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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 01 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Réforme du droit du travail

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. Manuel Valls, Premier ministre

Réforme du droit du travail

M. Gaby Charroux

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage

Légitimité du Gouvernement

M. Christian Jacob

M. Manuel Valls, Premier ministre

Mobilisation pour l’agriculture

M. Michel Vergnier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Crise agricole

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Réforme du droit du travail

M. Laurent Degallaix

M. Manuel Valls, Premier ministre

Groupements hospitaliers de territoire

M. Jean Leonetti

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie

M. Robert Olive

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie

Tribunal de commerce de Reims

Mme Catherine Vautrin

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Situation à Calais

M. Yann Capet

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Utilisation des téléphones portables dans les prisons

M. Élie Aboud

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Situation financière d’EDF

M. Charles de Courson

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Aéroport de Notre-Dame-des-Landes

M. Laurent Furst

M. Manuel Valls, Premier ministre

Chambres de commerce et d’industrie outre-mer

Mme Gabrielle Louis-Carabin

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Nécessité d’une régulation européenne pour l’agriculture

M. Paul Molac

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

2. Remplacement d’un député

3. Fixation de l’ordre du jour

4. Protection de l’enfant

Présentation

Mme Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales

Discussion générale

M. Jean-Paul Tuaiva

Mme Véronique Massonneau

M. Jacques Moignard

M. Marc Dolez

Mme Françoise Dumas

Mme Bérengère Poletti

Texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture

Amendements nos 2 , 6 , 7

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

5. Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Présentation

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Motion de rejet préalable

M. Éric Ciotti

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux

M. Pascal Popelin, rapporteur

M. Yves Goasdoué

M. Guillaume Larrivé

M. Alain Tourret

Motion de renvoi en commission

M. Patrick Devedjian

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux

Mme Colette Capdevielle, rapporteure

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

M. Guillaume Larrivé

Discussion générale

M. Marc Dolez

M. Yves Goasdoué

M. Philippe Goujon

M. Michel Zumkeller

M. Sergio Coronado

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Réforme du droit du travail

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le Premier ministre, quand Clemenceau crée en 1906 le ministère du travail, c’est évidemment pour renforcer les droits des salariés, non pour un autre objectif.

Aujourd’hui, si le projet de loi « travail » comporte plusieurs dispositions positives, comme le compte personnel d’activité, il contient également des mesures plus controversées, telles que le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, c’est-à-dire arbitraire, injustifié, dépourvu de « cause réelle et sérieuse ». Ce plafonnement empêchera la libre appréciation du juge et, souvent, la réparation intégrale du préjudice subi. En réalité, le barème de ces indemnités prud’homales est fixé à un niveau très bas et souvent inférieur à celui de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Ainsi, le plafond le plus élevé sera quinze mois de salaire pour les personnels ayant vingt ans d’ancienneté dans l’entreprise, alors qu’il avait été fixé en 2015 à vingt-sept mois pour les salariés des grandes entreprises ayant dix ans d’ancienneté.

Certes, selon le Conseil constitutionnel, la dimension de l’entreprise ne peut servir de critère. Cependant, on ne peut créer un licenciement low cost qui, du fait de son coût réduit, risquerait d’inciter les entreprises à licencier.

Vous avez reporté de quinze jours l’examen du projet de loi travail pour permettre un dialogue approfondi, ce qui est très positif. Dans ce cadre, êtes-vous prêt à accepter que cette disposition et d’autres, notamment sur le licenciement économique, soient revues et modifiées, pour parvenir à un texte plus équilibré ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Éric Alauzet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Roger-Gérard Schwartzenberg, vous évoquez M. Clemenceau ; vous savez le procès qui lui a été fait à l’époque, lorsqu’il suivait les problématiques liées au travail. Cette image lui est restée accolée ensuite, et c’est ce que l’histoire a retenu. C’est cependant un bon exemple pour démontrer que l’explication requiert du temps,…

M. Julien Aubert. Il n’a pas été président !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …qu’il faut créer les conditions d’une compréhension, et qu’il faut toujours discuter.

Un avant-projet de loi a été adressé au Conseil d’État. Nous avons considéré qu’il fallait se donner une quinzaine de jours supplémentaires pour approfondir ces discussions, pour lever les incompréhensions et pour corriger ce qui devait l’être. Je rencontrerai ainsi les partenaires sociaux avec les ministres du travail et de l’économie la semaine prochaine de manière bilatérale, puis nous aurons une réunion avec l’ensemble des partenaires sociaux, organisations patronales et syndicales, la semaine suivante, toujours à Matignon.

Le texte, qui pourra faire l’objet de corrections par saisine rectificative du Conseil d’État, sera examiné et adopté par le conseil des ministres du 24 mars. L’Assemblée nationale sera saisie et examinera le texte, en commission des affaires sociales puis en séance, selon un calendrier qui ne subira pas de grand changement, compte tenu des vacances parlementaires du mois d’avril. Tels sont les éléments de méthode que je voulais rappeler, monsieur le président Schwartzenberg.

Il faut lever les incompréhensions, il faut tout mettre sur la table. Le sujet que vous avez évoqué, le barème des indemnités prud’homales, avait déjà fait l’objet de discussions particulièrement approfondies ici même à l’Assemblée nationale à l’occasion de la discussion sur le projet de loi Macron. Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions. Le débat va donc avoir lieu.

Pour ma part, je suis à l’écoute à la fois des partenaires sociaux et, bien sûr, du Parlement, avec à l’esprit deux idées : d’une part, le monde change, l’économie est en mutation avec le phénomène « d’ubérisation », et, d’autre part, les salariés expriment des demandes. Et je pense, monsieur le président Schwartzenberg, non seulement aux salariés, bien sûr, mais aussi à ceux qui n’ont, et souvent depuis longtemps, plus d’emploi, à tous les travailleurs précaires, en particulier aux plus jeunes d’entre eux. Je souhaite donc donner à la fois plus de liberté, plus de souplesse aux entreprises – c’est ce qu’elles demandent –, notamment aux petites et moyennes entreprises, et plus de droits aux salariés ; c’est précisément l’objet du compte personnel d’activité, que vous auriez pu citer.

Sur ces bases, nous pouvons discuter, mais avec un impératif : il faut réformer, pas pour nous, pas pour le plaisir de le faire, mais parce que le pays doit s’adapter à la nouvelle donne économique. Et cette volonté réformatrice, à laquelle je ne doute pas un seul instant que vous adhérez, monsieur le président Schwartzenberg, nous allons la suivre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Réforme du droit du travail

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gaby Charroux. Monsieur le Premier ministre, face à la fronde populaire, le Gouvernement a décidé hier de reporter au 24 mars la présentation du projet de loi réformant le code du travail. Comment interpréter ce report sinon comme l’échec d’une méthode autoritaire ? Comment s’étonner d’une telle colère dès lors que la seule alternative offerte aux Français est le choix entre le chômage et la précarité ? Sans remettre en cause la philosophie néolibérale du texte, vous souhaitez désormais le rééquilibrer en annonçant des discussions sur les mesures les plus indignes. Nous ne céderons pas à cette stratégie du choc consistant à annoncer le pire pour présenter ensuite comme acceptable un démantèlement sans concession du code du travail.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Gaby Charroux. Le texte, dans l’ensemble, est truffé de régressions sociales traduisant l’influence du MEDEF et de la doxa néolibérale de la Commission européenne.

M. Jacques Bompard. Très bien !

M. Gaby Charroux. Outre la remise en cause des 35 heures, il met en place une flexi-précarité généralisée. Les nombreux acquis sociaux des travailleurs pourront être renégociés à la baisse au niveau de chaque entreprise, là où le rapport de forces est le plus défavorable aux salariés. Loin de simplifier le code du travail, cette réforme le complexifie en créant un droit du travail à la carte. Loin de créer des emplois, ce projet de loi contribuera à en faciliter la destruction. Contre ce retour en arrière, les opposants au texte, chaque jour plus nombreux, portent pourtant une conception moderne du progrès social. Il n’est pas trop tard pour entendre la colère qui s’exprime et pour respecter les engagements de 2012, monsieur le Premier ministre. Nous vous demandons de bien vouloir retirer purement et simplement ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Monsieur le député, je comprends l’inquiétude que vous exprimez. Elle est prise en compte dans le débat. La réforme que nous proposons, portée par Myriam El Khomri, permettra aux entreprises de déterminer avec les salariés les conditions de leur développement. C’est une réforme de progrès social.

M. Marc Dolez. Ce n’est pas vrai !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Renforcer le rôle et les moyens des syndicats, c’est faire confiance à l’intelligence collective dans la tradition de la gauche, celle des lois Auroux votées lors du premier septennat du président Mitterrand.

M. Marc Dolez. Et le Front populaire ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. La négociation avec les organisations syndicales est fondamentale. Il est indispensable de travailler au sein des entreprises et d’y discuter, notamment du forfait jours pour lequel l’accord des salariés sera indispensable. Ni les mini-jobs allemands ni les contrats zéro heure anglais ne sont pour nous un modèle. Il faut partir des besoins du terrain. Vous le constatez vous-même dans votre circonscription, monsieur le député. Les entreprises, petites et moyennes notamment, veulent créer de l’emploi et demandent de la souplesse pour ce faire. Il faut leur en donner tout en offrant davantage de sécurité et de protection aux salariés. Donner de la flexibilité aux entreprises, c’est créer de l’emploi dès lors qu’elles peuvent et veulent le faire, il ne faut pas l’oublier. C’est aussi s’attaquer au chômage afin de le réduire.

Un député du groupe Les Républicains. Il serait temps !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. Nous avons besoin de ces réformes. Le chômage est trop important dans notre pays. Nous devons agir. En proposant de telles évolutions, c’est ce que nous faisons. Avec cette réforme, nous agissons et nous continuerons à agir dans la concertation et l’échange.

Légitimité du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, à plus d’un an de l’élection présidentielle, les Français sont en droit de se poser une question : sur quelle légitimité votre gouvernement peut-il encore s’appuyer ?

M. Jean Glavany. Celle du suffrage universel !

M. Christian Jacob. Il y a trois semaines, vous avez été incapable de recueillir une majorité de gauche pour voter la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Ensuite, est venu le temps du remaniement-rafistolage, comme aux plus belles heures de la Quatrième République. Il est clair que ce remaniement vous a été imposé et que vous n’avez eu aucune marge de manœuvre. À présent, nous vivons une farce, une véritable mascarade : le report de la présentation de la loi travail. Nous allions voir ce que nous allions voir, monsieur le Premier ministre ! Un gouvernement réformateur, à la manœuvre pour rendre de la compétitivité aux entreprises !

Mais après huit jours d’un psychodrame qui a agité toutes les gauches, votre projet de loi vient de faire pschitt ! Le report de sa présentation n’est rien d’autre qu’une humiliation pour vous et pour votre méthode de gouvernement, celle des coups de menton ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Et ne nous faites pas le coup de la décision prise en commun avec le Président de la République ! C’est bien vous qui disiez mardi dernier : « J’irai jusqu’au bout ! ». Jusqu’au bout, ce sera en réalité, comme d’habitude avec vous, une simple posture, pour ne pas dire une imposture ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Glavany. Parole d’expert !

M. Christian Jacob. Dire que vous venez de caler en rase campagne devant Mme Aubry, ce n’est donc pas vous faire injure, monsieur le Premier ministre ! Vous n’avez plus la confiance des Français, monsieur Valls, et vous avez perdu la confiance de votre majorité ! Après l’enterrement de première classe de votre projet de loi sur le travail, considérez-vous avoir toujours la confiance du Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Comme j’ai l’occasion de vous le dire à chaque fois que je réponds à l’une de vos questions, monsieur le président Jacob, j’admire la nuance, la modération et le nécessaire recul dont vous faites preuve !

M. Yves Fromion. Le recul, c’est vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’admire à présent une drôle de conception des institutions de la Vème République, d’ailleurs assez étrange venant de vous.

Un député du groupe Les Républicains. Macron président !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La mission dont est responsable le Premier ministre que je suis découle bien évidemment des choix du Président de la République et forcément aussi de la confiance de la majorité.

M. Christian Jacob. C’est bien ma question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Avons-nous, depuis que nous gouvernons et depuis que je suis Premier ministre, dû reculer sur tel ou tel texte ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Avons-nous dû changer telle ou telle position après le nécessaire débat ? Non !

M. Yves Fromion. Il n’y a que le chômage qui ne recule pas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Sous la Vème République, le Premier ministre comme la majorité doivent être conscients du fait présidentiel et de la légitimité donnée par les Français au Président de la République.

Un député du groupe Les Républicains. 17 % !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Donc, avec cette majorité, tant qu’il y aura cette confiance, le Gouvernement agira et continuera à réformer.

M. Christian Jacob. En utilisant le 49-3 !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous avez d’ailleurs pris un drôle d’exemple, monsieur Jacob, en parlant de la révision constitutionnelle. Je me contenterai de vous rappeler que la majorité des trois cinquièmes réunie ici à l’Assemblée nationale en sa faveur, que j’évoque avec prudence, découle du vote d’une partie de la gauche et d’une partie de la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Deflesselles. Ce qui démontre que vous n’avez pas la majorité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. J’aurais très bien pu vous poser exactement la même question si vous étiez au gouvernement et si j’étais, moi, responsable de l’opposition !

Quant au projet de loi réformant le code du travail, le texte a été adressé au Conseil d’État, le conseil des ministres l’examinera quinze jours après la date prévue et l’Assemblée nationale l’examinera à la fin du mois d’avril et au début du mois de mai. Franchement, parler de reculade n’est-ce pas un peu exagéré ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Non !

M. Manuel Valls, Premier ministre. En matière de reculade, je pourrais vous donner des exemples concernant les majorités précédentes ! Quant au texte lui-même, je vous donne rendez-vous non pas sur des suppositions, monsieur Jacob, mais sur le fond, c’est-à-dire sur la liberté, la souplesse et la flexibilité à donner aux entreprises et sur les droits accordés aux salariés. Voilà sur quoi je vous demande de juger !

Au fond, votre question trahit une inquiétude. Lorsque la gauche réforme, va de l’avant et donne à la fois des libertés aux entreprises et des protections aux salariés, cela vous gêne ! (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) J’ai d’ailleurs remarqué avec beaucoup d’intérêt que certains parlementaires de l’opposition ont apporté leur soutien à cette démarche. Je vous donne donc rendez-vous sur le fond plutôt que sur des boursouflures, monsieur Jacob. C’est ce sur quoi chacun jugera. Quoi qu’il en soit, ma volonté de réforme subsistera, soyez en certains ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mobilisation pour l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Vergnier. Monsieur le ministre de l’agriculture, face à la crise agricole, vous agissez avec courage et détermination (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains), n’hésitant pas à répondre à toutes les sollicitations qui vous sont adressées. Vos réponses sont sans détour et sans démagogie. (Nouvelles exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe Les Républicains. Il n’y a pas de réponse !

M. Michel Vergnier. Je l’ai d’ailleurs constaté lors de la rencontre avec les Jeunes agriculteurs de mon département. Nous savions que les mesures prises lors de la précédente législature – suppression des quotas laitiers, loi de modernisation et de libéralisation de l’économie – allaient nous conduire droit dans le mur. Nous y sommes.

M. Marc Francina. Jospin !

M. Michel Vergnier. Devant une telle situation, chacun, de l’Union européenne au Gouvernement, doit prendre ses responsabilités ; il en est ainsi pour l’ensemble du secteur, car toutes les productions sont touchées. Des concertations sont engagées : elles doivent aboutir à des décisions concrètes pour soutenir les prix, et ce dans les plus brefs délais. Il a été évoqué la possibilité de légiférer : cette piste doit être étudiée rapidement.

Monsieur le ministre, si certaines mesures ponctuelles vont dans le bon sens, telles la baisse de dix points des charges sociales depuis 2015, l’année blanche sociale pour les agriculteurs à faibles revenus et l’intervention auprès des banques, elles ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Un mémorandum a été présenté à la Commission européenne, qui vise à engager des mesures structurelles afin de réduire le volume de production, à améliorer la traçabilité et à lever l’embargo sanitaire russe. Le prochain conseil des ministres européens du 14 mars sera donc crucial.

De plus, un effort supplémentaire doit être engagé dans l’instruction des dossiers relatifs à la politique agricole commune, en particulier s’agissant de l’identification des surfaces non agricoles. En ce domaine, vos instructions vont dans le bon sens, mais doivent être précisées.

La colère, le sentiment d’abandon conduisent à des comportements extrêmes que je n’approuve pas mais dont nous connaissons les causes.

Monsieur le ministre, l’agriculture est un grand défi national, car les entreprises qui vendent à perte…

M. le président. Merci, monsieur Vergnier.

La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. (Huées sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

S’il vous plaît, mes chers collègues ! Revenons à une certaine mesure ! (Huées prolongées sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Les sifflets que j’entends n’ont pour but que de masquer l’incapacité dont leurs auteurs ont fait preuve, lorsqu’ils avaient des responsabilités, de faire les bons choix pour l’agriculture française. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Petits pompiers pyromanes qui viennent aujourd’hui avec des seaux d’eau pour éteindre l’incendie qu’ils ont eux-mêmes allumé hier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Je vous le dis posément : pour ce qui est du courage, ce n’est pas chez vous que j’irais le chercher ! Du courage, j’en ai fait preuve à chaque fois que j’ai été appelé pour répondre à ceux qui me posent des questions, qui m’interrogent sincèrement sur la crise très lourde qu’ils subissent. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Allez à Bruxelles !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur Jacob, sur la question de la baisse des cotisations sociales, ce qui a été fait par ce gouvernement dépasse de très loin tout ce que vous aviez pu évoquer sans jamais le réaliser.

M. Éric Alauzet. Très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur Jacob, que reste-t-il de votre bilan de président des Jeunes agriculteurs ? Rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Je veux bien recevoir des leçons, mais pas de la part de ceux qui parlent sans avoir jamais agi.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Quatre ans !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Sept points supplémentaires, soit dix points en tout ; déjà 720 millions d’euros, et à terme 3,022 milliards d’euros de baisses de charges seront donnés à l’agriculture. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Paul Molac. Très bien !

M. Jacques Lamblin. Bref, tout va bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Par ailleurs, j’entends ceux qui me disent qu’il faudrait que j’agisse au niveau européen. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) J’y suis allé et j’y vais plus souvent que vous !

Mme Claude Greff. On ne vous a jamais vu à Bruxelles !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je connais l’Europe, et je sais les difficultés qui sont les nôtres. Nous rencontrerons demain, à nouveau, le commissaire européen. Je vais avoir la primeur des contacts avec mes collègues européens, et, en particulier, l’ensemble de ceux du Benelux, pour faire avancer une idée toute simple, que vous n’avez jamais portée : quand on est en crise et en excédent, la première des choses à faire est de réduire la production. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Crise agricole

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour le groupe Les Républicains.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le Premier ministre, aujourd’hui se tient le salon de l’agriculture. Que voyons-nous ? Un Président de la République insulté,…

M. Marcel Rogemont. Scandaleux !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …un Premier ministre interpellé violemment, un stand du ministère de l’agriculture démoli par des agriculteurs. Depuis des mois et des mois, nous vous le disons, depuis des mois et des mois, les agriculteurs vous le disent, chacun à leur façon, dans les provinces et sur l’ensemble du territoire : si votre ministre de l’agriculture n’aime pas ce qu’il fait, qu’il le reconnaisse clairement et qu’il s’en aille ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains. – Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

L’agriculture, ce sont des combats, au niveau national, au niveau européen, au niveau international. Il faut être présent partout, à tout moment. La crise est grave et le désespoir, total. C’est le secteur qui enregistre le plus fort taux de suicides. Le Président de la République lui-même déclare s’être rendu au salon pour « entendre ces cris » de détresse. On croit rêver, alors que cela fait des mois que tous les territoires s’expriment en ce sens !

Il faut sans attendre réunir autour de la table tous les acteurs : les producteurs, les distributeurs, les transformateurs, la grande distribution, qui doit prendre ses responsabilités, et le Gouvernement, qui doit tout autant assumer les siennes. Il faut sans attendre obtenir la levée de l’embargo russe qui pèse sur les productions françaises. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Il faut enrayer le déclin de la France sur la scène européenne, dont le conseil des ministres de l’agriculture du 15 février a été le révélateur, puisque notre pays n’y a rien obtenu.

Tout le monde agricole vous demande de faire des efforts pour obtenir des prix rémunérateurs, d’instaurer une vraie transparence sur les marges, de tenir compte de l’augmentation des charges, d’alléger les normes, de simplifier les procédures administratives et d’éviter les contrôles tatillons de la part des directions départementales des territoires et de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques.

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Ma question est simple : êtes-vous aujourd’hui en mesure de comprendre les réalités du monde agricole et d’apporter des réponses concrètes à leurs problèmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. (Huées sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Ça va, mes chers collègues, on a compris !

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je suis habitué à la manière dont l’opposition pose ce type de questions, qui n’aident aucunement à trouver des réponses. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Vous avez évoqué la visite du Président de la République et du Premier ministre au Salon de l’agriculture. Je me souviens qu’un Président de la République que vous avez bien connu avait refusé, lui, d’inaugurer ce même salon alors qu’une crise agricole sévissait. Chacun, encore une fois, jugera où réside le courage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Quant à l’embargo russe, il faut bien sûr le faire lever et conduire des discussions à cette fin (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), mais ce n’est pas en s’agitant sur les bancs de l’Assemblée qu’on l’obtiendra. Il faut discuter…

M. Jacques Lamblin. C’est à vous de le faire !

M. Christian Jacob. Allez à Bruxelles !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …et trouver une majorité qui permettra de le lever (Mêmes mouvements), et ça, c’est un autre sujet, moins facile à régler et qui nécessite beaucoup plus d’engagement.

S’agissant, précisément, de mon engagement, monsieur le député, j’observe que certains ont pour habitude de m’intenter systématiquement un procès au motif que je n’aurais pas entendu ou pas compris certains problèmes. Mais je vous l’ai demandé tout à l’heure : qu’avez-vous compris quand, en 2008, sous présidence française, vous avez supprimé les quotas laitiers ? (Vives exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Lamblin. Dites plutôt 2002 !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Avez-vous entendu ce qui a été dit, en particulier par l’opposition de l’époque ? Qu’avez-vous entendu et compris, monsieur le député, lorsque vous avez voté la loi sur la modernisation de l’économie, qui confère un pouvoir exorbitant à tous ceux qui négocient au niveau commercial ?

Quant aux tables rondes, monsieur le député, je suis très heureux que vous me proposiez d’en refaire, mais vous faites partie de ceux qui me reprochent d’en organiser ; elles permettent pourtant de trouver des solutions. Mettez-vous au moins d’accord sur ce que vous voulez ! Ensuite, on pourra en discuter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Réforme du droit du travail

M. le président. La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Laurent Degallaix. Monsieur le Premier ministre, alors que les chiffres du chômage ne sont pas exceptionnels, la présentation du projet de loi relatif au travail présenté par votre ministre du travail, à laquelle je me permets d’adresser mes vœux de prompt rétablissement, a été de nature à réjouir un certain nombre de députés, dont ceux de l’UDI qui ont placé au cœur de leurs préoccupations la lutte contre le chômage et la valeur travail.

D’ailleurs, les objectifs de cette loi semblaient plutôt de nature à répondre à une lutte efficace contre le chômage : élargissement de la négociation collective, assouplissement du temps de travail, nouveau régime pour les heures supplémentaires, droits sociaux tout au long de la carrière et un accord offensif sur l’emploi qui permettra à un certain nombre d’employeurs qui souhaitent développer l’emploi, notamment au travers de la conquête de nouveaux marchés, de le faire dans les meilleures conditions possible.

Bref, sur un sujet qui est au cœur des préoccupations des Français, ce projet a du sens et va dans le bon sens. Alors, monsieur le Premier ministre, pourquoi cette énième reculade ? S’il s’agit de prendre un peu plus de temps pour négocier et affiner ce projet, pourquoi pas, et vous aurez alors le soutien des députés UDI. S’il s’agit au contraire de répondre uniquement à la posture archaïque d’un certain nombre de membres de votre majorité, il est évident que vous ne nous trouverez pas à vos côtés.

Monsieur le Premier ministre, ce texte doit être présenté en l’état. Le fait de le détricoter risquerait de le dénaturer, de le rendre inefficace et inopérant pour, au final, se retrouver face à un texte vidé de sa substance, comme ce fut le cas avec le projet de loi Macron.

Le combat pour l’emploi appelle des mesures fortes, des réformes structurelles. Vous aurez besoin de beaucoup de courage, de volonté et de fermeté pour faire passer ce texte. Nous savons que le courageux a du courage et que le brave aime à le montrer.

Monsieur le ministre, nous souhaitons que vous soyez très audacieux sur ce sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, il faut des mesures fortes, du courage, de l’audace, un esprit de réforme, mais pas pour nous-mêmes : pour les Français. Nous vivons avec un taux de chômage particulièrement élevé, un chômage de masse, depuis plusieurs décennies. Certains disent, je l’ai rappelé ici-même, que, d’une certaine manière, la société française se serait accoutumée à ce fort taux de chômage. Sans parler du chômage de longue durée, de ces jeunes qui ne parviennent pas à entrer sur le marché du travail, de toutes ces situations précaires. Toute disposition, toute mesure que nous prenons, doit viser à répondre à l’angoisse qui étreint la société française.

Mais il faut aussi répondre à l’attente des chefs d’entreprise, en particulier des petites et moyennes entreprises, qui craignent d’embaucher par peur des procédures, des aléas économiques, qui peuvent représenter autant de problèmes pour les entreprises.

Beaucoup d’entreprises ont pu reconstituer leurs marges grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou au pacte de responsabilité et de solidarité. Rappelons que ce dernier est le fruit d’un accord entre le patronat et les syndicats réformistes, ce qui signifie bien que nous devons aller encore plus loin et profiter de chaque instant pour réformer.(« Dépêchez-vous ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Le texte préparé par Myriam El Khomri, ministre engagée et courageuse, qui connaît bien ses dossiers et qui poursuivra à mes côtés la discussion avec les partenaires sociaux, ce texte fera encore l’objet de discussions. S’agit-il de reculer, d’abandonner la volonté de réformer, de donner plus de liberté, de flexibilité, de souplesse aux entreprises, tout en accordant davantage de droits aux salariés dans un monde en pleine mutation, où le numérique transforme la réalité du travail ? Non, je le répète : non ! Mais je souhaite que nous puissions avancer, et nous pouvons tous partager ce même objectif, partenaires sociaux ou politiques, quelle que soit notre appartenance, dès lors que nous voulons la réforme dans ce pays.

Ce texte sera encore discuté, comme chacun pourra s’en rendre compte. Des discussions sont déjà en cours s’agissant de l’UNEDIC et du compte personnel d’activité, dont le principe est déjà voté. Comment pouvons-nous aller plus loin sur ces questions ? Lorsque le texte sera examiné en commission des affaires sociales puis ici, dans l’hémicycle, chacun pourra juger sur mesure et avancer. En tout cas, je vous assure, ici, à l’Assemblée nationale, de ma volonté d’avancer.

Il y a beaucoup de conservatismes dans notre pays, beaucoup de blocages, et nous devons prendre le temps d’écouter, de convaincre. Tel est le sens de ces quinze jours supplémentaires que nous nous sommes accordés pour persuader, lever les ambiguïtés, répondre à la désinformation, améliorer ce qui peut l’être. Les partenaires sociaux auront l’occasion, je n’en doute pas un instant, de nous faire des propositions, en responsabilité, mais il faut lever les blocages, lutter contre ces conservatismes, que l’on trouve aussi bien à droite qu’à gauche.

Pour ma part, je veux avancer, non pas pour les uns ou les autres, mais pour le pays car c’est le pays qui a besoin de ces changements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Groupements hospitaliers de territoire

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean Leonetti. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, et j’y associe notre collègue et ami Jean-Pierre Door.

Les groupements hospitaliers de territoire ont été mis en place par la loi santé en 2015. Ce fut une bonne mesure, que nous avons approuvée, d’autant plus qu’elle s’inscrivait dans la droite ligne de la loi Bachelot qui l’avait précédée.

Nous sommes en effet tous favorables, sur ces bancs, à ce que les hôpitaux coopèrent davantage entre eux pour que chaque citoyen accède, sur l’ensemble de notre territoire, à une qualité de soins irréprochable. Cette organisation devait se mettre en place en concertation étroite avec les élus locaux et l’ensemble des acteurs de terrain des centres hospitaliers, quelle que soit leur importance.

D’après vos propres termes, madame la ministre, il s’agissait d’une mesure destinée à faire émerger un projet médical de territoire au service des patients.

Mais la première version du décret d’application ne va pas du tout dans le sens que vous avez décrit et les acteurs de terrain sont aujourd’hui inquiets, déçus et en colère. L’association des maires de France dénonce une organisation qui se fait au détriment des soins de proximité. La Fédération hospitalière de France, qui regroupe l’ensemble des acteurs publics, parle d’une sur-réglementation, d’une dérive technocratique et bureaucratique.

M. Jacques Myard. Comme toujours !

M. Jean Leonetti. Ce projet de décret ne laisse en effet aucune marge de manœuvre à l’initiative locale. Elle entre dans tous les détails, sans tenir compte de la diversité des territoires, et elle va à l’encontre de l’objectif premier, qui est d’améliorer les soins dans le parcours de soins de chaque citoyen.

Madame la ministre, ce n’est pas la droite qui vous le demande, c’est l’ensemble des acteurs de terrain, l’ensemble des élus de France, l’ensemble des groupements hospitaliers : il faut réécrire complètement ce décret, pour revenir à l’esprit de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, vous l’avez dit, les groupements hospitaliers visent à garantir un meilleur projet médical sur un territoire donné. Ce territoire peut être vaste, ou plus resserré. Cela dépend évidemment du nombre d’établissements, de la densité de la population, de la structure des établissements en place.

M. Alain Marty. C’est faux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je suis convaincue, c’est en tout cas l’objectif des groupements hospitaliers de territoire, que si nous voulons sauvegarder une offre de soins de proximité, ce qui n’a pas toujours été le sens des expressions sur les bancs de votre groupe – je ne parle pas de vous, monsieur le député –, que si nous voulons, non pas supprimer des établissements dans les territoires ruraux, comme cela m’a été suggéré, mais maintenir des établissements de proximité, nous avons besoin de ces coopérations entre différents hôpitaux, entre différents établissements.

La concertation a été engagée avec les élus locaux à l’automne dernier, avant même le vote de la loi. Certains me l’ont reproché. Elle est actuellement en phase intensive au niveau national et chacun fait valoir ses intérêts, ce qui est normal. Les directeurs d’hôpitaux, les médecins, les petits ou les grands établissements, chacun fait valoir les enjeux auxquels il est confronté.

L’objectif est non pas de créer un carcan de réglementation, monsieur le député,…

M. Jean-Marie Tétart. C’est déjà le cas !

Mme Marisol Touraine, ministre. …mais de permettre l’expression des projets médicaux avec les professionnels de santé, les établissements et les directeurs. Nous allons y travailler prochainement. J’annoncerai, dans quelques semaines, le dispositif d’accompagnement des groupements hospitaliers de territoire et je suis certaine que tout le monde s’y retrouvera.

Revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie

M. le président. La parole est à M. Robert Olive, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Robert Olive. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État aux personnes âgées et à l’autonomie.

Un décret d’application a été publié au Journal officiel ce dimanche, portant sur l’une des mesures phares de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement : la revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie – l’APA –, une avancée majeure pour le maintien des personnes âgées à domicile.

Nous savons à quel point il est primordial de favoriser ce lien au domicile pour les personnes dépendantes, ce lien aux souvenirs, aux lieux qu’elles connaissent et dans lesquels elles ont leurs habitudes.

Cette mesure, financée à hauteur de 375 millions d’euros par an, couvre une partie des dépenses d’aide pour près de 700 000 personnes âgées et sera calculée en fonction du degré de dépendance de celles-ci.

Ce n’est pas tout : cette grande loi, promulguée en décembre et encore mal connue, permet non seulement de protéger les personnes vieillissantes, mais également de soutenir les proches, les aidants familiaux. Nous savons toutes et tous comme il est difficile de s’occuper d’un proche dépendant, au point que la vie des aidants est parfois mise entre parenthèses. Le droit au répit est la reconnaissance de tout le travail qu’ils effectuent dans ces périodes difficiles.

Nous nous réjouissons qu’une telle loi ait vu le jour, car la revalorisation de l’APA améliorera de manière certaine le quotidien de ces personnes vivant avec la dépendance, en leur assurant plus de quiétude et moins d’obstacles.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous préciser le champ d’application de cette revalorisation et les effets que vous en escomptez ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - « Allô ! » sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Comme vous l’avez si bien exposé, monsieur le député, le Gouvernement s’engage fortement pour l’accompagnement des personnes âgées. Le décret qui revalorise l’allocation personnalisée d’autonomie a été publié ce dimanche. Il augmente les plafonds de l’APA en tenant compte du degré de dépendance.

Auparavant, le niveau du reste à charge pouvait entraîner un renoncement à l’aide, donc une aggravation de la perte d’autonomie. Avec les améliorations que nous apportons, les bénéficiaires qui disposent, par exemple, de moins de 800 euros de revenu seront exonérés de participation financière. Autre exemple : pour une personne très dépendante ayant 1 500 euros de revenu mensuel, le reste à charge passera de 400 à 250 euros, ce qui représente une économie de 1 800 euros par ans. Le reste à charge diminuera pour 90 % des bénéficiaires de l’APA, et plus de 600 000 bénéficiaires de l’APA à domicile connaîtront une augmentation de leur pouvoir d’achat.

Avec cette réforme, le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie est favorisé. Les proches aidants sont mieux soutenus et enfin reconnus. C’est un progrès pour de nombreuses familles, en particulier pour les foyers les plus modestes. L’État finance en totalité la revalorisation de l’APA, soit 375 millions d’euros. La responsabilité des départements est aujourd’hui de la mettre en œuvre, et nous serons à leurs côtés.

Ce décret permettra également de financer des solutions de répit pour les proches aidants et de nombreux autres dispositifs. Ce sont des mesures de justice sociale, des mesures qui facilitent le quotidien des personnes âgées et qui soutiennent leur entourage. Nous sommes au rendez-vous du défi démographique, mais surtout humain, auquel répond cette réforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Tribunal de commerce de Reims

M. le président. La parole est à Mme Catherine Vautrin, pour le groupe Les Républicains.

Mme Catherine Vautrin. Tout d’abord, je crois que la crise agricole est suffisamment grave pour que l’on évite les effets de manches, surtout de la part d’un ministre dont on aimerait qu’il soit plus entendu à Bruxelles ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Il y a dix-huit mois, Châlons-en-Champagne s’est vue rayée de la carte militaire et de la carte administrative. Ces décisions ont évidemment des conséquences désastreuses pour notre département.

Le 26 février dernier, les Marnais ont reçu un nouveau choc : le tribunal de commerce de Reims ne figure pas dans la liste des dix-huit tribunaux de commerce spécialisés établie à la suite de la loi Macron.

Vous parlez de proximité, monsieur le ministre ; or ce décret crée un vide sidéral entre Paris et Strasbourg. On ne peut que regretter l’absence de compétences spécifiques liées au contentieux dans le domaine de la vigne et du vin – rien de moins que notre deuxième poste d’exportation ! –, où l’on sait que les conflits commerciaux ont souvent une dimension internationale et nécessitent une juridiction spécialisée. Pourtant, tels étaient précisément l’un des critères de la loi Macron.

Alors pourquoi cette suppression ? Quelle place, demain, pour ces dossiers dans l’immense contentieux qu’auront à traiter les juridictions parisiennes ?

Vous parlez d’équilibre des territoires, or le tribunal a ouvert près de 2 000 procédures en 2015, des chiffres proches de ceux d’autres villes retenues dans la liste. Pourquoi ce choix, donc ?

Vous parlez d’aménagement du territoire, de renforcement de l’échelon local, mais la réalité, pour nous, est assez simple. Ce sont trois textes : fusion des régions, loi NOTRe, loi Macron. À chaque fois le centre de décision local a disparu.

Vous parlez de rationalisation de l’économie et des dépenses publiques, mais qui peut raisonnablement penser que des représentants du personnel convoqués demain à des audiences de règlement judiciaire se rendront à Paris ou Strasbourg à moindre coût que dans le bassin rémois où ils résident ?

Ma question est très simple, monsieur le ministre : êtes-vous prêt à revoir cette liste et à y faire figurer le tribunal de Reims ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, la réponse à la question que vous posez est par essence délicate, et je veux vous dire pourquoi.

Il existe aujourd’hui en France 134 tribunaux de commerce. Tous souhaitaient conserver une compétence et pouvaient légitimement y prétendre. La loi du 6 août 2015 a prévu que seuls quelques-uns seraient chargés d’une mission particulière,…

M. Marc Le Fur. C’était une erreur !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. …afin de s’appuyer, dans des contentieux extrêmement difficiles, sur la spécialité et l’expertise nécessaires pour que les jugements soient fiables, pour que la juridiction commerciale soit impartiale et pour que la réponse soit efficace.

En fonction de cette perspective, qui a été voulue par l’Assemblée nationale et par le Sénat, nous avons examiné selon quels critères nous pourrions dégager des éléments de choix.

Je rappelle que le Parlement a modifié le souhait initial du Gouvernement, en portant le seuil à 250 salariés par entreprise là où le Gouvernement proposait de le fixer à 150. L’autre seuil, celui du chiffre d’affaires, a été fixé à 20 millions d’euros. Nous devions aussi tenir compte de l’avis du Conseil national des tribunaux de commerce, des encouragements des élus, de la carte judiciaire déjà élaborée.

Il a fallu ensuite faire un choix. L’intention initiale du Gouvernement était de ne retenir que neuf tribunaux. Compte tenu de l’intégration de différentes spécificités, ce chiffre a été porté à dix-huit.

Depuis la parution du décret, de très nombreux parlementaires, députés comme sénateurs, m’ont écrit pour me demander pourquoi le tribunal de commerce de leur circonscription n’avait pas été retenu. Je ne peux leur dire que ce que je vous dis s’agissant de Reims, madame la députée : nous avons élaboré des critères qui sont par essence subjectifs. J’en assume la subjectivité parce qu’il fallait faire un choix.

J’ai donc le regret de vous indiquer que je ne reviendrai pas sur cette position. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Christian Jacob. Dites plutôt que c’était une mauvaise loi !

Situation à Calais

M. le président. La parole est à M. Yann Capet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yann Capet. Monsieur le ministre de l’intérieur, je tiens tout d’abord à rendre hommage au courage et à la patience de la population du Calaisis qui, depuis plus de quinze ans, subit une situation qui la dépasse (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), sans jamais oublier qu’il s’agit d’un drame humain qui touche des hommes, des femmes et des enfants qui, pour la plupart d’entre eux, fuient la guerre et les atrocités.

La détresse des réfugiés se conjugue avec celle des habitants, des commerçants, des entreprises, qui sont confrontés à des difficultés économiques sans précédent et en appellent au Président de la République et au soutien de l’économie locale, dans un territoire qui voit son image profondément dépréciée.

La seule voie possible, c’est de ne pas instrumentaliser, mais au contraire de gérer et d’organiser la situation migratoire en faisant preuve à la fois d’humanité envers des êtres humains contraints à l’exil et de fermeté à l’encontre de tous ceux qui exploitent cette situation.

Calais symbolise aujourd’hui une crise migratoire qui s’inscrit dans la durée et nécessite une approche globale. L’Europe se doit de répondre à ce défi. Elle ne pourra le faire sans solidarité, en se limitant à la seule question des frontières intérieures.

La situation de Calais est également directement liée à sa proximité avec la Grande-Bretagne, car de nombreux réfugiés, parfois des mineurs isolés, souhaitent y rejoindre de la famille. Le sommet franco-britannique qui se tiendra dans quarante-huit heures à Amiens ne peut éluder cette question.

Sur le plan national, la lutte contre les filières, la reconduite des personnes en situation irrégulière, l’organisation de l’accueil à Calais et dans une centaine de centres d’accueil et d’orientation situés sur l’ensemble du territoire national, forment un tout qui doit permettre d’affronter cette situation avec humanité.

Des améliorations sont évidemment possibles, notamment, dans la concertation avec les associations et l’accompagnement vers une véritable socialisation.

Mais ce qui domine l’actualité depuis hier, c’est le démantèlement nécessaire du camp de Calais où de nombreux réfugiés se sont bâti des abris de fortune avec l’aide des associations. Pouvez-vous préciser à la représentation nationale les conditions dans lesquelles …

M. le président. Merci ! La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, nous avons à Calais un objectif et un seul : faire en sorte que les femmes, les enfants, les mineurs qui ont été jetés sur le chemin de l’exode par des persécutions et se trouvent à Calais avec l’espoir de passer en Grande-Bretagne puissent être protégés dignement par la République française.

Que faisons-nous pour atteindre cet objectif ? D’abord, nous luttons de façon résolue contre les passeurs qui font payer des sommes considérables à ces migrants pour les entretenir dans l’illusion qu’ils pourront passer en Grande-Bretagne. Nous démantelons ces filières. Ce sont ainsi vingt-huit filières de passeurs, représentant 700 délinquants, que nous avons démantelées en 2015, ce qui correspond à une augmentation de 25 % du nombre de filières démantelées.

Ensuite, nous voulons que ceux qui vivent dans le froid, la précarité et la boue puissent recevoir un accueil digne dans des centres d’orientation où, pris en charge par des associations, ils peuvent accéder à l’asile et être accompagnés dans un parcours de vie autre que l’impasse de Calais. Nous avons ainsi ouvert 102 centres, dans lesquels ont trouvé refuge 2 780 migrants qui étaient à Calais et à Grande-Synthe ; 85 % d’entre eux sont restés dans ces centres et ont accédé à l’asile.

Enfin, en offrant une solution d’hébergement à chacun, nous voulons démanteler la jungle de Calais. Nous le faisons de façon extrêmement méthodique en essayant, au cours de maraudes, de convaincre chaque migrant de rejoindre ces centres.

Mais il y a des « No Borders », des extrémistes, qui empêchent de façon indigne les travailleurs sociaux de l’État de faire leur travail et qui,…

M. Guy Teissier. C’est logique !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …depuis des mois, envoient les migrants dans une impasse, voire vers une situation tragique, dans le tunnel ou sur le port.

C’est avec la plus grande fermeté que nous mettrons fin à cela. Nous démantèlerons cette jungle et offrirons à chaque migrant une solution digne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Utilisation des téléphones portables dans les prisons

M. le président. La parole est à M. Élie Aboud, pour le groupe Les Républicains.

M. Élie Aboud. Ma question, à laquelle je voudrais associer mon collègue Dino Cinieri, s’adresse à M. le garde des sceaux.

Monsieur le garde des sceaux, ces phrases prononcées par un détenu ne proviennent pas d’une fiction, d’un roman ou du dernier film d’action sorti dans nos salles de cinéma. Non, c’était malheureusement dans la vraie vie – j’ai envie de dire dans la triste vie de nos prisons.

Le 21 février dernier, un détenu du centre pénitentiaire de Béziers, dans l’Hérault, s’est filmé dans sa cellule, à l’aide de son propre téléphone portable, et a partagé ces images sur les réseaux sociaux avec des centaines de milliers de jeunes.

Voici ce qu’il disait : « Vous savez, dans la prison, tout est facile, tout est possible, tout ce que vous avez envie, de l’alcool, de la drogue, toutes sortes de drogue… » Et l’apothéose, c’est qu’il poursuit, avec un sourire radieux et une assurance digne d’un héros des temps modernes : « Vous savez, les prisons, c’est le Club Med ! » (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Monsieur le ministre, dans quelle République vivons-nous ?

Ce sont les Français, les personnels pénitentiaires qui en sont les victimes, mis en danger par la faute d’une politique laxiste en la matière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Il est vrai que vous n’héritez pas d’un dossier facile car votre prédécesseure, qui a marqué par son inaction, faisait des gorges chaudes au nom d’un humanisme mal placé et parfois, malheureusement, destructeur. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Ma question est simple…

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vais vous répondre avec tranquillité, franchise et détermination.

Ce que vous venez de dire est inacceptable, parce que vous avez dit la vérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Cela nécessite une réponse implacable.

S’agissant de ce cas d’espèce, le détenu a fait l’objet de deux procédures : une procédure disciplinaire, qui a été engagée immédiatement par le directeur de l’établissement, et une procédure judiciaire – présenté en comparution immédiate, il a été condamné à six mois fermes en plus de la peine de quatre ans qu’il purge actuellement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

J’imagine que votre question portait sur le fond, c’est-à-dire sur ce qu’il faut faire, notamment pour que ces moyens ne soient plus accessibles.

Il y a trois manières d’agir sur les téléphones portables. D’abord je vous dois la vérité : de plus en plus de téléphones portables sont saisis par les surveillants pénitentiaires – 25 000 l’année dernière.

Pour résoudre ce problème, il existe trois solutions.

La première consiste à brouiller les portables.

Mme Catherine Vautrin. Absolument !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Nous avons actuellement 638 brouilleurs en prison, mais ils sont dépassés car ils appartiennent à une génération technologique qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi 3 millions d’euros ont été budgétés d’ici à 2017 pour acquérir une nouvelle génération de brouilleurs. J’assisterai prochainement à une démonstration de ces brouilleurs qui doivent être très précis, car il ne faudrait pas brouiller tout le voisinage de l’établissement pénitentiaire ou de la maison d’arrêt et les communications des surveillants.

Mme Claude Greff. Il ne faut pas de portables en prison !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Deuxième hypothèse : on pourrait autoriser les portables. Des propositions ont été faites en ce sens, mais ce n’est pas la position du Gouvernement.

Troisième hypothèse : l’expérimentation. Si vous avez des idées, je suis preneur. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Situation financière d’EDF

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, EDF se trouve dans une situation financière alarmante. Deux agences de notation l’ont d’ailleurs mise sous surveillance, ses résultats pour 2015 sont en baisse et sa structure financière se fragilise malgré le récent versement d’un dividende en actions.

Alors que l’EPR finlandais a mené Areva au bord de la faillite, le groupe EDF s’apprête à faire la même erreur en s’engageant dans un projet de construction de deux réacteurs à Hinkley Point, en Grande-Bretagne, pour un montant estimé à 24 milliards d’euros.

EDF doit également racheter la filiale d’Areva chargée de la conception et de la fabrication des réacteurs, dont la valeur est estimée à 2,7 milliards d’euros, sans que l’État assume à ce jour les risques financiers liés à la construction de l’EPR finlandais dont le chantier a pris dix ans de retard et à la construction de l’EPR de Flamanville, qui a déjà deux ans de retard.

À la surprise générale, et en légère contradiction avec la loi de transition énergétique, la ministre en charge de l’environnement et de l’énergie s’est dite favorable à la prolongation d’une dizaine d’années de la durée de vie de dix-neuf centrales françaises pour un montant de quelque 55 milliards – mais que la Cour des comptes chiffre à 100 milliards.

Je vous poserai deux questions.

Premièrement, le Gouvernement est-il favorable au projet anglais d’Hinkley Point, qui risque de dégrader encore la situation financière d’EDF ? Si c’est le cas, est-il prêt à conforter la structure financière d’un groupe aussi important qu’EDF en renforçant ses fonds propres ?

Deuxièmement, au regard de la situation financière d’EDF, le Gouvernement est-il prêt à proposer à la représentation nationale un dispositif de garantie des pertes liées aux deux projets d’EPR en cours, si EDF reprend la filiale d’Areva chargée de la conception et de la fabrication des réacteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Éric Alauzet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous posez deux questions précises auxquelles je vais répondre, en vous remerciant de m’offrir l’opportunité de reparler de la situation financière d’EDF. J’avais en effet apporté une réponse insatisfaisante à M. Mariton, quand il m’avait interrogé à ce sujet.

Votre première question porte plus largement sur la situation financière d’EDF. Les résultats sont tout de même robustes. On a constaté quasiment 5 milliards d’euros de résultats nets. Mais, il faut bien le comprendre, la situation du groupe est liée à un effet de ciseaux.

Nous avons ouvert les tarifs à la dérégulation et le chiffre d’affaires d’EDF est ainsi passé de 20 % en 2014 à 66 % cette année. Dans le même temps, les prix du marché de l’électricité se sont effondrés, ce qui a fait passer le prix du mégawattheure de 50 à moins de 30 euros. La situation financière découlant de ce contexte rend mécaniquement les investissements plus fragiles et crée de la tension. C’est la résultante de l’ouverture des tarifs, c’est-à-dire de la dérégulation, et de la dynamique du marché.

Face à cette situation, HPC – Hinkley Point C – reste un très bon investissement, dont beaucoup d’autres projets pourraient envier la rentabilité, et qui ne dégrade pas massivement la situation financière d’EDF. Le problème est plus large et implique un traitement en profondeur.

C’est ce à quoi nous nous sommes attelés avec l’entreprise, pour rebâtir dans les prochains mois, en pleine visibilité, un projet bien compris. Celui-ci passe par des efforts : ceux de l’entreprise, grâce à des cessions d’actifs et à un plan d’économies, et ceux que consent l’État actionnaire en renonçant aux dividendes, en les transformant en titres d’EDF – ce qui permet 1,8 milliard d’économies – et en demandant partout des économies.

J’en viens aux deux projets de réacteurs. Nous avons besoin de la pleine visibilité sur celui de Flamanville et nous sommes en train de finaliser les négociations avec les Finlandais, pour celui d’Olkiluoto 3.

Plus largement, le défi d’EDF est de continuer à investir sur le nucléaire et sur le renouvelable pour se conformer aux volontés du législateur.

Aéroport de Notre-Dame-des-Landes

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst, pour le groupe Les Républicains.

M. Laurent Furst. Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, le Président de la République a annoncé l’organisation d’un référendum sur la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Derrière la belle image de la démocratie participative apparaissent très vite des motifs beaucoup moins nobles : ceux d’un gouvernement qui ne sait plus trancher et faire respecter la légalité républicaine, ceux d’un Président de la République qui veut un référendum près de quatre ans après son arrivée au pouvoir – quatre ans pendant lesquels le dossier a évolué, progressé, et pendant lesquels le compteur de la dépense publique a tourné.

Que d’interrogations aussi sur le périmètre du référendum et sur sa légalité ! Quelle image donnez-vous aux Français : celle de la faiblesse, de l’inconstance, des petits arrangements politiciens ! Mais derrière tout ça, il y a peut-être plus que la volonté d’éteindre un feu qui couve dans la majorité gouvernementale entre partisans et opposants au projet. Il y a peut-être une nouvelle doctrine de la démocratie locale !

Alors j’aimerais vous poser trois questions.

Le Président de la République a décidé de la fermeture de Fessenheim. Alors que 2 000 emplois sont en jeu pourquoi les Haut-Rhinois n’auraient-ils pas droit de s’exprimer par référendum ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Bonne question !

M. Laurent Furst. Des milliers de personnes en Loire-Atlantique ont manifesté pour le rattachement de leur département à la Bretagne. Peuvent-elles espérer un référendum ?

M. Christian Jacob. Très bonne idée !

M. Laurent Furst. Vous avez décidé d’intégrer l’Alsace dans une vaste région qui n’a ni logique ni cohérence, contre l’avis de 86 % des habitants de cette région. L’heure n’est-elle pas venue de leur demander leur avis par référendum ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, pour vous, le référendum est-il un outil pour sortir des approximations, du bricolage et du manque de courage de la gauche sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou est-il une nouvelle manière de…

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, je n’ai pas très bien compris (« Demandez à Ayrault ! » sur les bancs du groupe Les Républicains), mais j’imagine que, dans votre esprit, il y a une logique, une cohérence entre l’Alsace et les Pays de la Loire, entre votre département et celui de la Loire-Atlantique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Pour nous, s’il y a une cohérence, c’est celle de la France et, pour reprendre votre mot, celle de la « légalité républicaine ». Le Parlement – et donc l’Assemblée nationale – a voté une loi instituant douze régions. Le président de la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, M. Richert, a été élu dans des conditions bien particulières, que vous auriez pu rappeler, du point de vue de la démocratie et de l’idée qu’on se fait de la République.

M. Jean-Pierre Door. Ce n’est pas la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Avec ce président de région, nous travaillons sur tous les dossiers. C’est vrai pour les transports, pour la renégociation du contrat de plan – nous travaillons d’ailleurs ainsi avec les autres présidents de régions –, pour l’emploi et pour la formation. Une réunion particulièrement fructueuse s’est d’ailleurs tenue hier autour de la ministre du travail et des présidents de région sur ces questions, notamment sur le milliard qui doit être mis à la disposition de la formation et de la mobilisation pour l’emploi et des chômeurs. Voilà pour ce qui concerne l’Alsace.

Quant au dossier de Notre-Dame-des-Landes, ici comme ailleurs, lorsque l’on constate des blocages ou des risques de violence incontestés et incontestables, il faut pouvoir s’asseoir sur une nouvelle légitimité démocratique. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

J’ai déjà eu l’occasion de rappeler ici l’attachement du Gouvernement à ce projet. Il ne faut pas avoir peur du choix qui sera effectué par les habitants du territoire choisi. Je me suis déjà exprimé sur ce périmètre.

J’ai confiance dans la démocratie. Vous avez rappelé le résultat d’un référendum organisé en Alsace. Chacun en a tiré les conséquences. Il en ira de même pour le projet de Notre-Dame-des-Landes. Je suis confiant dans le choix qui sera fait par les électeurs pour un projet utile pour le département, utile pour l’agglomération de Nantes, utile pour l’Ouest et utile pour la France. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Accoyer. Vous n’avez pas répondu sur Fessenheim !

Chambres de commerce et d’industrie outre-mer

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le garde des sceaux, la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique pour les outre-mer, dite loi Lurel, prévoyait la délégation de la gestion matérielle du registre du commerce et des sociétés en outre-mer aux chambres de commerce et d’industrie des départements d’outre-mer, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, par une convention passée avec le ministère de la justice. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques est venue conforter cette disposition en actant une expérimentation de trois ans.

Cette mesure, qui devait s’appliquer au plus tard le 1er janvier 2016, n’est toujours pas entrée en vigueur. Son objectif, pourtant, est de régler les nombreux dysfonctionnements de la gestion des greffes des tribunaux mixtes de commerce.

Ainsi, le délai de délivrance d’un Kbis, document important attestant de l’existence juridique d’une entreprise, peut aller de trois semaines à six mois, alors que le code du commerce prévoit un délai réglementaire de 24 heures – 48 heures dans les faits. Dans notre pays, toute personne physique ou morale qui a la qualité de commerçant a l’obligation de s’inscrire à ce registre, qui centralise les informations légales utiles à la publicité commerciale, au développement du crédit, et à la sécurité des transactions.

Aussi, monsieur le ministre, quand comptez-vous rendre effective l’expérimentation de trois ans légalement prévue pour la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, il y a deux manières de répondre à votre question : soit je suis prudent, soit je suis franc. Parce que je crois que notre conversation est intéressante, je vais être franc.

Vous avez rappelé qu’il s’agit de déléguer la gestion matérielle du registre du commerce et des sociétés en outre-mer aux CCI des trois départements d’outre-mer, dont la Guadeloupe. Les obstacles étaient nombreux, ils sont levés en grande partie. Mais l’un d’entre eux nous empêche aujourd’hui d’engager l’expérimentation.

Les greffes des tribunaux mixtes de commerce d’outre-mer utilisent actuellement pour leur gestion un logiciel dont le ministère de la justice n’est pas propriétaire. Ce logiciel, qui s’appelle Alinéa, doit être modifié pour permettre aux CCI d’y accéder de façon adaptée, afin qu’elles exercent les prérogatives prévues par la délégation, notamment l’enregistrement des demandes.

Le propriétaire de ce logiciel – c’est-à-dire certains greffiers des tribunaux de commerce – n’a pas consenti ces évolutions et n’a pas davantage accordé son usage aux CCI concernées par l’expérimentation. Cela explique la situation que vous regrettez.

Évidemment, des discussions sont en cours pour permettre de déployer une version plus moderne et surtout dématérialisée de ce logiciel, permettant aux greffiers d’exercer leurs compétences à distance. Plus vite ces discussions aboutiront, mieux ce sera. Vous savez que l’association des CCI d’outre-mer est régulièrement informée. Deux réunions se sont tenues à la chancellerie, les 15 janvier et 22 février. Le président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, Jean Pouradier Duteil, est reçu aujourd’hui à la chancellerie pour évoquer précisément cette situation. Mais vous l’aurez compris, madame la députée, la réponse n’est pas au ministère de la justice. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Nécessité d’une régulation européenne pour l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

Le salon de l’agriculture de Paris est ouvert depuis samedi. Dans ses allées, mais aussi dans de nombreuses régions, nous constatons la colère, le désarroi et le désespoir des paysans. La justification de l’augmentation des volumes était fondée sur la hausse de la population et de la consommation mondiales. L’augmentation non contrôlée des quantités s’est traduite par une forte baisse des prix, de 25 % par exemple, sur la tonne de lait, ce qui met à mal la situation financière de la majorité de nos agriculteurs.

Monsieur le ministre de l’agriculture, vous avez beaucoup œuvré ces dernières années sur la fiscalité, les installations classées pour la protection de l’environnement – ICPE – et l’agro-écologie, avec le soutien d’une montée en gamme des produits. Aujourd’hui, de nouvelles mesures portant sur les cotisations sociales ont été annoncées et vous avez mis la pression sur la grande distribution pour que la valeur ajoutée soit mieux répartie. Par ailleurs, nous pouvons saluer l’accord obtenu hier entre la grande distribution, les industriels et les producteurs sur le prix du lait.

Cependant, en l’absence de régulation à l’échelle européenne, nous pouvons craindre que ces bonnes mesures ne soient insuffisantes au vu de la réalité des prix. La politique libérale de dérégulation menée depuis 2004 est un échec patent, même dans un contexte d’augmentation de la consommation mondiale.

Le commissaire européen à l’agriculture, M. Phil Hogan, vient au salon cette semaine. Les agriculteurs comptent sur vous, monsieur le ministre, pour lui rappeler la nécessité d’installer des outils de régulation de la production à l’échelle européenne et notre volonté d’écarter les produits agricoles des discussions internationales sur le commerce, en premier lieu du traité de libre-échange transatlantique. Qu’allez-vous dire à M. Hogan et comment comptez-vous être entendu des autres pays européens ?

L’agriculture n’est pas un secteur économique comme les autres. Elle est notre histoire, elle supporte le développement rural et, en fournissant une alimentation saine et durable, elle est notre premier médecin. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez évoqué plusieurs sujets, notamment les négociations qui ont eu lieu entre la grande distribution et un certain nombre d’industriels. Celles-ci se sont poursuivies tard hier ; selon nos informations, elles semblent aller dans un sens plus favorable, en évitant que les prix continuent de baisser.

Au-delà, la crise que connaît le secteur est provoquée par une surproduction à l’échelle européenne. Lorsqu’il a été mis fin aux quotas laitiers, les anticipations tablaient sur des débouchés importants à l’exportation, en direction de grands marchés comme celui de la Chine. Mais la situation économique que connaît cette dernière ne permet plus de nourrir de telles espérances.

Il faut donc tenter de réguler la production et envoyer un signal pour qu’elle cesse d’augmenter, alors que les prix sont déjà bas. Je vous le dis tout de suite, nous ne pourrons pas revenir aux quotas laitiers d’avant 2008, car je ne pourrai pas trouver de majorité sur ce sujet, contrairement à ce que j’ai pu faire sur la vigne et les droits de plantation.

Nous essayons de trouver des arguments juridiques qui figurent dans la réforme de la PAC, que j’ai négociée début 2013. Des articles permettent en effet à la Commission d’agir, par acte délégué ou acte d’exécution, sans avoir le consentement d’une majorité à l’échelle du conseil des ministres de l’agriculture. Je le dirai au commissaire Hogan demain : on ne peut laisser la situation telle qu’elle est sans envoyer un signal clair. Il faut mettre un terme à l’augmentation de la production : c’est l’objectif que je me suis fixé. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Remplacement d’un député

Mme la présidente. J’informe notre Assemblée que le Président a pris acte de la cessation, le 27 février à minuit, du mandat de député de M. Jean-Jacques Urvoas, nommé membre du Gouvernement par décret du 27 janvier 2016.

Par une communication du ministre de l’intérieur datée du 5 février faite en application des articles L.O 176 et L.O 179 du code électoral, le Président a été informé de son remplacement par Mme Marie-Thérèse Le Roy, élue en même temps que lui à cet effet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Nous lui souhaitons bien évidemment la bienvenue.

3

Fixation de l’ordre du jour

Mme la présidente. La conférence des présidents réunie ce matin a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour les lundi 21, mardi 22, mercredi 23 et jeudi 24 mars :

Deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ;

CMP ou nouvelle lecture des propositions de loi ordinaire et organique relatives à la modernisation des règles de l’élection présidentielle ;

Deuxième lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ;

Proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération régionale de l’outre-mer.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

4

Protection de l’enfant

Lecture définitive

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant (n3422).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes.

Mme Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes. Madame la présidente, madame la présidente et madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure pour avis de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, ce dernier examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant marque l’aboutissement d’un long travail parlementaire, fourni et passionnant.

Il me donne l’occasion de remercier tout d’abord les initiatrices de ce texte, Michèle Meunier et Muguette Dini, les deux sénatrices qui, par leur important travail d’audition des acteurs de la protection de l’enfance, d’analyse de la mise en œuvre de la loi de 2007, puis, de rédaction de leur proposition de loi, ont donc été à l’origine de notre travail.

Je tiens à remercier aussi l’ensemble des parlementaires pour leur engagement sur ce texte qui, à bien des égards, n’a pas été facile en raison de son sujet – la protection de l’enfance – qui mobilise de nombreux affects, qui nous oblige à questionner nos a priori, nos inconscients, et qui aborde parfois ce qui relève de l’indicible.

Il n’a pas été facile non plus en raison de sa complexité et de la diversité des sujets abordés : la protection de l’enfance est une politique publique à la fois interministérielle et décentralisée qui mobilise, de près ou de loin, de très nombreux acteurs qui manifestent des attentes fortes vis-à-vis de l’État quant à sa responsabilité à l’égard des enfants les plus vulnérables.

C’est une question qui a donné lieu à quelques désaccords, dont certains ont d’ailleurs été très utiles au débat. Mais, malgré les désaccords, malgré les approches parfois partisanes, ou défensives, nous nous sommes collectivement efforcés de rechercher le meilleur intérêt de l’enfant. C’est l’angle que nous avons choisi pour ce texte ; c’est l’objectif qui nous a rassemblés.

Il fallait, pour réformer la protection de l’enfance, opérer un changement de perspective et accepter de centrer l’intervention sur la prise en compte des besoins de l’enfant. C’est l’attention portée à l’enfant qui devra permettre de modifier les logiques habituellement à l’œuvre, encore trop souvent dominées par les prérogatives parentales ou institutionnelles. Mais c’est aussi l’attention portée à l’enfant qui devra faciliter le travail avec les parents et la prise en compte de leurs difficultés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives.

Plus largement, je travaille à ce que ce changement de regard sur l’enfance se traduise dans d’autres politiques publiques et que cette philosophie, qui place l’enfant, la multiplicité de ses besoins et son parcours au centre de toute action institutionnelle le concernant, puisse être retenue comme une nouvelle étape importante de la reconnaissance des droits de l’enfant. L’action menée en faveur de la protection de l’enfance a d’ailleurs été saluée comme une avancée importante par le comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui a récemment rendu ses observations concernant le cinquième rapport de la France.

Je retiens enfin de ce texte la volonté politique de voir notre ambition partagée se traduire concrètement et rapidement dans le quotidien des enfants accompagnés en protection de l’enfance. Il nous appartient de faire vivre la réforme, une fois la loi promulguée, et de poursuivre la réflexion et l’échange dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route pour la protection de l’enfance. Vous le savez, de nombreuses mesures réglementaires et de soutien aux pratiques professionnelles y sont identifiées pour accompagner la mise en œuvre de la loi. Des outils et des repères seront proposés aux professionnels. C’est dans ce sens que nous travaillons actuellement à la préparation des décrets, dans une démarche réaliste de prise en compte des besoins des enfants, mais aussi des professionnels qui les accompagnent.

Cette réforme de la politique publique de protection de l’enfance est forte de la démarche de coconstruction, de laquelle elle est issue. Le nombre important d’acteurs qui se sont exprimés dans le cadre de la concertation, la prise en compte de la parole des anciens enfants de l’Aide sociale à l’enfance, ainsi que de leurs parents, et l’échange permanent dans le cadre de groupes de travail et de suivi, nous a permis d’élaborer une feuille de route portée conjointement par le politique, la puissance publique et celles et ceux qui la mettent en œuvre au quotidien.

Cette réforme s’inscrit dans une démarche réaliste qui vise son appropriation la plus large possible par les professionnels de terrain. Elle répond à leurs attentes de cadre, de visibilité et de reconnaissance. Elle fixe les objectifs communs, mais s’attache aussi à l’identification de leviers d’action favorisant la traduction concrète de ces belles intentions. C’est pourquoi la feuille de route, qui constitue le volet non législatif de la réforme, comprend aussi un ensemble de dispositions sur la formation, la recherche et l’amélioration de la gouvernance, qui est certainement l’un des enjeux majeurs de la réforme.

L’affirmation d’un État partenaire, qui trouve sa juste place aux côtés des départements, d’un État garant de la protection des plus vulnérables et de l’égalité de traitement sur son territoire, et l’organisation du décloisonnement des interventions sont autant de principes qui ont conduit à la proposition de création d’un Conseil national de la protection de l’enfance auprès du Premier ministre, une instance à la fois interministérielle et opérationnelle. Les observatoires départementaux et l’Observatoire national de l’enfance en danger – ONED –, dont les missions et les prérogatives sont renforcées, participeront eux aussi de cette gouvernance renouvelée et affineront notre connaissance et notre appréhension des besoins des enfants, donc des meilleures réponses à leur apporter.

Le travail d’évaluation partagée, que j’ai conduit avec les parlementaires et l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance à l’occasion de cette réforme, doit se poursuivre pour que la dynamique de travail s’installe dans la durée et que les mesures prises se traduisent par de réelles avancées pour les enfants.

Je suis, vous le savez, très attachée à de nombreuses mesures contenues dans la loi, des mesures souvent innovantes et de justice sociale. Je pense à toutes les mesures prises pour faciliter la transition vers l’âge adulte et permettre aux jeunes de l’Aide sociale à l’enfance – ASE – de bénéficier des dispositifs de droit commun, en matière de logement et d’emploi, notamment. Les protocoles prévus par la loi et le projet d’accès à l’autonomie devront permettre la mobilisation des garanties jeunes, du service civique et de tous les moyens utiles au soutien de leur réussite.

Le versement direct de l’allocation de rentrée scolaire au jeune à ses 18 ans est, vous le savez, une mesure à laquelle je suis personnellement très attachée, et que je continuerai bien entendu à défendre lors de cette lecture définitive. Parce que la sortie du dispositif est souvent brutale, parce qu’elle peut laisser le jeune dans une situation de complet dénuement, l’allocation de rentrée scolaire constituera un petit pécule, un filet de sécurité, pour démarrer dans la vie d’adulte. Mesure de justice sociale, elle est aussi un geste symbolique, témoignant de la confiance de l’institution et de sa volonté d’accompagner le jeune vers l’autonomie.

Plus généralement, des pistes de travail sont ouvertes par cette loi pour mieux mobiliser les ressources de l’environnement des enfants, depuis la prévention jusqu’aux mesures de substitution parentale. Des mesures sont prises pour limiter les ruptures dans leurs parcours et poursuivre les efforts de lutte contre la maltraitance. Ces pistes se prolongent dans les actions de la feuille de route et devraient permettre, si les acteurs s’en emparent, de se dégager des carcans institutionnels pour inventer de nouvelles réponses, en s’appuyant davantage sur les solidarités de proximité.

Les réponses à la pluralité des besoins des enfants, nous avons aussi été les chercher là où elles étaient. Dorénavant, les ressources de l’environnement de l’enfant, toutes les personnes qui comptent pour lui, seront intégrées au projet pour l’enfant, mais aussi aux démarches de prévention, dans le cadre notamment des réseaux de solidarité.

Mesdames et messieurs les députés, je ne vous ferai pas l’inventaire des 101 mesures de la feuille de route, que beaucoup d’entre vous connaissent déjà, pour m’avoir longuement entendue les exposer. J’insiste seulement sur le fait que le vote d’aujourd’hui ne signifie en rien l’arrêt de la démarche. Aujourd’hui est franchie une étape fondatrice de la réforme de la protection de l’enfance, mais nous continuerons de travailler au quotidien avec les élus, particulièrement avec les départements, et avec les professionnels, pour mettre en œuvre concrètement l’ensemble de ces mesures.

Je crois, pour terminer, que nous pouvons être fiers d’avoir fait de l’enfance un sujet de débat et d’attention du Parlement et d’avoir permis à la protection de l’enfance de sortir de l’angle mort des politiques publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Gilles Lurton. Très bien !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Voilà un discours historique !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour procéder à la lecture définitive de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, au terme de débats qui, entamés au Sénat à l’automne 2014, auront duré près d’un an et demi et auront contribué à enrichir considérablement le texte initial de cette proposition de loi, déposée par la sénatrice Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues, parmi lesquels Mme Muguette Dini, auxquelles je tiens à rendre hommage.

Ce texte comporte de nombreuses avancées majeures de nature à remédier aux insuffisances de la loi réformant la protection de l’enfance du 5 mars 2007, qui avait déjà marqué un progrès.

Je pense tout d’abord à la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, prévue par l’article 1er, qui permettra d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l’enfance. Ces politiques restent aujourd’hui caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d’un même territoire, par un cloisonnement de l’action des différents acteurs : les conseils départementaux, les caisses d’allocations familiales, l’éducation nationale et la médecine de ville ne travaillent pas suffisamment ensemble, et cet état de fait a parfois des conséquences très graves pour des enfants en danger ou risquant de l’être.

Je pense aussi aux dispositions de l’article 5, qui précisent le rôle et le contenu du « projet pour l’enfant », élément majeur de ce texte, ainsi que les modalités de son élaboration. Ces dispositions tendent à faire de l’enfant l’acteur central du projet, en l’associant à sa définition, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité.

Je pense également aux mesures qui prévoient l’accompagnement des jeunes majeurs au-delà du terme de la mesure de protection dont ils font l’objet, afin de leur permettre, par exemple, de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée. Ce même souci de faciliter et de sécuriser l’entrée dans la vie adulte des jeunes qui ont été confiés au service de l’Aide sociale à l’enfance inspire le dispositif innovant que vous avez souhaité, madame la ministre. Il prévoit que, lorsqu’un enfant est confié au service de l’ASE, l’allocation de rentrée scolaire qui lui est due doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations, de façon à ce que celle-ci en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. À cette date, le pécule ainsi constitué lui sera versé, afin de lui permettre de poursuivre une formation, de passer le permis de conduire, ou encore d’accéder à un logement.

N’oublions pas que l’on estime aujourd’hui à 40 % environ la part des jeunes sans domicile fixe qui sont issus de l’ASE. L’entrée dans la vie adulte est plus difficile pour les jeunes qui sortent de l’ASE que pour les autres jeunes : ils sont souvent sans économies, sans diplômes, sans emploi, et parfois sans famille.

Parmi les autres avancées essentielles de cette proposition de loi, je citerai, enfin, l’introduction dans le code pénal de la qualification d’inceste, l’encadrement strict du recours aux tests osseux, qui apporte les garanties nécessaires aux mineurs, ainsi que l’obligation faite aux départements de transmettre au ministère de la justice les informations dont ils disposent sur le nombre de mineurs isolés étrangers présents sur leur territoire.

Mes chers collègues, le Sénat a choisi, en nouvelle lecture, de revenir sur la plupart de ces mesures de progrès et de justice sociale, en adoptant, en commission ou en séance publique, des amendements tendant à supprimer tout à la fois : le Conseil national de la protection de l’enfance ; le dispositif de suivi des mesures prises pour lutter contre l’absentéisme scolaire et le décrochage ; le dispositif organisant le versement à la Caisse des dépôts et consignations de l’allocation de rentrée scolaire due à l’enfant confié au service de l’ASE…

M. Marcel Rogemont. Hélas !

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. …enfin, l’obligation faite au président du conseil départemental de mettre en place une commission pluridisciplinaire pour examiner la situation d’enfants confiés à l’ASE depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins.

M. Marcel Rogemont. Il s’agit pourtant d’une très bonne mesure !

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. La Haute assemblée a par ailleurs remis en cause les équilibres que nous avions atteints au sujet du recours aux tests osseux, en prévoyant que ces derniers ne puissent être réalisés que sur décision d’un juge des enfants, et qu’il soit créé, dans chaque département, un comité d’éthique chargé de statuer sur la minorité ou la majorité des personnes à partir des éléments d’évaluation. Pour ce qui concerne l’obligation de transmission des informations dont disposent les départements sur le nombre de mineurs isolés étrangers présents sur leur territoire, le Sénat a modifié la rédaction de l’article 22 quater pour prévoir que le ministre de la justice « détermine annuellement avec chaque département la capacité réelle d’accueil de ces mineurs ».

Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous propose de ne retenir aucun des amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture, que ce soit en commission ou en séance publique. Et je vous invite à adopter définitivement le texte que nous avons voté le 27 janvier, à l’issue de nos travaux en nouvelle lecture, dans la mesure où il comporte des avancées considérables pour la protection des 300 000 enfants qui, dans notre pays, ont besoin de l’accompagnement de l’Aide sociale à l’enfance.

Cette loi offrira de nouveaux outils aux professionnels qui font chaque jour un travail remarquable au service des enfants et des familles en souffrance. Elle permettra par ailleurs d’accroître les liens entre tous les acteurs qui interviennent autour de l’enfant, pour son épanouissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Jean-Paul Tuaiva. Madame la présidente, madame la ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous voilà arrivés au terme de l’examen parlementaire de la proposition de loi déposée par Mmes Muguette Dini et Michelle Meunier en septembre 2014. Malgré l’échec de la commission mixte paritaire, on peut se féliciter que ce texte ait fait l’objet d’un large consensus, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Depuis plusieurs années, de nombreux progrès ont été accomplis dans la protection de l’enfance. Néanmoins, chacun en convient, les dispositifs techniques et théoriques restent trop souvent éloignés de la réalité du terrain et il nous fallait légiférer à nouveau. Aujourd’hui, sans briser l’équilibre initial de la loi du 10 juillet 1989, complétée par la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, cette proposition de loi devrait compléter notre arsenal législatif, améliorer la gouvernance et répondre au manque de coopération et à la persistance des cloisonnements entre les différents secteurs d’intervention.

Parmi les avancées de cette loi, le groupe UDI retiendra tout particulièrement l’inscription de l’inceste dans le code pénal. Je me satisfais d’ailleurs que Mme la rapporteure ait permis l’application dans les collectivités du Pacifique de l’article 22 relatif à l’introduction de la notion d’inceste dans le code pénal. Introduire l’inceste dans le droit métropolitain et ultramarin en tant qu’infraction à part entière permettra de reconnaître enfin la spécificité des violences et des traumatismes endurés par les enfants qui en sont victimes. Il n’était que temps.

Chacun en est bien conscient, la protection de l’enfant est non pas un protocole écrit à l’avance mais bien un travail quotidien fait d’abnégation. Les acteurs de la protection de l’enfance incarnent la cohésion sociale de notre pays, en protégeant et en accueillant les enfants issus de familles que la vie a fragilisées, abîmées, parfois même détruites. Aussi tenons-nous à rendre hommage au travail accompli par l’ensemble des acteurs tant institutionnels qu’associatifs, car il est effectué dans des conditions sociales et financières souvent très difficiles. Si vous me le permettez, j’aurai également une pensée particulière pour la Polynésie, où le suivi des familles et des enfants se révèle d’autant plus délicat à mener au quotidien que nos territoires sont particulièrement vastes et dispersés.

Mes chers collègues, à l’heure du vote final, le groupe UDI regrette seulement que ce texte n’ait que trop peu abordé la question du financement de la protection de l’enfance, pourtant au croisement des enjeux. Depuis plusieurs années, les départements et les territoires, chefs de file de l’aide sociale à l’enfance, sont dans une situation particulièrement délicate et il aurait été nécessaire de renforcer leur action, tant les difficultés auxquelles ils se heurtent sont connues : augmentation du nombre de placements et de leur durée moyenne, situations de plus en plus complexes, arrivée de mineurs isolés. Il aurait été bienvenu de leur allouer des ressources supplémentaires.

Malgré cette dernière remarque, nous soutiendrons cette proposition de loi car, sans répondre à toutes les questions ni résoudre toutes les situations, elle permettra, nous l’espérons, d’apporter du mieux et de prévenir ce qui aurait dû ou pu être évité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes réunis pour adopter enfin en lecture définitive la proposition de loi sur la protection de l’enfance. C’est une mission importante de la puissance publique à l’égard d’enfants déjà malmenés par la vie. L’enjeu est de leur offrir une protection nécessaire et adaptée, des conditions de vie dignes ainsi que la garantie du respect de leurs droits.

Nous parlons d’enfants : il s’agit alors bien plus que des seuls besoins matériels ou du droit à la santé et à la sécurité, par exemple. Bien plus largement et, parfois, de façon plus essentielle, il s’agit des besoins affectifs, intellectuels ou encore sociaux de l’enfant. Pour cela, il est indispensable de définir un véritable parcours d’accompagnement pour des enfants dont le début de la vie a été compliqué. II est nécessaire de pallier les troubles causés par une enfance difficile à l’aide d’un véritable accompagnement qui leur permette d’entrevoir un avenir meilleur.

Les services de protection de l’enfance ont la charge de près de 300 000 jeunes et enfants. Les départements investissent chaque année en faveur de cette mission d’action sociale : actions de prévention et de présence éducative, soutien aux parents en difficulté et, bien sûr, placement de certains enfants. Ce sont des missions essentielles, qui ont aujourd’hui besoin d’être renforcées. De trop nombreux cas de maltraitance ne sont encore détectés que trop tardivement par nos services.

Il s’agit donc de prendre sans tarder les mesures nécessaires pour pallier les difficultés rencontrées, encore aujourd’hui, par nos services, notamment l’insuffisance de la formation des professionnels confrontés à ces enfants et à leur situation de fragilité, qu’il s’agisse du personnel éducatif ou du personnel médical. Certains secteurs d’intervention ont toujours du mal à travailler ensemble, alors que leur coopération permettrait de mieux identifier les situations à risque. Il demeure aussi de fortes disparités territoriales pour lesquelles il nous faudra trouver une solution.

Plusieurs dispositions du texte sont particulièrement bien adaptées pour répondre à ces enjeux. Je tiens à souligner notamment la diversification des modes d’accueil et d’accompagnement des enfants : la particularité de chaque situation aura dès lors plus de chance de trouver la réponse la mieux adaptée. Je souhaite également souligner la possibilité offerte aux parents de très jeunes enfants ou à naître d’être accueillis en centre parental pour favoriser les premiers liens d’attachement de l’enfant et pour leur apporter un soutien éducatif. L’accompagnement des parents, parfois démunis face à la tâche éducative, est une très bonne mesure. Les écologistes sont très sensibles à l’aide à la parentalité, car la protection de l’enfant commence bien avant les constats alarmants de dysfonctionnements.

Il faudrait encore mentionner le développement de la possibilité d’accueil d’un enfant, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, par un tiers à titre bénévole, si c’est l’intérêt de l’enfant. La mention de ces dispositions introduites par la rapporteure est l’occasion de saluer son travail sur ce texte. Le suivi de l’enfant, et de sa mère ayant d’abord accouché dans le secret avant de se rétracter, est également une disposition de bon sens, protectrice pour l’enfant et rassurante pour la mère. Nous espérons que les moyens alloués à l’application de cette mesure se révéleront suffisants dans les faits – nous y veillerons.

La protection de l’enfance recouvre aussi le suivi de ces enfants jusqu’à l’âge adulte. La stabilisation des parcours scolaires et universitaires ainsi que l’accompagnement des mineurs vers l’autonomie pour favoriser leur insertion sociale est une mission incontournable pour garantir notre cohésion sociale à l’égard de ces jeunes déjà fragilisés par la vie.

Enfin, le travail parlementaire a permis d’avancer utilement sur la question controversée des tests osseux sur les mineurs étrangers. Afin de sécuriser le recours à ces tests, nous défendrons qu’ils ne puissent être réalisés que sur décision du juge des enfants. Cet amendement a été adopté au Sénat à l’initiative de ma collègue Aline Archimbaud. En effet, ces tests ne seront possibles que sur décision de l’autorité judiciaire et sur accord de l’intéressé. De plus, sont introduits l’obligation de préciser les marges d’erreurs de ce test et le fait que le doute bénéficiera au jeune. Toutefois, au regard des questions posées par cette technique coûteuse et très peu fiable du point de vue de sa capacité à déterminer l’âge réel des personnes qui y sont soumises, nous aurions aimé que le recours à ce test soit définitivement écarté de notre législation.

Vous l’avez compris, chers collègues, nous sommes dans l’ensemble favorables à ce texte qui nous semble nécessaire et a fait l’objet d’un travail sérieux de concertation de la part, à la fois, de nos deux assemblées, des rapporteurs et du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Moignard.

M. Jacques Moignard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, nos travaux relatifs à la proposition de loi sur la protection de l’enfant s’achèvent aujourd’hui par cette lecture définitive. Tout au long de son parcours – pas moins d’un an et demi, cela a été rappelé –, nous avons eu le loisir de répéter que l’enjeu de cette proposition de loi était de renforcer et d’améliorer la prise en charge des enfants et des jeunes en difficulté, et ce, de façon équitable sur l’ensemble du territoire français. C’est donc dans la prolongation de la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que cette proposition s’inscrit. De plus, nous devons saluer le compromis qui a émergé entre majorité et opposition sur le sujet, preuve de la volonté appuyée du législateur de renforcer la protection des enfants.

Pour tout dire, nous souscrivons aux multiples mesures de prévention relatives au décrochage scolaire et à l’absentéisme, tout autant qu’aux dispositions portant sur l’accompagnement des jeunes leur permettant de terminer leur année d’étude. Je ne ferai pas état des autres dispositions dont nous avons pu largement débattre lors de nos précédentes discussions et que Mme la ministre a évoquées à l’instant – pas moins de 101 mesures.

Toutefois, si nous reconnaissons les réelles avancées affichées par ce texte, je me permets de rappeler l’amendement à l’article 21ter concernant les tests osseux, qui vise à les supprimer purement et simplement, et que nous avons défendu lors des premières et secondes lectures du texte dans l’hémicycle. Ces tests ne pourront être réalisés dorénavant que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé – tel est l’état actuel du texte. Toutefois, et nous le voyons notamment avec les événements migratoires de ces derniers mois, il apparaît très compliqué de recueillir concrètement l’assentiment de l’intéressé. En effet, je doute réellement que nombre d’entre eux puissent franchir l’obstacle que constitue la langue et comprennent la demande d’accord qui leur sera faite.

Si nous souscrivons pleinement à toutes les autres dispositions de ce texte, en dehors, je le répète, de l’article 21 ter, je tiens à rappeler que le groupe RRDP avait évoqué en première lecture une réforme globale de l’adoption. Celle-ci aurait établi de nouvelles bases solides afin de mettre en œuvre une politique familiale fondée non pas uniquement sur les liens du sang, mais également sur les liens du cœur. Il faut que nous changions de paradigme pour aborder l’adoption d’un nouveau point de vue, qui fasse fi des réflexions fondées sur l’idée universellement répandue, mais ô combien fausse, que la famille, même dans le cas de familles recomposées, doit conserver un lien avec le tout biologique.

Il faut bien le dire, tout ce qui entoure l’acte d’une adoption provoque, chez chacun, un cas de conscience : une adoption ne serait-elle que le passage intermédiaire entre un abandon ou un délaissement et un futur hypothétique ? Nous savons pertinemment qu’en matière d’éducation parentale, si la perfection est recherchée, le résultat n’est que subjectif.

Ce texte de loi aborde intimement les responsabilités de l’adulte. Le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures concernant les enfants prenant en compte leur intérêt. Pour toutes ces raisons, le groupe RRDP apporte de nouveau son soutien à ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de la lecture définitive de ce texte, je me contenterai de rappeler brièvement la position de notre groupe, déjà largement exprimée au cours des lectures précédentes.

Nous soutenons d’abord la création d’un Conseil national à de la protection de l’enfance, qui répond à la nécessité d’améliorer la coordination tant entre les différents acteurs qu’entre l’échelon local et l’État. Nous soutenons également le dispositif relatif au versement de l’allocation de rentrée scolaire lorsqu’un enfant est confié au service de l’aide sociale à l’enfance. Son versement à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assurera la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant, est une disposition innovante qui aidera le jeune à débuter dans la vie.

Nous approuvons par ailleurs la réaffirmation du rôle essentiel du projet pour l’enfant avec, notamment, l’encadrement plus strict des décisions de changement de famille d’accueil et la prise en considération des regroupements de fratries. De même, nous approuvons la désignation, dans chaque département, d’un médecin référent, pour améliorer le dépistage des enfants en danger et leur protection, cette mesure étant utilement accompagnée du développement de la formation des professionnels du secteur.

Lors des lectures précédentes, nous avions également souligné quelques insuffisances du texte, regrettant, en particulier, que la prise en charge des mineurs isolés étrangers ne soit pas traitée, ou nous opposant à la possibilité, même encadrée, d’évaluer l’âge de ces enfants à partir de tests osseux. Répétons-le enfin, la question des moyens est cruciale. Sans moyens humains et financiers suffisants, plusieurs dispositifs de ce texte resteraient lettre morte.

En dépit de ces quelques réserves, les députés du Front de gauche voteront de nouveau en faveur de cette proposition de loi qui améliore notamment notre système de protection de l’enfance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumas.

Mme Françoise Dumas. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, ultime étape après plus d’un an de travaux législatifs, la proposition de loi relative à la protection de l’enfance nous revient, enfin, en lecture définitive. Les débats toujours constructifs et les discussions sereines, parfois même transpartisanes et dans l’esprit de la convention internationale des droits de l’enfant, nous ont permis de réformer en profondeur la loi de 2007. Je suis fière du travail effectué en faveur des enfants, de leurs familles et des professionnels qui les accompagnent. Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je tiens à remercier particulièrement Mme la ministre Laurence Rossignol, Mmes Michèle Meunier et Muguette Dini, ainsi que nos rapporteures Annie Le Houerou et Marie-Anne Chapdelaine pour leur engagement sans faille sur ce texte.

Après des années où le droit des familles a primé, l’intérêt supérieur de l’enfant a guidé notre réflexion à chaque étape de la discussion parlementaire. Au terme de la procédure législative, certaines pratiques seront donc amenées à évoluer sur le terrain, afin de surmonter de nombreux obstacles identifiés par les professionnels médico-sociaux, par les partenaires associatifs ainsi que par les familles et les mineurs.

Tout d’abord, la gouvernance nationale et locale sera repensée afin d’assurer une égalité réelle de traitement entre tous les mineurs et sur tout le territoire. La création du Conseil national de la protection de l’enfance, à l’article 1er, constitue la clé de voûte de cette nouvelle politique centrée sur le parcours de chaque enfant, dans un souci de cohérence nationale des outils et des pratiques.

M. Eduardo Rihan Cypel. Exactement !

Mme Françoise Dumas. Ensuite, le renforcement des outils existants permettra une réelle prise en compte de l’intérêt de l’enfant sur tout le territoire. Exit la multiplicité des intervenants, l’insuffisance des formations professionnelles et le manque de coopération qui contribuent à l’insécurité dans les parcours des enfants ! En dépit des arguments financiers avancés par certains, nous soutenons aussi le renforcement de l’utilisation du projet pour l’enfant et la désignation d’un médecin référent de la protection de l’enfance dans chaque département.

Enfin, des mesures fortes permettront aux mineurs durement éprouvés par la vie de se reconstruire. Il s’agit de mettre « des mots sur des maux », si je puis dire : c’est une étape essentielle pour se reconstruire après avoir subi des violences. Je pense en particulier à la notion d’« inceste », violence suprême pour un enfant, mais aussi à celle de « délaissement parental », qui se substituera à la notion d’« abandon », beaucoup plus stigmatisante et culpabilisante.

N’oublions pas que nos décisions concernent près de 300 000 mineurs et jeunes majeurs, ainsi que leurs proches, ceux qui les accompagnent au quotidien. Notre responsabilité est d’assurer à chacun le droit de grandir et de se développer dans un cadre protégé et protecteur permettant de se construire un avenir. Mais elle va aussi beaucoup plus loin ! En effet, dans certains départements, les mesures de protection pouvaient jusqu’alors cesser brusquement à la majorité de l’enfant. C’est pourquoi les conseils départementaux auront l’obligation de déployer une série d’outils visant notamment à préparer ces jeunes à leur vie d’adulte.

Nous soutenons la proposition du Gouvernement visant à permettre de réattribuer au jeune l’allocation de rentrée scolaire au moment de sa majorité.

De même, la prise en charge des mineurs isolés étrangers sera enfin améliorée sur tout le territoire, dans un souci de solidarité entre les départements. Nous devons porter cette ambition au niveau national, afin d’éviter des disparités trop criantes entre les départements. Je sais de quoi je parle puisque je viens du Gard, département très touché par ces nombreuses prises en charge. Les professionnels, eux aussi mobilisés, attendent l’amélioration de ces dispositifs, de nouveaux outils pour travailler et une plus grande cohérence dans leurs interventions.

Madame la ministre, je suis fière de porter, au nom du groupe socialiste, ce texte qui rénove en profondeur notre système d’aide sociale à l’enfance pour faciliter au quotidien la lourde tâche des professionnels en matière de suivi des mineurs. La jeunesse est une priorité du Gouvernement, une priorité de ce quinquennat. Elle est au cœur de notre projet de société. Nous devons l’accompagner en confiance, avec humanité et équité. Je suis convaincue que nous trouverons, sur les bancs de cette assemblée, une unanimité pour soutenir cette très belle proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Bérengère Poletti.

Mme Bérengère Poletti. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, après plus d’un an de navette parlementaire, nous arrivons au terme de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. Vous le savez, ce texte concerne près de 300 000 mineurs et jeunes majeurs ; il représente une dépense annuelle d’environ 7 milliards d’euros. L’objectif était d’aller plus loin que la loi du 4 mars 2007, incomplète, soumise à l’épreuve du temps et nécessitant des améliorations. À l’occasion de cette lecture définitive, je tiens à souligner et à saluer la qualité de nos échanges, de nos débats et des amendements que nous avons examinés tout au long de la procédure législative.

Ce texte a permis des avancées notables. Certaines mesures sont efficaces, comme la nouvelle version de l’article 22 qui, suite à une véritable coopération entre le Sénat et l’Assemblée nationale, crée une qualification pénale de l’inceste valant circonstance aggravante d’infraction à caractère sexuel. Notre groupe soutient cette mesure, qui constitue une avancée importante. Il en va de même pour la création du Conseil national de la protection de l’enfance, à condition, madame la ministre, que cette instance ne se superpose pas à d’autres structures existantes – mais je sais que vous en avez le souci.

Malheureusement, d’autres dispositions destinées à protéger les enfants risquent d’être inefficaces, faute d’être accompagnées de moyens suffisants. Je pense notamment à la création, au sein des départements, des commissions pluridisciplinaires chargées d’examiner tous les ans la situation des enfants confiés à l’ASE, ou tous les six mois s’agissant des enfants de moins de 2 ans. Aujourd’hui, faute de moyens notamment, 30 % des départements n’ont pas satisfait à l’obligation de définition de projets personnalisés pour l’enfant. Or nous assistons à la création de nouveaux niveaux d’intervention et de décision. Vous le savez, cela implique des contraintes supplémentaires pour les conseils départementaux, qui se trouvent au bord du dépôt de bilan et qui risquent de subir une double asphyxie, au niveau de leurs missions tout autant que de leurs moyens.

Notre groupe s’interroge sur la pertinence de l’article 1er bis qui, de nouveau, met à la charge du conseil départemental la mise en place d’un protocole de coordination des acteurs de la protection de l’enfance. Cet article engendre de nouvelles contraintes, de nouveaux surcoûts et allonge les délais, alors que l’intérêt des enfants commande d’agir plus rapidement.

Je ferai le même reproche à l’article 4 : pour de nombreux départements, déjà au bord de la rupture financière, il est impossible de confier de nouvelles responsabilités à un médecin référent chargé de la protection de l’enfance. Dans les Ardennes, par exemple, nous ne disposons que d’un médecin de PMI, déjà surchargé et incapable d’assurer ce travail supplémentaire.

Dans le même esprit, l’article 5 ED, qui consiste à bloquer l’allocation de rentrée scolaire – ARS – sur un compte d’épargne en faveur des enfants confiés à l’ASE, soulève plusieurs interrogations.

Une remarque de gestion s’impose : ce sont les départements qui assument les frais scolaires des enfants confiés à l’ASE. Dans le contexte financier difficile qui est le leur, il serait logique de leur reverser l’ARS, même si nous savons bien qu’en l’état actuel des choses, ce sont les familles qui touchent cette allocation.

J’ajoute une remarque de bon sens : si nous comprenons que le Gouvernement veuille doter les jeunes confiés à l’ASE d’un petit pécule pour démarrer dans la vie, ce n’est pas à l’allocation de rentrée scolaire de l’alimenter. Cette allocation, comme son nom l’indique, vise à couvrir les dépenses de fournitures scolaires des élèves modestes. Si nous devons faire un geste en faveur des enfants confiés à l’ASE, il doit s’agir d’une autre mesure – par exemple, mobiliser une fraction des allocations familiales.

Je souhaite enfin évoquer l’article 16 qui, dans sa rédaction actuelle, avec le gage levé, vient remédier à une situation d’inégalité flagrante. Aujourd’hui, en effet, certains enfants paient toujours des dettes fiscales parce qu’ils étaient mineurs lors du décès de leur parent adoptif et qu’ils n’ont pas été correctement pris en charge. Vous le savez, nous avions adopté, en première et en deuxième lectures, un amendement prévoyant la possibilité de demander à l’administration fiscale la remise des droits impayés pour la partie qui excède les droits qui auraient été dus si les dispositions de l’article 16 avaient été en vigueur à la date du fait générateur, c’est-à-dire du décès de l’adoptant. C’était une mesure de justice, et nous nous étions tous retrouvés pour la voter, avec le soutien du Défenseur des droits, contre l’avis du Gouvernement. En levant récemment le gage sur cette mesure, vous nous rejoignez finalement sur ce point, madame la ministre, et nous nous en réjouissons.

Nous voterons ce texte, qui a été considérablement amélioré par les débats parlementaires.

Aujourd’hui, j’appelle votre attention sur la nécessité de surveiller la rédaction des décrets à venir, de même que la mise en œuvre concrète de cette nouvelle loi sur le terrain. En effet, l’application de ce texte ne doit pas se faire au détriment des départements, qui sont déjà très touchés par certaines de vos mesures, alors qu’on augmente constamment leurs obligations. Vous le voyez, madame la ministre, la plupart de nos critiques portent sur l’incohérence entre la création de nouvelles charges et le manque de moyens pour les mettre en œuvre.

Madame la ministre, vous avez été promue, confortée dans les politiques publiques de l’enfance, et je vous en félicite. J’espère que vous allez en profiter pour faire de cette situation privilégiée un levier efficace, au bénéfice des départements et de leurs budgets. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Marcel Rogemont. Très bien, madame la vice-présidente du conseil départemental des Ardennes !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Texte adopté par l’Assemblée nationale

en nouvelle lecture

Mme la présidente. J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, la proposition de loi dans le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

J’appelle l’Assemblée à statuer d’abord sur les amendements dont je suis saisie.

M. Marcel Rogemont. Défendu ! (Sourires.)

Mme la présidente. Monsieur Rogemont, vous n’êtes pas encore Mme Poletti, que je sache ! Vous n’êtes pas cosignataire de l’amendement n2.

M. Marcel Rogemont. Certes, mais je siège comme elle au conseil d’administration de l’Agence française de l’adoption !

Mme Bérengère Poletti. L’amendement n2 n’était pas le seul amendement déposé par mon groupe : d’autres n’ont malheureusement pas passé les filtres de la recevabilité.

Cet amendement concerne le sujet que je viens de soulever dans le cadre de la discussion générale, à savoir l’allocation de rentrée scolaire. Nous sommes têtus, madame la ministre : depuis le début de l’examen de ce texte, nous considérons en effet qu’il serait logique que cette allocation soit versée aux départements, qui connaissent une situation budgétaire très compliquée. La constitution d’un pécule pour les jeunes de l’ASE est une bonne mesure – en tout cas, c’est mieux que rien du tout ! –, mais il aurait été plus logique de mobiliser pour ce faire les ressources des allocations familiales. En effet, le versement de ces dernières est prononcé par le juge, qui aurait pu répondre à une injonction législative.

Le but de cet amendement est donc d’accroître les moyens des conseils départementaux, qui supportent actuellement les dépenses liées à la rentrée scolaire des jeunes de l’ASE.

M. Éric Ciotti. C’est un excellent amendement !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Défavorable. La commission est aussi têtue que Mme Poletti ! (Sourires.)

M. Rémi Delatte. Malheureusement !

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat en première, en deuxième et en nouvelle lectures.

Comme le Gouvernement et la rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, Mme Michelle Meunier, notre majorité estime que, lorsqu’un enfant est confié au service de l’ASE, l’allocation de rentrée scolaire ou la part d’allocation différentielle qui lui est due doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations de façon à ce qu’elle en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. À cette date, le pécule sera versé au jeune adulte.

Ce dispositif vise à faciliter et à sécuriser l’entrée dans la vie d’adulte des jeunes confiés à l’ASE. Il s’agit d’une mesure de justice sociale particulièrement innovante – je remercie Mme la ministre d’y avoir pensé –, qui est le fruit de concertations avec les anciens de l’ASE. Nous devons penser d’abord à l’intérêt de l’enfant. La prévention des risques liés à l’entrée dans la vie d’adulte évite aussi des dépenses pour les départements, dont les finances ne seront pas mises en péril par cette mesure.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, ministre. À l’issue de l’examen de ce texte et à quelques minutes de son adoption définitive, j’ai un regret, madame Poletti : celui de ne pas vous avoir totalement convaincue sur cet article 5 ED. Je dis « pas totalement », parce que je vous ai déjà à moitié convaincue : nous sommes d’accord sur le fait qu’il est bon de doter les jeunes qui sortent de l’ASE d’un pécule d’entrée dans la vie. Nous sommes donc d’accord sur l’intention de cette mesure et sur le besoin de ces jeunes. Nous divergeons sur le financement de ce petit pécule. La majorité a choisi de ne rien retirer aux départements : il ne s’agit donc d’un manque à gagner que dans l’hypothèse où l’allocation de rentrée scolaire aurait pu leur être versée. Or elle sera versée aux enfants. Mais je le répète, nous convenons tous que ce n’est pas une mauvaise chose que cette allocation, qui est encore versée à tous les parents dont les enfants sont placés, bénéficie en fin de compte à l’enfant. Ceci dit, je comprends que vous vous étonniez de l’originalité de la démarche.

Vous avez évoqué les moyens que les départements consacrent à l’aide sociale à l’enfance. Je sais qu’il s’agit d’une charge importante, d’ailleurs supérieure à 7 milliards d’euros par an puisque cette somme correspond aux placements et aux salaires des assistants familiaux, mais n’intègre pas les salaires des fonctionnaires territoriaux et autres personnels qui accompagnent l’aide sociale à l’enfance. Aussi, monsieur Dolez, on peut certes regretter que l’aide sociale à l’enfance ne bénéficie pas de moyens encore plus importants, mais la France n’a pas à rougir des moyens qu’elle consacre à cette politique.

Cette loi offre aux départements des possibilités d’économies – par exemple, en recourant mieux aux ressources de l’environnement de l’enfant, en mettant l’accent sur la prévention auprès des familles et sur l’assistance éducative, ou en travaillant à un changement des pratiques professionnelles. Pour les départements, beaucoup d’économies sont possibles : moins il y a de placements, plus les économies seront importantes, à condition bien entendu qu’on ne décide pas de maintenir à tout prix des jeunes dans des familles qui peuvent s’avérer dangereuses.

Grâce à cette loi – et c’est ma conviction –, les méthodes de travail peuvent évoluer et des économies sont possibles pour les départements concernant les dépenses lourdes de l’aide sociale à l’enfance. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à l’amendement de Mme Poletti.

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 6 et 7.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n6.

M. Sergio Coronado. Nous sommes plusieurs à être têtus dans cet hémicycle, madame la ministre. En l’espèce notre entêtement concerne une autre question qui a occupé nos débats, à savoir le recours aux tests osseux afin de déterminer l’âge des adolescents.

Aussi bien au sein de mon groupe qu’au sein du groupe SRC, nombreux sont ceux qui y sont fortement opposés notamment en raison du manque de fiabilité de ces tests, avis que partagent les médecins et les instances de la profession. En outre, depuis un certain nombre d’années, les prises de position sont très claires. En 2009, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a, dans ses observations concernant l’examen périodique du cas de la France en matière des droits de l’enfant, noté qu’en dépit de l’avis négatif du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, l’État continue de recourir à l’examen osseux pour déterminer l’âge des enfants.

Madame la ministre a, au cours du débat, fait preuve de beaucoup d’allant, mais elle n’a pas réussi à convaincre de la pertinence du recours à ces tests. L’opposition est assez partagée sur le sujet. Je rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande fermement l’interdiction pure et simple des tests osseux. Je précise que certains tribunaux de grande instance et plusieurs États européens, dont le Royaume-Uni, n’utilisent plus à ce jour cette méthode.

Notre amendement de repli vise à ce que les tests osseux ne puissent être réalisés que sur décision du juge des enfants. Certes, on me répondra que le juge judiciaire est déjà saisi puisqu’il s’agit du procureur. Mais je rappelle que, excepté en France, le procureur de la République n’est pas considéré comme un juge judiciaire, en tout cas, pas par les instances européennes qui nous intéressent dans ce débat. Bref, je voudrais rappeler l’opposition très forte à cette pratique répandue qui s’apparente en fait à la gestion de flux…

Mme la présidente. Merci.

M. Sergio Coronado. …et l’insuffisance des explications de la part du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour soutenir l’amendement identique n7.

Mme Bernadette Laclais. Notre collègue Chantal Guittet qui n’a pu être présente aujourd’hui a rassemblé derrière cette proposition d’amendement un certain nombre de collègues qui s’étaient opposés au recours aux tests osseux, mais ont dans le même temps pris acte des avancées du texte au cours des différentes lectures.

L’amendement vise à remplacer les mots « de l’autorité judiciaire « par les mots « du juge des enfants ». Le débat a eu lieu au Sénat et notre collègue vient d’exprimer une position que je peux en grande partie partager. Nous devrions pouvoir trouver un point d’accord sur le fait de solliciter un juge des enfants, dont la fonction est par définition de prendre des décisions relatives à l’enfance.

Je tiens en conclusion à remercier Mme la ministre pour l’écoute dont elle a fait preuve et sa décision d’encadrer le recours aux tests osseux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Comme vous l’avez rappelé, le débat a eu lieu lors des précédentes lectures. J’émettrai à nouveau un avis défavorable : les garanties apportées aux mineurs dans la rédaction de l’article 21 ter qui a été retenu à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture me semblent suffisantes sans qu’il soit besoin d’ajouter cette précision complémentaire.

M. Patrick Mennucci. Très bien.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, ministre. En première lecture, nous avons encadré de manière claire et ferme le recours aux tests osseux, en posant plusieurs conditions. La décision doit être prise par l’autorité judiciaire – c’est l’objet de votre amendement. Il faut avoir obtenu l’accord de l’intéressé et le doute doit lui être favorable. Nous avons donc fait des avancées importantes sur l’encadrement des tests osseux.

J’ajoute, car il ne faut pas l’oublier, que les tests pubertaires ont été clairement interdits dans cette loi.

En ce qui concerne vos amendements identiques qui consistent à transférer au juge des enfants la compétence qui est aujourd’hui celle des procureurs, le Gouvernement y est défavorable essentiellement pour une raison d’ordre pratique.

Les juges pour enfants ont déjà des tâches lourdes, sont soumis à des délais trop longs, préjudiciables à l’intérêt de l’enfant. Alourdir leurs compétences eu égard à celles relatives aux mineurs isolés étrangers ne nous paraît pas être une bonne décision. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable aux deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Quelques mots sur ces amendements de suppression s’agissant des tests osseux.

M. Sergio Coronado et Mme Véronique Massonneau. Ce ne sont pas des amendements de suppression !

M. Éric Ciotti. Permettez-moi d’évoquer la situation du département frontalier qui est le mien et la situation des mineurs que nous avons accueillis sur le territoire du département des Alpes-Maritimes. Je n’indiquerai que deux chiffres : 174 mineurs isolés étrangers en 2014 ; 1 275 mineurs isolés étrangers en 2015, soit quasiment une multiplication par dix.

Ces arrivées se sont interrompues avec la mise en œuvre du contrôle aux frontières. Pourquoi ? Précédemment, dans le cadre des procédures de réadmission – et je regrette que M. le ministre de l’intérieur se soit momentanément absenté parce qu’il était à Menton la semaine dernière et à ce titre, il pourrait confirmer mon propos –…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je vous rappelle qu’il s’agit d’un texte sur la famille !

M. Éric Ciotti. …les autorités italiennes refusaient de réadmettre les personnes qui se déclaraient mineures. C’est aujourd’hui un motif de fraude majeur s’agissant de l’entrée et du séjour sur le territoire français. C’est un moyen entre les mains des passeurs. C’est faire preuve d’une très grande naïveté que de se priver d’un tel outil. Vous l’avez certes, encadré, pourquoi pas. Mais le fait de demander l’accord du mineur prive cette mesure de tout caractère opérationnel et efficace.

Sur le principe, dans la mesure où la décision du recours à un test osseux est demandée par une autorité judiciaire, je ne vois pas pourquoi l’on s’en priverait. C’est un sujet majeur. Je rappelle les chiffres : une multiplication par dix du nombre des mineurs isolés étrangers en un an dans un département frontalier. Je crains que lorsque les contrôles aux frontières seront levés, on connaîtra à nouveau ces mouvements organisés par des réseaux de passeurs qui utilisent les enfants.

M. Gérard Sebaoun. Cela n’a rien à voir avec notre sujet !

M. Éric Ciotti. Nous avons tous la responsabilité de lutter contre ces réseaux de passeurs et de ne pas faire preuve d’angélisme en la matière !

(Les amendements identiques nos 6 et 7 ne sont pas adoptés.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, telle qu’elle résulte du vote de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515, 3510).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, le premier projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter est destiné à renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et à renforcer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Il a été annoncé par le Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier, pour être un outil qui améliore singulièrement l’efficacité et les garanties de la procédure pénale et pour être tout à la fois une arme contre la menace et un bouclier pour nos libertés fondamentales.

C’est la raison pour laquelle cette entreprise est polyphonique. Les ministres de l’intérieur et de l’économie vont en effet, dans quelques minutes, présenter les parties du texte dont ils assument la responsabilité directe. Il va donc de soi que je me limiterai, dans ce propos introductif, aux dimensions qui concernent le ministère de la justice.

Pour ce ministère, que j’ai l’honneur d’animer, ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’un chantier très ancien, qui remonte à plus d’un an. En effet, comme j’ai eu l’occasion de le dire devant votre commission des lois le 10 février, il s’est nourri d’un profond travail de réflexion mené par trois hauts magistrats comptant parmi les plus respectés – le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, qui a remis en novembre 2013 un rapport sur le ministère public, le procureur général Jacques Beaume, dont les travaux, remis en juillet 2014, portaient sur l’enquête pénale, et le procureur général Marc Robert, qui a travaillé sur la cybercriminalité et dont les préconisations furent remises à Christiane Taubira en septembre 2015.

Les conclusions de ces trois rapports s’accordent pour préconiser de simplifier les procédures tout en accroissant les garanties des justiciables. Toute la partie du texte qui relève de mon autorité s’organise donc autour de cette double ambition.

Les travaux de votre commission ont démontré que nous partagions ce souhait, et j’ai été heureux de le constater. Certes, cela s’est traduit par un doublement du texte – partis de trente-quatre articles à l’origine, nous devons maintenant en étudier soixante-sept –, mais cet accroissement est parfaitement justifié.

D’une part, en effet, vous avez limité le plus possible la part des habilitations données au Gouvernement pour légiférer par ordonnance – il n’en reste d’ailleurs plus qu’une seule qui concerne le ministère de la Justice –, ce dont le Gouvernement se félicite. D’autre part, vous avez très légitimement réintroduit une partie des dispositions déjà adoptées par l’Assemblée nationale, puis jugées inappropriées par le Conseil constitutionnel, dans le texte portant diverses dispositions d’adaptation de notre droit pénal au droit de l’Union européenne – dont M. Dominique Raimbourg, aujourd’hui président de la commission des lois, était alors l’excellent rapporteur. Le Gouvernement se félicite donc de ces ajouts, qu’il estime très utiles.

J’en profite pour saluer l’important travail conduit par vos deux rapporteurs, Pascal Popelin et Colette Capdevielle, ainsi que par le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Yann Galut, sous la responsabilité de Dominique Raimbourg, président de la commission des lois.

À ces félicitations, je veux naturellement ajouter celles que méritent les contributions décisives apportées, lors de vos travaux, par Yves Goasdoué, Cécile Untermaier et Elisabeth Pochon pour le groupe SRC, Georges Fenech, Patrick Devedjian et Philippe Goujon pour le groupe Les Républicains, Jean-Christophe Lagarde et Michel Zumkeller pour le groupe UDI, Alain Tourret pour le groupe RRDP et Sergio Coronado pour le groupe des Écologistes. À étudier la liasse imposante des amendements, je ne doute pas que d’autres parlementaires, comme Guillaume Larrivé, Sébastien Pietrasanta, Éric Ciotti, Philippe Houillon ou Pierre Morel-A-L’Huissier, sauront apporter, dans nos échanges, leur contribution déterminante.

J’en profite d’ailleurs pour souligner que, conformément à la doctrine de la commission, dont je connais la sévérité, je n’ai pas souhaité que le Gouvernement dépose des amendements visant à créer des articles additionnels entre vos travaux en commission et notre séance de ce jour. Les seuls amendements que nous déposons visent donc soit à revenir à l’écriture initiale du texte – car les évolutions apportées nous semblent tout à fait discutables –, soit à préciser des modifications enregistrées, soit à répondre aux interrogations émises par la commission des lois.

L’ambition essentielle du texte est donc, du moins pour la partie qui concerne la justice, la simplification. En effet, comme nous le savons tous et l’entendons souvent, les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du Parquet et de l’instruction, sont accaparés par trop de contraintes procédurales.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les rapports que j’ai évoqués rappellent que beaucoup d’entre elles n’apportent rien au justiciable ou à la sauvegarde des libertés et, dans tous les cas, ces lourdeurs rendent notre procédure incohérente et incompréhensible pour nos concitoyens, lesquels finissent par l’estimer, à tort, déconnectée de la réalité. Pis encore, elles peuvent même finir par créer une insécurité juridique démobilisatrice. En tout état de cause, elles gaspillent un temps précieux, qui pourrait être consacré à l’examen des dossiers.

Ce texte donne donc l’occasion de combattre cette situation. Il ne suffira pas à lui seul, mais j’ai bien l’intention, par tous les moyens législatifs ou réglementaires, d’y revenir dans les prochains mois.

Concrètement, dans ce texte, nous ouvrons déjà, par exemple, la possibilité de faire procéder à la convocation en justice par le délégué du procureur. Cela fera gagner plusieurs mois en évitant une nouvelle transmission du dossier aux enquêteurs pour convocation de l’intéressé, leur permettant ainsi de se concentrer sur leur travail d’enquête.

Nous étendons la possibilité de recourir à la visioconférence pour limiter les transfèrements de personnes détenues lorsque ce n’est pas nécessaire. Ce sera un gain notable de coût et de temps de travail pour les forces de sécurité, qui n’auront plus à organiser des escortes.

Nous simplifions la possibilité, en matière de peines, de prononcer des mesures de travail d’intérêt général, même en l’absence du prévenu à l’audience, lorsque celui-ci a donné son accord et qu’il est représenté par son avocat.

Mais, dans le même temps, à côté de ces simplifications, nous vous proposons de renforcer les garanties dans la procédure pénale, en assurant notamment la place du contradictoire. Depuis vingt ans, l’évolution des pratiques et des textes a consacré un accroissement progressif des enquêtes dirigées par le procureur de la République par rapport à celles confiées au juge d’instruction. Or, ces enquêtes se caractérisent par une présence moindre de l’avocat au cours de la procédure et par l’absence de contradictoire, c’est-à-dire d’accès au dossier et de possibilité de produire des observations.

Si cette situation ne soulève pas de difficultés dans les affaires les plus simples, où les faits sont souvent reconnus, elle n’est plus satisfaisante dans les affaires plus complexes. Le moment est donc venu de renforcer le contradictoire et la présence de l’avocat dans la procédure, et de créer des mesures renforçant la possibilité d’exercer des recours.

Ainsi, l’accès au dossier sera possible, pour le justiciable mis en cause ou pour son avocat, dans les enquêtes dirigées par le procureur, avant l’engagement des poursuites.

De même, la présence de l’avocat sera garantie, lors des reconstitutions et des séances d’identification des suspects.

Nous instaurons, pour les personnes placées en garde à vue, un droit de communication avec les tiers – sauf, bien entendu, en cas d’incompatibilité avec les objectifs de l’enquête.

Nous généralisons la possibilité d’exercer un recours en l’absence de réponse à une demande, quelle qu’elle soit, dans un délai de deux mois – ce qui sera donc applicable en matière de saisie, de contestations concernant les fichiers ou de permis de visite.

Nous créons une procédure de référé-restitution visant à obtenir en urgence la restitution d’un bien saisi lorsque le maintien de la mesure causerait un préjudice irrémédiable dans l’exercice d’une activité professionnelle.

Enfin, le texte comporte des garanties sur les délais de détention provisoire et sur la présentation dans les plus brefs délais, dans le cadre d’une garde à vue, devant le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, qui pourra ordonner la remise en liberté, ce qui respecte évidemment, et j’espère que vous y serez sensibles, les exigences de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Je veux encore citer l’encadrement des perquisitions susceptibles de porter atteinte au secret du délibéré, afin de respecter les exigences constitutionnelles, résultant de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité le 4 décembre 2016, ou les dispositions relatives aux garanties en matière de droit de la défense exigées par la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat.

Un dernier mot sur la modernisation des techniques spéciales d’enquête. Nous répétons souvent dans cet hémicycle qu’il faut en permanence adapter notre réponse face à l’évolution des réseaux criminels. Certaines critiques évoquent à ce propos l’insécurité juridique ou l’instabilité que cela peut générer, mais je ne les pense pas fondées. En effet, si nous ne prenons pas en compte l’évolution des moyens technologiques et nous considérons le droit comme intangible, nous finirons comme le chêne qui se déracine, alors que nous devons être comme le roseau qui résiste.

C’est donc pour qu’il y ait une réponse toujours plus efficace que ce texte propose, par exemple, de permettre au procureur de procéder aux premières vérifications utiles et de corroborer les premiers soupçons pour saisir utilement le juge d’instruction : cela évitera notamment d’engorger inutilement les cabinets d’instructions si les interceptions décidées ne débouchent sur rien.

Mesdames et messieurs les députés, nous poursuivons un objectif commun : consolider, adapter, parfaire notre État de droit. C’est un travail exigeant, semblable à ce qu’est, dans l’univers de la musique, la recherche de l’harmonie ou de l’accord « juste », au double sens de « justice » et de « justesse ». Personne n’a la solution pour y parvenir avec certitude. C’est donc à un travail collectif que je vous invite.

Victor Hugo disait que la conscience est la loi intérieure et que la loi est la conscience extérieure. C’est avec cette conscience que nous saurons construire la loi dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président de la commission des lois, cher Dominique Raimbourg, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd’hui à l’occasion de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Comme vous le savez ce texte a fait l’objet de travaux préparatoires approfondis entre la chancellerie et le ministère de l’intérieur et je souhaite revenir devant vous sur certains de ses aspects qui concernent plus spécifiquement le ministère de l’intérieur et à l’élaboration desquels mes services ont contribué.

Depuis 2012, de nombreuses mesures ont été adoptées à l’initiative du Gouvernement, en liaison étroite avec la chancellerie, afin de renforcer notre arsenal pénal et de l’adapter aux évolutions de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés. Trois lois décisives ont ainsi été adoptées par le Parlement : la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, puis la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et, enfin, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à l’élaboration et à la discussion de laquelle l’actuel garde des sceaux avait grandement participé. À chaque fois, nous avons travaillé en lien très étroit avec les magistrats antiterroristes.

Le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à votre examen s’inscrit dans la continuité de ce travail législatif très intense. Depuis 2012, le Gouvernement n’a cessé de considérer que la lutte contre le terrorisme appelait certaines adaptations des moyens de police administrative permettant de prévenir la commission d’actes terroristes et de renforcer les moyens dont dispose l’autorité judiciaire pour les réprimer. Tel est donc également l’objectif poursuivi par ce texte.

Je veux d’emblée rassurer celles et ceux qui, mal avisés, ont cru ou fait mine de croire que le Gouvernement entendait, avec ce texte, introduire dans le droit commun des mesures applicables seulement dans le cadre de l’état d’urgence. Comme vous pourrez le constater par vous-mêmes à la lecture du texte et au cours des débats que nous aurons, tel n’est pas du tout le cas. Je l’affirme avec netteté : ce projet de loi s’inscrit en tout point dans le cadre des valeurs de la République et du respect des principes de l’État de droit. Pour le Gouvernement, ce n’est pas une option, mais une exigence et une évidence.

Pour faciliter l’examen du texte, il a été décidé que nous commencerions par discuter des mesures relevant de la compétence du ministère de l’intérieur. Dès demain, nous allons donc commencer par les articles 7 à 10, qui portent sur un sujet central dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé : la lutte contre le trafic et la prolifération des armes, qui constitue l’une des priorités absolues du ministère de l’intérieur.

À cet égard, je vous rappelle que j’ai lancé en novembre dernier, avant les attentats, un grand plan spécifiquement dédié à la lutte contre ce type de trafics et que, dans le cadre de l’état d’urgence, nous ciblons plus particulièrement les réseaux logistiques qui arment et financent le terrorisme. Un très grand nombre d’armes, y compris des armes de guerre, ont d’ailleurs été saisies depuis le 14 novembre dernier – pour être précis : 588 armes, dont plus de quarante armes de guerre.

Avant d’en venir aux mesures contenues dans le chapitre V, concernant les enquêtes et les contrôles administratifs, je souhaite évoquer brièvement l’article 4 bis que votre commission, monsieur le président, a souhaité ajouter au projet de loi.

Il revient en effet sur une mesure au sujet de laquelle le Gouvernement s’est déjà prononcé lors du débat relatif à la loi sur le renseignement.

Votre amendement vise à autoriser la direction de l’administration pénitentiaire à recourir à certaines techniques de renseignement, l’intégrant ainsi au « second cercle » des services autorisés à utiliser de telles techniques.

Il va sans dire que cette mesure devra s’accompagner d’un renforcement de la coopération déjà très importante entre les services de la sécurité intérieure et ceux du renseignement pénitentiaire. Cette coopération renforcée permettra incontestablement d’être beaucoup plus efficace dans le suivi d’un certain nombre d’acteurs en lien avec les filières terroristes.

J’en viens maintenant aux articles 17 à 21. Comme je l’ai dit, notre objectif n’est pas de soustraire à la voie judiciaire des personnes qui doivent faire l’objet de poursuites pénales. Je dirai même que ce texte de loi repose sur une logique exactement inverse : nous ne proposons de nouvelles mesures administratives que dans l’hypothèse où il serait impossible d’emprunter la voie judiciaire ou bien pour recueillir des éléments supplémentaires permettant d’entreprendre une telle procédure.

Je souhaite aujourd’hui m’arrêter plus particulièrement sur deux d’entre elles : la retenue de quatre heures et le contrôle administratif des retours sur le territoire national. Si nous avons proposé le principe de la retenue de quatre heures pour vérification de la situation d’un individu, c’est pour une raison extrêmement simple, sur laquelle j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises lors de débats antérieurs.

La menace terroriste à laquelle nous faisons face a changé de nature et les modes opératoires qu’elle emprunte sont inédits, protéiformes, qu’il s’agisse d’individus radicalisés passant à l’acte en solitaire ou bien encore de terroristes aguerris, revenant des théâtres d’opération moyen-orientaux et agissant dans le cadre d’un plan précisément établi.

La retenue de quatre heures concernerait ainsi le cas d’une personne contrôlée qui apparaîtrait liée à des activités terroristes. Concrètement, il s’agirait des cas de contrôles d’identité de personnes faisant l’objet de fiches « S », notamment à nos frontières. Je rappelle en effet qu’une fiche « S » ne peut, en l’état actuel du droit, autoriser l’appréhension ou la rétention d’un individu fiché.

Cette nouvelle mesure nous permettrait de retenir une personne soupçonnée d’activités terroristes pendant une durée maximale de quatre heures pour interroger le service à l’origine du signalement, qui pourra alors consulter les fichiers de souveraineté auxquels lui seul a accès et, le cas échéant, interroger les services partenaires étrangers.

Sur ce point, la rédaction initiale du projet de loi était insuffisante : elle ne permettait pas au législateur d’épuiser sa compétence. La rédaction issue de la commission, à la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur, est beaucoup plus précise et beaucoup plus efficace : le Gouvernement soutiendra donc cette rédaction.

Lors des débats en commission, vous avez souhaité que la séance permette de préciser encore davantage la mesure. Je le dis sans détour : il ne s’agit en aucun cas de mettre en place une garde à vue sans les garanties que celle-ci apporte habituellement. C’est la raison pour laquelle, afin de mieux circonscrire la portée de cette mesure, le Gouvernement donnera un avis favorable à l’amendement du rapporteur qui précise qu’aucune audition ne peut avoir lieu lors d’une retenue de quatre heures.

De la même manière, le Gouvernement donnera un avis favorable aux amendements déposés par Yves Goasdoué et l’ensemble du groupe socialiste qui limitent cette mesure aux seules personnes ayant un comportement en lien direct avec des activités terroristes.

Je souligne par ailleurs que les garanties offertes dans le cadre de cette nouvelle procédure sont supérieures à celles qui figurent déjà dans le code de procédure pénale pour le régime de la retenue pour vérification d’identité. En effet, les vérifications ne pourront être opérées que par un officier de police judiciaire. Le procureur de la République sera obligatoirement avisé du déclenchement de la retenue et pourra y mettre fin à tout moment. L’individu concerné pourra également prévenir la personne de son choix.

Dans le cas où la personne retenue est mineure et que son représentant légal est absent, la retenue ne pourra débuter qu’avec l’autorisation expresse du procureur, qui pourra bien entendu y mettre fin à tout moment pendant le délai de quatre heures. J’ajoute que, s’agissant des mineurs, seuls les magistrats spécialement qualifiés seront habilités à contrôler la mise en œuvre de la mesure, conformément aux principes de l’ordonnance du 2 février 1945.

L’autorisation expresse du parquet n’est pas une mince garantie car, une fois saisi de la situation du mineur, le procureur a toute latitude pour décider en urgence, si la situation le justifie, d’une mesure de protection pouvant prendre la forme d’un placement immédiat dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. La retenue n’a donc pas seulement une finalité répressive : elle a également, pour les mineurs, une finalité protectrice.

Enfin, si la retenue débouche sur une garde à vue, la durée de la retenue s’imputera naturellement sur celle de la garde à vue.

Concernant maintenant le contrôle administratif des personnes de retour d’un théâtre d’opérations terroristes, je veux rappeler devant la représentation nationale un certain nombre d’éléments de contexte.

Tout d’abord, le cadre juridique est aujourd’hui contraint puisque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit, dans son protocole n4, ratifié par la France, que « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant. » Or, au 12 février dernier, sur les 254 individus recensés par la DGSI – Direction générale de la sécurité intérieure – et dont il a pu être établi qu’ils avaient séjourné dans la zone syro-irakienne ou dans toute autre zone de conflit terroriste, 143 seulement ont pu faire l’objet d’une procédure judiciaire.

La judiciarisation des returnees n’est possible que dès lors que sont réunis des éléments permettant d’établir formellement qu’ils ont intégré un groupe combattant – article 421-2-6 du code pénal –, qu’ils ont participé à des combats – article 421-2-6 du code pénal – ou qu’ils sont membres d’une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes – article 421-2-1 du code pénal –, qu’il s’agisse d’une filière d’acheminement ou d’un projet terroriste proprement dit.

Il est donc nécessaire, et j’insiste sur ce point, de recueillir à chaque fois un faisceau d’indices suffisamment probants pour être présenté au parquet en vue d’obtenir l’ouverture de l’enquête judiciaire.

Il est par conséquent indispensable, concernant les personnes non judiciarisées, d’avoir à notre disposition un outil permettant de contrôler les conditions dans lesquelles elles reviennent sur notre territoire et de les inciter à se soumettre à un programme de déradicalisation.

J’ajoute que la mise en œuvre de ce dispositif sera bien évidemment soumise au contrôle du juge administratif – ce que vient confirmer un amendement de votre rapporteur que je vous invite à adopter. Comme pour toutes les mesures de police administrative, le juge opérera un entier contrôle de proportionnalité ; il pourra bien entendu être saisi en référé pour se prononcer dans des délais extrêmement brefs.

Le contrôle administratif des retours sur le territoire national n’a donc aucunement vocation à se substituer aux mesures qui peuvent être prises par l’autorité judiciaire dans le cadre d’investigations portant sur les faits commis lors du séjour à l’étranger.

Devant la commission, votre rapporteur vous avait proposé deux amendements, que vous avez adoptés, qui prévoient que le procureur soit informé de cette procédure et qu’en cas d’engagement d’une procédure judiciaire, la procédure administrative prenne fin sur le champ, immédiatement.

Notre objectif premier est la judiciarisation. Lorsqu’elle est impossible, le séjour en centre de déradicalisation est privilégié et, si la personne refuse de s’y conformer, alors, et seulement à ce moment, les mesures administratives peuvent intervenir pour organiser sa surveillance.

Les débats en commission ont révélé une ambiguïté dans la rédaction de cette mesure, laissant à penser qu’une telle procédure administrative pourrait être engagée dans les mêmes conditions qu’une procédure judiciaire du chef d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ce n’est pas l’objectif du Gouvernement ; je donnerai donc un avis favorable à l’amendement du rapporteur qui supprime tout bonnement l’alinéa à l’origine de cette ambiguïté.

J’en arrive au sujet du périple meurtrier, pour lequel je vous demande d’envisager la création d’un nouveau fait justificatif de l’usage des armes par les forces de l’ordre.

Les événements de janvier et novembre 2015 ont donné lieu à l’utilisation, par les terroristes, de modes opératoires jamais observés auparavant dans notre pays, comme le port et l’activation de ceintures explosives, de manière autonome ou bien combinée avec des meurtres de masse commis au moyen d’armes de guerre.

À ce jour, seule la légitime défense permet aux policiers de faire usage de leurs armes. Dès lors que ceux-ci ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, ils ne sont pas habilités à faire usage de ces armes. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d’évoquer, il est absolument vital de donner la possibilité aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes pour neutraliser des individus dont nous savons qu’ils recommenceront à tuer dès lors qu’ils en auront l’occasion, dès lors qu’ils ont déjà tué.

La disposition présentée par le Gouvernement vise par conséquent à sécuriser l’action des forces de l’ordre. La rédaction qui vous est proposée emprunte ses concepts aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et s’inscrit dans le cadre tracé par sa jurisprudence, en ce qu’elle impose aux policiers et aux gendarmes que soit remplie la condition d’absolue nécessité pour faire usage de leurs armes.

Le but principal de l’auteur des crimes, au cours de son périple, doit être de tuer. Ceci exclut, et je veux être précis sur ce point, le meurtre perpétré par voie de conséquence de son action principale, par exemple celui commis par le braqueur en fuite. Il faudra également que les premiers crimes et l’usage des armes par les forces de l’ordre aient lieu dans un « temps voisin », c’est-à-dire qu’il existe une forme de continuité dans l’enchaînement de ces différentes actions.

Cette mesure s’inspire des réflexions d’un groupe de travail instauré à la suite de l’examen d’une proposition de loi d’Éric Ciotti, permettant aujourd’hui d’avancer vers une proposition qui apparaît équilibrée et consensuelle.

Avant de conclure, je veux évoquer l’article 32 qui prévoit l’instauration de « caméras piétons », devenues, depuis le passage en commission, des « caméras mobiles ». Cette mesure, encore une fois, ne doit rien à l’improvisation. Ce dispositif a été expérimenté et suscite l’adhésion des forces de l’ordre. Nous devrons faire preuve de vigilance afin que les mesures que nous envisageons soient pleinement opérationnelles.

La caméra mobile ne saurait déboucher sur une augmentation du risque contentieux ni sur la multiplication de vices de procédures qui conduiraient à un rejet de ce dispositif par les personnels concernés. Si nous faisions cela, nous nous éloignerions de l’objectif initial de confiance et de proximité entre les forces de l’ordre et la population que poursuit cette disposition. La navette doit permettre de réfléchir aux différentes alternatives qui nous permettront de privilégier la sécurisation de la mesure.

Mesdames et messieurs les députés, l’existence de la menace et son caractère omniprésent nous obligent à nous adapter. Ce projet de loi pénal est le fruit d’une longue réflexion qui a dû nécessairement s’accélérer à la suite des attentats du 13 novembre.

Nous avons, durant la semaine de suspension des travaux parlementaires, poursuivi nos échanges pour parfaire les rédactions et concentrer les mesures sur l’essentiel. Le déroulement des travaux de la commission et l’ensemble des amendements adoptés témoignent de l’implication du Parlement. J’espère que les débats qui vont s’ouvrir permettront de répondre à toutes les préoccupations exprimées par les parlementaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, des actes qui blessent, des actes qui détruisent. Mais le terrorisme commence par la préparation et donc par le financement de ces agissements criminels.

La loi pénale dispose depuis 2001 que le fait de financer en toute connaissance de cause une entreprise terroriste est un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte. Les faits nous l’ont cruellement rappelé à deux reprises en 2015 : un acte de terrorisme, c’est un acte qui a été préparé, organisé et financé. La responsabilité du Gouvernement est donc de prendre les mesures adéquates pour assécher le financement des activités des terroristes, qui cherchent à déstabiliser notre pays, à fracturer notre pacte républicain.

Ce financement peut emprunter de nombreuses routes. Un terroriste peut percevoir des fonds issus d’un trafic illicite – d’armes ou de stupéfiants, par exemple – ou d’une organisation terroriste comme Daech. Il peut aussi se procurer lui-même des fonds par des moyens légaux – je pense, par exemple, au crédit à la consommation.

Par ailleurs, l’argent traverse les frontières nationales plus rapidement encore que les hommes. Il nous faut donc agir non seulement au niveau national, mais aussi aux niveaux européen et mondial. Tel est le sens de mon action en tant que ministre des finances. C’est donc en cohérence avec cette évidence que nous promouvons également au niveau européen et au niveau international les mesures que le Gouvernement vous propose d’adopter.

Au niveau international avec le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a adopté une résolution en décembre 2015 ; avec le G20, qui à l’occasion de sa réunion d’Antalya en novembre 2015 a adopté des textes extrêmement puissants et a confié au Groupe d’action financière, le GAFI, le soin d’élaborer des standards internationaux de lutte contre le financement du terrorisme et de vérifier que chacun des pays concernés les mettaient en œuvre.

Au niveau européen, avec une proposition adoptée en mai 2015, qu’il vous sera proposé de retranscrire en droit français ; avec les propositions toutes récentes de la Commission, qui a déposé un paquet supplémentaire dont la France exige qu’il soit discuté et adopté d’ici le milieu de cette année.

En France, nous avons depuis plusieurs mois renforcé les moyens consacrés à la lutte contre le financement du terrorisme : les effectifs de Tracfin, – ou Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, c’est-à-dire la cellule de renseignement financier –, sont passés de 94 agents en 2013 à 118 en 20l5 et ils seront de 138 en 2016. Nous avons également travaillé à faciliter la circulation de l’information entre les différents services dont chacun a une connaissance fine d’un aspect du financement du terrorisme, qu’ils dépendent de mon ministère ou, par exemple, du ministère de l’intérieur.

Mais l’augmentation des ressources humaines engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une adaptation de notre arsenal juridique. Après les attentats de janvier 2015, j’avais décidé de mettre en œuvre un plan de lutte contre le financement du terrorisme comportant plusieurs mesures destinées à faire reculer l’anonymat dans l’utilisation des moyens de paiement. Parmi les plus emblématiques ou les plus visibles, je veux mentionner l’abaissement de 3 000 euros à 1 000 euros du plafond de paiement en espèces pour les résidents ; le signalement systématique à Tracfin des dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 euros cumulés sur un mois.

Les articles 12 à 15 du projet de loi qui vous est présenté s’inscrivent dans le droit fil de ces mesures.

Nous devons pouvoir sanctionner pénalement le trafic de biens culturels provenant de territoires sous l’emprise d’un groupement terroriste – ce sera fait sous l’autorité du garde des sceaux car il s’agit d’une disposition de caractère pénal. On sait que le trafic d’antiquités constitue une source importante de financement pour Daech et porte une atteinte grave au patrimoine culturel mondial.

Nous devons pouvoir plafonner la valeur monétaire pouvant être chargée sur une carte prépayée. Aujourd’hui il n’existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support des sommes d’argent très importantes.

Nous devons renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l’action du service Tracfin. Ce service aura le pouvoir de signaler, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en œuvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.

Par ailleurs, le droit de communication du service Tracfin sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.

Nous devons par ailleurs alléger la charge de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, sont réunies, sauf à l’intéressé de démontrer l’origine licite des fonds.

Enfin, il vous est demandé d’habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l’Union européenne du 20 mai 2015 ainsi qu’à renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.

Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d’État en préparation par mes services. Celui-ci prévoit notamment une prise d’identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c’est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service Tracfin d’avoir un accès direct au fichier des personnes recherchées afin qu’il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux ses investigations.

Madame la présidente, mesdames et messieurs, telles sont donc les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qu’il vous est demandé d’adopter. Ces dispositions sont cohérentes au niveau européen, au niveau international et au niveau national. Elles nous permettront à l’évidence de lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, co-rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais utiliser les cinq petites minutes qui me sont concédées, en ouverture de notre discussion générale, pour exprimer mon approche de ce projet de loi, s’agissant de la partie qui me concerne plus spécialement, puisque nous nous sommes partagé, avec Colette Capdevielle, la responsabilité de rapporter ses articles de manière thématique.

Tout d’abord ce texte, pour sa partie antiterrorisme et lutte contre le crime organisé, n’est en rien une transposition dans le droit commun des procédures spécifiques de l’état d’urgence. Par les dispositions qu’il contient, il a vocation à apporter des réponses de droit aux angles morts identifiés depuis plusieurs années et dramatiquement mis en lumière lors des événements qui ont récemment frappé notre pays. C’est en ce sens qu’il crée les conditions d’une sortie possible de l’état d’urgence, sans affaiblir nos moyens juridiques de lutte contre le terrorisme.

Ce texte ne constitue pas davantage un quelconque contournement de l’autorité judiciaire. En effet il renforce au contraire les outils mis à sa disposition pour lutter contre les atteintes graves portées à l’ordre public et les prérogatives nouvelles qu’il confie à l’autorité administrative se situent sans ambiguïté en amont de toute procédure judiciaire, de manière strictement encadrée, avec le souci scrupuleux du respect en toutes circonstances des libertés fondamentales.

Puisque la critique a été formulée, je ne considère pas non plus que ce projet de loi marque un affaiblissement du juge d’instruction au profit du parquet. Il donne simplement de l’homogénéité aux outils mis à la disposition de l’ensemble des magistrats qui interviennent chacun à des stades différents du processus judiciaire, sur des enquêtes d’une gravité et d’une complexité variables, mais dont je rappelle que 97 % sont aujourd’hui conduites sous l’autorité du procureur de la République.

Je veux aussi redire ici que le Gouvernement, la commission des lois, tout comme votre serviteur dans la perspective de nos débats en séance publique, ont été très attentifs à l’équilibre entre réalisme et efficience des moyens de protection de la société d’une part, et respect des libertés et des principes généraux de notre droit français et international d’autre part. Ce débat est récurrent dès lors qu’il s’agit de questions de sécurité. Il doit toujours être tranché sans faiblesse, mais sans excès, de manière juste et proportionnée. C’est l’honneur de ce gouvernement et de ceux qui le soutiennent de ne jamais vouloir s’abstraire de cette double préoccupation.

Ainsi, en commission, avons-nous davantage encadré le recours aux moyens spéciaux d’enquête, qu’il s’agisse des perquisitions domiciliaires nocturnes, de la sonorisation, de la fixation d’images ou de la captation de données informatiques. S’agissant de l’IMSI catcher, qui soulève toujours autant de débats, je vous proposerai demain plusieurs amendements de nature à renforcer encore le cadre juridique régissant son utilisation.

La commission des lois a aussi bien voulu me suivre dans ma volonté de renforcer les garanties applicables aux mesures administratives proposées.

Ainsi avons-nous adopté un amendement visant à préciser l’objet de la nouvelle retenue administrative, qui paraissait flou dans la rédaction initiale. Je proposerai de compléter encore sa définition, en précisant qu’elle ne peut en aucune manière donner lieu à audition. J’ai entendu tout à l’heure le ministre de l’intérieur indiquer par avance que le Gouvernement donnerait un avis favorable à cette proposition. Je vous inviterai aussi à renforcer les garanties offertes aux mineurs qui feraient l’objet de cette procédure, sur lesquelles nous avions quelque peu buté il y a deux semaines en commission.

Avec le même souci de rigueur et de précision, la commission a adopté un amendement éclairant les conditions réelles et objectives pouvant conduire à justifier l’usage des armes dans le cadre du nouvel état de nécessité. Deux amendements, visant à mieux coordonner les procédures administratives et judiciaires applicables aux personnes qui reviennent sur le territoire national après s’être rendues sur un théâtre d’opérations terroriste ou qui ont tenté de le faire, ont été votés. Nous avons ainsi très clairement indiqué que l’ouverture d’une procédure judiciaire primait sur toute mesure de police administrative quand il était possible de la mettre en œuvre immédiatement. Je vous proposerai d’être encore plus nets, au moyen d’un amendement permettant de mieux distinguer encore les procédures administratives et judiciaires.

Un travail d’amendement conséquent a donc été mené par la commission des lois. Il s’est effectué avec sérieux, dans un esprit d’écoute, qui a permis l’adoption d’amendements d’origines fort diverses, au-delà de ceux du rapporteur.

C’est dans cet esprit, je crois, qu’il nous faut poursuivre nos travaux. J’ai confiance, compte tenu des enjeux, dans notre capacité collective à y parvenir. Soyez assurés que je m’y emploierai avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, co-rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, chers collègues, nos compatriotes nous demandent à la fois de très bien les protéger mais aussi de défendre leurs droits et leurs libertés. Les attentats récents ont sérieusement ébranlé notre vivre ensemble, construit autour des valeurs démocratiques que nous partageons tous – je l’espère – ici.

Or nous ne pouvons espérer vivre ensemble sans compromis. C’est même le cœur de notre mission, à nous, les parlementaires, qui sommes chargés de réguler dans le consensus, par des processus démocratiques, nos divergences et nos conflits d’intérêts.

C’est tout l’enjeu de ce projet de loi, qui repose sur cet équilibre entre nécessité de sécurité et nécessité de préserver nos libertés.

Ce texte est le fruit d’un long travail de Mme Taubira et de ses équipes, et je tiens à leur rendre hommage. Il est fondé sur les rapports Nadal, Robert et Beaume.

C’est un texte qui est très attendu par la plupart des professionnels et il répond aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’homme et les directives européennes. Avec mon collègue, Pascal Popelin, avec lequel j’ai beaucoup travaillé, nous nous sommes employés à enrichir, simplifier le texte, tout en conservant son esprit et son essence initiale.

J’insisterai particulièrement sur les dispositions que la commission des lois m’a confié le soin de rapporter, qui ont trait à la lutte contre le financement du terrorisme et des activités criminelles, les articles 12 à 16, et la modernisation de notre procédure pénale, c’est-à-dire les titres II et III.

Concernant la partie relative au blanchiment, la commission a peu modifié le texte initial. L’incrimination créée à l’article 12 permettra de poursuivre les trafiquants de biens culturels. C’est une grande avancée.

Les apports de la commission se sont principalement concentrés sur la seconde partie du texte, qui est relative aux garanties offertes par la procédure pénale et à sa simplification.

Seul l’article 24, relatif à l’introduction du contradictoire, évoqué par M. le garde des sceaux, dans l’enquête préliminaire, a été profondément revisité, modifié, dans un sens réellement beaucoup plus ambitieux.

Nous avons déjà bien travaillé avec le Gouvernement et je sais qu’il nous proposera une autre version de compromis dans le même esprit.

Les travaux de la commission ont abouti à l’adoption d’un grand nombre d’articles additionnels : trente nouvelles dispositions ont été retenues.

Je développerai rapidement trois points essentiels.

Premièrement nous avons profité de ce texte pour réintroduire dans notre droit toutes les dispositions qui ont malheureusement et injustement été censurées pour des raisons de forme par le Conseil constitutionnel à l’été 2015. Nous restons guidés, monsieur le garde des sceaux, par le principe de l’individualisation des peines en donnant aux juridictions la plus grande latitude dans les décisions qu’elles prononcent. Il en va du droit des personnes autant que des prérogatives de l’autorité judiciaire.

Deuxièmement, nous avons souhaité réduire autant que possible le périmètre des ordonnances prévues à l’article 33 du projet de loi initial : il comportait 21 habilitations et nous avons réduit ce total de moitié en introduisant dans le projet de loi de nouvelles dispositions, afin que le Parlement puisse en connaître.

Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, d’avoir accepté de nous soumettre ces dispositions.

Troisièmement, nous avons apporté une multitude de corrections ponctuelles à la procédure pénale en intégrant les recommandations formulées de longue date par les juridictions.

Les mécanismes de l’appel, de la saisine de la chambre de l’instruction, du pourvoi en cassation, sont ainsi considérablement simplifiés.

L’arrivée de ce texte dans l’hémicycle marque une nouvelle étape. Compte tenu du grand nombre d’amendements déposés par tous les groupes, je souhaite qu’ensemble nous améliorions encore ce texte, pour faire avancer le droit mais aussi les droits des justiciables.

Avec Mme Marie-Anne Chapdelaine, nous vous proposerons d’incorporer les dispositions relatives à la protection des sources des journalistes, qui concernent le code de procédure pénale et que notre commission des lois a votées il y a des années.

Mes chers collègues, grâce au travail collaboratif avec l’ensemble des ministres concernés – trois ministres au banc, ce n’est pas rien –, je peux dire que ce texte est aujourd’hui équilibré.

Aux moyens supplémentaires que nous donnons à l’investigation judiciaire répondent des garanties nouvelles que nous octroyons aux justiciables. C’est donc un texte à la fois urgent et attendu que je vous invite à venir enrichir durant ces quatre jours et trois nuits de débats qui s’annoncent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, j’ai été saisi du chapitre IV du titre Ier comportant les articles 12 à 16 du projet de loi relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ainsi que de l’article 33 tendant à autoriser le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnances afin de transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015 – dite « quatrième directive anti-blanchiment » – ainsi que le règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.

Je tiens à souligner que les mesures que prévoit le projet de loi dans le champ de l’avis que j’ai rendu constituent des avancées majeures. Tout d’abord, elles permettent de renforcer les moyens d’action de deux acteurs essentiels dans la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme : Tracfin et les services douaniers.

Ensuite, en encadrant l’utilisation des cartes prépayées, le projet de loi tire les conséquences des nouvelles pratiques de financement utilisées par les organisations criminelles.

Enfin, les dispositions du projet de loi semblent donner en grande partie satisfaction aux acteurs concernés, ce dont je me réjouis, car cela signifie qu’il s’agit de mesures opérationnelles et attendues.

Comme vous le savez, ce texte a fait l’objet d’une procédure accélérée, ce qui était souhaitable dans le contexte actuel, mais ce qui nous a laissé peu de temps pour creuser les pistes d’amélioration avec l’ensemble des acteurs impliqués. J’ai profité du peu de temps imparti pour travailler sur certaines propositions qui viendront, je l’espère, utilement renforcer et sécuriser notre corpus juridique de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux.

J’ai déposé plusieurs amendements lors de la discussion en commission des finances : sept ont été adoptés. Ils prévoient des évolutions sur différents volets, en actant le principe d’un plafonnement du rechargement en liquide des cartes prépayées, en sécurisant l’environnement juridique des banques dans le cadre du nouvel appel à vigilance de Tracfin, en donnant la possibilité aux douanes de mener des enquêtes sous pseudonyme et en élargissant, pour ces mêmes services, la possibilité de recourir aux prélèvements d’échantillons.

Les amendements nouveaux que je présenterai au cours de la discussion portent sur des sujets plus délicats, qui demandent un temps de réflexion supplémentaire. J’espère qu’ils donneront lieu à un débat constructif. Je souhaite en effet avancer sur les points suivants.

Tout d’abord, eu égard au caractère transfrontalier du terrorisme et au développement du micro-financement en argent liquide, il paraît légitime de donner compétence aux services des douanes, et a minima au service de la douane judiciaire, en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

Dans la même logique, je souhaite lancer le débat en abaissant le seuil de l’obligation déclarative à 5 000 euros pour les transferts intracommunautaires. Pour les montants les plus importants, je propose d’exiger des documents permettant de justifier de la provenance des fonds. Cette obligation ne me paraît ni disproportionnée, ni impossible à mettre en œuvre, dès lors qu’elle concerne des sommes en liquide dont le montant excéderait 50 000 euros. Parallèlement, je souhaite rendre plus dissuasif le manquement à cette obligation déclarative en renforçant les sanctions pécuniaires. L’ensemble de ces mesures est en parfaite cohérence avec le dernier plan d’action présenté par la Commission européenne le 2 février dernier.

Ensuite, il me semble important d’adapter les procédures d’enquête au défi que représente l’utilisation massive des moyens de télécommunication, notamment par les organisations terroristes. Nos outils juridiques montrent aujourd’hui leurs limites face au développement de ces nouvelles technologies, qui recèlent des éléments de preuve essentiels. Malgré la dimension internationale de ces enjeux, il paraît fondamental que la France se positionne comme précurseur…

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. …en prévoyant un dispositif contraignant, afin d’avoir accès aux données stockées sur les terminaux électroniques des criminels. Vous suivez l’actualité et savez ce qui se dit aux États-Unis concernant Apple.

Enfin, je pense qu’il est essentiel de mettre en cohérence les compétences du parquet national financier avec la réalité des missions qui lui sont dévolues. Ce nouveau parquet, créé par la loi du 6 décembre 2013, et dont j’ai activement soutenu la mise en place en tant que rapporteur de la commission des lois, doit pouvoir s’affirmer au sein de notre architecture judiciaire.

Monsieur le ministre, j’ai conscience que ces évolutions bousculent en partie des répartitions de compétences, des habitudes de travail ou certains niveaux de sanction figés de longue date. Mais le contexte dans lequel nous sommes plongés nous interdit l’immobilisme. Malgré l’urgence, nous ne pouvons pas faire l’économie de ces débats essentiels. Je sais que tous mes amendements n’aboutiront peut-être pas lors de cette discussion, ce qui est normal, mais je souhaite que le Gouvernement se saisisse de ces questions et que nous continuions à avancer main dans la main pour améliorer encore l’efficacité de notre lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Il en va de la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au moment solennel de défendre, au nom du groupe Les Républicains, cette motion de rejet préalable, me revient à l’esprit l’allégorie de la caverne, exposée par Platon dans La République.

L’homme, du fond de la caverne, n’a qu’une perception partielle de la réalité. Cette caverne, c’est aussi celle des idéologies qui en dépit des menaces auxquelles nous sommes confrontés, interdisent d’apporter les réponses pourtant nécessaires.

Ce texte aurait pu – et aurait dû – procurer l’occasion à la majorité de sortir enfin de la caverne et de voir la réalité en face. Ce texte, à la faveur de votre nomination monsieur le garde des sceaux, aurait pu vous donner l’opportunité de revoir en profondeur la politique pénale conduite depuis quatre ans : une politique qui a échoué face à la criminalité et face au terrorisme.

Ce texte aurait pu et aurait dû également vous donner l’occasion de remettre à plat notre politique judiciaire. Il aurait pu et aurait dû être cette grande loi de programmation pour la justice que nous réclamons depuis de nombreuses années et que les magistrats eux-mêmes réclament ouvertement.

Au final, ce texte risque d’être surtout celui des occasions manquées.

Je ne puis que constater, en effet, qu’en dépit d’une prise de conscience tardive – et néanmoins réelle – dans ce domaine comme dans d’autres, que le Gouvernement ne soumet pas au législateur un texte à la mesure des enjeux graves, terrifiants même, qui nous menacent.

Notre pays est confronté à un niveau de menace sans précédent, nous le savons tous. Je pense bien sûr à la menace terroriste et aux attentats qui ont frappé tragiquement notre pays au cœur durant l’année 2015.

La France, nous le savons, sera à nouveau frappée. Le Premier ministre l’a récemment admis.

Les filières terroristes, comme le parcours des criminels ou des délinquants, sont entrelacées avec les réseaux de la criminalité organisée et de la délinquance du quotidien, celle qui touche les Français dans leur quartier, dans leur village.

Face à ces réseaux structurés, organisés, actifs, il convient de renforcer de manière pérenne l’efficacité de nos dispositifs de sécurité, mais aussi et surtout de la justice et de l’administration pénitentiaire.

Je le dis de nouveau ici, avec force : la première des libertés, c’est la sécurité. Nous avons ensemble ce devoir de veiller à garantir cette sécurité, pilier de nos libertés.

Nous abordions ce débat, messieurs les ministres, monsieur le garde des sceaux, avec l’esprit d’ouverture qui nous a toujours animés et qui nous a toujours conduit à soutenir, en responsabilité, toutes les initiatives qui ont renforcé la sécurité des Français, notamment contre le terrorisme.

Mais nous avons été déçus, nous devons le reconnaître, très déçus de constater en commission qu’il n’existait aucune volonté de la majorité – je dis bien « de la majorité », pas forcément du Gouvernement – de rompre véritablement avec la politique du passé, avec cette politique qui a échoué.

Nous vous faisons crédit, monsieur le garde des sceaux, d’une lucidité nouvelle et d’une volonté réelle de réorienter la politique pénale et judiciaire. Nous connaissons votre maîtrise du sujet, votre pragmatisme, et nous connaissons aussi votre opposition à l’idéologie qui animé votre prédécesseur pendant quatre ans.

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. Éric Ciotti. Or, les réelles avancées en matière de politique pénale que les Français demandent, exigent, et que la situation impose, ne sont pas au rendez-vous. Ce projet de loi, mes chers collègues, sera donc une occasion manquée, celle d’engager la vraie réforme de la justice dont la France a besoin.

Depuis 2012, je le redis, nous réclamons une grande loi d’orientation et de programmation, embrassant l’ensemble des problématiques liées au terrorisme et à la grande criminalité.

Depuis le début de la législature, nous en sommes au septième texte de lutte contre le terrorisme : au huitième, si nous ajoutons le projet de révision constitutionnelle.

Le morcellement des textes, leur étalement, nous ont fait perdre beaucoup de temps, trop de temps, au détriment de la sécurité des Français.

Le nombre de ces textes nous éclaire sur le malaise et sur la forme d’inconséquence qui règne au sein de la majorité. Chaque nouveau drame vous amène à consentir avec peine à de nouvelles concessions idéologiques, sans que vous ne parveniez jamais à aller au bout des réformes indispensables.

Aujourd’hui, nous le savons, c’est toute la chaîne judiciaire qui souffre d’un manque cruel de moyens, mais aussi des ravages de la politique pénale conduite par Mme Taubira.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. N’importe quoi ! Ça suffit !

Mme Cécile Untermaier. Le disque est rayé !

M. Éric Ciotti. À bien des égards, ce projet de loi conforte les reculs accumulés depuis quatre ans et reste sur la même ligne idéologique erronée.

La contrainte pénale d’abord : je pense aux peines de probation en milieu ouvert, particulièrement dangereuses car elles gomment toute référence à la prison.

Mme Elisabeth Pochon. Avez-vous des chiffres ?

M. Éric Ciotti. Nous souhaitons qu’elles soient supprimées. Vous l’avez refusé en commission.

Cette peine, il faut le savoir, est aujourd’hui applicable à tous les délits punis d’une condamnation allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, mais en 2017, au 1er janvier prochain c’est-à-dire demain, elle sera étendue à tous les délits passibles d’emprisonnement ! Concrètement, cela signifie que les personnes condamnées pour agression sexuelle aggravée, violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, proxénétisme ou trafic de stupéfiants pourront éviter la prison.

Mme Elisabeth Pochon. Fantasme !

M. Éric Ciotti. Cette mesure envoie aux délinquants un message d’impunité particulièrement dangereux.

M. Philippe Goujon. C’est grave !

M. Éric Ciotti. Elle se justifie d’autant moins que la France s’inscrit déjà parmi les pays qui ont le plus développé le suivi des condamnés en milieu ouvert. De plus, elle est peu utilisée, comme les récentes statistiques l’ont montré.

Quant aux peines planchers pour les délinquants récidivistes qui avaient été mises en place par la précédente majorité et que vous avez supprimées, elles étaient appliquées en moyenne dans 40 % des cas éligibles, dans le respect du principe constitutionnel d’individualisation des peines. Les juges y ont en effet eu recours de manière très ciblée. Malgré ce bilan favorable, votre majorité a abrogé le dispositif ; là encore, l’idéologie l’a emporté sur le souci d’efficacité.

Le troisième exemple qui montre que nous devons revenir sur cette politique pénale erronée est la question de la déconstruction de la peine. Alors que les condamnations devraient être exécutées, elles sont aujourd’hui au contraire majoritairement déconstruites par l’aménagement quasi-automatique de la peine, par l’inexécution de la peine – 100 000 peines de prison exécutoires non exécutées –, par la réduction de la peine. Cela, nous le savons, nourrit un profond et pernicieux sentiment de défiance envers notre justice.

Il est dès lors de la responsabilité des pouvoirs publics, de notre responsabilité, de votre responsabilité, messieurs les ministres, de mettre fin à cette forme d’hypocrisie qui consiste à légitimer des aménagements de peine systématiques ou à laisser les condamnés à de courtes peines en toute liberté pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales. La loi, théorisait Carré de Malberg, est l’expression de la volonté générale ; or cette volonté générale, vous le savez, exige, réclame l’effectivité réelle des peines prononcées.

Mme Cécile Untermaier. Mais c’est bien le cas !

M. Éric Ciotti. Notre groupe a ainsi déposé plusieurs amendements visant à rendre plus effective l’exécution des peines en limitant les réductions et les aménagements de peine aujourd’hui en vigueur.

Plus grave encore – et quelle erreur ! –, la commission des lois a créé, puisqu’une majorité de ses membres a voté en ce sens, un article 27 sexies qui élargit les critères d’appréciation des conditions permettant l’octroi de réductions de peine supplémentaires. Il reconnaît au juge d’application des peines – mesure complètement folle – un nouveau critère d’appréciation permettant de prendre en compte les conditions matérielles de détention et le taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire.

M. Guillaume Larrivé. On marche sur la tête !

M. Éric Ciotti. En d’autres termes, pour régler le problème intolérable de surpopulation carcérale – ce que vous avez toujours refusé de faire, puisque vous avez mis un terme au programme de construction des 24 000 places de prison qui avait été prévu par la loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines –, vous décidez d’accorder davantage de crédits de réduction de peine sur la base des conditions de détention ; on croit rêver !

M. Pierre Lellouche. Bravo !

M. Éric Ciotti. Cette disposition est naturellement profondément anticonstitutionnelle. Elle justifierait à elle seule l’adoption de notre motion de rejet préalable.

M. Philippe Goujon. Évidemment !

Mme Cécile Untermaier. Le Gouvernement va demander sa suppression !

M. Éric Ciotti. Je vous rappelle que dans sa décision du 13 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne qui avait le même objet. Cette mesure aurait pour effet de créer une rupture d’égalité devant la loi, principe constitutionnellement garanti. Concrètement, son application signifierait qu’à situation égale, un détenu se trouvant dans un établissement pénitentiaire caractérisé par un taux d’occupation élevé aura plus de facilité à obtenir des réductions de peine que le détenu se trouvant dans un établissement où les conditions matérielles sont plus favorables. Ce n’est pas acceptable. Nous allons bien entendu défendre un amendement de suppression. Monsieur le garde des sceaux, nous comptons sur votre soutien pour supprimer une disposition aussi aberrante d’un point de vue juridique.

Mme Cécile Untermaier. C’est déjà le cas !

M. Éric Ciotti. Ce projet de loi accroît également les contraintes procédurales sans pour autant répondre à la réalité et à la gravité des menaces. Je ne citerai que deux exemples.

D’abord, la commission des lois a introduit par amendement la communication systématique du dossier aux parties au stade de l’enquête préliminaire. L’Union syndicale des magistrats estime qu’une telle mesure provoquerait « une désorganisation complète de la chaîne pénale » et générerait « un ralentissement majeur de la réponse pénale », au détriment de l’efficacité des procédures.

Un autre exemple est la création d’un nouveau cas de retenue pour examen de la situation administrative d’une personne à l’encontre de laquelle – M. le ministre de l’intérieur l’a évoqué voilà quelques instants – il existe des « raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Cette mesure est entourée de telles lourdeurs procédurales qu’il est permis de douter de la possibilité de son application.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Éric Ciotti. Il est notamment prévu que la retenue ne peut excéder quatre heures, et la rédaction actuelle réduit de manière contraignante les actes susceptibles d’être conduits au cours de cette période ; je crois même avoir entendu que vous vouliez aller encore plus loin.

Mes chers collègues, la justice a besoin d’une grande réforme : ses procédures sont devenues obsolètes, ses moyens sont devenus indigents, les magistrats sont débordés, ils croulent sous les dossiers et les procédures.

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas le sujet !

M. Éric Ciotti. Ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux, il ne permet pas de relever ces défis.

Ce projet de loi ne sera pas non plus au rendez-vous en termes d’efficacité pour améliorer les capacités d’investigation et d’action dont nos forces de l’ordre ont besoin.

M. Jean-Claude Guibal. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Éric Ciotti. Ce sera, là encore, une occasion manquée. Comme en matière de justice, il ne sera pas au rendez-vous des attentes des policiers et des gendarmes dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme.

Certes, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l’économie et des finances…

M. Michel Sapin, ministre. Des finances !

M. Éric Ciotti. Pardonnez-moi, monsieur le ministre des finances ; je ne voudrais pas créer d’inimitiés entre vous et M. Macron, il y en a déjà suffisamment au sein du Gouvernement... (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Cécile Untermaier. C’est lamentable !

M. Éric Ciotti. Il faut bien se détendre un peu, mes chers collègues.

Je vous concède à ce stade, monsieur le garde des sceaux, plusieurs avancées qui figuraient dans le texte initial ou ont été introduites en commission des lois et que je veux énumérer : la perquisition de nuit dans les locaux d’habitation, en cas d’urgence, lorsqu’une infraction de terrorisme est en cause ; le recours à des dispositifs techniques de recueil de certaines données de connexion ; l’extension des techniques spéciales d’investigation applicables à la criminalité et à la délinquance organisées. Ces dispositions ont été introduites dans la loi sur le renseignement, vous les introduisez en toute logique dans le cadre des procédures judiciaires ; il y a une vraie cohérence que nous saluons.

Les articles 7 et 10 visent quant à eux, de manière opportune, à renforcer la lutte contre le trafic d’armes. Ces mesures viendront utilement renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée.

Cependant, vous manquez – et nous manquerons collectivement – l’occasion de renforcer véritablement les capacités d’action des forces de l’ordre.

D’abord, les mesures visant à renforcer les pouvoirs des forces de l’ordre sont largement insuffisantes. S’agissant par exemple du cadre légal de l’usage de leurs armes, le projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux.

Le ministre de l’intérieur a rappelé tout à l’heure la proposition de loi que par deux fois nous avons défendue au nom du groupe Les Républicains dans cet hémicycle et qui avait été déposée par Guillaume Larrivé, Philippe Goujon et moi-même. Nous sommes très loin de ce dispositif, qui avait pourtant recueilli un assentiment majoritaire de tous les syndicats de policiers. Ne serait concerné par ce texte que le cas d’un périple meurtrier, lorsque les policiers et gendarmes font face à des individus qui ont tué et qui s’apprêtent à tuer encore. Les syndicats et représentants des policiers se sont montrés très dubitatifs et très sceptiques quant à l’efficacité et à l’application concrète de cette disposition. Le Conseil d’État lui-même a émis un avis très réservé sur le texte : il a souligné que la disposition législative proposée par le Gouvernement « n’apportera qu’une sécurité juridique relative » et a estimé que l’usage des armes par les forces de l’ordre « devrait être redéfini plus globalement ». Cela signifie, dans le langage du Conseil d’État, que le dispositif proposé est totalement inopérant et inutile.

M. Pierre Lellouche. C’est incompréhensible !

M. Éric Ciotti. Pourtant, l’objet de l’article 1er de la proposition de loi que j’avais défendue au nom du groupe était précisément d’élargir les conditions de l’irresponsabilité dont devaient bénéficier ceux qui avaient, en vertu de la loi, l’usage de la force armée, le « monopole de la violence légitime », selon l’expression de Max Weber. Vous n’y avez pas répondu ou ne l’avez fait que très partiellement.

Deuxième exemple, devant le constat des limites techniques que rencontrent les services chargés des enquêtes en matière de terrorisme, vous passez complètement à côté des enjeux liés à la modernisation des technologies d’investigation. Pourtant, nous le savons, et vous me permettrez de m’attarder quelques instants sur ce sujet extrêmement important, les téléphones mobiles et le réseau internet sont devenus des vecteurs quasiment systématiques tant pour le recrutement des terroristes que pour la préparation des actes de terrorisme. Ils sont désormais des éléments déterminants dans toute enquête pénale en lien avec le terrorisme ou la criminalité organisée. À ce titre, les fabricants et opérateurs de télécommunications, les fournisseurs d’accès à internet et plus globalement les prestataires de services sur internet peuvent disposer d’informations essentielles pour la résolution des enquêtes relatives aux infractions terroristes.

Aux États-Unis, ce débat est au cœur de l’actualité après la tuerie de San Bernardino. Le conflit qui oppose le FBI et Apple est un puissant révélateur des obstacles technologiques sur lesquels buttent les enquêtes pénales. En effet, les services d’investigation sont régulièrement dans l’incapacité d’accéder aux informations contenues dans certains téléphones, qui sont devenus illisibles lorsqu’on ne dispose pas du code de déverrouillage ou de déchiffrement des données. L’amiral Michael Rogers, qui dirige la NSA – l’Agence nationale de la sécurité –, affirmait voilà quelques jours dans une interview au magazine de Yahoo que sans le chiffrement, les attentats de Paris auraient pu être évités. Le procureur Molins a quant à lui signé voilà quelques semaines avec tous les procureurs antiterroristes des grands États démocratiques une tribune soulignant que la justice était devenue aveugle.

Face à ces hyperpuissances, qui sont avant tout financières, et qui considèrent que leurs règles, leurs codes sont supérieurs à ceux des États de droit, que leurs lois sont supérieures aux lois des États démocratiques, nous devons profiter de ce débat pour rendre à la justice cette indispensable vision protectrice.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Éric Ciotti. Nos nations doivent retrouver leur suprématie juridique face à ces hyperpuissances financières qui, sous couvert de défendre la garantie des libertés, ne servent en réalité que leurs intérêts financiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je vous propose donc de corriger cette faille dans nos systèmes d’investigation, de faire preuve de volontarisme en matière d’investigations techniques dans ce projet de loi, qui devra être un exemple à l’échelle internationale. On nous dit que la France est trop petite, qu’elle est trop modeste et qu’elle sera trop seule dans ce débat ; nous pensons au contraire que la voix de la France peut et doit être écoutée, ce qui sera le cas si nous avons le courage d’imposer aujourd’hui avec force un cadre coercitif et dissuasif à ces hyperpuissances technologiques.

Nous avons déposé un amendement visant à contraindre les opérateurs et constructeurs à communiquer l’ensemble des informations pertinentes aux services d’enquête. Aucune excuse technique ni de rentabilité financière ne doit pouvoir être opposée à l’exigence d’un juge – je dis bien d’un juge – dans le cadre d’une enquête judiciaire. La violation de cette obligation serait, si cet amendement était adopté, punie d’une amende maximale de 2 millions d’euros – M. le rapporteur Yann Galut a déposé un amendement allant dans le même sens mais avec une visée coercitive d’une ampleur plus modeste – ; surtout, et c’est là que réside la menace coercitive et dissuasive, elle serait passible d’une interdiction de commercialisation des produits et services de la société en cause pendant une durée pouvant aller jusqu’à un an.

Nous devons avancer concrètement sur ce sujet essentiel, faute de quoi nous aurons à y revenir. Jusqu’à maintenant, nous avons été impuissants ; il est grand temps de nous y attaquer.

Enfin, ce projet de loi devrait constituer selon nous une occasion de donner à l’administration pénitentiaire les outils dont elle manque cruellement. Je crains néanmoins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle occasion manquée. Je vous remercie toutefois d’avoir accepté le dispositif que nous proposons, monsieur le garde des sceaux – ce qui est parfaitement cohérent car, en tant que président de la commission des lois, vous l’aviez défendu face à votre prédécesseur – : la commission a en effet adopté l’amendement présenté au nom de notre groupe et visant à introduire l’administration pénitentiaire dans le second cercle du renseignement.

M. Pierre Lellouche. Enfin !

M. Philippe Meunier. Il était temps !

M. Éric Ciotti. L’administration pénitentiaire pourra enfin recourir aux techniques du renseignement, comme nous l’avions demandé lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, ainsi que vous-même, monsieur le ministre. Nous y sommes ! Ce texte fera œuvre utile s’il est adopté après ajout des améliorations que nous souhaitons y apporter et auxquelles vous devriez objectivement souscrire.

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. Éric Ciotti. Cet amendement cohérent et logique vise à inscrire le renseignement pénitentiaire dans la vaste communauté du renseignement. Il s’agit d’une avancée majeure. Dans les lieux de détention, les outils et les compétences dont disposent les services de renseignement sont très largement insuffisants alors même que la prison est devenue un lieu de radicalisation. La possibilité ménagée à l’administration pénitentiaire de recourir aux techniques de renseignement apportera une réponse utile à ces problèmes.

Comme vous l’avez rappelé vous-même tout à l’heure, monsieur le ministre, 25 000 téléphones portables ont été saisis en prison en 2014. Devant la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes que j’ai présidée, la directrice de l’administration pénitentiaire, Mme Gorce, a évoqué 27 000 téléphones portables saisis, soit un chiffre comparable qui souligne la gravité du phénomène. Il est donc nécessaire d’intervenir et de pallier la carence des moyens dont dispose l’administration pénitentiaire pour faire face à ce problème majeur, source de délinquance.

Nous savons que des attentats ont été préparés depuis la prison et que des actes de criminalité et de délinquance sont organisés depuis la prison. Cela n’est pas supportable, cela n’est plus acceptable. Nous devons faire preuve d’une réelle volonté afin d’inverser le cours des choses.

Nous réclamons aussi qu’un cadre de lutte contre le terrorisme et la radicalisation soit mis à la disposition de l’administration pénitentiaire. Depuis septembre 2014, nous proposons la création de centres de rétention pluridisciplinaires afin de conduire les individus présentant un risque manifeste de radicalisation, notamment à leur retour du djihad, à suivre un programme de déradicalisation, mais surtout pour éviter qu’ils ne constituent une menace pour la société.

Messieurs les ministres, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, un sujet aussi essentiel que la protection de nos concitoyens et la sécurité des Français, notamment face au terrorisme, devrait nous rassembler. Nous avons toujours agi et voté en ce sens par esprit de responsabilité. L’immense majorité des députés de notre groupe a voté les six lois que j’ai évoquées. Néanmoins, nous estimons que le projet de loi qui nous est présenté n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face ni des défis que nous devons relever. L’allégorie de la caverne que j’évoquais au début de mon propos est aussi une illustration du déni de la réalité.

Par conséquent, je vous invite à voter cette motion de rejet préalable, chers collègues, afin de corriger les failles constitutionnelles du texte, notamment celle relative à l’aménagement des peines, mais aussi de retravailler en profondeur le projet de loi afin de donner à la majorité le temps nécessaire à la prise en compte de nos contributions. Ces contributions, chers collègues de la majorité, vous ne les avez pas suffisamment écoutées par le passé, à tort car vous avez été contraints d’y venir face aux événements tragiques qui ont meublé l’actualité. Dès lors, écoutez-nous ! C’est le moment de faire œuvre utile, ensemble, pour améliorer la sécurité des Français et mieux les protéger. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Madame la présidente, messieurs et madame les rapporteurs, monsieur le député Éric Ciotti, le règlement de l’Assemblée nationale prévoit en effet le dépôt d’une motion de rejet préalable dans deux cas, si le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou s’il n’y a pas lieu de délibérer. Défendre une motion de rejet est toujours un exercice un peu compliqué. Dès lors que vous êtes l’auteur de trente-neuf amendements, comme je l’ai constaté, si l’on voulait vous être agréable, il faudrait rejeter le texte, vous interdisant ainsi d’avancer des suggestions que par ailleurs vous avez longuement développées dans votre motion de rejet.

En réalité, vous êtes trop habile et trop bon connaisseur de l’Assemblée nationale pour ignorer qu’une motion comporte toujours deux éléments. Elle comporte d’abord des positions de principe, qui ont été défendues et qui le seront encore sous forme d’amendements. Elles souffrent en général d’être assez connues. C’est le cas, par exemple, de votre volonté de rétablir les peines planchers que cette majorité a supprimées dès le début de la législature au nom de l’individualisation des peines à laquelle nous sommes très attachés.

M. Alain Suguenot. Hélas !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. D’ailleurs, à propos des peines planchers, vous qui ne vous intéressez pas seulement à notre pays avez sans doute constaté que les États-Unis en débattent et tendent à les remettre en cause, constatant que ce dispositif ne fonctionne absolument pas là où il est appliqué.

Le deuxième aspect de votre motion de procédure consiste en des propositions qui relèvent d’une conviction assise sur une observation très soutenue des questions de sécurité et de politique d’exécution des peines. Vous avez avancé des arguments qui méritent d’être discutés et dont nous aurons l’occasion de débattre lors de l’examen des amendements.

J’en retiens deux. L’amendement que vous appelez « Apple » soulève une question qui n’est pas posée uniquement à notre pays et à propos de laquelle il faut en effet bâtir une doctrine. Dès lors qu’on est attaché à la protection des intérêts du pays et des citoyens, ce constat appelle une réponse juridique. Je ne sais pas si la vôtre ou celle de Yann Galut sont les bonnes mais elles méritent d’être discutées.

Quant à l’administration pénitentiaire et au problème des téléphones portables en prison, je vais préciser par des chiffres ce que j’ai dit tout à l’heure lors de la séance de questions au Gouvernement.

Le chiffre le plus net, celui de l’administration pénitentiaire pour 2015, est 31 084. Il englobe, outre les téléphones portables, des accessoires qui leur sont liés, comme des puces. Tous proviennent pour l’essentiel de projections par-dessus les murs de nos établissements pénitentiaires. C’est la raison pour laquelle nous engageons des travaux de sécurisation, par exemple à hauteur de 200 000 euros dans l’établissement de Béziers, afin de garantir davantage la sécurisation de nos établissements.

Au sujet de l’administration pénitentiaire mais aussi de bien des aspects, j’interprète votre motion de procédure comme une impatience à discuter plutôt qu’une volonté de rejeter le texte tel qu’il est, monsieur Ciotti. Je n’ai pas bien compris en quoi il constitue une occasion manquée, laquelle serait plutôt de ne pas en discuter. Pour vous être agréable, il faut en discuter. Le Gouvernement souhaite donc que votre motion de procédure soit rejetée.

M. Patrick Mennucci. Il faudrait même qu’elle soit retirée !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Notre collègue Éric Ciotti a introduit la défense de sa motion de rejet, déposée si j’ai bien compris au nom du groupe des Républicains, en invitant chacun à sortir de la caverne de l’idéologie. Il a ensuite expliqué – avec beaucoup de gentillesse à l’égard du nouveau garde des sceaux, une certaine amnésie et pas mal de mauvaise foi lorsqu’il a repris l’antienne du supposé laxisme du Gouvernement et de la majorité – que le texte ne va pas assez loin.

M. Éric Ciotti. C’est un fait !

M. Pascal Popelin, rapporteur. En ce sens, il a lui-même longuement campé dans cette caverne qu’il nous invitait pourtant à quitter en faisant part de sa nostalgie de la politique pénale du précédent quinquennat qui n’a pourtant produit qu’une explosion des taux de récidive. J’ai le sentiment, comme dans un championnat de patinage, que nous venons d’assister à l’épreuve des figures imposées. Sans doute aurons-nous droit dans quelques instants au programme libre lors de la défense de la motion de renvoi en commission que Patrick Devedjian présentera, toujours au nom du groupe des Républicains, si j’ai bien compris. Après ces deux moments artistiques, qui à n’en pas douter attesteront d’une grande cohérence et administreront la preuve qu’il existe bien toutes sortes de cavernes, nous pourrons passer à l’examen d’un texte qui apporte en droit des réponses concrètes et utiles aux attentes légitimes de protection des Françaises et des Français.

M. Pierre Lellouche. L’artiste, c’est vous ! Comment peut-on être si arrogant compte tenu des résultats de ce gouvernement ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Afin de ne pas retarder ce moment important et de discuter des nombreux amendements déposés, en particulier par Éric Ciotti et Patrick Devedjian, je vous propose, mes chers collègues, de ne pas adopter la motion de rejet préalable.

M. Pierre Lellouche. Incroyable ! Pour qui se prend-il ?

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Goasdoué. J’ai regretté, cher collègue Éric Ciotti, que la caverne des idéologies ne vous ait pas susurré à l’oreille de renoncer à la défense de cette motion de rejet préalable. Vous êtes un trop bon connaisseur de ces questions et un trop fin orateur pour gâcher votre talent sur des exercices qui, comme l’a dit Pascal Popelin, relèvent de la figure imposée. Vous avez évoqué des marqueurs politiques comme la contrainte pénale. Vous connaissez trop bien ces matières pour savoir que jamais un juge ne prononcera une contrainte pénale en matière terroriste ni en matière d’infraction grave.

M. Pierre Lellouche. Ah bon ? Il en a pourtant la possibilité !

M. Guillaume Larrivé. La loi l’y autorise !

M. Yves Goasdoué. Chacun le sait. Chacun sait aussi que la peine plancher n’aurait aucun effet sur une personne qui veut à toute force déclencher des violences inadmissibles et terroristes, comme nous avons malheureusement constaté qu’il en existe.

M. Pierre Lellouche. Curieux raisonnement !

M. Sylvain Berrios. On ne fait rien, alors !

M. Yves Goasdoué. Cette réforme comporte des dispositions dont je suis certain qu’elles rencontrent votre assentiment. Assécher le financement du terrorisme, lutter contre le trafic d’armes, protéger les témoins et les victimes, faire entrer dans le second cercle du renseignement l’administration pénitentiaire, du moins sa partie spécialisée : tout cela aurait dû vous inciter à ne pas déposer une motion de rejet préalable. La réforme est indispensable. Vous connaissez, vous qui avez été président de la commission d’enquête, la hauteur de la menace. Nous devons nous unir pour mettre le pays à l’abri de cette menace et sortir de l’état d’exception. C’est la raison pour laquelle le groupe SRC ne votera pas cette motion de rejet.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Larrivé. Face au terrorisme islamiste et à ses connexions avec la délinquance de droit commun, notre obsession commune, sur tous les bancs, ceux du Parlement comme du Gouvernement, doit être l’efficacité. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, nous pensons que ce projet de loi doit être un rendez-vous de clarification de vos intentions, vos projets et vos actions. Nous vous appelons à solder le passif des années Taubira.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Oh, ça va !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Quelle inélégance !

M. Guillaume Larrivé. En 2012, en 2013, en 2014, en 2015, nous avons combattu ici avec constance des lois pénales funestes pour notre pays. Nous vous appelons à regarder la réalité en face, à rétablir les peines planchers, c’est-à-dire les peines minimales pour les délinquants récidivistes. Nous vous appelons aussi à abroger la loi de 2014 sur la contrainte pénale, qui consiste à demander à l’autorité judiciaire de ne pas punir d’emprisonnement un grand nombre de délinquants. Nous le faisons avec d’autant plus de conviction, chers collègues, que nous sommes convaincus qu’il existe des connexions entre la délinquance de droit commun et les dérives terroristes.

Avec l’ensemble des députés du groupe Les Républicains, nous vous proposons aussi des avancées juridiques opérationnelles très concrètes. Nous voulons que les détenus terroristes ne fassent pas l’objet du même régime d’aménagement et de réduction de peine que les délinquants de droit commun. Ces trois dernières années, 56 terroristes condamnés ont fait l’objet de mesures de libération anticipée ! Ce n’est pas raisonnable. Nous avons des propositions très fortes pour rompre avec cet état du droit qui n’est pas satisfaisant. Quant au régime d’emploi des armes par les policiers, les propositions utiles que nous faisons répondent à une demande très forte des acteurs de terrain.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le député.

M. Guillaume Larrivé. C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe Les Républicains, j’appelle à voter cette motion contre un projet de loi lacunaire et partiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Que de grands mots !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur Ciotti, vous êtes aussi intelligent que redoutable ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Mais appelons un chat un chat. Ce que vous nous proposez, c’est un État autoritaire, où la sécurité est le principe, et la liberté l’exception. Pour vous, le principe de la liberté individuelle doit céder devant les droits collectifs de l’État. Vous souhaitez une société clean, où l’intrusion est omniprésente. Pour vous, la présomption d’innocence doit céder devant la présomption de culpabilité. Vous feriez un tabac ce soir dans le Middle West américain, où vous pourriez défendre un nouveau Patriot Act ! (Sourires.) Allons, monsieur Ciotti, s’il y a quelqu’un que vous devez soutenir, ce n’est pas M. Sarkozy, mais M. Trump !

Nous ne voulons à aucun prix de la société que vous nous proposez, et j’ai froid dans le dos lorsque je pense aux responsabilités qui pourraient vous être confiées demain dans un autre gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Meunier. Mettez une laine !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances, je suis moi aussi opposé à ce texte, mais avec des nuances peut-être…

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Des nuances notables ! (Sourires.)

M. Patrick Devedjian. Malheureusement, le projet de loi qui nous est soumis est un texte de circonstance. Il s’explique d’abord par la déclaration du Premier ministre, le 18 février : « Nous devrions pouvoir sortir de l’état d’urgence, une fois cette loi votée. » Par ailleurs, le compte rendu du Conseil des ministres du 3 février mentionne : « Il est apparu nécessaire de maintenir la possibilité de mettre en œuvre les mesures autorisées par le régime de l’état d’urgence. »

Monsieur le garde des sceaux, vous avez expliqué tout à l’heure que ce texte venait de loin, qu’il avait longtemps mûri. Il faut croire que le débat sur l’état d’urgence l’a fait quelque peu dérailler. D’ailleurs, le Gouvernement l’a reconnu lui-même. Je voudrais vous rappeler qu’au temps où vous étiez président de la commission des lois, vous déclariez : « La législation d’exception n’est pas une simple alternative à celle des temps normaux. C’est une véritable dérogation seulement justifiée par l’évidence. Le grand dérangement qu’elle entraîne ne peut donc être que d’une brève durée et sans séquelles. »

Hélas, ce n’est pas l’orientation du texte que vous nous présentez aujourd’hui. Il s’agit bien d’intégrer dans le droit commun les mesures d’exception de l’état d’urgence ; l’exception devient la règle, monsieur le garde des sceaux anciennement président de la commission des lois.

Pour cela, on commence par affaiblir l’autorité judiciaire. Le Gouvernement, qui ne cesse de proclamer qu’il souhaite renforcer l’indépendance de l’autorité judiciaire, ne manque aucune occasion de restreindre son champ de compétences dès que l’État est en cause.

Le premier président de la Cour de cassation et les premiers présidents de cours d’appel ne s’y sont pas trompés, qui ont déclaré le 1er février : « Le rôle constitutionnel de l’autorité judiciaire est affaibli par les réformes et projets législatifs en cours. » Le premier président de la Cour de cassation ajoutait : « Le glissement qui nous préoccupe le plus, c’est le recul de la compétence de l’ordre judiciaire dans le contrôle des atteintes aux libertés individuelles. »

Il est vrai que le juge administratif a démontré sa capacité à protéger les libertés individuelles. Mais la différence entre le juge judiciaire et le juge administratif est que le premier intervient avant, pour autoriser les atteintes à la liberté individuelle lorsqu’elles sont nécessaires, et que le second intervient après, pour sanctionner les atteintes illégales.

Malheureusement pour la France, personne ne s’y est trompé. Pour la première fois dans l’histoire de la justice en Europe, les barreaux européens – unanimes – ont déclaré le 19 février à Barcelone refuser « expressément les mesures proposées par le Gouvernement français », lesquelles « entraînent une restriction des garanties des citoyens devant la possibilité d’actions discrétionnaires des forces de sécurité, sans contrôle des institutions indépendantes ». Et de s’inquiéter de « la dérive liberticide d’un État membre. » Quant au commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, il « espère que ce ne sera pas adopté par le Parlement. »

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, est à la fois sévère et précis : « En renforçant les moyens de l’autorité administrative, ce projet de loi crée un déséquilibre entre le préfet et le procureur de la République : il déplace ainsi l’initiative du déclenchement de mesures portant atteinte aux libertés individuelles, au bénéfice du préfet, sans que celui-ci soit soumis au respect de garanties procédurales telles qu’un contrôle a priori. »

Deux mesures, parmi beaucoup d’autres, méritent d’être reprises en commission, et justifient cette motion, car elles posent des problèmes tant au regard de la Constitution que de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi, à l’article 18, la retenue administrative à l’occasion d’un contrôle d’identité, y compris celle d’un mineur, est adoptée uniquement sur le fait que les conditions légales d’une garde à vue ne sont pas réunies. Or elle est contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui relève que la brièveté d’une privation de liberté n’en efface pas la réalité. Est ainsi condamnée la théorie administrative soutenue par le Gouvernement, qui se réclame en vain du Conseil constitutionnel, et selon laquelle, en deçà de 12 heures, il ne s’agit que d’une « restriction de liberté » du domaine de l’autorité administrative et du juge administratif.

À l’article 20, les mesures prises à l’égard de personnes soupçonnées d’être de retour du Djihad ne sont administratives que parce que l’administration ne dispose pas de preuves suffisantes. Autrement, elles tomberaient sous le coup de l’article 421-2-6 du code pénal et l’autorité judiciaire serait obligatoirement compétente. Le ministre de l’intérieur le disait franchement tout à l’heure. L’assignation à résidence porte atteinte à la liberté d’aller et venir, une liberté essentielle. Elle serait pourtant permise sans contrôle juridictionnel préalable.

Bien entendu, le terrorisme est un défi lancé à la démocratie. Mais il ne doit pas nous conduire à renoncer à nos principes. Même contre le terrorisme, la fin ne justifie jamais les moyens. J’ajouterai que lorsque la fin n’est pas atteinte, les moyens sont encore moins justifiés !

Sur les 274 assignations à résidence sous l’état d’urgence, moins de 100 sont en cours de renouvellement, a déclaré le ministre de l’intérieur. Cinquante-neuf assignations à résidence étaient relatives à la tenue de la COP21, donc sans rapport avec le terrorisme. Le juge administratif a suspendu 17 mesures préfectorales et le ministère de l’intérieur a lui-même – avec beaucoup de prudence ! – retiré 20 mesures avant que le juge ne statue.

On voit donc que les mesures de l’état d’urgence ont donné lieu à un nombre important d’abus. Il ne semble pas pour autant que cela ait permis d’interpeller et de remettre à la justice des personnes convaincues de terrorisme. Dans le même temps, le journal Le Monde nous a appris que malgré deux années de surveillance et d’écoutes des frères Kouachi, nos services n’avaient pu les empêcher d’agir ! Il ne sert à rien de mettre le pays entier sous surveillance, de porter atteinte aux libertés essentielles, si nos services n’obtiennent pas de résultats réels.

La sécurité de la France se joue d’abord à l’extérieur de nos frontières. En refusant d’honorer la commande de la Russie pour les navires Mistral, le Gouvernement français n’avait pas prévu que la Russie deviendrait notre alliée et que sa flotte viendrait protéger le Charles-de-Gaulle sur le théâtre d’opérations. En jouant les jusqu’au-boutistes dans les négociations sur le nucléaire iranien, le Gouvernement n’avait pas non plus envisagé que l’Iran jouerait un rôle majeur contre l’État islamique. En soutenant la Turquie, le Gouvernement n’avait pas compris non plus qu’elle n’avait d’autre but que de combattre les Kurdes, meilleures troupes au sol, pourtant, contre l’État islamique. Une politique extérieure aveugle ne peut être compensée par une politique paralysante et liberticide, au prétexte de combattre le terrorisme !

Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit que le projet de loi remontait aux rapports Nadal, Beaume et Robert. Vous auriez pu ajouter les travaux de la chancellerie et ceux de la commission des lois, effectués sous votre présidence. Mais ces travaux avaient pour objet de simplifier les procédures qui alourdissent le déroulement de la justice judiciaire étouffée par les contentieux de masse et par les tâches indues. De cette intention, il ne reste que peu de chose, malgré votre évocation à cette tribune.

Comme le démontrent le compte rendu du conseil des ministres et la déclaration du Premier ministre, ce qui domine ce texte, c’est l’incorporation des mesures issues de l’état d’urgence.

Le renvoi en commission est indispensable, non seulement pour protéger les libertés individuelles auxquelles ce projet porte atteinte, mais aussi pour restituer à celui-ci sa véritable intention : assouplir et renforcer une procédure pénale dangereusement mise à mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sergio Coronado et M. Alain Tourret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Madame la présidente, monsieur, madame les rapporteurs, monsieur le député, Éric Ciotti nous a expliqué lors de la défense de sa motion de rejet que ce texte était une occasion manquée et qu’il fallait aller beaucoup plus loin dans les propositions faites par le Gouvernement et approuvées en commission par la majorité. Dans cette nouvelle motion de procédure, Patrick Devedjian déclare que nous avons été beaucoup trop loin et qu’il faut revenir sur l’essentiel des dispositions. Le Gouvernement a le sentiment de se trouver au point d’équilibre au sein du groupe Les Républicains, ce qui n’est pas en soi une satisfaction, mais simplement un constat.

M. Benoist Apparu. Vous voulez parler du code du travail ? (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je me limite au sujet qui nous rassemble aujourd’hui !

L’essentiel de la motion de procédure porte sur l’état d’urgence. Pourtant, aucune des mesures qui figure dans ce texte n’est issue de la loi de 1955, même modifiée en 2015. Ce projet de loi tire les leçons de ce que nous avons observé durant l’état d’urgence, remplit des manques que nous avons constatés, y compris grâce à la mission de contrôle de l’état d’urgence que j’exerçais au nom de la commission. Honnêtement, je ne crois pas que l’on puisse dire que nous inscrivons des procédures d’exceptions dans le droit commun.

S’agissant de la durée de l’état d’urgence, rappelons qu’elle reste brève, au regard du défi que nous avons à relever et de la période que nous traversons. En 1961, l’état d’urgence avait été proclamé en avril pour n’être levé qu’en octobre 1962. Si les comparaisons ne sont pas raison, cette donnée nous permet de remettre en perspective la situation actuelle. En définitive, monsieur le député, vous ne serez pas surpris d’entendre le Gouvernement réclamer le rejet de votre motion de renvoi en commission, en particulier parce que la commission a bien travaillé sous la responsabilité des deux rapporteurs, qui ont d’ailleurs doublé le volume du texte, passant de trente-sept à soixante-quatre articles…

M. Xavier Breton. Cela ne veut rien dire !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Par respect pour le travail parlementaire, le Gouvernement souhaite à présent entrer dans le vif du sujet et intégrer les nouveaux amendements qui lui paraissent intéressants.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure, Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je ne comprends pas. M. Ciotti vient de nous expliquer, trente minutes durant, que ce texte, insignifiant, n’allait pas assez loin, et M. Devedjian voudrait nous faire croire, au bout de quelques minutes, qu’à quelques nuances près, il partage l’avis de son collègue ! C’est faux : vous avez, messieurs Ciotti et Devedjian, deux visions totalement différentes, voire antagonistes, de ce texte.

Alors que M. Devedjian réagit en avocat, sur le terrain des droits et libertés, en évoquant la déclaration des barreaux européens, M. Ciotti sort de sa caverne pour nous faire part de son idéologie. Il nous ressert son numéro, au risque de rayer le disque car cela fait plusieurs fois que nous entendons la même musique, le même refrain, les mêmes paroles dans les mêmes couplets.

Vous composez au final un drôle de duo, tous les deux, au prix d’un grand écart quelque peu schizophrène.

M. Patrick Mennucci. Et dissonant.

M. Patrick Devedjian. Vous n’allez jamais à l’Opéra ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Monsieur Devedjian, vous expliquez que l’exception devient la règle alors que ce n’est pas du tout le cas. Vous étiez pourtant présent en commission – certes, bien seul, mais présent tout de même. Vous avez pu constater par vous-même que le rapporteur Pascal Popelin avait pris la peine d’encadrer les mesures prévues aux articles 17 à 20. Il va même encore plus loin aujourd’hui. Vous ne pouvez pas tenir de tels propos.

Vous prétendez par ailleurs que nous affaiblissons l’autorité judiciaire, mais nous faisons exactement le contraire en définissant clairement le rôle du procureur de la République et sa mission. Outre que nous précisons bien qu’il instruit à charge et à décharge, nous lui conférons des pouvoirs accrus, ainsi qu’au juge des libertés et de la détention qui voit sa mission clarifiée et renforcée.

Votre affirmation n’est donc pas recevable, monsieur Devedjian.

Vous faites par ailleurs référence à cette condamnation des barreaux européens aux termes de laquelle nous prendrions des mesures sans contrôle des institutions indépendantes. C’est faux, parce que toutes les mesures prises peuvent faire l’objet d’un recours.

Lorsque des mesures judiciaires succèdent à des mesures administratives, vous êtes bien placé pour savoir qu’il est possible de les contester devant le juge judiciaire, qu’elles soient administratives ou judiciaires. Si l’un de nos compatriotes, justiciable, estime que ses droits et libertés ont été violés, il a toujours la possibilité, notamment si une procédure judiciaire succède, de saisir le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles selon la Constitution.

M. Patrick Devedjian. A posteriori !

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. S’il n’y a qu’une mesure administrative, il peut saisir le juge administratif, qui rend régulièrement la justice. Votre argument n’est, là encore, pas recevable.

Vous évoquez les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme et du citoyen, sans préciser lesquelles. J’aurais aimé entendre votre démonstration.

Pour ce qui est de l’assignation à résidence, soyez de bonne foi. Vous savez très bien qu’elle ne concerne que quelques cas bien particuliers, et que nous l’avons encadrée et sécurisée par un certain nombre de mesures.

Je constate que vous vous retrouvez assez isolé puisque vous signez seul vos amendements, ce qui ne nous empêchera pas d’en débattre. Parce que vous en avez déposé beaucoup, il me semble plus judicieux de les étudier en hémicycle plutôt que de repartir en commission, où vous avez été très présent. Certains présentent un réel intérêt et nous les examinerons avec attention. Pour toutes ces raisons, je demande à l’ensemble de nos collègues de rejeter cette motion.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs demandes d’explication de vote.

La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Je ne comprends pas que cette motion de renvoi en commission émane de notre collègue Patrick Devedjian, qui fut l’un des rares membres de son groupe à avoir assisté aux travaux en commission.

M. Guy Teissier. Précisément !

M. Sylvain Berrios. Il est qualifié pour le faire !

M. Patrick Devedjian. Je sais justement de quoi je parle !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. M. Devedjian a soulevé de nombreux points. Il a largement participé au débat, cherchant à le faire avancer. Même si aucun de ses amendements n’a été accepté par la commission, il aura sans doute l’honnêteté intellectuelle de reconnaître aux membres de la commission des lois une certaine ouverture d’esprit aux arguments parfois soulevés par l’opposition, puisque des amendements des membres de son groupe ont été adoptés la semaine dernière. Sur ce sujet comme sur d’autres, la majorité sait être à l’écoute, dans une volonté de consensus national.

Le travail en commission des lois fut long et intense. Un travail important y a été mené et pas moins de 155 amendements ont été adoptés, ce qui a permis d’ajouter de nouveaux articles. Il n’y a donc pas lieu de considérer qu’il faille remettre l’ouvrage sur le métier en commission. Si nos conditions de travail ont été assez difficiles, en raison notamment de la suspension des travaux de l’Assemblée la semaine dernière, nous avons tout de même beaucoup travaillé.

Il est vrai qu’Éric Ciotti et Patrick Devedjian nous ont mis en présence d’un exercice littéraire assez intéressant auquel il manque pourtant une synthèse, celle du groupe Les Républicains, après la thèse et l’antithèse.

M. Éric Ciotti. Je vous laisse faire !

M. Éric Straumann. Les socialistes savent faire cela !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Rien n’est dans la nuance et les visions sont antagonistes. D’ailleurs, monsieur Devedjian, beaucoup de vos collègues étaient beaucoup plus indisciplinés et bavards lorsque vous parliez.

Je ne reviendrai pas sur votre constance,…

Mme la présidente. Merci de conclure.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. …mais simplement sur l’exception qui ne doit pas devenir la règle. Le garde des sceaux l’a précisé : les mesures d’état d’urgence ne sont pas incorporées dans ce projet de loi et c’est bien pourquoi nous devons l’examiner au plus vite. J’en appelle par conséquent au rejet de cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. D’habitude, la motion de renvoi en commission est une procédure utilisée pour retarder les débats. En l’espèce, je ne pense pas que ce soit le cas, et je la voterai.

Les deux points soulevés par M. Devedjian sont très importants et ont fait débat en commission, contrairement à ce que je viens d’entendre de la part de la rapporteure ou de Mme Descamps-Crosnier.

L’examen de l’article relatif à la rétention de quatre heures a donné lieu à une interruption de séance de près d’une demi-heure, pendant laquelle le groupe socialiste s’est demandé ce qu’il allait faire. Des engagements ont été pris devant la commission par le rapporteur pour encadrer et clarifier le dispositif, mais cela n’a pas été fait avant le débat en séance.

Je veux bien que l’on réponde par la moquerie en insistant sur le manque de cohérence et le caractère contradictoire de ces deux interventions, mais, parce que je le vis moi-même au sein de mon groupe, je crois que plus personne aujourd’hui, dans cette assemblée, n’est en mesure de donner des leçons de cohérence à qui que ce soit, et j’inviterai l’ensemble des groupes à plus de discrétion. Je n’ouvrirai pas la polémique en me référant à d’autres textes qui ont défrayé la chronique la semaine dernière.

Quant à l’article 20, il illustre ce que mes collègues ont appelé l’effacement ou le contournement de l’autorité judiciaire. Actuellement, en effet, les personnes de retour du théâtre des opérations peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire ou d’une détention provisoire pour association de malfaiteurs à caractère terroriste ou pour entreprise terroriste individuelle, sur la base de l’article 421-2-1 du code pénal. Ces procédures permettent de garantir les droits de la défense. Qu’en sera-t-il demain ? Aux questions que nous avons posées à ce sujet, M. Devedjian et moi-même, qui étions très présents en commission, il n’a pas été répondu clairement.

Pour toutes ces raisons, je voterai ce renvoi en commission. Il ne suffit pas de répondre sur le ton de la moquerie. Des questions de fond sont soulevées par ce texte et au-delà de cette assemblée, la magistrature, les défenseurs des libertés, attendent que le groupe majoritaire et le Gouvernement apportent des réponses précises.

M. Rémi Delatte. Quelle audace !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Il est des moments où le radical républicain que je suis se demande si le renforcement sécuritaire toujours continu est bien utile. N’est-il pas, in fine, contre-productif ? Ne risque-t-il pas d’être utilisé dans d’autres périodes et dans d’autres domaines ? Huit textes nouveaux, ce sont sans doute quelques-uns de trop. Il convient dès lors de se rappeler certains principes, les mêmes que Patrick Devedjian citait. La normalisation de l’exception est-elle normale ? La banalisation de l’urgence doit-elle être renforcée ? Nous ne pouvons pas nous en satisfaire.

Je comprends la majorité des arguments défendus par Patrick Devedjian. C’est sans doute dû à notre formation commune. Pour autant, faut-il renvoyer le texte en commission ? Je ne le pense pas. Nous aurons sans doute des positions communes sur de nombreux amendements mais je souhaite que la discussion puisse avoir lieu et je ne voterai pas cette motion.

M. Jean-Luc Laurent. C’est radical !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Larrivé. Les députés du groupe Les Républicains voteront cette motion de renvoi en commission pour les mêmes raisons qui nous ont amenés à voter la motion de rejet. Ce sont d’abord des raisons de forme. Ce débat doit se poursuivre devant la commission des lois car bien des questions soulevées mériteraient d’être éclairées par un débat approfondi.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il fallait venir en commission.

M. Guillaume Larrivé. Ce sont ensuite des questions de fond. Les positions exposées successivement par Éric Ciotti et Patrick Devedjian ne sont pas incompatibles. L’autorité de l’État n’est nullement inconciliable avec le respect des libertés.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous sommes d’accord.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas l’un sans l’autre, mais l’un avec l’autre. Nous, membres du groupe Les Républicains, nous sommes favorables au renforcement puissant de l’autorité de l’État afin de protéger les Français et assurer leur sécurité. Dans le même temps, nous voulons garantir le respect des libertés. C’est d’ailleurs sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lors du précédent quinquennat, qu’avait été votée cette avancée majeure de l’État de droit, la question prioritaire de constitutionnalité. Vous l’oubliez souvent. Nous n’avons pas de leçon de liberté à recevoir d’une gauche à la dérive. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) C’est pourquoi nous voterons cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui devait initialement porter uniquement réforme de la procédure pénale, car, de l’avis du monde judiciaire, il était devenu incontournable d’opérer une refonte du code de procédure pénale pour lui assurer cohérence et lisibilité. Après les attentats du 13 novembre, le Gouvernement a décidé d’en modifier le contenu comme le calendrier.

Pour notre part, nous déplorons d’abord le recours à la procédure accélérée. Celle-ci ne nous semble pas justifiable à propos un texte aussi important, aussi dense et aussi technique. Nous déplorons aussi, et cela n’étonnera personne, le recours aux ordonnances,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il n’y en a pourtant pas beaucoup !

M. Marc Dolez. …qui dessaisit le Parlement de ses prérogatives sur plusieurs dispositions du texte, même si la commission des lois en a réduit l’ampleur.

Sur le fond, plusieurs dispositions du projet de loi constituent de réelles avancées, mais d’autres présentent, selon nous, un risque important pour les libertés individuelles.

S’agissant d’abord des avancées, le texte introduit le principe du contradictoire dans le cadre des enquêtes préliminaires, ce qui constitue une amélioration notable.

De même, il clarifie certains points de notre droit, notamment l’encadrement des délais de jugement dans le contentieux de la détention provisoire. Il prévoit aussi que la personne placée en garde à vue à la suite d’une arrestation en haute mer doit être présentée dans les plus brefs délais à un magistrat du siège.

Par ailleurs, le projet comporte des dispositions que nous jugeons utiles en matière de contrôle des moyens de paiement et d’organisation de la cellule Tracfin, qui détecte les mouvements financiers suspects.

Nous approuvons enfin le renforcement tant de la protection des témoins que du contrôle des armes.

Si toutes ces avancées sont loin d’être négligeables, le texte comporte cependant plusieurs dispositions très inquiétantes à nos yeux, dispositions qui marquent un glissement vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire. Je fais allusion ici aux quatre dispositions majeures qui figurent aux articles 17 à 20.

Tout d’abord, l’article 17 prévoit l’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité. Les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire adjoints, pourront procéder, sur réquisition du procureur, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules. La liste des infractions permettant de recourir à ce cadre de contrôle est très largement définie et ne se limite pas aux actes de terrorisme.

L’article 18 crée ce qui s’apparente à une « garde à vue administrative » sans avocat, consécutive à un contrôle d’identité alors même que la personne aurait justifié de son identité. Les forces de l’ordre pourront retenir une personne pendant une durée maximale de quatre heures pour vérification de sa situation en cas de soupçon de lien avec une activité terroriste. Or, si le comportement de la personne est suffisamment en lien avec une activité terroriste, elle peut déjà être placée en garde à vue ! Ce régime dérogatoire, qui constitue une mesure privative de liberté sans garanties, nous paraît tout à la fois inutile et dangereux.

L’article 19 prévoit pour sa part une extension de l’usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure, extension qui ne nous semble pas nécessaire au regard des critères actuels de la légitime défense. Comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis du 12 février 2016, les dispositifs actuels « permettent déjà aux intéressés d’invoquer la légitime défense ou l’état de nécessité et de bénéficier de l’irresponsabilité pénale, dans les circonstances décrites dans le texte ».

Enfin, l’article 20 autorise le ministre de l’intérieur, sans enquête judiciaire approfondie, à assigner à résidence toute personne soupçonnée de revenir d’un théâtre d’opérations terroristes et à lui imposer des obligations et des interdictions. Cette mesure ne nous paraît pas acceptable en raison de l’autorité qui la prononce, du critère légal flou qui permet d’y recourir sans que soit exigée la réunion d’indices graves ou concordants nécessaires à une mise en examen, et de la possibilité d’un recours juridictionnel uniquement a posteriori, la mesure étant décidée dans un cadre non contradictoire.

Ces quatre articles ont en commun de priver l’autorité judiciaire de son rôle de garante des libertés individuelles et d’introduire des mesures d’exception dans le droit commun. Ils soulèvent à juste titre de multiples interrogations, contestations et critiques.

Le Défenseur des droits, notamment, dénonce un texte qui opère « un glissement des pouvoirs de police administrative de la période d’exception au droit permanent », tandis que le procureur général près la Cour de cassation constate que, « quand il n’est pas demandé à l’autorité judiciaire de faire bien au-delà de ses moyens, elle peut être paradoxalement marginalisée dans ce qu’elle sait le mieux faire, c’est-à-dire assurer le juste équilibre entre l’intérêt général et la protection des libertés individuelles ». Fait rarissime, la conférence des premiers présidents de cour d’appel a adopté une délibération dans laquelle elle estime que le texte « contient de dispositions dangereuses pour les libertés », pointant en particulier l’assignation à résidence par l’autorité préfectorale, l’extension de l’usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure, ou encore la retenue administrative.

Vous l’aurez compris, nous partageons ces analyses. Nous récusons un transfert de compétence vers l’autorité administrative et nous considérons que la place essentielle du juge judiciaire dans la protection des libertés individuelles se trouve remise en cause. En d’autres termes, ce projet de loi ne nous semble pas prévoir les garanties nécessaires à un juste équilibre entre la protection des droits et des libertés d’une part, l’impératif de sécurité publique, de prévention et de répression des infractions pénales d’autre part. Or c’est précisément dans les périodes troublées comme celle que nous vivons que le respect de la séparation des pouvoirs, le respect les libertés individuelles et leur contrôle ne doivent présenter aucune brèche.

Je doute, monsieur de garde des sceaux, que le Gouvernement accepte lors de la discussion de retirer les articles 17 à 20. C’est pourquoi, en dépit des quelques avancées que j’ai mentionnées, les députés du Front de gauche s’opposeront résolument à ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il est des textes nécessaires. Celui-ci en est un. Il est des textes difficiles. Celui-ci en est un. Et, après avoir entendu Patrick Devedjian, Sergio Coronado ou Alain Tourret dire leurs hésitations ou leurs doutes,…

M. Sergio Coronado. Et même leur opposition !

M. Yves Goasdoué. …je considère qu’ils doivent être écoutés.

Il s’agit de mettre en œuvre une stratégie globale visant à mettre assurer aux Français la protection à laquelle ils ont droit tout en respectant scrupuleusement l’ensemble des libertés fondamentales qui font de la France la patrie des droits de l’homme.

M. Jean-Luc Laurent. Exactement !

M. Yves Goasdoué. L’objectif est de donner à l’autorité judiciaire – procureurs, juges des libertés et de la détention, juges d’instruction – les moyens d’enquête qui lui font aujourd’hui défaut, en particulier au stade de l’enquête préliminaire ; donc, très concrètement, de lui permettre, pour des délits et crimes liés au terrorisme, de réaliser des perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation et d’avoir recours dans des conditions encadrées aux IMSI catchers – le rapporteur y reviendra demain – et à l’ensemble des moyens de sonorisation, de fixation d’images et de captation de données.

Il s’agit aussi de renforcer le contrôle des ventes d’armes et de munitions, dont on sait qu’il compte beaucoup dans la lutte contre le terrorisme.

Y a-t-il, dans tout cela, un risque pour les libertés individuelles ? Sommes-nous en train d’introduire dans le droit commun des dispositions d’urgence ?

Prenons l’exemple des perquisitions de nuit dans les lieux d’habitation. Pour les déclencher, une autorisation préalable et motivée du juge des libertés et de la détention est nécessaire. La motivation doit viser les incriminations prévues dans le code pénal en matière de terrorisme, et il faut que tout laisser à penser qu’il existe un risque d’atteinte à la vie et à l’intégrité physique. Nous sommes donc très loin de la perquisition administrative décidée, au titre de l’état d’urgence, par le préfet sous le contrôle du juge administratif. Que l’on ne vienne pas instruire un procès qui, techniquement, ne tient pas !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Yves Goasdoué. Notre texte vise, par ailleurs, à favoriser la manifestation de la vérité dans une société violente où pèsent sur les témoins des pressions, des menaces ou du chantage. Ces témoins, nous avons le devoir de les protéger en leur permettant d’être auditionnés à huis clos et, le cas échéant, d’avoir recours à des identités d’emprunt. Je n’y vois que des avancées !

Le projet de loi organise aussi, et c’est là le plus difficile, les rapports entre l’autorité administrative et les citoyens en prévoyant, dans le respect des règles constitutionnelles et conventionnelles, des mesures propres à prévenir la commission de délits et de crimes de nature terroriste.

La question des fouilles, tout d’abord, devrait pouvoir être réglée. Celle de la retenue pour vérification de la situation administrative est moins aisée à traiter. Nous en avons longuement discuté en commission et nous pourrons continuer la discussion en séance publique. Quant à l’établissement d’un contrôle des personnes de retour des théâtres d’opération dans lesquels le terrorisme prospère lorsqu’il n’est pas possible de procéder à une judiciarisation immédiate, on peut également en discuter, mais la mesure ne paraît pas absurde.

Il faut aussi évoquer, car personne ne l’a fait, la gestion des grands événements à venir – Euro de football, Tour de France et autres – et le nécessaire contrôle, non pas des sportifs ou des spectateurs, mais de ceux qui organisent ces manifestations et qui travaillent à leur déroulement.

Enfin, pour répondre à la réalité des situations dans lesquelles se sont trouvées les forces de l’ordre, une réflexion est engagée sur la possibilité d’aller au-delà de la légitime défense pour autrui sur la base de la notion d’état de nécessité. Cette nécessité de faire usage des armes serait bornée, précisée et encadrée, mais je reconnais volontiers que cela n’est pas facile à gérer.

Ces sujets sont extrêmement délicats. Au terme de nombreuses auditions, d’échanges fructueux avec le Gouvernement, et toujours dans le souci d’un pacte équilibré entre la défense des droits fondamentaux et la recherche d’efficacité, le texte a pu être grandement amélioré et je pense qu’il le sera encore.

La sécurité, a dit assez justement Éric Ciotti, est la première des libertés. C’est en tout cas une garantie fondamentale de l’exercice des libertés. Aussi le groupe SRC continuera-t-il son travail d’amendement et votera-t-il ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. La réforme que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, bien qu’elle procède à des avancées bienvenues, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, donne néanmoins l’impression de rester au milieu du gué car elle ne met pas la politique pénale en cohérence avec la fermeté qui, selon nous, vous inspire.

Je tiens néanmoins à saluer la démarche d’ouverture qui a été la vôtre et l’attitude constructive de la majorité, qui nous conduira à défendre conjointement avec Pascal Popelin et Sébastien Pietrasanta un amendement que j’avais initialement proposé en commission et qui vise à faciliter la possibilité, pour les associations de victimes d’attentats constituées récemment et leurs fédérations, d’ester en justice.

Il est toutefois dommage que beaucoup d’autres mesures soient décidées en réaction aux événements alors que l’opposition, vous le savez, propose depuis plusieurs années d’anticiper ces menaces.

Je pense notamment aux contrôles d’identité et fouilles de bagages, à la contribution des polices municipales à la sécurité publique, à la légitime défense des policiers, qui ont fait l’objet d’amendements et de plusieurs propositions de loi de l’opposition depuis 2012, dont la dernière en date, portée par Eric Ciotti, a été rejetée le 4 février par la majorité, sans oublier qu’une disposition de ce projet de loi concernant l’Euro 2016, à laquelle je suis particulièrement attaché en tant que député de Paris, aurait plus utilement trouvé sa place dans la proposition de loi de Guillaume Larrivé.

Je tiens néanmoins à me féliciter de l’adoption en commission des lois d’amendements intégrant le renseignement pénitentiaire au second cercle de la communauté du renseignement, ce que vous souhaitiez, monsieur le garde des sceaux. Cette réforme, bloquée à tort par votre prédécesseure, est pourtant indispensable, vous aviez eu raison de le souligner, quand on sait que plus de 15 % des terroristes se sont radicalisés en prison.

Je vous soumettrai de surcroît, comme lors de l’examen de ma proposition de loi sur l’isolement électronique des détenus, des amendements visant à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire en matière de fouilles, de permis de visite, de vidéosurveillance des parloirs et d’isolement des détenus radicalisés, tant il est inacceptable que ceux qui sont derrière les barreaux se procurent en toute impunité divers objets, dont des téléphones portables en grand nombre, comme cela a été rappelé au cours de la séance des questions d’actualité. Ces mesures sont indispensables, l’administration pénitentiaire ne disposant pas d’un nombre suffisant de brouilleurs efficaces dans ses établissements, ce que vous avez déploré.

Mais ce qui pèche le plus dans un texte qui comporte de nombreuses dispositions utiles et nécessaires et qui renforce les moyens de la lutte antiterroriste, c’est qu’il ne va pas jusqu’à remettre en cause les désastreuses réformes pénales de votre prédécesseure visant à faire de la prison l’exception, avec l’élargissement de la contrainte pénale aux crimes et délits punis de cinq à dix ans de prison dès le 1er janvier prochain, la généralisation des libérations anticipées et des aménagements de peine, ou encore le traitement indifférencié des primo-délinquants et des récidivistes. Ces réformes, que je qualifie d’anti-sécuritaires, pourraient aboutir à la libération anticipée d’environ 200 terroristes au cours des trois prochaines années.

Nos collègues Ciotti et Larrivé proposeront de revenir sur les errements de la loi Taubira, notamment en renforçant le traitement pénal des terroristes. Nous pourrons mesurer à cette occasion la volonté du Gouvernement de se doter réellement de tous les moyens nécessaires pour éradiquer ce fléau.

Par ailleurs, à l’autre bout de la chaîne, si je peux dire, je pense qu’il est préférable de consolider la réponse pénale en maintenant la correctionnalisation des délits formant un contentieux de masse, certes difficile à maîtriser, plutôt que de les dépénaliser comme le propose votre majorité, envoyant ainsi un signal permissif supplémentaire à l’opinion publique et confortant les délinquants dans un sentiment d’impunité.

Ce n’est pas en faisant disparaître ces délits des écrans radars de la justice que vous restaurerez la tranquillité publique, d’autant qu’ainsi les gardes à vue de nature à identifier et ficher leurs auteurs ne seront plus possibles.

À ce propos, il est dommage que vous ratiez l’occasion d’inclure le PV unique de garde à vue promis par le Gouvernement aux policiers pour alléger leur charge administrative, qui représente aujourd’hui 40 % de leur temps de travail, au détriment de l’enquête.

Pire, à rebours de la démarche de simplification qui doit vous guider, l’introduction du contradictoire au stade de l’enquête alourdira au contraire les procédures.

Je remarque d’ailleurs que la nouvelle procédure disciplinaire qui donnera au président de la chambre de l’instruction, à la demande du procureur général, le pouvoir de suspendre immédiatement, pendant un mois, l’exercice des fonctions de police judiciaire des officiers et des agents de police judiciaire, et dans l’attente de la décision de celle-ci, ne respecte pas le principe du contradictoire alors que ces décisions pourront avoir un impact financier important pour les OPJ concernés. Ouvrez-leur au moins une voie de recours !

En conclusion, ce texte contient des dispositions qui vont dans le bon sens, notamment en matière anti-terroriste, mais nous regrettons, tout en sachant que ce n’est pas de votre faute, qu’elles n’aient pas été adoptées plus tôt comme nous vous le proposions. Car dans la guerre qui nous oppose au terrorisme, tout retard, hélas, peut être fatal.

Nous espérons cependant, monsieur le garde des sceaux, vous qui avez conscience de ces enjeux, contrairement à votre prédécesseure, que vous saurez forger avec notre procédure pénale une arme utile contre le terrorisme. Mais vous ne pourrez être pleinement efficace sans revenir sur les effets pervers de la loi Taubira, qu’il vous faudra démanteler au plus vite. C’est là l’occasion. Saisissez-là, dans l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Éric Ciotti. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen d’un projet de loi préparé de longue date et qui vise à doter notre pays de règles de procédure pénale efficaces, équitables et accessibles.

Guidé par les réflexions de différents professionnels et notamment par plusieurs rapports remis au garde des sceaux sur la refondation du ministère public, sur la protection des internautes face à la cybercriminalité ou encore sur la réforme de la procédure pénale, ce projet de loi poursuit des objectifs louables.

Il vise tout d’abord à mettre notre procédure pénale en conformité avec les exigences progressivement dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, et à parachever son adaptation aux règles posées par les directives communautaires. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants, profondément européen, ne peut qu’y consentir.

Ensuite, partant du constat d’une justice engorgée par la complexité des procédures et submergée par les contentieux de masse, le texte contient des mesures de simplification propres à accélérer son déroulement.

Enfin, vous entendez donner aux services enquêteurs et aux magistrats de nouveaux moyens d’investigation et de poursuite des infractions délictuelles et criminelles. Il s’agit là de réformes cruciales, nécessaires à la protection de nos concitoyens.

Pour autant, la préparation de ce texte aura été bouleversée par les tragédies qui ont frappé notre pays. Des mesures préventives de détection et de surveillance de la menace, notamment en matière de contrôles administratifs et de financement du terrorisme, y ont donc été insérées.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a donc aussi pour objectif d’adapter une fois encore notre arsenal juridique au défi que représente le terrorisme, notamment pour répondre à la demande des services impliqués dans la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme.

Nous ne contestons pas la nécessité de telles réformes. Bien au contraire, nous sommes conscients que l’actuelle menace, d’une ampleur inédite, exige une adaptation des moyens de surveillance et d’investigation des activités liées au crime organisé.

Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants s’était d’ailleurs clairement exprimé sur le sujet lors de la première prorogation de l’état d’urgence. Adopter des mesures d’urgence et d’une durée limitée est insuffisant pour faire face à une crise et à une menace dont nous savons tous qu’elles seront durables. Nous devions donc anticiper « l’après état d’urgence » et réfléchir à ce qui devait être intégré dans notre droit commun.

Ainsi, nous sommes favorables aux mesures de ce texte qui visent à mieux lutter contre le terrorisme telles que les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages lors d’un contrôle d’identité ou encore la procédure de retenue en cas de suspicions sérieuses.

S’agissant des mesures relatives au financement du terrorisme, elles sont primordiales. Ainsi que l’indiquait le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les filières djihadistes, l’une des clés de la prévention et de la répression du terrorisme est le contrôle et l’entrave des moyens financiers dont disposent les organisations pour attirer et maintenir en leur sein des combattants et organiser leurs actions criminelles. Lutter contre le terrorisme, c’est avant tout lutter contre son financement. Nous approuvons à ce titre les mesures qui visent à le combattre, notamment celles qui concernent les compétences de Tracfin ou celles qui visent à lutter contre le trafic d’armes, qui peut contribuer à alimenter les activités terroristes.

Pour autant, ces mesures doivent être suffisamment proportionnées et encadrées pour respecter un juste et difficile équilibre entre l’intérêt général et l’intérêt des accusés, entre des exigences de sécurité et de liberté. L’inscription dans notre droit commun de mesures spécifiques à la lutte contre le terrorisme doit s’accompagner d’une procédure de contrôle stricte et de voies de recours garanties qui nous prémunissent d’éventuels abus ou dérives. Elles doivent aussi et surtout préserver l’indépendance de la justice.

Nous demeurerons donc particulièrement vigilants afin que ce texte ne se traduise pas par une normalisation de l’exception qui pourrait comporter un risque important pour nos libertés individuelles. Nous défendrons un certain nombre d’amendements en ce sens, visant à garantir la possibilité d’être assisté d’un avocat durant la procédure de retenue de quatre heures, ou celle d’un recours en cas d’interceptions de communications.

Enfin, le projet de loi pourrait être amélioré sur plusieurs points.

Tout d’abord sur le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, que l’article 19 prévoit de réformer. Nous avons apporté notre soutien à la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains dont nous avons discuté il y a quelques semaines dans cet hémicycle. Il existe une inégalité de fait entre policiers et gendarmes. Une réforme est nécessaire car les policiers doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires à leur défense.

En revanche, le dispositif que prévoit le présent texte est plus restrictif : il se réfère, en effet, « à un périple meurtrier durant lequel la légitime défense […] ne pourrait être invoquée, mais qui relève en réalité de l’état de nécessité ». La formulation de « danger imminent » ou de « violences graves » nous semble davantage pertinente. Ces points devront être discutés en séance.

En outre, un sujet doit être au cœur de nos préoccupations, celui du retour des djihadistes sur notre territoire. Comme le souligne le rapport de la commission d’enquête, « les retours de djihadistes de la zone irako-syrienne sont l’un des facteurs importants de l’aggravation de la menace ». Ce sujet n’a certes pas été éludé de ce projet de loi. Vous prévoyez notamment, pour y répondre, un contrôle administratif des retours sur le territoire. Il s’agit d’une mesure de bon sens puisque les qualifications juridiques existantes – association de malfaiteurs et entreprise terroriste individuelle – imposent d’apporter la preuve que les personnes s’étant rendues en Syrie et en Irak l’ont fait pour rejoindre un groupe terroriste.

Pour autant, nous proposons d’aller plus loin en permettant d’imposer à tout ressortissant français une interdiction de retour sur le territoire français dès lors qu’il a séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Il s’agirait d’un complément utile au droit existant.

Nous pourrions également nous inspirer des mesures concrètes qui ont été adoptées par le Sénat à travers la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste. Je pense notamment au fait de sanctionner le séjour sur un théâtre d’opérations terroristes par la création d’un nouveau délit terroriste puni de cinq ans d’emprisonnement.

Dans le même esprit de protection de nos concitoyens, nous devrions étendre aux infractions terroristes l’application des dispositions relatives au suivi socio-judiciaire et pouvoir ainsi soumettre la personne condamnée à un placement sous surveillance électronique mobile.

Si ces mesures n’étaient pas reprises dans le présent projet de loi, nous espérons qu’elles seront définitivement adoptées dans le cadre de la proposition de loi de nos collègues sénateurs Bas, Retailleau, Zocchetto et Mercier tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, si nous approuvons globalement les objectifs et les mesures proposées par ce texte, nous attendons de voir quelle sera son évolution en séance.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les événements tragiques que nous avons vécus pendant l’année 2015 donnent lieu à une très abondante production législative en matière de lutte antiterroriste, comme si tous les textes votés depuis le milieu des années 1980 étaient surannés, en tout cas sans grande efficacité. Un texte chasse l’autre sans que le Parlement, saisi en procédure accélérée – c’est en effet devenu une malheureuse habitude – n’ait le temps d’évaluer les dispositifs votés.

L’état d’urgence décrété en Conseil des ministres le 14 novembre dernier a été prolongé une première fois, pour une période de trois mois, par la loi du 20 novembre, puis encore une fois jusqu’au 26 mai, sans que la commission des lois ni l’Assemblée nationale n’aient pu se fonder sur un bilan complet des trois premiers mois de son application, contrairement aux engagements pris ici même par le Gouvernement.

Alors qu’en janvier, monsieur le ministre, lorsque vous étiez encore président de la commission des lois, vous parliez de la nécessité de préparer la sortie de l’état d’exception en rappelant justement qu’au-delà de l’effet de surprise – une dizaine, une quinzaine de jours, disiez-vous – les résultats de cet état dérogatoire au droit commun et aux libertés sont pour le moins modestes. Or l’état d’urgence court jusqu’au 26 mai et rien ne dit, malheureusement, que le Gouvernement ne demandera pas au Parlement une nouvelle prorogation.

Alors que nous abordons l’examen d’un nouveau projet de loi, c’est un sentiment de précipitation qui domine, contrairement à ce que laissaient entendre vos propos lors de votre audition en commission, monsieur le ministre – vous évoquiez alors un texte mûrement réfléchi. Le nombre important, pour ne pas dire impressionnant, d’amendements de réécriture déposés par les rapporteurs, et l’amendement du Gouvernement visant à réécrire complètement l’article 24 en sont la preuve manifeste.

La lecture des trente-quatre articles qui composent le projet de loi confirme qu’il s’inscrit dans la construction d’un dispositif dérogatoire – au sens d’un droit d’exception détaché des limites temporelles –, initiée il y a quelques années par la loi relative à la sécurité quotidienne pour lutter contre la délinquance organisée –une notion dont les contours ne cessent de s’étendre.

Ce projet de loi poursuit d’abord la substitution au juge indépendant des autorités subordonnées à l’exécutif. Ce n’est pas une première mais le texte l’accentue gravement, et c’est sans doute ce qui explique les réactions qui se sont manifestées lors des audiences solennelles de rentrée, lorsque la magistrature a fait part, d’une manière presque unanime, de ses critiques et de ses craintes. Or ces critiques, ces craintes, la majorité du groupe écologiste les partage.

Pourquoi l’autorité judiciaire est-elle ainsi évitée ?, s’est ainsi récemment ému Bertrand Louvel, le premier président de la Cour de cassation.

Dans le temps qui m’est octroyé, je vais tenter de cibler les dispositions les plus problématiques, en les citant probablement dans le désordre.

L’une d’elles est le contournement de l’autorité judiciaire. De fait, l’autorité administrative se voit confier la conduite de procédures sensibles : contrôle d’identité, fouille des bagages ou visite de véhicules. Le texte renforce considérablement les pouvoirs du parquet et donne des prérogatives à l’autorité administrative. Il tend à marginaliser les juges du siège, en particulier les juges d’instruction statutairement indépendants, au profit des procureurs.

Cet élargissement des pouvoirs de contrôle et d’investigation n’est que faiblement contrebalancé par la présence du juge des libertés et de la détention, dont l’indépendance ne bénéficie pas de garanties suffisantes. Le rapporteur l’a reconnu en commission ; vous-même, monsieur le ministre, n’avez pas éludé la difficulté.

Une autre mesure problématique est la retenue administrative de quatre heures. Les raisons pouvant la justifier sont particulièrement imprécises, floues et larges. Le texte précise que la personne retenue aura la possibilité de prévenir sa famille ou une personne de son choix, mais il ne prévoit aucune assistance : ni celle d’un avocat, ni celle d’un médecin, ni celle d’un interprète.

La disposition a soulevé un grand débat en commission et, sans l’engagement du rapporteur qu’une plus grande précision serait apportée et que des garanties accompagneraient la retenue, l’article n’aurait sans doute pas été voté.

L’article 20 introduit dans le code de la sécurité intérieure une disposition qui permettra de soumettre tout individu s’étant aventuré à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou ayant rejoint – ou tenté de rejoindre – un théâtre d’opérations de groupe terroriste à une assignation à résidence lors de son retour sur le territoire national. Cependant, il est déjà possible pour un juge d’instruction de mettre en examen un tel individu sur le fondement de l’article 421-2-1 du code pénal et de le placer sous contrôle judiciaire. Quel est donc l’intérêt de l’article si ce n’est d’écarter encore une fois l’autorité judiciaire pour lui substituer le glaive inflexible du préfet ?

L’article 19 prévoit aussi de conférer aux policiers et gendarmes opérant sur le territoire national et aux douaniers le bénéfice de l’état de nécessité lorsque, hors cas de légitime défense, ils font un usage de leur arme rendu absolument nécessaire.

Compte tenu de la jurisprudence bienveillante en matière de légitime défense – une série de décisions de justice a défrayé la chronique –, on reste perplexe. Soit la disposition est redondante, soit elle ouvre des possibilités qui peuvent inquiéter.

Le texte laisse le recours aux IMSI catchers à l’appréciation du procureur et non à celle d’un juge indépendant, détaché de la conduite des investigations. C’est pourquoi les amendements du rapporteur constituent une bonne nouvelle.

J’espère que le débat parlementaire permettra de clarifier certaines dispositions et de rééquilibrer une architecture qui marginalise l’autorité judiciaire. Nous avons déposé un nombre important d’amendements, notamment sur les tribunaux correctionnels pour mineurs, le secret des sources et le récépissé lors des contrôles d’identité. Autant d’engagements du candidat du candidat François Hollande oubliés depuis quatre ans.

Je souhaite que notre travail soit fructueux. La tâche est importante, tant les mesures que prévoit le texte font exception au droit commun.

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly