engager des sommes plus importantes dans quelques années. En tant qu’élu national et président de conseil départemental, je considère normal que les collectivités participent à l’effort de redressement des finances publiques, notamment en matière de rationalisation des dépenses de fonctionnement. Néanmoins, ce n’est pas en privant brutalement les collectivités de leur capacité d’investissement que nous parviendrons à relancer la croissance de nos entreprises.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !

M. François Vannson. Par ailleurs, nos départements, nos villes, nos villages ont de gros besoins en matière d’investissements. Aussi, madame la ministre, merci de bien vouloir nous indiquer les mesures…

M. le président. Merci, monsieur Vannson.

La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, vous avez raison : il faut que les collectivités territoriales participent à la réduction du déficit public, qui a d’ailleurs déjà été divisé par deux. L’effort est difficile, mais regardons la situation ensemble : dans le domaine du BTP, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, et toutes les entreprises reconnaissent que l’aide octroyée par l’État aux entreprises au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui s’élève d’ores et déjà à 17 milliards d’euros, ainsi que la baisse des cotisations sociales, impliquaient un effort des collectivités territoriales.

De fait, ces entreprises bénéficient de cet effort de compétitivité. Je vous accorde qu’il existe quelques difficultés, mais nous avons réagi, avec le ministre de l’économie et des finances et le ministre du budget, en priorisant l’investissement. Nous remarquons actuellement une stabilité ou une hausse significative de l’épargne brute d’un certain nombre de collectivités territoriales. Il va falloir identifier celles qui souffrent et celles qui souffrent moins. Avec André Vallini, nous disions récemment aux sénateurs de la commission des finances que nous étions d’accord pour prioriser les collectivités les plus en difficulté, en ayant recours au milliard d’euros engagé sur l’investissement. Nous avons décidé, avec l’aide de tous, de faire un effort particulier sur le Fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, pour encourager davantage nos communes à investir.

Monsieur le député, nous atteindrons l’ensemble de nos objectifs quand nous serons justes. Il faut que nous soyons justes s’agissant de la révision de nos critères d’attribution des aides de l’État aux collectivités territoriales, autrement dit des dotations, dont l’histoire est quelque peu difficile à faire comprendre à nos concitoyens, mais qui sont sources d’injustice. Il faut également que nous soyons justes sur la péréquation. L’effort que nous menons en direction des départements, nous devrons le conduire au profit des collectivités territoriales dans leur ensemble, tout en veillant à ce que la majorité des crédits que nous avons pu économiser grâce à l’effort des collectivités ait bien été dirigée vers les entreprises.

Accessibilité universelle

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Annie Le Houerou. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais vous interroger sur votre politique en matière d’accessibilité universelle. Vous avez souhaité dès votre arrivée poursuivre le travail de la sénatrice Claire-Lise Campion et de la ministre déléguée Marie-Arlette Carlotti afin de trouver des solutions concrètes pour une accessibilité enfin réussie.

Le constat était clair : en 2015, dix ans après la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, nous étions encore loin du compte. L’ambition affichée de l’accessibilité était freinée par des lourdeurs administratives, l’absence de calendrier imposé, le défaut de contrôle, un engagement insuffisant non seulement de notre administration centrale et déconcentrée, mais aussi de nos collectivités locales. Les agendas d’accessibilité programmée sont un outil efficace que vous avez mis en place pour permettre à toutes et à tous d’accéder à tous les lieux publics ainsi qu’aux différents services. Ce n’est pas une accessibilité au rabais qui a été proposée, car nous constatons que cet outil a été le déclencheur d’une prise de conscience par beaucoup d’élus, de commerçants ou plus généralement d’employeurs.

À titre d’exemple, nos communes entreprennent des travaux pour rendre les déplacements plus faciles, le stationnement est désormais facilité pour les personnes handicapées, ainsi que l’accès à la culture et à l’information ; l’audiovisuel public, notamment, s’est donné des objectifs précis pour l’année à venir.

Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, mais vous avez choisi de faire de l’accessibilité universelle une priorité de ce gouvernement. L’accessibilité n’est pas qu’une affaire de rampe ; elle concerne la vie de tous les jours et l’accès à tout. Elle concerne les politiques du logement. Elle concerne l’école et l’accueil de tous les enfants, quelles que soient leurs singularités. Elle concerne l’accès à l’emploi et l’accompagnement dans l’emploi, dans un contexte de crise qui touche en premier lieu les personnes handicapées. Elle concerne la formation à tous les niveaux.

Aussi, pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous rappeler les différents axes mis en place pour faire de cette accessibilité universelle une réalité quotidienne ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la députée, vous m’interrogez sur les actions du Gouvernement en faveur de l’accessibilité universelle, c’est-à-dire l’accessibilité de tout à tous, quel que soit le handicap.

Concernant l’accessibilité du bâti, permettez-moi de vous donner quelques chiffres établissant le bilan de ce qu’on a appelé les agendas d’accessibilité programmée, dispositif mis en œuvre en 2015. La France compte 1 million d’établissements recevant du public. Au 1er janvier 2015, 300 000 établissements étaient accessibles, donc 700 000 non accessibles. Parmi ceux-ci, 290 000 ont d’ores et déjà programmé et chiffré leur mise en accessibilité et 90 000 sont en train de le faire, ce qui correspond à un total de 380 000 établissements engagés dans la démarche d’accessibilité en un an. C’est un excellent résultat comparé à ce qui s’était passé pendant les dix années précédentes.

M. Yves Fromion. Ah non ! C’est lamentable, ce que vous dites !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. S’agissant de l’emploi des personnes handicapées, car je sais que c’est un sujet qui vous tient à cœur, il constitue une priorité de ce gouvernement. C’est la raison pour laquelle Marisol Touraine et moi-même avons souhaité que la prime d’activité soit cumulable, pour les travailleurs handicapés, avec l’allocation adulte handicapé, l’AAH. C’est aussi la raison pour laquelle la ministre du travail Myriam El Khomri a organisé la semaine dernière une table ronde avec l’ensemble des partenaires sociaux et les associations représentatives des personnes handicapées pour avancer sur la négociation collective en entreprise sur le sujet du handicap. L’objectif est clair : tripler le nombre d’accords d’entreprise sur le sujet du handicap. Cet objectif a été fixé par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap l’année dernière.

Vous le voyez, madame la députée, c’est l’ensemble du Gouvernement qui s’engage sur le sujet du handicap, car mener une politique en faveur de l’accessibilité universelle suppose de s’appuyer sur des leviers transversaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Réduction des déficits

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour le groupe Les Républicains.

Mme Arlette Grosskost. Ma question s’adresse au secrétaire d’État au budget.

Récemment, un quotidien titrait : « Inflation basse, croissance molle, dépenses folles ». Ce titre est évocateur. Il apparaît que l’objectif de déficit de 3,3 % du PIB s’annonce très compliqué, du fait d’une faible inflation et d’une faible progression de l’indice des prix à la consommation. Tout ceci ne peut avoir qu’un impact négatif sur le budget prévisionnel de 2016, dont la construction s’est appuyée sur un plan d’économies de 50 milliards d’euros calculé par rapport à une tendance naturelle d’évolution des dépenses, elle-même adossée à une hypothèse d’inflation de 1 %. Or, une stagnation des prix signifie davantage d’économies à trouver.

De surcroît, le FMI – Fonds monétaire international – a baissé de 0,2 point ses prévisions de croissance pour la France. Le Premier président de la Cour des comptes a une nouvelle fois appelé à maîtriser les dépenses publiques, soulignant le fait que la réduction des déficits et de la dette publique « se poursuit à un rythme trop lent par rapport aux efforts consentis par nos partenaires européens ».

Quand bien même tous ces voyants sont au rouge, le Président de la République a multiplié les promesses, qui ont déjà fait l’objet d’une précédente question d’actualité. Il faut ajouter les 750 millions d’euros pour la Caisse des dépôts par la voie de non-perception de l’impôt et les 3 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires pour l’AFD, l’Agence française de développement ; cette liste n’est d’ailleurs pas exhaustive. Depuis lors, on doit y additionner la recapitalisation d’Areva et de Vallourec : le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », doté initialement de 625 millions d’euros, est d’ores et déjà mis à mal, d’autant que les plus-values potentielles seront aléatoires étant donné la tendance baissière de la Bourse. Et je ne parle pas de la remise de dette consentie à Cuba ni de l’aide exceptionnelle octroyée à la Tunisie.

Aussi, pourriez-vous nous expliquer comment vous entendez confirmer votre « effort sans précédent de maîtrise des dépenses » tout en tenant les promesses qui sont faites ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Madame la députée, le passé éclaire l’avenir.

M. Hervé Mariton. Voilà que cela recommence !

M. Yves Fromion. C’est une maladie, que vous avez !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Pourquoi cette formule ? Parce que lors des deux exercices budgétaires précédents, dont vous connaissez les chiffres, nous avons respecté les prévisions. Malgré les sombres prédictions des Cassandre, malgré les affirmations selon lesquelles il devait nous manquer 10 milliards d’euros en cours d’année, les recettes n’étaient pas suffisantes, l’inflation était trop basse et la croissance trop molle, nous avons dépassé les prévisions de la loi de finances de 2015 : le déficit public est inférieur de près de 4 milliards d’euros à ce que nous avions prévu.

On peut toujours dire que ce n’est pas assez et qu’on ne va pas assez vite,…

M. Philippe Armand Martin. Ce n’est pas brillant !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …mais je voudrais vous rassurer : non seulement nous avons fait mieux que les prévisions, mais concernant les dépenses nouvelles que vous pointez du doigt, nous avons su réagir à la triste actualité de l’année 2015 en mobilisant des financements pour le plan de lutte antiterroriste tout en maintenant nos priorités concernant l’éducation nationale, le ministère de l’intérieur, la justice. En dépit de la conjonction des dépenses nouvelles et des priorités déjà établies, nous avons atteint nos objectifs.

Qu’en est-il pour 2016 ? Nous avons prévu un objectif de 3,3 % de déficit public ; c’est un objectif ambitieux. Ainsi que cela a été rappelé tout à l’heure, tous les secteurs de la dépense publique sont sollicités, notamment la sphère sociale et la sphère des collectivités territoriales. Soyez néanmoins rassurée, madame la députée : toutes les dépenses annoncées par le Président de la République ou par le Premier ministre sont des dépenses soit que vous avez déjà votées – c’est le cas par exemple des dépenses militaires – soit que vous voterez et que nous intégrerons au budget de façon à respecter la trajectoire fixée, comme nous l’avons fait dans le passé. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La conférence des présidents réunie ce matin a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour les mardi 8 et mercredi 9 mars :

Proposition de loi sur la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ;

CMP ou nouvelle lecture de la proposition de loi relative à la sécurité publique dans les transports collectifs ;

Proposition de loi relative au droit individuel, à la formation et aux conditions d’exercice du mandat des élus locaux.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

3

Protection de la Nation

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation (nos 3381, 3451).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits sur l’article 2.

Article 2 (suite)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, chers collègues, j’aimerais revenir sur un point, auquel je sais que le Premier ministre est particulièrement sensible. Je veux parler de la question des binationaux qui, dans un premier temps, devaient être les seuls concernés par la déchéance pour tous.

Certes, au terme de multiples tergiversations – et bien que l’on ne connaisse pas aujourd’hui la rédaction retenue à l’issue de cet imbroglio – la question des binationaux serait, paraît-il réglée dans le texte constitutionnel, et remplacée par une mesure qui concernerait l’ensemble de nos concitoyens.

Je voudrais tout de même insister sur l’impact considérable que ces débats ont eu sur nombre de nos concitoyens. Il sera difficile de réparer le mal qui a déjà été fait, car beaucoup de blessures ont été réveillées à l’occasion de cette annonce. Même s’il y a renoncé, le Gouvernement avait bien pour intention initiale de remettre en cause, dans notre loi suprême, l’égalité des citoyens devant la loi.

La remise en cause directe de la binationalité était initialement réservée à l’extrême droite qui, par une scandaleuse association, liait la binationalité au terrorisme. Ce projet de loi, et les débats qu’il a suscités, a participé, j’en suis convaincu, à la diffusion de cette idée dans l’ensemble de la société. Parce que ce sont fatalement les binationaux issus des migrations post-coloniales qui se sont sentis visés, même s’ils ne l’étaient pas expressément. Cette réalité conduit le sociologue Michel Wieviorka à relever une contradiction dans l’attitude du Gouvernement : « Quand on rappelle à une partie de la population qu’elle n’est pas exactement comme les autres, on ne peut pas, en plus, lui tenir le discours de l’intégration républicaine […] Dans ce contexte, je comprends le malaise au sein de certaines populations et je le partage. »

Nous partageons nous aussi ce malaise. En voulant toucher aux principes, notamment à celui de l’égalité face à la nationalité, jusque dans leur intouchable universalité, vous laisserez, quelle que soit la version finale de cette réforme, une trace indélébile ; une trace qui n’est pas à l’honneur de notre république.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Depuis l’annonce au Congrès de Versailles de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, la plus grande confusion règne. Les multiples volte-face du Gouvernement masquent mal son embarras face à une mesure qui symbolise la division de la communauté nationale, division si chère à l’extrême droite et aux islamistes radicaux.

La déchéance de nationalité est une peine destinée à faire plaisir au bourreau. Or la philosophie de la peine doit être de punir, et non de faire plaisir à celui qui l’inflige. La déchéance de nationalité est une disposition qui vise à contenter l’opinion publique et à exorciser notre mauvaise conscience. Rappelons que ce dispositif, tel qu’il a été présenté par le Président de la République, ne devait viser que les Français binationaux, afin de ne pas créer d’apatrides. Cette disposition a suscité, à raison, de vives et larges oppositions.

Comment rester muet lorsqu’un gouvernement de gauche s’apprête à inscrire dans notre constitution un symbole d’extrême droite, une inégalité fondamentale entre Français, contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes de laquelle les hommes naissent libres et égaux en droits ? La dangerosité d’une telle mesure a même conduit la garde des sceaux à démissionner. Aujourd’hui, l’imbroglio est à son paroxysme : vous nous présentez un amendement qui ne mentionne plus les binationaux, mais ils restent les seuls concernés par la déchéance de la nationalité, puisque, dans l’avant-projet de loi du même nom, il est prévu que cette peine ne peut avoir pour effet de rendre la personne condamnée apatride.

Parallèlement, vous indiquez que vous renonceriez finalement à faire figurer l’interdiction de l’apatridie dans le projet de loi portant réforme de la déchéance de la nationalité. Contrairement à la ligne défendue depuis des semaines par l’exécutif, en définitive, entre rupture d’égalité et apatridie, le Gouvernement peine à choisir. Pour notre part, monsieur le président, nous avons choisi : nous ne voulons ni rupture d’égalité, ni apatridie.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Mon collègue Michel Piron se demandait hier qui pouvait croire qu’une telle sanction dissuaderait quelque terroriste que ce soit de commettre un attentat et, a fortiori, un attentat kamikaze. Et il répondait : personne. Je ne pensais pas reprendre un jour les propos d’Hervé Mariton, mais nous devrions effectivement, comme il le déclarait hier, considérer les terroristes comme des criminels. Comme Bernard Debré, enfin, je pense qu’on ne combat pas les terroristes avec une modification de la Constitution.

Alors, si la déchéance de nationalité ne résout rien, pourquoi détourner le sujet bien réel de la lutte antiterroriste vers ce symbole ? Certes, le Président l’a évoquée le 16 novembre à Versailles. Et alors ? Une fois le choc passé, choc tellement compréhensible et légitime, nous devons trouver les moyens réellement efficaces de lutter contre les terroristes. Profitons de cette période pour revoir notre politique d’intégration, alors même qu’une étude de l’Institut national d’études démographiques a démontré les retards scolaires et les difficultés d’insertion professionnelle des garçons issus de l’immigration. Nous excluons, plus que nous n’intégrons à une culture commune.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Faire ainsi le lien entre immigration et terrorisme, c’est problématique !

M. Patrick Mennucci. C’est incroyable de dire des choses pareilles !

Mme Isabelle Attard. En juin 2012, j’espérais sincèrement que nous allions tous nous retrouver à Versailles en Congrès pour voter l’une des promesses du candidat François Hollande, le vote des étrangers. Raté, et mille fois raté : c’est le contraire que nous irons faire à Versailles, puisque nous allons distinguer deux types de Français ou faire des apatrides.

M. Pascal Popelin. Où voyez-vous cela dans le texte ?

Mme Isabelle Attard. Et là, je veux bien parler de symbole : symbole de rejet, de non-intégration, de non-fraternité et de non-égalité. Alors, comme 92 % du millier de citoyens qui ont débattu et voté de manière éclairée sur la plateforme « Parlement et citoyens », je voterai contre cet article 2, comme j’ai voté contre l’article 1er, deux articles inefficaces dans la lutte antiterroriste et porteurs d’idéologies nauséabondes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Je voudrais commencer par remercier notre collègue Charles de Courson pour son émotion d’hier soir, que nous avons tous partagée. Une émotion qui prouve, s’il en était besoin, à quel point le sujet qui nous occupe dans l’article 2 de cette réforme constitutionnelle est d’importance.

La déchéance de nationalité touche intimement aux valeurs qui sont les nôtres, celles qui nous construisent en tant que nation. Elles touchent également à notre histoire et à celle de l’assemblée, comme nous l’a rappelé si fortement notre collègue. Et c’est bien le caractère à la fois intime et historique de l’idée même de déchéance qui rend nos débats si passionnés. Si la déchéance de nationalité, telle qu’elle avait été envisagée dans un premier temps dans le texte initial, n’est plus d’actualité, force est de constater que son ombre plane sur nos débats. Le texte a certes été amendé, mais toutes les garanties nécessaires n’ont pas été apportées, notamment pour les binationaux.

On nous dit que la déchéance de nationalité existe déjà dans la loi. Alors, très bien : qu’elle y reste ! On nous dit que la France crée déjà des apatrides, mais que le juge est le garant de leur rareté. Très bien : qu’il continue de le faire. Mais dès lors, je ne vois pas ce qui pourrait nous pousser à inscrire dans la Constitution des sujets que notre loi aborde déjà, dans un exercice de redondance inutile.

Quelle symbolique y a-t-il à toucher à la Constitution quand cela nous divise, nous heurte et nous blesse quelquefois, alors que la loi, au contraire, nous réunit et nous rassemble ? L’unité nationale face au terrorisme doit être une de nos boussoles, certes. Mais si nous voulons réaffirmer dans notre Constitution ce qui nous fait français, inscrivons clairement le droit du sang, le droit du sol et la naturalisation. Comme la déchéance pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, constitutionnalisons l’indignité nationale qui puise sa force et sa légitimité au cœur de notre droit et de notre histoire. Loin d’être commandée par l’émotion ou par les circonstances, cette réponse serait solidement ancrée dans ce qui fait la puissance de notre nation : le refus du renoncement, de la facilité et du repli sur soi.

Ainsi, même face au terrorisme, nous pourrons continuer ensemble à écrire en positif notre loi fondamentale. Ce serait une façon de rappeler encore une fois notre détermination à ne rien vouloir abandonner de nos valeurs républicaines aux coups de boutoir des barbares.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christophe Léonard.

M. Christophe Léonard. Le 16 novembre, comme la quasi-totalité des membres du Gouvernement, des députés et des sénateurs rassemblés à Versailles, je me suis levé au terme de la déclaration du Président de la République en cet instant solennel d’une nation meurtrie, non pas pour applaudir des deux mains la future réforme constitutionnelle ou la déchéance de nationalité pour les seuls binationaux, mais, tout naturellement, pour rendre hommage aux victimes des attentats et de leurs familles. Oui, je me suis levé et j’ai applaudi la France des Lumières, la France de la Révolution et des droits de l’homme, la France, notre patrie, la France qui ne capitule pas face au terrorisme, la France universelle, la France à l’unisson, debout.

Aujourd’hui, cette réforme constitutionnelle et, singulièrement, son article 2 sur la déchéance de nationalité, divisent et fracturent notre pays jusqu’au sein même de notre assemblée. Parce qu’elle n’empêchera pas les terroristes de se faire exploser dans les stades, dans les salles de concert, dans les rues ou dans les transports en commun, parce qu’un terroriste français, avec une ou deux nationalités, est un criminel abject dont les meurtres doivent être sanctionnés avec une sévérité égale, mes deux amendements proposeront de substituer à la déchéance une peine complémentaire et additionnelle d’indignité nationale prononcée par le juge qui, frappant à l’identique tous les terroristes sans exception, consistera à priver les individus coupables de crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation de droits tels que les droits civiques, sociaux et familiaux, et à confisquer leurs biens.

Chers collègues, ne soyons pas, dans ce débat constitutionnel, à l’insu de notre plein gré les otages de la prochaine élection présidentielle et des manœuvres politiciennes, comme des non-dits qui la sous-tendent.

Mme Claude Greff. C’est tellement évident !

M. Christophe Léonard. Nous sommes ici par la volonté du peuple français et notre devoir est de légiférer avec pragmatisme et sens de l’intérêt général.

Enfin, pour celles et ceux qui considéreraient à tort que l’indignité nationale est une échappatoire, je leur rappellerai qu’historiquement elle fut prononcée à l’encontre de 50 000 Français au sortir de l’Occupation pour atteinte grave aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. L’indignité nationale n’est pas une excuse : c’est au contraire la mort civique et symbolique frappant à l’identique tous les terroristes français sans exception. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Barbara Romagnan.

Mme Barbara Romagnan. Quelle que soit sa réécriture, l’article 2 nous pose problème. Soit il concerne tous les Français et, dans ce cas, nous prenons le risque de créer des apatrides et donc de contrevenir à la déclaration des droits de l’homme ; soit il ne concerne que les binationaux et il pose un problème de rupture d’égalité.

On nous dit que cette mesure ne concerne que les terroristes : en fait, elle ne les concerne même pas puisqu’ils s’en moquent totalement. On prétend aussi qu’elle nous fait du bien, en raison de sa dimension symbolique. Je suis sensible à cet argument, car je crois moi aussi qu’il est important qu’on puisse marquer la différence entre eux et nous. C’est pourquoi l’indignité nationale était, à mes yeux, une proposition appropriée.

De qui s’agit-il concrètement ? Parmi les quinze derniers auteurs d’actes terroristes commis sur le territoire français, se trouvaient, si je ne me trompe pas, deux binationaux : un belgo-marocain – cette mesure ne peut évidemment pas le concerner – et Mohamed Merah, que nous considérions comme franco-algérien mais que l’Algérie n’a pas voulu reconnaître. La conséquence, c’est que nous le gardons !

Nous envoyons par ailleurs un message très négatif, tout d’abord à tout le pays, et non pas simplement aux binationaux : en effet, ce message contient en lui un soupçon à l’encontre de tous ceux qui ne seraient pas exclusivement français, alors même que les binationaux n’ont pas nécessairement choisi de l’être et que, surtout, les enfants binationaux sont de plus en plus nombreux en raison du nombre grandissant de couples binationaux. C’est le cours de l’histoire. Les gens voyagent, migrent et se mélangent : c’est une bonne nouvelle et nous devrions en être heureux.

C’est enfin un bien mauvais message envoyé au monde, puisqu’il sous-entend que des nationalités – la nôtre – ne souffriraient pas l’association avec le terrorisme, tandis que d’autres la souffriraient davantage, alors que ces enfants sont français, qu’ils sont nés en France et que c’est nous qui les avons élevés. Je pense que nous devons assumer nos responsabilités.

Autrefois, nous prétendions exporter nos valeurs universelles à travers le monde. Je trouve dommage que nous proposions aujourd’hui d’envoyer nos enfants criminels aux autres pays.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Notre constitution est une dame âgée de 58 ans, qui a vieilli et est retouchée de temps en temps avec beaucoup d’attention et de parcimonie. Assurant depuis 1958 une certaine stabilité à nos institutions, elle montre aujourd’hui ses limites alors qu’elle a toujours su s’adapter aux évolutions de notre société : la parité entre les hommes et les femmes, la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, l’organisation décentralisée de la République, la reconnaissance des langues régionales dans notre patrimoine national, la charte de l’environnement, la constitutionnalisation de l’interdiction de la peine de mort. Notre constitution doit rester notre texte national suprême et fondateur, comprenant à la fois les principes directeurs de l’ordre juridique, les règles de base des institutions et l’énoncé des libertés fondamentales protégées par l’État.

Les questions qui sont afférentes à la nationalité relèvent de la loi, comme le précise l’article 34 de la Constitution. C’est clair et sans ambiguïté.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme Colette Capdevielle. Dès lors, si notre exécutif veut modifier les règles d’acquisition ou de perte et de déchéance de la nationalité, il doit modifier la loi, seulement la loi et surtout ne pas toucher à la Constitution. Ce serait la première fois que nous légiférerions en qualité de constituants par la négative. C’est à mes yeux impossible. Si nous inscrivions dans le marbre la déchéance de nationalité, certains djihadistes seraient susceptibles de le revendiquer comme une victoire glorieuse de leurs actes infâmes. Mes chers collègues, je vous demande de ne pas céder à la tentation de la facilité et de garder nos énergies pour les révisions que nos compatriotes attendent et en faveur desquelles nous nous sommes engagés.

En l’état du texte, je ne voterai pas l’article 2. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Allain et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Nous perdons du temps dans notre combat contre le terrorisme. Nous n’en sommes qu’au début de cette révision constitutionnelle et, déjà, j’ai l’impression d’un gâchis extraordinaire, comme si la priorité était de toucher à notre constitution pour des raisons symboliques. L’article 1er, cela a été dit hier soir, n’a aucune utilité puisque le Conseil constitutionnel a rappelé en décembre dernier que la législation actuelle sur l’état d’urgence était conforme à la Constitution et se suffisait à elle-même. Je voterai pour les amendements de suppression de l’article 2 sur la déchéance de nationalité car, là encore, il suffirait de modifier l’arsenal législatif existant.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Lionel Tardy. Une mesure symbolique : pourquoi pas ? Mais quand on en est réduit à modifier la Constitution à la hâte et que la lutte contre le terrorisme se résume à cela, il y a de quoi se poser des questions. Depuis plus de deux mois, le Gouvernement concentre tous ses efforts à trouver une rédaction compréhensible et acceptable de cet article. Pendant que le microcosme ne parle que d’une mesure non rétroactive, qui n’empêchera pas les terroristes de passer de nouveau à l’acte, le fond du problème est totalement ignoré : comment mettre fin à la radicalisation de jeunes qui sont bel et bien français ? Comment assurer la sécurité des Français une fois que l’état d’urgence sera terminé ? Cette mesure évite également d’évoquer des sujets économiques car, je le répète, l’état d’urgence est avant tout économique : plus de 3,5 millions de chômeurs, des agriculteurs dans la rue, des entrepreneurs et des particuliers révoltés. Pourtant, le Président de la République, gardien, en théorie, de la Constitution, en est réduit à jongler avec ce texte dans un débat qui tourne au ridicule.

Je refuse pour ma part, comme beaucoup de mes collègues présents sur ces bancs, d’être un acteur de cette mascarade qui ne grandit pas le Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Arnaud Richard. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Vous avez reconnu l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Vous me direz que l’amendement du Gouvernement adopté par la commission des lois est de nature à satisfaire cette disposition essentielle.

M. Pascal Popelin. En effet.

M. Denys Robiliard. Toutefois, on ne juge pas une modification constitutionnelle à sa lettre : on la juge à ce qu’elle autorise. Or la modification constitutionnelle qui nous est proposée autorise toute majorité à reprendre l’intention dans laquelle nous avons été initialement saisis de l’article 2, à savoir la possibilité d’une déchéance discriminatoire qui distingue les personnes en fonction du fait qu’elles sont mononationales ou qu’elles ont plusieurs nationalités. Compte tenu de ce que cette modification permet, il ne paraît pas possible d’accepter en l’état cet article 2.

D’autant que l’amendement gouvernemental reconnaît à la déchéance de nationalité le statut de peine, ce qui me paraît proche de la réalité juridique. Ce statut de peine invite à relire l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui précise que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Or, auprès des fanatiques que nous avons à combattre, quelle est cette nécessité ? Cette peine n’aura évidemment aucun effet dissuasif. Par définition même, la peine ne s’appliquera qu’une fois les actes commis. Au plan symbolique – puisqu’une peine doit également être symbolique –, cette peine émet des symboles clivants, négatifs, alors qu’une peine tient du lien social et doit nous rassembler.

C’est la seconde raison pour laquelle un amendement de suppression de l’article 2 me paraît pouvoir être voté.

M. Guy Geoffroy. Le Gouvernement pourrait retirer le texte.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Je rebondirai sur un des derniers mots de l’intervention de Lionel Tardy : « mascarade ». Je suis fatigué, comme nos compatriotes, du spectacle que nous offrons : nous battre sur une disposition, la déchéance de nationalité, qui n’est que symbolique, à défaut d’être efficace, concrète et pertinente.

Monsieur le président, le spectacle du bourbier juridique dans lequel nous nous trouvons fait obstacle à l’unité nationale, qui doit prévaloir. Nous sommes en guerre : le Premier ministre l’a rappelé cet après-midi. Or cette réforme, me semble-t-il, affaiblit nos institutions.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Arnaud Richard. Je ne suis pas le seul à le dire. Nombreux sont ceux qui, avant moi, sont intervenus dans cet hémicycle pour le rappeler. De plus, tous les experts le répètent : la déchéance de nationalité ne sert à rien.

M. Lionel Tardy. Eh oui !

M. Arnaud Richard. L’indignité nationale, comme l’a fort bien souligné hier au soir Charles de Courson, aurait pu représenter une piste très efficace et beaucoup plus…

M. Guy Geoffroy. Rassembleuse.

M. Arnaud Richard. …rassembleuse. Je vous remercie.

Pensez-vous une seconde que la déchéance de nationalité peut servir de rempart à la folie djihadiste, qui ne reconnaît pas le concept de nationalité ? C’est se fourvoyer que de le faire croire aux Français qui, du reste, ne sont pas dupes.

À la suite des terribles événements que nous avons traversés, la Constitution doit incarner la stabilité et l’unité. Elle ne doit être l’objet ni d’une instrumentalisation politicienne ni d’une dangereuse illusion. La déchéance de nationalité est d’autant plus dangereuse qu’elle nous fait oublier nos plus grandes valeurs : celles de l’Europe et des droits de l’homme – Denys Robiliard l’a très bien souligné –, qui condamnent fermement l’apatridie.

Fruit d’une réaction émotionnelle, l’article 2 passe outre les plus forts principes moraux, qui régissent nos lois et gouvernent nos actions après avoir été construits par nos institutions au fil des siècles. Sans état d’âme et fidèle à mes convictions, je voterai contre l’article 2. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nonobstant la solidarité que je ne cesse d’apporter au Gouvernement et le soutien que j’affiche depuis le début de cette mandature, je ne saurais cacher ma très forte désapprobation quant à la déchéance de nationalité prévue à l’article 2, tant, du reste, dans sa première rédaction, conforme à la déclaration du Président de la République, que dans celle qui nous est proposée, modifiée par l’amendement du Gouvernement.

M. Guy Geoffroy. Il faut passer immédiatement au vote : cela nous ferait gagner du temps.

M. Gabriel Serville. Si je comprends la volonté de faire un geste fort en direction des Français, comme de ceux qui menacent l’intégrité de notre nation, je ne peux que déplorer le triste feuilleton à rebondissements qui se joue depuis plusieurs semaines. Je ne cacherai pas non plus mon inquiétude quant à son issue malheureuse, qui n’épargnera aucun d’entre nous.

C’est vrai qu’avec l’amendement gouvernemental le mot « binational » disparaît. Toutefois, monsieur le Premier ministre, dans votre déclaration du 6 janvier, vous déclariez repousser l’idée de créer des apatrides. On voit mal dès lors comment les binationaux ne seraient pas les seuls visés par un texte qui, in fine, distingue deux catégories de Français. Ainsi, en dépit de votre déclaration, à la lecture de l’avant-projet de loi sur la déchéance de nationalité, un constat s’impose : rien n’est clair, tout est flou. Binationaux, pas binationaux, apatrides, refus de l’apatridie : je mets au défi quiconque de m’expliquer ce qu’il en est réellement et d’anticiper l’issue de nos débats. Ceux-ci, qui sont assurément nécessaires, sont malheureusement révélateurs du fossé existant entre les Français eux-mêmes.

Je vous prie donc, mes chers collègues, de considérer mon intervention comme un appel du cœur à nous recentrer sur les problèmes qui intéressent vraiment les Français, ceux pour lesquels ils nous ont fait confiance et accordé leurs suffrages.

Je pense à la lutte contre le chômage, au pouvoir d’achat, à l’amélioration des conditions de travail, à l’égalité réelle entre les citoyens, et j’en passe. Qu’ils soient binationaux ou non, les Français méritent que nous les écoutions, sur des sujets de fond.

M. Dominique Le Mèner. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. La confusion dans laquelle le Gouvernement se trouve aujourd’hui prouve à l’évidence que l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution est partie d’un misérable calcul politicien. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Mennucci. Mamère a le monopole de la grandeur !

M. Noël Mamère. Aujourd’hui, cette confusion sème le trouble dans tous les rangs de notre assemblée, à droite comme à gauche. Même des membres du parti socialiste sont, comme un certain nombre d’entre nous, en véritable rupture avec l’exécutif. En effet, il s’agit là non seulement d’un mauvais coup, mais aussi d’une sorte d’infamie incompatible avec les valeurs que nous défendons.

Vous ne souhaitez plus inscrire la binationalité dans la Constitution, mais nous savons tous que ce sont les binationaux qui seront les premières victimes de la déchéance de nationalité.

M. Lionel Tardy. C’est sûr !

M. Noël Mamère. Ainsi, vous êtes en train d’instituer une catégorie de sous-citoyens…

M. Patrick Mennucci. Ce n’est pas vrai !

M. Noël Mamère. …dans un pays où l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme dispose que nous sommes tous égaux en droit.

Souvenons-nous de cette phrase de Montaigne : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » En mettant en œuvre la déchéance de nationalité, vous vous débarrassez de vos responsabilités face à ceux qui ont commis l’irréparable. Il y a sans doute une part d’humanité en chaque homme, même en ceux qui commettent les pires exactions.

C’est ce qui fait la différence entre une démocratie et une dictature. C’est ce qui fait la différence entre ceux qui croient à la rédemption et ceux qui considèrent qu’il n’y a pas de place pour la justice contradictoire. Je dis cela au nom d’un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons.

Vous vous enferrez dans votre volonté d’aller jusqu’à Versailles. Vous voulez Versailles, mais je me battrai pour que vous ayez Canossa.

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Violemment et sauvagement frappés, notre pays, notre peuple, le Président de la République et le Parlement ont réagi d’une manière qui a, une fois de plus, impressionné le monde. Après des instants terribles, cela a été un grand moment d’espoir pour ceux qui veulent vivre dans un monde libre.

Notre Constitution actuelle nous a permis de franchir bien des difficultés – je ne remonterai pas aux années 1960. Elle permet de surmonter des problèmes que nous tentons aujourd’hui de résoudre d’une manière qui n’est pas adaptée à la situation. Ce n’est pas en constitutionnalisant la déchéance de nationalité que nous réglerons ces problèmes. Évitons d’ajouter de la confusion à la confusion, de la peur à la peur. Dans un pays aujourd’hui tourneboulé, évitons de montrer du doigt, ne serait-ce que dans nos fantasmes les plus fous, des communautés qui sont la France.

Nous avons été beaux et fidèles à notre histoire. Nous devons le redevenir. M. le Président de la République se grandirait – il reviendrait au niveau où il était il y a quelques semaines – en prenant l’initiative de mettre un terme à ce débat qui ne nous apporte rien, mais qui nous affaiblit. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Monsieur le garde des sceaux, vous avez été un excellent président de la commission des lois.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

M. Patrick Mennucci. Cela commence mal !

M. Patrick Devedjian. Je le dis avec sincérité. J’appréciais particulièrement que vous fassiez, inspiré par Portalis, la chasse à l’adverbe « notamment », qui rendait les lois bavardes.

M. Lionel Tardy. Tout à fait !

M. Patrick Devedjian. Vous aviez raison, et je vous approuvais. C’est pourquoi je veux vous poser une question : quelle différence faites-nous entre « notamment » et « y compris » ? Ce n’est pas négligeable !

Le mot « nationalité » figure déjà à l’article 34 de la Constitution : il englobe donc toutes les variations que l’on peut avoir sur cette notion, notamment la déchéance. Or le projet de loi que vous soutenez aujourd’hui croit indispensable d’ajouter, après le mot « nationalité », les mots « y compris les conditions dans lesquelles une personne […] peut être déchue de la nationalité française […] ». La locution « y compris » ressemble un peu à l’adverbe « notamment » !

Vous me direz, monsieur le garde des sceaux, que vous avez un alibi : ce n’est pas vous qui avez signé ce projet de loi constitutionnelle, mais Mme Taubira. Évidemment, vous pourrez toujours dire que, comme les avocats, vous êtes parfois obligé de vous faire l’avocat du diable. (Sourires.) Je parle du texte, et non de Mme Taubira, pour laquelle j’ai le plus grand respect.

Ce texte n’apporte absolument rien. Beaucoup d’entre nous ont rappelé aujourd’hui que la question de la déchéance était déjà traitée par la loi. C’est vrai, mais elle est déjà traitée par la Constitution elle-même. Le fait d’y ajouter quelques mots commençant par « y compris » n’est qu’un bavardage, ou plutôt un affichage de propagande électorale. Monsieur le garde des sceaux, j’aimerais savoir ce que vous en pensez. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je défendrai un amendement de suppression de cet article. Pour être clair, je voterai la révision de la Constitution si l’article 2 est supprimé, mais je ne la voterai pas s’il ne l’est pas.

Aux États-Unis, plus de 200 villes portent le nom de La Fayette. La France est le pays des droits de l’homme, lesquels sont intimement liés à l’appartenance à une nation : autrement dit, il n’y a pas de droits de l’homme sans nation.

J’ai applaudi le discours du Président de la République devant le Congrès à Versailles : j’estimais qu’il était nécessaire de montrer l’unité nationale. Par la suite, je vous avoue que je n’ai pas du tout compris les raisons pour lesquelles nous avons assisté à des surenchères incompréhensibles, qui ont d’ailleurs entraîné, monsieur le garde des sceaux, la division de votre propre majorité.

Tout cela est absolument ridicule. Les Françaises et les Français se demandent à quoi sert le Parlement, car tout le monde sait très bien que voter une mesure de déchéance de nationalité ne permettra pas de lutter contre des terroristes qui n’ont qu’une idée, celle de se donner la mort pour rejoindre un hypothétique paradis éternel.

Voilà, monsieur le garde des sceaux, ce qui m’anime dans ce débat. Supprimons donc l’article 2 ! Considérons que l’article 1er constitue une belle évolution, puisqu’il inscrit dans la Constitution un certain nombre de droits fondamentaux – notre groupe a d’ailleurs beaucoup travaillé sur ce sujet, et nous vous en remercions.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bertrand Pancher. Restons-en à ce bel article 1er, et la révision de la Constitution sera votée !

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Dans ce concert pour le « non », je vais faire entendre une voix dissonante : je voterai en faveur de cette réforme. (« Dommage ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe écologiste.)

Ce débat est extrêmement compliqué, mais nous pouvons le simplifier pour nous faire une opinion et décider clairement du sens de notre vote. Si l’on n’est pas favorable à la déchéance de nationalité, alors on vote contre cet article. Si l’on est favorable à la déchéance de nationalité, alors il faut voter pour.

La première raison pour laquelle je voterai en faveur de l’article 2 est probablement que cette disposition a sa place dans la Constitution. En d’autres termes, elle est de nature constitutionnelle.

La deuxième raison, c’est que la majorité précédente – la majorité UMP, qui constitue désormais le groupe Les Républicains, auquel j’appartiens – avait plutôt porté ces idées-là. Certes, elle portait également d’autres idées, mais de nombreuses mesures que nous avons prises allaient dans ce sens. Il me semble donc que ce que nous pensons aujourd’hui doit être cohérent avec ce que nous avons défendu dans le passé. Est-ce un cadeau au Président de la République ? je ne le crois pas, et ce n’est d’ailleurs pas vraiment la question. Au fond, il est nécessaire de faire quelque chose contre le terrorisme, et ce texte permet justement de le combattre.

Mme Marie-George Buffet. Non, ça ne sert à rien !

M. Éric Woerth. J’en viens à la troisième raison. Évidemment, la menace d’être déchu de sa nationalité n’empêchera jamais un terroriste de passer à l’acte. Personne ne le croit ! Mais ce n’est pas comme cela qu’il faut interpréter cette mesure. La question n’est pas de savoir si cette disposition dissuadera les terroristes d’agir, mais si notre communauté nationale est suffisamment forte pour dire clairement qu’elle n’admet pas en son sein quelqu’un qui porte les armes contre elle et contre sa propre identité.

Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Avant de voter l’article 2, je me suis demandé si le texte du Gouvernement, modifié en commission des lois par le Premier ministre, assurait l’égalité des Français devant la déchéance de nationalité. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, je n’aurais jamais voté un texte qui aurait distingué les terroristes condamnés mononationaux et binationaux, comme le proposait le premier texte qui nous avait été présenté par votre prédécesseur.

Je veux confirmer ici que cette condition est désormais remplie.

Mme Marie-George Buffet. Pas du tout !

M. Patrick Mennucci. L’amendement du Gouvernement adopté par la commission des lois, les engagements du Gouvernement sur le projet de loi d’application…

M. Philippe Houillon. Un texte dont nous ne disposons pas !

M. Patrick Mennucci. …et l’inscription prochaine à l’ordre du jour du Parlement d’un projet de loi ratifiant de la convention de 1961 nous permettent aujourd’hui de soutenir l’initiative du Gouvernement et du Président de la République.

M. Guy Geoffroy. Vous ne croyez pas à ce que vous dites !

M. Patrick Mennucci. Lorsque nous aurons voté cette révision de la Constitution, le régime de déchéance de nationalité, qui existe dans notre législation depuis 1791 – excusez-nous, madame Attard ! –, sera beaucoup plus protecteur en droit que celui qui s’exerce aujourd’hui, depuis 1998, uniquement sur décision du Gouvernement et uniquement pour les binationaux.

M. Bernard Debré. À cause de Mme Guigou !

M. Patrick Mennucci. Je suis très surpris que la République ait prononcé, depuis dix-huit ans, des déchéances de nationalité uniquement pour des binationaux et uniquement sur décision administrative (Exclamations sur divers bancs)

Mme Claude Greff. Combien ?

M. Noël Mamère. Ce n’est pas la question !

M. Patrick Mennucci. …et que soient restés silencieux tous ceux qui accusent aujourd’hui la révision constitutionnelle d’être liberticide. C’est le contraire !

Mme Cécile Duflot et Mme Isabelle Attard. Non ! On ne peut pas entendre cela !

M. Patrick Mennucci. Cette révision apporte des droits et des garanties supplémentaires. C’est pourquoi nous la voterons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Pour ma part, et même si vous avez pu entendre des voix différentes tout à l’heure à l’UDI, je voterai cette réforme constitutionnelle.

Aillons d’ailleurs l’humilité d’admettre que beaucoup ont découvert ici, à l’occasion de ce débat, cette fameuse convention de 1961 jamais ratifiée par la France…

M. Patrick Mennucci. C’est vrai !

M. Philippe Vigier. …et le fait qu’il existait deux catégories de Français, ceux qui pouvaient perdre leur nationalité et ceux qui ne le pouvaient pas. Savez-vous, mes chers collègues, combien d’apatrides se trouvent sur le territoire français ? Plus d’un millier, qui sont placés sous la protection de l’OFPRA et qui bénéficient d’un certain nombre de droits. Certains découvrent cela.

Ce qui m’intéresse, dans ce débat, c’est de savoir si nous avons la capacité d’envoyer un signe très fort à ces terroristes qui ont frappé si durement notre pays. À mes yeux, ces hommes et ces femmes ont déchiré le contrat national, ils ont porté atteinte à nos valeurs républicaines, ils veulent mettre la République à terre. Lorsque la République va mal, il faut plus de République.

Plus de République, ce sont des droits et des devoirs. Ce sont des règles qui doivent s’appliquer. Je sais bien que certains qualifient la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité de symbole, mais n’y a-t-il pas d’autres symboles auxquels nous sommes très attachés ? Les symboles peuvent parfois véhiculer une force. Le fait que ces hommes et ces femmes sachent qu’ils ne feront plus partie de la communauté nationale est pour moi quelque chose d’important.

Laissons de côté les débats politiciens ! Ferons-nous, oui ou non, avancer la lutte contre le terrorisme ? Mes chers collègues, il me paraît plus important que le contrôle parlementaire de l’état d’urgence soit plus rigoureux que celui que nous avons prévu à l’article 1er : sinon, cette loi constitutionnelle perdrait de son efficacité.

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Ce projet de loi constitutionnelle comporte deux articles. Le premier prévoit la constitutionnalisation de l’état d’urgence et ne pose, en ce qui me concerne, pas de difficulté. Comme cela a été dit, cet article renforcera notamment les prérogatives de contrôle du Parlement dans le cadre d’une situation d’exception qui mérite donc, à ce titre, de faire l’objet de ce contrôle accru.

Concernant l’article 2 relatif à la déchéance de la nationalité, je ne ferai qu’une remarque : tout ça pour ça ? Avec ce débat, nous sommes à mille lieues des préoccupations de nos concitoyens qui attendent de l’État qu’il assure la sécurité des Françaises et des Français et se dote des moyens pour y parvenir.

Il est vrai que l’on touche à un aspect symbolique, qui permettrait certes de corriger une inégalité ou une iniquité entre les binationaux qui sont nés à l’étranger et ceux qui sont nés en France, mais reviendrait à en ajouter une autre entre les binationaux et les mononationaux.

Par rapport à cette question, nous devons réfléchir et nous poser des questions sur les conséquences d’une décision qui n’est pas au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Nos concitoyens souhaitent que nous continuions à mener une lutte sans merci contre ceux qui préparent et perpétuent des actes de terrorisme, comme ceux qui se sont produits le 13 novembre dernier.

Le 16 novembre, nous avons connu un moment d’unité nationale lors de la tenue du Congrès à Versailles. Par nos débats, nous devons tout faire pour rester autant que possible dans ce cadre de l’unité nationale. En tout cas, c’est ce qu’attendent de nous nos concitoyens.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

Mme Pascale Crozon. « La France, pays de la liberté et de l’égalité, ne saurait priver de la nationalité française des êtres qui ont droit à une patrie, même s’ils sont indignes. » C’est en ces mots que René Cassin défendait le 10 juillet 1944, devant l’Assemblée nationale provisoire, la peine d’indignité nationale. Les questions qui nous divisent aujourd’hui se sont posées exactement dans les mêmes termes à nos illustres prédécesseurs.

M. François Loncle. On a changé d’époque.

Mme Pascale Crozon. Je suis au courant, mon cher collègue.

Les Français qui avaient collaboré, qui avaient livré leurs compatriotes à l’ennemi parce que juifs méritaient-ils de demeurer français ? En créant l’indignité nationale, les Compagnons de la Libération ont d’une part déconnecté le droit à une nationalité qui devient un principe fondamental et d’autre part les droits associés à la citoyenneté. Car refuser de déchoir les ennemis de la patrie n’était pas un signe de faiblesse à leur égard : c’était défendre avec force une idée de la France qui ne peut s’abaisser à la création d’apatrides.

J’aurais soutenu une constitutionnalisation de l’indignité nationale, même renommée. Mais comme vous le disiez en 2010, monsieur le garde des sceaux, « on ne répond pas à l’insécurité par la nationalité. » Parce qu’à refuser d’expliquer les phénomènes de radicalisation violente comme un problème français, on ne fait qu’en conforter l’explication la plus simpliste : tout est de la faute de l’immigration.

Et comme l’a excellemment rappelé notre collègue Hélène Geoffroy, « la France doit assumer d’avoir enfanté ses propres monstres ». Elle ne peut en renvoyer la responsabilité vers les autres pays. En agitant la déchéance de la nationalité, nous réduisons les terroristes à leurs origines, nous confortons la division des Français que sèment les prêcheurs de haine et ce symbole-là est pour nombre de nos concitoyens d’une violence insupportable. Voilà pourquoi je ne voterai pas l’article 2. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Mme Chaynesse Khirouni et Mme Nathalie Chabanne. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Laurent Marcangeli.

M. Laurent Marcangeli. Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, nous entendons beaucoup d’avis divergents. Ce texte place chacun devant ses responsabilités et face à sa conscience. Beaucoup reste à dire sur la méthode, l’angle d’attaque choisi par le Gouvernement. J’entends les arguments dans le camp de ceux qui aujourd’hui se positionnent contre cet article. Ces arguments méritent d’être soulevés et défendus.

Pour ma part, je vais vous dire ce qui va me conduire à voter pour cet article en vertu de l’esprit de responsabilité que je me sens obligé de défendre depuis les événements tragiques que nous avons vécus.

Par-delà nos divergences politiques, cet esprit de responsabilité nous amène à tenir compte de l’attente de nos concitoyens. Ils attendent que nous œuvrions pour la défense de nos valeurs, la défense de la République. Ils attendent aussi une sanction pour répondre à l’indicible, à l’horrible, à ce qui a conduit des hommes et des femmes à déclarer la guerre à nos valeurs, à notre conception de la liberté.

Certes, beaucoup de choses peuvent s’opposer à cet article 2. Mais c’est après mûre réflexion que chaque parlementaire aura à se positionner. Pour ma part, cette réflexion m’amène à soutenir cet article et à soutenir la modification de la Constitution.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je le dis sans ambiguïté : je voterai pour ! Car le débat ne porte pas tant sur la déchéance de la nationalité que sur la nationalité, question que se posent les Français depuis ce qui s’est passé l’année dernière. Depuis trop longtemps, nous avons évacué ce débat qui est un débat difficile – on le voit bien –, mais central.

Les Français considèrent le droit de la nationalité comme un droit important, et c’est notre droit commun à tous. Mais qu’un jour, ce pays se pose la question fièrement de son droit de la nationalité alors que des gens trahissent ce droit qui est le nôtre, je considère que c’est salutaire pour notre pays.

Cela étant, tel qu’il est rédigé l’article que vous proposez – notamment avec la mention de « y compris, » affaiblit le texte. Si vous faites figurer dans le droit de la nationalité « y compris », cela signifie que la loi peut modifier le texte qui est proposé par l’article 34 de la Constitution. En fait, on a affaibli la portée du texte en rajoutant « y compris ». La discussion qui suivra permettra peut-être de trouver d’autres propositions de rédaction.

Permettez-moi de dire que les dispositions sur la nationalité figurent dans le code civil. Or il n’y a pas sa place. Le droit de la nationalité n’est pas un droit civil, mais un droit régalien. Et je regrette qu’en 1993, on ait intégré le code de la nationalité dans le code civil. C’était une grave erreur.

Nous en sommes à un moment de notre histoire nationale qui nécessite de revenir à des notions de fierté nationale. Le droit de la nationalité n’est pas le droit de citoyenneté : ce n’est pas la même chose ! On avait oublié la nationalité au profit de la citoyenneté. Je suis très heureux que l’on puisse, aujourd’hui, parler, enfin, du droit de la nationalité.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Avec l’article 2, vous voulez inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution. Cette disposition, qu’elle concerne les binationaux ou tous nos concitoyens, outre qu’elle est inutile pour lutter contre le terrorisme, est surtout indigne d’un État de droit et de la République.

Avec votre première mouture et l’insupportable inégalité de traitement visant les binationaux qu’elle contenait, vous avez introduit durablement une suspicion à leur égard. Aujourd’hui, devant la levée de boucliers venue de tous bords, vous proposez par voie d’amendement, une disposition qui, de fait, installe le statut d’apatride, c’est-à-dire d’individus sans aucun droit et sans existence reconnue dans aucune société. C’est tenter de régler un problème en en soulevant un autre, au moins aussi grave : c’est inacceptable.

C’est finalement et surtout, éviter de parler des vrais problèmes qui taraudent notre société depuis des années et qui s’aggravent tous les jours : le règne de l’argent et des inégalités, les discriminations, le chômage de masse, les discours de haine, et j’en passe.

Le Premier ministre est même allé jusqu’à dire que si l’on cherche à comprendre, c’est que l’on excuse les auteurs d’attentats. Quelle honte !

Permettez-moi d’affirmer ici que pour surmonter une difficulté quelle qu’elle soit, et particulièrement de l’envergure de celle qui nous occupe, il faut d’abord avoir l’intelligence de comprendre et que cela ne se réglera pas à coups de modifications de la Constitution.

C’est pourquoi je voterai sans hésiter contre cet article 2, par-delà les différentes tergiversations et contorsions auxquelles nous assistons.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, les attentats du 13 novembre ont plongé notre pays dans un état de sidération qu’il n’avait pas connu depuis des décennies. Ils n’ont pas seulement révélé la violence sans limites du terrorisme, ils ont également mis en lumière des faiblesses dans l’organisation de notre propre sécurité, dans notre capacité à maîtriser nos frontières aux niveaux européen et national, à protéger le territoire, et aussi, bien sûr, à frapper l’ennemi où il se trouve.

Démuni face à une France abasourdie, François Hollande a recherché une nouvelle forme de solennité pour donner l’illusion qu’il maîtrisait la situation et tenter de faire oublier l’inutilité d’une année où le Gouvernement n’a de toute évidence pas assez fait pour prévenir la survenance de nouveaux attentats sur notre sol.

Après avoir décrété l’état d’urgence, décision qui s’imposait, le Président de la République a ainsi convoqué le Congrès pour annoncer, dans la précipitation, une réforme de la Constitution. Pendant près de trois mois, chers collègues, l’inscription de la déchéance dans la Constitution a monopolisé le débat public. Pendant près de trois mois, cette mesure à la fois contestable et inopérante a capté l’intelligence et l’énergie d’un pays tout entier alors que les terroristes de Daech se moquent éperdument des nationalités, quelles qu’elles soient.

En revanche, les sujets cruciaux que sont entre autres la création tant attendue du fichier PNR, l’exécution de mesures d’interdiction du territoire, le renforcement de Frontex, l’interopérabilité des services de renseignement, la lutte contre la radicalisation ou encore le renouvellement des gilets pare-balles de nos policiers sont totalement passés par pertes et profits. Sans oublier bien sûr, le risque grandissant d’une rupture capacitaire de notre outil militaire totalement engagé dans la lutte contre le terrorisme, du Sahel au Levant.

Telle qu’elle nous est présentée, la révision constitutionnelle ressemble de plus en plus à un piège dans lequel la démocratie effrayée se jette à corps perdu.

J’ai décidé pour ma part de voter les amendements de suppression de l’article 2. L’unité nationale ne doit servir ni à justifier les insuffisances d’un exécutif, qui a sans doute failli dans certaines de ses missions essentielles, ni à imposer le silence à des parlementaires dont le mandat est de porter la demande de sécurité des Français.

M. Dominique Le Mèner et M. Rémi Delatte. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le 16 novembre 2015, à Versailles, le Président de la République déclarait qu’il était nécessaire de prévoir d’une part la constitutionnalisation de l’état d’urgence, débat qui a eu lieu hier, et d’autre part, l’extension de la déchéance de nationalité à l’égard d’une personne qui née en France, mais ayant également une autre nationalité aurait été condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.

Cette déclaration devait entraîner, notamment dans les rangs de la gauche, un important débat qui conduit aujourd’hui à une réécriture totale du projet de loi tel qu’il avait été déposé le 23 décembre 2015. Comme d’autres, je m’interroge sur la nécessité d’une modification de la Constitution. D’une part, une telle mesure est symbolique et ne réglera pas la problématique du terrorisme. D’autre part, elle ne nécessite pas de modifier la Constitution dès lors que l’article 34 me semble limpide. La loi est compétente pour fixer les règles concernant la nationalité. Cela inclut nécessairement l’intégralité du domaine, l’acquisition comme la perte de la nationalité.

Si l’article 1er de votre projet de loi me semble opportun, l’article 2 me paraît tout à fait inopportun.

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes une très large majorité dans cet hémicycle à penser qu’il est légitime de déchoir de sa nationalité un individu coupable d’actes terroristes contre son pays car celles et ceux qui prennent les armes contre lui s’excluent d’eux-mêmes de la communauté nationale.

Aujourd’hui, la question n’est donc pas d’être pour ou contre la déchéance de la nationalité pour un Français, mais de savoir si oui ou non, il faut procéder à son inscription dans la Constitution. En ce qui me concerne, la réponse est non.

J’estime qu’il suffit de modifier les lois existantes. Pour avoir été l’orateur du groupe UMP, puis Les Républicains, je vous rappelle que la proposition de loi de notre collègue Philippe Meunier, du 2 avril 2015, a été rejetée par la majorité et le Gouvernement. Cette proposition de loi visait à faire perdre la nationalité française à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil français ainsi qu’à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité.

Elle faisait suite à une première proposition de loi, rejetée également le 4 décembre 2014. L’article 1er de la proposition de loi du 2 avril prévoyait la perte de la nationalité française, et non la déchéance, quels que fussent le mode et la date d’acquisition de ladite nationalité, et complétait le code civil afin d’élargir l’incrimination à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice, par fourniture de moyens, d’opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité. Cette perte de nationalité concernait donc tous les Français, quelle que fût la façon dont ils avaient acquis ou s’étaient vu attribuer la nationalité, sauf si elle avait pour effet de les rendre apatrides.

Elle proposait par ailleurs que l’individu devenu étranger à la suite de la perte de la nationalité française fît l’objet d’une mesure d’expulsion lorsqu’il était présent sur le territoire national ou d’une interdiction administrative de territoire lorsqu’il ne s’y trouvait pas, ce qui correspondait bien au cas des individus partis faire le djihad.

Quant à l’article 2 de cette proposition de loi, il visait à rétablir le crime d’indignité nationale.

Mes chers collègues, que de temps perdu ! La majorité et le Gouvernement doivent maintenant l’assumer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Beaucoup de choses ont été dites sur cet article 2, dont je proposerai pour ma part la suppression comme j’ai proposé celle de l’article 1er.

Dès le discours de Versailles – que, je le rappelle, je n’ai pas applaudi –,…

M. Pierre Lellouche. Moi non plus !

M. Pouria Amirshahi. …nous avons vu apparaître, d’une manière subliminale qu’il est inutile d’expliciter ici, un bloc associant glissement sécuritaire et obsession sécuritaire d’une part et, d’autre part, un corps étranger supposé, constitué de citoyens pourtant Français, et l’annonce d’une surenchère pénale qui fera l’objet d’autres discussions ici, à l’Assemblée nationale.

Cela m’inquiète car, au-delà de tout ce qui a été dit sur la signification et la symbolique d’une telle disposition et sur la blessure déjà infligée à des millions de nos compatriotes résidant ici ou à l’étranger, et quelles que soient les contorsions juridiques utilisées de semaine en semaine pour trouver une nouvelle formule, il s’agit désormais de passer à autre chose. Essayons de tourner la page d’un débat qui cristallise beaucoup de passions, qui hystérise parfois et, ici comme sur l’agora, la place publique, crispe souvent nos discussions autour de l’identité nationale.

C’est une discussion bien fâcheuse et nous sommes nombreux à l’avoir dit – vous aussi, monsieur le Premier ministre, en votre temps –, car elle fige la société. Or, notre société n’a pas besoin de se crisper sur la définition de l’identité nationale, mais bien plutôt de se concentrer sur son projet national, sur la France d’après, sur ce qui nous rassemble et nous réunit, citoyennes et citoyens, d’où que nous venions, Français depuis Clovis ou depuis une génération.

La sagesse commande donc que nous n’allions pas plus loin et que nous nous en remettions à la raison, laissant à la loi ce qu’il est inutile de graver aujourd’hui dans le marbre d’une Constitution qu’il est, comme vous le constatez, bien difficile de changer.

M. le président. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Dans un tel débat, qui appelle à la gravité et de la tenue duquel nous nous félicitons, toutes les opinions sont respectables – sinon, bien évidemment, les démarches tactiques inspirées par certains groupes ou qui se déroulent en leur sein. Il est cependant frappant que, depuis de longues heures déjà, nous croyions souvent assister à un débat juridique où certains s’expriment comme s’ils étaient « hors-sol », comme si le contexte national et international leur échappait, alors que la mémoire des drames, des crimes et des actes de barbarie perpétrés par l’État islamique, par AQMI et par Boko Haram en France, en Europe et dans le monde entier devrait inspirer notre démarche à chaque minute de nos interventions. Faut-il en effet rappeler ce que fait l’État islamique, ce que font AQMI et Boko Haram en Afrique et ce que fait aussi, hélas, dans nos régions aussi, le djihadisme français ?

Pourquoi donner l’impression que nous sommes hors contexte ? C’est en effet ce que je ressens personnellement et cela me choque beaucoup. Je le répète, l’expression est libre, mais il est des moments privilégiés – et celui-ci en est un – où doit s’exprimer chez chacune et chacun d’entre nous, au-delà de nos appartenances, une responsabilité majeure. C’est la raison pour laquelle j’invite mes collègues qui hésitent ou qui tendent à oublier les familles des morts (Protestations sur de nombreux bancs) et les blessés qui sont encore à l’hôpital à respecter les leçons de l’histoire, le moment où nous nous trouvons et le fait que le monde a changé. Il faut prendre nos responsabilités en votant pour ce projet de loi de protection de la Nation et pour son article 2. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

Mme Jacqueline Fraysse. Un peu de dignité !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Perez.

M. Jean-Claude Perez. Des Français ont pris les armes pour assassiner des innocents au nom d’une idéologie fasciste. Quand ils assassinent des policiers, des gendarmes et des militaires, c’est pour mettre à mal l’ordre établi et l’autorité de l’État. Quand ils assassinent des jeunes filles et des jeunes garçons dans des salles de concert ou à des terrasses de cafés, c’est qu’ils veulent anéantir notre qualité de vie, notre joie de vivre, la musique, l’amour et la mixité, exprimant leur haine à l’idée de voir des femmes être à l’égal des hommes. Quand ils tuent une rédaction de presse, c’est la liberté d’expression qu’ils veulent assassiner.

M. Malek Boutih. C’est vrai !

M. Jean-Claude Perez. Bref, ces terroristes français ne méritent pas la nationalité française et je voterai la déchéance de nationalité pour ces terroristes fascistes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je répondrai aux questions d’une manière générale, et non pas, bien évidemment, à chaque orateur – le débat se poursuivra, du reste, sur les amendements.

Je tiens à répéter ce que j’ai déjà souligné à la fin du débat sur l’article 1er et qui est, je le sais, présent à l’esprit de tous ceux qui s’expriment aujourd’hui : à la place où nous sommes, avec la responsabilité qui pèse collectivement sur nos épaules, nous ne pouvons pas ignorer que le monde a profondément changé. Cette question se pose, bien sûr, aux membres de l’exécutif, mais aussi aux représentants de la Nation.

Nous ne pouvons pas ignorer que le monde est devenu plus dangereux, avec l’émergence, l’enracinement et l’extension inédite du terrorisme global et le développement de l’État islamique. Bien que, pour des raisons compréhensibles, l’emploi des mots que nous utilisons à ce propos ait oscillé, il faut bien souligner qu’il s’agit bien, en français comme en arabe, d’une même chose : l’État islamique.

M. François Fillon. C’est ce que j’ai toujours dit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. En effet. Il faut le souligner, car on voit bien quelle est la nature de ce nouveau terrorisme.

Je ne veux pas brandir une menace à la légère et instrumentaliser les peurs pour fragiliser nos valeurs. Il n’y a pas de dérive sécuritaire, mais un besoin de sécurité et de protection de la Nation et de nos compatriotes. Nous devons cependant être très lucides face à l’accumulation des actes terroristes – qui ont fait, je le rappelle, près de 40 000 morts dans 93 pays –, face à la stratégie d’exportation de la terreur à laquelle se livrent au moins deux organisations terroristes, par ailleurs en concurrence féroce, mais dont la matrice est la même, et face à l’aggravation des dérives radicales violentes qui frappent l’ensemble des pays européens.

Je tiens à rappeler une fois encore que plus de 2 000 Français ou résidents en France, dont un tiers de femmes, sont désormais concernés par les filières irako-syriennes. De plus en plus, certains sont tentés par la violence absolue que représente l’action kamikaze. Au-delà de cette filière, comme le rappelle souvent le ministre de l’intérieur, des milliers d’autres soutiennent et encouragent la violence politique ou religieuse d’une nouvelle idéologie totalitaire – appelez-la comme vous voulez.

C’est cette réalité qui a profondément changé. Je n’accuse nullement ceux qui s’expriment dans un sens différent de l’oublier, mais je tiens à souligner que c’est là le contexte dans lequel nous nous trouvons, et nos compatriotes l’ont parfaitement compris. Après les attentats de Paris et de Saint-Denis, nous avons tous la responsabilité de nous montrer à la hauteur de la situation – ce qui ne revient pas à mettre fin au débat, à la critique ou aux propositions alternatives.

Parmi l’ensemble des mesures décidées le 16 novembre dernier, le Président de la République a annoncé la création de 8 500 nouveaux emplois pour la justice et les forces de sécurité, afin de renforcer encore le combat contre le terrorisme – qui n’est, certes, pas le seul débat.

Des dispositions législatives nouvelles en matière tant judiciaire qu’administrative sont soumises à l’examen du Parlement. Elles seront indispensables après la fin de l’état d’urgence, que nous prorogeons et dont le Sénat vient de voter, en première lecture, la prorogation – ce texte sera soumis la semaine prochaine à votre Assemblée par le ministre de l’intérieur. Pour la première fois, je vous le rappelais, un dispositif contraignant sera applicable aux personnes de retour en France, sans préjudice des dispositifs de contrôle judiciaire applicables à leur encontre. Des dispositifs ont donc été votés et d’autres viendront encore, car nous devons armer l’État par le droit face au terrorisme.

Cependant, et je reprends ce mot, le serment fait le 16 novembre devant le Congrès du Parlement par le Président de la République repose aussi sur la réaffirmation de ce qui fonde la communauté nationale. Il s’agit, bien sûr, d’une conception de la nation ouverte à l’étranger et accueillante vis-à-vis de ceux qui, en vertu du sol, du sang ou de l’acquisition de la nationalité, choisissent d’adhérer à l’idéal républicain mais, comme l’on dit beaucoup d’entre vous, cette ouverture a prévu, tout au long de l’histoire républicaine et dès les premiers textes constitutionnels, des dispositions réciproques et symétriques : la possibilité de déchoir de la citoyenneté et de la nationalité ceux de nos compatriotes qui rompent avec violence le pacte républicain et national.

Au moment et dans le contexte où nous nous trouvons, tels que les ressentent les Français eux-mêmes, ce dispositif n’est pas une adresse aux terroristes – nous savons bien, du reste, qu’aucun dispositif, serait-ce la peine de mort ou la prison à vie, ne peut dissuader des terroristes : aucun de nous n’a dit cela. C’est, au contraire, un message pour la Nation. Le terme de « symbole », que j’ai employé, n’est pas le bon, je le reconnais. C’est le mot « acte » qui convient. C’est un acte que nous réaffirmons pour nous-mêmes et pour la Nation. C’est là que se situe le cœur du débat. Il ne s’agit pas de nous laisser entraîner dans je ne sais quelle dérive pour stigmatiser je ne sais qui, mais d’affirmer cela avec la plus grande force.

Mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée a adopté hier l’article 1er, qui donne un cadre constitutionnel solide à l’état d’urgence, et je vous remercie du large soutien que vous avez majoritairement apporté à cette mesure. Au cours des débats, nous avons une nouvelle fois travaillé ensemble et je veux en remercier particulièrement M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Sur de nombreux points, le Gouvernement a entendu le souhait exprimé par de nombreux députés et le texte lui-même a évolué – je pense par exemple à la durée maximale de la prorogation de l’état d’urgence, que nous avons fixée à quatre mois.

Nous proposerons, à la fin de la discussion, après le vote de l’article 2, de délibérer à nouveau, comme nous pouvons le faire, sur l’article 1er. Il s’agira d’abord de mieux « constitutionnaliser » le contrôle parlementaire. Je vous demanderai ensuite, avec l’accord de M. Sébastien Denaja, de revenir sur l’amendement qu’il a défendu hier et, comme nous l’avons vu à propos de la discussion sur un autre amendement relatif à l’état de siège, de ne rien inscrire dans la Constitution à propos du droit de dissolution : comme je l’ai également dit hier soir, restons-en aux questions relatives à cette révision constitutionnelle.

Cet après-midi, nous poursuivons donc la discussion de l’article 2, relatif à la déchéance de nationalité. Beaucoup de choses ont été dites et je souhaite une fois encore éclairer les termes du débat, afin que chacun ait bien présent à l’esprit quels en sont – du point de vue de l’exécutif, bien entendu – les enjeux.

Lorsque le texte sur lequel vous avez discuté a été adopté en Conseil des ministres le 23 décembre, l’article 2 évoquait les conditions dans lesquelles une personne née française et détenant une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Il y a eu un débat, dont certains disent qu’il a duré trop longtemps. Or, nous agissons dans le cadre de la Constitution et nous ne pouvons donc pas aller plus vite. Est-ce un débat mesquin ? Certains considèrent en effet que d’autres sujets préoccupent les Français, et c’est incontestable – d’abord la sécurité, bien sûr, et bien évidemment l’emploi, ainsi que la situation dans les campagnes.

Mais le débat que nous avons n’est pas mesquin. Le rôle du constituant est de discuter, de débattre et de confronter des idées de très haute qualité.

Le Gouvernement, et c’est son rôle, n’a pas sans cesse changé de texte : j’ai proposé, au nom du Gouvernement et avec l’accord du Président de la République, une nouvelle rédaction de l’article 2 à la commission des lois, qui l’a adoptée, pour tenir compte des éléments du débat.

Nous avons donc proposé que la loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris – j’ai entendu la remarque de M. Goasguen – les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française, ou des droits attachés à celle-ci, lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Le texte initial du Gouvernement transmis au Conseil d’État comportait la mention des crimes ; puis, comme proposé par l’opposition, la mention des délits a été rétablie car l’on peut être condamné aussi pour des délits de terrorisme.

Je rappelle que nous procédons déjà à des déchéances de la nationalité de binationaux ayant acquis la nationalité française et condamnés non pour des crimes, mais pour des délits de terrorisme. Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une rupture d’égalité et qu’il y avait une cohérence à présenter la proposition que je viens de rappeler.

Toutefois, le Gouvernement a entendu les arguments invoquant une éventuelle rupture d’égalité entre les plurinationaux et les mononationaux. Cet article 2 a donc évolué, sa rédaction répondant en tout point à un certain nombre d’attentes. Les binationaux ne sont plus mentionnés dans la Constitution et, le Gouvernement ayant affirmé une volonté d’unification et de cohérence : les mêmes délits et les mêmes crimes sont prévus pour tous.

En outre, le juge judiciaire prononcera la sanction dans tous les cas. La peine ne sera pas automatique – elle ne l’est d’ailleurs pas aujourd’hui. Nous avons décidé, moi-même quand j’étais ministre de l’intérieur et Bernard Cazeneuve aujourd’hui, que cette sanction ne serait pas automatique : elle passe par l’avis conforme du Conseil d’État.

Loin de moi l’idée de vouloir opposer dans cette enceinte le juge administratif et le juge judiciaire ! Mais comme c’est le juge pénal qui prononce la peine pour ce qui concerne la « déchéance partielle », ou déchéance d’une partie des droits attachés à la nationalité, nous avons considéré qu’il y avait une cohérence à ce que le juge pénal prenne également la décision, après le prononcé de la peine, pour ce qui concerne des terroristes – car, je veux le rappeler, il s’agit de terroristes ! Nous affirmons donc encore une fois, par cette rédaction, la force du droit.

Nous allons bien sûr poursuivre la discussion, mais je souhaite que les choses soient très claires. J’ai annoncé que le Gouvernement ratifierait la Convention de 1961 qui réduit les cas d’apatridie : c’est un engagement, le conseil des ministres sera bientôt saisi d’un texte.

J’ai également adressé à l’ensemble des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat, aux présidents des assemblées et à l’ensemble des présidents de groupe les deux projets de texte – il ne s’agit pas encore d’un projet de loi définitif car il n’a pas encore été envoyé au Conseil d’État – afin que chacun, sur l’article 1er comme sur l’article 2, dispose de tous les éléments. Ce texte sera amené à évoluer, mais il fallait jouer cartes sur table et que chacun dispose de tous les éléments. Nous avons dit clairement que l’article 2 ne pouvait comporter de mention de l’apatridie puisque nous allons ratifier la Convention de 1961. Voilà les éléments de garantie que le Gouvernement veut donner au Parlement.

Mais, pour être le plus clair possible, après l’intervention du Président de la République le 16 novembre, après les évolutions que je viens de rappeler et compte tenu du contexte dans lequel nous sommes, le Gouvernement considère, au-delà des amendements de suppression, que tout amendement qui réécrirait l’article 2, qui reviendrait sur l’idée de déchéance partielle ou viserait à la mise en place d’une peine d’indignité nationale – sujet que votre ancien président de la commission des lois a traité, avec des conclusions qui me paraissent extrêmement claires – remet en cause l’engagement du Président de la République pris devant le peuple français dans le cadre du Congrès de Versailles. Le Gouvernement appellera à rejeter tous les amendements qui modifient en profondeur cette conception.

Le Gouvernement a fait une proposition visant à recueillir l’accord le plus large de l’Assemblée nationale. En pareil moment, en effet, nous devons tous être à la hauteur de la responsabilité qui nous attend : c’est cet engagement que je suis venu défendre une nouvelle fois devant vous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous en venons à l’examen des amendements à l’article 2.

Je suis saisi d’une série d’amendements identiques visant à la suppression de l’article 2.

Je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public sur le vote de ces amendements de suppression.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Cécile Duflot, pour soutenir l’amendement n18.

Mme Cécile Duflot. La France « (…)assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. (…) » : voilà l’article 1er de la Constitution française.

Ce que vous nous demandez, en approuvant un article qui rétablirait la déchéance de nationalité dans la Constitution alors qu’elle n’y figure plus depuis 1803, c’est de restreindre massivement nos droits, d’envoyer un « signal », un « symbole », un « acte » – peu importe le mot – qui n’aura aucune efficacité, mais qui aura un poids politique très fort.

Ce poids politique très fort revient à affirmer que nous lâchons sur nos valeurs ; que nous n’acceptons plus de faire face à ces attaques, à ces actes de guerre, avec la force de la démocratie ; que nous renonçons.

Je veux dire ici, en présentant cet amendement de suppression, que nous sommes nombreux à refuser cette défaite morale. Nous sommes nombreux à ne pas accepter que la sanction des actes de ces terroristes soit de modifier la Constitution de notre pays sur une matière si inflammable, qui touche au nerf de ce qui nous fait républicains.

Nous devons supprimer l’article 2 ; nous ne devons pas associer le mot de « nationalité » à celui de « déchéance » dans la Constitution française. Nous continuerons de débattre et de tenter de convaincre.

Nous avons entendu qu’il faudrait respecter un serment fait à Versailles, celui qui affirmait ne pas vouloir créer d’apatride. La garantie qui en est donnée aujourd’hui serait la ratification d’une convention : je voudrais donc dire à l’une de mes collègues députées, qui fut ministre de la justice en 1997, qu’ici, à sa place de ministre, elle a annoncé, le 28 novembre 1997, la ratification de la Convention de 1961. Nous ne l’avons jamais fait, et croire que nous protégerons nos droits, ceux que nous n’osons pas protéger dans la Constitution, en ratifiant une convention, est une erreur.

M. le président. Il faut conclure, madame Duflot.

Mme Cécile Duflot. Le 7 janvier, le 13 novembre, les terroristes ont meurtri la France dans sa chair. En mettant la déchéance dans la Constitution, ils pourriraient notre âme : nous le refusons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Nous avons encore quelques amendements à examiner avant de demander l’avis de la commission. (Sourires.)

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n19.

M. Noël Mamère. À défaut de l’avis de la commission, je vais vous donner le mien, qui est partagé par de nombreux collègues siégeant dans cette assemblée.

Je répondrai à M. le Premier ministre qu’il ne nous a pas convaincus parce que nous avons déjà entendus ses arguments : il n’y a rien de nouveau.

Le Premier ministre nous dit que les binationaux ne figurent pas dans le texte de la Constitution : or nous savons que les binationaux seront les premières victimes de la déchéance de nationalité. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bruno Le Roux et M. Patrick Mennucci. Seulement les terroristes !

M. Noël Mamère. Vous nous avez d’ailleurs expliqué que vous alliez ratifier la Convention de 1961 qui, pour reprendre l’expression que vous avez employée, « réduit les cas d’apatridie ». Cela signifie donc qu’il peut y avoir des apatrides, et que la modification de la Constitution peut créer des apatrides ; or vous vous étiez engagé à ce qu’il n’y en ait pas.

Selon vous, le débat est normal puisque nous sommes des constituants. Mais vous avez conclu votre intervention en avertissant ceux de nos collègues qui ont déposé des amendements, en particulier sur l’indignité nationale. Vous leur avez fermé la porte en leur disant : « Il n’est pas question de sortir du champ que moi, Premier ministre, et mon gouvernement, avons fixé ».

Enfin, vous êtes en train de nous soumettre à une forme de diktat, comme s’il s’agissait d’être fidèle au serment que le Président de la République aurait signé avec la représentation nationale, le 16 novembre, dans la sidération et dans l’émotion, au lendemain des attentats du 13 novembre.

Monsieur le Premier ministre, je vous vois lassé par mes propos : ce n’est pas la première fois ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pas du tout ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. S’il vous plaît ! Laissez M. Mamère conclure !

M. Noël Mamère. Je vous demande simplement d’accepter que l’on puisse remettre en cause les reculs que vous êtes en train d’imposer à la France. C’est la raison pour laquelle nous nous battrons contre cette déchéance de nationalité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour soutenir l’amendement n22.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le Premier ministre, vous demandez que l’on vous suive, mais savez-vous, vous-même, où vous allez avec cet article ?

M. Guy Geoffroy. Bonne question !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. De cet article, vous nous avez proposé finalement toutes les versions ! Il y a d’abord eu la version « avec mention ou pas » de la binationalité, « avec mention ou pas » des droits attachés à la nationalité.

À propos de la déchéance de nationalité, vous avez tout dit – tout et son contraire, en fonction du public auquel vous vous adressiez. À la droite, vous avez proposé d’étendre la déchéance des seuls crimes ou délits ; à la gauche, vous avez promis de gommer toute référence à la binationalité.

Tout à l’heure encore, vous nous disiez que ce n’était plus un « symbole », comme vous l’avez répété pendant des semaines, mais finalement un « acte ». Eh bien, ce n’est ni l’un, ni l’autre : c’est une manipulation politique, et elle ne marche pas ! Vous avez tout essayé, mais sans convaincre. Vous avez même perdu du terrain, tant l’habileté politique et la tactique suintaient de chacun de vos mouvements.

Mes chers collègues, cet article n’a aucune utilité. Pour ceux qui tiennent à la déchéance de nationalité, il n’est nul besoin de l’inscrire dans la Constitution. Surtout, à l’évidence, cet article nous divise : il fait débat, il fait fracture, il fait même béance au sein de chacun de nos groupes politiques. Notre amendement propose donc de mettre fin à ce mauvais débat en supprimant cet article inutile. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré, pour soutenir l’amendement n24.

M. Bernard Debré. Beaucoup ici se sont exprimé pour dire que cet article 2 était inutile. Mais quand nous affirmons qu’il est inutile, monsieur Loncle, ce n’est pas parce que nous n’avons pas été émus aux larmes en voyant ces morts, ces blessés ; ce n’est pas parce que nous avons été insensibles à ce qu’il s’était passé – au contraire ! Nous avons été particulièrement touchés, tous, les uns et les autres !

Quand nous nous sommes levés, à Versailles, pour montrer notre unité, c’est parce que nous étions émus et que nous voulions rendre un hommage important, un hommage réel aux victimes : ce n’était pas du tout parce que nous voterions pour cet article 2, car cela n’a rien à voir.

Puis, nous avons entendu parler d’union nationale, d’unité : il faut que nous soyons unis ! Oui ! Mais il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore en proposant une révision de la Constitution !

M. Mathieu Hanotin. Exact !

M. Bernard Debré. Tout était déjà dans le code civil ! Les deux articles les plus importants – les articles 23-7 et 25 – y sont inscrits.

Si le Président de la République avait pris la parole de façon tout à fait officielle, en disant : « Je cherche l’union et je vais utiliser les articles figurant déjà dans le code civil », nous aurions tous été d’accord ! Et nous aurions même tous été d’accord pour les modifier et les actualiser !

M. Yves Durand. Eh bien, alors ?

M. Bernard Debré. Nous aurions été d’accord, mais pas pour les inscrire dans la Constitution : regardez ce qu’il s’est passé cette nuit, nous avons failli supprimer l’article 16, nous avons voté contre la dissolution – c’est absurde !

M. le président. Merci, monsieur le député !

M. Bernard Debré. Encore une fois, nous ressentons beaucoup de peine du fait de ces événements, et nous voudrions vraiment réagir dans l’unité, mais simplement en appliquant le code civil. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour soutenir l’amendement n72.

M. Bertrand Pancher. Le monde est en danger, mais la réponse est-elle à chercher dans un renoncement à ce qui fonde nos valeurs : l’appartenance d’un homme à une nation ? La réponse est évidemment non. Si tel n’était pas le cas, monsieur le Premier ministre, quelle sera la réponse lors d’un prochain attentat, dont malheureusement la survenue est à craindre ?

La réponse est-elle dans l’affichage d’une mesure inutile, dont chacun sait qu’elle n’intimidera certainement pas les terroristes ? Je refuse de bafouer les valeurs de notre République une et indivisible. Il ne faut pas faire le jeu des terroristes qui jouent des peurs pour tenter de diviser encore un peu plus notre société en nous opposant les uns aux autres. Il faut que nos valeurs – la liberté, l’égalité, la fraternité – continuent à nous guider. Combattre le terrorisme est bien sûr une priorité absolue, et nous vous soutenons et continuerons à vous soutenir dans ce combat, mais il ne doit pas nous amener à croire que tous les moyens sont bons, même ceux qui, c’est ma conviction, bafouent nos valeurs.

Vous avez fait, monsieur le Premier ministre, une annonce tout à fait intéressante, qui est peut-être une forme d’amende honorable puisqu’elle traduit la prise en compte de notre refus de diviser encore un peu plus la société française en distinguant les français « mononationaux » et les Français binationaux. Nous en prenons acte et nous vous invitons à retirer cette mesure, monsieur le Premier ministre, afin que nous votions tous en chœur cette réforme de la Constitution.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n73.

Mme Isabelle Attard. On nous a invités pendant ces débats à voter la déchéance de nationalité sous prétexte que les autres pays vont dans ce sens. Pas tous, monsieur le Premier ministre. Au Canada, Justin Trudeau vient de prendre l’exact contre-pied de son prédécesseur conservateur Harper en la matière, considérant que tout ce qui abaisse la citoyenneté d’un compatriote abaisse la citoyenneté de tous les Canadiens. Quel magnifique exemple !

Qu’avons-nous fait concrètement pour la cohésion sociale, pour l’unité des Français depuis les attentats de janvier 2015 ? Rien, strictement rien, alors que, comme l’explique l’historien Patrick Weil, c’est la cohésion de la masse des citoyens qui permettra de résister au terrorisme, l’unité de ce que nous sommes, une meilleure connaissance de notre histoire commune, la construction de projets communs. Or nous manquons bien cruellement de projets communs enthousiasmants ces jours-ci.

Monsieur le Premier ministre, inscrire dans la Constitution une différence entre Français est contraire à toute la tradition républicaine, contraire à l’article 1er de la Constitution.

Remettre ce sujet à l’ordre du jour en dit long sur la triste situation de notre citoyenneté. Pour en sortir par le haut, disons oui au mieux vivre ensemble, oui aux projets communs, à l’inclusion, oui à une lutte efficace contre le terrorisme et supprimons cet article inutile, discriminant, provocant et donc dangereux.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Hanotin, pour soutenir l’amendement n75.

M. Mathieu Hanotin. Mon amendement propose la suppression de l’article 2 relatif à la déchéance de nationalité. J’ai eu l’occasion hier, lors de la discussion générale, d’exprimer mon opposition à cette mesure inutile, inefficace et contraire à nos valeurs.

Toute réforme constitutionnelle nécessite un consensus, et celle-ci plus que n’importe quelle autre. Or force est de constater que cet article 2 provoque essentiellement du dissensus. La division, la dissension, c’est le piège dans lequel les terroristes cherchent à nous amener. Face à leur barbarie, nous devons plus que jamais être unis dans notre diversité.

Mais l’union, cela n’a jamais signifié la soumission ; l’union, elle se construit sur des valeurs, sur des combats partagés. Après de nombreuses heures de débat, que reste-t-il comme argument pour voter cet article ? La parole du Président ? Je passe sur le fait que François Hollande n’a jamais évoqué une telle constitutionnalisation lors de son discours de Versailles. Ce pour quoi je veux plaider ici, dans le temple de la raison, c’est pour le droit à l’erreur.

L’auteur du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau, disait qu’un homme ne devait jamais rougir d’avouer qu’il avait eu tort car en faisant cet aveu il prouvait qu’il était devenu plus sage. Se tromper est une erreur ; s’entêter est une faute. Tout le monde peut se tromper, même un Président ou un Premier ministre.

M. Patrick Mennucci et M. Frédéric Cuvillier. Même Mathieu Hanotin !

M. Mathieu Hanotin. Il n’y a pas de parole suprême : nul n’a raison par principe. Un tel concept est même contraire aux fondements de notre République.

Nous devons, nous, parlementaires, être à la hauteur du pouvoir que nous a conféré le peuple pour nous permettre d’assumer notre rôle dans l’équilibre des institutions. Le Président et le Gouvernement sont bien sûr libres de proposer, mais c’est bien à nous, législateurs, a fortiori quand nous sommes constituants, de décider : c’est notre responsabilité.

Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, je vous demande de retirer cette mesure. À défaut, comme de nombreux collègues, je voterai contre.

M. le président. La parole est à M. Christian Assaf, pour soutenir l’amendement n80.

M. Christian Assaf. Lors de son allocution devant le Congrès, le Président de la République nous a invités à prendre nos responsabilités s’agissant de la déchéance de nationalité. Il ne nous a pas dit que c’était à prendre ou à laisser ; il nous a invités au travail, au débat, au dialogue.

Certes l’arsenal juridique dont nous disposons aujourd’hui est perfectible, malgré l’efficacité dont il a fait preuve en la matière – comme cela a été rappelé, des binationaux sont d’ores et déjà déchus de leur nationalité et nous comptons des apatrides sur notre territoire. C’est pourquoi nous serons invités prochainement à affirmer notre volonté de voir les terroristes français – j’ai bien dit français – punis avec sévérité et à prendre acte du divorce entre ces individus et la nation.

Nous serons amenés à nous prononcer sur le principe même de la binationalité et de son hérédité. Mais là n’est pas la question aujourd’hui. Au nom de ce principe de fermeté, mais surtout d’égalité devant la loi, je vous propose cet amendement de suppression car si ces principes nous animent, il n’est nul besoin de constitutionnaliser la déchéance de nationalité.

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour soutenir l’amendement n81.

Mme Barbara Pompili. La déchéance de nationalité pose problème car son application risque de ne pas être la même selon que les personnes condamnées pour terrorisme auraient une ou plusieurs nationalités, et parmi ces dernières, selon qu’elles seraient nées françaises ou qu’elles le seraient devenues par naturalisation.

Certes le texte qui nous est soumis ne distingue plus entre les Français, mais ce n’est pas parce qu’on ne mentionne pas une difficulté juridique qu’elle disparaît comme par enchantement. Si nous adoptions tel quel cet article, la question de la différence de traitement entre les Français ne possédant que la nationalité française et les plurinationaux nés Français continuerait de se poser.

En vérité, inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, c’est chercher à se prémunir d’une éventuelle reconnaissance par le Conseil constitutionnel du principe fondamental interdisant la déchéance de nationalité des binationaux nés Français. S’agissant en effet des personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans, cette déchéance est déjà possible, et justifiée : attenter à la vie de la nation quand on a sollicité son entrée dans la communauté nationale, c’est trahir une parole, c’est rompre une loyauté envers les valeurs de la République.

Mais étendre la déchéance de nationalité aux personnes nées françaises, quand bien même elles disposeraient d’une autre nationalité, parfois sans l’avoir demandé, cela serait méconnaître le principe d’égalité inscrit dans l’article 1er de notre Constitution.

Face au terrorisme, nous unir autour d’une mesure symbolique forte a du sens. Mais quand le symbole choisi nous divise, interpelle nos consciences, cela interroge.

C’est la raison pour laquelle Denis Baupin proposera tout à l’heure un article instaurant une peine d’indignité nationale, forte sur le plan symbolique et réellement applicable à toutes les personnes condamnées pour terrorisme. Et c’est la raison pour laquelle je vous appelle, chers collègues, à voter le présent amendement de suppression de l’inscription de la déchéance de nationalité dans notre Constitution.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n83.

M. Christophe Cavard. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, la menace à laquelle nous devons faire face ne vise pas essentiellement notre nation en tant que telle mais le mode de vie et les valeurs d’une société par-delà ses frontières. Y répondre par des mesures renvoyant à l’identité nationale, de surcroît touchant au socle commun sur lequel celle-ci est fondée, ne correspond en rien, même symboliquement, à la réalité.

Ce qui nous menace vise une société européenne laïque, ouverte et aspirant à la liberté des individus. C’est ainsi que je comprends, monsieur le Premier ministre, votre « nous sommes attaqués. »

J’ai voté pour l’article 1er de ce projet de loi constitutionnelle mais je ne peux croire que cet article 2 soit utile aux objectifs énoncés par le texte : la lutte contre le terrorisme, et ce sujet, vous le savez, monsieur le Premier ministre, bouscule les familles politiques, à droite comme à gauche – j’en veux pour preuve les débats qui ont lieu ici ou dans nos partis respectifs.

C’est pourquoi, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, nous pouvons, me semble-t-il, nous passer de cet article 2.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour un rappel au règlement.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Mon rappel au règlement porte sur l’organisation du scrutin public de demain, qui a été demandé notamment par le groupe socialiste et que nous demandons aussi, mais en nous fondant sur l’article 63 : prévoyant la possibilité d’un vote par division, il nous permettrait de voter séparément, d’abord sur l’article 1er puis sur l’article 2.

Cela est de droit si le Gouvernement ou la commission l’accepte. Dans le cas où ni le Gouvernement ni la commission ne l’accepterait, c’est au Président de l’Assemblée qu’il reviendrait de décider. (Rires sur tous les bancs.)

M. le président. Je vous remercie de votre invitation, monsieur le député !

Article 2 (suite)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n88.

Mme Colette Capdevielle. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n89.

M. Denys Robiliard. Cet amendement de suppression de l’article 2 vaut pour les deux versions que je connais de cet article : celle qui nous a été initialement proposée et celle qui résulte de l’amendement du Gouvernement tel qu’adopté par la commission des lois.

Si le texte était voté dans sa version actuelle, je considère que la loi ne serait pas la même pour tous, ce qui est évidemment inacceptable en matière pénale. C’est une raison suffisante pour que je m’y oppose.

Je ne pense pas non plus que nous puissions accepter la version adoptée par la commission des lois sur proposition du Gouvernement. En effet cette version amendée n’apporte pas de solution et crée des difficultés.

Elle n’apporte pas de solution parce que, chacun le reconnaît, elle n’aura aucune efficacité contre les terroristes. Elle crée des difficultés parce que si on déchoit quelqu’un de sa nationalité, c’est dans la perspective de l’éloigner vers le pays dont il a la nationalité quand il n’est pas apatride. Or l’exécution de cette mesure d’éloignement risque de se heurter, soit au refus du pays en cause, soit à l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme dans le cas où la vie de cette personne est en danger dans ce pays. Une loi impuissante est une loi socialement urticante et pour cette raison il ne faut pas l’accepter.

Enfin on n’exporte pas des terroristes : puisque ce sont « nos » terroristes, c’est à nous de prendre nos responsabilités. J’ajoute que nous avons intérêt à les prendre parce que s’il s’agit d’exercer une surveillance, elle ne sera jamais mieux exercée que par nous-mêmes.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n93.

M. Pierre Lellouche. Étant déjà intervenu sur l’article 2, je me contenterai de faire quatre remarques rapides.

Je voudrais d’abord demander, en réponse à mon collègue et ami François Loncle, de ne pas introduire de confusion dans les esprits de nos concitoyens : être opposé à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution ne signifie pas qu’on s’oppose à cette mesure. Moi-même et la plupart de mes collègues ici présents sommes favorables à la déchéance de nationalité, et nous avons d’ailleurs fait deux propositions de loi en ce sens l’année dernière mais vous avez refusé ce débat à l’époque.

La question est de savoir s’il faut l’inscrire dans la Constitution. Or jamais nous n’avons proposé d’inscrire cette disposition dans la Constitution parce que cela nous semblerait tautologique avec l’article 34.

En revanche, comme M. Badinter et d’autres collègues l’ont déjà précisé à plusieurs reprises, la déchéance de nationalité existe déjà dans notre droit. Les articles 25 et 23-7 du code civil la permettent et des terroristes ont déjà été déchus de leur nationalité française, même si nous avons le plus grand mal à les expulser. On est en train de réinventer ce qui existe déjà.

Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, je ne comprends plus rien aux textes successifs qui ont été proposés. Le texte qu’on nous propose aujourd’hui va dépendre pour son application d’une loi dont nous ignorons le contenu à ce stade, ce qui est problématique : cela revient à nous demander de signer un chèque en blanc en votant un texte constitutionnel sans en connaître les modalités d’application.

Par ailleurs, vous avez dit que nous allions ratifier la convention de l’ONU de 1961, dont l’article 8, paragraphe 3, prévoit explicitement la possibilité de faire des apatrides.

M. Patrick Mennucci. Et alors ?

M. Pierre Lellouche. Le Président de la République a déclaré le 16 novembre que la nationalité pourrait être ôtée à des gens nés en France…

M. le président. Concluez, monsieur Lellouche…

M. Pierre Lellouche. …binationaux pour ne pas faire des apatrides. Aujourd’hui, on dit : il n’y a plus de discussion, il n’y a plus de séparation entre les nationaux et on va faire des apatrides !

M. Patrick Mennucci. Eh oui !

M. le président. Il faut conclure…

M. Pierre Lellouche. Je demande au Gouvernement de nous donner sa position sur la convention de 1961. Lors de sa ratification, maintiendrez-vous, oui ou non, les réserves déposées à l’époque par le Général de Gaulle ?

M. le président. La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement n98.

M. Pouria Amirshahi. Beaucoup d’arguments ont été échangés. Je reviendrai d’autant moins sur certains d’entre eux que les risques de crispation et de dérapages sont bien réels et que de telles dérives n’honoreraient pas cette assemblée.

Je souhaite en revanche revenir sur deux questions auxquelles vous n’avez jamais répondu, monsieur le Premier ministre. Concrètes et pragmatiques, elles ont été évoquées tout à l’heure – encore une fois, je ne reviendrai pas sur ce que suscite en moi, comme en bien d’autres, le principe même de la déchéance de nationalité.

Première interrogation : pourquoi enverriez-vous dans un pays étranger qui n’y est pour rien dans telle ou telle dérive un Français, né français en France – je reprends l’expression du Président de la République – qui bascule dans le terrorisme d’ailleurs pour plein de raisons, ne vous en déplaise, que les sciences sociales expliquent sans excuser…

M. Malek Boutih. Non ! C’est faux !

M. Pouria Amirshahi. … – cela va des questions sociales à la pathologie mentale ou, parfois, à l’humiliation, quelle que soit la condition sociale de la personne ? Au nom de quel principe, de quelle indélicatesse diplomatique feriez-vous cela ?

M. Malek Boutih. Parce que c’est un militant, un nazi qui n’a rien à faire en France !

M. Pouria Amirshahi. Pourquoi les États-Unis, la Suisse, l’Algérie, le Mali et d’autres États l’accepterait-il ?

Deuxième interrogation, directement liée à la précédente : imaginez que, demain, un Franco-Américain, un Franco-Malien, un Franco-Tunisien, un Franco-Suisse – je ne ferai pas la liste de tous les pays du monde et je m’arrête là, monsieur le président – commette un attentat et soit déchu de sa nationalité, l’accepteriez-vous sur le territoire ? Lui souhaiteriez-vous la bienvenue les bras ouverts ? Cela est insensé !

Le seul sens qui puisse exister, c’est celui de la justice, rien que la justice, toute la justice. Heureusement que nous disposons en France d’un dispositif pénal pouvant permettre de protéger et, éventuellement, de réparer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement n107.

M. Malek Boutih. Finkielkraut !

M. Pascal Cherki. Le paradoxe de la situation, mes chers collègues, c’est que ce gouvernement, avec l’aide d’une partie de l’opposition, aura été celui qui aura réintroduit l’apatridie dans le droit français. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Je vous demande d’y réfléchir parce que, jusqu’à présent, tout notre droit relatif à la nationalité est construit pour éradiquer les cas d’apatridie.

M. Malek Boutih. En l’occurrence, nous ne discutons pas du droit mais d’une question très politique !

M. Pascal Cherki. Je fais du droit, je suis désolé : nous sommes à l’Assemblée nationale !

L’article 19-1 du code civil attribue ainsi automatiquement la nationalité française aux enfants nés sur le territoire français si leurs parents sont apatrides.

L’article 25-1 du code civil interdit quant à lui de déchoir de la nationalité une personne naturalisée si cela a pour effet de la rendre apatride. Il s’agit d’une disposition introduite par le gouvernement de Lionel Jospin, vous le savez, monsieur le Premier ministre, puisque vous étiez alors l’un de ses conseillers techniques.

Tel est le mouvement global de notre droit et c’est le sens du juste refus de la stigmatisation des binationaux. En l’occurrence, comment procédera-t-on ? En usant d’un argument que vous ne pouvez pas accepter, mes chers collègues : on va se servir de la ratification de la convention internationale de 1961 qui vise à éliminer les cas d’apatridie car, comme notre collègue Lellouche l’a dit, l’utilisation d’une réserve permettra de donner une base juridique conventionnelle à la possibilité de fabriquer des apatrides.

Je terminerai par cet argument : monsieur le Premier ministre, vous pouvez dire beaucoup de choses, mais pas qu’il s’agit de respecter la parole du Président de la République.

M. Malek Boutih. Finkielkraut !

M. Pascal Cherki. À Versailles, le Président de la République a évoqué la déchéance de nationalité pour les personnes nées françaises – je dis bien, nées françaises – sauf si cela aurait pour effet de les rendre apatrides.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Patrick Mennucci. Et alors ?

M. Pascal Cherki. Nous sommes donc en train de faire le contraire de ce que le Président de la République avait proposé. Je pense à Victor Hugo, pour qui l’odieux est parfois la porte de sortie du ridicule.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement n119.

M. Gérard Sebaoun. Cet article 2 n’a pas sa place dans la Constitution. L’article 34 de notre texte fondamental renvoie à la loi, et le code civil, qui prévoit les cas de déchéance, pouvait être amendé.

Cet article serait symbolique, le symbole de l’union nationale, de l’union sacrée, comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, reprenant ainsi la formule d’août 1914 du Président Poincaré.

Comme chacun ici, je garde en mémoire les immenses rassemblements populaires spontanés du mois de janvier, partout en France, après l’horreur des attentats, la stupeur qui a saisi notre peuple après les tueries aveugles du mois de novembre laissant ainsi des familles désespérées, meurtries à jamais, et des milliers de proches terrifiés, comme nous le sommes,…

M. Malek Boutih. Je ne le suis pas !

M. Gérard Sebaoun. …par les événements qui venaient de se produire à Paris.

Or, cet article ne répond en rien à la dérive idéologique et mortifère des assassins. Il n’apaisera guère les victimes, les familles et n’apportera pas de réponse aux Français inquiets pour leur sécurité.

Cet article serait le ciment de l’union nationale autour du Président de la République depuis le discours de Versailles faisant état de la possibilité de déchoir de la nationalité française les binationaux condamnés pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme.

Le Président de la République scellait ainsi un pacte avec l’opposition, depuis longtemps porteuse de cette proposition comme l’a rappelé M. Lellouche, proposition que la gauche et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez toujours combattue. Je me reconnais quant à moi toujours dans un tel combat. Je sais que l’inventivité stylistique de certains amendements tendra à nous détourner de cet objet.

Je pense que cet article est inutile et qu’il ne répond pas à l’urgence. C’est pourquoi j’en demande la suppression.

M. le président. La parole est à M. Alexis Bachelay, pour soutenir l’amendement n126.

M. Alexis Bachelay. La Constitution est notre loi fondamentale, le texte qui fonde notre pacte républicain, notre communauté de destin.

En tant que parlementaires et constituants, notre devoir est d’analyser avec la plus grande vigilance les effets d’une révision constitutionnelle. Selon moi, la suppression de l’article 2 est rendue nécessaire par le risque que la déchéance de nationalité devienne une mesure discriminante.

Les risques de discrimination sont en effet exacerbés dès lors que nous gravons dans le marbre de notre Constitution une mesure ambiguë. Le trouble est d’autant plus important que cette mesure existe déjà en droit et qu’il n’est donc pas nécessaire de l’inscrire dans la Constitution, comme Robert Badinter l’a brillamment démontré voilà quelques jours.

Le retrait de cette mesure est également nécessaire car aucun des objectifs annoncés n’est atteint. Cette mesure ne renforce pas l’unité de la nation, elle n’est pas indispensable dans la lutte que nous voulons mener contre le terrorisme et ne renforce pas notre arsenal juridique. Elle ne témoigne pas non plus de la réprobation unanime de notre pays contre les actes barbares commis sur notre sol.

De plus, nous pouvons nous poser la question : les terroristes méritent-ils d’appartenir à la nation française ? Non, bien sûr, dans un monde idéal. Mais la déchéance de nationalité ouvre-t-elle la voie à leur expulsion du territoire national ? Même pas !

Mais alors, quelle est la nation qui mérite d’abriter en son sein des terroristes, dont l’objectif est de détruire l’ensemble des nations ?

M. Malek Boutih. BarakaCity !

M. Alexis Bachelay. Le terrorisme est un crime contre la vie. Il n’y a pas de nation qui, sur notre planète, aurait vocation à devenir le réceptacle de ceux qui s’y livrent, pas plus l’Algérie que le Maroc, la Tunisie, le Mali, l’Italie ou je ne sais quel pays. Aucun ne mérite d’héberger ces terroristes !

Force est de constater que, dans la majorité comme dans l’opposition, la raison, le cœur et les convictions n’y sont pas. Dans le pays tout entier, de grandes voix se sont élevées comme celles de Michel Rocard ou de Pierre Joxe. Oui, nous avons une responsabilité devant l’histoire !

Il s’agit d’unir le pays face à une menace terroriste qui veut le disloquer. Une alternative existe, à laquelle je souscris car elle permet de frapper les terroristes d’indignité sans attenter au principe d’égalité devant la loi : la déchéance nationale ou civique.

M. le président. Je vous remercie.

M. Alexis Bachelay. Nous ne sommes pas des somnambules. Il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux !

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour soutenir l’amendement n129.

Mme Chaynesse Khirouni. Depuis le 16 novembre, nous sommes nombreux à nous interroger : quelle est l’utilité d’inscrire cette mesure dans notre Constitution, notre loi fondamentale ?

Certes, la nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement ne constitutionnalise plus l’inégalité entre citoyens français dès lors qu’elle supprime la référence à la binationalité.

La nationalité est un élément consubstantiel de la personne. Notre code de la nationalité repose sur le droit du sol. En modifiant l’article 34, nous ouvrons une brèche puisque la Constitution élève les questions relatives à la déchéance de nationalité au rang législatif.

Acceptons-nous de graver dans notre Constitution une peine de déchéance de nationalité ? Qui peut nous assurer que d’autres majorités n’étendront pas à l’avenir les cas de déchéance ?

Les actes de terrorisme sont commis non pas au nom d’une deuxième nationalité, mais au nom d’une organisation terroriste.

En outre, la France, pays des droits de l’homme, peut-elle accepter de créer des apatrides, fussent-ils terroristes ?

Vous en conviendrez, monsieur le Premier ministre, cette disposition cristallise une large opposition sur tous les rangs de cette assemblée et nous divise. Il nous faut y renoncer en supprimant l’article 2.

Pour conclure, permettez-moi de reprendre quelques mots de Victor Hugo au retour de son exil : « Je ne vous demande qu’une chose, l’union ! Par l’union, vous vaincrez. Soyez unis, vous serez invincibles. Serrons-nous tous autour de la République et soyons frères. Nous vaincrons. C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté. » (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n130.

Mme Cécile Untermaier. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Laurent Baumel, pour soutenir l’amendement n131.

M. Laurent Baumel. Certains collègues ont suggéré que la déchéance de nationalité était une mesure dangereuse ou douteuse mais, avant tout, elle est inefficace pour dissuader les terroristes d’agir et, aussi, du point de vue même où elle prétend se situer, soit dans le registre symbolique.

En effet, loin d’être claire, cette mesure soulève d’autres enjeux symboliques : peut-on créer des apatrides ? Peut-on établir des distinctions entre des catégories de Français ?

Cette mesure est inefficace également sur le plan politique. Alors qu’elle devait témoigner de l’unité nationale face au terrorisme, elle a engendré des débats au sein de chaque famille politique et dans la société.

On pourrait « s’accrocher » à la déchéance de nationalité s’il s’agissait de la seule façon d’exprimer l’indignation de la communauté nationale face à ces criminels. Mais d’autres propositions ont été soumises au débat telles que l’indignité nationale ou la déchéance de citoyenneté.

Alors, pourquoi vous accrocher ? On nous a parlé du « serment de Versailles » mais, comme d’autres collègues l’ont rappelé avant moi, il n’y a pas eu de « serment de Versailles » : au Congrès, nous n’avons pas contracté avec le Président de la République. Que députés et sénateurs se soient levés pour faire bloc avec le chef de l’État trois jours après les attentats ne valait pas consentement à l’endroit de l’ensemble des dispositions contenues dans le discours présidentiel.

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Laurent Baumel. On parle également de sauver la crédibilité de la parole présidentielle vis-à-vis des Français, mais les Français savent qu’il arrive que les annonces de François Hollande ne s’inscrivent pas dans les réalités.

M. Yves Fromion. En effet !

M. Laurent Baumel. Il en va ainsi pour lui comme il en est allé d’ailleurs de ses prédécesseurs. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Claude Perez. Honteux !

M. François Loncle. Minable ! Pauvre type !

M. le président. S’il vous plaît !

M. Laurent Baumel. Plutôt que e se contorsionner afin de sauver l’idée d’une infaillibilité de la parole présidentielle…

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Baumel. … à laquelle plus personne ne croit dans ce pays (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), ayons l’honneur et l’orgueil d’être des parlementaires et votons selon nos convictions ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Benoît Hamon, pour soutenir l’amendement n167.

M. Benoît Hamon. Monsieur le Premier ministre, aujourd’hui comme hier, vous avez évoqué le « serment de Versailles » – c’est d’ailleurs vous-même qui avez appelé ainsi ce discours.

Mais le discours du Président de la République n’a rien à voir avec l’article 2 du texte que vous nous proposez. Si l’on s’en tient à sa lettre, la fidélité à ce serment inviterait au contraire à voter contre cet article au motif que le discours présidentiel ne constitutionnalisait pas la déchéance et refusait de créer des apatrides.

Si on s’en tient au serment de Versailles et à la fidélité au discours du Président de la République, nous voterons la suppression de l’article 2. Je suis favorable à ce que l’on s’en tienne à ce discours et que l’on soit fidèle au serment du Président de la République et au cœur de son discours. À quoi s’est-il engagé ? À être le gardien exigeant, intransigeant de l’unité nationale.

M. Claude Goasguen. C’est pareil !

M. Benoît Hamon. Il s’est fait le garant exigeant de l’unité nationale.

M. Maurice Leroy. C’est réussi !

M. Benoît Hamon. Or que crée le débat sur l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution ? De la discorde. Alors qu’il faut de la concorde démocratique et que les Français se sont spontanément rassemblés après les attentats, le débat sur la déchéance de nationalité crée de la discorde. La lucidité, le bon sens et le sens des responsabilités invitent à une seule et unique démarche : reconnaître cette erreur, supprimer l’article 2 et soutenir l’amendement relatif à la déchéance nationale proposé par M. Olivier Faure. Il faut en tout cas ôter cet article du texte car il crée de la discorde, aujourd’hui à l’Assemblée nationale, demain au Sénat, et dans toute la nation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault, pour soutenir l’amendement n183.

Mme Valérie Rabault. Cet article soulève trois questions. Faut-il envisager de déchoir de leur nationalité des terroristes qui ont commis des actes contre la nation ? La réponse est oui et cela a déjà été fait. Faut-il inscrire la possibilité de la déchéance de nationalité dans la Constitution ? La réponse peut être oui, car l’article 34 de notre Constitution prévoit que la loi fixe les dispositifs et les règles concernant la nationalité. Par conséquent, inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution n’enlève rien aux dispositions prévues à l’article 34. Enfin, faut-il opérer une distinction entre les terroristes français et les terroristes français binationaux ? La réponse doit être non.

M. Patrick Mennucci. Cette question est réglée !

Mme Valérie Rabault. On ne saurait opérer une distinction et donc créer une inégalité entre les Français binationaux et les autres. Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé. Je remercie le Gouvernement d’en avoir déposé un visant à corriger ce point.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n193.

M. Jean-Luc Laurent. Par cet amendement, je propose en tant que député du mouvement républicain et citoyen la suppression de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Le droit actuel permet de déchoir de la nationalité française des personnes l’ayant acquise par déclaration ou naturalisation. L’article 25 du code civil interdit toutefois de créer des apatrides, et je veux à nouveau souligner que la création d’apatrides n’est pas digne d’une grande nation comme la France.

Notre pays ne se grandirait pas s’il cherchait à se défausser sur d’autres pays en fabriquant des apatrides dont beaucoup seraient impossibles à expulser. D’après une lettre que m’a adressée le Président de la République en réponse à un courrier lui exposant mon désaccord sur ce dispositif de déchéance, celle-ci permet d’assigner à résidence sans limitation de durée. Est-ce le but ultime de la réforme qui nous est proposée en termes de mesures d’éloignement, monsieur le Premier ministre ? Il me semble que cela mérite des précisions. À l’évidence, cette mesure manque son but symbolique et aura une portée pratique très limitée.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le député !

M. Jean-Luc Laurent. Il convient de préférer une peine pénale complémentaire de déchéance civique à un bricolage de notre droit de la nationalité qui met profondément en cause le principe d’égalité inscrit dans l’article 1er de notre Constitution.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n195.

M. Christian Paul. Bien sûr, le monde a changé et nous devons éclairer ces changements. Bien sûr, l’offensive terroriste est durable. Bien sûr, le départ pour la Syrie et l’Irak de centaines de jeunes Français est un phénomène exponentiel terriblement difficile à analyser, à comprendre et à combattre. Mais rien dans l’article 2 ne répond à ces changements. Je n’y vois pas un débat mesquin, pour reprendre vos termes, monsieur le Premier ministre. Je n’y vois pas non plus une dérive sécuritaire. Mais cet article n’est ni un message digne de la France ni un acte politique. C’est une illusion dangereuse, l’une de ces fausses pistes sur lesquelles parfois la politique s’égare au cœur des épreuves. La suppression de l’article 2 trouve ses motifs dans la rupture qu’il provoque avec des principes fondamentaux.

M. Malek Boutih. Faux !

M. Christian Paul. Dans sa version initiale, celle que le Sénat renverra d’ailleurs dans quelques semaines à l’Assemblée nationale, l’article 2 désigne les binationaux. Dans sa version actuelle, et je répète après d’autres que le discours du Président de la République à Versailles rejetait l’idée même de créer des apatrides, il constitue une rupture avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et avec des principes que René Cassin et les rédacteurs de ce texte ont fait inscrire dans ce texte fondamental.

M. Malek Boutih. Tout est un prétexte !

M. Christian Paul. L’ultime raison de ne pas conserver l’article 2, c’est qu’il est devenu un débat en lui-même, un débat qui divise le pays, qui divise la droite et la gauche. En cela, il ne sert pas l’unité nationale. Il est même devenu un obstacle à l’unité nationale.

M. Malek Boutih. On verra après le vote !

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Christian Paul. Si vous voulez vraiment retrouver le chemin de la cohésion perdue, monsieur le Premier ministre, il faudra trouver ensemble des solutions conformes à ce que notre démocratie possède de plus fort, c’est-à-dire ses principes et ses valeurs.

M. le président. La parole est à Mme Karine Berger, pour soutenir l’amendement n200.

Mme Karine Berger. Je ne suis pas d’accord avec ce que vient de dire M. Paul. La version actuelle de l’article 2 est celle qui a été initialement déposée, c’est-à-dire celle qui prévoit une éventuelle déchéance de nationalité des personnes nées françaises ayant une seconde nationalité.

M. Arnaud Richard. On n’y comprend plus rien !

Mme Karine Berger. Devons-nous inscrire la déchéance de nationalité dans notre Constitution ? Sans doute. La nationalité et par conséquent la déchéance de nationalité sont constitutives de la nation et qui dit constitutif dit Constitution. Mais devons-nous inscrire dans notre Constitution une différence entre les Français ? Non, et nous ne le ferons pas, conformément à ce que vous proposez, monsieur le ministre de la justice. Notre nation peut se définir de bien des façons, par son territoire, ses frontières, sa langue selon certains dont je suis, mais ce qui la constitue par-dessus tout, c’est le contrat politique selon lequel les Français sont égaux devant la loi et donc devant les peines, quelle que soit leur origine.

Il importe de distinguer parfaitement l’article 2 tel qu’il est à l’instant où je parle et l’article 2 tel qu’il sera une fois modifié par l’amendement du Gouvernement et que nous pourrons voter, car il ne s’agit pas du tout du même article. Il est fondamental de ne pas inscrire dans la Constitution une différence entre les Français selon qu’ils ont une nationalité ou deux. Par là même, nous disons au Conseil constitutionnel que toute loi passée ou future relative à la déchéance de nationalité prétendant différencier les Français en fonction de leur origine ne serait pas constitutionnelle. C’est une différence fondamentale. C’est pourquoi l’article 2 ne peut être voté en l’état, contrairement à l’article 2 modifié par l’amendement du Gouvernement qui disposera clairement que la déchéance de nationalité est une peine qui s’applique à tous ou à personne.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard, pour soutenir l’amendement n205.

M. Gilbert Collard. Le chemin du juriste doit être pavé de bon sens et il doit s’efforcer autant que possible d’exclure les passions, qui sont mauvaises conseillères. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Quiconque lit le code civil, pour peu qu’il en ait l’envie, se rend compte que toutes les questions relatives à la déchéance de nationalité sont réglées, quelle que soit la configuration.

M. Claude Goasguen. Bien sûr !

M. Gilbert Collard. Il est évident qu’on a du mal à comprendre pourquoi on veut intégrer l’article 2 dans la Constitution. J’ai une explication, qui ne va pas vous plaire, chers collègues de la majorité. Je crains fort qu’il ne s’agisse pas d’intégrer l’article 2 dans la Constitution mais que le Président de la République ne sache plus trop où se mettre après son serment impossible.

M. le président. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement n206.

Mme Fanélie Carrey-Conte. J’ai déposé cet amendement de suppression de l’article 2 car il faut en finir avec ce débat délétère qui nous a d’abord conduits à stigmatiser nos concitoyens binationaux et qui pourrait nous voir légitimer ce soir dans la Constitution, après adoption de l’amendement gouvernemental, la possibilité de créer des apatrides, ce à quoi le Président de la République et le Premier ministre se sont initialement opposés, faut-il le rappeler ! En inscrivant dans notre Constitution la déchéance de nationalité et la possibilité de créer des apatrides, nous irions à rebours, au sein de notre loi fondamentale, des engagements internationaux de la France visant à réduire les cas d’apatridie et de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Quel symbole montrerions-nous au monde ?

J’aimerais évoquer certains propos entendus sur ce point dans le débat public. On nous a parfois rétorqué que ce problème de l’apatridie n’était pas si grave, car cette mesure ne concernerait qu’une poignée de cas et uniquement des terroristes. Cet engrenage est selon moi pernicieux et contraire à ce que doit être la justice. On ne saurait justifier une mesure qui pose problème en matière de droits de l’homme en arguant qu’elle ne concernerait que quelques personnes et uniquement les coupables de certains actes, fussent-ils particulièrement horribles. Si l’on entre dans cet engrenage, tout peut être justifié.

Enfin, il est nécessaire de clore ce débat car il a malheureusement masqué les discussions que nous devons avoir sur les moyens d’accroître l’efficacité de la lutte contre le terrorisme qu’il faut comprendre, non pour l’excuser mais pour empêcher des parcours de basculement meurtrier. Il faut poser la question de la coordination des services de lutte contre le terrorisme, de l’organisation du renseignement et de l’association des citoyens à cette lutte contre le terrorisme. Voilà les discussions fondamentales qu’il faut avoir ! C’est pourquoi il faut sortir de ce débat néfaste et supprimer l’article 2.

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement n210.

M. Daniel Goldberg. La question a en effet été posée par le Premier ministre tout à l’heure : quel message le texte de loi dont nous avons commencé la discussion il y a maintenant plusieurs heures doit-il adresser à notre pays et plus largement au monde ? Les balles qui ont tué et blessé le 17 janvier 2015 et le 13 novembre dernier ont tué et blessé des femmes et des hommes, mais tous ces actes constituent une bombe à fragmentation lente pour notre société. C’est à cette attaque large et profonde de la société française que nous devons maintenant répondre. Dès lors qu’en novembre dernier toute la planète s’est couverte de bleu, de blanc et de rouge alors que de nombreux pays ont déjà été atteints par des actes de terrorisme, nous devons être plus grands que nous-mêmes.

Nous sommes ici la France rassemblée. La France est réellement la France lorsqu’elle est plus grande qu’elle-même, plus grande que ses frontières, plus grande que son économie, plus grande même que son rayonnement culturel ! J’évoquais hier, lors du débat sur l’article, le bas-relief qui est devant nous et qui représente la France parlant aux autres nations du monde. Voilà pourquoi nous devons répondre précisément au problème posé. Or le problème n’est pas la déchéance de nationalité en elle-même ! La déchéance de nationalité est inscrite aux articles 23-7 et 25 du code civil. Le problème est de savoir, dans le cas de binationaux nés Français dont l’autre nationalité n’est pas celle d’un pays avec lequel nous sommes en guerre, si nous devons faire peser sur cet autre pays une responsabilité particulière. Voilà pourquoi le message particulier de la France au monde et à elle-même est important. La réponse apportée aujourd’hui, consistant à considérer ces terroristes comme des franco-daéchiens, n’est pas la bonne.

M. le président. La parole est à M. Yann Galut, pour soutenir l’amendement n217.

M. Yann Galut. Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté avec grande attention votre intervention, et j’estime que vous avez apporté des arguments. Vous l’avez rappelé, notre objectif commun, lorsque le Président de la République s’est exprimé au Congrès et que nous l’avons tous applaudi, c’était le rassemblement et l’unité de la Nation. C’était aussi, et nous vous en donnons tous acte, monsieur le Premier ministre, l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la protection des Français – comme le mentionne le titre de ce projet de loi constitutionnelle.

La priorité, c’est l’article 1er, que nous avons voté hier massivement, et qui vise à inscrire l’état d’urgence dans la Constitution.

L’efficacité, c’est ce que vise le projet de loi dont nous débattrons prochainement, visant à renforcer la lutte contre le terrorisme et son financement et réformant la procédure pénale ; l’efficacité c’est ce à quoi tendent les mesures et les moyens supplémentaires décidés en matière de police et de gendarmerie.

Mais, il faut le reconnaître, cet article 2 divise. Il divise non seulement les bancs de la majorité mais également, dans sa nouvelle version, ceux de la droite. Il divisera aussi le Sénat, si nous adoptons la rédaction que vous nous avez proposée. La déchéance de nationalité a introduit de nombreux débats, qui n’ont pas encore trouvé leur terme, malgré les évolutions qui ont été les vôtres au cours de ces derniers jours.

Aujourd’hui, le débat part dans tous les sens et brouille les priorités que vous avez mises en avant – le rassemblement, l’unité, la protection des Français.

C’est pourquoi, plutôt que de nous diviser, l’amendement proposé par plusieurs de nos collègues et prévoyant une peine de déchéance nationale serait à même de nous rassembler.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La commission des lois a émis un avis défavorable sur ces amendements. Au cours de son travail, elle a recherché à la fois l’équilibre et l’union – l’équilibre dans la réponse proposée ; l’union d’un pays face aux attentats.

Nous avons d’abord cherché une sanction qui signifie que ceux qui massacrent leurs concitoyens s’excluent de la communauté nationale et, en filigrane, de l’humanité. Il agit de s’adresser non pas aux terroristes – des hommes et des femmes prêts à se faire sauter pour une cause invraisemblable ne sont pas à même d’entendre quoi que ce soit – mais à l’ensemble de notre pays.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Tous ceux qui se sont exprimés ici savent qu’une peine est destinée non pas uniquement à l’auteur du crime, mais aussi à la société, puisqu’elle rappelle les valeurs qui la fondent. Une peine c’est aussi, et avant tout, du lien social.

Comment avons-nous travaillé à cet équilibre ? Une fois ces amendements rejetés, je vous donne rendez-vous aux amendements nos 48 et 63, qui ont été adoptés par la commission des lois. La sanction prévue par ces amendements concerne tous les terroristes, quel que soit le mode d’acquisition de la nationalité. Par ailleurs, la personne peut être déchue de la nationalité française, ou des droits attachés à celle-ci, ce qui permet une modulation. Enfin, cette sanction doit être prononcée par le juge en même temps que la condamnation pénale, ce qui nous fait revenir dans le droit commun du prononcé des peines. En ce sens, il s’agit d’une peine complémentaire.

La déchéance peut être prononcée à l’encontre de toute personne, quel que soit le mode d’entrée dans la nationalité. C’est pourquoi nous proposons de ratifier la convention de 1961, qui prévoit la possibilité de créer des apatrides en cas de crime extrêmement grave. Il nous appartiendra, enfin, de définir quels sont les crimes et les délits qui justifieront le prononcé d’une telle sanction.

Cette décision est équilibrée, car elle abolit dans le même temps les différences entre binationaux : désormais, les naturalisés seront traités de la même façon que l’ensemble des citoyens français.

M. Patrick Mennucci et M. Dominique Baert. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Enfin, cette disposition est efficace, moins parce qu’elle dissuade les terroristes que parce qu’elle complète la peine principale d’enfermement et permet de suivre les terroristes après leur sortie de prison. Ne nourrissons pas d’espoirs ou d’illusions insensées : les expulsions du territoire seront très peu nombreuses, mais l’on pourra surveiller et imposer des obligations aux condamnés, après leur libération.

Je vous rappelle les chiffres, ils nous ramènent à la réalité : en vingt-cinq ans, vingt-deux déchéances de nationalité ont été prononcées. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement.

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai déjà donné la position du Gouvernement il y a un instant. Je serai donc bref. Je veux rappeler qu’il existe des personnes expulsables, mais qui ne peuvent être expulsées en raison de conventions ou d’un avis de la CEDH et qui sont assignées à résidence. Dans quelques années, la France, comme d’autres pays européens, sera amenée à expulser des terroristes ayant purgé leur peine, même si, et nous le souhaitons pour des raisons évidentes, il ne s’agira que d’une poignée de personnes.

Chacun l’a bien à l’esprit, cette disposition ne concerne que des terroristes, condamnés pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. D’aucuns ont utilisé le terme « stigmatiser », très en vogue, mais il s’agit bien là de terroristes ! La seule différence que je fais, le seul élément inégalitaire que j’accepte – parce que l’article 1er de la Constitution s’applique pleinement et à toutes les lois – c’est entre les terroristes et les Français. Voilà la différence fondamentale ! En faisant ce choix, conforme à la tradition républicaine de la France, nous disons que c’est la Nation qui accomplit cette séparation, et non les terroristes qui l’imposent.

M. Malek Boutih. Bravo !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est pour cela que nous défendons l’article 2, dans la nouvelle rédaction que nous proposons.

Par ailleurs, en tant que Premier ministre, je suis toujours gêné quand le Président de la République est mis en cause dans cet hémicycle. Non pas que le Président de la République soit au-dessus de tout – comme ses prédécesseurs, il est soumis à une forte critique, et c’est le jeu de la démocratie – mais ceux qui m’ont précédé dans cette fonction comprendront parfaitement que je réponde à ceux qui ont laissé entendre que ce dont nous débattons ne correspond pas à ce que la Président de la République a dit au Congrès.

C’est seulement trois jours après les attentats que le Président de la République s’est adressé au Parlement réuni en Congrès à Versailles. Il y a annoncé non seulement les mesures de soutien aux forces de l’ordre, de sécurité, et à nos armées, mais aussi cette révision constitutionnelle. C’est en cela que cette révision n’a rien à voir avec une réforme constitutionnelle classique, préparée par une commission spéciale, en général présidée par un ancien Premier ministre, un sage ou un constitutionnaliste. En cherchant le rassemblement et l’unité, le Président adressait un message aussi bien au Parlement qu’à la Nation tout entière. Il était alors pleinement dans son rôle de chef de l’État.

Ensuite, comme cela avait été annoncé, le Conseil d’État a été consulté. Monsieur Hamon, la parole du Président de la République ne se divise pas ! Celui-ci s’est exprimé le 16 novembre, puis le 23 décembre, en conseil des ministres, et il y a quelques jours, lorsque j’ai présenté les projets des textes de lois qui accompagneront les articles 1 et 2. C’est cet engagement, cette parole, ce serment que je défends !

Les amendements de suppression de l’article 2, tout comme ceux qui visent à substituer à l’idée de déchéance de nationalité une autre forme de déchéance ne correspondent pas à l’engagement du Président de la République. C’est le rôle du chef du Gouvernement que de dire que l’on ne peut jouer avec la parole présidentielle. C’est ce que j’ai voulu faire, en rappelant encore une fois cet engagement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour répondre à la commission.

M. Guy Geoffroy. Je me permettrai, si vous m’y autorisez, monsieur le président, de répondre à la fois à la commission et au Premier ministre. Sur le fond, je l’ai déjà dit et je ne suis pas le seul : il est inutile d’inscrire dans la Constitution ce qui y figure déjà – je n’insisterai pas.

Permettez-moi malgré tout, avec le respect que j’ai pour votre fonction et pour votre personne, monsieur le Premier ministre, de signaler le caractère assez surréaliste de la position que vous venez de défendre sur le sujet dont nous allons nous saisir par notre vote. Nous sommes en train d’examiner le texte du 23 décembre, qui a été soumis à la commission. Des amendements ont été présentés, ils n’ont pas été adoptés à proprement parler puisque la commission, en matière constitutionnelle, ne légifère pas. Aujourd’hui, en séance publique, nous sommes appelés à nous prononcer sur des amendements à un texte dont vous avez décidé avec le Président de la République qu’il n’était pas celui que vous souhaitiez voir aboutir. La logique, monsieur le Premier ministre, serait que vous nous encouragiez à voter les amendements de suppression d’un texte dont vous ne voulez pas ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.)

Si vous voulez faire preuve de cohérence et d’un minimum de sérieux sur cette révision constitutionnelle, changez d’avis, et demandez à la représentation nationale de voter ces amendements !(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quel sophisme !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je voudrais commencer par là où M. Geoffroy vient de terminer, pour dire que je me félicite qu’en commission des lois, le dialogue entre opposition, Gouvernement et majorité ait pu aboutir à une nouvelle rédaction. Comme nous discutons d’un projet de loi constitutionnel, il n’y a pas de texte de la commission. Il faut donc rejeter ces amendements de suppression pour continuer à discuter de ce qui a été vu en commission.

Ensuite, je voudrais dire, à l’attention de l’Assemblée, que la déchéance de nationalité existe déjà dans notre code civil. (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. Enfin !

M. Bruno Le Roux. Le débat montrera que l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution apporte des garanties supplémentaires en matière de droit, notamment avec la présence du juge.

Par ailleurs, cet article concerne les terroristes, ceux qui brûlent leurs papiers et renient leur nationalité, ceux qui attaquent nos concitoyens sur notre territoire. L’acte républicain que nous allons accomplir fera qu’il ne viendra à l’idée de personne qu’il puisse y avoir des traitements différents en matière pénale ou en matière de nationalité selon l’origine du terroriste, car cela ne concerne que ceux qui auront été condamnés pour terrorisme.

Enfin, la situation de guerre que connaît notre pays et la pleine conscience de notre rôle de constituant n’empêchent pas le respect de la fonction et des engagements du Président de la République. Nous pouvons légiférer dans la sérénité et la clarté sans mettre en cause devant nos concitoyens les engagements de celui qui, le 13 novembre au soir, a su s’adresser à la Nation alors qu’elle était touchée, de celui qui, le 16 novembre, a fait que nous nous sommes levés. Nous nous sommes levés pour saluer les engagements qui venaient d’être pris, mais aussi pour montrer au monde le respect que nous avions de la fonction présidentielle, incarnée dans ce moment difficile par François Hollande.

M. Christian Jacob. N’en faites pas trop !

M. Bruno Le Roux. La pleine conscience de ce que nous sommes ici peut nous conduire à respecter les engagements du Président, et donc à rejeter les amendements de suppression de l’article 2. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le Premier ministre, vous vous étiez engagé à nous communiquer l’avant-projet de loi d’application relatif à cet article 2. Tout le monde l’avait forcément demandé, puisqu’il n’y a rien dans le texte actuel si ce n’est un « y compris » excellemment développé par Patrick Devedjian. Tout sera dans la loi d’application qui se votera à la majorité simple et non à la majorité qualifiée.

Vous avez respecté cet engagement, puisque vous nous avez communiqué l’avant-projet de loi d’application mais, manifestement, cet avant-projet de loi n’est plus d’actualité puisqu’il prévoyait expressément l’exclusion de l’apatridie. Nous discutons en effet depuis un certain temps de la possibilité de créer des apatrides, ce qui est nouveau.

J’en conclus donc assez simplement que nous ne sommes plus en possession du bon texte.

M. Guy Geoffroy. On ne se prononce pas sur le bon article et ce n’est pas le bon texte !

M. Philippe Houillon. Par conséquent, pour respecter cet engagement que vous avez pris et que vous avez commencé à honorer, vous devez nous indiquer si un autre texte a été écrit et si tel n’est pas le cas, pourquoi. Rappelez-nous également les engagements que vous avez pris devant le groupe majoritaire s’agissant de la loi simple qui sera ensuite votée à la majorité simple.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous ne m’avez pas écouté, je l’ai déjà dit !

M. Philippe Houillon. Je vous ai parfaitement écouté tout à l’heure.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je l’ai dit hier !

M. Philippe Houillon. En tout état de cause, nous n’avons pas de texte d’application. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Le Premier ministre, monsieur Houillon, a répondu vendredi à la question que vous posez aujourd’hui, et ses propos étaient très clairs. Mes chers collègues, je m’explique mal un certain paradoxe. C’est au moment où, grâce à la co-construction avec le groupe socialiste, républicain et citoyen, le Gouvernement entend ne plus distinguer, au sein de notre législation, entre les Français selon qu’ils sont nés Français ou qu’ils ont acquis la nationalité française, au moment où le Gouvernement propose de supprimer la distinction actuelle entre les Français binationaux et mononationaux, que s’insurgent ceux qui se sont tus pendant dix-huit ans, depuis que la loi Guigou de 1998, sous le Gouvernement Jospin, a autorisé la déchéance de la nationalité selon des critères que nous ne jugeons pas assez protecteurs du droit puisque c’est le ministre de l’intérieur, après avis du Conseil d’État, qui prend la décision, sans intervention du juge.

M. Malek Boutih. Il a raison !

M. Patrick Mennucci. C’est au moment où le Gouvernement engage, à la demande du groupe majoritaire, une discussion très ouverte – ce dont nous remercions le Premier ministre et le Président de la République – que des députés ne veulent plus rien entendre.

Il est évident que nous ne pourrons voter l’amendement retenu par la commission des lois, qui permet de prendre les mesures que je vous ai résumées, qu’à condition de rejeter les amendements de suppression de l’article.

M. Guy Geoffroy. C’est justement l’inverse !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Si l’on en croit les derniers rebondissements du feuilleton de l’inscription de la déchéance de nationalité dans notre Constitution, il semblerait que l’exécutif ait enfin réalisé que la création de deux catégories de Français portait gravement atteinte aux valeurs de notre République. Tant mieux, nous nous en félicitons !

Pour autant, malgré cette prise de conscience tardive et la nouvelle rédaction qui autorise de fait la création d’apatrides, contrairement d’ailleurs aux déclarations du Président de la République à Versailles, nous voterons les amendements de suppression de cet article qui vise à inscrire la déchéance de nationalité dans notre Constitution.

J’invoquerai plusieurs raisons. Tout d’abord, une telle disposition est inefficace – tout le monde l’a dit. Par ailleurs, le flou persiste sur le régime de la déchéance qui sera fixé par la loi si cette réforme constitutionnelle venait, hélas, à être adoptée. Enfin, et surtout, parce qu’une telle disposition porte atteinte à nos valeurs démocratiques, celles de l’État de droit et de la République, celles de l’article 1er de la Constitution ainsi que de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, parce qu’elle signe finalement un véritable renoncement devant la violence terroriste, ce que nous ne pouvons accepter.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Duflot.

Mme Cécile Duflot. Monsieur le Premier ministre, j’ai entendu votre réponse aux amendements de suppression. Elle s’appuie presque exclusivement sur l’intervention du Président de la République à Versailles, ce qui m’amène à penser que l’une des difficultés auxquelles nous faisons face tient à la solennité de ce discours. Pourquoi le Président de la République a-t-il pu parler à Versailles ? Parce qu’une révision constitutionnelle a été adoptée en 2008. Or, les parlementaires de gauche, à l’exception d’un certain nombre, s’étaient opposés à cette révision pour de bonnes raisons dont l’une, majeure, qui nous aurait évité cette situation, avait été très bien expliquée par un membre de votre gouvernement.

« Le fait, pour le Président de la République, de venir s’adresser à des parlementaires sagement assis, l’écoutant avec tout le respect requis sans même pouvoir débattre en sa présence, revient à infantiliser le Parlement. Nous ne pouvons pas l’accepter. Si cette disposition était adoptée, la France serait le seul État démocratique au monde où le chef de l’exécutif pourrait s’exprimer devant le Parlement et donc faire pression sur les parlementaires en conservant le droit de dissolution, tout en restant, lui, irresponsable. » Cet argumentaire est de M. André Vallini, et il avait raison. Je comprends l’embarras de mes collègues socialistes, et je le partage, face à un discours aussi solennel auquel le Parlement ne peut réagir. C’est pourquoi une grande majorité des écologistes votera ces amendements de suppression.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour un rappel au règlement.

M. Pierre Lellouche. Mon intervention se fonde sur l’article 58, alinéa 1, de notre règlement. La question mérite d’être posée avant le vote sur les amendements de suppression. Monsieur le Premier ministre, vous avez changé d’avis au sujet de l’apatridie, qui est réintroduite dans votre texte, bien que nous n’ayons toujours pas la dernière version du projet de loi d’application. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Quelle sera votre position, monsieur le Premier ministre, sur la convention de l’ONU de 1961, notamment le troisième paragraphe de son article 8, qui prévoit l’apatridie dans un certain nombre de cas, en particulier quand un national prend les armes ou agit de manière contraire à l’allégeance qu’il doit à son État ? C’est la question que je vous posais tout à l’heure et elle n’est pas anodine. Entendez-vous maintenir les réserves introduites à l’époque par le général de Gaulle lors de la signature de la convention de 1961, auquel cas l’apatridie est possible ? La ratification ne changera rien à l’apatridie que vous entendez introduire dans notre droit.

M. le président. Ce rappel au règlement est un cavalier !

Article 2 (suite)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18, 19, 22, 24, 72, 73, 75, 80, 81, 83, 88, 89, 93, 98, 107, 119, 126, 129, 130, 131, 167, 183, 193, 195, 200, 205, 206, 210 et 217.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants317
Nombre de suffrages exprimés294
Majorité absolue148
Pour l’adoption118
contre176

(Les amendements identiques nos 18, 19, 22, 24, 72, 73, 75, 80, 81, 83, 88, 89, 93, 98, 107, 119, 126, 129, 130, 131, 167, 183, 193, 195, 200, 205, 206, 210 et 217 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 180, 173, 221, 207 et 220, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Christophe Léonard, pour soutenir les amendements nos 180 et 173.

M. Christophe Léonard. L’indignité nationale a été créée par l’ordonnance du 26 août 1944, sous le gouvernement provisoire de la République française, avant d’être abrogée en 1951 par une loi d’amnistie.

De fait, la sanction la plus appliquée à la Libération ne fut pas la peine capitale mais la mort civique pour crime d’indignité nationale, sanctionnant 50 000 personnes ayant apporté leur soutien au régime de Vichy, à l’Allemagne et à ses alliés.

Dès lors, rétablir aujourd’hui la peine d’indignité nationale contre les crimes terroristes, c’est opérer un vrai choix. Préférer l’indignité nationale à la déchéance, c’est aussi considérer, au-delà des modalités de mise en œuvre de la déchéance qui posent question au regard du droit international, qu’une sanction, aussi lourde soit-elle, ne saurait s’inscrire dans une forme de déni de responsabilité de la société française tout entière, et singulièrement de ses gouvernants.

Un terroriste français, qu’il ait une ou deux nationalités, est un criminel abject dont les meurtres doivent être sanctionnés avec la même égalité et la même sévérité. Ces actes sont indignes de la nationalité qu’il porte mais il n’en demeure pas moins Français. Or, comme l’a souligné Marcel Gauchet, pour bien combattre un adversaire, il faut le connaître et en expliquer sa nature. Aussi, prétendre le déchoir de sa nationalité et ne pas vouloir élucider les mécanismes qui ont conduit cet enfant de la République à prendre les armes contre ses compatriotes, c’est, ni plus ni moins, évacuer le traitement des causes, baisser la garde et regarder de côté plutôt que d’affronter le problème en face.

Mes deux amendements tendent par conséquent à substituer à l’inefficacité et au déni de la déchéance une peine complémentaire additionnelle d’indignité nationale, prononcée par le juge, frappant à l’identique tous les terroristes sans exception, consistant à priver les individus reconnus coupables de crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation de droits tels que les droits civiques, sociaux ou familiaux, mais aussi à confisquer leurs biens.

L’indignité nationale n’est pas une excuse ; c’est au contraire l’amorce civique et symbolique frappant à l’identique tous les terroristes français sans exception, sans faux-fuyant et en responsabilité, condition de l’unité nationale.

M. le président. La parole est à M. Yann Galut, pour soutenir l’amendement n221.

M. Yann Galut. Avec votre permission, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement n220. Avec d’autres collègues, nous avons déposé des amendements similaires qui tendent à nous sortir de l’impasse dans laquelle la déchéance de nationalité nous place.

Je salue les progrès du Gouvernement et la nouvelle écriture de l’article 2. Dans un premier temps, les binationaux étaient seuls visés. Dans un second temps, nous avons supprimé toute référence aux binationaux mais au final, les lois d’application n’auraient concerné que les binationaux.

Aujourd’hui, après que le Premier ministre s’est déclaré opposé à la création d’apatrides, nous nous dirigeons vers la possibilité de créer des apatrides en ratifiant la convention de 1961 et son article 8. Le débat n’est pas clair même s’il sera renvoyé à un juge. On peut aussi se demander si, quand le juge examinera les dossiers, il n’y aura pas, là encore, une différence de traitement entre les Français et les Français binationaux ?

Il y a donc un intérêt à trouver un dispositif fort qui manifeste que les terroristes n’ont plus leur place dans la Nation, sans pour autant verser dans le type de débat que soulèvent la déchéance de nationalité et le risque de créer des apatrides.

Pour cette raison, nous souhaitons avec nombre de collègues substituer à la déchéance de nationalité soit l’indignité civique, soit la déchéance citoyenne. Nous pourrions ainsi nous rassembler en instituant une réelle égalité de traitement à l’égard de ceux qui prennent les armes contre la France.

Bref, je vous invite à approuver ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Olivier Faure, pour soutenir l’amendement n207.

M. Olivier Faure. Nous y sommes donc, mes chers collègues. Après plusieurs mois de débat, nous allons nous prononcer sur l’article 2. Ce débat aura été long, mais il n’a été ni médiocre ni inutile, car il porte sur les principes de notre rapport à la Nation et de notre conception de la nationalité.

Au terme d’un cheminement qui est forcément personnel, propre à chacun, il nous appartient donc de nous prononcer. Je ne reviens pas sur le débat de fond : chacun s’est désormais forgé sa propre conviction. Je veux me placer sur un autre terrain, celui de l’opportunité, qui n’est pas forcément celui de l’opportunisme.

Nous faisons face à un ennemi commun qui se nourrit de nos faiblesses. C’est pour cette raison que nous devons inlassablement rechercher l’unité dans la lutte contre le terrorisme.

Disons-le franchement, l’exercice n’est pas encore pleinement réussi. Certes, il existe une majorité des trois cinquièmes pour constitutionnaliser l’état d’urgence. Sur la déchéance de nationalité en revanche, en dépit des efforts réels et constants du Gouvernement pour rapprocher les points de vue, la gauche demeure divisée et la droite ne l’est pas moins. C’est précisément ce que nous devrions éviter.

Nous en arrivons même à un paradoxe : certains de ceux qui ont jusqu’à présent soutenu la déchéance de nationalité s’apprêtent à voter contre, tandis que ceux qui l’ont toujours combattue s’engagent à voter pour.

M. Éric Straumann. Oui, on n’y comprend plus rien !

M. Olivier Faure. Sur le fond, la gauche refuse l’idée que les binationaux soient les seuls à pouvoir être déchus ; sur le fond également, la droite récuse l’idée que les mononationaux soient les seuls à devenir apatrides. C’est insoluble !

La Constitution devrait toujours traduire une pensée forgée, équilibrée, aboutie. Cela n’a pas toujours été le cas, certes. Mais aujourd’hui, sur un sujet comme celui-là et dans un moment comme celui-là, elle devrait justement traduire notre pensée commune. L’unité ne peut être la victoire d’un camp sur un autre, ce ne peut être que notre victoire commune.

C’est pourquoi, avec soixante-seize de nos collègues, nous avons recherché ce qui pouvait être notre dénominateur commun, afin qu’aucun d’entre nous n’ait l’impression de se trahir et que chacun, par son vote de demain, ait le sentiment de participer à une unité qui soit le symbole éclatant de notre force face aux séides de Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Sur l’amendement n207, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

L’amendement n220 a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements en discussion commune ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. C’est un avis défavorable, monsieur le président. La recherche de l’unité, c’est un travail que nous avons effectué au sein de la commission des lois. Elle passe par cette procédure de déchéance de nationalité qui, assortie de toutes les modalités exposées précédemment, est à même de garantir l’union.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet naturellement un avis défavorable, pour les raisons déjà exposées par M. le Premier ministre.

Je me contenterai de rappeler le raisonnement qui a prévalu pour aboutir à l’amendement que le Gouvernement a présenté à la commission des lois. Il nous faut combattre le terrorisme par le droit commun. Créer une peine spéciale serait reconnaître aux terroristes une spécificité qu’il faut au contraire leur nier. Ceux que nous combattons, ceux qui veulent nous détruire sont juste des criminels. Et comme ce sont des criminels, il faut les combattre par le droit pénal. (Approbations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

La proposition du Gouvernement vise à transférer la déchéance de nationalité du code civil, où elle figurait à l’article 25, au code pénal, niant ainsi toute autre qualité que celle de criminel.

J’ajoute qu’il convient d’être modéré en matière de rappels historiques. J’ai eu l’occasion, alors que j’exerçais d’autres responsabilités, de travailler sur la notion d’indignité nationale. On peut en admettre le principe, mais cette notion-là est précisément datée de 1944. Pour des raisons nobles d’ailleurs, mais qu’il faut rapporter à la totalité de ce que fut l’indignité nationale, en particulier le fait qu’elle tendait à être rétroactive, qu’elle était prononcée par des juridictions extraordinaires, les sections spéciales, et qu’elle visait, comme l’écrivait Camus, « ceux qui ont su trahir leur pays sans cesser de respecter la loi ». Nous ne sommes pas dans ce cas.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

M. Pascal Popelin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Olivier Faure, porte-parole du parti socialiste et vice-président du groupe SRC, exposer avec fougue toutes les raisons qui existeraient de rejeter le texte proposé par le Gouvernement. Alors qu’une certaine confusion s’empare progressivement de l’hémicycle, je voudrais pour ma part réaffirmer une conviction : tout Français qui tue un Français parce qu’il est français ne mérite pas d’être français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Guillaume Larrivé. Oui, il faut inscrire dans la loi fondamentale de la République le principe de la déchéance de nationalité pour les terroristes condamnés ! Les Français nous regardent. Alors, quelles que puissent être les arrière-pensées qui parfois, sur divers bancs, se dessinent, il me paraît nécessaire de réaffirmer avec force une conviction qui doit nous transcender et nous rassembler. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Avec l’autorisation du professeur Schwartzenberg – son autorisation bienveillante, même, car mon intervention ne correspondra pas exactement à la position de notre groupe –, je me permets de dire que, de quelque manière que l’on envisage le débat, l’amendement de M. Faure et les autres amendements en discussion commune présentent un inconvénient majeur de procédure : leur adoption ferait tomber l’amendement n63 du Gouvernement, lequel replace le débat dans les termes où il doit être posé.

Dès lors, même en étant animé des meilleures intentions du monde, on risque d’échapper au débat par le biais d’une argutie de procédure. J’estime au contraire que nous devons aller au fond des choses. Et comme, pour ma part, je soutiendrai l’amendement n63, je me vois dans l’obligation de rejeter ces amendements. (Approbations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Je crois que l’amendement d’Olivier Faure repose en partie sur un contresens. En effet, si nous acceptions le dispositif qu’il nous propose, nous nous retrouverions dans une situation où la Constitution instaurerait une peine de déchéance nationale et où la loi ordinaire, inchangée, continuerait de prévoir la peine de déchéance de nationalité. Il y a là une contradiction absolue !

Je ne doute pas de votre volonté résolue de trouver une solution, mon cher collègue. Mais si d’aventure nous votions cet amendement, nous nous enfoncerions dans une situation où seuls les binationaux seraient passibles d’une éventuelle déchéance de nationalité. Je sais, bien sûr, que ce n’est pas votre position de fond, mais l’adoption de votre amendement nous conduirait à créer une peine de déchéance nationale dans la Constitution tout en maintenant, dans la loi Jospin de 1998, la déchéance de nationalité applicable aux seuls binationaux ayant acquis la nationalité française.

Il faut donc, j’en suis persuadé, rejeter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bricout.

M. Jean-Louis Bricout. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite intervenir en soutien de l’amendement d’Olivier Faure, que j’ai cosigné.

Je le réaffirme, car on ne le dit pas assez : après les terribles attentats du mois de novembre, le Président de la République a été à la hauteur. Il a eu raison de réunir le Parlement en Congrès.

J’ai beaucoup entendu dire que, si nous nous étions levés à la fin de son intervention, c’est que nous approuvions le principe d’une inscription du principe de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Or, si nous nous sommes levés, ce n’est pas par adhésion directe à cette proposition, mais bien parce que nous avons voulu répondre collectivement à ce désir d’union exprimé par le Président, que nous ressentions tous et toutes à ce moment précis.

Avec du recul et au vu de l’intensité de nos débats, force est de constater que ces trois mots, « déchéance de nationalité », sont de trop. Dans chaque camp, ils nous divisent plus qu’ils ne nous rassemblent. Pourtant, cette union est de notre devoir. C’est une impérieuse nécessité que de dégager une voie de compromis qui ne divise pas, qui ne clive pas, une voie où toutes les frustrations se trouveront effacées, une voie qui nous rassemble.

Les Français nous demandent autre chose. Leur vœu est celui du Président : que nous soyons unis sur tous les bancs face aux terroristes. Sachons entendre cette demande et sachons y répondre !

Il me semble plus raisonnable de défendre ce qui peut nous unir que de s’entêter à entretenir nos divisions. C’est pour cette raison que je soutiens l’inscription de la déchéance nationale dans notre Constitution. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. À ce stade de la discussion, nous avons besoins de certaines clarifications. J’aimerais, monsieur le Premier ministre, avoir une réponse précise au sujet de la convention des Nations unies de 1961.

M. Pierre Lellouche. Cela fait trois fois que nous vous posons la question !

M. Serge Grouard. Vous avez dit, en réponse aux interventions sur l’article, que cette convention réduisait les cas d’apatridie. Or elle ne les réduit pas, puisqu’elle exclut l’apatridie, sauf exceptions prévues notamment dans son article 8. C’est bien là tout le problème !

Vous prévoyez néanmoins de proposer la ratification de ce texte. Si le Parlement autorisait cette ratification, je me permets de rappeler que, puisqu’il s’agit de droit international, la convention aurait une valeur supérieure à la Constitution.

M. Sébastien Denaja. Mais non !

M. Serge Grouard. Bien sûr que si, mon cher collègue ! Le droit international a une valeur supérieure au droit interne, Constitution comprise. (Protestations sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pierre Lellouche. C’est pourtant évident !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Serge Grouard. Aussi, monsieur le Premier ministre, proposerez-vous d’assortir la ratification de la convention de réserves qui permettraient de retrouver effectivement la possibilité de créer des cas d’apatridie, donc d’appliquer la déchéance de nationalité aux nationaux, et pas seulement aux binationaux ?

En outre, la procédure suppose une loi autorisant la ratification. Allez-vous déposer un tel projet de loi, qui sera voté à la majorité simple, et avec quelles réserves au sujet de la convention de 1961 ?

Bien que ces questions soient sous-jacentes à l’ensemble de nos débats, aucun éclairage n’y est apporté pour l’instant. J’aimerais avoir une réponse très précise sur ces deux points.

M. Pierre Lellouche. Nous vous avons posé la question trois fois, monsieur le Premier ministre !

M. Patrick Mennucci. Il vous a déjà répondu dix fois, monsieur Lellouche !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues… Nous avons des échanges sereins : je vous invite à poursuivre dans la même tonalité.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je comprends la démarche de ceux qui ont déposé un amendement visant à inscrire dans la loi l’indignité nationale. Pour autant, dans la logique de la position qui est la nôtre depuis le début de ce débat, il semble évident que nous ne pouvons pas voter ces différents amendements.

En effet, nous exprimons depuis le début du débat notre opposition globale et frontale à cette réforme constitutionnelle. Nous avons eu l’occasion d’argumenter et d’expliquer pourquoi nous considérions qu’il n’était pas nécessaire de réformer la Constitution. J’ai même dit, hier, que nous étions en train de rédiger une Constitution bavarde, une Constitution émotionnelle, une Constitution improvisée.

M. Guillaume Larrivé. C’est vrai !

M. André Chassaigne. De ce fait, alourdir davantage encore la Constitution en ajoutant une peine de substitution pour atténuer la déchéance de nationalité serait en contradiction avec la position que nous adoptons depuis le début de l’examen de ce texte. C’est pour cette raison que nous n’avons déposé aucun amendement sur le texte, même si nous avons soutenu les amendements de suppression. Nous ne pouvons pas voter un amendement inscrivant l’indignité nationale dans la loi, puisque nous considérons que notre arsenal pénal suffit largement pour lutter contre les terroristes.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, un certain nombre d’entre nous se sont prononcés en faveur de la suppression pure et simple de l’article 2.

Nous avons entendu les arguments que nous a fort bien présentés notre collègue Olivier Faure pour soutenir ce qui est un amendement de repli par rapport à ce que nous n’acceptons pas, à savoir la déchéance de nationalité.

Mais, comme notre collègue Chassaigne, je fais partie de ceux qui refusent ce texte dans sa globalité, aussi bien l’article 1er et la constitutionnalisation de l’état d’urgence que la déchéance de nationalité.

Il faut être cohérent. On ne peut pas accuser le Gouvernement de procéder à des bricolages, jour après jour, sans savoir où il va et en semant la confusion, dans ses rangs comme dans les rangs de la droite et de l’ensemble de la gauche, et en même temps cautionner une opération de repli. Il ne s’agit pas du tout de remettre en cause la qualité de l’amendement de notre collègue Olivier Faure, mais pour ce qui me concerne – car une partie de mon groupe agira différemment – je procéderai de la même manière que M. Chassaigne.

M. Malek Boutih. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je voudrais exprimer mon accord avec l’amendement déposé par Olivier Faure et plusieurs de ses collègues, car il rejoint une idée que nous avons souvent défendue depuis environ deux mois et qui consiste à nous fonder sur l’article 131-26 du code pénal qui prévoit l’interdiction des droits civiques, civils et de famille.

Nous considérons, au sein de notre groupe, qu’il est préférable de nous fonder non pas sur le critère de la nationalité, mais sur celui de la citoyenneté. Par conséquent, la sanction adéquate pour ces terroristes est la privation des droits civiques, quelle que soit la façon dont on la nomme – déchéance civique, déchéance nationale ou dégradation civique.

La peine relative à l’infraction d’indignité nationale portait le nom de dégradation nationale, mais un rapport d’information a soutenu, peut-être à tort, que la notion d’indignité nationale n’était pas utilisable.

M. Pierre Lellouche. Ce rapport a raison !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La courtoisie qui nous inspire, comme toujours, nous empêche de recourir à ce concept qui a été stigmatisé par M. Jean-Jacques Urvoas lorsqu’il était encore président de la commission des lois. Ayant un comportement civilisé, nous ne recourons donc pas au concept d’indignité nationale, qui eût pourtant été utile. C’est une raison de plus, pour nous, de soutenir l’amendement d’Olivier Faure, qui correspond à notre analyse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

(Les amendements nos 180, 173 et 221, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n207.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants275
Nombre de suffrages exprimés253
Majorité absolue127
Pour l’adoption108
contre145

(L’amendement n207 n’est pas adopté.)

(L’amendement n220 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de nombreux amendements pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour soutenir l’amendement n79.

M. Jean-Marc Germain. Cet amendement, rédigé dans le même esprit que les précédents, vise à substituer à une peine de déchéance de nationalité une peine de déchéance de citoyenneté, même si ce mot ne figure pas dans l’amendement.

Je suis sensible, pour ma part, à l’idée de symbole. Face à cette flétrissure que sont les actes commis par les terroristes vis-à-vis de la République française, il faut trouver une solution, mais une solution qui nous réunisse tous. Si nous ne voulons créer ni apatrides ni discriminations entre Français, il faut opter pour la déchéance de citoyenneté.

Notre collègue Houillon a soulevé une vraie difficulté en disant que la Constitution, ce ne sont pas nos discussions ni les textes de loi d’application déposés par le Gouvernement, mais ce que nous autorisons pour l’avenir. Or, que ce soit dans le texte initial du Gouvernement ou dans l’amendement qu’il va nous proposer, la déchéance de la nationalité ou des droits attachés à celle-ci crée une discrimination entre les binationaux et les autres. Je refuse cette discrimination. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n190.

M. Jean-Luc Laurent. Le présent amendement vise à substituer à la déchéance de nationalité une peine perpétuelle de déchéance civique, plus respectueuse du principe d’égalité devant la loi et symboliquement beaucoup plus forte.

Comme l’ont fait remarquer de nombreux juristes, hommes politiques et citoyens, le code pénal offre les solutions juridiques les plus adaptées pour réprimer en droit des actes de terrorisme. Il apparaît nécessaire de modifier ces dispositions pour les renforcer et les rendre perpétuelles afin que la réponse républicaine à l’encontre des auteurs d’actes terroristes soit exemplaire. Il convient donc de durcir les peines applicables pour la commission d’actes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

J’ajoute que la déchéance civique, lointaine héritière de l’atimia grecque, cet ostracisme sans bannissement, devrait être inscrite dans le droit pénal comme une peine complémentaire affectant les droits civiques, sociaux et familiaux. Elle se traduirait également par des incapacités et des mesures confiscatoires visant les biens.

Cette solution présenterait plusieurs avantages : elle donnerait à la réponse républicaine une puissance symbolique forte, s’appliquerait à l’ensemble des condamnés, n’engendrerait pas le bannissement du territoire de la personne condamnée, et de ce fait n’entraverait pas le travail des services de contre-terrorisme. Enfin, elle ne créerait ni difficultés ni tensions diplomatiques en dispensant de rechercher un pays d’extradition.

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin, pour soutenir l’amendement n71.

M. Denis Baupin. Cet amendement, que j’ai déjà défendu en commission, a été rédigé dans le même état d’esprit que ceux qui ont été défendus il y a quelques instants par plusieurs de nos collègues, même s’ils ont été rejetés par le dernier scrutin.

Nous avons bien compris que cet article 2 est une mesure emblématique dont le but prioritaire n’est pas d’être efficace, mais de dire clairement qu’une personne qui commet des actes de terrorisme ne peut plus appartenir à la communauté nationale.

Pour autant, nous avons le sentiment, et nous l’avons exprimé à de nombreuses reprises, que toucher à la nationalité ouvre une voie dangereuse qui pourrait entraîner des conséquences compliquées, notamment dans les lois d’application.

C’est la raison pour laquelle nous proposons par cet amendement d’adopter le concept de déchéance de citoyenneté, qui n’entraîne aucune discrimination entre les ressortissants de notre pays, puisqu’il s’appliquerait aussi bien aux mononationaux qu’aux multinationaux.

Quant aux conséquences que pourrait avoir la mise en place de la déchéance de citoyenneté sur les droits civiques, le passeport ou encore l’accès à la fonction publique, nous nous en remettons à une loi d’application. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 202, 204 et 236, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour les soutenir.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le président, je vais retirer les deux derniers, les nos 204 et 236, pour me concentrer sur l’amendement n202.

Cet amendement relève d’une démarche analogue à celles que nous ont présentées Denis Baupin et Jean-Marc Germain. Il s’agit de rejeter la déchéance de nationalité au profit de la déchéance de citoyenneté et des droits attachés à la nationalité.

La différence majeure par rapport aux propositions de mes collègues et à celle du Gouvernement réside dans le fait qu’il s’agit d’une novation, qui correspond à l’histoire que nous traversons actuellement.

Pour le garde des sceaux, la déchéance de nationalité, telle qu’elle est proposée par le Gouvernement, n’est pas un symbole mais un principe. Je crois au contraire qu’à ce moment de notre histoire, alors que la Nation est confrontée à un terrorisme de masse, elle doit inscrire dans sa Constitution une innovation qui consiste à laisser au Parlement le soin de prononcer une déchéance de citoyenneté, comme le prévoit l’article 34-1 de la Constitution. Le Parlement, dans son unité, dans sa diversité, se prononcerait sur la déchéance des droits attachés à la nationalité d’un individu condamné pour un crime portant une atteinte grave à la vie de la Nation.

C’est la même démarche que celle de mes collègues, mais également une démarche novatrice et radicalement différente de celle du Gouvernement, qui propose au contraire de pénaliser la déchéance de nationalité.

M. Pierre Lellouche. Voilà une très bonne idée ! Qu’en pense le ministre de l’intérieur ?

(Les amendements nos 204 et 236 sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Yann Galut, pour soutenir l’amendement n222.

M. Yann Galut. Nous en revenons à un débat sur lequel – les résultats du précédent vote l’ont confirmé – nous sommes extrêmement partagés. Je reste persuadé qu’in fine, la déchéance de nationalité ne s’appliquera qu’aux binationaux – et encore : ce sera au juge qu’il reviendra de décider s’il faut ou non créer des apatrides. Même si l’on distingue une évolution sur nombre de bancs, il existera tout de même une rupture d’égalité, au moment où le juge fera son choix.

Nous sommes nombreux à nous prononcer en faveur d’une sanction exemplaire, car il est important de marquer l’opposition de la représentation nationale aux Français qui prennent les armes contre notre pays. Mais, plutôt que la déchéance de nationalité, mieux vaut proposer une déchéance des droits afférents à la nationalité, c’est-à-dire une déchéance de citoyenneté.

Tel est le sens de l’amendement n222, qui comporte une autre précision. Les formules caractérisant les circonstances dans lesquelles s’applique la déchéance étant vagues, nous proposons de préciser que celle-ci ne peut être prononcée que contre une personne « condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». Cette rédaction reprend des dispositions existant actuellement dans notre législation.

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement n211.

M. Daniel Goldberg. Cet amendement va dans le même sens que les précédents. Pour nous retrouver sur un message fort, proposons d’infliger aux terroristes, outre une peine de prison, la déchéance de tous les éléments liés à leur nationalité, sans toutefois les priver de celle-ci.

Quel est le message que nous voulons délivrer à travers ce projet de loi, après les événements de janvier et de novembre 2015 ? Quel est celui que nous voulons nous adresser à nous-mêmes ? Quel est celui que nous voulons envoyer à tous les citoyens de notre pays, à ceux qui vivent sur notre sol et à toute la planète ?

Comment pourrions-nous annoncer que les personnes condamnées pour actes de terrorisme pourront, si elles sont nées et qu’elles ont grandi en France, ne plus être françaises, mais conserver la nationalité d’un pays contre lequel nous ne sommes pas en guerre ?

Comment celles-ci pourraient-elles ne plus demeurer françaises en étant toujours algériennes, tunisiennes, marocaines, belges, vénézuéliennes, islandaises ou que sais-je encore ? Derrière cette question se profile l’idée que certaines nations seraient sans reproche en matière de terrorisme.

La déchéance non de la nationalité mais des éléments liés à celle-ci permet de sortir de cette difficulté par le haut.

M. le président. La parole est à M. Yann Galut, pour soutenir l’amendement n219.

M. Yann Galut. Je souhaite revenir sur une difficulté qui a déjà été soulevée. Si nous appliquons le processus mis en place par l’article, et que nous prononçons la déchéance de nationalité pour les binationaux, nous devrons tout de même nous interroger sur le message que nous envoyons à l’autre pays dont un terroriste possède la nationalité.

Peut-on déchoir de la nationalité française un terroriste en considérant qu’il serait plus italien, espagnol, marocain ou tunisien que français ? C’est un problème de relations internationales : peut-on affirmer qu’une personne n’est pas digne d’être française, mais que rien ne s’oppose à ce qu’elle possède la nationalité d’un pays dans lequel on la renvoie ?

On imagine les difficultés auxquelles nous nous exposons : si ce pays prononce lui aussi une déchéance de nationalité, nous nous retrouverons à la case départ.

Je le répète : il serait plus utile, pour marquer notre réprobation, de prononcer une déchéance de citoyenneté, soit une déchéance des droits afférents à la nationalité.

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n50.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je comprends que le Gouvernement ait le souci de mentionner la déchéance de nationalité dans un article de loi, voire dans un article de la Constitution.

Je vous invite à relire l’article 34 de la Constitution, qui énumère les matières législatives – celles dans lesquelles le Parlement peut intervenir.

Y figurent déjà « la nationalité, l’état et la capacité des personnes ». S’il paraît utile d’ajouter après « la nationalité » : « et ses conditions d’acquisition, de perte et de déchéance », je ne vois aucun inconvénient à le faire.

Aller au-delà n’est pas absolument nécessaire, puisque figurent d’ores et déjà, dans le code civil et dans le code pénal, les dispositions pouvant être employées. Je vous renvoie à l’article 25 du code civil et à l’article 131-26 du code pénal, que j’ai déjà cité. L’article 422-3 de ce même code précise que la peine complémentaire que constitue l’interdiction des droits civiques est encourue par les auteurs d’actes de terrorisme les plus graves.

À mon sens, il suffit que le Gouvernement précise la compétence du législateur en matière de déchéance de nationalité, sans qu’il soit utile d’aller plus loin, puisque, dans ce cas, on en serait réduit à décrire le droit positif existant.

M. le président. Pour la clarté de nos travaux, je vais demander au rapporteur de donner l’avis de la commission sur ces amendements. Au début de la prochaine séance, nous examinerons l’amendement n63 du Gouvernement, qui fait l’objet de nombreux sous-amendements.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Avis défavorable. Le présupposé inconscient selon lequel nous appartiendrions à une nationalité qui exclut toute possibilité de terrorisme me semble purgé par le fait que la loi s’applique désormais à tous les terroristes, quel que soit le mode par lequel ils ont acquis la nationalité, et qu’ils soient mononationaux ou binationaux.

Quant aux autres questions qui ont été soulevées, elles sont résolues par la rédaction de l’amendement du Gouvernement, issu des travaux de la commission, lequel prévoit que l’on peut priver quelqu’un des droits afférents à la nationalité sans prononcer de déchéance de la nationalité.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly